Je sens le froid parcourir mon corps. Traquant et chassant la moindre source de chaleur. Le sol est si dur, je sens sa froideur dans mon dos. Je suis là, allongée par terre, incapable de me relever.
Des râles d'agonies s'élèvent vers le plafond noir d'encre. Des cris transpercent la moiteur de la pièce. Des sorts s'écrasent sur les murs. Des pas piétinent les dalles. Et moi, je suis là. Etendue au milieu de ce chaos, dans un coin de la grande salle. Personne ne me voit, personne ne prête attention à un énième corps gisant dans la pénombre. Je suis déjà un cadavre à leurs yeux.
La douleur qui parcourait mon corps s'est éteinte sous le froid qui se diffuse lentement dans mes veines. Je sens la mort m'envahir, lentement, sûrement. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, couchée, raide comme la mort. Je ne sais pas quel sort m'a touché, mais je suis sûre d'une chose : il me tue.
J'ai envie de crier, de hurler que j'existe encore, que je suis là. D'appeler au secours, mais ma bouche s'ouvre dans un cri muet. Je suis spectatrice de ma propre mort. J'en ai vu beaucoup mourir au cours de cette nuit. Amis et ennemis se confondent dans une danse macabre qui défile devant mes yeux ouverts.
Je vois mes yeux se troubler, je sens mon pouls ralentir, mes mains deviennent si froides que j'ai mal. Mes souvenirs s'obscurcissent, ils semblent s'échapper de mon être et danser devant mes yeux. Je suis trop jeune pour mourir. Je viens juste d'avoir 17 ans, mes études ne sont pas finies. J'avais des projets, des rêves que je ne réaliserais jamais.
Je sens quelque chose de chaud rouler à mes côtés. Je reconnais son visage et ses cheveux blonds. Il était encore plus jeune que moi. Son appareil photo s'est brisé sous l'impact du corps s'écrasant sur les dalles.
Je n'aurai jamais cru la guerre si sale, si horrible. Elle nous enlève ceux qu'on aime, les gens qu'on connaissait. Et tout cela à cause d'un fou pétri d'idées absurdes. La pureté du sang, quelle connerie ! Quand je vois ce que font ces prétendues personnes si noble et si pur, mon cœur se soulève. Ils ont tellement de sang sur les mains, tout comme moi. Nous sommes tous des monstres, j'ai tué ce soir. Par nécessité, par instinct de survie. Eux le font par conviction parce que nous leur sommes inférieurs, que nos vies ne valent rien. Certains y prennent même du plaisir. C'est ce qui me différencie d'eux, ce pourquoi j'ai tué, mes raisons.
Soudain une ombre se jette sur moi. Je sens une douleur sans nom dans mon abdomen, en même temps qu'une puanteur agresse mon nez. Des crocs transpercent ma chair, de la salive coule sur mes vêtements. Un regard enfin se fixe sur mon corps sans défense, qu'un prédateur dévore. Un sort, une lumière qui fuse dans la nuit me libère de ce monstre autrefois humain. Je rencontre ce regard, elle sait qu'elle ne peut plus rien faire. Ses yeux chocolat se plongent dans les miens déjà vitreux. Elle contemple mon corps sans vie, comme si son esprit refusait d'y croire. Jamais elle ne m'avait aussi longtemps regardé. Mon corps ne ressent plus rien, seul mon flanc m'élance à nouveau. Je me sens lentement partir. Figée dans le froid glaçant mon corps. Emprisonnée dans l'haleine de la mort.
Ma vie lentement s'éteint comme une bougie fondant.
J'étais bien trop jeune. Nous étions tous trop jeunes pour ce combat. Ce fut mon seul et dernier combat. Une dernière pensée envahit mon esprit : l'homme est un loup.
Dans un ultime souffle, j'expire.