**Bonjour à tous ! Je m'excuse pour la longue période sans chapitre ; celui-ci devait mettre un terme à cette fanfic, mais il aurait été finalement trop long et peut-être décevant pour certains d'entre-vous. J'ai donc décidé de le couper en deux (ce qui explique qu'il soit plutôt court) et de modifier mon final ! Bonne lecture, à bientôt ! PS : Encore et toujours merci pour vos commentaires, ça me pousse vraiment à continuer !**
Le Shinkansen démarra tranquillement pendant qu'Iku se blottissait dans son fauteuil, alourdie par une irrésistible envie de dormir. Ce n'était pas tant ses journées de travail ou son entraînement qui la fatiguaient, mais plutôt ses nuits agitées et les cauchemars récurrents qui la torturaient depuis le départ de Dojo. Cela n'avait rien de rationnel, mais elle était incapable de se rassurer. Elle posa sa tête contre la vitre, tentant de saisir les premiers rayons du soleil à travers les immeubles et les arbres qui défilaient à toute vitesse. Le ciel avait les mêmes teintes rosées que le jour où elle l'avait rencontré.
Elle se souvint avec tendresse de l'aurore de cette inoubliable journée. Elle avait passé la nuit à relire la série de livres dont le dernier tome devait sortir ce jour-là. Lorsqu'elle avait finalement levé le nez de la dernière page, la splendeur du ciel l'avait frappée, de même que la fatigue jusque-là réprimée.
Une voix intérieure berçante tentait de la rassurer : Tout va bien. La situation est bonne pour nous… La censure va bientôt être supprimée… Je n'ai aucune raison de m'inquiéter… Tout le GIB est avec lui…
Le discours du premier ministre revint à son esprit. Comme l'avait assuré le commandant Genda, le gouvernement avait annoncé au peuple le décès de l'empereur le dimanche soir. Dans ce contexte de deuil national et en réponse aux nombreuses manifestations dans tout le pays, le premier ministre s'était également engagé, au nom du gouvernement, à un adoucissement de la loi d'amélioration des médias, ainsi qu'au désarmement progressif des agents spéciaux d'amélioration. Sa volonté était d'apaiser le pays et de minimiser les confrontations.
Iku en avait parlé avec « le vieux », comme l'appelait Dojo, lorsqu'il l'avait emmenée au stand de tir.
« Si nous aussi on doit être désarmés, autant utiliser les munitions pour que tu t'améliores, lui avait-il dit en ricanant. Ton instructeur n'est pas là pour désapprouver, alors on va pouvoir se lâcher !
- C'est bien, n'est-ce pas ?
- De ?
- Qu'on se désarme progressivement, les ASA et nous. J'ai toujours trouvé ça absurde qu'on s'entretue comme des ennemis, alors qu'on se croise sûrement dans la rue, qu'on a peut-être été dans la même école, qu'on est peut-être des parents éloignés… Pas vous ?
- Si, bien sûr, c'est absurde. Mais je reste méfiant… Les ASA travaillent pour le gouvernement. Qu'est-ce qui nous garantie qu'ils seront effectivement désarmés ? Tu imagines le désastre, si nous désarmons complètement le CB et que les ASA nous attaquent ? Ca a l'air difficile à concevoir, mais ça s'est pourtant déjà produit.
- Oh… Avec un sentiment de regret, Iku avait baissé les yeux vers le sol, abattue par la déception, se rappelant le récit du cauchemar d'Ino mais Genda l'avait immédiatement remise d'aplomb avec une grande claque dans le dos.
- Mais c'est en bonne voie, je suis confiant ! Tous les atouts sont dans notre main, la censure va tomber ! Tu devrais commencer à te demander ce que tu feras, lorsqu'on aura gagné… »
Effectivement, qu'est-ce qu'elle allait faire ? Et Dojo, qu'est-ce qu'il voudrait faire ? En commençant à y réfléchir, elle s'étira et bâilla. Son bras heurta quelqu'un, à côté d'elle. Elle sursauta et s'excusa auprès de l'homme assis à sa gauche. Elle ne l'avait pas vu s'installer et croyait qu'elle était encore seule. C'était un homme plutôt grand, qui ne devait pas être loin de la quarantaine. Face à son regard impressionnant, elle baissa instinctivement les yeux.
Lorsqu'il tendit la main pour désigner le livre qu'elle avait sur ses cuisses, elle remarqua que la peau était usée et calleuse, les ongles abîmés, une cicatrice dessinée le long du pouce.
« Ce livre me dit quelque chose…
- Oh, c'est un livre pour enfant.
- Il a été censuré, n'est-ce pas ?
- Oui, il y a plusieurs années. Vous le connaissez ?
- Oh, non, mais je me souviens d'une jeune fille qui voulait le lire dans mon entourage… Vous n'avez pas peur d'exhiber un livre interdit ?
- Je travaille en bibliothèque, j'ai le droit de posséder ce genre d'ouvrages.
- Ah, je vois… Vous êtes partisane de l'abrogation de la loi d'amélioration des médias, je suppose ?
- Evidemment ! Une telle loi n'a pas lieu d'être.
- De votre point de vue… Pourtant, cette loi a été votée. Par les représentants du peuple. Les agents d'amélioration font respecter cette loi. Ils y vouent leur vie. De mon point de vue, les bibliothèques sont hors-la-loi et terroristes. Iku serra les poings et releva la tête pour affronter le regard de cet homme.
- La censure s'étend un peu plus chaque jour. D'abord, les médias ensuite, les artistes finalement, ce seront les citoyens qui seront bâillonnés par une loi initialement votée par eux et contre laquelle ils n'auront plus aucun moyen d'action légale, puisque plus aucune liberté d'expression. Voilà mon point de vue !
- Vous au moins vous êtes directe ! La loi ne s'applique pourtant pas aux citoyens. Les agents d'amélioration sont eux aussi des citoyens : vous pensez qu'ils contribueraient à museler le peuple auquel ils appartiennent ?
- N'a-t-on pas déjà de tels exemples dans l'Histoire ?
- Cela a pu arriver sous des régimes totalitaires, dans des sociétés sans véritable réseau d'information. Avez-vous déjà écouté les arguments des personnes partisanes de la censure, en essayant vraiment de les comprendre ? Pardonnez-moi, reprit-il après quelques secondes de silence, vous semblez fatiguée, je ne souhaite pas vous importuner davantage. »
Il la salua, se leva et partit vers l'arrière du wagon, laissant Iku sans voix, avec un sentiment d'amère frustration. Le regard de cet homme lui était vaguement familier… Elle desserra les poings et ouvrit le livre pour en sortir la photo de Dojo. Il lui manquait tellement. Qu'aurait-il répondu à cet homme ? A vrai dire, elle ne s'était jamais vraiment posé de question sur le bien fondé de son combat, parce que ça lui semblait évident et nécessaire. L'ex-commandant Inamine, les lieutenants Komaki et Dojo, et même Shibasaki, toutes ces personnes étaient fiables, n'est-ce pas ? Elle pouvait se fier à leur sagesse et leur intelligence, non ? Est-ce que ces soldats qui ne faisaient qu'obéir aveuglément à la loi, n'étaient pas endoctrinés ? Après un profond soupir, elle reposa sa tête contre la vitre et se laissa bercer par le mouvement du wagon.
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L'alarme de son téléphone sonna et la sortit de son sommeil. Lorsqu'elle redressa la tête, elle sentit une douleur dans son cou et se le massa, tout en ouvrant les yeux, éblouis par la lumière du jour. Le train était en train de ralentir pour entrer en gare. Elle s'étira et rassembla ses affaires avant de se lever. D'un revers de main, elle effaça les plis qui s'étaient formés sur sa robe en jean. Oui, elle portait une robe. Shibasaki y avait mis un point d'honneur, lui assurant que cela ferait plaisir à sa mère. Elle avait vu juste, comme toujours.
Quand Iku descendit du wagon et chercha son frère du regard, elle tomba sur sa mère, figée, un air émerveillé sur son visage. Elle rougit et s'approcha d'elle, la saluant maladroitement.
« Iku… Ma chérie ! Tu es tellement belle ! Elle resta à la dévisager, à la fois fière et attendrie.
- Où est Hiro ?
- A la maison, avec ton père. Il avait besoin d'aide pour réparer sa voiture. Tu as l'air fatiguée, tout va bien ?
- Mmh… Oui… J'ai juste du mal à dormir…
- D'accord. »
Sa mère ne dit rien de plus et fit un geste pour prendre le sac Iku, mais se ravisa en voyant sa fille se détourner. Elle se retourna et elles allèrent sans un mot jusqu'à la voiture. Une sorte de malaise s'était installé entre elles depuis leur dernière rencontre. Lorsqu'elles furent assises et prêtes à partir, madame Kasahara rompit le silence :
« Iku… Pardonne-moi… Je sais que j'ai été maladroite. J'aime tous mes enfants, mais j'étais un peu déçue de n'avoir que des fils, alors quand j'ai appris que j'attendais une fille, j'étais tellement heureuse… »
Elle s'interrompit, essayant de contenir ses émotions. Iku serra les poings afin de ne pas provoquer un nouveau conflit. Elle n'arrivait vraiment pas à s'habituer à ces éternelles remontrances sur son manque de féminité.
« Je croyais qu'une fille était nécessairement câline avec sa mère… Que tu aimerais passer du temps avec moi, te confier, me demander des conseils… J'ai voulu te faire entrer dans un moule, une vision égoïste de ce que je voulais que tu sois… »
Le cœur d'Iku manqua un battement la tension de son corps se relâcha ses yeux s'écarquillèrent et se tournèrent vers sa mère. Elle observa la petite femme assise à sa droite, qui se tordait nerveusement les doigts en essayant d'ouvrir son cœur.
« Je te demande pardon, Iku. Je t'admire beaucoup, tu sais : tu as fais tes propres choix et tu t'y es jetée à corps perdu. Tu as été très courageuse. Ton père, tes frères et moi… on est tellement fiers de toi ! »
Les derniers mots étaient à peine audibles : ils se posèrent pourtant avec délicatesse sur le cœur d'Iku et y répandirent une chaleur de plus en plus réconfortante, chassant tous les soucis qu'elle avait pu avoir. Attendrie par ces mots, elle tendit sa main et la posa sur celles de sa mère, un sourire ineffable sur les lèvres. Cette confession provoqua la sienne : d'une voix timide, comme celle d'une enfant, elle expliqua à sa mère que l'homme qui l'avait protégée à l'époque du lycée était le lieutenant Dojo qu'ils étaient amoureux l'un de l'autre et qu'elle était venue de Tokyo pour le leur annoncer en bonne et due forme.
« C'est lui qui t'a demandé de nous le dire ?
- Euh… oui, pourquoi ?
- Ca lui ressemble assez, c'est un homme droit. Ton père est pareil. En fait, il m'avait dit que ce serait bien que tu arrêtes de chercher ton prince et que tu t'intéresses à lui ! Voilà qui lui fera plaisir ! »
Elle démarra la voiture. Iku rougit et se mit à tortiller ses doigts, avant de réaliser qu'elle ressemblait, elle, beaucoup à sa mère. Cette pensée la répugna d'abord, mais lorsqu'elle la regarda, elle commença à penser que ça n'était pas si mal. Elle réalisa que sa mère avait réussi à créer un foyer animé et chaleureux, des liens solides entre ses enfants et, même si elle avait désapprouvé ses choix, elle avait toujours été là pour elle, elle lui avait toujours offert une issue de secours. Elle comprit alors seulement à quel point son cœur était débordant d'amour pour ses enfants, combien il lui était facile de leur pardonner Iku prit une grande inspiration et lorsqu'elle expira, son esprit créa une image d'elle-même, entourée de son mari et de ses enfants. Oui, elle les aimerait quoi qu'il arrive. Apaisée, souriante, elle se laissa conduire jusqu'à sa maison d'enfance, sans plus rien dire.
« On ne verra pas Hiro et ton père avant midi. Tu veux aller t'allonger un peu en attendant ? »
Iku acquiesça et monta dans sa chambre. L'odeur de la maison réveilla en elle tellement de souvenirs, elle se sentait si réconfortée qu'elle n'eut qu'à s'étendre sur son lit pour sombrer dans un sommeil sans rêve.
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« Allez Soma, active un peu ! On sera jamais arrivés avant la tombée de la nuit sinon !
- Oui, lieutenant Dojo ! »
Le jeune homme était tellement trempé que ses vêtements lui collaient à la peau. Il sentait la sueur perler sur son front et passait nerveusement son poignet pour l'essuyer. Il fixa le paquetage de Nakashima, qui le précédait, et s'obligeait à focaliser son esprit sur autre chose que la douleur qui l'assaillait de toute part : épaules, cuisses, pieds… Comment une femme avait-elle pu endurer ça ? Il secoua la tête, se demandant si elle en était vraiment une. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres.
Il s'arrêta net en voyant Nakashima à l'arrêt et pencha la tête pour comprendre ce qui se passait.
« C'est quoi ce délire ? » marmonna Tezuka derrière lui.
Devant eux, deux hommes les menaçaient avec des fusils d'assaut. Instinctivement, Soma leva le bras pour attraper son arme, mais la main de Dojo, sur sa droite, lui interdit. Derrière eux, il y avait trois autres hommes et, des buissons, il en sortit trois autres. L'un d'eux pencha la tête sur la radio fixée à son épaule et dit :
« C'est bon, on a la dernière équipe. Oui, il est là. On arrive. »
L'un de ces hommes, le plus âgé, remonta la file, un sourire en coin :
« Retirez vos paquetages. Vos vestes aussi. Kensei, attache-les. »
Un de ses soldats salua et s'exécuta. Il sortit une poignée de liens de serrage en plastique et, un à un, il menotta les six membres de l'équipe Dojo, qui obtempérèrent. Aucun d'eux ne souffla mot, ne voulant pas risquer de faire dégénérer la situation. Les sacs furent laissés sur le bord du sentier et ils reprirent la marche en silence.
Le chef de l'escouade se plaça à la gauche de Dojo et l'observa fixement :
« Ca y est, je vous resitue. Dojo, c'est ça ? Ce dernier lui jeta un regard glacial pour toute réponse. Je n'oublie jamais un visage. Il est amusant qu'on se rencontre à nouveau dans cette région… »
Cet homme lui était effectivement familier, sans qu'il n'arrive à le reconnaître. Il avait immédiatement identifié l'uniforme de combat des ASA, mais cet homme… Comment connaissait-il son nom ? La dernière fois qu'il était venu dans cette région, c'était pour l'exposition d'Ibaraki, mais il n'avait rien fait qui puisse laisser une trace de son nom.
« Ca viendra, lui répondit l'autre. »
Peu importe, pensa Dojo. Il remercia le ciel de ne pas avoir emmené Iku avec lui il était certain qu'elle n'aurait pas pu s'empêcher de leur beugler dessus et que ça aurait fini bien tragiquement. Cependant… une attaque coordonnée ici et à la base du Kantô serait, stratégiquement, tout à fait cohérente. Dojo serra les dents. Il marcha plus d'une heure en tournant dans sa tête tous les cas de figures possibles, mais n'arrivait pas à définir l'objectif des ASA. Sans ça, impossible de savoir jusqu'où ils iraient et où ils attaqueraient. Finalement, il craqua :
« Qu'est-ce que vous voulez, au juste ? »
Le visage amaigri de l'homme, asséché encore par son regard plein de dureté, dessina un rictus de contentement, comme s'il attendait cette question depuis le début.
« Vous le saurez bien assez tôt ! »
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Iku ne put dire, en reprenant ses esprits, si c'étaient les peluches rebondissant sur elle ou si c'étaient les ricanements puérils de ses frères qui l'avaient réveillée. Elle se frotta les yeux, avant qu'un hamster géant ne lui rebondisse en pleine tête. Dans un grognement, elle saisit les peluches accumulées sur son lit et les balança à l'aveugle sur les deux hommes qui avaient fait irruption dans sa chambre. Ils les évitèrent en riant.
« Yuma, t'es là aussi ?
- Oui, maman m'a dit que tu serais là… Je me suis libéré, histoire de voir à quoi ma sœur indigne ressemblait après tant d'années sans la moindre visite…
- T'as qu'à venir à Tokyo si tu veux me voir, frère indigne !
- En tous cas, intervint Hiro, je vois pas bien l'intérêt de venir pour pioncer !
- Maman m'a dit d'aller me reposer !
- C'est bien la première fois que tu lui obéis ! »
Ils continuèrent à se chamailler en descendant l'escalier pour aller au salon, où le repas était servi. Personne ne lui demanda la raison de sa venue, mais chacun lui témoigna, à sa manière, sa joie de la revoir. Elle leur raconta ses journées de travail et de formation, le départ du GIB pour son entraînement spécial annuel, sa proximité avec le commandant Genda ils échangèrent sur le décès de l'empereur et sur l'adoucissement de la censure qui se profilait.
Comme à son habitude, à la fin du repas, monsieur Kasahara s'excusa et alluma la télévision pour regarder le journal d'informations. Iku resta à table pour discuter avec ses frères, quand son père l'interrompit après quelques minutes :
« Iku, regarde ! »
A l'écran, elle reconnut l'homme qui lui avait parlé le matin même dans le train. Se revendiquant Agent Spécial d'Amélioration, il dénonçait l'assassinat de l'empereur, la trahison du gouvernement et le rôle clé qu'avait joué Satoshi Tezuka dans toute cette intrigue. A cet instant de son discours, le plan dézooma peu à peu. Il réclamait la reddition de Satoshi. Alors, chacun put voir le fusil d'assaut qu'il tenait dans sa main pointée sur la tête d'Hikaru Tezuka, déjà amochée par une première mise à tabac. Le caméraman filma brièvement la totalité du camp et Iku pu reconnaître tous ses frères d'armes menottés et parmi eux Dojo. Son sang ne fit qu'un tour, mais elle sursauta au bruit de tasses se brisant au sol. Derrière elle, sa mère se tenait le visage, les larmes aux yeux. Tout le monde comprit exactement ce à quoi elle pensait. Iku n'avait pas de temps à perdre à essayer de la réconforter : il lui fallait agir. Alors qu'elle allait quitter la pièce, son frère aîné la retint.
« Yuma, je dois aller chercher mon téléphone ! »
Il soupira, la laissa passer et prit sa mère dans ses bras. Son père éteint la télévision, où le message de revendication avait laissé place aux impressions des journalistes.
Lorsqu'Iku prit son téléphone, il y avait déjà deux appels en absence. Son cœur se serra en imaginant ce que devait ressentir Shibasaki, impuissante, face à cette vidéo. Son téléphone sonna à nouveau : c'était Genda.
« Allô ?
- Kasahara, tu ne fais rien de stupide ! Genda lui cria dessus comme si elle était déjà en route. J'ai déjà envoyé une équipe, continua-t-il.
- Capitaine, je suis sur place, je DOIS y aller !
- Hors de question que tu y ailles seule, ils n'ont plus de limite imagine ce qu'ils feront s'ils trouvent une femme !
- Je refuse de les laisser en plus je connais ces montagnes comme personne ! Laissez-moi y aller avec mon frère, il est policier, il pourra me couvrir !
- Putain, quelle merde ! Iku entendit le poing puissant de Genda frapper son bureau. Lui aussi voulait agir, et devait se sentir bien frustré.
- Commandant, reprit Iku aussi calmement que possible, ça ne sert à rien d'en parler, ma décision est prise. Peu importe ce que vous pourrez dire. Il s'agit d'Atsu… De Tezuka, de Komaki, de Soma… J'aurais dû être avec eux. Je dois aller les aider. Après de longues secondes, il finit par répondre :
- OK, mais tu fais juste de la reconnaissance pour accélérer l'intervention d'Oda et de son équipe quand ils arriveront. J'appelle la base d'Ibaraki pour qu'ils te prêtent du matériel. Jure-moi que tu ne feras rien de stupide, Kasahara : s'il t'arrive quoi que ce soit, je suis un homme mort.
- Oui Commandant ! Merci… Je ne peux juste pas rester sans rien faire…
- Je sais. Je t'envoie le numéro d'Oda, tiens-le au jus ! »
Il raccrocha brutalement. Quand Iku se retourna, son frère Hiro la regardait, appuyé contre l'ouverture de la porte. Il secoua la tête.
« Tu ne vas pas faire ça…
- Si. Et je n'ai pas besoin de ton approbation, répondit-elle sèchement.
- Iku, c'est trop dangereux ! On ne te laissera pas y aller !
- Yuma viendra avec moi. Ou pas. Peu m'importe. Je ne resterai pas tranquillement au chaud pendant que leurs vies sont en danger.
- T'es vraiment qu'une sale égoïste, tu te fiches pas mal de ce que tes choix peuvent faire subir à ta famille ! Tu imagines la réaction de maman, si c'était toi qui étais apparue défigurée à la télé ? T'as toujours pas compris combien elle vit mal le fait que tu te mettes en danger tous les jours ? C'est trop te demandé de…
- La ferme ! Moi, je suis égoïste ? Tu crois que c'est pour moi-même que je me bats ? Tu crois que c'est à mon confort personnel que je pense ? Tu crois que je veux aller les aider uniquement pour me mettre en avant ?
- Me sors pas tes grandes idéaux de liberté, j'en ai rien à foutre !
- Calmez-vous, intervint leur père fermement. Iku, c'est trop dangereux, je refuse que tu y ailles.
- C'est mon métier, papa. Je suis un soldat, je dois intervenir. J'ai reçu mes ordres et je vais…
- Tes ordres ? Mon cul, reprit Hiro de plus belle, tu as fais ton caprice auprès de ton commandant pour qu'il te laisse carte blanche. Lui-même a compris à quel point c'était dangereux de te laisser y aller. Y a que toi qui sois assez stupide pour vouloir te jeter dans la gueule du loup.
- Je ne viendrai pas avec toi, lâcha Yuma, qui avait suivi son père à l'étage. Tu ne peux pas décider comme ça pour les autres, j'ai un métier moi aussi ! »
Iku se sentit brusquement acculée. La colère montait en elle. Elle se retenait d'exploser et de les envoyer balader, quand son père intervint de nouveau :
« Iku, est-ce que tu ne peux pas, au moins, y aller avec une équipe ? Attendre des renforts ou demander de l'aide à la base locale ? Il y a bien des soldats ici, n'est-ce pas ? »
Elle se contenta de hocher la tête. Elle était d'autant plus en colère qu'elle était venue leur annoncer quelque chose de joyeux et qu'elle n'avait pas pu le faire. Pour l'instant, elle avait l'impression de n'être qu'une enfant capricieuse que sa famille essayait de raisonner. Elle savait que la situation s'envenimerait si elle continuait à leur tenir tête. Elle décida donc de se montrer raisonnable, afin de les rassurer.
« Oui, papa, tu as raison. Je vais aller à la bibliothèque d'Ibaraki et préparer un plan en attendant les renforts. Je connais bien les montagnes et j'ai été briefée sur leur programme d'entraînement. Je vais réfléchir à la meilleure approche possible… »
Tout le monde lâcha un soupir de soulagement. Yuma se proposa même de l'emmener à la base, avant de retourner à son travail. Ils descendirent tous et Iku rassura sa mère en lui expliquant qu'elle n'apporterait sa contribution que sur le plan stratégique :
« De toutes façons, je suis en robe et le commandant Genda a défendu à la base d'Ibaraki de me donner le moindre équipement, alors tu vois bien que je vais être obligée de rester en retrait cette fois…
- D'accord, répondit sa mère en souriant. J'espère vraiment qu'il n'arrivera rien à monsieur Dojo… »
Moi aussi, pensa Iku en se mordant la lèvre. Elle se redressa et prit son sac, mais son père intervint :
« C'est moi qui vais t'emmener. Hiro, je n'en ai pas pour longtemps, prends soin de maman. »
Iku tressaillit, inquiète à l'idée que son père ait compris ses véritables intentions et veuille la retenir. Elle le suivit néanmoins avec obéissance, sans un mot et monta en voiture à sa gauche.
« Maman m'a dit, tout à l'heure, pour le lieutenant Dojo… Bien sûr, vous avez ma bénédiction, mais j'ai conscience que tu es bien plus concernée par cette attaque que s'il s'agissait seulement de collègues. Je connais ton tempérament et je sais qu'il n'y a rien que je pourrais dire qui puisse t'empêcher d'aller là-bas. Cependant, Iku… ne te mets pas en danger. Garde à chaque instant à l'esprit l'image de ta mère et réfléchit à ce que représenterait pour nous de perdre notre propre enfant… »
Sa voix commença à trembler, aussi il s'arrêta de parler. Iku n'osa prononcer le moindre mot. Il était rare que son père lui parle aussi franchement et elle n'avait jamais pensé que lui, figure d'autorité, puisse être si sensible… Elle réalisa que c'était un peu bête et naïf d'avoir autant idéalisé son père elle chercha, le reste du trajet, une phrase, un mot à lui dire pour le rassurer, mais rien ne lui vint. Et si c'était la dernière fois que je le voyais ? Cette pensée la foudroya elle s'était constamment jetée dans les conflits, sans avoir conscience du danger dans lequel elle se mettait, sans penser aux conséquences. Elle n'avait jamais pensé à la mort. Sa voix se mit à prononcer des mots sans qu'elle n'y réfléchisse :
« Merci, papa. Pour tout ce que tu as fait pour moi. Pour ton soutien. Je te promets de revenir saine et sauve… »
Il lui jeta un regard plein de regrets, malgré le sourire timide dessiné sur son visage. Arrêtés devant la bibliothèque, Iku lui sourit à son tour, avant de descendre de la voiture en l'assurant qu'elle le tiendrait au courant.
Prenant une grande inspiration, elle marcha d'un pas décidé vers l'infrastructure militaire de la base. Des souvenirs de la bataille qui avait eu lieu lui revinrent à l'esprit. C'était à elle de couvrir les arrières de Dojo est-ce qu'ils se seraient fait prendre si elle avait été avec eux à l'entraînement ? Ca ne sert à rien d'y penser, se réprima-t-elle en cherchant dans son sac à main son badge d'officier. Arrivée à l'armurerie, elle se présenta.
« Lieutenant Kasahara, de la base du Kantô… Le commandant Genda m'a annoncé qu'une personne serait avec vous, lui dit le soldat en lui tendant une tenue de combat avec hésitation. Il m'a interdit de vous fournir le matériel si vous vous présentiez seule…
- Oui, mon frère passe des appels, pour décommander des rendez-vous… Je commence à me préparer, vous savez comment sont les filles… Elle prit sa tenue et commença à partir, avant de revenir le voir : au fait, vous nous avez préparé un véhicule ?
- Euh, non, ça n'était pas prévu…
- Notre père nous a déposés, nous allons en avoir besoin… Peut-être pourrions-nous gagner du temps si vous l'approchiez et chargiez le coffre ? »
Le jeune homme acquiesça, prit un sac kaki et une clé de voiture, puis il sortit et se dirigea vers un hangar. Iku se rendit aux vestiaires. Si je suis seule, réfléchit-elle, je n'ai personne pour faire diversion. Autant que je reste en robe, je serais moins suspecte qu'avec un uniforme du CB…
Elle resta quelques minutes, se frappa les joues pour se motiver, puis sortit pour retrouver le soldat. Il avait garé la voiture devant le portail et était en train de marcher vers l'armurerie, lorsqu'il aperçut Iku.
« Ca n'allait pas ? demanda-t-il en se dirigeant vers elle.
- Les rangers me vont, mais l'uniforme est trop petit…
- Oh, excusez-moi lieutenant, je vais le changer. »
Il se retourna et Iku fut saisit d'une grande culpabilité, mais l'image de Tezuka défiguré lui revint à l'esprit : elle s'excusa en assenant au jeune homme un coup rapide dans la nuque. Il tomba inconscient. Elle s'empressa de lui prendre les clés des mains et de courir jusqu'à la voiture. Au poste de contrôle, elle reconnut une des jeunes filles du corps de défense celle-ci était tellement contente de la revoir, qu'elle la laissa passer sans qu'elle n'ait à se justifier. Une fois le portail franchit, elle fonça jusqu'à la base d'une montagne, voisine de celle où avait lieu l'entraînement du GIB. Elle enfila les rangers, puis ouvrit le sac dans lequel il n'y avait que du scotch, des jumelles, une boussole, un miroir, une gourde, une corde et des liens de serrage. Aucune arme. Visiblement, le vieux avait anticipé tant pis ! Elle avait ses poings. Et ses jambes.
Après deux heures de marche, elle atteint le sommet de la montagne et rampa jusqu'au point d'observation auquel elle avait pensé depuis son arrivée. A l'aide des jumelles, elle analysa la situation, malgré les nombreuses branches d'arbre qui lui gênaient la vue. Les ASA étaient tellement nombreux ! Ils avaient réuni tous les officiers au centre du camp, à genoux. Sa gorge se noua lorsqu'elle aperçut Dojo, immobile, la tête vers le sol, les mains attachées dans le dos, son t-shirt trempé. Elle chercha nerveusement Tezuka mais fut incapable de le trouver. Elle revint sur Dojo : elle aurait tellement voulu lui faire savoir qu'elle était là, qu'elle le voyait. L'idée lui vint de lui envoyer un message lumineux avec son miroir, mais elle redoutait de se faire repérer et de mettre les otages en danger.
Elle se contenta de rédiger un message pour Oda, où elle lui recommandait de commencer l'escalade à partir de l'endroit où elle avait garé la voiture, afin de gagner un temps précieux. Elle lui transmettait aussi toutes les informations utiles qu'elle avait récoltées. Après quoi, elle suivit un petit sentier sur lequel elle était venue à plusieurs reprises avec ses frères et descendit jusqu'à rejoindre la montagne voisine. Elle s'arrêta net lorsqu'elle entendit une voix et s'accroupit. Elle se rapprocha doucement, tendant le cou pour voir qui était là. Elle identifia immédiatement l'uniforme ASA de l'homme qui était à quelques mètres d'elle. Son arme était posée contre un arbre et il expliquait une manœuvre informatique par téléphone. Seul. Déconcentré. Tourné. Il n'en fallut pas plus à Iku qui, sans même prendre le temps de réfléchir, fondit sur lui, passa son bras autour de sa gorge et, d'une clé de bras, l'étrangla jusqu'à ce qu'il tombe inconscient. Méthodiquement, elle le déshabilla, lui passa des liens aux mains et aux pieds, lui scotcha la bouche et le poussa sous un buisson. Elle enfila son uniforme, prit son arme et passa son casque. Puis elle reprit la route.
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Les ombres se faisaient de plus en plus grandes au sol, marquant la fin de l'après-midi. Ce devait faire cinq heures presque six que Dojo était à genoux, immobile. Ses jambes étaient douloureuses et il s'obligeait à focaliser son esprit ailleurs. Il avait vite renoncé à essayer d'élaborer un plan, les ASA étaient trop nombreux et armés jusqu'aux dents : un échec tournerait rapidement en carnage. La seule consolation qu'il avait était que s'ils étaient tous ici, la base du Kantô ne devait pas avoir été attaquée. Iku était en sécurité. Penser à elle lui permettait de ne pas sentir la fatigue qui tiraillait tous ses muscles.
Brusquement, deux pieds apparurent dans son champ de vision. Un homme s'agenouilla et lui tendit une gourde. Il remarqua une cicatrice sur son pouce. Il la reconnut immédiatement et redressa la tête vers l'officier ennemi, qui lui adressa l'esquisse d'un sourire :
« Ca y est, ça vous revient ?
- Comment oublier ! L'homme grâce à qui j'ai rencontré Iku…
- J'espère que toute l'ironie de la situation va vous amuser autant que moi : j'ai rencontré votre petite protégée ce matin même, dans le Shinkansen… »
Le sang de Dojo se glaça et un frisson le parcouru. Ses yeux s'écarquillèrent. Il n'écoutait plus. Mille pensées l'assaillirent il comprit qu'Iku était venue pour parler à ses parents et que c'était à cause de lui il devinait qu'elle serait mise au courant de la prise d'otages et qu'elle viendrait se jeter dans la gueule du loup il savait qu'elle allait se mettre en danger. Il serra les poings et la douleur du plastique qui s'enfonçait dans sa chair lui faisait, étrangement, du bien. Il lui fallait trouver un moyen de retourner la situation avant qu'elle n'arrive au moins d'arriver à se libérer pour pouvoir la protéger. La sueur qui perlait de son front lui piquait les yeux. A sa droite, Nakamura remarqua qu'il se tortillait et commençait à s'agiter il lui ordonna immédiatement de se contrôler. A sa gauche, Komaki lui chuchota :
« Fais-lui confiance, elle est ta digne élève et elle sait à quel point ça t'inquiéterait qu'elle se mette en danger. Calme tes nerfs ! »
Dojo ne répondit rien, mais il avait redressé la tête et essayait de distinguer un signe de la présence d'Iku au sein du camp, en vain. L'obscurité grandissait de plus en plus et il ferait bientôt nuit.
Pendant ce temps, à l'intérieur d'une des tentes dressées, Tezuka était attaché à une malle sur laquelle on l'avait assis. Il avait arrêté d'essayer de parler depuis longtemps et n'écoutait même plus les questions qu'on lui posait. Il était plus agréable de s'imaginer dans les bras de Shibasaki à se faire caresser les cheveux. Il s'était pourtant montré coopératif : la vie de tous ses frères d'arme lui importait plus que de livrer des informations sur son propre frère. Mais il n'avait aucune information sur son frère. Il avait réalisé à quel point c'était devenu un étranger pour lui. Pour les soldats qui le tabassaient, c'était tellement inconcevable de si peu connaître un frère qui conduisait le même combat, qu'il était évident pour eux qu'il le protégeait.
Soudain, une douleur brutale, intense, aigüe le saisit à la cuisse et le ramena à la réalité. Dans un hurlement, il rouvrit les yeux et vit l'officier qui les avait attrapés le fusiller du regard, un couteau dans la main.
« Ca y est, j'ai votre attention ? Vous avez intérêt à parler, parce qu'à partir de minuit, on exécute les otages ! Et j'aime autant vous dire qu'on va commencer par votre équipe. »
L'esprit de Tezuka s'enflamma et il ne vit qu'une solution pour essayer de gagner du temps :
« Stop… Arrêtez… Je n'ai pas d'info fiable… Mais… j'ai entendu le commandant…
- Oui ?
- Satoshi se cache… je crois qu'il se cache chez le commandant…
- Inamine ? » demanda l'autre après quelques secondes de silence.
Bien qu'il pensât à Genda, cette remarque apparut à Tezuka comme une évidence. Les soldats autour de lui comprirent à l'expression de son visage qu'ils avaient dû tomber juste. Aussitôt, l'un d'eux sortit son téléphone et contacta une équipe restée à Tokyo pour qu'ils interviennent.
Merde, pensa Tezuka, pourvu qu'ils assurent là-bas… Il pensait naturellement à Shibasaki, qui devait être en train de se démener avec ses contacts et sa brillante intelligence, afin de tout mettre en œuvre pour le sauver. Là, il avait trop mal il était trop fatigué : il voulait juste s'en remettre à elle.