Chapitre 1: La rencontre

Mais que faisait-il là ? Il se le demandait le plus sérieusement du monde pour au moins la 23ème fois depuis qu'ils étaient arrivés. Là, c'était la salle des maîtres Italiens du Musée de Baltimore, où se déroulait ce vendredi soir, un concert de musique classique. Il, c'était lui, Will Graham. Will était un personnage légèrement autiste dans sa relation aux autres et dans son travail. Empathe, mais surtout profiler infiniment doué, il avait un temps bossé pour les forces de l'ordre. Toutefois, des événements violents malheureusement associés aux démons de son instabilité émotionnelle l'avaient contraint à prendre un long congés. Sa santé en dépendait. Depuis il s'était reconvertit en professeur. Son don précieux ne devait pas rester inactif, selon certaines personnes très culpabilisatrices, alors il avait accepté de partager ses connaissances avec les jeunes recrues des forces de l'ordre et du FBI, une sorte de compromis en somme. Ce soir, il faisait une pause, accompagnant sa seule amie, Alana Bloom une jeune et brillante psychologue. Il avait accepté, car les arguments d'Alana avaient tournés autour du fait que la musique ne pouvait lui faire que du bien, et que le concert étant de musique classique, il serait très malvenu que quelqu'un lui adresse la parole.

Ce qu'elle avait éhontément omis de dire, c'est qu'après les auditeurs étaient conviés à une sorte de réception. Will resta donc enfoncé dans son mutisme du mieux qu'il put, tentant de ne pas trop passer pour un goujat par amitié pour la jeune femme. L'exercice se révéla ardu. Qu'avaient donc les gens à être si bavard, si impolis. Surtout cette femme, d'un âge certain, faisant tout pour paraître jeune, en vain. C'était l'organisatrice de l'événement. Elle parlait et parlait, ne cessant de le questionner sur son métier, et de chercher son regard. Il était mal à l'aise et cela se voyait comme le nez au milieu de la figure. Plus elle le questionnait plus il ne répondait que par monosyllabes, alors pourquoi cette vieille bique déséchée ne le lâchait elle pas un peu ? N'avait elle pas d'autre victime à aller torturer ? Et Alana cette traîtresse qui s'était éloignée pour aller chercher à boire. Son coeur s'emballait, la panique montait en plus d'une sournoise nausée. Vite quelque chose, n'importe quoi ! Soudain, comme une miséricorde divine, une silhouette imposante s'interposa en douceur entre lui et la femme.

- Hannibal !

- Pardonnez mon interruption brutale avec votre ami ma chère, mais j'ai songé que l'affaire ne pouvait attendre.

- Vous êtes tout pardonné mon cher, mais qu'y a-t-il, vous m'inquiétez.

- Je crains que deux des invités n'aient que trop abusés de la boisson et soient en train d'en venir aux mains dans le hall. Comme vous le savez, il y a parmi nous ce soir, deux journalistes cela serait fâcheux que le rayonnement de la soirée en pâtisse.

- Seigneur ! Merci infiniment. Je vais de ce pas m'en occuper. Ha vous êtes un ange Hannibal.

- Voudriez vous mon assistance ?

- Non cela ira, les membres de la sécurité sont là pour ça. Veuillez m'excuser monsieur Graham, le devoir m'appelle.

Elle ne prit même pas la peine d'attendre une réponse, et s'en alla, dandinant son corps maigre, perchée sur des stillettos vertigineux. Will remercia le ciel de l'intervention de cet homme, ce fameux Hannibal. Sa panique était en train de refluer, et il priait maintenant pour que l'homme ne mette pas en tête de remplacer celle qu'il avait chassée. Il lui jeta un coup d'oeil rapide, et baissa aussitôt la tête. Hannibal semblait l'étudier, silencieusement. Il était grand, athlétique, et vêtu d'un smoking à coup sûr taillé sur mesure. Rien à voir avec son pauvre costume à lui. Son visage avait des traits plutôt exotiques en comparaison de lui qui ressemblait à monsieur tout le monde. Impossible de lui donner un âge précis. Le corps respirait la santé et la vigueur, le visage s'il reflétait une certaine expérience de la vie, marqué ça et là de quelques rides, ne faisait guère plus de quarante cinq ans. Soit environ dix de plus que lui.

- Tsss, comme les gens sont impolis. Si vous le souhaitez, il y a une petite salle attenante à celle ci où vous pourrez reprendre votre souffle. Vous y serez tranquille, je vous le jure, dit alors l'homme tout doucement.

- Merci de votre intervention, mais ça devrait aller, se força à articuler Will sur le ton le plus aimable qu'il puisse. Je vous assure.

- Vous mentez, fort mal, mais vous mentez. Permettez au moins que je demeure à vos côtés pour détourner l'attention.

Et avant que Will ne puisse demander ce que cela voulait dire, il en eut la parfaite illustration. Une autre personne, inconnue, s'approcha. Hannibal accapara tout l'attention du nouveau venu et subtilement, posa son corps en rempart pour Will. Il était beaucoup plus grand que lui, et de la sorte, le dissimulait à la vue de tous. Quand l'inconnu s'en alla, Hannibal resta dans sa position, buvant de petites gorgées de la flûte qu'il avait en main, semblant étudier la foule.

- Pourquoi faites vous cela ?

- C'est totalement intéressé si cela est votre question. Vous m'intriguez, et j'ai crû remarquer que vous étiez arrivés avec une connaissance. J'aimerais être votre ami.

Il avait dit tout cela sur un ton tranquille, en toute honnêteté. L'honnêteté était une denrée rare, d'ordinaire, les gens qui s'approchaient de lui voulaient toujours lui soutirer quelque chose sans rien en retour. Mais ce Hannibal, semblait réellement désireux de lier un lien social amical réciproque. Pour preuve son attitude tout à fait agréable et son prompt secours alors qu'il ne le connaissait même pas. C'est ce moment que choisit Alana pour revenir, deux flûtes de champagne en main.

- Excuses moi Will, ce fut plus long que prévu. Docteur Lecter ! J'aurais dû me douter que vous feriez partis des invités. Cela fait tellement longtemps que nous ne nous sommes vu.

- Mademoiselle Bloom. Vous êtes ravissante, comme toujours. Comment vous portez vous ? Demanda-t-il en lui faisant un baise main totalement désuet.

- Je vais très bien merci. Avez vous été présentés ? Interrogea-t-elle en passant de Will à Hannibal.

Celui ci prit les devant et répondit comme il savait si bien le faire.

- Je n'ai pas eut ce plaisir toutefois je me suis permis de passer outre pour le tirer des griffes de cette chère Lavinia.

- Lavi.. Ho seigneur, Will ! Je suis tellement désolée. Je vous remercie Hannibal, mon ami est très... timide, la foule de déconcerte. Permettez donc que je fasse les présentations. Will je te présente le docteur Hannibal Lecter, qui fût mon mentor avant de devenir un collègue. Autrefois il était chirurgien, mais il a changé de spécialité il y a quelques années. Il est extrêmement respecté dans notre milieu. Docteur Lecter, je vous présente Will Graham, un ami et une personne aux qualités aussi rares que précieuses. Il enseigne le profilage, dont il maîtrise le sujet comme un art.

- Je suis ravi de vous rencontrer, déclara Hannibal en lui tendant la main.

- Enchanté. Et merci encore pour tout à l'heure.

- Je vous en prie. Avez vous apprécié le concert ?

Will réfléchit un court instant. La musique bien que porteuse de beaucoup d'émotions lui avait indéniablement plus.

- Oui. Je ne suis pas familier de ce genre là, mais j'ai apprécié les morceaux qu'ils ont joué.

- Ils se sont bien débrouillés ce soir. En revanche le mois dernier c'était une catastrophe. Vous êtes chanceux.

- Hannibal joue lui même et de façon assez remarquable je dois l'avouer, voilà pourquoi il peut se montrer sévère quand un morceau ne lui plait pas, intervint Alana.

- Sachez demoiselle que je suis toujours de la plus totale impartialité, plaisanta-t-il.

- De quoi jouez vous docteur ?

- Je vous en prie, appelez moi Hannibal. Mon instrument de prédilection est le clavecin, mais le piano et le violon me conviennent aussi.

- Impressionnant. Avez vous d'autres talents ?

- Oui. J'aime diversifier mes centres d'intérêt. La musique, les langues, l'art et les sciences. Faisant très attention à ma santé, je cuisine moi même presque tous mes repas et j'ai donc également développé quelques talents dans ce domaine.

- Quelques talents ? Si vous ouvriez un restaurant, vous auriez au moins 4 étoiles, déclara la jeune femme.

Will s'interrogeait maintenant sur ce qu'un personnage si accomplit pouvait bien trouver de si intéressant chez lui, qui n'avait aucun don ni en musique, ni en art, ni en cuisine. Pas même en conversation ou en sociabilité. Et comme si l'étrange personnage lisait en lui, il lui dit tout à coup:

- Ne prêtez pas attention à tout cela, Will. Ce ne sont que des occupations dans lesquelles je me suis investit par souci d'éviter l'ennui et l'inactivité. Je n'ai jamais aimé paresser trop longtemps.

Le jeune homme hocha la tête sans trop savoir quoi penser. Il était fatigué, la foule qui parlait trop et trop fort l'incommodait et la solitude de sa petite maison lui manquait. Ses chiens lui manquaient aussi. Si seulement il pouvait faire une nuit complète pour une fois. Il n'y croyait guère. A n'en pas douter, elle serait perturbée, comme toutes les autres depuis son adolescence, période où son don avait connu sa plus grande évolution. Son verre lui échappa des mains, mais ne s'écrasa jamais. Hannibal l'avait rattrapé. Il le posa ainsi que le sien sur une petite table dressée non loin, puis revint vers eux.

- Will, je m'en voudrais de vous paraître impoli ou intrusif, mais vous êtes très pâle. Peut-être vaudrait-il mieux abréger cette soirée.

Alana l'examina elle aussi et approuva totalement. Comme ils étaient venus ensembles dans sa voiture à elle, elle lui proposa de s'en aller dès maintenant.

- Mais tu tenais à cette soirée Alana, je ne veux pas que tu l'écourtes pour moi. Je prendrais un taxi.

- C'est vrai que je tenais à cette soirée, mais tu es mon ami, et tu as fais l'effort de venir pour moi. Cela me touche beaucoup. Néanmoins, ta santé passes en priorité. Nous pouvons partir dès maintenant cela ne me gène pas. Hannibal, je suis navrée, j'aurais aimé passer plus de temps en votre compagnie. Peut-être pouvons nous déjeuner ensemble, un midi dans les prochains jours ? Nous pourrions retourner dans ce restaurant que vous m'aviez fait découvrir l'an passé.

- Cela sera avec joie. Permettez que je vous accompagne jusqu'à la sortie je connais un raccourci qui vous évitera toute cette foule.

Ils quittèrent la salle et suivirent Hannibal qui semblait connaître les lieux comme sa poche. Ce dernier profita que Will passe le premier dans l'escalier pour confier à son ancienne élève qu'il s'inquiétait vraiment pour le jeune homme. A raison. Alors qu'il mettait le pied au bas de l'escalier, Will fut saisit d'un vertige et manqua de tomber en arrière. Ce n'est que grâce aux réflexes d'Hannibal que la chute fut évitée. Celui ci en soutenant sa nuque et sa tête, l'assit prudemment contre le mur et l'examina. Le jeune homme frissonnait, perdant peu à peu conscience et sa température était assez élevée pour qu'aucun thermomètre ne soit nécessaire pour le diagnostiquer.

- Cela m'a l'air sérieux. Vous voulez bien récupérer mes effets en même temps que les vôtres Alana ? Je vais vous accompagner, j'ai toujours ma trousse de soin dans mon coffre, dit-il en lui tendant son ticket de vestiaire.

- Bien sûr. Je fais vite.

Il n'y avait rien à faire d'autre qu'attendre, alors Hannibal profita de ce que personne n'était là pour regarder plus attentivement le pauvre Will et se rappeler le début de la soirée.

Un peu avant le commencement du concert, alors qu'il était déjà installé à sa place, le subtil parfum de femme d'Alana avait flotté jusqu'à lui, passant au travers de ceux qui emplissaient déjà la salle. Il lui sembla différent, avec une fragrance qu'il n'avait encore jamais reniflée mais qui sans aucun doute possible était très enivrante. Discrètement Hannibal s'était retourné. Alana était bien présente, et à ses côté ce jeune homme. Homme de science peu enclin à croire au destin, aux coups de foudres et autres chimères romantiques à pleurer, il fut cependant saisit d'un puissant intérêt et d'une irréelle fascination pour cet être qu'il n'avait encore jamais vu. Discret, anxieux, l'inconnu qui devait être à peu près du même âge que la jeune femme, n'avait aucune classe, sa coupe de cheveux n'avait d'égale que sa barbe mal taillée et sous ses yeux bleus de grosses cernes lui donnaient un air fatigué qu'un jeune homme sain n'aurait pas dû avoir. Pourtant il lui plût immédiatement. Comme il semblait mal à l'aise à ne regarder que le sol, se faisant tout petit. Qui était-il ? Le psychiatre se jurait de le découvrir, une fois le concert achevé. Car une chose était certaine, il le voulait, et il l'aurait !

Lorsque la réception commença, il fut assaillit par certains des invités. Etant une figure incontournable du bottin mondain de Baltimore, on le connaissait, l'admirait même pour son intelligence aiguisée, sa vaste culture et son goût de l'excellence en toute chose. Les dîners privés et très fermés qu'il organisait et cuisinait lui même, lui valaient encore bien plus d'égard que le reste. Toute cette assemblée de courtisans et de lèches bottes lui en réclamaient un autre. Il avait promit la main sur le coeur, charmeur de réfléchir très prochainement à une date. Du coin de l'oeil, il prit soin de conserver son attention sur le jeune homme. De là où il se trouvait n'importe quel personne un peu sensible aurait détecté le malaise grandissant qui assaillait sa nouvelle proie. Son odeur délicieuse était alors porteuse de peur et d'inconfort tandis qu'il subissait l'insupportable babillage de la vieille Lavinia Greengrass. Cette femme autrefois belle, avait cédée aux sirènes des bistouris. Aujourd'hui, son corps maigre devait contenir plus de plus de silicone, d'os et de vieille peau rance que de chair. Définitivement peu ragoûtant. Hannibal avait mit fin à son propre harcèlement avec toute la courtoisie qu'il convenait, et s'était dirigé vers le mystérieux jeune homme, tel un preux chevalier.