AMORTENTIA

Chapitre 5

Rodrigue eut beaucoup de mal à s'endormir à nouveau après cette courte conversation avec son époux. Il écouta la respiration de Tristan s'apaiser, lentement, sans réussir à oublier la question qu'il lui avait posée. Aurait-il préféré épouser Glanmore ?

Au matin, il avait encore une tête de déterré. Ça allait devenir une habitude.

Tristan non plus n'était pas très frais. Ils avaient franchement déconné hier soir, avec l'espèce d'alcool local que Wang avait voulu leur faire goûter.

Au cours des jours qui suivirent, ils s'éloignèrent de plus en plus de la civilisation, s'enfonçant dans la campagne. Ils marchèrent beaucoup, passant par plusieurs petits villages, avant de couper par la forêt, vers les montagnes, là où les Boutefeu avaient été vus dernièrement.

Rodrigue avait du mal à tenir le rythme ; Tristan s'en rendit rapidement compte. Au début, il n'éprouva aucune pitié pour lui, au contraire. Mais le soir du septième jour, alors que son époux s'endormait à moitié dans l'assiette qu'Orla avait préparée, il sentit son cœur de pierre s'adoucir un peu.

— Nous partirons plus tard demain, dit-il en récupérant les assiettes vides pour faire la vaisselle.

Rodrigue se redressa légèrement sur son siège.

— Pour quelle raison ? demanda-t-il.

Tristan hésita brièvement à lui dire la vérité. Mais il sentait que ça n'allait pas lui plaire.

— Je suis un peu fatigué, mentit-il.

— Chochotte, se moqua Herman.

Rodrigue ne le dit pas, mais il était très content de pouvoir dormir un peu le lendemain matin. Il était exténué par le voyage, n'ayant pas du tout l'habitude de marcher autant et dans des conditions aussi rudes.

— Bonne nuit, dit-il, dès le repas terminé, les quittant pour rejoindre sa tente et s'installer au petit bureau pour écrire.

Il commençait à se faire à cette routine, c'était reposant quelque part, même s'il ne l'aurait jamais avoué à Tristan. Marcher, penser seulement à ce qu'ils allaient manger le soir, écrire et se coucher tôt.

Il était encore en train de travailler quand Tristan le rejoignit. Rodrigue l'observa se changer du coin de l'œil, détournant le regard quand son mari se dénuda complètement, et essaya, avec plus de difficultés, de se concentrer sur ses écrits.

— Qu'est-ce que vous écrivez ? demanda Tristan, en récupérant des sous-vêtements propres pour la nuit.

Tous les soirs, Rodrigue s'attablait pour... écrire des choses. Quel genre de choses, ça restait un mystère…

— Rien, répondit agréablement son époux.

— Cher journal, aujourd'hui nous avons fait comme hier, commença Tristan en chantonnant, rangeant ses affaires. J'ai eu très chaud, je me suis fait dévorer par les moustiques. Ce soir j'ai mal aux pieds, et mon estomac ne supporte plus ces infâmes nouilles. Oh cher journal, comme j'aimerais être à Londres, laisser Ivy me préparer à manger, au lieu de devoir avaler les infâmes préparations de ces chercheurs de dragon nuls en cuisine...

Rodrigue arrêta d'écrire pour se tourner vers lui, l'écoutant chanter, atterré.

— J'écris beaucoup mieux que ça, le coupa-t-il dans son délire, plus agacé par le fait que Tristan ait remarqué les quelques boutons de moustique sur sa peau parfaite que par le fait qu'il se foute de sa gueule.

Tristan, toujours à moitié nu, lui adressa un sourire triomphant.

— Alors c'est ça ? Vous tenez un journal ? Pourrais-je le lire à la fin de l'expédition ?

— Non, ce n'est pas un journal. Et si ça en était un, vous ne pourriez absolument pas le lire, ajouta-t-il, histoire que ce soit bien clair.

Tristan n'était pas si laid quand il souriait comme ça et qu'il se...moquait de lui. Le jeune homme eut l'air assez déçu par sa réponse.

— D'accord, dans ce cas, qu'est-ce que c'est ? Ne me répondez pas "rien", c'est beaucoup de temps passé pour ne rien écrire.

— Je n'ai pas envie de vous en parler, reconnut Rodrigue.

Tristan se retint de lever les yeux au ciel. Ça l'aurait étonné tiens... Il se détourna de Rodrigue, ne posant pas d'avantage de questions et préféra aller se coucher. En général, Rodrigue écrivait une petite demi-heure. Cela lui laissait juste le temps de jeter un sort de silence, de se masturber en pensant à un beau garçon en train de lui faire l'amour, puis de jeter un sort de nettoyage et de s'endormir tranquillement.

Sauf que ce soir-là, Rodrigue avait été coupé dans le fil de ses pensées et qu'il ne parvint pas à reprendre le fil de son écriture. Il abandonna finalement ses feuilles, les rangeant soigneusement dans son sac, avant de rejoindre la chambre. Il découvrit Tristan, allongé sur leur lit, son caleçon juste assez baissé pour pouvoir se caresser.

Choqué de surprendre cette scène, il ne parvint pas à détacher son regard, durant de longues secondes, de la main de Tristan en train de s'activer sur sa queue. Il releva ensuite les yeux vers son visage, rougi de plaisir, au moment où Tristan rouvrait les yeux.

Le teint de Tristan passa du rouge au blanc en un éclair. Il remonta ses sous-vêtements, mortifié au dernier niveau, se redressant immédiatement. Putain de bordel de merde, c'était un cauchemar. Le seul soir où il se touchait, c'était celui où Rodrigue décidait de se coucher tôt. Il allait juste mourir de honte ; son mari allait tellement le mépriser après ça. Comme s'il avait besoin de pourrir d'avantage leur relation.

—Ce n'est pas ce que vous croy... D'accord, c'est une défense stupide. Je pensais que vous alliez travailler plus tard, je suis navré, expliqua Tristan.

Rodrigue n'avait même pas pensé à détourner les yeux, ce qui aurait pourtant été le plus raisonnable et le plus décent à faire.

— Ce n'est rien, l'excusa-t-il.

Ils se regardèrent longuement, sans savoir quoi ajouter, aussi mortifié l'un que l'autre.

— Je vous laisse quelques minutes, finit-il par dire, ressortant de la chambre en fermant la porte derrière lui.

Putain. Il ne pouvait même pas lui en vouloir, Tristan était un homme après tout, Rodrigue ne pouvait pas espérer qu'il mène une vie monacale.

Tristan se laissa tomber en arrière sur son lit, furieux contre lui-même. Maintenant, Rodrigue allait juste pouvoir rajouter "obsédé sexuel" à la liste de tous les jolis petits noms qu'il devait mentalement lui donner. Il se rhabilla avant de sortir de la chambre.

—Je vais aller faire un tour, ne m'attendez-pas.

Rodrigue fronça les sourcils.

— Ce n'est pas grave, tenta-t-il de le rassurer en voyant la mine de son époux.

— Je sais que ce n'est pas grave, le coupa Tristan. Mais je n'ai pas envie de passer ce moment très gênant ou nous allons tous les deux essayer de nous endormir en même temps en faisant comme si de rien n'était.

Il n'avait pas tort et Rodrigue le laissa partir, en effet soulagé de ne pas devoir essayer de s'endormir aux côtés de Tristan après ce qui venait de se passer. Il se coucha quelques minutes plus tard, mais s'agaça très vite contre lui-même : à chaque fois qu'il fermait les yeux, il se revoyait en train de surprendre Tristan dans cet acte si intime. À quoi pensait-il en se caressant ? Rodrigue doutait fortement que ce soit à lui, alors à qui ? Herman peut-être ? Après tout, le collègue de Tristan était quelqu'un de très séduisant.

Ses pensées l'énervèrent encore plus et quand Tristan rentra, bien plus tard, il était toujours éveillé. Il ferma les yeux, faisant mine de dormir cependant, pour ne pas le mettre plus mal à l'aise.

Son époux s'écroula de son côté du lit, s'endormant presque instantanément pour sa part, épuisé après une telle journée. Au moins, ça lui servirait de leçon...

Le lendemain matin, Rodrigue se réveilla assez tôt, habitué à être arraché du lit aux aurores. Tristan dormait encore, paisiblement, son torse dénudé se soulevant régulièrement au gré de sa respiration. Il l'observa durant de longues minutes, presque intimidé.

Il ne supportait pas l'idée qu'il se caresse en pensant à quelqu'un d'autre qu'à lui. Il était son époux après tout et même s'ils ne s'aimaient pas, il était normal qu'il comble les besoins de son mari, non ?

Il se rapprocha légèrement, sa main venant se poser sur le torse de Tristan qui frémit à peine dans son sommeil. Lentement, il descendit plus bas, se collant un peu plus à lui, alors que sa main venait masser le sexe de son époux à travers son caleçon.

Tristan gémit faiblement, coincé dans un demi-sommeil. Le plaisir montait crescendo, alors qu'il luttait pour sortir de cet étrange rêve où un homme sans visage l'embrassait dans le cou, glissant une main chaude autours de son sexe. Finalement, le réveil l'emporta, et il réalisa que ce n'était pas du tout un rêve. Il se redressa vivement, échappant aux mains de Rodrigue.

Il fut incapable d'articuler le moindre mot, fixant son époux comme s'il était cinglé.

Qu'est-ce qui lui prenait ? Comment osait-il le toucher de la sorte ?

Rodrigue rougit légèrement, mais décida de ne pas se démonter.

— Vous n'avez pas envie ? demanda-t-il faiblement, le cœur battant, ayant l'impression terrible d'avoir commis une erreur en touchant son époux.

— Non, articula Tristan, assez pâle pour sa part. Je ne sais pas pourquoi vous avez fait ça, mais ça m'étonnerai que ce soit pour une bonne raison.

Rodrigue déglutit puis se détourna pour sortir du lit et pour que Tristan ne puisse plus voir son visage cramoisi. Après ça, il quitta rapidement la chambre, se flagellant mentalement. Pourquoi avait-il fait ça bordel ? Il s'était horriblement humilié, Tristan allait le prendre pour une traînée, un moins que rien.

Évidemment que son époux ne voulait pas le toucher, il l'avait trompé, sans doute ne voudrait-il plus jamais de lui d'ailleurs, et c'était très bien comme ça. Il s'habilla rapidement avant de sortir de la tente, s'éloignant. Il avait l'impression qu'il ne pourrait plus jamais le regarder dans les yeux après ce qui venait de se passer.

Resté seul, Tristan récupéra son souffle, très choqué. Pourquoi diable Rodrigue avait-il fait ça ? Ça n'avait aucun sens. Il le détestait, le méprisait, et en plus il en aimait un autre. Peut-être était-il juste frustré depuis qu'il ne pouvait plus être avec Lestrange ? C'était encore la solution la plus logique, mais Tristan avait du mal à croire qu'au bout de deux semaines seulement, Rodrigue était en manque au point de se jeter sur lui.

Il aurait aimé pouvoir en parler à Finn, qui avait toujours des théories très intéressantes sur le sexe, mais son cousin était à l'autre bout du monde, et quand bien-même, Tristan n'était pas aussi à l'aise que Finn pour parler de ce genre de chose.

Il finit par replier et ranger la tente dans un tout petit sac à l'aide d'une formule magique, saluant distraitement Orla qui sortait de sa propre tente en baillant.

De toute la journée, il n'adressa pas un regard à son mari, qui le lui rendit très bien d'ailleurs. Il eut beaucoup de mal à se concentrer sur la recherche de traces des dragons. Vers quinze heures, ils durent franchir une rivière, et Tristan fut forcé d'aider Rodrigue à se hisser sur la berge adverse. Il aurait aimé qu'Herman le fasse, mais il se chargeait déjà de Wang.

Rodrigue refusa son aide, mais après trois tentatives infructueuses, à glisser et à se retrouver trempé et ses vêtements souillés par la boue, il fut bien obligé de prendre la main de son mari pour atteindre la berge. Il fit très attention à ne surtout pas croiser son regard et se détacha immédiatement de lui une fois qu'il fut arrivé en haut.

Tristan se mordit l'intérieur de la joue. C'était ridicule.

— Écoutez... oublions pour ce matin, d'accord ? proposa t-il à voix basse, après que tout le monde ai repris la marche.

Rodrigue n'arrivait pas à croire qu'il reparle de ça, alors qu'ils se trouvaient au milieu des autres, en pleine journée.

— Je ne sais pas de quoi vous parlez, dit-il, en serrant les dents.

Pour sa part, tout était déjà oublié. Et enterré.

— Vous savez parfaitement de quoi je parle, répondit Tristan, avec fermeté.

— Taisez-vous, lui ordonna alors plus franchement Rodrigue, indigné par l'attitude de Tristan.

— Non. Vous faites la tête, alors que je suis celui qui a toutes les raisons de vous en vouloir, pas l'inverse ! s'offusqua Tristan, qui commençait à en avoir marre de ses simagrées.

Rodrigue s'arrêta brusquement alors que les autres membres du groupe prenaient de l'avance sur eux.

— Vous venez de dire que nous devions oublier ce qui s'est passé et maintenant vous voulez en discuter ? articula-t-il. Décidez-vous.

Il faisait le fier mais il n'en menait pas large en réalité. Personne ne l'avait jamais repoussé et même si Tristan avait toutes les raisons de l'avoir fait, ça n'en était pas moins terriblement gênant pour lui.

Tristan le foudroya du regard.

— Je décide ce qui vous plaira, du moment que vous arrêtez de vous comporter comme un gamin frustré.

Et voilà, super Tristan. On s'améliore en discussion, c'est ça qui est bien...

Rodrigue, lui, aurait pu le frapper tant il le haïssait en cet instant.

— Dois-je vous rappeler que de nous deux, ce n'est pas moi qui suis frustré ? attaqua-t-il, crument, espérant le convaincre ainsi de lâcher l'affaire.

- C'est vrai, peut-être aurais-je du faire comme vous ? Me parjurer, humilier ma famille, mon nom, bafouer mon honneur et celui de mon époux, en allant me rouler dans la luxure avec un bellâtre lâche et sans saveur ? C'est ça que vous vouliez me rappeler ? demanda Tristan, sortant de ses gonds en le voyant lui jeter son infidélité au visage.

Rodrigue fut incapable de répondre, conscient d'être allé trop loin. Il tourna la tête, se soustrayant à son regard accusateur et haineux, se mordant les lèvres, bouffé par la culpabilité.

— C'est bien ce qu'il me semblait. Alors concernant ce matin, je ne vous en veux pas, vous ne m'en voulez pas non plus, et on peut passer à autre chose, c'est bon ? siffla Tristan.

Rodrigue hocha lentement la tête, toujours sans le regarder, prêt à dire oui à tout en cet instant pour que cette conversation s'arrête. Tristan se calme instantanément en voyant la mine coupable de son époux. Il passa sa main dans ses cheveux sombres, très gêné de réaliser qu'il allait le faire pleurer s'il continuait à lui rappeler toutes ses fautes passées.

Heureusement, à cet instant, Orla cria leurs noms, d'un peu plus loin, ce qui permis à Rodrigue de se remettre en marche, sans avoir à ajouter quoique ce soit. Il se débrouilla pour passer le reste du chemin devant, loin de Tristan.

Ce jour-là, aucune trace du foutu dragon que cherchait Tristan et ses collègues.

Le soir venu, Rodrigue dîna rapidement avant de fuir les autres pour retourner dans sa tente écrire toute la soirée.

Tristan lui, la passa avec ses collègues et leur guide, établissant une stratégie pour le lendemain. Vers dix heures, il rejoignit la tente qu'il partageait avec son époux, le trouvant à écrire, comme chaque soir.

Après une courte hésitation, il posa un fruit de la passion épluché sur le bureau, juste à côté des feuillets noircis par l'encre de Rodrigue. Son époux n'avait pas pris le temps de manger de dessert.

Rodrigue releva les yeux vers lui, surpris de ce geste. Il prit le fruit avec une certaine hésitation, goûtant un morceau avant de le reposer. Tristan mangeait le sien, un peu plus loin, après avoir déplié une carte qu'il examinait.

— Je m'excuse, dit-il, en le fixant.

Tristan quitta des yeux sa carte, se plongeant dans ceux, si clairs, de son époux.

— Moi aussi, répondit-il, plus bas cependant.

Rodrigue était au moins aussi fier que lui, l'entendre s'excuser était... inattendu.

Rodrigue déglutit.

— Je ne le referai jamais, je vous le jure, dit-il, d'une voix blanche. Je peux faire un serment inviolable si vous le désirez.

Tristan écarquilla les yeux, choqué par sa proposition

— Quoi ? Mais non enfin, ce n'est pas si grave ! C'est plutôt normal entre époux à dire vrai, c'est juste que comme notre relation n'est pas bonne actuellement, je n'étais pas vraiment... disposé à avoir des rapports sexuel avec vous, mais j'ose espérer qu'un jour nous arriverons à mieux nous entendre !

Rodrigue le regarda avec circonspection, gêné pour Tristan de sa méprise :

— Je parlais de toucher un autre homme que vous, clarifia-t-il, même si c'était... rassurant d'entendre son époux désirer qu'un jour ils s'entendent mieux.

Tristan se racla la gorge, en effet assez gêné. Il y eut un court silence, puis il reprit.

- Vous savez, c'est William qui m'a convaincu de vous épouser, persuadé que vous étiez le plus bel homme de Londres. Si ça n'avait été pour lui, j'aurai demandé la main d'Ophélia Lestrange, la cousine de votre amie, que j'estimais plus... à ma portée. Mon oncle avait raison cependant, vous êtes le plus bel homme de Londres, au moins. Et de ce fait, je ne peux pas décemment vous en vouloir d'être tombé amoureux d'un homme aussi séduisant que Glanmore Lestrange, même si je me doute que ce n'est pas qu'une question de physique et que vos deux caractères devaient mieux s'accorder que les nôtres.

Rodrigue ne savait pas quoi lui dire. Évidemment que son caractère s'était mieux accordé avec celui de Glanmore étant donné qu'il leur arrivait de se parler. Et puis, malgré tout ce que pouvait dire Tristan, il savait que son mari lui en voulait d'être tombé amoureux d'un autre et d'avoir cédé à cette passion. Si les places avaient été inversées, peu importe que son époux ait été un beau comme un dieu ou très laid : il aurait été tout aussi furieux.

— Je ne suis pas si beau, finit-il par dire, avec un petit sourire gêné. Et vous n'êtes pas si laid.

Loin de là même, mais il n'allait pas commencer à lui faire des compliments non plus.

Tristan eut un petit rire, très gêné lui aussi. Oh si, Rodrigue était très beau.

— En tout cas, je ne vous en veux pas d'être tombé amoureux, même si ça me peine que ça n'ait pas été de moi. Je vous en veux d'avoir céder à vos désirs, et de nous avoir tous deux mis dans une position très délicate. Si ça venait à se savoir, je mourrais de honte, admit-il.

— Personne ne le saura, jamais, le contredit Rodrigue, sans revenir sur ces histoires de tomber amoureux.

Tristan n'avait rien fait pour qu'il tombe amoureux de lui, Rodrigue trouvait étrange qu'il vienne s'en plaindre maintenant.

Tristan haussa les épaules, absolument pas convaincu. Glanmore n'avait aucune bonne raison de ne pas se vanter à tout bout de champ qu'il avait baisé Rodrigue Peverell Black, le type que tout le monde désirait.

— Je vais me coucher, répondit-il simplement.

Rodrigue hocha la tête, le laissant partir. Ce soir-là, il fit bien attention à attendre trois quart d'heure avant de venir se coucher, refusant que le genre d'incident qu'ils avaient connus la veille se reproduise.

Le lendemain matin, ils se levèrent encore une fois à l'aube et passèrent une autre journée à crapahuter interminablement. Au moins, les paysages étaient superbes. Il passa une bonne partie de la matinée à discuter avec Herman, le questionnant sur les dragons, lui posant des questions de plus en plus pointues au fur et à mesure du chemin.

— Ils ont l'air de bien s'entendre, sourit Orla, satisfaite de voir Herman et Rodrigue parler de dragons devant eux.

— Hum.

— Ça n'a pas l'air de te faire plaisir.

— Si, si, c'est très bien, répondit un peu vite Tristan.

Orla fronça les sourcils mais n'insista pas en voyant l'air sombre de son ami. Voir Rodrigue si intéressé par les dragons quand c'était Herman qui en parlait avait le don de mettre Tristan de mauvaise humeur. Quand c'était lui, c'était "ennuyeux". Mais quand c'était Herman, avec sa belle gueule et ses petites pointes d'humour, tout de suite, c'était très intéressant. Un instant, il s'imagina à la place de son collègue, faisant pétiller les yeux de Rodrigue en lui décrivant comment ils avaient découvert un nid de Vert Galois à flanc de falaise.

Le soir venu, dans leur tente, alors que Rodrigue était assis au bureau, il demanda une précision à Tristan, sans lâcher sa plume des yeux :

— Quel est le premier explorateur à avoir découvert le Boutefeu chinois déjà ? Lui demanda-t-il. Herman m'a dit son nom tout à l'heure mais je ne m'en souviens plus.

Tristan s'arrêta à l'entrée de leur tente. Il avait pris ses affaires pour aller faire un brin de toilette à la rivière la plus proche.

— Européen ou anglais ?

— Européen, précisa Rodrigue, le regardant.

— Cher journal, aujourd'hui Herman m'a parlé de Sir Emmanuel Labrerousse, le premier explorateur à avoir découvert le Boutefeu chinois. J'espère que mon époux deviendra aussi célèbre que lui, se moqua Tristan avant de fuir la tente.

S'il était resté, Rodrigue lui aurait sûrement balancé un livre au visage en signe de représailles.

Le lendemain soir, ils se rapprochèrent d'un village plus important, comptant environ 300 habitants dont des moldus français installés là depuis quelques années. L'homme était un médecin qui essayait de purifier l'eau dans les environs et sa femme, qui l'accompagnait, travaillait au dispensaire, apprenant aux enfants à parler le français.

Rodrigue était heureux de croiser des européens dans un endroit aussi éloigné de Londres. Ils mangèrent chez eux le soir, avant que le mari ne mette en route un vinyle et ne leur serve des petits verres d'un alcool de la région.

Pour une fois, Rodrigue ne retourna pas à la tente pour écrire. Il était le seul à parler parfaitement anglais et français et il devait parfois traduire pour Tristan et ses collègues et parfois pour les français, facilitant la communication.

Quand le couple se mit à danser, vite accompagné d'Herman, il ne put résister et avala cul sec un troisième verre avant de se lever pour aller les rejoindre.

Tristan, qui avait un peu moins bu, les regarda par intermittence, un peu distrait de son observation par une chinoise, à peine plus jeune que Rodrigue, qui semblait penser que son mandarin était parfait. Visiblement, il n'y avait d'ailleurs pas que son mandarin qui lui plaisait, mais Tristan ne savait pas vraiment comment lui dire qu'il était marié avec l'homme qui dansait devant eux. Les relations entre hommes étaient souvent mal vues par les moldus, et plus encore par les chinois, s'il en croyait ce qu'il avait lu sur les coutumes de ce pays.

Rodrigue ne s'embarrassa pas de ces scrupules et après avoir bu encore un autre verre, il interrompit la jeune chinoise dans son entreprise de séduction, venant tendre une main à Tristan pour l'inviter à danser.

Tristan lui adressa un sourire à la fois heureux et un peu intimidé, avant de prendre sa main, le rejoignant.

Ils n'avaient pas dansé ensembles depuis leur mariage. C'était un cadre complètement différent ce soir, et pourtant Tristan retrouvait le plaisir qu'il avait pu avoir la première fois.

Rodrigue, lui, ne souriait pas. Il entendit la française glousser légèrement en le voyant venir danser contre Tristan et la chinoise, derrière lui, pincer les lèvres en signe de déception. Désolé pour toi ma grande, mais il n'était pas libre.

Il se laissa ensuite porter par la musique, refusant de croire qu'il s'en voudrait demain matin pour cet acte audacieux.

Tristan garda cependant une distance raisonnable entre eux. Tant parce qu'il ne se sentait pas capable d'être plus intime avec Rodrigue que parce qu'il n'avait pas envie de choquer leurs hôtes. Il avait depuis longtemps appris qu'à l'étranger, il fallait respecter au mieux les coutumes locales.

— Vous êtes totalement ivre, fit-il remarquer, assez amusé.

— Non, le contredit Rodrigue, outré.

Pour sa part, il n'aurait pas été contre danser plus proche de son époux, mais il sentit bien sa résistance et n'insista pas.

— Si, insista Tristan, en souriant plus largement.

Le rythme changea, s'accélérant, et il fut forcé de d'avantage... toucher Rodrigue. Au pire, les français les mettraient dehors. Peu importait, c'étaient des moldus, non ?

Ils dansèrent longtemps, Rodrigue oubliant les autres autour d'eux, profitant juste de cette musique inattendue et exotique et du regard de Tristan sur lui. C'était un regard tellement intense que, quelque part dans son esprit brumeux, une petite voix ne pouvait s'empêcher de lui dire que jamais Glanmore ne l'avait regardé ainsi.

Peut-être était-ce son sourire, ses doigts sur sa nuque, son odeur qu'il sentait chaque fois qu'il pressait son corps contre le sien, mais quelque chose grandit en Tristan. À un moment donné, ce fut trop fort pour qu'il puisse y résister : il l'embrassa.

Rodrigue répondit immédiatement à son baiser, l'embrassant très brièvement avant de se détacher de ses lèvres pour suivre la musique, le désir qu'il lut dans les yeux de Tristan à ce moment l'enflammant.

Ce fut leur seul baiser de la soirée, mais il suffisait au bonheur de Tristan.

Ils dormirent dans un vrai lit ce soir-là, les français leur ayant prêté une chambre. En se couchant, Tristan hésita un instant à venir contre son époux, mais il n'en fit rien, se souvenant que coucher avec quelqu'un qu'on est ivre n'est pas forcément une bonne idée.

Pourtant, Rodrigue, lui, se rapprocha du corps de Tristan, venant passer une main autour de lui, jusqu'à toucher son ventre chaud, ses lèvres embrassant son cou avec langueur.

Tristan ferma brièvement les yeux, se mordant les lèvres pour ne pas gémir de désir. Pourtant, c'était une putain de mauvaise idée. Rodrigue était complètement ivre, sans ça, jamais il n'aurait été si chaud contre lui. Demain, il allait le tuer s'ils faisaient quoi que ce soit. Et lui-même n'avait pas l'esprit clair, avec l'alcool il avait tendance à oublier que son époux était un petit con.

Il n'avait eu à se contrôler autant que lorsqu'il se força à se décaler, échappant aux bras de Rodrigue.

— Je suis fatigué, et nous avons tous les deux trop bu. Dormez, murmura-t-il.

Rodrigue eut un bref gémissement de désir contrarié, avant de fermer les yeux, sentant le monde tourner autour de lui. Tristan n'avait pas tout à fait tort, ils avaient sans doute trop bu. Il se décala lui aussi, essayant de trouver le sommeil et de ne surtout pas vomir.

Au matin, il s'en voulut beaucoup pour son comportement, même s'il n'arriva pas à regretter les danses qu'il avait partagées avec Tristan toute la soirée. Ils ne reparlèrent évidemment pas de ce qui s'était passé, se préparant pour une nouvelle journée d'expédition, en faisant comme si de rien n'était.

Deux jours plus tard, après plusieurs semaines de recherches, ils trouvèrent enfin la raison de leur présence ici.

Alors qu'ils suivaient des traces fraîches, un cri horrible déchira le ciel, et ils découvrirent cinq individus adultes et deux petits, qui nichaient dans des cavernes à flanc de falaise, à cent mètres de leur position à peine, en contrebas. Le Boutefeu chinois étant très agressif avec les humains, ils durent prendre milles précautions pour ne pas se faire repérer.

— Alors ? J'avais raison non ? demanda Tristan accroupis à côté de Rodrigue derrière les fougères tropicales.

— À propos de quoi ? Murmura Rodrigue, ne désirant pas se faire repérer par la bestiole.

— Ils ne sont pas du tout ennuyeux, répondit son époux en souriant comme un gamin à Noël, ne lâchant pas les créatures des yeux.

— Ce n'est pas si incroyable, chuchota Rodrigue. Ça ne sait que voler en rond et pousser des petits cris.

— « Des petits cris » ? répéta Tristan. C'est parmi les sons les plus puissants que peuvent produire des animaux. Et en plus, regardez, ils sont en groupe, ce sont parmi les seules espèces de dragons qui vivent en communauté. Ils élèvent leurs petits ensembles et...

— Il se fiche de toi, Tristan, pas besoin de nous faire un cours sur les dragons, le coupa Orla.

Il y eut un court silence, Herman essayant de ne pas rire devant l'air outré de son collègue.

— Je ne sais même pas pourquoi tu es mon amie.

— Tais-toi et prend des notes, répondit la jeune femme, hilare.

Rodrigue sourit à la jeune femme. Au moins, il y en avait qui suivait. Ils restèrent quasiment trois heures accroupis dans les buissons à regarder les dragons, Tristan et ses collègues prenant des notes et échangeant des réflexions. Quand le soleil commença à décliner, Rodrigue entendit avec soulagement Orla dire qu'ils devaient y aller. Ils repartirent aussi discrètement qu'ils étaient venus, montant le camp à deux kilomètres environ.

—Vous êtes content ? demanda Rodrigue à son époux quand ils se retrouvèrent seuls dans la tente ?

Leur relation était devenue très étrange depuis la soirée où ils avaient dansé ensemble. Quelque chose s'était allumée entre eux. Rodrigue se surprenait à avoir des pensées qu'il n'aurait jamais crues possibles envers Tristan. Et puis une remarque malheureuse, de l'un ou de l'autre, venait tout gâcher pendant plusieurs heures, avant qu'ils ne se reparlent à nouveau.

Tristan hocha la tête.

— Complètement satisfait. Dès demain, il nous faudra faire un peu de repérage pour établir un poste d'observation à peu près sécurisé et bien situé. J'ai du mal à croire qu'on ait trouvé des petits, c'est tellement rare et...

Il s'interrompit brusquement, se souvenant que son époux ne trouvait pas ça intéressant du tout quand il parlait des dragons.

— Enfin, Herman vous expliquera ça mieux que moi, ajouta-t-il avant de prendre ses affaires pour aller se décrasser.

Rodrigue eut un petit sourire.

— Oui, sûrement, lui confirma-t-il, ayant bien compris que cela exaspérait Tristan qu'il discute des dragons avec Herman, malgré son petit air indifférent.

Tristan ne goûta pas particulièrement à la plaisanterie, qui n'en était de toute façon pas vraiment une, et quitta la tente, retrouvant justement Herman qui allait lui aussi se laver. Il ne lui adressa pas la parole, ce qui perturba un peu son collègue, certes habitué à de longs silences de la part de Black, mais pas teintés d'autant d'animosité.

Herman ne sut d'ailleurs pas trop quoi dire devant tant de froideur et lâcha donc la première chose qui lui passa par l'esprit.

— Rodrigue n'est pas trop fatigué par l'expédition ?

Tristan ferma brièvement les yeux. Deux ans qu'ils travaillaient ensembles. Ils n'allaient pas se disputer pour ça.

— J'espérais que vous me parleriez de dragon, de jungle, de la chaleur même si vous n'aviez pas d'idée. Mais non, il faut que vous parliez de mon époux.

Herman fut assez perplexe.

— Je peux parler de la chaleur, si vous préférez, proposa-t-il, n'ayant aucune idée de quel était le problème de son partenaire à cet instant.

Tristan lui jeta un regard en biais, conscient qu'Herman n'avait rien fait de mal. C'était ridicule de se disputer pour ça, mieux valait essayer de régler le problème.

— Il trouve que ma façon de parler des dragons et très ennuyeuse, mais quand c'est vous, il adore. Comment vous faites pour l'intéresser ? Je ne comprends pas ce que j'explique mal.

Oh, alors c'était ça le problème, Herman comprenait mieux, ce qui se passait dans la petite tête brune de son collègue.

— Je ne sais pas trop quoi vous dire, admit-il. Rodrigue me pose des questions très techniques, il a refusé de me dire pour quoi faire d'ailleurs, mais, en tout cas, je ne pense pas qu'il trouve les dragons ennuyeux. Vous devriez en parler avec lui.

Tristan aurait aimé lui demander d'expliquer plus en détails de quelle façon il arrivait à captiver son auditoire, mais sa dernière phrase indiquait clairement qu'Herman n'avait pas envie de l'aider d'avantage à ce sujet.

— Oui, je ferai ça, répondit-il en arrivant au bord de l'eau, se déshabillant.

Herman lui adressa un bref sourire encourageant, avant de se détourner pour laisser Tristan se laver tranquillement.

— Où étiez-vous ? Lui demanda Rodrigue, allongé sur le lit de la tente, avec un livre entre les mains, quand Tristan revint.

— À la rivière, répondit Tristan, toujours un peu grognon.

Rodrigue jugea cette information inintéressante et continua donc de lire son livre, allongé sur le ventre.

« Communiquez avec votre époux », « Vous devriez en parler avec lui »... mais si c'était si simple, il l'aurait fait depuis longtemps ! Ça se voyait que ce n'était pas eux qui risquaient de se faire envoyer sur les roses à la moindre tentative de communication !

— Herman m'a dit que vous ne trouviez pas les dragons ennuyeux.

Rodrigue fit mine de continuer à lire son roman, mais Tristan avait en réalité toute son attention.

— C'est vrai, admit-il, d'une voix un peu traînante.

Tristan fit mine pour sa part, de consulter leurs plans pour le lendemain.

— Je sais également que vous me trouvez ennuyeux. Peut-être que si vous m'expliquiez ce que vous aimez dans la façon de parler d'Herman, je pourrai répondre à vos questions sans que vous ayez besoin d'aller les lui poser à lui ?

Rodrigue se redressa finalement et observa Tristan qui s'occupait les mains.

- Ça n'a rien à voir avec ça, lui expliqua-t-il. Herman ne parle pas mieux que vous des dragons.

Tristan ne se retourna pas vers lui pour sa part, encore plus perdu par sa réponse. Parlez avec lui. Mais il aurait bien aimé les y voir tiens ! Ça n'aidait en rien ! Alors c'était quoi ? Rodrigue n'avait juste pas envie de parler avec lui, et il avait trouvé cette excuse comme quoi il était ennuyeux, plutôt que de lui dire un truc plus blessant ? Franchement, qu'est-ce qu'il y avait de plus blessant que de vous trouver ennuyeux ?

— Je suis juste jaloux d'eux et je ne voulais surtout pas que vous sachiez qu'ils pouvaient m'intéresser, rajouta Rodrigue, avant de retourner vers son bouquin.

Tristan fronça les sourcils, cette réponse absurde le sortant complètement de ses pensées.

— Jaloux d'eux ? répéta-t-il, en se retournant enfin vers son époux.

— Oui. Les dragons vous intéressent.

Malgré son intelligence hors norme, Tristan mis quelques secondes à comprendre où voulait en venir Rodrigue.

— En même temps, vous ne faites pas grand-chose d'intéressant, dit-il, juste pour le faire chier. À part écrire votre journal intime que je n'ai même pas le droit de lire.

Rodrigue ne lui répondit rien, ne trouvant absolument pas ça drôle. Tristan se gratta l'arrière du crâne, gêné de ne pas avoir réussi, une fois encore, à le faire rire.

— Quand je vous demande ce que vous faites, vous ne me répondez pas, ou vous m'accusez de ne pas réellement m'intéresser à vous. Et puis ce n'est pas si simple, vous-même vous ne vous êtes jamais intéressé à ce que je faisais. Ou si, une fois, quand j'ai ramené des photos d'œufs à la maison...

— Vous êtes partis trois jours, le lendemain de notre mariage, sans même m'avoir prévenu, pour aller observer des dragons, lui rappela Rodrigue, polaire, toujours sans le regarder.

Tristan eut du mal à comprendre pourquoi il lui parlait de quelque chose qui s'était passé des mois auparavant.

— J'avais une conférence à Paris, où je devais présenter mes travaux ! s'exclama-t-il. Elle était prévue avant notre mariage, et en partant j'ai prévenue Ivy. Et puis c'était il y a plus de six mois, vous n'allez pas me faire croire que juste à cause de ça, vous avez décidé d'être infect par la suite !

Ou bien... c'était en effet juste ça... En le disant, Tristan eut un doute.

— Ça et d'autres petits détails, si, lui confirma Rodrigue. Je ne m'attendais pas au prince charmant, mais quand même, rajouta-t-il, cynique.

- D'autres petits détails ? insista Tristan, atterré de comprendre que son époux le détestait à cause de trois jours de conférence.

Il n'avait vraiment pas dû connaître beaucoup de contrariétés dans la vie.

— Oui, d'autres petits détails en effet, répondit le jeune homme, comme le fait que vous m'ayez épousé par obligation et que vous vous fichiez complètement de moi sauf lorsque vous vouliez vous soulager, lui rappela Rodrigue. Et dois-je également vous rappeler que les seules fois où vous m'adressiez la parole étaient pour me reprocher la décoration de votre maison ou mes dépenses ?

Tristan en resta soufflé. Il aurait pu lui demander quels efforts Rodrigue avait fait. Son époux n'avait même pas voulu qu'ils se tutoient, il n'avait fait aucun effort pour connaître ses amis ou pour le connaître lui !

Il aurait pu lui faire la liste de toutes ses soirées mondaines, ses théâtres, ses bals, tous ses trucs chiants auxquels il avait participé et qui n'avaient même pas permis le moindre rapprochement entre eux. Quant à ses histoires de décoration et d'argent, visiblement c'était trop demandé que d'avoir une seule pièce à lui dans leur fichu manoir, ou de ne pas bruler la fortune familiale en trois ans !

En ce qui concernait leurs rapports sexuels, ça avait si vite tourné court qu'il n'y en avait vraiment rien à dire à ce sujet. Ils avaient dû se toucher trois fois, et encore, Tristan voyait large.

Mais le pire, c'était encore qu'il lui reproche de l'avoir épousé par obligation. C'était le comble. Lui aussi il l'avait épousé par obligation, non ? A moins qu'il ait été fou amoureux de Tristan dans une vie antérieure. Il l'avait épousé parce qu'on lui avait dit de le faire, parce qu'il avait de l'argent et un nom correct.

Rodrigue haussa les épaules devant le silence et l'incompréhension qu'il voyait dans les yeux de Tristan.

— Ça n'a plus aucune importance, ajouta-t-il quand même. Comme vous dîtes, c'était il y a plus de six mois.

— Il semblerait que nous ayons tous les deux étés très déçus par ce mariage. Vous espériez un beau prince charmant, qui vous couvrirait de cadeaux, d'attention et d'affection, un type comme Lestrange somme toute, et moi j'espérais juste qu'on me foute la paix, répondit lentement Tristan avant de prendre ses affaires pour aller dormir dehors.

Histoire de sortir avant de le frapper.

Rodrigue le laissa faire. Tristan était en colère. Il n'ajouta rien cependant, après tout, c'était vrai. Il avait bel et bien espéré tout ça et Tristan avait juste voulu qu'il lui foute la paix.

Quand son époux eut quitté la tente, il se laissa tomber sur le lit, incapable de reprendre sa lecture, se repassant en boucle les quelques mois qui avaient suivi leur mariage, se demandant ce qu'il aurait pu faire pour rendre tout ça moins catastrophique.

Tristan dormit dehors cette nuit-là, furieux. Pourquoi diable, à chaque fois, était-ce si compliqué de communiquer avec Rodrigue ? Pourquoi la moindre question anodine se transformait en règlement de compte ? Il y avait vraiment quelque chose de pourri entre eux. Au matin, il avait mal partout, sa mauvaise humeur était toujours bien présente, mais heureusement ils allaient aller voir les dragons, ce qui lui remontait un peu le moral.

Rodrigue ne les accompagna, restant au camp, déjà bien trop fourbu par les deux heures d'observation de la veille à rester accroupi sans rien faire d'autre que de regarder les dragons. Il écrivit et il lut une bonne partie de la matinée, avant de décider d'aller marcher un peu, en contrebas de la rivière, en milieu d'après-midi.

— C'est quoi ça ? demanda subitement le guide au groupe d'explorateurs en les interrompant dans leurs recherches.

Ils quittèrent des yeux le groupe de dragon, tournant la tête de l'autre côté. Une grosse boule orange flottait dans le ciel, attirant d'ailleurs l'attention de leurs sujets d'études.

— Un sort de torchenflamme ? supposa Orla, interloquée.

Tristan sentit son sang se glacer en arrivant à la conclusion que Rodrigue était le seul autre sorcier du groupe sur plusieurs hectares, et que s'il lançait ce genre de sortilège, c'est qu'il se passait quelque chose de grave. Il n'attendit pas que ses amis rangent leurs affaires, quittant son poste d'observation pour transplaner au campement le plus rapidement possible. Qu'avait-il encore fait cet idiot ?