Avant toutes choses, un grand bravo à tous ceux ayant deviné que Leah était en réalité Hela, et oui, c'est bien la déesse des morts depuis le début.

Depuis le temps, Tony devrait être habitué à la trahison. Celle de son père, qui n'a jamais fait mystère du choix qu'il effectuerait entre sa chair et son sang et une expérience scientifique égarée dans les glaces du Pôle Nord. Celle de Jarvis, qui a caché l'anévrisme occupé à enfler dans son artère jusqu'à ce que ce soit trop tard. Celle de Stane, qui a souri et joué l'oncle sympa tout en élaborant meurtres et vols.

Il devrait être habitué. Pourtant, son monde ralentit, le réacteur dans sa poitrine s'alourdit, les mots sur sa langue s'émiettent en cendres poudreuses alors qu'il fixe le visage à moitié ravagé de Mary Poppins, de Leah Locke, de Hela.

Elle a menti.

Leah a toujours formulé haut ses opinions, elle ne se gênait jamais pour crier après Tony et le traiter d'idiot mais c'était toujours avec affection et il savait, il a toujours su qu'il pouvait lui demander son aide et elle la donnerait parce que c'était le genre de personne qu'elle était, il la connaissait comme on connaît sa sœur mais voilà elle a menti…

Et le grand blond avec son marteau est en train de s'avancer, l'air menaçant, et Leah ne réagit pas.

Et Tony se place entre eux deux, sans réfléchir, comme on respire ou on marche, c'est un réflexe et c'est tout.

« Stark » gronde la montagne de muscles, et wow c'est plus un grondement de tonnerre qu'une voix normale qu'il a, « vous ne savez pas de quoi vous vous mêlez. »

« C'est mes origines italiennes » rétorque l'ingénieur qui sent son cœur battre à tout rompre derrière le réacteur, « je suis allergique aux grands types qui ont l'air de vouloir cogner une dame. »

Du coin de l'œil, il aperçoit Capsicle remuer, les lèvres frémissant comme pour ravaler un sourire, excédé ou approbateur il en a aucune idée.

De son côté, Point Break semble à deux doigts de l'infarctus, écarlate qu'il est.

« Il n'est pas de dame dans votre dos, rien qu'une abomination » crache-t-il, avec conviction.

Là, c'est Bruce Banner qui remue, un bref éclat vert passant dans ses yeux.

« J'ai dû mal lire ma mythologie, alors » intervient une voix pas très sûre d'elle, attendant de se faire déloger à coups de croquenot au derrière, « parce que les légendes affirment toutes que Hela Lokadottir est une déesse. La déesse des morts sans gloire, pour être précis. »

Black arbora un air traqué quand l'attention générale s'abattit sur lui, puis soulagé quand tout le monde se détourna de nouveau vers Leah avec son maquillage inachevé de mort-vivante.

« Des morts ? »

« Une déesse… ? »

« Lokadottir ?! »

Leah sourit, dévoilant aussi des dents impeccables que d'ignobles chicots.

« C'est toujours agréable quand les gens étudient vraiment le matériel. Oui, je suis Hela, qui règne sur le séjour des morts, et ma mère est Loki. »

« … Je croyais que Corne de Bouc était un mec… ? »

« Oui, et alors ? »

« Cessez d'évoquer ces perversions » gronda Hammertime, l'air autant furieux qu'effaré.

Leah lui renvoya un regard méprisant. Bizarrement, son œil aveugle à la couleur croupie accentuait très bien.

« Mon cher tonton » susurra-t-elle, sa voix sucrée comme l'arsenic, « nie tant que tu voudras, tu as devant toi la preuve que les gars peuvent être des filles, parfois. Et avoir des petits copains. »

« Au cas où vous l'auriez oublié, nous ne sommes pas ici pour discuter homophobie et politiques du genre » aboya Fury, une veine palpitant au coin de sa paupière. « Nous sommes ici pour évaluer un potentiel risque à la sécurité de notre opération. »

« Ah » souffla Leah, « vous craignez donc que je sois en contact avec ma mère ? Pour ça, il faudrait que j'ai eu contact avec lui. Je veux dire, après l'instant où le Roi d'Asgard m'a arraché de ses bras parce que laisser un prince élever la progéniture qu'il avait eu d'un rapport homosexuel aurait été un outrage à la morale des Ases. »

« Nous n'avons que votre parole là-dessus » grinça le super-espion. « Et vu que vous avez passé environ dix ans sous couverture, excusez-nous de ne pas vous croire, surtout vu le manque de preuves. »

La femme-déesse émit un petit bruit amusé.

« C'est vrai. Vous n'avez aucune raison de me croire. Je pourrais vous tuer tous, ou vous paralyser, avant de récupérer ma mère et de m'en aller, juste en claquant des doigts. »

« Vous bluffez » affirma platement Natasha. « Vous n'avez pas ce genre de capacités. »

« Je suis une déesse. Et vous venez d'établir que je suis une menteuse. »

Déjà glaciale, l'atmosphère de la pièce se fit oppressante, irrespirable à force de tension. Sur le visage défiguré de Leah, un sourire s'épanouit.

« Maintenant, voilà toute la question : pourquoi ne l'ai-je pas déjà fait ? »

« … L'esprit d'un magicien est tordu par essence » décréta Point Break, qui semblait vouloir se rassurer. « Ils suivent leurs plans élaborés, qui n'ont de sens qu'à leurs propres yeux. »

« Ceci est une hypothèse, pas une réponse. Dans les faits, ai-je agi une seule fois contre les intérêts de SHIELD ou de mon employeur à Stark Industries ? »

Entendant le nom de son entreprise, Tony décida qu'il était temps d'intervenir pour empêcher ce désastre d'évoluer en franche apocalypse.

« Leah, on doit parler. Tous les deux. »


« Vous ne pouvez pas être sûr qu'elle ne va pas le manipuler. »

Intérieurement, Fury concédait que l'extraterrestre blond présentait un excellent argument. Ceci dit, le gars était visiblement aussi loin qu'il était possible de l'être sans quitter l'orbite terrestre d'être un observateur impartial. En partie à cause du lien de parenté, en partie à cause des talents arcanes de Locke – du peu que Nick savait de la culture Viking, ils étaient quand même de sacrés bourrins. Et la magie était une question de subtilité.

Il garda son attention focalisée sur l'écran où apparaissaient Stark et Locke.

« Elle le côtoie depuis onze ans » se borna-t-il à répondre. « Elle sera plus vulnérable avec lui. »

Le Directeur de SHIELD s'y connaissait en agents compromis, déformation professionnelle oblige. Ça sautait aux yeux que Locke était totalement compromise en ce qui regardait son employeur. Des années à jouer son rôle de nounou et gouvernante avaient déteint sur elle, si bien qu'elle hésiterait, au moins, avant de commettre un acte qui pourrait mettre en danger les Stark ou sa relation avec eux.

Maintenant, si Stark pouvait comprendre cela…

L'homme en question arborait la mine implacable de l'iceberg juste avant d'éventrer le Titanic, les bras croisés sur la poitrine. En face de lui, Locke avait repris un visage entier, mais vu la direction de son regard qui passait juste un peu au dessus de l'épaule de son vis-à-vis, elle aurait préféré se trouver ailleurs.

« Alors » finit par lâcher Stark, « tu ne t'appelles pas Leah. Heu, combien de temps tu as réfléchi avant de trouver l'anagramme ? »

« Deux semaines ? Je… j'avais du mal à saisir le temps, à l'époque. »

« A l'époque. Juste avant de venir ? »

« … Oui. »

« Et c'était quand ? »

« Un petit peu avant que je t'amène Johnny. Mais… j'avais effectué des visites sur Terre, avant. »

D'accord, songea Nick, c'était bel et bien une catastrophe si un visiteur alien pouvait venir se promener sur la planète et en repartir sans attirer l'attention. Pourquoi Locke n'aurait-elle pas pu émuler le très bruyant, voyant et indiscret Thor Odinson ?

« Okay… Je peux comprendre, on a des attractions chouettes, les Chippendales, Disneyland Paris et tout ça. De quoi vouloir émigrer tout de suite, hein ? »

« Un petit peu, oui... »

Stark explosa.

« Non mais tu te fous de qui, là ? Tu crois que je vais gober, quoi, t'es venu, t'as vu, t'es restu ? Ça marche pas comme ça ! »

Locke ne pipa mot, ses yeux fixant toujours le vide tandis qu'elle se triturait les doigts.

« Mais dis quelque chose, bon sang ! Défends-toi ! »

« Pour quoi faire ? » demanda Locke, la voix étranglée. « Tu ne me croirais pas. »

Ouaip, cette situation était bel et bien catastrophique.