Bonjour à tous !

Je vous présente ma première fiction dans l'univers des Avengers ! Il s'agira d'un three-shot, sachant que la seconde partie est déjà écrite et corrigée. La dernière est encore en cours d'écriture. L'histoire devrait faire une cinquantaine de pages au total, j'ai donc pris la décision de la découper pour que cela ne soit pas trop lourd. J'espère être à la hauteur de toutes les merveilles que j'ai déjà pu lire ici. Mon inspiration première vient d'une auteur que j'adore et à qui je dédie cette histoire dans son intégralité, j'ai nommé HyperRaspberry. J'espère vraiment qu'elle te plaira autant que tes bijoux m'ont plu !

Je tiens à remercier chaleureusement la grande Maly Winchester, qui a accepté de corriger cette histoire. Merci infiniment, tu es géniale !

Il s'agit d'un Steve/Tony en rated M pour quelques petites scènes et pour le langage, ainsi j'invite les personnes étant incommodées par ce genre de choses à quitter la page.

J'ajoute que plusieurs personnages sont à moi mais que l'univers et les personnages principaux ne sont pas en ma possession.

Je vous souhaite maintenant une bonne lecture !


Le vent s'engouffrait dans la veste en cuir de Steve. Les mains enfoncées dans ses poches, le buste légèrement penché en avant, l'homme marchait dans Central Park à la lueur de la lune. Le bruissement des branches d'arbres couvrait celui de la circulation encore active. La nuit, il se préoccupait moins de son apparence. Le jour, en revanche, il s'appliquait à rester discret et ce depuis le démantèlement du SHIELD. Ses insomnies, présentes depuis son « réveil », étaient devenues de plus en plus importantes depuis qu'il avait revu Bucky.

Bucky.

Son ancien meilleur ami, ainsi que tout un tas d'autres choses hantaient ses pensées nuit et jour. Pourquoi l'avoir sauvé ? Se souvenait-il, finalement ? Des tas et des tas de questions dansaient dans sa tête, sans qu'il ne puisse trouver de réponse.

Il s'arrêta près d'un banc et regarda le ciel. Les lumières de New-York empêchaient les étoiles d'apparaître, ne laissant qu'un voile sombre recouvrir la ville qui ne dort jamais. En soupirant, il regarda sa montre avant de s'asseoir, coudes sur les genoux. Il était seulement deux heures du matin, la nuit était loin d'être finie. Steve se sentait pourtant si fatigué, si las. Mais il savait pertinemment que cette fatigue ne passerait pas avec quelques heures de sommeil. Non, c'était quelque chose d'infiniment plus profond. Son corps n'avait peut-être pas la capacité de vieillir, mais son esprit n'avait plus ses vingt ans. Dans ce monde où tout avançait trop vite, où tous étaient trop pressés, le soldat ne trouvait que difficilement sa place. Il se sentait comme un vieil objet, prenant la poussière aux yeux et sus de tous.

Non loin de là, il louait un petit appartement au nom de Brett Hendrick (1) et s'était alors dit, en emménageant, qu'il pourrait recommencer à zéro, vivre une nouvelle vie où Captain America n'était qu'un héros dont on parlait à la télévision. Mais Steve s'était profondément trompé, menti à lui-même. Captain America était maintenant indissociable de sa propre personnalité, trop formatée pour être quelqu'un d'autre. Renier cette partie de lui était difficile, par seul respect de ceux qui un jour avaient cru en lui. Or, il était quelqu'un de loyal, de courageux et avait choisi de vivre avec, même si toute son existence était remise en question.

Bien sûr, il lui arrivait d'encore se perdre dans le fil de ses pensées et de se dire qu'il n'arriverait jamais à avancer. Il avait compris, après ses découvertes sur HYDRA, qu'il n'avait été qu'un simple objet, un simple pion pouvant être déplacé sur un échiquier géant dont il n'avait compris les règles que trop tard. Toutes les personnes qu'il avait un jour aimées s'étaient retrouvées prises également au piège et avaient fini par en mourir. Sauf Bucky.

Steve soupira une nouvelle fois. Il avait abandonné l'idée de le retrouver. Le Soldat de l'Hiver reviendrait à lui, tôt ou tard et rien ni personne ne pourrait lui faire penser le contraire. Quelque part, il avait appris à croire au destin, celui qui nous poursuit et que l'on subit sans pouvoir faire autrement. Après soixante-dix ans, l'autre homme était bien réapparu, alors il pouvait bien attendre encore un peu.

Un objet rectangulaire s'enfonça dans sa hanche alors qu'il changeait de position. Agacé, il retira le cellulaire de sa poche. Voilà bien une preuve que ce monde allait trop vite pour lui. Bien sûr, il avait appris à s'en servir de façon basique, même s'il avait beaucoup de mal à gérer la fonction tactile. Il savait aussi se servir d'Internet et essayait de combler ses lacunes grâce à cet outil, qu'elles soient culturelles ou historiques. Pourtant, il trouvait tous ces appareils assez impersonnels, à des années lumières de ce à quoi il avait été habitué toute sa vie. Enfin, sa vie d'avant.

Soudain, l'objet vibra dans sa main et, sans le vouloir, ni même voir qui l'appelait à une heure si tardive, il décrocha et le porta machinalement à son oreille.

« Oui allo ? »

Un soupir soulagé lui répondit.

« Cap'... C'est moi. »

Inutile de demander qui était ce « moi ». La voix lourde et pâteuse renseigna immédiatement Steve sur l'identité de la personne à l'autre bout du fil. Inutile aussi de se demander comment l'autre s'était procuré son numéro de téléphone.

« Stark, tout va bien ? Vous avez bu ? »

La seconde question était plus rhétorique qu'autre chose compte tenu du souffle que le blond pouvait entendre dans le combiné. La première, en revanche, était sincère. Ses vieux réflexes avaient la vie dure.

« Tout baigne Cap', jamais été aussi... heureux ! »

Son ton était aussi sarcastique que l'alcool le permettait. Steve soupira. Les frasques alcooliques de l'Iron Man étaient connues mais il était vraiment surpris de l'entendre. Il essaya d'avoir l'air le plus détaché possible.

« Si tout baigne comme vous dites, pourquoi m'appeler à presque trois heures du matin ? »

Un étrange borborygme lui vrilla le tympan. Il fronça les sourcils.

« Si vous vous exprimiez correctement, je pourrais peut-être comprendre ce que vous me racontez. »

Il y eut alors un long silence, ponctué par la respiration lourde de l'ingénieur. Puis, alors que Steve allait parler, il finit par entendre :

« J'avais envie de t'entendre Cap'. S'cuse de t'avoir dérangé »

Puis, il raccrocha.

Steve resta figé pendant quelques minutes avant d'essayer de rappeler Tony. Malheureusement, l'appareil sembla en avoir décidé autrement et il dut batailler un moment avant que le numéro de l'ingénieur ne s'affiche. Les tonalités s'enchaînèrent et il ne fit que tomber sur Jarvis.

Plusieurs fois, il essaya de joindre l'autre homme, en vain. Il décida alors de rentrer, se promettant de discuter avec lui dès que cela se pourrait. Après tout, si cela n'était qu'une autre de ses lubies causées par l'alcool, il n'avait pas à s'inquiéter. Le vent dans le dos, il retourna dans son petit appartement, traversant les rues quasi-désertes de la ville, ses pensées tournées vers l'homme de fer.

Cette nuit, comme bien d'autres, il ne put dormir et finit par regarder le ciel s'éclaircir heure par heure, avant que le soleil ne prenne totalement place et inonde son salon. Vers sept heures trente, il se décida à allumer sa télévision, un café serré à la main. Des clips musicaux prirent place sur l'écran et il entendit le livreur de journaux passer devant sa porte.

Il posa sa tasse et alla ouvrir pour récupérer l'objet. Même s'il possédait tous les médias nécessaires pour s'informer chez lui, rien ne valait un bon vieux journal. Sur le seuil de sa porte, seulement vêtu d'un bas de survêtement, Steve comprit en lisant la Une pourquoi Tony l'avait appelé cette nuit.

« Tony Stark, l'Iron Man et célèbre propriétaire de Stark Industries, de nouveau célibataire ! »

Pepper avait quitté Tony.


Steve ne savait pas si qui que ce soit des Avengers avait essayé de parler à l'ingénieur. Les deux espions étaient dans la nature, le dieu blond devait vaquer à ses occupations royales et le docteur, aux dernières nouvelles, était reparti on ne savait où. De plus, il ignorait sincèrement s'il devait tenter de le joindre. Après tout, ils étaient loin d'être amis et ne s'étaient pas revus depuis le départ de Loki et Thor pour Asgard, soit un peu plus de deux ans. Bien sûr, il avait eu vent de la nouvelle condition de Tony, ainsi que la destruction de ses armures, mais il n'avait pas jugé nécessaire de lui parler.

Depuis plusieurs jours, en revanche, il pesait le pour et le contre et ne savait absolument pas à quel saint se vouer. L'appel nocturne de l'ingénieur l'avait marqué et de nouvelles questions s'étaient ajoutées aux anciennes. Il lui semblait que Tony n'avait absolument aucune raison de l'appeler, lui, à la place d'un ami et cette pensée tournait dans sa tête sans arrêt. Avachi dans son canapé et flirtant avec l'incertitude, il regarda l'heure qu'il savait déjà tardive.

La journée, il travaillait dans un centre de rééducation et de réadaptation physique grâce aux merveilleux faux-papiers créés par Maria Hills. C'était un travail difficile mais prenant, même si son rôle n'était pas franchement définit puisque ni médecin ni infirmier. Pourtant, sa présence réconfortait les patients, petits comme grands. Sous la couverture de Brett, un ancien combattant en Irak ayant bénéficié du service, il remontait le moral de chaque personne en ayant besoin, comme il avait remonté le moral de sa chère Amérique des décennies en arrière. Officiellement aide-soignant, mais concrètement entre le psychologue et l'assistante sociale, il devenait peu à peu un pilier du centre.

La télévision projetait des images que Steve ne regardait pas. Il était une heure du matin et rien ne retenait l'attention de l'homme si ce n'est ses réflexions à propos du fils Stark. Secouant la tête, il se leva d'un coup pour aller enfiler ses chaussures. Courir lui vidait la tête. Enfin, en tous les cas plus que la télévision ne le ferait jamais. Il attrapa le baladeur, posé sur un meuble, que Sam lui avait offert avant qu'il parte pour New-York. Même si la plupart de la musique moderne ne l'emballait pas, il admettait que certains morceaux valaient le coup d'être entendus. Cela montrait tout le paradoxe de sa vie, coincé entre deux époques et deux âges, sans pouvoir s'identifier à l'un ou l'autre.

Une fois dehors, il laissa ses jambes le porter dans les entrailles new-yorkaises, désireux de ne plus se poser de questions sur qui que ce soit.

Ce fut plusieurs kilomètres plus tard que son smartphone décida de se réveiller dans sa poche. Steve s'arrêta net et fronça les sourcils. Prenant l'appareil en main, le mot « inconnu » était affiché sur l'écran. Ce ne pouvait être que lui. Il défit ses écouteurs et décrocha.

« Stark ? »

Un grognement sourd lui fit faire un rictus. Il essaya de repérer où il était avant d'apercevoir un banc un peu plus loin. Cette fois-ci, il comptait bien savoir le pourquoi du comment de l'appel de l'autre soir.

« Comment t'as su que c'était moi ? »

Le blond roula des yeux en marchant.

« Qui d'autres pourrait m'appeler en pleine nuit en numéro inconnu ?

- Une conquête mécontente ? Une petite amie jalouse et méfiante? » répondit l'autre homme du tac au tac.

La voix du milliardaire était au maximum de son sarcasme. Ainsi, cette fois, il avait l'air d'être sobre. Cela n'empêcha pas Steve de faire claquer sa langue.

« Je ne suis pas vous Stark, navré de voir que vous ne le savez pas encore. » répondit-il sur le même ton.

Il n'avait aucune envie d'avoir ce type de conversation, surtout pas en pleine rue la nuit, ni même avec Tony Stark et encore moins un enchaînement des deux.

« Cap, cap, cap... Si tu savais à quel point on est pareil tous les deux. »

Il n'était plus sarcastique. Cela alarma Steve, qui s'arrêta et décida d'aller droit au but, les sourcils froncés.

« Tony, c'est la seconde fois que vous m'appelez en moins d'une semaine à une heure indécente, j'aimerais savoir pourquoi. »

La réponse de l'Iron Man le sonna purement et simplement.

« Parce qu'on est deux à ne plus dormir. »

Puis, comme la première fois, il raccrocha.

Steve ne chercha pas à le rappeler. Il décida même de ne pas s'arrêter sur les derniers mots de Stark et continua sa course, écouteurs dans les oreilles, la voix de Dan Reynols (2) résonnant dans sa tête. Il ne voulait plus penser, les problèmes de Stark n'étaient pas les siens. Le sommeil le fuit encore cette nuit-là.


« Dis Brett, tu crois que j'arriverais à remarcher un jour ? »

Le petit Eddy avait huit ans. Victime d'un accident de voiture avec ses parents, il avait survécu miraculeusement lors de leur carambolage. Une voiture était rentrée dans la portière près de laquelle il se tenait avant que le véhicule familial ne fasse plusieurs tonneaux et aille s'encastrer dans un arbre. Il avait perdu ses parents et l'usage partiel de ses jambes. Il était là depuis plusieurs semaines et faisait chacun de ses exercices avec application, mais les médecins restaient réservés. Les chances qu'il puisse remarcher étaient minces.

« Bien sûr que oui tu y arriveras ! Ce sera peut-être long mais je suis certain que tu remarcheras, mon bonhomme. »

Steve adorait les enfants présents dans l'établissement. De la petite Mya, handicapée de la main droite, en passant par Peter, qui ne savait pas coordonner ses bras et ses jambes, pour finir avec Eddy, il les aimait vraiment beaucoup. Ils n'étaient que trois à cause d'un manque de structures adaptées dans le centre New-yorkais et jouaient ensemble dès qu'ils le pouvaient.

« J'espère que tu as raison. En tous cas, j'ai déjà une solution si mes jambes ne veulent pas remarcher ! »

Le petit garçon châtain parlait avec de grands gestes, assis sur son fauteuil roulant. Ils étaient dans la salle de jeux et une infirmière s'occupait de Peter un peu plus loin. L'homme regarda Eddy en souriant.

« Dis-moi tout, comment vas-tu faire ? »

Le visage du petit s'illumina et un immense sourire fendit ses lèvres.

« Je demanderai à Iron Man de me faire une armure spéciale, comme ça je pourrais marcher même si j'ai plus de jambes ! »

Steve marqua un temps d'arrêt mais le petit garçon ne remarqua rien, trop occupé à expliquer son idée.

« Il est très fort, tu sais, Iron Man, c'est mon héros préféré ! En plus il est super intelligent, il fabrique tout plein de trucs alors tu comprends, fabriquer une armure pour que je puisse marcher ce sera facile pour lui » dit-il d'une voix entendue.

Eddy prit alors une mine sérieuse.

« J'espère que j'aurais assez de sous dans ma tirelire quand même, maman disait qu'il fallait garder les sous pour les choses importantes. Je voulais lui acheter un beau cadeau à maman tu sais, mais, mais... »

Soudainement, la voix du petit garçon se brisa et des larmes vinrent dévaler ses joues. Steve l'amena contre lui en lui caressant les cheveux. L'enfant avait des sortes de crises de larmes passagères, frappé par les sanglots comme par la foudre. Il vivait avec sa marraine depuis sa sortie de l'hôpital et cette dernière expliquait que cela arrivait régulièrement.

« Je suis sûr que ta maman serait très fière de te voir et qu'elle te dirait que tu n'auras pas besoin d'Iron Man pour marcher car tu vas réussir. Ton papa aussi serait sûrement très fier de toi. »

Eddy secoua la tête contre le torse de l'ancien soldat et passa sa main sous ses yeux pour essuyer ses larmes en reniflant.

« Oui Brett, Papa il dirait que je dois être courageux, comme Captain America. Tu connais Captain America ? C'est le copain d'Iron Man, lui aussi c'est un super héros. Papa il avait plein d'images de lui à la maison. Mais je crois qu'il a disparu, enfin c'est ce que papa disait. »

La prise de Steve sur le petit se serra imperceptiblement. Il réfléchit quelques instants avant de se pencher vers Eddy.

« Tu sais quoi bonhomme, je vais te dire un secret. Tu promets de ne pas le répéter ? »

Les yeux grands ouverts, encore un peu rouges, tournés vers Steve, le garçon hocha vigoureusement la tête.

« Je connais un peu Iron Man, c'est un ami. Alors on va faire un pacte. Si tu arrives à remarcher, je te ramènerai une surprise ! » dit-il en lui faisant un clin d'œil.

Eddy allait le remercier quand une ombre passa sur son visage encore poupon.

« Mais, et si j'y arrive pas ?

- Alors je t'en ferai une autre, je te le promets. »

Le sourire du petit garçon fut alors éclatant.

C'était pour des moments comme celui-ci qu'il ne se laissait pas aller. Il n'abandonnerait pas tant qu'il apporterait de l'espoir.


Steve ne pensait plus à l'Iron Man. Il avait relégué ce petit souci dans un coin de sa tête, se disant qu'après tout, ils n'avaient rien à se dire. Le fait que Tony savait qu'il était insomniaque était devenu une donnée censurée. Il ne voulait vraiment pas se poser de questions. Les problèmes de l'ingénieur n'étaient pas les siens. Il préféra s'attarder sur le fait qu'il voyait de plus en plus l'infirmière s'occupant des enfants, au centre, passant quelques moments autour d'un café durant ses heures creuses. Hélène était tout à fait charmante, drôle et sa dévotion pour ses patients lui rappelait la sienne pour sa patrie.

Il jura dans sa barbe inexistante. Tout, absolument tout était ramené d'une façon ou d'une autre au fait qu'il avait été le symbole factice d'une nation gangrenée, prônant une vision manichéenne du monde. Il avait accepté, il savait qu'il n'avait été qu'une coquille vide, pourquoi continuer à se torturer en y pensant nuit et jour ? Le blond soupira. Son lit n'avait pas été défait depuis près d'une semaine. Le sérum lui permettait peut-être de ne pas avoir à se reposer durant de longues périodes, mais ses pensées ne s'arrêtaient jamais.

Il avait tout essayé. Le travail, le sport, la télévision, la musique, il avait même tenté de se remettre au dessin. Rien n'y faisait. Bucky, HYDRA et le SHIELD formaient un énorme imbroglio dans sa tête. Dans ces moments-là, ses tentatives d'auto-persuasion ne menaient plus à rien, puisqu'il arrivait de moins en moins à se mentir. Il n'avait été qu'un jouet, une marionnette. Que restait-il de lui, maintenant que le rideau s'était levé ? Ce soir, il s'agissait d'une de ses rechutes, où il remettait, une nouvelle fois, tout en question. Parfois, il lui semblait qu'il avait accepté la situation et qu'il pouvait vivre avec. Parfois, il revenait au point de départ.

Quoi qu'il en disait, ou plutôt pensait, Steve souffrait. Il lui semblait que sa personnalité même ne lui appartenait pas, qu'elle aussi avait été programmée. Sa vie entière avait été un mensonge, au service d'un mensonge encore plus grand. Dans les pires moments de sa réflexion intérieure, il lui arrivait même de regretter de s'être porté volontaire. Il savait qu'il rejetait alors chacune des bonnes actions qu'il avait faites dans sa vie. Il rejetait la mort de milliers de soldats qui avaient cru eux aussi en l'Amérique. Il rejetait ses propres principes de liberté. Mais étaient-ils réellement siens ?

Il se laissa tomber sur son matelas, le visage contre le tissu de ses oreillers. Il était presque cinq heures, le ciel était encore d'un noir d'encre de chine. Peut-être la nuit prochaine se laisserait-il tenter par les médicaments pour le sommeil que lui avait prescrit le médecin de l'armée à Washington. Après tout, pourquoi pas. Le docteur lui avait dit qu'avec son métabolisme, les cachets ne risquaient pas de lui faire grand mal, si ce n'est de l'assommer vaguement s'il prenait les doses adaptées à un homme normal. Il n'était pas vraiment d'accord sur le principe mais sa tête réclamait du repos. Le vendredi, soit aujourd'hui, était son dernier jour de boulot de la semaine et il appréhendait le weekend. C'était la fin de semaine qu'il redoutait le plus, puisqu'il disposait d'un temps libre indécent. Soupirant encore, il finit par se dire qu'il irait se défouler à la salle de sport pendant ces deux jours à venir.

Les médicaments ne faisaient rien. Steve était allongé dans son lit, les yeux grands ouverts, rivés au plafond. Sur la table de nuit gisait une plaquette vide. Il l'avait prise entière, au fur et à mesure de la nuit mais rien à faire : il ne dormait pas. Le radio-réveil indiquait un peu moins de quatre heures du matin. Il se tournait et se retournait, désespéré de trouver le sommeil. Son corps semblait être en pleine forme, il aurait facilement pu aller courir plusieurs heures sans se fatiguer. Avec un soupir à fendre l'âme, il se mit en position assise et regarda par la fenêtre. Quelques lumières subsistaient dans les rues, il pouvait même voir quelques silhouettes au loin, sortant probablement d'une quelconque fête.

Il finit par se lever, complètement dépité, pour aller chercher un petit encas. Devant la porte du réfrigérateur, il entendit vibrer son portable, posé quelque part dans l'appartement. Ses pensées firent un virage à cent-quatre-vingt degrés. Stark. Il essaya rapidement de trouver l'appareil mais les vibrations s'étaient arrêtées. Il était dans l'entrée, caché sous une pile de courrier. Une fois dans sa main, il put voir l'appel en absence. Cette fois ci, l'ingénieur n'avait pas pris la peine de cacher son numéro, comme la première fois. Steve regarda l'écran, sa tête alors complètement vide de toutes les pensées qu'il pouvait avoir auparavant. Il savait qu'il avait deux choix. Le rappeler ou l'ignorer. Pourquoi le rappeler ? Pour l'écouter raconter n'importe quoi et se faire descendre sans raison ?

Pourtant Steve déverrouilla son portable et appuya sur le numéro de Stark. Il devait en avoir le cœur net.

Une tonalité. Puis deux. Puis trois. Steve allait soupirer quand il décrocha enfin.

« Je t'ai réveillé Cap ? »

Il n'y avait ni sarcasme, ni même aucune émotion estampillée Stark dans sa voix. Juste de l'interrogation.

« Non. Je ne dormais pas » répondit Steve en s'asseyant autour de la table de sa cuisine.

C'était suffisant. Il avait la nette impression que cette simple phrase possédait une signification plus profonde que ce qu'il avait d'abord pensé.

« Tu attendais mon appel, avoue ! » fit l'ingénieur, taquin.

Steve leva les yeux au ciel. Cependant, il n'entendait que de l'humour dans le ton de la voix à l'autre bout du fil.

« Je vous avais même oublié Stark. Le monde ne tourne pas autour de vous. »

Dans ces deux phrases, il y avait un mensonge. Restait à savoir lequel. Le blond décida de ne pas faire attention à cette petite remarque de sa conscience.

« Je suis déçu, je pensais vraiment faire partie de ta vie Captain, tu me brises le cœur. »

L'homme se garda bien de demander s'il en avait réellement un. Il ne faisait pas dans la méchanceté gratuite et la lui laissait volontiers, le milliardaire étant connu pour être très doué en la matière.

« Venez-en au fait, Stark. C'est la troisième fois que vous me téléphonez, encore en pleine nuit, je voudrais vraiment connaitre vos raisons.

- Techniquement parlant Cap, c'est toi qui es en train de m'appeler. »

Steve grogna. Il pouvait sentir l'ingénieur sourire dans le combiné. Il posa ses coudes sur la table, sa main libre jouant avec une miette de pain oubliée.

« Ne chipotez pas sur les mots, Stark. Répondez plutôt à ma question. »

Il entendit un soupir à l'autre bout du fil et cru qu'il allait de nouveau être heurté à un mur. Il se trompa.

« Après New-York, j'ai perdu le sommeil. Après le mandarin, j'ai perdu mon réacteur et mes armures. Maintenant, j'ai perdu la seule chose de bien qu'il y avait dans ma vie. J'ai plus rien Cap, plus rien du tout… Si ce n'est ma tête, avec toute la pourriture qu'il y a dedans. Tu es celui qui me semble être le plus à même de me comprendre. Enfin, je me dis qu'après une nuit de soixante-dix ans et la découverte que toute cette pseudo-vie de merde, tous ces sacrifices personnels pour protéger la Sainte Amérique, c'était du vent… La notion de perte d'estime de soi et tout le tralala ne t'est pas inconnue » répondit l'ingénieur d'une voix neutre.

L'ancien soldat ne répondit pas tout de suite. Il prit le temps d'analyser ce qu'avait dit Stark. Ses mots avaient creusé un trou dans sa poitrine, comme déchirée par une balle tirée à bout portant. L'ingénieur avait écorché le peu de sentiments positifs que Steve essayait de rassembler depuis des semaines. Tony avait appuyé, trop fort, là où ça faisait trop mal. Il inspira calmement avant de s'adresser à l'autre homme. Son souffle était presque laborieux.

« Gardez vos états d'âme pour vous Stark. Vous êtes un être absolument abject qui se nourrit du malheur des autres pour se sentir vivant, incapable de ressentir quelque chose de positif pour autrui. Evitez de me rappeler à l'avenir. Je ne pourrais jamais vous comprendre. »

Il raccrocha, sans même laisser le temps à l'ingénieur de répliquer. Il partit enfiler un survêtement et un t-shirt avant de sauter dans ses baskets. Ne pas penser. Juste courir. Sur la table, alors que la porte claquait derrière lui, le portable vibra. En rentrant, Steve effacerait le message sans même le lire.

« Désolé. »


Concrètement, Stark n'avait pas été si odieux que ça. Steve le savait, il aurait pu faire bien pire et le descendre plus bas que terre. Non, cette fois ci, le milliardaire avait juste énoncé une vérité avec le tact qui lui était propre, c'est-à-dire aucun. Mais l'ancien soldat n'était pas prêt à l'accepter. Entendre ces mots de la bouche de quelqu'un qu'il ne portait pas franchement dans son cœur l'avait plus ou moins achevé. Plus que moins d'ailleurs. Depuis le dernier appel de l'ingénieur, soit deux longues semaines, il n'avait eu qu'une dizaine d'heures de sommeil au total, s'assoupissant cinq minutes par-ci par-là, incapable de mettre son cerveau au repos.

Il avait mis ses insomnies à profit en rattrapant son retard culturel et avait littéralement avalé plusieurs décennies de cinéma. Ceci dit, il avait réellement songé à consulter un autre médecin mais son problème identitaire compliquait grandement les choses. Comment expliquer, sans pour autant compromettre sa couverture, qu'il avait une constitution physique quasi-divine et qu'aucun médicament normal ne fonctionnait sur lui ? Même protégé par le secret médical, il hésitait vraiment. Il était censé être mort, disparu au fond de l'eau. Si l'on découvrait qu'il était encore bien vivant, il allait au-devant des problèmes.

La disparition de Captain America avait ébranlé les médias pendant plusieurs semaines et plusieurs dizaines de manifestations s'étaient déroulées en son honneur dans tous les états du pays. Il avait essayé de ne pas s'y confronter, refusant d'assister à ses propres funérailles nationales. Sans succès. Voir d'immenses affiches à son effigie ne le perturbait plus depuis longtemps, mais voir les gens poser des bougies, des bouquets de fleurs, juste en dessous avait remué ses entrailles et fait monter une énorme boule dans sa gorge. Certains avaient sangloté, d'autres lui avaient adressé des mots qu'il n'aurait jamais cru entendre de la part de qui que ce soit.

Comme tout le reste, il évitait sciemment d'y penser. Être obligé de mentir à des gens qui l'avaient aimé, adulé, qui avaient cru en lui, eux-mêmes victimes des mensonges de leurs dirigeants, lui donnait la nausée. Comment s'intégrer dans cette société si bancale ? Captain America avait représenté l'espoir, le symbole d'un pays fort et libre, précurseur d'une nouvelle ère et on avait réduit toutes ces attentes en cendres. Steve soupira, ailleurs. Il avait l'impression d'avancer en ayant un énorme boulet scellé à sa cheville, voire même de reculer, petit à petit, dans une ombre de plus en plus imposante.

Hélène, passant alors à quelques mètres de lui en menant Mya à l'étage d'hydrokinésithérapie, lui adressa un petit sourire. Il y répondit gentiment. C'était une mignonne petite brune, avec de grands yeux chocolat. Elle arborait une moue absolument adorable dès qu'elle regardait Steve. Aujourd'hui était un jour difficile, où les enfants semblaient de mauvaise humeur, découragés. Les patients adultes que le blond avait vus le matin même étaient dans le même état d'esprit. Comme partout, au centre, il y avait des jours avec et des jours sans. L'infirmière engagea la conversation un peu plus tard, lorsqu'il ramena Peter dans le hall après ses exercices. Elle lui proposa de le retrouver autour d'un café, après leur service. Steve accepta machinalement. Après tout, pourquoi pas, ça lui changerait de ses soirées en solitaire.

Il était minuit passé lorsque Steve poussa la porte de son appartement. Un léger sourire flottait sur ses lèvres. Sa soirée avait été délicieuse. Après avoir bu un café dans un Starbucks près du centre, ils étaient allés marcher, pour finalement s'arrêter devant un petit restaurant et y entrer. Le dîner avait été excellent et la compagnie d'Hélène réellement plaisante. Voilà plusieurs années, - en fait plusieurs décennies, mais ça, Steve refusait d'y songer -, qu'il n'avait pas partagé un moment similaire avec la gente féminine. La seule femme qu'il fréquentait assez régulièrement était Natasha, et l'espionne ne comptait pas vraiment.

Hélène semblait être une jeune femme pleine d'humour et de finesse. Pourtant, et il n'aurait su dire quoi, certaines choses chez elle le mettaient légèrement mal à l'aise. Il avait adoré sa compagnie, bien sûr, mais quelque chose le gênait. Enfin, le principal était qu'il avait passé un bon moment. Elle avait un peu insisté pour qu'ils s'échangent leurs numéros et l'homme avait cédé. Après tout, cela ne l'engageait à rien. Il posa ses clés, son portefeuille et son portable dans l'entrée et se dirigea directement vers sa salle de bain. Une douche lui ferait le plus grand bien.

Il enleva son t-shirt à mi-chemin et le jeta dans le panier à linge sale de la buanderie. Immédiatement après, il fit face à son reflet dans la salle d'eau. Il portait une barbe de plusieurs jours, même s'il avait horreur de ça. Il lui fallait le moins possible ressembler à son image habituelle et rien que ce petit détail lui déplaisait. Face à lui, il ne s'agissait plus de Steven Rogers, mais de Brett Hendrick. Fronçant les sourcils, il finit de se déshabiller et entra dans sa douche, allumant l'eau chaude au maximum. Il ne supportait pas l'eau froide. Il avait l'impression de replonger dans la glace et l'idée seule lui donnait des frissons d'appréhension.

Durant plusieurs minutes, il laissa l'eau brûlante dévaler son corps et détendre ses muscles. Il savait d'avance que le sommeil ne serait pas au rendez-vous ce soir, même s'il se détendait au maximum. Il avait l'habitude de prendre de longues douches afin d'augmenter ses chances de tomber dans les bras de Morphée. Cependant, l'expérience lui avait montré que cela ne faisait pas plus effet que les médicaments pour le sommeil. Steve finit par attraper le flacon de gel douche et de distraitement passer le liquide sur son corps.

Alors qu'il étalait le produit sur son ventre, il posa les yeux sur son sexe au repos et une moue dubitative apparut sur son visage. Sa vie sexuelle ressemblait à ses heures de sommeil, soit particulièrement absente. Une des premières choses qu'il avait compris en revenant d'entre les morts était que ce siècle était absolument libéré de tous les tabous qu'il avait connu à son époque. Le corps de chacun était exhibé et il voyait souvent plus de peau dénudée que de vêtements lorsqu'il était dans la rue, ou même ailleurs. Pourtant, malgré cette abondance de chair, il se refusait à prendre les femmes pour des objets, même si cela semblait être devenu particulièrement banal.

Selon lui, le sexe était synonyme de sentiments amoureux et de réciprocité. Jamais il ne pourrait utiliser quelqu'un pour satisfaire ses besoins primaires. C'était pour cette raison évidente qu'à près de quatre-vingt-quinze ans, il n'avait eu personne dans sa vie. En utilisant internet, il était évidemment tombé sur des sites pornographiques et ne comprenait pas réellement l'intérêt de regarder tout cet étalage d'exhibitionnisme. La première fois, il avait seulement tenté de regarder un film en ligne et un énorme gros plan l'avait littéralement fait bondir de sa chaise, les yeux exorbités. En y repensant, il se mit à pouffer, continuant de se savonner. La technologie recelait encore de nombreux mystères pour lui mais il avait réussi à installer quelques logiciels pour endiguer cette abondance lubrique.

La banalisation du sexe lui avait d'abord fait peur, puis l'avait rendu un peu nostalgique. La société avait évolué, certes, mais il gardait un côté encore ancré dans les années quarante. Il était littéralement passé d'un extrême à un autre et, là encore il avait du mal à se situer en tant que personne. Sa main passa sur son membre et un éclair brun passa dans sa tête. Sans y penser, il commença à faire un lent mouvement de va-et-vient, une douce chaleur s'accumulant dans son bas ventre. Son sexe devint rapidement dur dans sa main, prenant des proportions des plus honorables. Le sérum avait eu des effets sur l'ensemble de son corps et il devait avouer que ce petit détail ne l'avait jamais fait tiquer. Il n'avait certes pas encore connu le péché de chair mais il n'était pas pour autant resté complètement innocent.

Il accéléra peu à peu, des images passant rapidement dans sa tête. Il laissa échapper un gémissement d'entre ses lèvres. Steve sentait chacun de ses muscles se contracter, une tension certaine s'accumulant dans ses jambes alors qu'il continuait ses mouvements. Dans un grognement, son corps heurta le mur carrelé derrière lui, le froid mordant violemment la peau de son dos. L'eau continuait de couler, cascadant sur ses membres tendus et facilitant ses va-et-vient Sa respiration devenait de plus en plus erratique, les yeux clos, il voyait la vapeur s'accumuler de plus en plus, rendant les vitres de la douche opaques.

Le plaisir le prenait par vagues et assaillait son corps avec de plus en plus de puissance. La tête en arrière, posée contre le mur, il laissait libre court à ses gémissements indécents. Il imaginait une bouche chaude le prendre, un regard chocolat plongé dans le sien. Il accéléra, passant son pouce sur son gland sensible et recueillant le liquide pré-éjaculatoire, le faisant encore et toujours haleter. Une image s'imposa dans sa tête, engendrant une immense vague de plaisir venant s'écraser contre lui et il se libéra alors dans un cri à moitié étouffé par le bruit de l'eau.

Doucement, il se laissa glisser le long du mur, l'eau continuant de s'écouler sur lui. Il ferma les yeux et ramena ses jambes contre son torse, encore haletant. Il prit alors conscience de la dernière vision présente dans sa tête et ouvrit de grands yeux. Une ombre passa sur son visage, le laissant pâle comme la mort. L'image qui avait pris d'assaut son esprit était celle d'une personne brune, possédant un envoûtant regard chocolat. Mais ce n'était pas Hélène qui avait envahie sa tête. C'était Tony Stark.


Ses points s'enfonçaient dans le sac de frappe avec une force peu commune. De la sueur coulait sur son front et dans son dos. Il laissait toute la rage contenue dans son corps s'échapper à chaque coup, soufflant comme s'il se battait réellement. A dire vrai, Steve se battait contre lui-même et essayait de se mettre la raclée du siècle. Trois jours. Trois jours que le visage de Stark, le regard de Stark, la bouche de Stark étaient apparus dans sa tête alors qu'il se masturbait. Le pire, le pire du pire était que cela l'avait fait jouir. L'ardeur de l'ancien soldat redoubla encore. Il ne comprenait pas et ne voulait absolument pas comprendre.

Le manque de sommeil lui faisait clairement perdre la tête et corrompait ses pensées. Steve avait pris rendez-vous avec le premier médecin généraliste qu'il avait trouvé dès que l'heure l'avait permis, trois jours plus tôt. Malheureusement il n'avait pu avoir un rendez-vous qu'aujourd'hui et l'attendait impatiemment. Il allait devoir se dévoiler mais qu'importe, il lui fallait dormir impérativement avant qu'il ne devienne totalement fou. Le blond soupira et essuya son front avec son poignet. Il était seul dans la salle de sport et heureusement. La plupart du temps, personne ne faisait attention à ce qu'il faisait. Aujourd'hui, il avait quasiment arraché le cuir du sac au bout de trois coups, manquant de perdre le contrôle de sa force et l'ancien soldat ne tenait pas à se faire remarquer.

Il alla éponger son visage avec la serviette posée sur un appareil. Il était là depuis un peu plus d'une heure maintenant. Se dirigeant vers la sortie, il se promit d'installer quelques affaires de sport dans la cave, là où il n'avait encore rien entreposé. Au début, il avait pensé que venir à la salle lui donnerait un semblant de vie sociale en dehors de son travail, mais les faits étaient tout autres puisqu'il ne parlait à quasiment personne lorsqu'il s'y rendait. Il soupira et partit prendre une douche rapide, avant de s'habiller et de fourrager ses affaires trempées de sueur dans son sac. Le cabinet du médecin se situait à plusieurs stations de métro et il devait se dépêcher s'il ne voulait pas être en retard.

En moins de cinq minutes, il s'engouffrait dans les profondeurs de New-York. Il passa rapidement sa carte à une borne, monta dans une rame bondée et dut se faufiler entre plusieurs personnes avant de pouvoir prendre place. Le monstre souterrain s'ébranla et continua sa route. Face à lui, deux jeunes filles le regardaient en gloussant, des sacs à mains hors de prix pendus à leurs bras. Derrière elles, un jeune homme lorgnait sur leurs affaires de façon peu discrète. Steve fronça les sourcils. Il restait environ deux minutes avant le prochain arrêt. Son sixième sens de soldat s'alarma dès que l'homme s'approcha un peu plus. Sans réfléchir, il attrapa la main du voleur juste à temps.

« C'est ce qu'on appelle être pris la main dans le sac je crois » fit Steve en lui tordant sciemment le poignet, le visage dur.

L'autre homme chercha rapidement à se défaire de l'ancien militaire mais ne fit qu'accentuer la prise, faisant presque craquer l'os. Il insulta Steve, se débattant de plus en plus. Les autres passagers s'étaient décalés et semblaient ne pas vouloir faire attention à ce qu'il se passait autours d'eux. Les deux jeunes filles, elles, regardaient la scène avec de grands yeux apeurés et sortirent de la rame dès qu'elles le purent. Le blond ne lâcha pas sa prise pour autant, les yeux fixés sur le jeune.

« A ta place je la ramènerais pas trop, à moins de vouloir être mené ailleurs, si tu vois ce que je veux dire.

Mais t'es qui toi putain, tu te prends pour un héros, connard ?! cracha-t-il en regardant l'ancien militaire méchamment.

Si j'étais un héros, je ne ferais pas ça » répondit doucement Steve, avant de broyer le poignet dans sa main.

L'os craqua, le jeune poussant un cri de douleur en même temps que les portes s'ouvraient à l'arrêt du blond. Ce dernier lâcha violemment le voleur avec un regard glacial et partit avant le nouveau départ de la rame. Il sortit rapidement des souterrains et inspira dès qu'il fut à l'air libre, contrarié. Durant le court trajet jusqu'au cabinet, il rumina, les sourcils froncés. Bien sûr, ce genre de comportement avait lieu même à son époque mais c'était bien le type de situation qui le rendait malade. Ce n'était pas dans ses habitudes d'agir de façon violente, mais la frustration qu'il ressentait transpirait par chaque pore de sa peau et il n'avait pas pu se contrôler. Il devait vraiment dormir.

La porte de l'immeuble se profila rapidement devant lui. Il frappa et entra, comme indiqué à sa droite. La pièce était petite, s'agissant certainement d'un hall aménagé. Le sol était en carrelage noir et blanc, créant une sorte de damier. Deux portes closes lui faisaient face, un petit bureau en bois sombre au centre de la pièce. Derrière se tenait une petite secrétaire avec des lunettes carrées, un chignon roux ornant le sommet de sa tête. Elle lui adressa un sourire poli lorsqu'il s'approcha mais vit parfaitement ses yeux scanner son corps en entier.

« Bonjour mademoiselle, j'ai rendez-vous avec le docteur Spacer dans environ cinq minutes » fit Steve en lui souriant gentiment.

Elle tapota sur le clavier de son ordinateur et le regarda par-dessus ses lunettes, une moue appréciative sur le visage. L'homme soupira intérieurement. Les femmes avaient souvent tendance à faire ce genre de tête en s'adressant à lui.

« Vous êtes donc monsieur Hendrick. Le docteur ne va pas tarder à vous recevoir. Vous êtes nouveau à New-York ? demanda-t-elle en jetant un œil à son écran.

Oui, j'ai pris un appartement il n'y a pas longtemps. J'étais à Washington avant. »

Au moins, il ne mentait pas sur ce point. Elle sembla s'illuminer, avant de partir dans une tirade où elle disait avoir habité là-bas toute son enfance. Steve n'avait rien contre le fait de discuter, mais les tentatives de drague à son encontre le mettaient toujours mal à l'aise. Heureusement pour lui, la porte de droite s'ouvrit et le médecin arriva, raccompagnant un vieil homme. Le blond tiqua légèrement. Il avait imaginé un homme d'un certain âge et non pas une femme, encore moins aussi jeune. Elle regarda furtivement dans sa direction avant de dire au revoir à son patient. Ce dernier se mit à côté de Steve et discuta brièvement avec la secrétaire avant de s'en aller, ignorant totalement l'ancien militaire. Le docteur Spacer s'adressa alors à lui, une main tendue. Il la lui serra, surpris de sentir une poigne si forte venant d'une femme si menue.

« Monsieur Hendrick, je suis le docteur Caroline Spacer. Veuillez me suivre dans mon bureau je vous prie. »

Elle avait une voix un peu rauque, une voix de fumeuse. Il la suivit sans dire un mot et pénétra dans son bureau. Tout était impeccablement rangé, de gros livres remplissaient une immense bibliothèque. La pièce était particulièrement spacieuse et assez claire. Elle lui montra un des deux sièges en tissu placé face à son bureau, une grande pièce de bois flotté, avant de s'asseoir sur son propre fauteuil en cuir. L'homme posa son sac de sport par terre et prit place sur son siège alors qu'elle commençait à pianoter sur son clavier.

« Etant donné que c'est la première fois que vous venez ici, je vais devoir vous poser quelques questions d'usage monsieur Hendrick. Tout d'abord, quels sont votre prénom et date de naissance ? »

Elle le regarda alors droit dans les yeux. Steve sut immédiatement qu'il n'allait pas pouvoir lui mentir. Il bougea un peu sur son siège, ne sachant par où commencer.

« Avant de vous répondre, je voudrais m'assurer que vous n'avez pas le pouvoir de divulguer ces informations à qui que ce soit. »

Il avait parlé calmement, bien que son rythme cardiaque se soit un peu emballé. Le médecin le regarda attentivement et croisa ses mains sur son bureau. Elle se pinça les lèvres, puis, semblant se décider, posa une question qui lui brûlait les lèvres.

« Vous êtes Steven Rogers n'est-ce pas, le Captain America ? »

Il ne répondit pas tout de suite, sondant son visage, sachant pertinemment qu'elle n'avait pas besoin de sa confirmation.

« Bravo Steve, ta couverture est foutue en moins de cinq minutes. » pensa-t-il amèrement.

Il fit craquer ses doigts et soupira.

« Comment avez-vous su ? » demanda-t-il en posant ses mains sur ses cuisses.

Elle le regarda, insondable, avant de pouffer. Steve fronça les sourcils.

« Monsieur Rogers, vous êtes un cas d'école pour de nombreux médecins. Votre métabolisme est absolument extraordinaire. J'ai fait ma thèse sur vous et le sérum du docteur Erskine, il était impossible pour moi de ne pas vous reconnaître. »

Le blond grogna. Il avait fallu tomber sur le seul médecin ayant fait ses études sur lui. Le hasard avait vraiment un humour douteux.

« Si ça peut vous rassurer, je n'ai pas cru à votre décès un seul instant. Je sais ce dont votre corps est capable et ce ne sont pas quelques litres d'eau qui vous feraient passer l'arme à gauche, pardonnez-moi l'expression. Je suis honorée de faire votre connaissance et peux vous jurer que tout ce qui se passera dans ce bureau restera absolument confidentiel. »

Le ton de sa voix était professionnel et ne laissait place à aucune discussion. Steve abdiqua, passant une main sur son visage.

« Très bien. Avez-vous donc besoin de ma date de naissance ? »

Caroline Spacer eut la décence de rougir un peu, avant de gratter la gorge.

« Eh bien, en fait non monsieur Rogers. J'ai un fichier à votre nom depuis que je suis diplômée. J'ai toutes vos données médicales de bases. Ne m'en tenez pas rigueur s'il vous plait, j'étais loin d'imaginer que vous seriez réellement assis en face de moi à un moment de ma vie. »

L'homme secoua sa main, balayant cette information, les sourcils froncés. Tant qu'elle lui donnait ses médicaments et qu'elle ne rompait pas son serment d'Hippocrate, elle pouvait bien avoir toutes les lubies qu'elle voulait. Après tout il savait que son dossier médical avait été rendu public pendant son hibernation.

« Puis-je maintenant vous demander ce qui vous mène dans mon bureau ? Je me doute qu'il s'agit d'un problème épineux, vous êtes littéralement un colosse alors j'imagine bien que ce n'est pas un rhume. »

On aurait pu la comparer à une petite fille face à un nouveau jouet, curieuse et impatiente de l'essayer. Il inspira et expliqua brièvement son problème.

« Ma dernière nuit complète de sommeil remonte à quatre mois. Depuis, je dois dormir une demi-heure par jour. Mon corps ne se fatigue pas et j'ai l'impression que mon cerveau refuse de s'arrêter. »

Elle fronça les sourcils, tapant chaque mot de l'ancien soldat sur son ordinateur.

« Êtes-vous préoccupé monsieur Rogers ? »

Ça, c'était le moins que l'on puisse dire.

« On va dire que oui. » maugréa-t-il, les sourcils toujours froncés. Elle continuait de taper sur son clavier, un pli de concentration apparaissant sur son front.

« Avez-vous essayé de vous détendre et de vous vider la tête, avec du sport par exemple, avant votre coucher ? demanda-t-elle en le regardant rapidement.

Si cela avait marché, croyez-moi je ne serais pas assis face à vous. J'ai tout essayé, j'ai même avalé une plaquette entière de cette chose ! »

Il sortit rapidement de son sac la boîte de médicaments qu'il avait vidée en moins d'une nuit. Le visage du docteur se ferma immédiatement.

« En prenant toute la plaquette, vous n'avez pas dormi ? Pas même une heure ? »

Il secoua la tête, penaud. Le médecin cligna des yeux plusieurs fois. Elle croisa les bras et s'enfonça dans son fauteuil, les yeux toujours braqués sur son patient.

« La dose que vous avez prise aurait dû, au moins, vous assommer. La dose normale pour un adulte est d'un seul comprimé par jour. En prendre dix d'un seul coup aurait dû vous faire quelque chose… C'est absolument incroyable. Le sérum a fait que votre corps dispose d'une faculté d'élimination extrême. Pour être honnête je pensais que les structures moléculaires les plus complexes résisteraient à votre défense mais visiblement je me trompais ! »

Elle s'était alors subitement transformée en une espèce de savante folle, tapant frénétiquement sur son clavier. Steve fit immédiatement le rapprochement entre son comportement et celui de Stark et de Banner à bord de l'héliporteur, lors de la capture de Loki. Il s'agissait certainement d'un trait commun aux scientifiques. Mais le blond n'aimait pas particulièrement être l'objet de cette convoitise. Puis il ne devait pas penser à Stark. Il secoua la tête rapidement.

« Pourriez-vous donc me donner autre chose, n'importe quoi, pour que je puisse dormir enfin correctement ? » demanda-t-il en essayant d'oublier qu'elle le prenait pour une expérience de laboratoire et qu'un regard chocolat avait envahi sa tête.

A l'instant même où leurs yeux se rencontrèrent, Steve su qu'il n'aurait pas d'alternative.

« Je suis navrée monsieur Rogers. Votre corps détruira chacune des molécules que vous pourrez ingérer. Je ne peux rien faire pour vous. »


Il était rentré à son appartement, complètement anéanti par les propos du médecin. Elle lui avait conseillé d'exorciser les pensées qui l'empêchaient de dormir, en, par exemple, les écrivant dans un carnet avant de se coucher. Elle avait également souligné qu'en parler avec quelqu'un l'aiderait certainement à faire le point. L'ancien militaire s'affala dans son canapé, désespéré. Il n'avait donc aucune échappatoire et arrivait à regretter amèrement la présence de ce sérum dans son organisme. Il était tout simplement une machine, incapable d'agir en tant qu'être humain normal. Pendant un instant, il se demanda même s'il était capable de mourir.

Ce soir, il tenterait l'écriture même s'il n'y croyait pas. Si le dessin et le sport n'avaient rien donné, il n'y avait aucune raison pour que cette alternative fonctionne. Steve poussa un soupir à fendre l'âme et s'empara de la télécommande la télévision. L'image afficha immédiatement le visage de la présentatrice du journal du soir. Distraitement, il écouta ce qu'elle disait, ses pensées s'éparpillant de plus en plus.

« Dans les nouvelles de l'actualité nationales, Stark Industries commercialisant son nouveau réacteur à énergie verte, est responsable des variations boursières spectaculaires de cet après-midi. En effet, il s'agit là d'une avancée technologique particulièrement importante… »

Steve laissa les mots s'imprégner dans sa tête. Stark avait donc réussi à faire son entrée dans le marché avec son réacteur ARK. Il devait être imbuvable, ce soir encore plus que les autres, s'étouffant certainement avec sa propre fierté. Sans vraiment le vouloir, les mots de l'ingénieur lui vinrent en tête.

« Tu es celui qui me semble être le plus à même de me comprendre »

«J'ai plus rien Cap, plus rien du tout… »

C'était un appel à l'aide que l'ancien militaire avait délibérément ignoré. Il n'avait aucune raison de l'aider.

L'homme se mentait. Encore. Il comprenait parfaitement les sentiments de l'ingénieur. Deux fois dans sa longue vie, il avait tout perdu, ses repères, ses convictions, ses amis. Il savait ce que Tony vivait. L'espace d'un instant, Steve pensa à appeler Stark. La seconde d'après, il était dehors, courant comme si sa vie en dépendait pour se vider la tête. Il ne voulait pas accepter d'aider et d'être aidé par un homme qu'il trouvait tout à fait antipathique. La lâcheté n'avait jamais été un trait de son caractère, et pourtant, il fuyait quelque chose qu'il ne voulait pas comprendre.

Peu à peu, il s'aperçut que son corps devenait de plus en plus trempé. Il leva les yeux, la pluie s'écrasant sur son visage. L'homme les ferma et se laissa faire, comme purifié par le ciel. A ce moment-là, il prit conscience qu'il était infiniment seul.

Personne ne l'attendrait en rentrant. Personne ne lui dirait de vite rentrer en lui ouvrant la porte. Personne ne le réchaufferait ce soir. Personne ne l'aiderait à dormir.

Steve ouvrit les yeux.

Il ne savait plus si c'était lui ou le ciel qui pleurait.


Fin de la première partie.

(1) : Brett Hendrick est une des identités de Steve dans le Comic

(2) : Il s'agit du chanteur d'Imagine Dragons. Je l'imagine à ce moment là écouter "Lost Cause"

Je posterai la seconde d'ici quelques jours, lorsque la dernière sera bien entamée. N'hésitez pas à me poster un petit mot, juste pour dire que vous étiez là, que vous ayez aimé ou non !

A la prochaine !