Chapitre 1 – L'héritière

C'était un jour bien morne pour un mois d'août à Londres. La pluie tombait déjà depuis quelques heures quand on vint sonner au 24, square Grimmaurd. Une femme s'approcha de la porte d'entrée et l'ouvrit lentement, son visage triste reprit un peu de vie en voyant la personne qui se tenait sur le perron.

- Albus ! Quelle surprise !

- Amalia, que tu as changé...

Le vieux sorcier arborait un sourire bienveillant.

- Entre je t'en prie !

Elle accompagna ses mots d'un geste de la main.

- Je n'ose te demander comment tu vas, au vu des circonstances…

Dumbledore passa la porte d'entrée et patienta, les mains croisées devant lui.

- … C'est aimable de ta part de m'éviter une fois de plus, d'avoir à cacher ce que je ressens vraiment.

Le vestibule était petit et sombre à cause de la vieille tapisserie vert impérial, pourtant elle s'anima grâce aux mouvements des personnages en photo, soigneusement encadrées. La jeune femme poussa la porte du salon qui était entre-ouverte et invita Dumbledore à s'asseoir dans l'un des fauteuils près du feu. La salle était aussi obscure que l'entrée mais à la place des cadres, de grandes bibliothèques occupaient les murs. Deux fenêtres drapées de lourdes tentures laissaient une faible lumière passer, l'âtre apparaissait alors comme l'endroit le plus confortable de la pièce.

- Il va de soit que je referai prochainement une décoration plus… à mon goût, expliqua la dénommée Amalia en regardant autour d'elle. Je ne pensais pas recevoir cette maison.

Elle marqua un temps pendant lequel elle tritura l'extrémité de ses manches et parut être ailleurs, comme troublée par ses propres mots.

- C'est étrange quand on y pense, qui d'autre aurait pu en hériter au décès de mon père ?

- Les vivants réfléchissent rarement à la mort et à ses conséquences matérielles aussi futiles soient-elles, commenta Dumbledore en s'asseyant. Ton père vivait ici seul depuis la disparition de ta mère ?

- Oui, je lui rendais visite assez souvent mais j'ai préféré prendre mon indépendance lorsque j'ai commencé à enseigner à l'université. Cette vie de moldue ne lui plaisait guère.

Elle regarda dehors et soupira.

- J'allais faire du thé, puis-je t'en proposer ?

- Bien volontiers, je te remercie.

Pendant que l'eau chauffait, Dumbledore se leva et inspecta les reliures en cuir des ouvrages posés sur les étagères. Certains avaient la tranche abîmée, d'autres avaient été réparés et semblaient d'une époque lointaine.

- Je vois que ton père ne gardait aucun exemplaire de ses propres livres.

- Hum… C'est vrai. Certainement par humilité. Il avait conscience de son talent et savait également que la vanité pouvait le corrompre.

La jeune femme alla dans la cuisine et revint avec un plateau en argent sur lequel était posé une petite assiette avec quelques biscuits secs, une bonbonnière bleue aux bords dorés, deux tasses et une théière assorties ainsi qu'un petit pot de lait. Elle le posa sur le guéridon, entre les deux fauteuils.

- Sirius est-il venu te voir ? interrogea le sorcier.

- Effectivement, c'était un des premiers. Il m'a tout de suite proposé de l'aide pour trier les affaires mais j'ai refusé. Sa situation est délicate depuis son évasion et le décès de papa a été médiatisé. Trop d'yeux sont tournés vers cette maison. Je me seras bien passée également des unes de la Gazette du Sorcier à ce sujet…

Elle se pencha en avant et servit le thé puis rapprocha l'assiette de la seconde tasse.

- Je suis désolée, je n'ai pas eu de temps d'en faire moi-même.

- Ah ! Il est vrai que tes biscuits à la citrouille me manquent !

La femme acquiesça de la tête, flattée par le compliment. Son regard était tourné vers le feu, un voile passa devant ses yeux.

- Cependant, je me doute des raisons de ta visite. La simple courtoisie ne t'a pas poussé à venir me présenter en personne tes condoléances, en particulier depuis l'incident de la Coupe du Monde de Quidditch…

- Tu as vu juste, répondit Dumbledore en souriant tristement. Comment gères-tu tes pouvoirs ?

- Dernièrement très mal. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai déménagé ici, mes voisins devenaient soupçonneux et curieux. Pourtant, je suis confiante, la situation devrait se stabiliser. Avec ce qui s'est passé, il me semble normal que tout soit flou…

- Je ne pense pas que cela soit la seule explication.

- Que veux-tu dire ?

- N'as-tu as l'impression d'être plus… puissante ? questionna Dumbledore avant de boire une gorgée de thé.

- Je ne dirai pas puissante, quelque chose grandit en moi et se déchaîne. Il m'arrive de vouloir faire quelque chose et sans m'en rendre compte, cela se réalise.

- Amalia, tu dois être entourée, tu ne peux pas rester ainsi.

Il la regarda d'un air grave et continua.

- Cette perte aussi difficile soit-elle, a révélé au monde magique où tu te cachais ces dernières années. Tu ne peux plus mener une vie de moldue en ignorant le monde qui est le tien.

Il manqua une pause, prit le petit pot de lait et en versa une larme dans son thé.

- Les Mangemorts se mettent en ordre de bataille, ils sentent la présence de plus en plus grande de leur maître. Ils ne tarderont pas à s'approcher de toi pour te convaincre de les rejoindre.

- Je ne vois pas ce qui aurait changé depuis tout ce temps. Si j'ai pris mes distances avec la magie c'est justement que chaque sortilège me rappelait ce que ces monstres avaient pu faire... Comment peuvent-ils penser que je les rallierais après cela ?

Sa voix prit une sonorité particulière, comme un orage qui gronde au loin.

- Le pouvoir magique sait envahir le cœur des hommes et se transformer en quelque chose de noir et d'absurde. La colère et l'envie de revanche pourraient être des raisons suffisantes pour te faire changer de camp.

Amalia s'enfonça dans son fauteuil. L'idée même qu'elle puisse revenir au monde des sorciers était une épreuve alors faire cela pour devenir un mage noir était encore plus saugrenu. Dumbledore tendit une main et serra celle de la jeune femme.

- Je suis désolée, j'oublie à quel point tu me connais ainsi que la clarté de mes intentions. Bien que j'ai décidé de rester à l'écart, je ne cesse d'aimer la magie pour ce qu'elle a de plus beau, de plus simple et de merveilleux.

- C'est pour cette raison que je suis venu, j'ai un service à te demander et il est fort possible qu'il te soit également utile. J'aimerais que tu viennes enseigner à Poudlard, tu as tellement à transmettre en ces temps troubles. Je suis certain que tu gagneras autant que ce que tu donneras. Et puis…

Dumbledore hésita, il la regarda avec affection.

- Je pourrais comprendre que tu ne veuilles pas mais, tu sais qu'il sera là.

- Hum, oui, il vient d'avoir quatorze ans,…

- Il ressemble de plus en plus à ses parents.

La voix du vieil homme se tue dans un soupir. Amalia se leva et s'appuya sur le bord d'une des fenêtres, le front posé sur la vitre froide. Son souffle provoqua de la buée, occultant quelques instants les silhouettes noires qui courraient dehors pour s'abriter de la pluie. Le contact glacé du verre lui fit du bien, il lui rappela que tout ce qu'elle venait de vivre était bien réel et qu'elle ne devenait pas folle.

- Quelle matière ?

- Je te demande pardon ?

- Quelle matière souhaites-tu que j'enseigne ? A l'université je suis professeur d'économie et de sciences politiques. Ce ne sont pas des disciplines que l'on trouve à Poudlard.

Dumbledore demeura silencieux, il attendit qu'elle se retourne pour répondre.

- Mr. Binns est un professeur pratique je dois l'admettre, il ne nous coûte rien mais ses cours ne sont plus… d'actualité !

- Tu me demandes de reprendre l'Histoire de la Magie ? s'étonna-t-elle.

- J'attends de toi que tu mettes fin à de longues décennies de tortures mentales ! Penses-tu en être capable ?

Amalia regarda à nouveau dehors les nuages gris dans le ciel en repensant à ce qu'elle laisserait derrière elle. L'université arriverait bien à lui trouver une remplaçante quant à ses élèves, ils l'auraient vite oubliée. Peu d'amis et des relations espacées avec ses collègues, la perspective de quitter Londres avait un certain charme et un côté aventureux.

- Très bien, j'accepte. Après tout, je n'ai plus vraiment de raison de rester à Londres.

Le vieux directeur se mit debout d'un coup, les bras ouverts et le sourire aux lèvres.

- Me voilà un peu plus rassuré, dit-il en refermant son étreinte autour des épaules d'Amalia.

- Mais il n'est pas question que j'ai une chambre dans les cachots du château ! s'amusa la jeune femme.

- Non non, je ne réserve ce traitement qu'aux élèves de Serpentard ! se moqua-t-il avant de reprendre son sérieux ordinaire.

- Merci Albus…

- C'est plutôt moi qui devrais te remercier, c'est un honneur que tu acceptes d'entrer à Poudlard autrement qu'en qualité d'élève.

- Tu sais très bien ce que je veux dire, rien ne t'obligeait à te soucier de mon sort.

- Je le dois bien à la mémoire de ton père. Il y a aussi un détail que je dois te révéler : cette année l'école reçoit le Tournoi des Trois Sorciers, il y aura beaucoup de monde et de mouvements…

Le reste de la discussion tourna principalement sur la vie londonienne et les détails banals d'une vie Moldue puis sur les matières qu'Amalia enseignera aux élèves.

- Bon, comme convenu, nous nous retrouverons à Poudlard d'ici quelques jours. Ne rates pas ton train, j'en serai navré…

- Oui Albus, je me souviens encore de la manière d'accéder au Poudlard Express bien qu'après toutes ces années, il me parait étrange que le chef de gare n'ait rien remarqué… Des personnes avec des vieilles malles et des cages contenant des hiboux et des rats, c'est un peu bizarre !

- Ah ! L'avantage des grandes villes, plus personne ne trouve cela surprenant !

Dumbledore salua la jeune femme avant de sortir par la porte d'entrée, la pluie s'était calmée et les passants avaient cessé de courir. Les bruits de la ville reprenaient le pas sur la quiétude relative que cette averse d'été avait apporté. L'odeur musquée de pétrichor provenant du parc arboré juste en face de la maison, avait quelque chose de réconfortant.

oOo

La petite maison possédait un rez-de-chaussée composé d'un long couloir, d'une pièce de vie et d'une grande cuisine dans laquelle il était possible de manger à plusieurs. Un escalier conduisait au premier étage où s'alignaient deux vastes chambres et un bureau. L'accès au grenier était aménagé dans le passage. En montant les barreaux de l'échelle, Amalia sentit son cœur de serrer, elle franchit la trappe et entra dans une autre ambiance.

La pièce était poussiéreuse et plongée dans le noir, de grandes malles entreposées contre les pentes du plafond occupaient la majeure partie de la place. Par endroit, les écarts entre les lattes du toit permettraient à des fuseaux de lumière de passer laissant apparaître une multitude de peluches qui virevoltaient sur son passage. Elle brandit une lampe torche et s'approcha avec précaution du centre de la pièce, une ampoule pendait à hauteur d'yeux. Elle saisit la chaînette et tira d'un coup sec. Le grenier fut alors baigné d'un halo jaune, l'ampoule grésillait faiblement. Amalia s'assit devant un tas de valises et de malles, l'une d'elles était en cuir brun avec des fermoirs en métal cuivré. Elle enleva les premiers paquets posés dessus et les déposa au sol pour ouvrir la malle. En plaçant ses mains dessus, elle sentit des fourmis lui chatouiller le bout des doigts, la sorcière n'avait pas ressenti cette sensation depuis des années. Amalia poussa le couvercle et pencha la lampe torche vers l'intérieur du coffre. Il contenait des vêtements élimés, des livres dont les couvertures s'animaient en voyant la lumière, des objets aux formes inattendues et un petit coffret. Elle le prit dans ses bras et alla s'asseoir sur un vieux canapé mangé par les mites. Une chaleur étonnante s'échappait du bois, la jeune femme l'ouvrit en retenant son souffle. Une longue baguette d'un bois brun rougeâtre avec des points orange et quelques minuscules tâches jaunes s'y trouvait, posée sur une pile de photographies. Elle murmura en la saisissant :

- 24,6 centimètres, en merbau, cœur en nageoire de sirène, perle de labradorite. Son grain est moyen et son veinage discret, c'est un matériau résistant, très stable qui ne bouge pas dans le temps…

C'étaient les mots que le fabriquant de baguette Ollivander avait prononcé en vérifiant l'objet lorsqu'elle fit son entrée à Poudlard et reçut cette baguette de forme un peu particulière. L'extrémité était carrée, le bois s'ouvrait en spirales aux arrêtes droites puis revenaient vers le manche de telle manière qu'elles formaient une cavité dans la baguette. A l'intérieur, une bille de labradorite d'un vert extraordinaire s'y logeait. Enfin, elle se terminait par un manche lisse. Amalia posa délicatement sur le canapé sa baguette puis elle prit les photos sépia qui couvraient le fond du coffret. Elles représentaient toutes des jeunes adultes entourant une fille plus petite qu'eux, ils souriaient et portaient de longues capes noires avec un écusson en forme de lion, ils faisaient des signes de la main vers l'objectif. Une série de portraits en particulier attira son attention : sur le premier cliché une très belle femme assise tendait un bébé à la jeune fille, la légende grattée à la plume indiquait « Naissance de Harry » sur le suivant il y avait un homme grand avec des lunettes qui pointait sa baguette vers un balai l'air affolé alors que la personne assise dessus tombait enfin sur le dernier, un jeune homme brun avec un air arrogant fixait le photographe le pouce en l'air et attrapait une adolescente blonde pour l'embrasser sur le front, figeant celle-ci dans une expression troublée.

Une larme perla sur la joue d'Amalia, elle l'essuya d'un revers de main et referma le coffret, saisit sa baguette qu'elle tendit vers la malle.

- Accio coffre en cuir !

La malle glissa à ses pieds en laissant derrière elle un panache de poussière grise, toute la pièce était maintenant animée par les grains de saleté qui retombaient lentement sur le sol. La sorcière passa une partie de la soirée à trier des vieux vêtements et en enfourna une partie dans le lave-linge du rez-de-chaussée, plia soigneusement le reste dans des valises vides et descendit la grosse malle en cuir par la trappe du grenier, non sans avoir pesté à de nombreuses reprises.

oOo

Quelques jours plus tard, un étrange courrier arriva dans sa boite aux lettres, une enveloppe jaunie avec un cachet en cire rouge contenait une lettre et un billet de train. Le parchemin indiquait :

Poudlard, le 1er septembre, quai 9 ¾ comme d'habitude.

Le billet de train était imprimé sur un papier doré, la date et la destination étaient notées en haut à gauche, son nom était au centre du document : Amalia Richards. Elle était enfin prête à partir.


Prochain chapitre : Poudlard Express