Note : Cette histoire se déroule en parallèle des événements de ma fic "A bout de souffle". Si vous ne l'avez pas encore lue et que vous comptez le faire, je vous conseille d'aller la lire d'abord :) .

Bonne lecture !


Lundi, 15h.

Quelque part dans la chambre d'hôtel où Adrien a élu domicile, un téléphone sonne.

Allongé sur son lit, bras en croix, le jeune homme reste immobile. A une heure pareille, il sait pertinemment qui tente de le joindre, et cette personne est la dernière à qui il a envie de parler. Alors, le regard résolument rivé au plafond, il laisse s'égrener les secondes en ignorant la sonnerie insistante de l'appareil.

Pour tenter de se distraire de ce son oppressant qui emplit à présent toute la pièce, Adrien effectue un rapide calcul mental.

Trois semaines.

Aujourd'hui, cela fait exactement trois semaines depuis qu'il s'est envolé pour les Etats-Unis.

Trois semaines depuis qu'il a abandonné son miraculous.

Trois semaines depuis qu'il a découvert que son père n'était nul autre que le Papillon.

Adrien porte machinalement ses doigts à sa tête et se masse doucement les tempes pour tenter de chasser la migraine qui menace de lui fendre le crâne en deux. Il ne veut pas penser à son père. Pas maintenant. Le choc est encore trop récent, la blessure encore trop vive.

Au bout de plusieurs interminables secondes, le téléphone cesse enfin de sonner. Adrien laisse échapper un profond soupir de soulagement et ferme brièvement les yeux, savourant le silence qui s'installe de nouveau dans sa chambre. Puis, lentement, il rouvre les paupières et tourne légèrement la tête en direction de l'appareil.

Du coin de l'œil, il aperçoit un bref signal.

Une lumière qui clignote faiblement sur son écran, une fois, deux fois, lui indiquant que son interlocuteur est en train d'enregistrer un message.

Poussant un nouveau soupir, Adrien se passe une main lasse sur le visage.

Aujourd'hui, cela fait également trois semaines que son père tente désespérément de le joindre.

Tous les lundis, à 15 heures précises, Gabriel Agreste essaye de lui téléphoner depuis la prison parisienne où il attend probablement son jugement.

Et tous les lundis, à 15 heures précises, Adrien met tout autant d'acharnement à ignorer ces appels de son illustre géniteur.


Les semaines défilent et Gabriel continue d'essayer de contacter son fils unique. Il tente de l'appeler tous les lundis à 15 heures, avec une précision digne d'une horloge suisse ou du monstre assoiffé de contrôle qu'il a toujours été.

Au fin fond de son désespoir, Adrien ne peut que constater l'ironie de la situation.

Fuir. C'était donc ça qu'il fallait faire pour attirer son attention du célébrissime Gabriel Agreste.

Cela ne servait à rien de faire en sorte d'être le fils parfait dont il a toujours rêvé. De sacrifier son propre bonheur pour chercher à lui faire plaisir. De lui offrir des cadeaux qui finissaient toujours ignorés. De se lancer dans des tentatives désespérées de conversation dans l'espoir impossible de renouer leurs liens familiaux.

Il suffisait juste de partir. D'échapper au contrôle de cet homme qui déteste plus que tout que le monde tourne sans son accord.


Le temps passe, et Adrien sombre de plus en plus. Il alterne entre des colères orageuses qui ne lui ressemblent guère et une apathie telle qu'il est parfois capable de rester enfermé des jours entiers sans voir la lueur du soleil.

Parfois, il a l'impression d'être prisonnier de sa propre tête.

Il pense, pense, pense, pense sans cesses.

A son père, à Ladybug, à Plagg, à Chat Noir. Aux combats qu'il a menés pendant des années. A cette vie de famille dont il a toujours rêvé et qui lui a été arrachée de la plus cruelle des façons qui soit. Au choc qu'il a ressenti en découvrant que derrière le masque de son pire ennemi se cachait celui dont il cherchait désespérément l'approbation.

Sans qu'Adrien le veuille, les souvenirs se bousculent, les hypothèses s'amoncellent et les pensées se succèdent à une cadence infernale.

Ces jours-là, il voudrait juste dormir. Eteindre son cerveau, débrancher ses neurones, appuyer sur un quelconque bouton « Off » qui permettrait d'arrêter la tempête qui se déchaîne sous son crâne.

Juste un instant.

Pour cesser de réfléchir.

Juste une minute, juste une seconde.

Et qu'il puisse être en paix.

Enfin.


Jamais Adrien n'aurait cru qu'il puisse être possible d'aimer et de haïr quelqu'un en même temps.

Il déteste son père pour avoir fait de sa vie un enfer. Pour avoir trahit tout ce en quoi il croit, pour avoir préféré se tourner vers une obscure magie plutôt que de prêter attention à son fils unique, pour avoir mis tant de fois sa vie et celle de sa Lady en danger.

Et pas seulement.

Il lui en veut aussi de le faire se sentir coupable.

Coupable de ne pas l'avoir arrêté plus tôt. Coupable de ne pas avoir compris qui son père était réellement. S'il avait été plus attentif, s'il s'était montré un meilleur fils, peut-être aurait-il réalisé par lui-même que le Papillon n'était nul autre que Gabriel Agreste. Et alors, peut-être aurait-il pu l'empêcher de nuire sans tout ce déferlement de violence. S'il avait mieux compris cet homme, peut-être même aurait-il pu faire en sorte qu'il n'ait jamais besoin de se tourner vers la puissance des miraculous.

Il déteste son père.

Du plus profond de son âme.

Mais pour autant, il n'arrive pas à ne pas l'aimer.

Il voudrait le haïr. Il le voudrait, avec un désespoir presque viscéral. Ça serait plus simple. Plus facile. S'il ne ressentait plus rien d'autre que de la haine pour son père, il arriverait certainement à tourner plus facilement la page. A remonter à la surface de cet océan de désespoir au fond duquel il sombre depuis qu'il a appris que Gabriel Agreste était l'ennemi de Paris.

Mais sa volonté n'est manifestement pas suffisante pour passer outre des années passées à se languir de l'affection de cet homme.

Il continue à tenir à son père, malgré tout.

Adrien n'en peut plus d'avoir le cœur ainsi écartelé en deux.

Il ne peut pas ne pas aimer son père, il ne peut pas ne pas le détester non plus.

Chaque souvenir qu'il a de Gabriel Agreste est désormais teinté du pourpre du Papillon. Quand il tente de se remémorer la voix de son père, il entend derrière elle l'écho haineux des paroles du Papillon. Chaque fois qu'il ferme les yeux et qu'il revoit son visage, le masque de son ennemi se superpose aux traits de celui qui lui a donné la vie.

Les jours d'Adrien sont un enfer pavé de violet et de noir, et ses nuits sont hantées de cauchemars dont il se réveille avec la sensation qu'on le poignarde en plein cœur.

Avec une précision terrifiante, il se rappelle de la moindre blessure qu'a subi Chat Noir. De chaque rebuffade qu'a dû essuyer Adrien. De la peine, de la peur, de la douleur. Toutes ces souffrances, infligées par un seul et même homme.

Et tout ça pour quoi ?

Il n'est même pas certain de vouloir le savoir.

Il voudrait tellement détester son père. Uniquement le détester.

Ou mieux encore, ne plus ressentir que de l'indifférence. Le chasser de sa vie sans que ça ne l'affecte le moins du monde.

Il le voudrait, de toutes ces forces.

Mais il n'y arrive pas.


Les semaines défilent et Gabriel Agreste continue d'appeler Adrien tous les lundis, à 15 heures. Sans la moindre exception ni le plus petit retard.

Selon son humeur, le jeune homme réagit différemment à ces tentatives acharnées de le joindre.

Parfois, il laisse résonner la sonnerie dans la plus parfaite indifférence, avant d'effacer le message que laisse systématiquement son père. D'autres jours, il se rue vers son téléphone et coupe l'appel dès la première seconde. Parfois même, il éteint l'appareil avant même qu'il ne soit 15 heures, préférant s'épargner ce son qui ne lui rappelle que trop bien que Gabriel Agreste reste déterminé à ne pas le laisser fuir sans tenter de lui parler au moins une fois.

Dans son refus obstiné d'écouter les messages de son père, Adrien ignore ce que ce dernier cherche à lui dire avec tant d'obstination.

Peut-être souhaite-t-il s'expliquer. Se justifier. S'excuser.

Peut-être veut-il juste le sommer de retourner en France et de reprendre les rênes de son immense empire.

Il n'en sait absolument rien et pour l'heure, il n'a pas envie de savoir. Un jour, il le sait, il devra trouver la force d'affronter son père.

Mais pas maintenant.

Il n'est pas prêt.


Un jour, Chloé et Nino rejoignent Adrien à l'improviste. Trop inquiets pour lui, ils ont préféré traverser l'Atlantique pour venir le soutenir en personne plutôt que de rester à Paris avec l'impression de ne rien pouvoir faire pour lui.

Pendant des semaines, des mois, ils font preuve d'une loyauté sans faille. En dépit des premières réticences d'Adrien, ils l'écoutent, le secouent, le conseillent, l'aident à garder la tête hors de l'eau. Avec leur soutien, le jeune homme apprend lentement à reprendre goût à la vie. Il se confie sur ses peurs, ses doutes, leur avoue même avoir été Chat Noir.

Mais la guérison est lente et difficile, et bien souvent, Adrien replonge dans cette dépression qui ne cesse de vouloir l'aspirer vers le fond.

Et tous les lundis, à 15 heures, son père ne cesse de tenter de le joindre.

- « Hey, ton téléphone sonne », le prévient un jour Nino en se tournant instinctivement vers l'appareil.

- « Non, attend ! », s'exclame aussitôt Adrien.

Mais trop tard.

Nino a vu l'écran de son téléphone, et le nom de la personne qui tente de le joindre.

- « C'est… », commence-t-il avec une hésitation évidente.

- « Je sais », le coupe Adrien d'une voix tranchante.

Ignorant le regard éloquent que lui jette Nino, Adrien se lève, s'empare de son téléphone et efface le message de son père sans même l'écouter. Il laisse retomber l'appareil, puis se passe une main lasse sur le visage.

- « Je ne veux pas en parler », soupire-t-il.


Entouré de l'affection de Chloé et Nino, Adrien remonte doucement la pente. Il va mieux, de jour en jour.

Après leur départ, il commence à considérer différemment les appels de son père. Certes, il lui en veut toujours pour ce qu'il lui a fait subir. Et certes, il ne décroche pas plus qu'avant lorsqu'il lui téléphone, pas plus qu'il n'écoute ces paroles qu'il lui laisse systématiquement sur son répondeur. Mais désormais, il n'efface plus ses messages.

Adrien va mieux, au point qu'il commence maintenant à se dire que le pire est désormais derrière lui.

Bien sûr, tout n'est pas si simple. Sa dépression a reflué mais elle reste tapie dans l'ombre, à l'affut de la moindre faiblesse. Certaines fois, elle le noie de nouveau dans une détresse étouffante ou le renferme dans cet état d'apathie dont il a eu tant de mal sortir.

Un jour, un lundi précisément, elle le plonge dans un tel état de rage que dès l'instant où son téléphone sonne, Adrien se sent saisit d'une folle envie fracasser l'appareil contre le sol. Il est 15 heures et pour une fois, il voudrait juste être tranquille. En paix, sans un perpétuel rappel de cette dure réalité parisienne dont il cherche encore à se remettre.

De colère, le jeune homme donne un violent coup de poing contre un mur. Et finit à l'hôpital avec deux doigts cassés, un moral en berne et de sérieuses explications à fournir à ses amis avant que ces derniers n'apprennent sa mésaventure.

Le rétablissement physique d'Adrien sera rapide.

Sa guérison morale sera manifestement bien plus chaotique.

Mais il va mieux, malgré tout.

Il continue de stocker le moindre des messages que lui laisse son père, mais repousse encore l'instant où il prendra connaissance de leur contenu.

Plus tard. Il les écoutera plus tard.

Quand le moment sera venu.


Un matin, Adrien se réveille avec une subite envie de voir la mer.

Il a toujours adoré l'océan. Depuis tout petit, cette immense étendue d'eau le fascine. Mais par peur de manquer à ses devoirs de héros, il n'a plus quitté Paris depuis le jour où il a obtenu son miraculous. Mais aujourd'hui, plus rien ne le retient. Alors, répondant à cette impulsion soudaine, le jeune homme s'empare de son sac et sort de sa chambre d'un pas vif.

Il ne lui faut que quelques minutes de discussion avec le personnel de la réception de l'hôtel pour savoir où louer une voiture, et quelques dizaines d'autres pour se procurer enfin un véhicule. Il paye sa location, fait le plein d'essence, et part sans même jeter un regard en arrière.

Adrien roule, roule et roule encore, avalant les kilomètres en direction de l'ouest.

Au bout d'un long moment, sa destination se dessine enfin sous son regard émerveillé. Au loin entre deux dunes, il aperçoit la ligne parfaite que trace l'horizon sur les flots, là où le bleu de l'eau se confond presque avec celui du ciel.

L'océan Pacifique, enfin.

Adrien roule encore quelques minutes et s'arrête au bord d'une plage presque déserte. Il coupe le moteur de sa voiture et descend du véhicule d'un geste fluide.

Aussitôt, il se sent submergé par un brusque élan de nostalgie.

L'étendue d'eau qui s'étale paresseusement devant lui est l'océan Pacifique. Pas l'Atlantique au bord duquel il aimait tant se promener étant enfant. Mais il retrouve malgré tout cette odeur iodée qui lui est si familière, le doux chuchotement des vagues qui viennent mourir sur le rivage, le chant des mouettes dont les silhouettes blanches et noires planent dans les cieux.

Alors qu'il descend vers l'océan d'un pas tranquille, Adrien sort son téléphone de sa poche et appelle Nino. Cela fait de nombreux jours qu'il n'a pas donné de nouvelles à son ami et il ne souhaite guère que ce dernier s'inquiète inutilement.

Nino décroche aussitôt, et les deux jeunes hommes commencent à bavarder. Adrien ne peut retenir un sourire en entendant l'exclamation de surprise qui échappe à son ami quand il lui fait part de sa petite escapade.

- « J'avais envie de voir la mer », lui explique-t-il calmement.

Adrien se sent délicieusement léger. Parler avec Nino l'apaise et le doux murmure de l'océan achève de le plonger dans un état de sérénité qu'il n'avait plus ressenti depuis longtemps. Il discute encore quelques instants avec son ami, puis raccroche.

Il enlève ses chaussures et marche le long de la plage. Ses pieds s'enfoncent dans le sable réchauffé par le soleil, tandis que le vent marin lui caresse doucement le visage. Au bout de quelques minutes, Adrien s'arrête et se tourne face à l'océan. D'une main tremblante, il déverrouille son téléphone, appuie sur l'icône de son répondeur et porte l'appareil à son oreille.

- « Adrien », s'élève la voix de Gabriel Agreste. « Je- »

Adrien presse violement l'écran de son téléphone pour interrompre le message. Le cœur battant à tout rompre, il ferme un instant les yeux afin de tenter de conserver son calme. Cela fait des années qu'il n'avait pas entendu son père, et le simple son de sa voix le bouleverse bien plus qu'il ne l'aurait cru. Son estomac se tord, son souffle s'accélère, son pouls atteint un rythme affolant.

Adrien se sent les nerfs à fleur de peau, et il n'aime guère cette sensation.

Il est venu ici pour se détendre. Pour profiter de cet océan qu'il découvre pour la première fois. Mais d'un autre côté, sa fuite n'a que trop duré. Durant des mois, durant des années, Adrien n'a pas eu le courage de faire ne serait-ce qu'écouter la voix de son père.

Et aujourd'hui, alors qu'il se trouve bercé par le doux son de la mer, il sent que le moment est enfin venu pour lui d'avancer.

Adrien reprend sa marche solitaire en direction d'un ponton dressé en bord de plage. Il progresse jusqu'au bout de la jetée où il se tient immobile, face à l'océan. Le vent se met à souffler de plus belle, jouant avec ses cheveux et soulevant des embruns qui déposent une pellicule humide et salée sur sa peau. Adrien ferme de nouveau les paupières. Il prend une profonde inspiration, respirant à plein poumons cet air salé si différent de celui de la côte Atlantique et pourtant si familier.

Puis, une fois de plus, il porte son téléphone à son oreille.

- « Adrien », s'élève la voix de Gabriel Agreste, résonnant distinctement par-dessus les murmures de la houle. « Je voudrais te parler. Je suis désolé pour tout ce qu'il s'est passé. Je suis vraiment désolé. »

S'en suit un long silence. Long, long, si long qu'Adrien croit le message fini. Mais alors qu'il s'apprête à raccrocher, un lourd soupir résonne à son oreille. Puis, quelques secondes plus tard, la voix de son père s'élève à nouveau.

- « Adrien, s'il te plait, rappelle-moi », reprend-il d'un ton las. « S'il te plait. »


Les mois s'écoulent et désormais, Adrien prépare son retour en France. Il est parti depuis déjà bien trop longtemps et désormais, il se sent prêt à retourner dans sa ville natale.

Et concernant son père, il avisera en temps venu.

Adrien ne décroche toujours pas quand Gabriel Agreste tente de le joindre, même s'il écoute de temps en temps ses messages. Il se réhabitue lentement son de la voix de son illustre géniteur, apprend à canaliser sa douleur et sa colère.

Il n'est pas sûr de savoir quoi penser du fait qu'il s'apprête à déménager dans la ville où vit aussi cet homme qui l'a tant fait souffrir. Appréhension et volonté d'avancer s'entremêlent dans la plus grande confusion, sans qu'Adrien ne sache dire lequel prédomine exactement.

Une chose est cependant certaine : il ne se sent toujours pas prêt à parler à son père. Et pour être honnête avec lui-même, il ignore s'il le sera un jour. La trahison de cet homme a laissé une profonde plaie dans son cœur, qui peine à cicatriser malgré les années.

Mais quoi qu'il en soit, Adrien reste déterminé à regagner Paris.

Puis, à quelques jours à peine de son départ, il reçoit un appel de Nathalie.

- « Je voulais juste vous prévenir… », commence-t-elle d'une voix hésitante. « Je… Je sais que vous ne répondez pas à ses appels, et j'ignore si vous écoutez ses messages, mais je pense qu'il faut que vous le sachiez. Adrien, votre père est sorti de prison. »