Lavande avait toujours prétendu que les bruits de couloir étaient faux. Ron l'avait épousé parce qu'il l'aimait, c'était l'évidence même.

La guerre avait pris fin en 1998, et Ron et elle était devenu un couple un an après. En 2001, ils avaient décidé de se marier. L'événement avait été simple et convivial, avec un comité restreint aux personnes qui leur étaient le plus proches. A cette époque, Lavande travaillait en tant qu'infirmière de Ste Mangouste, tandis que Ron était auror, après avoir aidé Georges à tenir le magasin pendant plusieurs années. En 2002, Lavande apprit sa première grossesse. Leur fille Amaëlle devint leur trésor et leur plus grande fierté. Alors que l'aînée avait deux ans, Lavande attendit de nouveau un enfant. Quand ils apprirent que l'enfant se révélait être des jumeaux, Ron et elle-même se mirent d'accord pour qu'elle arrête de travailler afin de s'occuper des enfants. Si Amaëlle était une enfant calme et studieuse, s'occuper de Luc et Gabrielle était bien plus compliqué. Lavande y avait consacré chaque seconde de son temps, se dévouant entièrement à son rôle de mère. Ron était le plus souvent absent, soit retenu au bureau, soit en déplacement pendant de longues périodes pour le travail. Quand il revenait, la majeure partie de son temps était consacrée à ses enfants, dans l'espoir de rattraper tout ce qu'il avait pu rater pendant son absence. Lavande ne lui en avait jamais tenu rigueur. Être père était la priorité de Ron, comme la sienne était d'être mère. Il y avait bien eu des moments durant lesquels Lavande s'était mise à douter de leur couple, mais elle oubliait toujours rapidement ses inquiétudes pour s'occuper des enfants. Enfin, quand Amaëlle eut 15 ans et les jumeaux 13, Lavande attendit un nouvel enfant. La grossesse fut risquée et Lavande resta alitée tout au long de cette dernière. Pourtant, Ron ne fut pas plus présent pour elle, et continua de privilégier les enfants quand il pouvait être à leurs côtés. Comme chaque fois, Lavande comprit et accepta ses choix. Elle donna finalement naissance à un garçon qu'ils nommèrent Henry.

La vie poursuivit son cours calmement, les enfants grandirent et quittèrent la maison, les uns après les autres. Finalement, Lavande se retrouva seule dans une maison peuplée de vide. Ron travaillait toujours, ainsi, il partait tôt le matin pour rentrer tard le soir. La vie de couple qu'ils auraient pu mener sans leurs enfants à domicile se révéla inexistante. Pourtant, Lavande continua de croire éperdument en cet amour. Elle resta à attendre que Ron rentre chaque soir dans l'espoir d'une conversation qui se limitait trop souvent à des politesses. Le temps passa et Ron arriva à l'âge de la retraite. Il avait repoussé autant qu'il avait pu cette échéance aux reflets fatidiques. Alors Lavande et Ron avaient vécu ensemble pour la première fois depuis plus de vingt ans. Cette vie commune ressembla finalement bien plus à une colocation qu'à une vie de couple. Pour autant, Lavande ne cessa d'aimé celui qu'elle avait rentré adolescente.

Les années passèrent et, un matin, Ron ne se réveilla pas. La vieillesse avait vaincu une fois de plus. Lavande avait pleuré plus qu'il n'était raisonnable. Elle s'était alors réellement retrouvée seule dans cette maison qui abritait les souvenirs d'une vie. Et malgré la solitude, malgré la mort, son amour pour Ron ne s'effrita pas, il resta aussi intense et pur que le jour où ils s'étaient mis en couple et qu'à chaque étape essentielle de leur vie.

Pourtant, aujourd'hui était différent.

Lorsque sa petite-fille lui demanda 'Papi et toi, vous vous aimez encore ?', la réponse qui lui vint en tête fut un simple oui. Elle ne comprit pas tout de suite la raison de cette buée de larmes, de cette lèvre tremblante et de cette peau frémissante.

Sa voix fut comme un murmure.

- Non.

Après tout, s'étaient-ils vraiment aimés ? Elle avait tout tenté, donné tout ce qu'elle avait pu pour obtenir cet amour mais il était resté interdit. Pour la première fois de sa vie, elle était désolée de cet amour.

Elle ne regrettait en rien la vie qu'elle avait menée, ses enfants avaient su combler chaque partie de son cœur et il avait fallu trouver une nouvelle place pour ses petits-enfants. Mais elle regrettait ce temps perdu à cultiver un amour impossible. Jamais Ron n'avait été amoureux d'elle. Il l'avait chérie et protégée, mais il était resté dévoué à une autre personne, une autre qu'elle. Son cœur avait toujours appartenu à deux yeux chocolat et une chevelure broussailleuse. Lavande n'avait pas su le récupérer.

Au fond d'elle, son cœur se brisa.

Pourtant, l'aimait-elle vraiment ? Était-elle amoureuse de cet homme qui l'avait ignorée et qui avait consacré sa vie à son travail plutôt qu'à elle ? N'était-elle pas amoureuse du souvenir de celui qui ne voyait qu'elle à l'époque de Poudlard, qui l'aimait plus que quiconque et qui aurait tout sacrifié pour elle ? Cet homme qui l'avait aimé, avant qu'il ne croise le chemin d'une autre qu'il allait aimer à la folie et dans la démesure, bien au-delà de la mort. Finalement, elle savait, elle avait toujours su. Elle n'avait jamais prétendu pouvoir rivaliser, elle n'avait été que la remplaçante quand la plus brillante des sorcières de leur génération était tombée au combat. Si elle n'avait été qu'un substitut, Ron n'avait été pour elle que le fantôme de son véritable amour.

Toutes ces années n'avaient été que déni de la vérité. Aujourd'hui, elle se devait la vérité pour enfin se sentir en paix. Son mariage n'avait pas été un mariage d'amour, mais il n'avait pas été malheureux. Ses enfants étaient nés de ce mariage et avaient été le plus grand bonheur de sa vie. Alors, peut-être que c'était un mal pour un bien. Ne pas vraiment aimer pour connaître ensuite un amour encore plus grand que celui passionnel, l'amour maternel.

Lavande avait toujours prétendu que les bruits de couloir étaient faux. Ron ne l'avait pas épousé par amour, certes, mais son mariage n'avait pas été malheureux. Il lui avait apporté un bonheur plus grand que tous les autres, celui d'avoir des enfants.