Parfois la dureté de la vie c'est comme une lame de fond, on croit qu'elle est passée mais elle revient avec plus d'élan encore. Une mauvaise soirée de plus. Juste encore un peu de douleur a évacuer.

Désolée.

Sam


Je m'assieds sur le canapé. Attrape la télécommande et lance la vidéo. Toujours le même DVD. Depuis 5 mois. Je te regarde rire avant de rougir quand tu voies que je film.

- Mais arrête avec ça ; tu grognes

- T'es beau, faudra t'y faire

- Crétin ; tu me lances en riant à moitié

- Abruti ; je te réponds et je me souviens du sourire que j'avais

- Tu m'aimes quand même ; tu lances, taquin, joueur

- Bien évidemment que je t'aime ; je le dis en même temps que la vidéo, dans notre salon vide

Puis je te regarde courir dans le sable, jouer avec le vent qui ébouriffe tes cheveux, louper ton rire qui s'envole avec une bourrasque. Là, maintenant, qu'est ce que j'aimerais tes bras autour de moi. Qu'est ce j'aimerais avoir ton corps contre le mien. Même pas dans un but sexuel. Juste… J'aimerais juste me lover contre ton torse, sentir ta peau chaude sous la mienne, ton cœur battre contre mon oreille, trouver écho avec le mien, entendre ta voix pour de vrai et retrouver ton odeur sur mon oreiller.

Sans couper la vidéo, j'ai besoin d'entendre ta voix, encore et toujours, même si ce sont toujours les mêmes, que je les connais par cœur, j'ai besoin de les entendre, je vais chercher ton gilet. Ça fait bien longtemps qu'il n'a plus ton odeur. Elle se délite partout. Dans chaque pièce de la maison. Pas faute d'avoir chercher à la garder. J'ai racheté ton produit douche mais sur ma peau il ne produit pas le même parfum. J'ai racheté ton eau de toilette, pour en mettre sur ton écharpe, mais il manque l'odeur de ta peau. Ton odeur me manque.

Je reviens me rouler sur le canapé, ton gilet tout contre moi. Tu es assis à moitié sur le sable, à moitié dans l'eau. Tu regardes au loin. Tu es tellement beau.

- Dis… ; tu commences

- Oui ; j'entends ma voix déformée par la caméra, tu te retournes vers moi, et de tes magnifiques pupilles tu me demandes ; Tu accepterais de m'épouser ?

La même émotion, a chaque fois, tellement invariablement. Le cœur qui bat la chamade, le ventre qui se noue et la gorge compressée. Je n'ai pas pu répondre verbalement. Je me suis contenté de me jeter sur toi, pour t'embrasser.

J'aimerais garder à toujours la sensation de tes lèvres sous les miennes, de tes mains que tu aimais poser sur mes hanches et du petit sourire que tu avais toujours après en susurrant « tu sais combien je t'aime ? ». Je te demandais toujours combien et tu trouvais toujours une réponse poétique. Que ce soit « mes bras ne sont pas assez long pour que je puisse te le montrer » ou encore « tu sais combien il y a de particules d'oxygène dans l'air qui est au fond de tes poumons ? Non ? Ben moi c'est pareil, je sais pas combien de parcelle sont imprégnées de toi ». Je ne pouvais m'empêcher de sourire et de t'embrasser encore plus.

Tu me manques tant. J'ai ce vide qui bat au fond de moi, me remplissant de vide. J'ai ta voix dans ma tête qui me fait me rendre compte que jamais je ne l'entendrais à nouveau. J'ai cette blessure dans mon ventre qui m'empêche de manger correctement. J'ai ce poids sur la poitrine qui m'empêche de respirer pleinement. Je suis plein du vide de ton absence. Je suis vide de toi. Je ne sais plus vraiment. Tout ce que je sais c'est que je n'y arrive pas. 5 mois sans toi.

La vidéo reprend son cours. On est sur la terrasse d'un restaurant et tu es en train de rouler des yeux parce que tu n'aimes pas plus la caméra qu'avant.

- Pourquoi tu me filmes en réalité ? ; tu souris en avalant une gorgée de champagne

- Parce que je veux conserver une part de toi à tout jamais. Et que je veux que nos enfants nous voies quand on était jeune ; tu glousses comme une collégienne

- Alors petit un ; tu te penches attrape ma main, je fais un gros plan dessus, nos deux mains enlacées, l'une si blanche, l'autre si brune, l'une si fine, l'autre si large, toi et moi, complémentaire et différent ; Tu vas pas te débarrasser de moi comme ça avant un très long moment ; je crispe mes doigts autour des tiens et mes miens, à l'heure actuelle, sur ton gilet ; Et secundo… ; tu souris bêtement ; Des enfants, carrément ?

- Ouais des enfants ; ma voix est toute déformée par l'émotion, encore aujourd'hui je suis tellement bouleversé par ton sourire de canaille

- Des enfants ; tu répètes avant de secouer la tête et de rire fort avant de poser un regard sur moi

Je mets la vidéo en pause. Ce regard. Ce regard que tu avais parfois. Quand tu me regardais dans des moments forts. Ou quand tu croyais que moi je ne te voyais pas. Ce regard là. Plein d'étoile et d'émotion… Belles, vraies, tendres et sincères.

Je me laisse glisser sur le sol, rampe jusqu'à l'écran et pose ma main sur ta joue.

- Tu me manques tellement amour ; je te chuchote alors que ton image est figée sur la télé, avec ton sourire et ces yeux ; Tu me manques tellement que je crois que je vais en crever. Dis tu m'attends vraiment ? Tu m'attends de l'autre côté ?

Je me mets en tailleur et les larmes coulent. J'étouffe. J'arrive plus. Plus a respirer. Plus à déglutir. Plus à rien. Je suis comme toi, bloqué sur « pause ». J'inspire et un long cri sort. Qui me libère. Les larmes, les hoquets, les cris, tout vient en même temps, dans un maelstrom d'émotion dégoulinant. Je tombe la tête la première sur le tapis, ton gilet tout contre mon visage, je le serre comme je te serrerai toi. J'enroule les manches autour de mes épaules, comme tu avais l'habitude de faire. Je me laisse couler au fond de moi, au fond de ma mélancolie, au fond de mon deuil que je n'arrive pas à faire. Je me laisse couler. Tout simplement.

ooooooooOOOOOOoooooooo

L'aube rose se lève. La psy toque à la porte. Elle ne reçoit pas de réponse. Elle ne s'en inquiète pas. Il ne se lève plus pour lui ouvrir depuis plus de 3 mois. Elle utilise la clef. A peine la porte franchit l'odeur agresse ses sens.

Elle court dans la chambre. Il n'y est pas. Le salon alors. La porte heurte le mur, faisant un trou.

Il est là, roulé en boule, le gilet de son défunt mari autour de lui. Elle s'accroupit mais elle sait. Elle le sait. Elle pose deux doigts sur la jugulaire. Pas un battement. Elle tourne la tête. Le visage souriant, il le regarde avec un petit air taquin comme pour lui dire « enfin, tu es là, tu es de retour ». Elle récupère la télécommande de la télévision, éteint l'écran et sort son téléphone pour appeler les pompiers qu'ils viennent chercher le corps du second époux Hale.