Depuis l'incident de l'ouvrage qu'elle avait – provisoirement – subtilisé à Adrien, Marinette avait pris l'habitude de rendre visite à Maître Fu.

Elle venait régulièrement le voir pour s'enquérir de ses avancées concernant le décodage du précieux livre, pour élaborer diverses hypothèses quant aux prochaines attaques du Papillon, ou tout simplement pour discuter de son rôle d'héroïne. De son côté, Tikki ne rechignait quant à elle jamais pour se rendre chez le vieil homme. Pendant que son amie bavardait avec Maître Fu, elle en profitait pour passer de bons moments en compagnie de Wayzz.

Mais en dépit de ces fréquentes visites, Marinette ignorait comment contacter le Grand Gardien autrement qu'en se rendant directement chez lui.

Ainsi, chaque fois, elle venait le voir à l'improviste.

Et chaque fois, elle le trouvait soit prêt à l'accueillir devant une tasse de thé, soit s'excusant de ne pas pouvoir la recevoir dans l'immédiat.

Marinette ne savait pas si le Maître Fu devinait instinctivement qu'elle allait se présenter chez lui, mais jamais il n'était absent de son domicile les jours où elle décidait d'aller le consulter. Jamais, absolument jamais.

C'est pourquoi, quand elle trouva un jour porte close, la jeune fille fut envahie par une étrange sensation de malaise. Le sixième sens – ou le septième, huitième, peu importe – dont semblait être pourvu Maître Fu avait pour une fois failli.

Luttant contre le désagréable pressentiment que quelque chose d'anormal était à l'œuvre, Marinette rentra chez elle.

« Il était sûrement sorti faire des courses », confia-t-elle à Tikki une fois qu'elles eurent toutes deux regagné sa chambre. « Ce sont des choses qui arrivent. On n'a juste pas eu de chance aujourd'hui. »

« Oui », approuva son kwami de sa petite voix flutée. « Ne t'en fais pas, Marinette. Je suis sûre qu'il sera là demain. »

Mais le lendemain, lorsqu'elle revint sur place, Marinette trouva une fois de plus l'appartement vide de tout occupant.

De même que le surlendemain.

Et au bout d'une semaine, après s'être rendu quotidiennement chez Maître Fu et s'être renseignée en vain dans le voisinage, la jeune fille parvint à une conclusion glaçante.

Le Grand Gardien avait disparu.


Il fallut encore une journée à Marinette avant de se décider à prévenir Chat Noir. Une longue et épuisante journée passée à ratisser le quartier de long en large, à faire le tour de tous les commerces des environs pour en interroger les propriétaires, à revenir frapper toutes les heures à la porte de Maître Fu dans l'espoir qu'il lui ouvre enfin.

Chaque minute qui passait n'avait fait qu'accroître un peu plus l'inquiétude de la jeune fille. Certes, Maître Fu était le gardien du savoir propre aux miraculous et des précieux bijoux en question. Mais de plus, Marinette avait fini par s'attacher sincèrement à ce vieil homme excentrique qui avait un jour décrété qu'elle était du bois dont on fait les héros.

Elle espérait de tout son cœur qu'il ne lui était rien arrivé de grave, comme un accident ou un malaise.

Ou pire encore, comme un enlèvement par le Papillon.

Une rencontre inopinée avec un client du Grand Gardien acheva de sceller les angoisses de la jeune fille. Cet homme qu'elle avait vu attendre près d'une demi-heure devant la porte de Maître Fu lui affirma avoir rendez-vous avec ce dernier et n'avoir été informé d'aucune absence.

Ce fait anodin en apparence ne fit que confirmer un peu plus à Marinette que quelque chose d'anormal était à l'œuvre. Il n'était pas dans les habitudes du vieil homme d'ignorer ainsi ses visiteurs et même Tikki convint qu'en des circonstances normales, jamais le Grand Gardien ne serait parti sans prendre au moins la peine d'annuler ses rendez-vous.

Finalement, s'avouant provisoirement vaincue, Marinette se transforma et envoya un bref message à son coéquipier pour lui demander de la rejoindre au plus tôt.


« Le grand quoi ? », s'exclama Chat Noir en jetant un regard étonné à sa coéquipière.

« Le Grand Gardien », répéta patiemment Ladybug.

Assise au sommet d'un toit, la jeune fille tentait de présenter la situation à son partenaire aussi clairement que possible.

Elle ébaucha un portrait rapide de Maître Fu, parla du rôle prépondérant que ce dernier avait joué dans leurs carrières respectives et, enfin, insista avec véhémence sur cette soudaine absence qui lui semblait tout sauf naturelle.

Personne, absolument personne ne paraissait savoir ce qu'il était advenu Grand Gardien.

Ni Tikki, ni les voisins du vieil homme, ni les commerçants chez lesquels il avait ses habitudes, ni surtout les personnes avec qui il avait pourtant rendez-vous.

Avec une fougue nourrie par l'angoisse qui la rongeait depuis déjà de bien trop nombreux jours, Ladybug martela inlassablement que retrouver Maître Fu était désormais une urgence absolue. L'idée que quelque chose de terrible lui soit arrivé et que les miraculous dont il était le gardien soient potentiellement tombés entre de mauvaises mains lui glaçait le sang.

Il fallait qu'ils découvrent ce qu'il s'était passé.

Impérativement.

« Et tu es sûre qu'il a vraiment disparu ? », lui demanda Chat Noir d'un ton dubitatif. « Il n'est pas parti faire une balade dans le quartier, ou quelque chose comme ça ? »

« J'en suis certaine », répliqua Ladybug d'une voix ferme. « Personne ne l'a vu depuis plus d'une semaine. Une semaine, Chat ! J'étais allée le voir à peine deux jours avant et il ne m'a jamais parlé d'un quelconque voyage. Même ses voisins ne savent pas où il est passé ! Un soir, il était là, et le lendemain matin, il avait disparu. »

Le regard étincelant d'une conviction farouche, la jeune fille se pencha vers son coéquipier.

« Dans d'autres circonstances, je ne m'inquièterai probablement pas autant. Mais là, on parle de Maître Fu. Du gardien des miraculous », martela-t-elle avec la plus absolue des certitudes. « Tu es aussi bien placé que moi pour savoir à quel point il peut être dangereux d'avoir ces bijoux en sa possession. »

A présent convaincu, Chat Noir hocha silencieusement la tête. Il ne savait que trop bien combien les miraculous pouvaient attiser la convoitise. Sans même se donner la peine réfléchir plus de quinze secondes, il aurait pu citer sans peine une dizaine de personnes qui auraient été ravies de mettre la main sur ces objets de pouvoirs.

Mais naturellement, un nom en particulier se détachait de tous les autres son esprit.

Un nom, qui s'imposait à lui avec tant de force qu'il ne pouvait l'ignorer.

« Tu crois que le Papillon est derrière tout ça ? », laissa-t-il échapper d'une voix inquiète.

« J'espère que non », répliqua Ladybug avec un frisson d'angoisse. « J'espère vraiment que non. »


Durant le reste de l'après-midi, les deux adolescents firent le tour de tous les hôpitaux et cliniques des environs, cherchant en vain une trace du Grand Gardien. Tous deux espéraient que leur statut de héros suffirait à délier des langues et à leur permettre d'apprendre des informations susceptibles de les éclairer ce qui était arrivé au vieil homme, mais en vain.

Finalement, après des heures d'interrogatoires infructueux, les deux adolescents convinrent d'interrompre là leurs investigations. L'heure commençait à se faire plus que tardive, et il était peu probable qu'ils apprennent quoi que ce soit de nouveau pour le moment.

Après s'être concertés une dernière fois, ils se séparèrent en se promettant de se retrouver le lendemain pour reprendre leurs recherches.

« A demain, ma Lady ! », salua Chat Noir en se propulsant vers un toit voisin.

« A demain, chaton », répliqua Ladybug en retour.

Tournant le dos à son partenaire, la jeune fille s'éloigna de son côté. Elle enroula adroitement son yo-yo autour d'une cheminée et s'élança dans le vide, se balançant de bâtiment en bâtiment avec l'habileté née d'une longue pratique. Elle parcouru ainsi plusieurs dizaines de mètres, avant de se laisser finalement tomber au fond d'une petite ruelle déserte.

Après s'être assurée d'un rapide coup d'œil que personne ne risquait de la surprendre, l'adolescente se détransforma et baissa la tête vers le petit sac dont elle ne se séparait jamais.

« On n'a rien trouvé », souffla-t-elle à Tikki d'une voix tendue. « Je me disais que les gens parleraient peut-être plus facilement à Ladybug qu'à Marinette, mais rien. Il a vraiment disparu. »

« Ne t'en fais pas, je suis sûre qu'on va finir par trouver ce qui lui est arrivé », répliqua Tikki d'un ton qui se voulait rassurant, mais sans réussir à dissimuler totalement l'inquiétude qui se lisait au fond de ses yeux. « Chat Noir et toi commencez à peine votre enquête, vous allez sûrement finir par découvrir quelque chose ! Quelqu'un est forcément au courant de ce qu'il s'est passé. »

« Oui, j'espère… », soupira Marinette avec résignation. « Mais je n'aime pas ça. Je n'aime vraiment pas ça. J'aurais tellement aimé trouver ne serait-ce qu'un petit indice ! J'ai l'impression d'être complètement inutile ! »

« Tu veux faire un dernier tour dans le quartier avant de rentrer, pour voir si tu ne repères rien d'anormal ? », suggéra Tikki.

Se mordant nerveusement la lèvre inférieure, Marinette hocha la tête d'un geste mécanique.

« Oui », approuva-t-elle dans un souffle. « Je pense que je vais faire ça. »

Puis, sans perdre un instant de plus, elle sortit de la ruelle et se dirigea vers l'immeuble de Maître Fu.


Elégamment perché au sommet d'une cheminée, Chat Noir scrutait les alentours du regard.

Savoir que la personne en charge des miraculous était désormais portée disparue ne rassurait en rien le jeune homme, et l'angoisse de Ladybug s'était avérée extraordinairement contagieuse. Trop inquiet pour rentrer directement chez lui, Chat Noir avait finalement décidé de faire un dernier tour dans le quartier pour voir s'il ne repérait rien de suspect.

Mais en vain.

Le héros s'apprêtait à jeter l'éponge pour la soirée et à rentrer chez lui quand, soudain, sa vision nocturne captura une silhouette terriblement familière. Celle d'une jeune fille aux cheveux sombres divisés en une paire de couettes, qu'il croisait tous les jours ou presque.

Celle de Marinette.

Chat Noir secoua instinctivement la tête en signe de dénégation, refusant pendant un bref instant d'en croire ses yeux. Impossible. C'était rigoureusement impossible. A une heure pareille, sa camarade de classe n'avait absolument aucune raison de se trouver à errer ainsi dans les rues de Paris. Il devait certainement être en proie à une hallucination causée par trop de temps passé à surveiller les alentours, par un manque de sommeil ou par une soudaine poussée de fièvre délirante.

Fermant les yeux pour tenter de chasser cet incroyable mirage, Chat Noir prit une profonde inspiration, puis rouvrit lentement les paupières.

Et aussitôt, son regard fut de nouveau happé par cette adolescente qu'il ne reconnaissait que trop bien.

Marinette.

Sans le moindre doute possible.

La bouche désagréablement sèche, Chat Noir se pencha en avant pour mieux suivre les errances de sa camarade. Il ne s'agissait certainement que d'une simple promenade, tentait-il désespérément de se convaincre. D'une promenade nocturne, une veille de cours, agrémentée de tours et détours dans les ruelles les plus improbables...

Mais rapidement, Chat Noir dû se faire à l'idée qu'il était à présent témoin de tout sauf d'une innocente balade au clair de lune. Lui qui avait désespérément cherché quelque chose d'étrange durant cette folle journée se trouvait à présent récompensé d'une bien cruelle manière.

Marinette était la fille la plus gentille, la plus adorable qu'il connaissait.

Ou tout du moins, qu'il croyait connaître.

Car en cet instant précis, force était de reconnaître que l'attitude de Marinette était tout sauf naturelle. Sa camarade de classe s'aventurait à présent dans des ruelles que lui-même n'aurait pas osé arpenter en plein jour, jetait des regards furtifs autour d'elle comme par crainte d'être reconnue, passait et repassait parfois une demi-douzaine de fois devant les mêmes bâtiments.

L'estomac noué, Chat Noir surveilla ainsi la jeune fille durant de longues minutes.

Dans cette sombre affaire de disparition, il aurait certainement pu se faire à n'importe quel suspect. Chloé. Monsieur Damoclès. Voire même Alya. Mais Marinette ? Il refusait d'y croire.

Décidant finalement qu'il ne pouvait continuer sans se confier à son kwami, Chat Noir s'abrita à l'ombre d'un bâtiment et se détransforma. Il avait déjà fait de même un peu plus tôt dans la journée pour discuter avec Plagg de la mystérieuse absence du Grand Gardien.

Maintenant, l'heure était venue de parler de Marinette.

« Plagg, qu'est-ce qu'elle peut bien faire là ? », lui souffla-t-il d'une voix presque implorante.

Avec un peu de chance, son kwami saurait peut-être voir une explication logique dans cette situation dont le sens lui échappait encore.

Mais hélas, les espoirs du jeune homme furent vite déçus.

« Va savoir », répliqua Plagg avec la plus parfaite indifférence. « Peut-être qu'elle se promène. Peut-être qu'elle fait du repérage pour des courses. Peut-être qu'elle kidnappe des petits vieux pour faire du trafic de personnes âgées. Comment veux-tu que je le sache ? »

« Merci pour ton aide », rétorqua Adrien d'un ton sarcastique.

« Hey, c'est toi le héros », répliqua Plagg avec un petit reniflement hautain. « Je te donne tes pouvoirs, à toi de faire le reste. »

Alors qu'un air défait se peignait sur les traits d'Adrien, le kwami sembla finalement prendre son porteur en pitié.

« Tu n'as qu'à aller voir toi-même ce qu'il en est, en tant qu'Adrien », reprit-il d'une voix encourageante. « Il y a peut-être quelque chose qui t'a échappé depuis les hauteurs. Si ça se trouve, il n'y a rien de grave. »

Alors que le jeune homme continuait de discuter avec son kwami de la meilleure approche à adopter, une douce lueur rose apparut à son insu quelques rues plus loin, juste avant qu'une fine silhouette ne l'élance vers les toits.

Et alors qu'Adrien se mettait à son tour à déambuler dans les rues de la capitale, une jeune héroïne qui s'apprêtait jusque-là à rentrer chez elle posa sur lui un regard estomaqué.

« …. Adrien ? »