Salut, tous !

Bien bien bien. Déjà, un grand merci à Electre, LittleHedgehog, lizs, Choupy, admamu, et my sweet Odea, pour vos reviews sur Là où se rencontrent les étoiles. Merci à Lady Sunrise pour toutes tes mises en favoris !

Et maintenant, passons aux choses sérieuses. Cette fic, commencée de traduire il y a dix-huit mois, dont seize de pause (arhem), c'est... une des premières longues fics que j'ai lues, une des rares teen!lock de ma liste de lues, et elle m'a beaucoup marquée. Quelque part, elle a forgé ma vision de John, Sherlock, Greg, Mycroft, Mrs Hudson... Même s'il y a eu de l'évolution depuis, elle reste une base pour moi. ET elle m'a fait tomber amoureuse de Mycroft et du couple que Greg et lui peuvent former. Je pense que je n'aurais pas shipé le Mystrade de la même façon sans elle.

BIEN ! Nous voilà donc partis pour 43 chapitres, les enfants, j'essaierai de publier deux fois par semaines parce qu'il ne sont pas très longs, et parce que je n'ai pas envie de passer presque une année à publier cette traduction :3 Quasi cinq mois, ça sera bien assez.

Et, évidemment, avant de commencer, un IMMENSE merci à Elie Bluebell, mon petit lapin blanc, pour sa bêta formidable. *coeurs coeurs COEURS*

Je vous laisse sur la partie de la note de l'auteure, qui est intéressante pour vous :


Avant-propos de earlgreytea68 :

« Ok. Alors. À la base, c'était censé être une fic de trois ou quatre chapitres maxi, comme un prologue de la série. Un genre de ''que s'est-il passé dans l'enfance des Holmes qui les a rendu tels qu'ils sont aujourd'hui ?'' C'est pourquoi ça prend place à cette période-là, parce que je pensais arrêter d'écrire là où la série aurait pris la suite. Et puis... je me suis un peu laissé emporter et me suis dit : voilà, j'ai mis en place les frères Holmes. Et qu'est-ce qui se passerait maintenant si, au lieu de les faire attendre vingt ans, je leur donnais tout ce dont ils ont besoin pour guérir tout de suite ? 43 chapitres plus tard, vous avez cette histoire.

[...]

Je déteste habituellement écrire des avertissements, parce que ça me donne l'impression de tuer le suspens, MAIS il est certainement nécessaire de prévenir : il y aura du sexe consenti dans cette histoire, entre deux jeunes de 16 ans. Si c'est quelque chose qui vous choque, je vous préviens simplement. »

Merci beaucoup à elle de m'avoir autorisée à la traduire !


SAVING SHERLOCK HOLMES

Partie 1

Chapitre 1

.

Octobre 1987

Si Mycroft Holmes devait se souvenir toute sa vie d'une chose en particulier à propos des funérailles de sa mère, c'était qu'il pleuvait et qu'il n'avait pas de parapluie.

La pluie tombait de façon incessante et résolue et s'écrasait sur les boucles indisciplinées de Sherlock, formant ruisselets et cascades impromptus sur la topographie de ses cheveux. Ils s'étaient tous les deux retrouvés trempés dans le peu de temps nécessaire pour se précipiter de la porte de leur maison, à Londres, jusqu'à celle de la voiture qui les attendait, et ils étaient mouillés des pieds à la tête lorsqu'ils se précipitèrent dans l'église. Sherlock avait de l'eau qui gouttait de ses cheveux trop longs dans son col et Mycroft se demanda pourquoi il n'avait pas pensé à apporter un parapluie. Il se jura de ne plus jamais se retrouver sans parapluie de sa vie. Conscient des personnes qui attendaient dans l'église et qui se considéreraient comme bien plus judicieuses que lui quand elles déclareraient inévitablement « Oh, mon Dieu, il n'a même pas pensé à prendre un parapluie pour protéger la tête de ce pauvre Sherlock », Mycroft tira son frère vers une zone moins exposée et chercha un mouchoir en tissu. Il était certain d'en avoir pris un, un de ces carrés de tissu sur lesquels sa mère avait fait broder ses initiales en monogramme.

Sherlock resta immobile et silencieux, les yeux fixés sur un point du mur à sa gauche sur lequel des plaques commémoratives étaient alignées. Sherlock était silencieux et docile depuis des jours, et Mycroft se trouvait mi-soulagé par ce sursis alors qu'il tentait lui-même de reprendre pieds, et mi-terrifié à l'idée que Sherlock ne parle plus jamais de sa vie.

Il finit par trouver un mouchoir et le secoua avant de le passer hâtivement sur les cheveux mouillés de son frère. Pourquoi n'avait-il pas pensé à insister pour que son frère passe chez le coiffeur avant l'enterrement. « Quand pensez-vous que le garçon s'est fait couper les cheveux pour la dernière fois ? À quoi pense Mycroft ? » Il pouvait déjà sentir la désapprobation flotter au-dessus des personnes rassemblées sous la haute voûte du plafond.

Sherlock ne moufta pas, même quand Mycroft frotta le mouchoir en tissu un peu plus énergiquement dans ses cheveux. L'aîné fronça les sourcils et songea à combien il était à la fois heureux que son cadet n'en fasse pas une crise de bouderie, mais triste tout autant.

« Je ne peux pas te laisser attraper froid, lui expliqua-t-il en passant le mouchoir à présent humide sur la nuque de Sherlock.

Sherlock frissonna un peu, comme pour soutenir la démonstration de Mycroft, puis fit quelque chose qu'il n'avait pas fait depuis des jours. Il parla.

– Le Latin est faux, dit-il.

– Quoi ? demanda Mycroft, surpris d'entendre sa voix après tout ce temps.

– Le Latin est faux, sur cette gravure. On pourrait penser que quelqu'un aurait eu l'idée de se montrer assez intelligent pour vérifier ce qui serait gravé dans la pierre... Comment les gens peuvent-ils être si stupides ?

Sherlock inspira profondément et tripota la cravate autour de son cou.

– Arrête, s'il te plaît, dit Mycroft en la remettant en place.

Sherlock le regarda. Quelque part loin au fond dans ces yeux sans fond et sans couleur, Mycroft put voir que le regard qui l'épinglait était maléfique. C'était très, très loin, cependant, pas du tout au premier plan. Le premier plan du regard de Sherlock était froid, détaché et désintéressé, et Mycroft dit, espérant que ce serait d'une aide quelconque :

– Ça ne va plus durer très longtemps.

– Ne sois pas idiot, Mycroft, répondit maussadement Sherlock. Ça va durer pour le reste de notre vie. »

Sherlock se retira de nouveau dans son silence. Mycroft essaya de le voir à travers les yeux de l'assemblée qui les jugeait. Grand pour son âge mais beaucoup trop maigre, ce qui était souligné par le fait que son costume, par manque de temps de la part de Mycroft, n'avait pas été ajusté et l'habillait mal. Ses cheveux séchaient en une masse de mèches noires et frisées, désespérées de voir un peigne, et Mycroft songea de nouveau qu'il aurait dû lui faire couper les cheveux à un moment. Mais quand en aurait-il eu le temps ? Entre le moment où on recevait un appel brusque prévenant de la mort de sa mère et le jour où on s'arrangeait pour organiser ses funérailles impromptues, quand était-on supposé trouver le temps de se soucier de quelque chose d'aussi prosaïque qu'une coupe de cheveux ? Mycroft savait que c'était une pensée stupide, nourrie uniquement par les personnes stupides alignées derrière lui dans l'église, mais il savait aussi que ce seraient ces mêmes personnes stupides qui décideraient de son aptitude à prendre Sherlock à sa charge dorénavant, et qu'ils questionneraient l'état des cheveux de Sherlock, parce que les gens – Sherlock avait raison – étaient bien stupides.

Par chance, personne ne fit mention de l'état capillaire de son frère devant lui. Ils firent mention de Sherlock, constamment, encore et encore. « Comment prend-il tout ça ? Pauvre garçon. Ça a dû être tellement dur pour lui de la trouver là, comme ça. Est-ce qu'il en a discuté avec toi ? Qu'a-t-il dit ? » Mycroft voulait répondre que bien sûr que Sherlock n'en avait pas discuté avec lui. Pourquoi quelqu'un ne possédant rien qu'une moitié de cerveau voudrait parler de quelque chose comme ça ? Et Sherlock possédait tellement plus qu'une moitié de cerveau. Il voulait aussi répondre que, même si Sherlock en avait discuté avec lui, toute cette situation était éminemment privée, à garder entre Holmes, et non pas un objet de voyeurisme. Mais Mycroft avait des instincts sociaux infaillibles. On le lui avait dit. Il tenait de sa mère. Il parlait couramment les Platitudes, une des nombreuses langues qu'il maîtrisait. Il approuva sympathiquement, secoua la tête tristement et haït chacune des personnes qui se trouvaient dans ce qui était devenu leur maison, à Sherlock et lui. Du moins présumait-il qu'elle était à Sherlock et lui. À qui d'autre pourrait-elle être ? Mais il lui semblait qu'une nouvelle révélation ne le surprendrait plus. Il avait eu confiance en sa mère plus qu'en toute autre personne dans sa vie et elle l'avait récompensé en mourant sans même un seul petit avertissement. Il lui semblait que ça cadrerait avec le reste si elle avait en fait donné toutes leurs possessions à un cousin au dix-septième degré perdu de vue depuis des lustres, laissant à Mycroft le devoir de trouver un moyen d'envoyer Sherlock à Eton tout en continuant lui-même ses études à Cambridge.

Il perdit la trace de Sherlock, comme tout le monde sembla perdre sa trace, ce jour-là. Tout le monde voulait savoir ce qu'il en était de Sherlock, mais personne ne voulait vraiment essayer de l'approcher. Sherlock n'était pas le genre d'enfant – garçon – jeune homme – Mycroft avait abandonné l'idée de le faire entrer dans une case... mais quoi qu'il était, il n'invitait pas franchement à la conversation. Il était réservé et distant, dans les circonstances les plus favorables. Les circonstances présentes n'étaient clairement pas les plus favorables. Cela faisait plus d'une trentaine de minutes qu'il avait disparu, quand Mycroft s'en aperçut. Il décida que c'était la meilleure chose qu'il ait pu faire. Sherlock n'allait pas s'enfuir ni disparaître, Sherlock se cacherait et il émergerait à nouveau quand il estimerait que ça en vaudrait la peine, soit vraisemblablement quand la maison serait vide et qu'il aurait passablement faim.

La maison, Dieu merci, fut enfin vide. Mycroft n'avait permis à personne d'y rester, bien qu'une grand-tante ait tenté d'insister sur la courtoisie dont ferait preuve une telle invitation. Mycroft avait besoin de sentir la cavernosité de la demeure sans sa mère. Il ne pouvait pas supporter de jouer les hôtes à un tel moment et, finalement, le majordome congédia le dernier invité avant de se tourner vers lui, interrogatif, comme si Mycroft était censé avoir la moindre idée de ce qu'ils feraient ensuite. Mycroft savait parfaitement ce qui viendrait ensuite. Le lendemain, il y aurait lecture du testament, le notaire de sa mère l'en avait informé, et plusieurs membres distants de la famille avaient insisté sur le fait qu'ils devaient être présents eux aussi. C'était ça, la prochaine chose de laquelle s'occuper. C'était tout ce qui viendrait après ça qui le laissait désemparé et dépassé. C'était un sentiment qu'il n'avait jamais éprouvé jusque-là et il n'appréciait pas particulièrement que sa mère lui ait fait ça.

Mycroft regarda le majordome et déclara avec lassitude :

« Il fait glacial, dans cette maison.

Il savait en partie que c'était le froid qu'il avait contracté sous la pluie, plus tôt, et qu'il ne pouvait blâmer que lui. Il se demanda si Sherlock n'était pas en train de mourir d'une pneumonie en ce moment-même.

– Je vais allumer un feu dans la bibliothèque, Monsieur. »

Mycroft était soulagé que le majordome propose la bibliothèque : sa mère avait rarement utilisé cette pièce et Mycroft, à cet instant précis, ne pouvait pas supporter l'idée du salon. C'était là que tout le monde s'était réuni dans la journée par nécessité et ça avait été affreux. Il s'était disputé à propos de l'échiquier de sa mère avec le majordome, ce dernier craignant qu'il ne soit renversé et proposant de l'emmener dans une autre salle, alors que Mycroft avait peur de déranger les pièces de la place où sa mère les avait jouées pour la dernière fois. Il savait qu'il finirait par devoir le faire et il était totalement illogique de sa part de refuser alors qu'ils avaient besoin d'espace, mais il avait insisté et ils avaient établi un compromis qui leur permit de déplacer précautionneusement l'échiquier dans un coin. Mycroft avait passé toute l'après-midi à le surveiller.

Le jeune homme jeta un regard vers le salon. Le feu avait été étouffé et les lumières éteintes. Tout dans la pièce semblait... abandonné. Mycroft se dirigea soudainement vers les portes coulissantes et les ferma. Elles lui résistèrent et il ne parvint à se souvenir de la dernière fois qu'il les avait vues fermées ; elles ne voulaient pas bouger et il les secoua énergiquement jusqu'à pouvoir finalement les tirer et ne plus avoir à voir l'intérieur du salon.

Puis, satisfait, il se détourna pour se diriger vers la bibliothèque, croisant le majordome qui en sortait.

« Apportez-moi un plateau de thé, dit-il.

Le majordome acquiesça et Mycroft s'assit sur le canapé, près du feu qu'il regarda prendre progressivement en se demandant où était Sherlock et si ça arrangerait ou empirerait les choses de partir à sa recherche.

Le majordome arriva avec le thé alors que Mycroft était encore en train de considérer ses options. Il se secoua hors de sa torpeur contemplative pour remercier l'homme qui demanda simplement :

– Dois-je fermer la porte ?

– Oui, répondit Mycroft, parce qu'il ne voulait pas que l'atmosphère du reste de la maison s'introduise en lui à cet instant. Si vous apercevez Maître Sherlock, cependant, dites-lui que j'aimerais le voir.

– Oui, Monsieur, » dit le majordome avant de fermer la porte, et Mycroft posa les yeux sur le plateau à thé.

Il ne voulait pas de thé, en réalité, mais il réalisa l'acte rituel de sa préparation, puis regarda le résultat et eut l'impression qu'en boire faisait partie des dernières choses dont il avait envie. Une partie de lui aurait préféré se recroqueviller sur le canapé et dormir plutôt que d'affronter tout ce qui arriverait dans sa vie à venir.

Une des portes menant au jardin de derrière s'ouvrit et se ferma.

« Tu étais dehors pendant tout ce temps ? demanda Mycroft après un soupir.

Naturellement, Sherlock ne répondit pas. Il marcha vers l'une des chaises près du feu et s'y écroula, irradiant par vagues sa belligérance contrariée. Il fixa Mycroft d'un œil accusateur, comme si tout était de sa faute ce qui, en dehors de l'oubli de parapluie, était résolument faux.

Mycroft se leva et se dirigea vers le fond de la bibliothèque, derrière le bureau qui avait été celui de leur père il y a tant d'années que Sherlock ne pouvait certainement pas s'en souvenir. Il bascula le livre qu'il avait vu leur père basculer toutes ces années auparavant, et l'étagère glissa facilement devant lui, comme s'il elle avait été utilisée la veille.

Sherlock, comme Mycroft l'avait imaginé, sauta immédiatement hors du fauteuil et se hâta vers lui.

« Comment tu savais que ça faisait ça ? exigea-t-il de savoir.

– Père l'utilisait, répondit Mycroft avant de considérer les bouteilles d'alcool luisant le long de l'étagère.

– Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ?

– Pourquoi ne l'as-tu pas découvert toi-même ? renchérit Mycroft doucement.

– Cet alcool ne peut plus être bon, fit remarquer l'enfant en fronçant les sourcils.

– En quoi est-ce un problème ? interrogea Mycroft en même temps qu'il sélectionnait une bouteille de Scotch et la levait à la lumière comme s'il savait ce qu'il faisait. De toute façon, l'alcool se bonifie avec l'âge, pas l'inverse.

– L'alcool correctement conservé, corrigea Sherlock en feignant ne pas s'intéresser au reste de ce que contenait l'étagère.

– Tu pourras explorer ça tout ton comptant plus tard, dit l'aîné en éloignant son frère de la trajectoire de la porte. Et où en as-tu tant appris sur l'alcool ?

Sherlock émit un bruit qui pouvait être approximativement traduit par « Je sais lire, Mycroft, espèce de crétin. » Il suivit l'aîné vers la cheminée où ce dernier attrapa une tasse propre sur le plateau à thé, dans laquelle il fit couler quelques millilitres de Scotch. Il en prit une autre, y versa encore un peu Scotch et la tendit à Sherlock.

Celui-ci le regarda avec un étonnement qui se transforma subitement en suspicion :

– Qu'est-ce que tu veux ?

Mycroft soupira, s'assit et reposa la tasse sur le plateau à thé, prenant la sienne.

– Rien. C'est le genre de journée qui exige une boisson.

– Mais j'ai onze ans.

– Oui, raison pour laquelle c'est une petite boisson. Je pensais que tu voudrais scientifiquement et minutieusement transcrire les effets de dix années de négligence sur le goût du Scotch. Et puis tu as attrapé froid et le Scotch est censé aider à prévenir les rhumes.

– C'est un mythe de grand-mère, déclara Sherlock en se rasseyant.

Il se saisit précautionneusement de sa tasse, la sentit, puis regarda à l'intérieur, et Mycroft l'observa alors qu'il cataloguait toutes les impressions qu'il transcrirait plus tard. Puis il prit une petite lampée et considéra la chose un très long moment avant d'annoncer :

– C'est répugnant.

Mycroft sourit à moitié et reposa sa propre tasse de thé sans y goûter, perdant soudain tout intérêt pour le sujet.

– Sherlock...

– Ça ne t'inquiète pas vraiment que j'aie attrapé un rhume, lui affirma Sherlock, posant lui aussi sa boisson.

– Bien sûr que ça m'inquiète, répondit Mycroft.

– Tu es juste inquiet de ce que les gens vont penser si j'attrape un rhume.

– Pourquoi ne pourrais-je pas me soucier des deux ? demanda Mycroft, après une seconde.

– Si tu étais si inquiet, tu aurais dû prendre un parapluie.

– Je sais. Je suis désolé, dit-il, parce que c'était la vérité.

Sherlock ramena ses pieds sur le fauteuil, enserrant ses genoux contre sa poitrine, ce qui le fit ressembler à un petit garçon égaré. Quelqu'un lui avait dit au cours de cette interminable journée que Sherlock ne serait plus jamais un petit garçon, mais il était en vérité si douloureusement jeune que Mycroft en était terrifié. Si Sherlock n'avait plus été un petit garçon, tout aurait été plus simple, mais onze ans était un âge terrible, perdu entre tout, et Mycroft était incapable d'imaginer comment il était censé manœuvrer dans ces conditions.

– J'aurais dû aller avec toi à l'église, déclara Sherlock, les yeux perdus dans les flammes.

– Tu es venu avec moi à l'église, signala Mycroft.

– Pas aujourd'hui. Avant. Quand tu organisais et que tu m'as demandé de venir et que je n'avais pas envie.

– Tu n'y étais pas obligé, Sherlock.

Mycroft s'était suffisamment épuisé à faire tout ce qui avait besoin d'être fait, il n'y avait eu aucune raison de soumettre Sherlock à tout ça alors qu'il ne souhaitait pas être impliqué.

– Mais j'aurais remarqué le Latin de la gravure, dit Sherlock, secouant obstinément le menton. Tu ne l'as même pas remarqué. Maman aurait détesté ça.

– Sherlock, dit Mycroft, pensant quelque part que ça pourrait arranger les choses. Ca n'a plus vraiment d'importance pour Maman, rien de tout ça n'en a.

Sherlock le regarda avec horreur, ce qui le surpris momentanément parce que, enterrement à l'église mis à part, ils n'avaient pas été élevés avec le moindre sens religieux et il ne lui était pas venu à l'esprit qu'il y avait une place pour des idées de vie après la mort dans le cerveau si férocement scientifique et cartésien de son frère. Science nuancée de philosophie, sa mère avait pour habitude de dire, alors Mycroft réalisa son erreur.

– Oh, dit-il stupidement, parce qu'il ne pouvait penser à rien d'autre.

Sherlock inspira puis expira un souffle courroucé, désapprobateur à son intention et déclara résolument :

– Je ne porterai plus jamais de cravate de ma vie et tu ne parviendras jamais à m'y obliger, compris ?

– Peu m'importe que tu portes de nouveau une cravate, dit Mycroft en tout honnêteté. Mais tu devras en mettre une à l'école...

– Pourquoi je dois aller à l'école ? Je sais déjà tout ce qu'il faut savoir.

– Que proposes-tu à la place ?

– Je pourrais être un pirate.

– Ne me dis pas que tu es encore bloqué sur cette idée de piraterie, soupira Mycroft.

– Je ne comprends pas pourquoi tu considères les pirates comme faisant partie d'une époque révolue. La mer est la dernière grande frontière de cette planète, le dernier endroit sans lois.

– Je t'assure qu'il existe des lois qui gouvernent les océans. Si tu vas à l'école, tu pourras même les apprendre.

– Je voulais dire que les lois y sont facilement contournées, se renfrogna Sherlock.

– Sherlock, ne dis pas ce genre de choses.

– Pourquoi pas ?

– Parce que ça te fait sonner comme un maître du crime en herbe.

Sherlock réfléchit.

– Je parie que les maîtres du crime ne vont pas à l'école.

– Ceux qui sont intelligent y vont. Écoute, arrêtons ici cette discussion sur l'école.

– Je ne veux pas parler de Maman, répondit instantanément Sherlock, ses pieds glissant sur le sol alors qu'il s'asseyait plus droit.

– Nous n'allons pas en parler, dit Mycroft, et Sherlock lui sourit et, pendant un instant, c'était presque comme si les derniers jours n'avaient pas existé. Est-ce que tu es vraiment resté dehors toute la journée ? Il fait froid, et tu étais encore mouillé de ce matin.

– J'ai seulement passé une partie de la journée dehors, répondit Sherlock.

Il glissa de sa chaise et alla s'asseoir directement devant la cheminée.

– Tu aurais dû mettre des vêtements secs, remarqua Mycroft.

– Qu'est-ce qui va se passer demain ? demanda Sherlock et personne d'autre que Mycroft n'aurait été en mesure de percevoir le soupçon d'angoisse dans cette question.

– Rien, dit l'aîné, parce qu'il ne voulait pas que Sherlock s'en inquiète. Absolument rien. Je te le promets.

Il ne savait pas dire combien de temps encore ses promesses garderaient du sens pour son frère, mais elles étaient apparemment encore efficaces, car Sherlock acquiesça une fois puis se tourna face au feu, présentant son dos à Mycroft. Ce dernier le regarda et essaya de ne pas s'inquiéter.

.

Mycroft ne parvint pas à dormir. Il avait souhaité que le testament soit lu tôt dans la matinée, parce qu'il voulait en être débarrassé. Il était soulagé d'avoir pris cette décision qui rendait parfaitement acceptable la notion d'abandonner rapidement toute velléité à dormir pour choisir minutieusement une cravate à la place. Mycroft avait l'impression de ne pas se souvenir de la dernière fois qu'il n'avait pas porté de costume car, pendant toute la débâcle, il s'était aperçu que paraître plus âgé que ses dix-huit ans faisait une différence énorme et il était sûr que ce serait encore plus important en ce jour spécifique. Il se demanda s'il allait jamais cessé de porter des costumes tous les jours, s'il allait jamais cessé de se soucier de paraître plus âgé et compétent qu'il pourrait l'être en réalité.

Il décida de descendre prendre son petit-déjeuner, même s'il n'avait pas faim le moins du monde, juste parce que c'était convenable et qu'il voulait pouvoir dire qu'il parvenait toujours à prendre trois repas bien définis, que cela prouverait qu'il était un être humain responsable. Avant ça, il passa la tête dans la chambre de son frère pour s'assurer qu'il était bien là, songeant qu'il n'avait vraiment pas besoin d'un Sherlock porté disparu lorsqu'il était sous sa surveillance le jour-même où il s'apprêtait à devoir débattre sur sa capacité à prendre soin de lui.

Sherlock était dans sa chambre, Dieu merci, quoique endormi à son bureau et entouré par les restes d'un genre d'expérimentation au lieu d'être dans son lit. Mycroft supposa que c'était le genre de choses qu'il ne devrait pas admettre. Il aurait vraiment dû insister pour que Sherlock aille dormir à une heure raisonnable et sur un matelas mais il lui semblait que c'était un peu tard pour essayer de faire en sorte que Sherlock se comporte normalement.

Mycroft entra en silence dans la chambre, ouvrit le lit du garçon et se dirigea vers le bureau pour le mettre sur ses pieds. Le sommeil rendit son cadet docile et celui-ci cligna seulement de ses yeux endormis, juste assez éveillé pour envoyer à Mycroft un regard désapprobateur et lui adresser une maigre protestation avant qu'il ait pu le diriger et faire s'effondrer dans ses draps. Mycroft tira les couvertures sur Sherlock qui s'enroula dedans en marmonnant :

« J'étais bien à mon bureau.

Il possédait un tel esprit de contradiction, songea Mycroft et, dans le prolongement de cette pensée, il se rendit compte qu'il ne lui avait même pas réellement demandé à la charge de qui il voulait être. Sherlock, difficile, obstiné, pénible, n'approuverait pas nécessairement sa décision sur le sujet et Mycroft ne voulait pas l'y contraindre.

– Sherlock, dit-il en gardant sa voix basse parce qu'il était si tôt et il pensait que discuter de ça à voix haute semblerait mélodramatique. Est-ce qu'il y a quelqu'un avec qui tu souhaiterais vivre ?

– Stephen Hawking, répondit Sherlock instantanément, la voix rendue indistincte par le sommeil, alors qu'il tournait son visage dans son oreiller.

– Je voulais dire quelqu'un d'autre que moi, précisa Mycroft en retenant son soupir.

– Tu n'es pas Stephen Hawking, nota Sherlock dans un bâillement.

– Excellent, dit Mycroft. Bien observé. Mais as-tu un souhait réaliste d'une personne pour s'occuper de toi ? Quelqu'un de la famille ? Quelqu'un d'autre que tu connaisses ?

C'était ridicule. Il n'y avait personne qu'ils connaissaient vraiment en dehors l'un de l'autre, raison pour laquelle Mycroft en était venu à penser à lui-même en premier.

Sherlock ouvrit brusquement les yeux, le fixant, et Mycroft voulut immédiatement faire machine arrière.

– Comme qui ? demanda Sherlock en s'asseyant. À qui essaient-ils de me refourguer ?

– Personne, répondit Mycroft.

– Il faut que ce soit toi, l'informa Sherlock. Si c'est n'importe qui d'autre, je m'enfuirai et personne ne me retrouvera jamais.

– Moi, je te retrouverai.

– Au bout d'un moment. Peut-être, admit Sherlock avec réticence. Je pensais que ce serait toi. Pourquoi ce serait quelqu'un d'autre ? Je venais juste de me résigner au fait que ce soit toi. Je sais comment te manipuler. Je ne veux pas tout devoir recommencer de zéro.

– Très touchant. Merci pour cette preuve de confiance. Ce sera moi. Je m'assurerai que ce soit moi.

Sherlock l'observa de son regard dubitatif et Mycroft pouvait le voir s'éveiller, mettre son esprit en marche.

– Est-ce que tu as besoin que je...

– Je n'ai pas besoin que tu fasses quoi que ce soit. Je m'en occupe. Je te le promets. Rendors-toi.

Sherlock hésita, puis se recoucha lentement et s'installa sous les couvertures de nouveau.

– Pourquoi ce serait quelqu'un d'autre, Mycroft ?

Il existait des millions de raisons et Mycroft savait que Sherlock était spectaculairement intelligent. Il ne comprenait pas comment il pouvait ne pas les avoir toutes trouvées. Il voulait les lui lister. J'ai à peine l'âge requis. Je vais à l'université. Je ne peux pas t'y faire vivre avec moi. Je n'ai aucune idée de comment élever un enfant de onze ans. Je n'ai aucune idée de l'état de nos finances, et j'ignore donc s'il reste assez d'argent pour t'offrir les choses que tu mérites tout en m'accordant celles que j'attends. Et, si ce n'était pas le cas, je n'ai aucun plan pour gagner de l'argent avec mon niveau de qualification actuel. Et tu n'es pas un enfant facile, tu as besoin de supervision et de discipline et je te permettrai peut-être seulement de devenir fou furieux parce que tu es plus intelligent que qui que ce soit d'autre que je connaisse. Mycroft ne dit rien de tout ça, parce qu'il voyait que ce n'était pas pertinent aux yeux de Sherlock. Ce dernier se considérait comme un adulte et le fait que la loi ne le voie pas comme tel n'était qu'un agacement regrettable, rien d'autre. Une formalité avec laquelle il supposait que Mycroft était d'accord. Il n'y avait pas d'éducation à prodiguer à un Sherlock Holmes – il était bien au-dessus de ça. Sherlock pensait qu'il avait besoin de quelqu'un qui s'assure qu'il ait de la nourriture dans son assiette quand il avait faim et rien de plus, et Mycroft était la personne pour ça. Mycroft n'avait pas besoin d'être plus âgé qu'il ne l'était pour accomplir ça et, pour un gamin de onze ans, dix-huit ans était déjà l'âge d'un ancêtre.

Mycroft répondit à la place :

– Ce ne sera pas quelqu'un d'autre. Je te le promets. Rendors-toi, et ne t'enfuis pas. Et essaie de ne pas dire à quelqu'un d'autre que tu veux que je t'aie à ma charge parce que tu sais comment me manipuler.

– Je ne suis pas bête, Mycroft, lui rappela Sherlock, mais ses yeux se fermaient déjà et il retombait dans le sommeil, ce que Mycroft trouva surprenant, son propre estomac étant tellement noué par l'anxiété qu'il n'avait pu fermer l'œil de la nuit.

Bordel, songea Mycroft. Peut-être qu'il vaudrait mieux que je trouve quelqu'un d'autre pour s'occuper de lui.

Il regarda autour de lui le bazar éparpillé dans la chambre de Sherlock et essaya d'imaginer ce qui se passerait si quelqu'un tentait de nettoyer les manifestations de son génie. Il effaça immédiatement cette idée. Sherlock avait raison. Il fallait absolument que ce soit lui.

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À suivre


Merci d'avoir lu !

Des bises à tous et à dans quelques jours !

Nauss