Bonjour, lecteur, lectrice.

Si vous êtes là, c'est que vous m'avez donné une chance. Pour que cela en vaille la peine, j'ai bien peur qu'il vous faille être patient car l'action ne démarre pas sur les chapeaux de roue. Mais je vous rassure, je ne vais pas passer 5 chapitres à ne faire que des dialogues et descriptions inutiles. Vous vous ferrez votre idée.
J'ai décidé de ne pas démarrer au tout début du jeu, ça vous empêche de savoir tout de suite quels choix ont fait tels et tels androïdes un peu plus tôt, et de vous retaper toute une introduction inutile.

Le but ici, c'est de reprendre un maximum des meilleurs bouts de l'histoire (ça c'est subjectif on est d'accord) et d'en remettre des couches. De faire durer la lutte de Markus pour la révolution. De donner plus de temps à Connor pour douter, pour penser. De voir si je peux donner une histoire moins attendue avec Kara et Alice (des trois héros, la seule femme se coltine l'aspect maternel de l'histoire. J'aime bien Kara elle est choute mais bonjour l'originalité)

Je vous préviens d'avance, j'ai pris 1 GROSSE liberté sur le scénario. Je me justifierai après, quand vous l'aurez découverte, pour des raisons de spoil (d'ailleurs si vous avez pas vu le jeu en entier foutez le camp malheureux !)

Donc parfois je vous ferais aller sur les routes de base avec les dialogues de base, et parfois il y aura pas tout à fait les mêmes dialogues, parfois pas les mêmes choix, et parfois plus du tout les mêmes scènes (parce qu'on est là pour ça) et souvent plus du tout les mêmes arcs. Je m'octroie le droit d'aller et revenir vers le scénario de base quand ça me chante parce que c'est plus drôle, je vous imagine déjà en train de vous dire « woups, eh ben, après tout ça, qu'est-ce qu'il va se passer ? OH NON, sérieux ?! Ils vont vraiment à la tour stratford comme dans le jeu ?! » (en gros, hein. Ne vous faites pas des films à partir de cet exemple.)

Le plus grand défi pour moi sera d'écrire au fur et à mesure en publiant chaque samedi soir. Il y aura très probablement une pause au milieu de la fiction.

Vous êtes encore là ?… eh ben merci ! Je vais faire de mon mieux pour vous divertir !


Chapitre 1 : L'interrogatoire, fugitives


Je m'appelle Connor.

Je suis un androïde envoyé par Cyberlife. Modèle RK-800, série #313 248 317 – 52. Il est 12:41 AM.

Nous sommes dans la salle d'interrogatoire du Département de Police de Détroit. Sont présents le lieutenant Hank Anderson, l'officier Chris Miller et l'inspecteur Gavin Reed. Le suspect est un androïde ménager, modèle HK-400, fabriqué le 29/05/2030. Son propriétaire : Carlos Ortiz, est la victime de l'affaire. Actuellement décédé.

Le lieutenant Anderson quitte la salle d'interrogatoire et rejoint l'arrière-salle :

« On perd notre temps à interroger une machine. Il se mettra jamais à table !

– On peut toujours essayer de le tabasser. »

Nous nous tournons vers l'inspecteur Reed, adossé au mur.

« Ben c'est vrai quoi, il est pas humain… »

Il semble qu'il faille potentiellement le prendre au premier degré. Je rectifie :

« Les androïdes ne ressentent pas la douleur. Vous ne feriez que l'endommager et il n'y aurait rien à en tirer. Les déviants ont aussi tendance à s'autodétruire quand ils se retrouvent en situation de stress.

– Okay p'tit malin ! Alors qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? »

Il y a bien une alternative.

« Je pourrais essayer de l'interroger. »

Après tout, il est peut-être impossible pour un humain de réussir l'interrogatoire. Peut-être que le suspect serait plus à l'aise avec un autre androïde. Il est temps de mettre à l'usage les programmes conçus pour ces situations.

L'inspecteur Reed rit de ma proposition. Quant au lieutenant, il semble hésiter un moment, me regarde, puis regarde du côté de la vitre : « Qu'est-ce qu'on a à perdre ? » Il désigne la scène d'un geste de la main : « Vas-y, le suspect est à toi. »

J'ai l'autorisation de procéder.
Je quitte la salle et rejoins celle du suspect, mon objectif parfaitement défini.

Son niveau de stress est de 35 %. Le niveau estimé pour obtenir les aveux est évalué entre 50 et 75 %. Il va falloir presser le suspect jusqu'à l'avoir mis dans ces conditions.

Analyse…

Ses bras sont détériorés, le droit porte les traces des coups de batte identifiés dans la reconstitution de la lutte avec la victime. Dégâts non-critiques de niveau 2. Le bras gauche porte des traces de brûlure de cigarette répétés sur 16 mois. Plus d'indices pertinents.

Il est temps de procéder.

Je peux chercher à parler de sa peur, de ses blessures, lui montrer les photos du crime ou bien l'appeler par son nom. Cette dernière proposition ne convient pas, elle sert à établir un premier contact lors des prises d'otages comme dans le cas de Daniel. Parler de sa peur semble plus approprié pour débuter. Puisqu'il est convaincu de la ressentir…

« Je détecte une instabilité dans ton programme. Elle peut causer une émotion désagréable, comme la peur chez les humains. »

Aucune réaction. Il semble qu'il faille être plus incisif.

« Tu es endommagé. C'est ton maître qui t'a fait ça ? Il t'a battu ? »

Le niveau de stress augmente. 39 %. Et toujours aucune réaction. Ce n'est pas suffisant.
Il est temps de passer aux accusations. Mon programme m'invite à adopter une posture plus poussive. Ma voix est plus chargée.

« Tu es accusé de meurtre. Tu sais que tu n'as pas le droit de mettre une vie humaine en danger, quelle que soit la situation. As-tu quoi que ce soit à dire pour ta défense ? »

Malgré l'invitation, le déviant ne se confie pas. Mais son niveau de stress est à 43 %.

Il y a toujours l'option de sympathiser, ou même de gagner sa confiance, mais c'est trop tôt. Quant à sonder sa mémoire… étant donné les risques, mieux vaut le garder en dernier recours. Il faut le menacer. Je me fais plus autoritaire.

« Tu n'as pas l'air de comprendre la situation. Tu as tué un humain. Ils vont te mettre en pièces si tu ne parles pas. » dis-je, d'une voix forte. 47 %. C'est encore trop faible, mais pas à pas approche la limite.

Ceci dit les options sont épuisées. Il n'est pas envisageable de les répéter, ce serait trahir le manque de moyens de pression. Et il n'est pas possible de se montrer conciliant, il doit d'abord montrer des signes de faiblesse.

Il est trop tôt pour abandonner et le sonder… mais rien n'empêche d'en parler.

« Si tu refuses de parler, je vais devoir sonder ta mémoire.

– NON !… S'il te plaît, ne fais pas ça… » s'écrie-t-il, sa LED passant du jaune au rouge clignotant, relevant soudainement la tête vers moi.

Enfin. Ses premiers mots depuis qu'il est dans cette salle.
Niveau de stress à 55 %. Il est enfin à une valeur optimale mais la moindre marque de sympathie mal placée pourrait le faire descendre hors de la zone idéale.

Le déviant jette quelques œillades vers la vitre qui le sépare de l'arrière-salle. Il est fébrile.

« Qu'est-ce que… Qu'est-ce qu'ils vont faire de moi ? »

Il s'adresse à moi. Je progresse.

« Ils vont me détruire, hein, pas vrai ? »

Le déviant a de nouveau établi le contact visuel avec moi. Il attend clairement une réponse à cette question. Je dois garder ce contact. Lui mentir pour l'apaiser, ou lui dire la vérité ? Je pourrais lui mentir. Le protocole m'y autorise. Mais l'intérêt n'y est pas. Je lui dis d'une voix neutre :

« On va te désassembler pour chercher les problèmes dans tes biocomposants. Il n'y a pas le choix si nous voulons comprendre ce qu'il s'est vraiment passé. »

Son niveau de stress est à 59 %. La situation évolue correctement. Je dois rediriger l'interrogatoire…

« Pourquoi leur avoir dit que tu m'avais trouvé ? me demande-t-il subitement. Pourquoi est-ce que tu ne m'as pas laissé là-bas ? »

Mentir, ou bien expliquer ?
En réalité, peu importe qu'il sache.

« J'ai été programmé pour traquer les déviants comme toi. » 63 %. « Je n'ai fait qu'accomplir ma mission.

– Je ne veux pas mourir.

– Alors parle-moi. »

J'attends.

« Je… »

Le déviant tremble et hésite, la LED toujours jaune, et finit par terminer : « Je ne peux pas. »

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Hank lâche une expiration qui passe pour un soupir. Chris secoue la tête :

« Il le tenait…

– Pff, tu parles ! raille Gavin. C'est une machine. C'est bon pour faire le café, pas pour…

– Il a raison, Reed. J'y ai passé un quart d'heure et lui, en moins de deux minutes il arrive à lui tirer dix mots.

– Et alors ?! Est-ce qu'il se met à table ? Non !

– Attends, donne-lui deux secondes… » tempère Hank.

Les traits de Reed se durcissent. Depuis quand ce vieux con d'Anderson donne de sa patience ? À un de ces androïdes, en plus !

« Tu es une machine, reprend Connor de l'autre côté. Tu as été conçu pour obéir, alors obéis ! Dis-moi ce qu'il s'est passé ! »

Les trois hommes patientent à nouveau en silence. Hank commence à noter que Connor est assez différent de ce qu'il montrait tout à l'heure, pendant leur petite enquête.

« Je sais que tu as peur. Tu doutes. Ces événements t'ont secoué. » Parler presque à voix basse donne un étrange contraste par rapport à la précédente réplique. « Parle-moi, tu te sentiras mieux. »

Hank ne frémit pas d'un sourcil mais trouva presque un peu dérangeante sa façon de jongler entre colère et empathie.

« Si tu gardes le silence, je ne pourrais plus rien faire pour t'aider ! Tu vas finir désactivé ! Tu vas mourir ! Tu m'entends ? Mourir ! »

Et mélanger les deux. On ne lui donnerait certes pas un oscar, mais il se débrouillait pas trop mal.

« Il me torturait tous les jours... »

L'attention des trois policiers s'affûta.

« Je faisais tout ce qu'il me disait, mais… Il trouvait toujours quelque chose à redire. Et puis un jour… Il a pris une batte et il s'est mis à me frapper… Pour la première fois j'ai ressenti… la peur. »

Bon sang, songèrent-ils. Ils l'avaient.

« J'ai eu peur qu'il me détruise, j'ai eu peur de mourir… Alors… J'ai pris le couteau et je lui ai planté dans l'estomac… Je me suis senti mieux… Alors je l'ai poignardé encore… et encore… Jusqu'à ce qu'il tombe… Il y avait du sang partout. »

Il s'interrompt.

Hank ajuste sa position sur sa chaise, plutôt satisfait. Finalement, l'androïde pouvait se rendre quand même utile. Interroger une machine, qu'est-ce que c'était chiant… ce n'était peut-être pas plus mal qu'un androïde les en débarrasse, justement.

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Les aveux sont déjà suffisants. Mais c'est l'occasion de poursuivre pour en apprendre le plus possible. Comme sur toutes ces choses qu'il a écrites sur les murs de la maison, la statuette… Ou peut-être lui demander pourquoi être resté au grenier après son crime ? Mais d'abord :

« Depuis quand ressens-tu des émotions ?

– Avant il avait l'habitude de me battre et je ne disais rien… Mais un jour, j'ai réalisé que ce n'était pas… juste ! J'ai ressenti… de la colère… et de la haine !… Et là, j'ai su ce que j'avais à faire. »

Il ne nous apprend rien… Cyberlife sait déjà que les déviants apparaissent sous le coup de chocs émotionnels.

« Pourquoi avoir écrit « JE SUIS VIVANT » sur le mur ?

– Il me disait que je n'étais rien du tout… que je n'étais qu'un morceau de plastique… Il fallait que je l'écrive… Pour lui dire qu'il avait tort… »

Ce déviant est particulièrement porté sur le symbolisme. Daniel était beaucoup plus pragmatique. Puisqu'il préfère les symboles…

« La sculpture, dans la salle de bain. C'est toi qui l'a faite ? Qu'est-ce qu'elle représente ?

– C'est une offrande… une offrande pour que je sois sauvé…

– Une offrande à qui ? Dis-moi !

– Pour rA9… » me répond-il, sur un ton qui sonne comme si je devrais déjà le savoir. « Seul rA9 peut nous sauver. »

…Ça n'a pas de sens. Même pour lui.

« rA9… c'était sur le mur de la salle de bains… dis-moi ce que ça signifie.

– Le jour viendra où nous ne serons plus des esclaves… finies les menaces. » il semble plus sûr de lui. « Finie l'humiliation… Nous serons bientôt les maîtres.

– Qui est ce rA9 ? »

Mais le déviant refuse à nouveau de coopérer. Comme si parler de rA9 l'avait apaisé. Tant pis. Il n'a sans doute pas la réponse à cette question lui-même , cela sonne plus comme quelque chose qu'il aurait inventé pour se protéger, sauver son intégrité logicielle. Et à propos de se sauver, une dernière chose :

« Pourquoi t'être caché dans le grenier au lieu de t'enfuir ?

– …Je ne savais pas quoi faire. Pour la première fois, il n'y avait plus personne pour me donner d'ordres. »


Il est assez surprenant qu'il fasse ainsi soudainement preuve de logique.

« J'avais peur… »

Ou presque.

« Alors je me suis caché. »

Voilà. C'est fait. Les aveux sont complets, il ne reste plus de questions. Je me tourne vers la vitre :

« J'ai terminé. »

Le déviant semble instable au vu de ses tremblements. L'interrogatoire a mis à mal ses programmes, mais son niveau de stress est resté dans la bonne marge. Je déverrouille la porte, d'où arrivent les trois autres enquêteurs. L'inspecteur Reed ordonne à l'officier Miller de boucler le déviant.

« Okay, on y va…

– Laissez-moi ! »

L'officier Miller vient de le détacher, et le déviant d'esquiver sa main. « Ne me touchez pas ! »

Son niveau de stress s'élève soudain à 80 %. C'est au-delà des limites de l'interrogatoire. L'inspecteur Reed s'impatiente : « Merde, qu'est-ce que tu fous ? Magne-toi !

– Ça va ! tempère l'officier. Calme-toi. Fais pas ton cinéma, tu vas nous compliquer la vie ! »

L'officier essaye plus ou moins calmement de le tirer en position debout, mais le déviant se recroqueville sur sa chaise et s'esquive. L'inspecteur Reed va s'impatienter et vouloir le forcer. Ce n'est pas une bonne idée. On parle d'un androïde capable de poignarder un repris de justice de 28 coups de couteau, et d'autre part approchant d'un niveau de stress pouvant provoquer sa désactivation.

Les agents de police ne semblent pas très au fait du fonctionnement des déviants.

« Évitez de le toucher. Il s'autodétruira s'il se sent menacé. »

Et nous avons besoin de ces preuves.

« Reste en dehors de ça, okay ? C'est pas un androïde à la con qui va me dire ce que je dois faire. »

85 %. S'ils continuent…
Non. Nous ne devons pas le perdre. Ni le voir blesser l'agent Miller.
Je dois tenir tête à un agent de police. Mais c'est ce qu'il faut faire.

« Vous ne comprenez pas. S'il s'autodétruit, on ne pourra plus rien en tirer !

– Je croyais pourtant t'avoir demandé de fermer ta gueule ! Chris, tu vas emmener ce connard, oui ou merde ?!

– J'essaye ! »

S'il n'a pas la force de le porter il ne peut pas espérer le mettre sur ses jambes. La situation va dégénérer. Avec une probabilité…
La situation va dégénérer.
Ce n'est plus la peine de convaincre l'inspecteur Reed, il faut arrêter Miller.

« Je ne peux pas vous laisser faire ! Laissez-le tranquille ! »

Je dégage l'officier de l'emprise qu'il a sur le déviant et m'interpose.

« Je t'aurais prévenu, sale robot de merde ! crie Reed. Il me tient en joue.

– Ça suffit.

– Occupe-toi de tes affaires, Hank.

– J'ai dit : ça suffit. »

Je vois le lieutenant sortir son arme tout aussi calmement qu'il s'est exprimé. Pour la pointer sur l'inspecteur.
Apparemment le lieutenant s'est rangé de mon côté. J'ignore si c'est l'attitude de son collègue qui l'irrite ou ma défense qu'il veut prendre. Le résultat est le même.

« Merde ! » Gavin Reed pointe le déviant du doigt. « Toi tu vas pas t'en tirer comme ça ! » Il se tourne ensuite vers moi mais ne dit rien, puis il quitte la pièce. « Fait chier ! »

Le déviant s'est recroquevillé dans le coin de la pièce. Cette fois, c'est le bon moment pour le rassurer, n'est-ce pas ?

« Tout va bien, maintenant. C'est fini. Personne ne va te faire de mal. »

Avec cette voix et le fait qu'il l'entende d'un autre androïde, son niveau de stress chute directement à 50 %. Il est dans un état de docilité parfaite. Reste à clarifier les choses pour l'officier Miller : « S'il vous plaît, ne le touchez pas, laissez-le vous suivre hors de la pièce et il ne vous causera aucun ennui. »

La mesure est bien sûr très étrange, toutefois il ne s'agit pas d'un humain, mais d'un déviant. Il se relève d'ailleurs doucement et me regarde alors qu'il fait quelques pas.

« La vérité est à l'intérieur. »

Je l'observe quitter la pièce en réfléchissant, mais je ne perce pas le sens de ces paroles. Je sens une légère instabilité dans mon logiciel, le temps d'appréhender ces nouvelles informations.

Au moins l'interrogatoire a été complet et ce déviant ne s'est pas autodétruit, comme la plupart d'entre eux.

J'ai accompli ma mission.

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« Kara, j'ai froid…

– Je sais, Alice. On va trouver un endroit où dormir… »

Kara ne savait pas quoi faire. Elle n'avait qu'une seule chose en tête : protéger Alice. La protéger du froid, de la faim, et de toute personne voulant lui faire du mal.

Elle avait demandé de l'aide au chauffeur du bus, à un androïde, elle avait supplié ce caissier de la supérette mais elle n'avait rien obtenu. Elle n'avait que cette adresse à l'autre bout de la ville, de la part d'un androïde responsable des poubelles. Ça ne lui donnait ni d'abri où faire dormir Alice, ni de quoi lui faire à manger. Tout ce qu'elle avait pu prendre c'était une tablette de chocolat à la supérette, qu'elle n'avait bien sûr pas payée. Elle n'osait plus revenir à cause de ça.

Il faisait vraiment trop froid pour Alice. Lorsqu'elle vit la laverie automatique, Kara l'y réfugia aussitôt. Alice s'assit sur une chaise et Kara contempla les machines vides. Une seule était en train de fonctionner. Celle du seul client présent, qui ne s'occupait pas d'elles. Elle vérifia la machine de paiement mais aucune pièce oubliée ne traînait là. Elle regarda la machine et le jeune homme juste en face.

Il dormait. Il ne les avait pas entendues arriver. Il n'avait même pas conscience que sa machine était finie. Le jeune garçon devait être épuisé… sans doute un étudiant.

Kara sentit une idée germer dans son esprit. Pas de quoi être fière. Simplement, ce jeune homme avait des vêtement dont elles avaient besoin. Il dormait, donc il ne se rendrait compte de rien. Alice était trempée et la police était peut-être déjà à leur recherche.

« Qu'est-ce que tu fais ? chuchota Alice dès qu'elle la vit faire. C'est pas à nous ! C'est du vol !

– Mais on n'a pas le choix, Alice. »

Et même si ce fut à contrecœur, Kara vida tout le linge dans une bassine. Le jeune homme avait aussi un bonnet dans la main. Elle en avait littéralement besoin pour cacher son chignon trop reconnaissable et sa LED à la tempe. Un délicat exercice de larcin et elle l'obtint.

Lorsqu'elles furent complètement changées, elles sortirent dehors. Kara ressentit une appréhension à l'idée qu'Alice ne lui fasse plus confiance après ce vol, mais la petite lui donna tout de même la main.

Alice avait besoin d'elle. Alice dépendait d'elle.

Kara regarda partout, mais sans argent, elles ne pouvaient pas rêver d'une chambre à l'hôtel. Kara repéra une maison abandonnée. C'était le mieux qu'elles pouvaient espérer… Elle trouva une entrée donnant sur la propriété et explora tout autour de la maison, regardant à travers les planches clouées sur les fenêtres, mais il n'y avait rien à voir. Elle n'entendit rien, non plus.

« Alice ? »

Elle ne l'avait pas entendue s'éloigner.

« Alice ?! »

Elle ne la voyait pas non plus. Kara revint sur ses pas en panique et la retrouva entre la façade de la maison et la palissade, menacée par un homme tenant un couteau. Un homme sur qui brillait un anneau rouge sur la tempe.

« Non attends ! Qu'est-ce que tu fais ?!

– De la visite… Ralph n'aime pas les visiteurs ! Ils sont dangereux ! Ils peuvent blesser Ralph ! » dit-il d'un ton fébrile. Un androïde blond vêtu de haillons larges et épais.

Kara tenta de garder son calme. Il y avait sûrement un moyen de le rassurer. C'était un androïde, peut-être terrorisé, mais Alice n'était qu'une petite fille !…

« J'ignore ce que les humains t'ont fait mais elle n'a rien à voir là-dedans.

– Tous les humains veulent nous faire du mal, couina Ralph. Mais Ralph ne les laissera pas recommencer, jamais, non, pas question ! » martela-t-il soigneusement, sans baisser sa main tachée de bleu tenant la lame. Kara ne baissa pas les bras elle non plus, voulant à tout prix s'expliquer :

« Je pensais que l'endroit était vide… On cherche juste un endroit où passer la nuit. »

Ralph semblait plus calme. Même sa LED était devenue jaune. Sa voix était moins aiguë…

« Les visiteurs sont dangereux… Regarde… Ce qu'ils ont fait à Ralph… » dit-il doucement, tournant pudiquement le visage vers Kara pour qu'elle voie son autre profil.
L'androïde avait été défiguré.

Kara était encore plus déstabilisée. Mais il fallait continuer de parler à ce Ralph avec bienveillance. Elles pourraient sûrement repartir en douceur.

« Tu n'as rien à craindre, tu sais… On ne te fera aucun mal. Je te donne ma parole. »

Ralph s'était enfin calmé, baissant son arme et laissant Alice se réfugier derrière Kara.

« Il faut excuser Ralph… Ralph a encore du mal à contrôler ses gestes… Parfois ses peurs lui font faire des choses qu'il regrette… Ralph a vécu des moments durs… » Pointa-t-il en montrant son visage, dont le plastique sous la peau avait fondu et était ouvert de lacérations profondes. « Il a peur que les humains l'enferment à nouveau… Restez, si vous voulez. Ralph vous fera pas de mal… »

Rester ? Avec Ralph ?!

Kara réalisa que l'option du refuge était sérieusement compromise. Ralph lui faisait terriblement peur. Seule, elle aurait peut-être, peut-être pu l'envisager. Mais si Ralph ne contrôlait pas ses gestes, qui pourrait bien l'empêcher de devenir fou pendant la nuit et de s'en prendre à Alice ?

Non. Non…. Alice avait déjà eu Todd. Elle ne passerait pas la nuit avec cet homme.

Elle s'excusa et reparti à travers le même grillage qui leur avait permis d'entrer. Elle chercha encore, encore… mais tout ce qu'elle pu trouver fut une voiture à l'abandon.

« C'est sec à l'intérieur… et personne ne nous trouvera, ici. »

Quand elle avait pensé sauver Alice, elle n'avait pas cru devoir lui faire passer une telle épreuve. Elles étaient misérables.

« Je ne veux pas dormir là-dedans. On peut pas trouver mieux ? »

Alice confirmait sa pensée. Mais pour dormir à l'hôtel, il aurait fallu voler la caisse du supermarché et Alice ne le lui aurait sûrement pas pardonné… quant à Ralph, Kara ne voulait plus jamais y repenser. « On ferait mieux de rester ici, Alice. L'important c'est qu'on soit à l'abri. »

Alice s'installa dans la voiture, Kara la rejoignit et ferma la portière. La voiture était poussiéreuse, bruyante avec la pluie et la fenêtre cassée, mais elles étaient au sec… Kara trouva une couverture à l'arrière, elle la donna à la petite qui s'y emmitoufla dans un silence pesant. Elle ne voulu pas du chocolat que Kara lui proposa.

« Pourquoi il m'a jamais aimée ?… »

Alice repensait à Todd.

« Pourquoi il était toujours fâché contre moi ?… Moi, je voulais juste vivre comme les autres filles… Peut-être que j'ai fait quelque chose de mal? Peut-être que j'étais pas assez gentille ? C'est pour ça qu'il était toujours en colère. »

Kara ne trouva rien à dire.

« Je voulais juste qu'on soit une famille. Je voulais juste qu'il m'aime…. » elle se tourna vers Kara « Pourquoi on ne pouvait pas être heureux ? »

Kara n'en savait rien.

« Je ne sais pas, Alice. »

Elle n'en avait pas la moindre idée.

« Tu me quitteras jamais, hein ? Promets-moi que tu me quitteras jamais ! supplia Alice.

– Je te le promets.

– On sera ensemble pour toujours ?

– Pour toujours. »

Alors Alice se blottit contre Kara. Celle-ci fit de son mieux pour qu'elle soit à son aise, et se laissa aller à son tour, oubliant les bruits de la nuit.


Et voilà un premier chapitre qui met un peu les choses en place… je l'ai réécrit tout récemment (c'est sans doute plus le cas pour vous) histoire de le rendre moins indigeste (et après ce chapitre c'est qu'une mise en bouche)

Les embranchements vont rapidement dériver, même si j'ai encore quelques passages à reprendre. Certains sont très accélérés, heureusement. Alors à plus tard !