J'ai vu l'Enfer

Note : ceci est ma première fiction sur l'univers X-Men. Elle comprendra neuf chapitres, plutôt axés sur les relations entre Charles et Erik, et le passé de ce dernier. J'ai choisi T comme rating en raison des thèmes abordés (nazisme, camps de concentration et sexualité dans le chapitre 8). J'ai essayé de rester la plus fidèle possible au film X-Men First Class (où se situe la fiction) et surtout à l'Histoire. S'il y a des incohérences, n'hésitez pas à me le dire !


Chapitre 1

« Je crois encore à la bonté innée des hommes. Il m'est absolument impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion, je vois comment le monde se transforme lentement en un désert, j'entends plus fort, toujours plus fort, le grondement du tonnerre qui approche et nous tuera, nous aussi, je ressens la souffrance de millions de personnes et pourtant, quand je regarde le ciel, je pense que tout finira par s'arranger, que cette brutalité aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde. En attendant, je dois garder mes pensées à l'abri, qui sait, peut-être trouveront-elles une application dans les temps à venir ! »

Anne Frank

XxXxX

Westchester, New York – Mardi 16 octobre 1962

Charles n'éprouvait aucun attachement à cette maison d'enfance froide et impersonnelle qu'était sa vaste demeure de Westchester. Certes, il y avait des très bons souvenirs, comme sa rencontre avec Raven, mais il ne se rappelait pas y avoir été un jour à l'aise. Il y avait donc une grande ironie du sort de vouloir maintenant considérer cet endroit comme un refuge pour les mutants même si pour le moment ils n'étaient qu'une poignée d'entre eux.

L'ambiance était lourde, tous étaient choqués par la mort de Darwin survenue la veille. Charles pouvait sentir que tous ses compagnons vivaient leur deuil différemment malgré leurs efforts pour garder leurs sentiments bien cachés. Alors personne n'avait plus abordé la disparition du chauffeur de taxi, ni la trahison d'Angel. Ils étaient devenus comme un tabou. Pour Charles c'était celui de son échec. Et plus que la tristesse, il éprouvait une sourde colère envers le monde entier et avait presque envie de fermer les yeux pour se convaincre que rien de tout cela n'était vrai.

- Alors vous pensez que nous pourrons vivre ensemble, Mutants et Humains alors que Noirs et Blancs n'arrivons pas encore à nous supporter ?

- Oui Darwin, j'y crois sincèrement et je ferai tout pour. La haine n'est que le résultat d'une profonde incompréhension entre les peuples, alors il suffit que quelqu'un leur ouvre les yeux, les pousse à se connaître les uns les autres…

- « Souvent, les hommes se haïssent les uns les autres parce qu'ils ont peur les uns des autres ; ils ont peur parce qu'ils ne se connaissent pas ; ils ne se connaissent pas parce qu'ils ne peuvent pas communiquer ; ils ne peuvent pas communiquer parce qu'ils sont séparés. »

- Martin Luther King ?

- Oui, mais cela aurait pu être vous… Et c'est pour ça que j'ai décidé de vous suivre. Parce qu'il arrivera un moment où l'humanité apprendra notre existence, et quand ce jour viendra, ce n'est pas aux côtés de la CIA que je veux être mais du votre. Et si un jour vous doutez, rappelez-vous de ce jour : celui où je vous dis que vous serez le Martin Luther King des mutants.

Charles avait légèrement souri à cette remarque, à la fois flatté d'être comparé à ce grand orateur et inquiet à l'idée de tenir un jour un rôle aussi important pour la communauté mutante que l'était en ce moment même Martin Luther King pour la population Noire. Il avait beaucoup discuté avec Darwin qui avait partagé avec lui ses difficultés d'appartenir à une minorité dans une Amérique encore ségrégationniste, même si l'Etat de New York était plus ouvert d'esprit que ceux du Sud. Charles pouvait donc comprendre et anticiper les futurs problèmes que rencontreraient les mutants et était donc convaincu que leur anonymat était essentiel pour le moment. Alors il ne pouvait s'empêcher de songer qu'Erik n'avait pas eu entièrement tort quand un jour il lui avait fait part de sa crainte de voir la CIA répertorier les mutants. Aujourd'hui, ils avaient besoin d'eux, mais demain ? Mais plus que tout, c'était la peur que parmi les mutants se trouvent des personnes bien plus dangereuses que la haine humaine, des personnes comme Shaw, désireuses de répandre le chaos d'une suprématie mutante, quelqu'un comme Erik, instable et impulsif…

- Nous n'avons pas le temps d'être en deuil Charles.

Charles ne réagit pas immédiatement aux paroles d'Erik qui se tenaient à l'encadrement de la porte. Il se tourna vers la fenêtre de laquelle il pouvait observer le soleil se coucher. Il envia un instant Erik et sa capacité d'encaisser froidement les chocs, lui n'avait pas cette faculté.

- Tout le monde ne peut pas être comme toi Erik, lâcha-t-il finalement avant de se tourner.

Erik affichait un visage étonné qui se mua en colère quand il comprit le reproche.

- Quand on mène une guerre, il faut être prêt à perdre ses équipiers. Cela ne signifie pas que je ne ressens rien, répliqua le mutant.

- Je ne veux pas d'une guerre !

- C'est trop tard, elle a réellement démarrée hier, quand Schmidt a tué l'un des nôtres… Tu es aussi en colère que nous autres, toi aussi tu as envie de vengeance.

- C'est justement ce qui me fait peur, avoua Charles en contournant son bureau pour faire face à Erik. Je déteste éprouver cette colère qui me donne envie de hurler contre tout le monde.

- Parce que c'est la première fois que quelqu'un te prend une personne qui t'était chère… Et la colère ne disparaîtra pas tant que tu ne te seras pas vengé.

- Tu te trompes, Erik. Je ne suis pas comme toi, rappela une nouvelle fois le plus jeune. Je ne perds pas en vue le but de notre mission mais je suis surtout en colère contre moi-même. Évidemment c'est Shaw le responsable de tout cela, mais je n'étais pas là pour protéger les jeunes et…

Charles soupira et pinça l'arête de son nez, évitant le regard d'Erik.

- Oui, c'est certain que Darwin et les des agents de la CIA seraient encore en vie si tu avais été là, admit Erik. Tu aurais repéré Schmidt et ses sbires avant même qu'ils n'attaquent et tu ne serais pas ici à te lamenter. Mais tu n'étais pas là, parce qu'ailleurs occupé à traquer notre ennemi pour l'empêcher de déclencher une troisième guerre mondiale qui coûterait la vie de millions de personnes. Nous devons parfois sacrifier une vie pour en sauver des milliers, et tu ne seras pas toujours là pour protéger les tiens. C'est donc pour cela que Raven et les autres doivent apprendre à se défendre seuls et ensuite combattre pour leur survie.

- Vas-tu rester cette fois ? demanda Charles en plantant ses yeux bleus perçants dans ceux étonnés d'Erik, ce qui le poussa à préciser sa question : Tu suis toujours ton impulsion du moment, comme le soir où tu as volé le dossier de Shaw pour continuer en solitaire, ou encore avant-hier quand tu as choisi d'attaquer la télépathe plutôt que de suivre le plan initial… Alors je te redemande : vas-tu rester jusqu'au bout ou partir quand tu décideras d'une nouvelle approche en solitaire ?

- Charles je…

- J'ai besoin de savoir maintenant si je peux compter sur toi parce que je n'y arriverai pas seul, poursuivit le télépathe. Évidemment, tu es libre de partir à tout moment mais je ne veux pas être pris au dépourvu quand ça arrivera…

- Je ne peux pas t'affirmer ce qui se passera une fois que nous aurons mis Schmidt hors d'état de nuire mais jusque-là, je reste, promit Erik soudainement conscient de l'importance que lui donnait Charles dans cette mission.

- Bien, fit Charles d'un ton qui se voulait neutre mais qui trahissait tout de même son soulagement. Demain nous commencerons à nous entraîner et pendant ce temps, Moira nous tiendra informés des mouvements de Shaw.

- Charles, tu n'es pas seul tu sais ? lâcha brusquement le mutant en faisant un pas en avant.

Le télépathe fut incapable de répondre, il se demanda même un instant s'il n'avait pas imaginé les paroles d'Erik. Mais quand il les répéta en posant une main ferme sur son épaule, Charles se dégagea si brutalement qu'Erik laissa sa main en suspens, un air vexé plaqué sur son visage.

- Merci Erik, fit précipitamment le télépathe. La journée a été longue, tu devrais aller te reposer.

- Je pensais rester un peu, répondit Erik. Pourquoi pas une partie d'échecs ?

Charles retint un soupir. Erik avait perçu sa nervosité et même s'il ne l'admettrait pas, il s'en inquiétait. Le télépathe se demanda si son trouble était si évident pour qu'Erik cherche à rester.

- Une autre fois. Je n'ai pas été ici depuis un long moment, j'ai quelques affaires urgentes à régler avec ma banque et les investissements de ma mère, expliqua le télépathe.

- Tu pouvais simplement dire que tu ne veux pas de ma présence, fit remarquer Erik avec un sourire que Charles n'arriva pas à cerner.

- Ce n'est pas toi qui me gêne Erik. J'ai juste envie d'être seul, admit le plus jeune un peu honteux de son mensonge démasqué.

- Ce n'est pas une bonne idée, statua Erik en fermant la porte avant de s'y adosser.

- S'il te plait ! s'agaça Charles. Je n'ai pas envie de débattre avec toi, pas ce soir.

Tu joues à l'ami présent mais tu partiras dès que tu en auras l'occasion. Va te faire foutre.

- C'est vraiment ce que tu penses, après ma promesse ? demanda le mutant en fronçant les sourcils.

- J'ai projeté, n'est-ce pas ? fit Charles, mortifié.

- Ce n'est pas grave. C'est bien toi qui m'a dit qu'on ne pouvait pas en vouloir à quelqu'un pour ses pensées, mais seulement pour ses actes, répondit Erik.

- Sauf que tu n'es pas télépathe. Et te projeter mes pensées sans ton consentement, c'est comme si je t'avais hurlé dessus, soupira-t-il. Je suis désolé Erik et je ne te ferai pas l'affront de dire que je ne pensais pas ce que tu as perçu. C'est comme les paroles qu'on lance sous la colère qui ont un sens, mais qui sont exacerbées et exprimées maladroitement.

- La colère est nocive pour toi, tu dois donc l'exprimer verbalement si tu ne veux pas que ton esprit le face à ta place, exposa le mutant. Tu es télépathe, il faut que tu gardes ton esprit clair…

- Tu as raison Erik. Et jamais personne n'avait été aussi proche de la vérité sur l'influence de mes sentiments sur ma télépathie, admit Charles avec une certaine lassitude. Mais j'ai l'habitude de gérer cela tout seul…

- Il est peut-être temps de changer tes habitudes ? J'avais l'habitude de traquer Schmidt tout seul avant que tu me fasses comprendre que je ne suis pas seul. Peut-être as-tu besoin de le comprendre toi aussi ?

Charles esquissa un sourire, se concentrant plus qu'à l'accoutumée, de peur de projeter sa mélancolie et ses angoisses à Erik. Il lui tourna alors le dos et se dirigea vers l'étagère où étaient posés le plateau d'échecs et la boite contenant les pièces. Ses doigts s'appuyèrent sur le bois noble mais ne fit aucun autre mouvement. Il venait de comprendre qu'il n'arriverait pas à mentir, qu'il n'arriverait pas à prétendre qu'il s'était calmé et jouer cette partie d'échec qu'il avait envisagée à l'instant. Il était trop en colère pour mentir et cette constatation nourrit encore plus cette rage dérangeante qui le poussa à balayer le contenu de l'étagère d'un geste de main. Les yeux fermés, Charles ne perçut que le bruit fracassant du lourd plateau d'échec s'écrasant sur le sol, suivi des légers tintements des pièces sorties de leur boite. En temps normal, il se serait immédiatement penché pour ramasser le tout, culpabilisant de son geste impulsif, mais à la place il fit subir aux livres avoisinants le même traitement avant d'être stoppé par une pression sur son épaule.

- Allons courir avant de la nuit soit complètement tombée, dit Erik en incitant Charles à s'éloigner de l'étagère.

- Non merci, je n'aime pas vraiment courir, murmura le télépathe qui, réalisant les conséquences de sa colère, s'accroupit pour regrouper les pièces d'échecs.

- Ce n'est pas une proposition, statua fermement Erik.

Charles stoppa ses mouvements et regarda Erik dans un haussement de sourcils. Son ton était tellement implacable que le télépathe resta sans voix.

- On se rejoint dans dix minutes dans le hall et si tu n'y es pas, je viendrai te chercher, ajouta le mutant.

Sans laisser le temps à Charles de réagir et protester, Erik quitta la pièce en laissant la porte grande ouverte. Charles soupira et ramassa rapidement les objets qu'il avait fait tomber pour les remettre négligemment à leur place. Il hésita un instant car il se sentait pas forcé d'obéir à Erik malgré sa fermeté mais choisit finalement d'aller dans sa chambre pour enfiler ses vêtements de sport. Il n'allait peut-être pas courir sérieusement mais une bonne marche ne lui ferait pas de mal.

XxXxX

Les affaires de Raven et les siennes qu'il avait faites expédier par bateau du Royaume-Uni après leur départ précipité n'étaient pas encore arrivées. Il se retrouva donc à fouiller dans ses anciens vêtements et dénicha un survêtement datant de l'époque où il étudiait l'anthropologie à Harvard. Il regretta la sobriété de la tenue de sport d'Oxford quand il passa le sweatshirt cramoisi frappé d'un ostentatoire « Harvard » en lettres capitales blanches dans le dos. Pourtant, il se souvenait de sa fierté d'avoir appartenu au Harvard Crimson, pour l'équipe de natation dont il était membre à l'époque. Mais le temps que prenait l'activité au sein d'un club de sport l'avait fait renoncer à l'idée d'en intégrer un à l'université d'Oxford, utilisant son survêtement pour les longues journées passées dans sa chambre à étudier.

Quand il descendit dans le hall, Erik l'attendait déjà et sa tenue semblait beaucoup plus improvisée que la sienne. Un simple pantalon noir et un tee-shirt de la même couleur, chaussé de Converses usées. Charles prit alors conscience de leur différence de milieu : lui-même portait sur le dos le survêtement d'une des universités les plus prestigieuses au monde et Erik, au contraire, avait l'air d'avoir déniché sa tenue à la friperie du coin. Charles avait grandi dans un cadre favorisé, fréquenté que des gens du même statut social et même s'il avait conscience de la chance qu'il avait, il ne s'était jamais montré très concerné par les difficultés des gens normaux. Stupide enfant gâté qu'il était ! S'il voulait accomplir le rêve qu'il nourrissait, faire de cet endroit une école, il lui faudrait abolir toutes les différences sociales. Devrait-il pour autant imposer le port d'un uniforme ? Non, il l'idée n'était pas de brimer la personnalité de ses élèves… Peut-être que…

- Charles ? questionna Erik, le sortant de son questionnement.

- J'en arrivais à la conclusion qu'il faudra des vêtements de sport identiques pour tout le monde, répondit vaguement Charles en se débarrassant de son sweatshirt pour ne garder que le polo blanc qu'il portait dessous.

- Pourquoi pas, répondit le mutant surpris par la remarque de Charles. Du moment que tu ne choisis pas quelque chose de cramoisi avec Division X écrit en blanc dans le dos ! ajouta-t-il en jetant un œil au sweatshirt que Charles avait laissé sur le porte manteau avant d'ouvrir la porte.

- Je pensais à quelque chose de très simple, sourit faiblement le plus jeune.

Il suivit Erik à l'extérieur et le regarda s'élancer en courant, lui-même ne faisant que marcher.

- A quoi te servait ton joli survêtement si tu ne peux même pas faire quelques foulées ? taquina Erik en se retournant et faisant du surplace jusqu'à ce que Charles arrive à sa hauteur.

- Je n'aime pas courir, rappela le télépathe. Alors vas-y, moi je marche.

- Sauf que je ne connais pas ton jardin, ou plutôt ton parc. Je n'ai pas envie de me perdre alors que la nuit arrive, répliqua le mutant.

- Je te retrouverai…

- Charles… ne fais pas l'enfant et cours avec moi. Tu verras ça te changera les idées, soupira Erik.

- Je me sens déjà mieux.

- Non, tu t'es juste calmé un peu, fit-il remarquer.

- En faisant deux fois le tour du parc par l'allée principale, cela prend une trentaine de minutes, lâcha le plus jeune, vaincu, avant de démarrer en petites foulées pour ensuite prendre un rythme plus soutenu.

Il savait qu'Erik n'était pas à son maximum mais qu'il restait à son allure avec pour excuse de ne pas connaître le chemin à suivre même s'ils ne quittaient pas l'allée principale. Charles ne commenta pas, c'était assez reposant de courir en silence, même en étant accompagné. Ils n'échangèrent pas un mot et l'unique son qui parvenait à leurs oreilles était leurs respirations contrôlées qui prouvaient que l'un comme l'autre n'était pas étranger au sport. Quand ils furent à la moitié du second tour, Charles proposa :

- Le premier arrivé ?

Erik s'élança et fut sans grand surprise le premier à atteindre le point d'arrivée. Charles ne put s'empêcher de sourire en voyant son ami fièrement planté devant lui. Erik était un homme compétitif, il n'avait pas besoin de faire la course pour le comprendre.
Le télépathe démarra quelques étirements sous le regard attentif d'Erik bien qu'il fasse désormais trop sombre pour distinguer quoi que ce soit.

- Tu devrais rentrer avant d'attraper froid, déclara Charles.

- Et toi ? fit Erik d'un air suspicieux.

- Il y a un endroit où j'aimerais aller, répondit le télépathe.

- Je comprends que tu aies besoin de rester seul mais ce n'est pas bon de s'isoler trop longtemps surtout quand tu as le choix de ne pas le faire, déclara Erik avant de marcher vers l'entrée de la demeure, respectant son choix.

- Viens avec moi, fit Charles juste avant qu'Erik ne referme la porte derrière lui. Ça t'intéressera peut-être, après tout, sourit le télépathe quand son ami reparut.

Ils marchèrent silencieusement à travers le parc. Mais ce n'était pas un silence tranquille comme pendant leur course, Erik pouvait sentir une légère tension, comme lorsque Charles avait laissé sa colère exploser dans son bureau.

- Là-bas, vit un couple employé ici, dit alors Charles en désignant un bâtiment dont une fenêtre au rez-de-chaussée était éclairée. Le jardinier et son épouse se sont occupés du manoir pendant notre absence. Ils ont commencé à travailler ici avant même ma naissance.

- Il s'occupe seul de tous les espaces verts ? s'étonna Erik.

- Il a un certain don avec la nature si tu vois ce que je veux dire, sourit Charles. Mais j'étais le seul de ma famille à savoir pourquoi nos plantes étaient toujours parfaites… Ma mère était ravie que ses roses soient toujours magnifiques. Plus de roses aujourd'hui, juste du matériel d'horticulture, ajouta-t-il en désignant vaguement une serre plus loin.

- Tu n'aimes pas les fleurs, remarqua le mutant.

- J'aime la nature mais je trouve que faire pousser des fleurs à des fins esthétiques est une perte de temps. Mais en vérité, je crois que j'éprouve une jalousie inconsciente envers ces roses que ma mère chérissait… Heureusement, il y a un endroit que j'ai toujours adoré ici, dit le plus jeune en accélérant le pas quand ils furent à proximité d'un petit bâtiment pas plus grand qu'un garage. Ça fait des années que je n'y suis pas venu, j'espère que tout est en bon état !

- Le jardinier et sa femme n'ont pas entretenu les lieux ?

- Non, j'aime me dire que je suis le seul à venir ici. Même Raven n'y a jamais mis les pieds, avoua Charles en s'arrêtant devant la porte dont la poignée était enchainée.

Erik l'observa s'agenouiller pour soulever une pierre. Il gratta ensuite la terre pour en sortir une clé. Il passa un petit moment à retirer la terre incrustée et finalement il se débarrassa de la chaîne.

- Tu es sûr que je peux rentrer ? hésita Erik quand Charles lui fit signe de passer devant lui.

- Entre, fit simplement Charles avant tenter sans succès d'allumer la lumière. Trop longtemps que je ne suis pas venu, soupira-t-il en tâtant le vieux meuble à l'entrée pour y dénicher des bougies.

Mais la lumière revint soudainement, laissant Charles étonné alors qu'il levait les yeux vers Erik.

- Un mauvais contact dans l'interrupteur, expliqua Erik dans un léger sourire la main posée sur le dit interrupteur.

Erik observa le télépathe satisfait ranger les bougies et embrasser la pièce de son regard. Erik ne voyait pas grand-chose d'intéressant, tout était recouvert de draps poussiéreux. Mais une odeur familière titilla les narines d'Erik bien qu'il ne puisse identifier l'origine.

- C'est l'endroit où ma grand-mère passait la majeure partie de son temps, expliqua Charles avant d'écarter un drap au hasard.

- Oh ! fit Erik en découvrant une peinture représentant une chaine de montagnes sous un soleil levant. Impressionnant ! La lumière, le relief… elle était vraiment talentueuse ! Quelle sorte de peinture ? Acrylique ? Huile ?

- Aucune idée, sourit Charles en remarquant l'intérêt non feint d'Erik pour la toile. Je ne m'y connais pas assez. Moi j'utilise la peinture acrylique.

- Tu peins ? s'étonna Erik en détournant son attention de l'œuvre pour observer son ami.

- On ne peut pas appeler ça peindre, rit le télépathe. Je n'ai aucun talent. J'aime juste les couleurs alors quand j'ai le temps je mélange les peintures et je m'amuse.

- Je peux voir ?

- Hum, juste après avoir vu la plus belle œuvre de ma grand-mère ? Je vais avoir l'air bien ridicule, soupira-t-il en fouillant parmi les différentes toiles négligemment posées au sol et non protégées comme celles de sa grand-mère.

Charles souleva finalement une toile qu'Erik observa attentivement. A dire vrai, cela ressemblait à une composition d'enfant: il n'y avait ni forme, ni dessin, juste des couleurs dont les dégradés formaient des lignes verticales précises et uniformes. Il en souleva une autre radicalement différente. Toujours les couleurs qui se mélangeaient mais cette fois-ci de façon anarchique sans aucune logique en de grosses taches impatientes.

- Tu étais en colère quand tu as peint celle-ci, devina Erik en s'approchant un peu. Je sens presque les coups de pinceaux rageurs sur cette pauvre toile !

- Oui. Je n'ai pas de talent mais cela n'a pas d'importance car ce que je fais n'est pas destiné à être montré.

- Je ne t'avais jamais imaginé avec un pinceau dans les mains.

- Et bien que cela reste entre nous. Raven ne finirait pas de se moquer si elle savait !

- Promis je ne dirai rien.

Charles lui montra d'autres peintures de sa grand-mère et fut fier de voir Erik si réceptif à aux œuvres.

- Pourquoi sont-elles ici à prendre la poussière ? Il n'y a aucune place sur les murs de ton immense demeure ? interrogea Erik.

- Oui, j'ai l'intention de les accrocher à l'intérieur maintenant que je m'installe ici de façon durable. Mais si elles sont là c'est parce que ma mère détestait ces peintures et les aurait jetées si je n'étais pas intervenu.

- Ça aurait été un véritable gâchis.

- Le portrait de Shaw que tu as dessiné est vraiment réaliste, fit remarquer Charles après un léger silence.

- J'avais appris à dessiner quand j'étais enfant. Après la guerre j'ai traversé une année chaotique trimbalé d'hôpitaux en hôpitaux car j'étais incapable de parler. Je ne savais tout simplement plus dans quelle langue m'exprimer. A la maison nous parlions yiddish. Mais j'ai vécu en Allemagne jusqu'en 42, puis nous avons fui, pensant que nous serions en sûreté en Pologne où j'ai aussi appris la langue locale. J'ai été déporté en 44 où l'allemand est redevenu la langue principale.

- Mutisme progressif dû à un choc post-traumatique, murmura Charles, songeur.

- Probablement. Puis j'ai rencontré un médecin militaire américain. Je n'avais que de maigres notions d'anglais apprises à l'école pourtant j'ai été réceptif et mes premiers mots depuis que j'étais libre ont été dans cette langue. Son approche thérapeutique était l'expression par l'art, ce qui a bien marché pour moi, assez pour envisager une carrière artistique. J'ai fréquenté une école d'art pendant quelques années grâce à cet américain qui a financé mes études aux États-Unis. Je crois qu'il avait pitié de moi. Mais ce n'était pas suffisant, je n'étais pas en paix même si tous autour de moi me disaient de passer à autre chose, de vivre. Alors à dix-huit ans, j'ai commencé à traquer Schmidt. Je n'ai pas retouché à un pinceau depuis mais je dessine encore de temps en temps, avoua Erik.

Il fronça légèrement les sourcils en détournant ses yeux vers les peintures. C'était la première fois qu'il parlait de tout cela à quelqu'un et pourtant il avait évoqué naturellement son passé tel qu'il l'avait vécu. S'il n'avait pas connu l'éthique de Charles sur sa télépathie, il l'aurait soupçonné de l'avoir incité à parler. Mais malgré son aisance, il espéra que Charles ne cherche pas à creuser son passé, qu'il ne voudrait pas en savoir plus que ce qu'il avait entendu.

- Que préférais-tu peindre ?

- Contrairement à toi, je n'aime pas tellement des couleurs vives. J'étais habitué à faire des peintures sombres et cyniques qui dérangeaient beaucoup de monde… Je suppose que les gens n'étaient pas encore prêts à voir la vérité de leurs propres yeux, ricana le mutant.

- Si tu recommences à peindre, j'espère que tu me laisseras voir tes toiles, fit Charles appuyant le bas de son dos sur une commode poussiéreuse.

- Et si tu aimes, n'hésite pas à devenir mon mécène, répliqua Erik, amusé.

- La famille Xavier a l'habitude de financer les scientifiques mais tu pourras être mon exception, rit Charles en fouillant dans le tiroir derrière lui. Mais d'abord, fais tes preuves ! dit-il.

Il lui tendit un carnet de dessin et un crayon.

- Si tu as quelque chose pour mieux le tailler, je suis preneur, déclara le mutant les yeux rivés sur la mine du crayon.

Charles s'écarta du meuble et fit signe à Erik de se servir lui-même. Erik sortit un taille crayon et deux autres crayons de mines différentes avant de s'assoir négligemment sur le meuble malgré la poussière. Charles jeta un œil curieux au carnet qu'Erik noircissait, formant au fur et à mesure un visage que le télépathe reconnaissait bien. Finalement, Charles s'assit à droite d'Erik pour ne pas le gêner et se colla presque à lui pour mieux voir sa technique.

- C'est un peu approximatif. Raven n'est pas devant moi et cela prendrait trop de temps de faire tous les ombrages.

- C'est déjà superbe, commenta Charles en fixant le visage de sa sœur sur le papier.

- Tu n'y connais rien, fit remarquer Erik avec indulgence. Crois-moi, un professionnel y trouverait plein de défauts. Et puis regarde, les yeux de Raven ne sont pas très ressemblants mais elle a une forme particulière d'yeux qui n'est pas commune. Sur mon croquis, on a l'impression que les proportions sont mauvaises.

- Toujours aussi pointilleux à ce que je vois, sourit le plus jeune. Mais pour un dessin fait de mémoire, c'est vraiment très réussi.

- Le plus important dans un portrait, selon moi, c'est de retranscrire la chose la plus marquante d'un visage, celle qui fait que la personne sera reconnaissable. Pour Raven, ce sont ses pommettes hautes et ses lèvres pleines, expliqua Erik avant de retirer la feuille pour retrouver une page vierge. Si je veux te dessiner, je choisis de mettre l'accent sur la partie haute de ton visage, surtout les yeux.

Charles observa avec intérêt son visage prendre forme sous le crayon d'Erik. Puis le mutant leva la tête de son dessin pour fixer Charles un instant avant de revenir à son travail.

- Tu triches, fit remarquer le télépathe.

- Non je vérifie, sourit Erik avant de faire une pause.

- C'est ressemblant, commenta sobrement Charles.

- Je crois même que je t'ai embelli mon ami, rit le mutant avant de reprendre son dessin. Voyons voir à quoi tu ressemblerais avec une barbe…

- Tu crois que je devrais arrêter de me raser ? répliqua-t-il en observant le croquis modifié.

- Ça te vieillit. On dirait un prof' négligé qui est lassé de son métier, plaisanta Erik.

- C'est donc à ça que je ressemblerai peut-être dans dix ans.

- Attends, laisse-moi allonger tes cheveux, parce que tu n'auras plus l'envie de les couper non plus.

- Oh mon dieu, rit Charles.

- Tu vois, je peux changer tout le reste, on te reconnait car j'ai réussi à bien capturer ton regard, reprit Erik un peu plus sérieusement malgré son large sourire.

- Tu as un réel talent Erik, dit le télépathe sincèrement. A mon tour : veux-tu voir la seule chose que je sais dessiner ?

- Je t'en prie, fit Erik en laissant une page vierge et le crayon à Charles.

Il observa le gribouillage de Charles avec un sourire moqueur aux lèvres et laissa finalement échapper :

- Je ne sais pas ce que tu essaies de dessiner, mais c'est assez laid.

- Ceci, mon ami, c'est l'acide désoxyribonucléique, c'est-à-dire l'ADN. Ce n'est pas censé être beau, mais c'est très pratique pour notre existence, répliqua Charles avec une suffisance feinte. Deux brins enroulés l'un autour de l'autre formant une double hélice. Cela parait simple comme ça, mais chaque ADN est différent grâce à la multitude de gènes qui le compose. C'est à la fois fascinant et effrayant car nous sommes loin de connaître toute la vérité.

- Parfois il vaut mieux ne pas savoir. La science peut être dangereuse.

- Vraiment ? Avec nos progrès, nous pourrons éliminer des maladies avant même qu'elles se déclarent, éliminer des…

- Des enfants, des races, des peuples avant même qu'ils ne naissent, coupa Erik sombrement.

- Penses-tu que c'est le but de mon travail ? souffla tristement Charles.

- Pas du tien, bien sûr que non. Mais les médecins veulent éliminer les maladies, donc les enfants malades seront un jour éliminés avant leur naissance, puis les mutants…

- Oui, tu mets le doigt sur un problème qui divise la communauté scientifique, avoua Charles. Nous commençons à parler de l'avortement, aussi bien volontaire que thérapeutique, pour le moment illégal.

- Tu crois que c'est une bonne chose de tuer un enfant dans le ventre de sa mère ? demanda presque froidement Erik.

- Ah, un sujet de plus qui nous oppose mon ami, sourit tristement Charles. Je crois que tu résumes un peu trop grossièrement les choses… Je ne prétends pas avoir raison mais ce que j'ai appris me laisse penser qu'un avortement bien réfléchi n'est pas un infanticide, et qu'il vaut mieux laisser le choix aux futurs parents d'avorter un fœtus atteint d'une maladie incurable.

- Je ne suis pas d'accord avec cela, admit Erik en prenant sur lui pour rester calme car il ne voulait pas d'un conflit idéologique ce soir. Même si un enfant a une maladie incurable et n'est pas viable très longtemps, il mérite d'être mis au monde et accepté.

- Ne va pas croire que je suis pour un eugénisme extrême, commença le télépathe en reprenant son dessin d'ADN pour le froisser et en faire une boule qu'il fourra dans sa poche de jogging. Pour dire vrai si cette situation m'arrivait, en tant que père, je crois que je laisserais naître l'enfant. Regarde autour de toi : je suis à la tête d'une fortune colossale, je pourrais donc offrir à un enfant malade ce qu'il y a de mieux en matière de soins et d'équipement. Mais si j'étais de condition modeste, le choix serait bien plus difficile à faire. Les allers-retours à l'hôpital, les lourds traitements, les soins infirmiers… Tout le monde ne peut pas se permettre cela et les enfants finissent parfois par être négligés ou même abandonnés. C'est pour cela que je parle d'un choix qui devrait être donné aux parents en suivant un protocole rigoureux pour ne pas entraîner de dérives.

- Je ne suis pas convaincu. C'est comme dire que les gens pauvres ne devraient pas avoir de famille nombreuse parce que pas capable de subvenir à leurs besoins, s'agaça Erik. Si Dieu donne…

Le mutant se figea brutalement. Il n'avait nullement envie de parler de sa religion, même avec Charles. Quant à Dieu…

- C'est pour cela qu'il faut être en mesure, légalement, de faire un choix, insista une nouvelle fois le télépathe. Pour que chacun puisse agir librement en fonction de ses convictions.

Erik ne répondit pas et Charles ne chercha pas à approfondir le sujet. Erik et lui étaient souvent en désaccords, parfois sur des sujets futiles, parfois sur des sujets sensibles mais dans tous les cas, le respect mutuel qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre les conduisait toujours à une argumentation polie. Ils ne cherchaient pas à se convaincre l'un l'autre, et la plupart du temps, malgré les divergences d'opinions, ils concédaient que chacun des points de vue était plausible.

- Je suis désolé d'avoir lancé ce débat, déclara Erik. Ce n'était certainement pas le moment.

- De quoi devrions-nous du parler alors ? interrogea Charles, les yeux rivés sur une peinture représentant un coucher de soleil.

- De ce que tu veux, répondit le mutant.

Mais Charles resta silencieux. Il comprenait ce qu'Erik cherchait à faire et il était animé de sentiments contradictoires, entre reconnaissance et agacement. Jamais personne n'avait autant insisté pour qu'il se confie. Il y avait bien Raven, mais la jeune femme n'aimait pas s'immiscer dans la vie de Charles quand ce dernier lui disait qu'il ne souhaitait pas parler. Alors le télépathe avait toujours été soulagé de constater que sa sœur n'insistait pas, qu'elle lui laissait le libre choix de lui raconter ce qui n'allait pas. Ce qu'il faisait parfois mais c'était assez rare.

Quand ils étaient plus jeunes, Charles et Raven se racontaient toutes leurs peines, tous leurs doutes sur leur mutation. Puis ils avaient grandi et ne ressentaient plus ce besoin de fusion, chacun était allé vers sa vie d'adulte.

Aujourd'hui, il devait admettre que malgré son amour pour sa sœur, il était incapable de lui parler de ses problèmes personnels. Il aimait trop la voir se reposer sur lui et dépendre de lui pour voir cette sensation changer. Elle le voyait comme un grand frère solide sur qui elle pouvait compter et il ne voulait pas qu'elle se rende compte que la plupart du temps il jouait ce rôle de professeur sûr de lui et légèrement imbu. C'était plus sécurisant que d'admettre qu'il était bien plus sensible que la plupart des autres en raison de sa télépathie, qu'il n'avait pas toujours le contrôle de celle-ci…

Mais maintenant il était épuisé de mentir, épuisé de faire semblant d'être confiant sur leur avenir, épuisé que tout le monde, ou presque, n'y voit que du feu. Il savait que ses compagnons, à l'exception d'Erik, avaient bu ses paroles quand il leur avait assuré qu'ils seraient en sécurité ici. Mensonge, car Charles n'en avait pas la moindre idée… Il avait simplement croisé le regard vif d'Erik, le seul à savoir le vrai fond de sa pensée, le seul à le comprendre. Cette prise de conscience l'effraya autant qu'elle le rassura. Il savait qu'Erik n'était pas le plus fiable des amis et qu'il pouvait disparaître du jour au lendemain. Mais devait-il pour autant se priver d'être écouté et compris ?

- J'ai téléphoné à la mère de Darwin, lâcha alors le télépathe brisant un silence installé depuis un moment. Je me suis dit que c'était à moi de le faire. Sais-tu ce qu'elle m'a dit ? Je suis sûre que vous avez fait de votre mieux pour le protéger. Mais avons-nous vraiment fait notre mieux ? Je veux dire : toi et moi sommes les seuls à pouvoir contrôler notre mutation pour la rendre offensive. Et nous sommes partis à des milliers de kilomètres en laissant les jeunes sous la protection d'agents de la CIA non habitués à la menace que peuvent être les pouvoirs d'un mutant... Et nous ne pouvons même pas enterrer Darwin….

- Charles, ce n'est pas parce que tu es télépathe que tu es responsable du monde entier ! répondit Erik en contrôlant sa voix pour ne pas montrer son incompréhension, l'idée que Charles prenne la responsabilité du meurtre commis par Schmidt lui était intolérable. Darwin avait presque ton âge. Ce n'était pas un enfant que tu as arraché à sa mère pour l'emmener à la guerre mais un homme qui a choisi de nous aider, un homme qui voulait en apprendre plus sur ce qu'il était !

- Tu ne peux pas comprendre, souffla Charles en baissant la tête. J'ai vu son esprit. Avec Cerebro ma puissance était si décuplée que j'ai tout appris de lui. Ses rêves, ses peurs, ses ambitions… Tout comme je connais ceux d'Alex, de Sean et même d'Angel. Mais de tous, Darwin est celui qui aimait le plus la vie. Il rêvait de fonder une famille dans un monde meilleur et était persuadé que nous, la Division X, pourrions changer les choses.

- Nous pouvons changer les choses, en éliminant Schmidt, affirma Erik avec conviction.

- Tu parles comme s'il était la clé de tout… Mais il y aura toujours un Schmidt pour détruire ce que nous construisons…

- Dans ce cas, il y aura toujours un Professeur X et un Magneto pour l'arrêter, conclut-il en tapotant la cuisse de Charles de sa main et accentuant les noms de codes stupides trouvés par Raven.

Charles se mit à rire légèrement mais Erik savait que c'était forcé et que ses mots n'avaient pas su apaiser le télépathe. Son expression était fermement figée dans un froncement de sourcils sévère et décidé mais Erik pouvait y lire la souffrance et la peine. Il savait que Charles était un homme sensible et qu'intérieurement, ses sentiments devaient bouillir et être intolérables mais il comprit qu'il se forçait pour rester digne et ne pas montrer un signe de faiblesse. Le mutant ne savait pas si c'était une bonne chose. Évidemment, il n'avait aucune envie de consoler un homme en pleurs mais il s'était attendu à moins de contrôle dans l'expression son visage, un signe qui aurait rendu cohérente l'étreinte amicale qu'Erik n'osait offrir.

- Nous devrions rentrer, les autres vont s'inquiéter de ne pas nous voir, dit Charles en descendant du meuble, retrouvant au passage un air neutre.

- Nous n'avons pas quinze ans, sourit Erik. Je me sens plutôt bien ici !

- Et bien, tu as vu où je cachais la clé. N'hésite pas à venir quand tu veux, offrit Charles en tendant la clé à Erik avec un sourire.

Contre toute attente, ce geste mis Erik en colère. Charles imaginait qu'il aurait envie de revenir ici sans lui ? Il n'avait donc rien compris. Ce qu'Erik appréciait, c'était l'intimité de ce lieu qui lui avait même permis de mentionner librement son passé. Il aimait les tableaux mais ce n'étaient pas eux qui le détendaient. C'était Charles, juste Charles qui arborait maintenant un sourire déplaisant et faux.

- Arrête de sourire, siffla Erik en repoussant la main de Charles si brusquement qu'il en lâcha la clé. Tu ressembles aux gens qui te disent tout ira bien mais qui n'en pensent pas un mot. Tu n'as pas besoin d'être quelqu'un d'autre pour être apprécié, pas par moi en tout cas.

Erik remarqua toutes sortes d'expressions animer le visage de Charles : la surprise, la colère, l'incompréhension, l'anxiété…

- Qu'est-ce que tu en sais ? lâcha Charles d'un ton amer qu'Erik ne lui connaissait pas. Tu ne me connais pas assez pour savoir si tu apprécierais ce qu'il y a sous le masque, Erik !

- J'ai déjà vu sous ton masque, idiot ! soupira le mutant. Tu as peur de ton pouvoir car tu aimes sa puissance et tout comme moi, tu aimes te sentir supérieur. Seulement tu n'acceptes pas l'idée et tu culpabilises. Tu emplois donc ton énergie à te convaincre que tu es quelqu'un de bien en t'imposant une éthique. Mais tu nourris encore ton besoin de pouvoir car au final tu permets aux autres de penser en liberté en ne venant pas lire dans leurs têtes, tu as le pouvoir d'en décider autrement, et tu aimes ça.

Charles ne chercha ni à nier ni à affirmer. Le visage impassible, il ramassa la clé tombée à terre pour la poser sur le meuble.

- N'oublie pas de refermer derrière toi, dit-il seulement avant de tourner le dos à Erik et quitter rapidement le petit atelier.

Erik se maudit, peut-être avait-il été trop loin, peut-être s'était-il complètement trompé ? Mais dans ce cas, pourquoi Charles n'avait-il pas protesté ? Pourquoi l'avait-il ignoré avec une indifférence proche du mépris ?

Brillant Erik, Charles n'est pas dans son assiette et toi tu trouves le moyen d'empirer les choses… songea le mutant avant de froisser d'une main les portraits de Raven et Charles réalisés rapidement, partagé entre l'envie d'aller s'excuser et celle de creuser plus loin encore…