Disclaimer : Les personnages de Teen Wolf sont la propriété de Jeff Davis.

Petite mention à ma bêta-lectrice/correctrice pour ses conseils salvateurs, MlleHeathcliff !


Samedi matin et Scott était assis sur un lit. Pas le sien. Précisément au dernier endroit sur Terre où il souhaitait se trouver. Cependant, Peter le lui avait bien fait comprendre, il n'avait pas d'autre choix que de poser ses « sales fesses d'Alpha » sur ce « foutu matelas à ressorts ». Tels étaient les ordres, tel il exécutait, sans trop savoir pourquoi un élan de docilité l'avait pris dans la précipitation.

Toutefois, malgré sa plaisante volonté du moment, il avait le sentiment de ne pas être la bienvenue en ces lieux, seul au milieu du silence. Quoiqu'on l'ait invité (pour ne pas dire forcé par un ingénieux chantage) à toquer quelques minutes plus tôt, il baignait dans un mélange d'appréhension et de frustration de devoir ainsi faire le pied de grue — assis, certes, mais tout de même — au bord d'un lit ridiculement grand. Tout cela à cause d'un SMS brut de décoffrage de Derek qui lui sommait de se pointer, quelque chose d'important paraissait-il, d'un ton presque impératif...

Mouais. Cela avait relevé plutôt de l'agression par écrit que d'une quelconque demande amicale, mais peu importait désormais, il était là. Il s'en étonnait toujours, d'ailleurs, de sa propre capitulation face à une des ruses de la famille Hale, parce qu'il devait se faire une raison, il n'y avait pas à regarder deux fois pour comprendre qu'aucune urgence apparente ne requérait son aide au loft. Il s'était fait avoir en beauté et à part poireauter, cette histoire ne semblait pas avancer.

Il aurait dû s'en douter aussi. À peine avait-il franchit l'entrée que son hôte si alerte, loup acariâtre à ses heures perdues, l'avait bousculé en sortant. Qui, sain d'esprit, prendrait ses jambes à son cou devant son convive fraîchement arrivé si ce n'était pas pour échapper à une embuscade ? Question rhétorique.

Puis, dans sa grande escapade à l'autre bout du globe, le grand Derek Hale lui avait expressément demandé de « rester sage ». Un collectionneur d'infortunes se donnait la peine de jouer les conseillers, de quoi mettre la puce à l'oreille et de... Rester sage, justement.

Cependant, le joueur de Lacrosse n'avait pas eu le temps de froncer les sourcils à sa remarque — comme nous venions de le faire, attentifs lecteurs que nous sommes —, ni de répliquer quoi que ce soit, l'oncle de la demeure le maintenait déjà par-dessous l'aisselle et lui faisait monter quatre à quatre les escaliers menant aux chambres. De la surprise il était passé à l'incompréhension, mais n'avait pas osé se délier de la poigne de ce second loup aux humeurs tout aussi, voire bien plus incendiaires. Il avait alors protesté pour la forme, en vain et sans conviction. Quand il s'agissait d'écouter l'avis des autres, Peter devenait sourd. Son ordre avait été clair de toute façon, l'ombre de la meute forçait son propre meneur à s'asseoir, balayant les préceptes hiérarchiques, pour attendre son retour et il n'accepterait aucune contestation. Face à tant de hargne, le jeune McCall s'était contenté d'obéir, il n'avait pas la carrure d'un tyran de toute façon.

Maintenant qu'il y repensait — avec un temps de retard sur nous —, la consigne de Derek n'avait été qu'un indice de plus quant à la véritable nature de ce soi-disant rendez-vous. Pourtant, Scott s'était jeté dans la gueule du loup, alors qu'il avait senti le traquenard à plein nez dès la lecture du message sur son téléphone portable. Peut-être avait inconsciemment choisi d'esquiver l'évidence, jusqu'à être depuis peu confronté au calme de la chambre à coucher, d'où ses cellules grises s'efforçaient de ramasser les pièces du puzzle. Au final, la réalité outrepassait son obstination. Malheureusement, quoique cet effort fût de bonne foi, cela ne répondait pas à la plus importante des questions, celle qui grisait son humeur ; quelle était l'embrouille à venir cette fois ?

Dans le but de se distraire, son champ de vision s'attarda aux alentours. Il se serait cru en salle d'attente, ce qui n'était pas tout à fait un mensonge, et roula des yeux. Tous les meubles (au nombre incroyablement élevé de trois, lit compris) se tenaient parfaitement droits, bien rangés dans leurs coins respectifs et respiraient le cabinet médical un peu trop lisse. Lui était crispé, mal sapé et lambinait dans une position inconfortable en dépit de l'élasticité optimale de la litière. Il se devait d'insister, il ne se sentait vraiment pas à sa place, ici, dans la chambre d'un ennemi potentiel.

Premièrement, l'étagère contre le mur, blanche et épurée, n'était définitivement pas à son goût. Il y trônait négligemment quelques livres, juste ce qu'il fallait pour qu'elle fut utile. Ensuite, la table de chevet à gauche du lit était dans les mêmes tons froids, dénuée de toute lampe, et la penderie encastrée dans les fondations se faisait oublier. Parfois, la petite poignée ronde en métal jouait avec la lumière filtrant par les deux fenêtres, rappel de l'existence d'affaires personnelles derrière la porte coulissante. Comme quoi, Peter était humain (sans rire) et avait d'autres vêtements en stock que son perpétuel col en V et pantalon noir.

Deuxièmement, jusque-là, l'idée qu'un Hale puisse dormir lui paraissait absurde et l'idée qu'il ait eu cette idée se révélait plus absurde encore après réflexion. Ce fait s'amplifiait lorsqu'il s'imaginait le plus vieux ronfler avec insouciance dans les draps impeccables sur lesquels il était en train de perdre la notion du temps. Bref, cela contredisait l'aura invulnérable que les deux loups-garous s'entêtaient à montrer, à l'affût du danger et un œil constamment ouvert. Probablement que Scott les surestimait à outre mesure... Un, surtout.

Et dire que tout était parti d'un pressentiment durant l'affaire du Nogitsune, un détail étrange dans le comportement de l'homme aux yeux bleu acier qui avait éveillé les soupçons de l'adolescent, comme si une odeur particulière l'entourait, l'enveloppait, perlait sur sa peau, il ne saurait mettre les bons mots dessus. Il n'était plus certain de quand exactement, néanmoins, il se souviendrait toujours de leur discussion sur les victimes qui hantaient l'oncle et son cousin. Ces confidences, cela avait été une espèce de déclencheur et en toute connaissance de cause, il en avait déduit que Peter — qui n'avait pas vraiment tourné nonne, avouons-le — préparait un mauvais coup.

Ce dernier réapparut dans l'entrebâillement de la porte et un léger sourire se dessina sur son visage, alors qu'il appuyait nonchalamment son épaule contre l'embrasure. Il croisa les bras en pinçant les lèvres, tâchant avec difficulté de contenir sa moue satisfaite. Il était avide de contrôle et voir le nouvel Alpha guetter patiemment sa venue dans sa chambre était un régal pour les yeux. Il en manifestait une certaine forme de soumission dont il se délectait à présent, égale à un ordre qui concédait enfin à se livrer, à siéger à la place qui lui était dû. Pourquoi s'en priver, après tout ?

Ils se fixèrent une dizaine de secondes, puis après deux-trois encouragements mentaux, le garçon au teint anormalement blafard prit la parole :

— Tu as quelque chose à me montrer ? tenta-t-il en désignant d'un haussement de sourcils les mains du plus âgé.

L'interpellé eut une seconde de flottement, assez pour qu'ils l'aient remarqué tous les deux. Il se détacha du mur et avança d'un pas, les paumes ouvertes devant lui en guise de réfutation. En effet, elles étaient vides.

À cette vision, Scott eut un infime mouvement de recul, un geste incontrôlable, un résidu des mois précédents, une réaction à l'inconnu, au familier, un mélange de tout. Il avait l'impression que les mains elles-mêmes le percutaient lorsque l'odeur se répandit dans ses poumons avec la vigueur d'un courant d'air. Elle était si lourde, si intense. Jamais il n'aurait pensé qu'elle prendrait une telle ampleur. Pourtant, ils étaient à plusieurs mètres l'un de l'autre.

Il avait pensé... Il avait pensé... Il avait eu tort.

Son comportement parut agacer Peter qui, l'arête du nez froncé, avala laborieusement sa salive. Son ventre se tordit, semblable à une roue de navire qui roulerait autour d'une barre métallique, à la fois lancinant et attrayant.

— Non, je suis juste allé vérifier si aucune oreille n'écoutait aux portes aujourd'hui, comme bien trop souvent dans cette ville, se contenta de préciser l'homme, figé debout.

Il n'avait pas la patience de tourner autour du pot en ces modalités. Cela faisait un nombre affligeant de nuits qu'il lui était presque utopique de dormir sur ses deux oreilles, tant ses pensées se faisaient bruyantes. Toutefois, le jour, il reculait sans fin face à la réalité, tout en sachant que cela empirerait ses insomnies. La tension était tyrannique, sur le bord de l'explosion, et il était à première vue le seul à en comprendre le sens profond, à la sentir pour ce qu'elle était réellement. Sa solitude couplée au déni de cet idiot le rendait fou à des hauteurs qu'il n'aurait soupçonnées envisageable de se heurter. Il détestait se déguiser de cette manière, prétendre que la situation lui portait louanges, alors qu'il l'exécrait. Les événements n'auraient pas pu plus mal tourner et il avait laissé faire. D'ordinaire, quand il voulait quelque chose, il l'obtenait. La question ne se posait même pas, c'était presque immédiat, comme un caprice. Point barre.

Mais, Scott... Ah, Scott... C'était une autre partie de manche. Cela surpassait, dépassait, explosait son entendement, ses principes, son caractère en soi, jusqu'à ravager la confiance qu'il avait en ses sens, à les redouter plus hardiment que la peste. Pour un loup-garou né, il y avait de quoi se vautrer en beauté.

— Pourquoi tant de précaution ? continua l'autre, loin d'avoir fini de ronger son os.

Deux adultes avaient osé crier au loup pour le faire rappliquer à la hâte et il était fin prêt à percer leurs cachotteries, même si sortir les vers du nez d'un évident manipulateur en col V lui tirait une grimace. En général, il y avait une contrepartie à obtenir des informations de sa part et cela avait le don de leur attirer des ennuis, du genre que le lycéen n'avait pas eu à subir ces temps-ci.

Ce fut pourquoi il se renfrogna à l'approche du Hale qui, à l'inverse, comptait réparer ses torts tout de suite, ignorant l'interrogatoire et fonçant droit vers le panneau « sens interdit ». Il puait le coup fourré. Encore et toujours ce parfum entêtant, une sorte de curry très rance. Trop proche, l'auteur de son embarras avait le nez foncièrement plissé et une expression exacerbée peinte en travers du visage, soulignant ses propos :

— Tu empestes la fraise sauvage, trop mûre, cracha-t-il.

Les syllabes avaient claqué sur sa langue, brutalement, méchamment et indiscrètement claqué, oscillant entre la dénonciation, la réprimande, le mépris et la frustration. En un rien de temps, elles avaient exprimé une panoplie de sentiments refoulés et il n'en était pas peu fier, cela reflétait quasiment toute sa rancœur des jours récents. Désormais, il exhalait, soulagé, mais il s'abstint de le montrer, en partie à cause des iris brumeux du jeune qui le fixaient sans le voir. Ces deux billes d'un marron inconsistant lui bouffaient sa joie, coinçaient un juron entre ses dents aiguisées. Si Peter avait voulu parler à un mur, il serait resté six pieds sous terre au lieu de se coltiner la présence d'une statue de cire.

Sidéré, Scott eut de la peine à rétablir le contact dans son cerveau, loin, loin dans le vague. Les plombs venaient de sauter à tous les étages, lorsque, sans crier gare, ses paupières clignèrent à n'en plus finir. En proie à une joute mentale, son gosier refusait d'expirer la goulée d'air qu'il avait avalée. Juste avant que l'autre se résout à le secouer, il en prit conscience et happa tout l'oxygène permis dans un toussotement, frappé de plein fouet par une révélation bien plus colossale. Alors, son pouls s'emballa, sitôt angoissé par toutes les implications que cela signifiait éventuellement, sous l'œil scrupuleux du quarantenaire. Cherchant tant bien que mal à se remettre, il déglutit, la gorge nouée et le regard pointé à des kilomètres de là.

Il avait bien entendu ? Il ne rêvait pas ? Il ne lui avait pas sorti une phrase pareille ?

La coïncidence était saugrenue, absolument saugrenue. Il n'avait aucune raison d'angoisser ! Ce n'était pas en train d'arriver. Non. Stop. Ils avaient pensé à la même chose par hasard, voilà tout. Ce phénomène était monnaie courante, pas vrai ? À une nuance près que sûrement personne dans l'histoire de l'humanité n'aurait pu avoir la même pensée qu'eux, elle était outrageusement particulière. Il en était certain.

L'angoisse remonta de nouveau, étouffante. Il ne comprenait pas lui-même pourquoi il réagissait si fortement. À un pas de s'effleurer, une sensation dérangeante lui grattait la peau et un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale. Piqué au vif, ses muscles se contractèrent avec réticence et brusquement, il vit rouge. Il se redressa d'un coup et la retombée verbale fut davantage sévère :

— Ça va pas ou quoi ?! s'emporta-t-il, outré. C'est toi qui pues, oui !

La controverse du sujet tomba aux oubliettes en percutant le regard que lui jetait l'aîné à cet instant. Ses réflexions se troublèrent. L'insensible qui l'avait autrefois mordu avait l'air extrêmement stupéfait, la tête légèrement penchée sur le côté. Dans le passé, il ne s'était jamais éloigné de ses traits impassibles, froids, calculés, malhonnêtes, peu importaient les épreuves. L'adolescent était bien placé pour le savoir, puisqu'il ne lui avait pas été accordé de saisir jusqu'alors une émotion à ce point sur le vif. Celle qui animait Peter aujourd'hui semblait éveiller par milliers les souvenirs qu'ils avaient du combat contre le renard maléfique.

Son premier pressentiment fit écho aux oreilles du lycéen. Une partie de l'histoire lui échappait, il en mettrait sa main à couper.

Pour sa défense, cela avait été un concours de circonstances dès le face-à-face avec les Onis, pas de quoi tuer une mouche ou n'importe quoi de vivant. D'abord par mesure de précaution, il avait appris à garder une certaine distance avec tous les habitants du loft sans distinction, plus qu'il ne l'avait jamais fait auparavant. Après plusieurs mois, c'était devenu une habitude tellement tenace qu'il avait déjà fait neuf fois le tour de son répertoire d'excuses bidons. À court d'option, il avait commencé à hausser les épaules pour tout argument. Son entourage n'avait alors plus eu de doute sur l'apparent repli de leur Alpha à l'encontre des Hale, même si, paradoxalement, ces derniers statuaient toujours en tant que membres de la meute. Pour ce qui était de la raison d'une telle prise de tête, le mystère subsistait.

Parce que oui, le fonceur du groupe avait battu en retraite à la stupeur générale, la sienne au sommet du peloton. Néanmoins, tous ceux qui avaient participé au combat à s'en salir les mains de sang l'avaient confessé, son relâchement tombait à point nommé. Ils avaient eux aussi besoin de se ressourcer de leur côté ou en petit comité, loin du grabuge que suscitait usuellement une meute de loups. La majeure partie du groupe s'était éclipsée sans protestation, ni même un commentaire. Bræden avait emporté son sac et disparu avec seulement une note derrière elle. Isaac et Chris Argent avaient sauté dans le premier avion pour la France. Kira avait pris le voile avec ses parents pour une durée indéterminée, sa mère avait insisté sur le terme « entraînement » comme unique précision. Cora Hale n'avait adressé qu'un signe de main et un aller simple pour l'Amérique du Sud et Derek avait tardé son retour en Californie. Malia et Lydia s'étaient effacées sur les bancs de l'école, l'une le visage tourné vers la fenêtre et l'autre vers les rires d'Allison. Stiles et Scott s'étaient partagé la chambre de l'humain, et le chef de meute avait veillé la nuit avec une boule au ventre, car, à son incommensurable désarroi, Peter avait squatté le loft en fidèle cafard.

Stiles s'était montré moins coi devant le changement d'attitude de son meilleur ami, il s'en était carrément réjoui. Officiellement, tout ce qui lui évitait de croiser l'autre psychopathe était bon à prendre, zéro objection en vue. Officieusement, il remerciait le réconfort familier du capitaine de Lacrosse lors de ses cauchemars à répétition. Enfin... Les cinq premières semaines. Passé ce laps de temps, il dut se résoudre à reconnaître l'absence de crime à Beacon Hills et donc l'absence de criminel, ainsi que le retour de Derek dans la région, un renfort non négligeable et le surveillant attitré de son oncle. Sauf que la méfiance d'un McCall était farouche et celle-ci n'avait pas l'air de vouloir redescendre, puisque par sa faute, il était obnubilé par un objectif aussi délirant qu'impossible. Ses faits et gestes ne juraient que par ce critère ; mettre le plus d'espace entre lui et tout particulièrement Peter. Il le fallait.

Malgré ce désir d'éloignement, il en savait suffisamment sur les manœuvres stratégiques pour garder son adversaire dans son champ d'action. C'était sûrement là l'un des rares avantages à être continuellement attaqués par des monstres à tire-larigot. Par ailleurs, il n'avait pas seulement une super ouïe pour se la péter, il s'était tenu aux nouvelles avec discrétion. Et dans les couloirs remplis d'étudiants, les rumeurs avaient le vent en poupe, elles lui rapportaient entre autres ce qu'il taisait au téléphone avec Derek depuis son rapatriement.

Apparemment, à la ceinture de la ville, ce grognon-ci ne fût pas ravi du nouveau régime qu'il dénonçait anti-lupin. La difficulté ne devait pas les fragmenter, au contraire, renforcer leur lien et s'épauler était la voie à emprunter envers et contre tout. Toutefois, il n'était pas du genre à courir aux baskets de tous ceux qui l'évitaient — il y passerait l'année sinon — et, au même moment, le fils du shérif admit pour la énième fois le bénéfice du doute à Peter, bridant une quelconque entente. Il fut convenu qu'un taré « normal » fût capable d'attendre son heure avant de passer à l'acte et l'esprit dérangé d'un « type louche surnaturel qui avait vu la mort et les vermisseaux avant de ressusciter » encore plus. Son passé en était la preuve. Après concession et pour faire plaisir à son colocataire temporaire, Stiles repoussa l'échéance d'une semaine, deux, trois, un mois...

Conscient de l'enlisement du duo d'empotés, Derek ne ronchonnait plus quand leurs rares conversations se déroulaient à travers des boîtes vocales. Selon ces mêmes conversations, les soupirs en moins, le pallier des quatre-vingts jours allait être franchi et aucun drame à l'horizon n'avait brusqué les choses durant cette période, par conséquent, il était capable de se fondre dans le décor pour un deuxième tour. Autant faire plaisir à une crise d'adolescence que de la subir, sa patience savait gérer les heures et non les cris.

À la perspective d'atteindre ce fameux seuil, le corps fatigué et meurtri de Stilinski craqua.

Il soutenait son frère de cœur, c'était sans dire. Il était d'accord de ne pas poser un pied au loft comme promis, c'était à nouveau un carton plein. Cependant, le cas de Scott penchait dangereusement vers la paranoïa et il connaissait les ravages de cette condition mentale. Si un Alpha s'effondrait malgré sa force extraordinaire, comment un type banal comme lui survivrait ? Il avait fermé les yeux pendant presque tout l'automne face aux agissements de son meilleur ami et désormais, celui-ci filtrait ses appels et scrutait de plus en plus souvent par-dessus son épaule, sans parler de toutes les fois où à bout de nerfs, il avait menacé de se transformer dans l'enceinte du lycée, bon sang ! Même la simple prononciation d'un prénom le faisait bondir et il s'en étonnait le premier, suivi de près par Stiles.

Comme maintenant.

C'était sa moitié de puzzle, celle qui aurait dû lui fournir des éléments de réponse. Une multitude de pièces qu'il avait retenu des combats de la meute, de sa méfiance envers Peter, de sa cohabitation avec les Stilinski, des bruits de couloir et des boîtes vocales. Visiblement, rien dans tout cela fit naître en lui une once de clarté, car ses épaules se décomposèrent avec défaite. La charge qui les plombait fut indélogeable et il s'en retrouva désarçonné. Il était trop perdu, lasse et émotif. Il en avait marre et il n'y avait pas à chercher plus loin. En deux mois et demi de totale crainte, une seule petite requête ridicule par message et il avait abdiqué, sachant pertinemment qu'il se dirigeait aux portes de sa phobie. C'était irraisonné et irraisonnable. Ces mois avaient-ils été au moins bénéfiques pour quelqu'un ou n'avaient-ils fait que retarder leur confrontation ? Cela importait-il ?

Un long, très long soupir, puis, il souffla finalement dans un murmure si bas qu'un mortel ne pourrait le percevoir :

— Qu'est-ce que je fais ici ?

Il n'en crut pas ses yeux en remarquant l'adulte hésiter. Ils piétinaient sur place. Littéralement.

— Peter ? appela-t-il, soudain anxieux.

Ils sursautèrent d'un seul corps au timbre de sa voix, qu'ils ne reconnurent pas tant elle avait résonné basse, plus rauque que jamais. Ce mouvement en miroir laissa la place à un lent frisson dans leurs dos, qui se propagea jusqu'au creux de leurs reins en une brûlure gercée.

Là, tout de suite, cela commençait à faire peur à Scott. Il lui était devenu laborieux de respirer, semblable à une perte de contrôle avant une transformation. De la détresse se lisait sur son visage et il fit un nouveau pas en arrière, s'approchant peu à peu du coin opposé à la sortie. L'aigreur du curry enflait, omniprésente, encombrait son esprit au point de l'empêcher de réfléchir.

Soudain, le détenteur des lieux sourit. Pas un de ses rictus vicieux qui annonçaient l'arrivée d'une contrariété, mais plutôt une espèce de ravissement pas du tout naturel. C'était atrocement plus effrayant que d'habitude et le fils de Mélissa avait la sensation d'être un des patients de sa mère, à deux doigts de l'arrêt cardiaque. Il n'arrivait pas à considérer une moue pareille comme naturelle pour un personnage atypique tel que Peter.

— Arrête de renifler, ricana doucement l'aîné des Hale qui s'était remis à pencher la tête.

Les avant-bras serrés contre son torse, il observait son ancien bêta, goguenard.

D'abord interdits par cette promiscuité, deux caisses enflées de sang submergèrent leurs tympans et il n'y eut plus qu'elles. Ce moment parut durer une éternité, écoutant leurs battements de cœur frénétiques et se consumant dans le blanc des yeux. Plus ils tendaient l'oreille, plus les percussions augmentaient en intensité et plus le temps s'allongeait à leur en faire tourner la tête.

Enfin, une des barrières du plus âgé céda sous la pression et il combla le vide entre eux sans prévenir. Il n'avait pas prévu que les révélations se dérouleraient ainsi, mais il n'allait pas chipoter à l'heure qu'il était... Il était trop fébrile, la moindre de ses cellules sensorielles flairaient les hormones sucrées de l'Alpha, la moindre de ses cellules bouillonnaient à l'idée de toucher la peau hâlée, de la goûter, de la marquer.

— Quoi ? glapit celui qu'il prétendait bientôt s'emparer.

La voix haut perchée, Scott recula pour la troisième fois dans sa confusion, jusqu'à être acculé contre le mur d'en face. Il semblait hébété, radicalement à l'Ouest. Dans une dimension inconnue.

— J'ai dit « arrête de renifler ».

Incrédule, l'acteur du geste se surprit à inspirer par le nez exactement selon les dires d'un prétendu psychopathe. Dur de se tromper sur la signification de ces à-coups aussi vifs que répétitifs. Pas réjoui pour un sou, il secoua le menton en vain, il n'arrivait pas à les refréner, inconsciemment ou pas. Si l'effet du curry avait le don d'insupporter ses sens, il était pourtant galvanisant, une sorte de stimulant diablement efficace. Et instable.

Tout ça, c'était à cause de son loup, il en jurerait. Il s'était manifesté depuis des mois et n'aimait en l'occurrence pas être ignoré de la sorte. Maintenant, il se vengeait et s'agitait dans son dos en véritable traître. Sauf que sa partie humaine n'était pas si stupide, ni autant dans le déni. Il repensa une ultime fois à ses pièces du puzzle, ajoutant à l'équation les lèvres pleines de Peter à un centimètre de lui, aux mots crus qui les avaient franchies. Alors, seulement, les réponses à ses questions se reconstituèrent autour de lui et aussitôt, il sut.

Oh, non... Tout, mais pas ça.

Ses propres lèvres tremblèrent, terrorisées, tandis que celles de son ennemi nouvellement confirmé se courbaient en un sourire encore plus grand. Oh que oui.