Titre : La pièce vide

Fandom : Fullmetal Alchemist

Disclaimer : l'univers et les personnages ne m'appartiennent pas. L'idée initiale m'a été soufflée par Shirenai.

Petit commentaire avant d'y aller : merci à Lalaiths et Jisbon28 pour leurs reviews régulières qui font toujours plaisir ! Concernant l'histoire, on commence à rentrer dans le vif du sujet et j'ai hâte :)


Chapitre 5 : Juste une ombre

Ses découvertes avaient gardé Mary éveillée toute la nuit. Elle s'était retournée dans son lit, incapable de fermer les yeux sans se retrouver à nouveau dans le bureau de King, main dans la cachette et la sensation des corps raides et froids encore au bout de ses doigts.

Il y avait peut-être une explication rationnelle à tout cela, même pour les cadavres : de la curiosité enfantine, peut-être ? Elysia avait peut-être mal interprété le comportement du petit garçon ? Mais tout en elle - son instinct, toutes les cellules de son corps - lui criait que quelque chose ne tournait pas rond. Le comportement de son fils n'était plus normal depuis un moment et elle le savait. Les références à ce "père", son comportement avec Elysia, et maintenant la découverte macabre. Elle le savait depuis un moment mais ne voulait simplement pas se l'admettre. Et aujourd'hui, elle ne pouvait plus fermer les yeux.

Elle avait besoin d'aide. Elle ne pouvait pas régler ce problème seule mais elle n'avait personne vers qui se tourner. Elle ne faisait absolument pas confiance à Mustang ou à n'importe quel membre de l'armée. Combien de temps après qu'elle ne donne l'alerte leur faudrait-il pour embarquer ? ou pire, faire feu sur son petit garçon ? Elle ne donnait pas cher de sa peau entre les mains de l'armée. Impliquer Grâce était également exclu. Elle ne doutait pas de la bienveillance de son amie mais qui savait jusqu'où cette histoire pouvait les entraîner ? Et jamais elle ne mettrait Elysia en danger, même pour aider Sélim.

Mme Bradley passa la nuit entière à se retourner dans son lit mais lorsque l'aube vint, la solution lui apparut clairement : les frères Elric. Parmi toute l'administration militaire, c'était bien les seules personnes à qui elle pouvait faire confiance. Ils n'avaient pas hésité à venir lui rendre son fils en personne et lui dire toute la vérité, au mépris du secret militaire. Ils comprendraient sa situation et pourraient l'aider. Lorsque le soleil éclaira enfin sa chambre, Mary était prête. Son esprit était à nouveau résolu et calme. Elle se comporterait comme n'importe quel autre jour et contacterait les frères Elric.


Il était tôt. Le soleil était à peine levé et éclairait d'une lumière douce son bureau. Roy passa une main fatiguée sur son visage : le retour du Sud avait été long et pas franchement reposant pour les nerfs avec un Remington surexcité dans sa voiture, surexcité au point que Mustang ait réellement songé à l'incinérer. Il profitait du calme du petit matin pour avancer tranquillement. Malgré l'image que le colonel Hawkeye pouvait renvoyer de lui, il n'était pas tire-au-flanc à ce point. Ses promotions, jusqu'à un certain point, avaient été justifiées. Et puis, les récents événements le taraudaient plus que ce qu'il n'aurait avoué, jusqu'à le tirer de son lit alors que les premiers rayons de soleil éclaircissaient le ciel. Résigné, il s'était alors rendu au bureau. Autant utiliser ces heures pendant lesquelles il ne dormirait pas. Et peut-être même que le travail abattu en l'absence de son assistante saurait rendre celle-ci mieux disposée à son égard plus tard dans la journée. Cette perspective en-tête, le généralissime continua à revoir et annoter rapports sur son bureau. Quelques instants plus tard, Hawkeye fit son apparition dans le bureau mais elle n'était pas seule. Reynes la suivait.

Face à son froncement de sourcil surpris - dans le mauvais sens - Hawkeye haussa les épaules : aucune réunion n'avait été programmée à cette heure, eût égard à leur santé mentale à tous les deux.

"Hé bien, lieutenant, quel bon vent vous amène ici ?

- Je suis désolé de me manifester ainsi, monsieur mais une urgence m'amène."

Roy haussa un sourcil. Il convoquait régulièrement le lieutenant afin d'avoir un compte-rendu sur l'avancée des travaux concernant le cercle de transmutation. Jusqu'ici le lieutenant Reynes avait obtenu de bons résultats et ne lui avait remonté aucun problème particulier : les travaux avaient eu du mal à commencer en raison de l'inexpérience des ouvriers - des prisonniers dont la peine avait été écourtée en échange de six mois de travaux d'intérêt général - mais tous travaillaient de bonne foi. Le chantier avançait à un rythme lent mais régulier. Et aucune plainte n'avait été émise qu'il s'agisse des travailleurs ou des riverains, pourtant peu à l'aise à l'idée d'accueillir des campements entiers de prisonniers. Mustang posa son stylo et lui fit signe de poursuivre.

"Nous rencontrons des difficultés sur le chantier. Depuis quelques semaines, les ouvriers se plaignent de phénomènes anormaux dans le tunnel. J'ai d'abord cru à de la paresse ou une rébellion de leur part mais même en effectuant une rotation parmi les effectifs, de plus en plus d'hommes se plaignent.

- De quoi ?"

Le lieutenant hésita : "De voix. Ils disent entendre des voix dans le tunnel. Inhumaines, précisa-t-il. J'ai cru que les longues heures passées dans le noir altéraient leur jugement mais même les meilleurs éléments commencent à avoir peur de descendre au point de refuser."

Sans le vouloir, Roy se raidit légèrement. Il avait déjà entendu parler de ce phénomène : dans un rapport du Fullmetal. Et si ses souvenirs étaient fiables, ce n'était pas une bonne nouvelle. Un coup d'œil à son assistante lui suffit à confirmer cette impression de déjà-vu. Reynes vit passer le regard entre eux d'eux et si l'échange l'intrigua, il ne commenta néanmoins pas.

"A quel endroit du cercle ? demanda Riza. Partout ou à un endroit particulier ?

- ça a commencé près de Lior.

- Commencé ?

- Le phénomène s'est étendu à plusieurs sites, expliqua Reynes. ça a commencé à Lior, puis aux deux autres sites voisins. Chacun à environ 10 km des uns des autres."

Afin de remblayer efficacement le tunnel, les travaux avaient démarré simultanément à plusieurs endroits. Et trois sites avaient été mis en place dans la région de Lior. Hawkeye resta silencieuse un instant : "Le tunnel de Lior disposait d'un accès par l'église, si je ne me trompe pas ? Non officiel mais peut-être qu'un civil ou même un animal errant est rentré et s'est perdu dans les tunnels ?

- C'est possible, colonel. Nous avons interrompu les travaux pendant deux jours afin de lancer des recherches mais nous n'avons rien trouvé.

- Et la surveillance des entrées ?

- Cela n'a rien donné non plus, colonel."

Roy hocha la tête sans un mot. S'il s'agissait encore une fois des homonculus alors une surveillance classique ne donnerait rien.

"Les ouvriers refusent de redescendre, continua Reynes, gêné. Ils sont terrifiés, monsieur, et ont peur de se faire attaquer. J'ai peur qu'ils ne cessent de travailler dans peu de temps, monsieur.

- Et rien de ce que vous avez tenté ne les convaincrait ?"

Reynes secoua la tête : "Pas sur le long terme. Je pense qu'en descendant plus de torches et en éclairant davantage le tunnel, les esprits mettront moins de temps à s'emballer mais ce n'est pas une situation définitive. Et les frais liés au chantier vont s'emballer."

Mustang tapota son bureau du bout des doigts.

"Faites ce que vous pouvez pour les calmer, finit-il par répondre.

- Quel qu'en soit le prix ?" Une lueur s'était allumée dans les yeux du jeune officier. "Nous pourrions... leur trouver un coupable ? Un chat errant", proposa-t-il.

Mais Mustang secouait la tête. C'était un jeu dangereux auquel il avait joué beaucoup trop de fois.

"Nous ne sommes pas si désespéré que cela, lieutenant ?

- Non, monsieur.

- Alors pas de faux coupable.

- Pas pour le moment, pondéra Reynes."

Mustang le fixa sans rien dire puis lui fit signe de partir. Riza attendit que la porte se soit refermée avant de se tourner vers lui :

"On a déjà vu ça dans le Nord. A cause des homonculus. De Sélim, plus précisément.

- Sélim est verrouillé sous clé dans un pavillon de banlieue, sous supervision constante, contra Mustang. S'il arrive à se déplacer jusqu'à Lior, je me demande à quoi sert toute l'équipe de Breda.

- ça pourrait être un autre homonculus.

- Nous les avons tous tués.

- Quelle assurance avons-nous qu'ils sont bien tous morts ? Qu'aucun autre n'a été créé depuis ?"

S'il y en avait d'autres, Roy ne voulait pas y songer. Il avait déjà beaucoup trop de problèmes à résoudre et ne pouvait pas y penser maintenant. Riza hocha la tête pour lui montrer qu'elle comprenait.

"Ok, procédons dans l'ordre. Vous voulez parler à…

Breda. Appelez-moi Breda."

Le soleil était à peine levé et il sentait déjà que cette journée allait être pourrie.


Il y avait quelque chose de pourri dans la maison des Bradley.

L'ambiance était lourde, tendue et la maison bizarrement silencieuse. La matinée avait pourtant normalement commencé. Après une nuit calme, Mme Bradley s'était levée un peu après l'aube et commencé ses corvées habituelles : préparation du petit déjeuner, rangement de la salle d'eau et du séjour. Le petit s'était ensuite éveillé, élevant sensiblement le niveau sonore de la maison, et avait réclamé à grands cris ses céréales. Passé le petit déjeuner, Mary s'était mis en tête d'apprendre ses lettres à Sélim. Elle l'avait mis devant une table, expliqué les 3 premières lettres et voilà bientôt une heure que le gamin traçait sagement des A, B et C démesurés avec un pastel vert. Belle concentration si on prenait en compte son âge. Mary était repartie étendre le linge dans une autre pièce et la maison était redevenue silencieuse.

Mais malgré l'image d'apparente normalité, Colt sentait que quelque chose ne tournait pas rond. L'atmosphère était trop pesante, les sourires trop vifs pour être vrais, comme forcés. La veuve Bradley en particulier. Elle l'observa à la dérobée, via le miroir de l'entrée. Son visage était impassible, presque serein, mais ses yeux étaient perdus dans le vague et ses gestes pleins de tensions. Colt l'avait vue se contracter au son de la voix du petit et presque éviter son regard. Pourtant aucune dispute majeure n'avait eu lieu dernièrement, aucun fait sortant de l'ordinaire. Le comportement de Mme Bradley l'intriguait. La maisonnée resta inhabituellement calme pendant encore quinze minutes avant que Sélim n'épuise ses dernières réserves de concentration et explose. Et encore une fois, Colt nota la façon dont sa mère se contracta.

La relève arriva à 12h pile, comme convenu. Panaya lui adressa un signe de tête en guise de salut et Colt lui signifia par le même moyen qu'aucun événement particulier ne s'était produit. Sans plus de bavardage, elle quitta la maison par le jardin et se faufila tranquillement entre deux haies.

"Quoi de neuf ? Demanda Breguet lorsqu'elle fut de retour dans la planque.

- Rien de particulier. Dodo, petit déjeuner, linge pour la mère, écriture pour le fils."

- Elle lui apprend à écrire ? poursuivit son camarade sans même décoller les yeux de ses jumelles.

- Ça commence, ouais."

Colt réprima à grand peine un bâillement et se laissa tomber sur le divan, profitant de l'absence de Panaya : pour une raison qu'aucun d'entre eux ne s'expliquait, la jeune femme prenait très à cœur le traitement infligé au canapé et supportait assez mal que quiconque ne le maltraite et oui, laisser 70 kg de muscles sur ledit canapé était une forme de maltraitance, le grincement de souffrance qui en résultait en était la preuve. Les trois autres membres de l'équipe évitaient donc de s'adonner à de telles pratiques en sa présence - pour faciliter la cohabitation - mais ne se gênaient pas lorsqu'elle était de surveillance.

"Rapport", lui rappela Bréguet, ce à quoi Colt répondit par un grognement. La mécanique, après de longs mois de surveillance, était rompue : un journal d'observation concernant l'activité au sein de la maison et un autre concernant l'activité de la rue, les visiteurs éventuels de la maison Bradley devaient systématiquement être remplis après chaque garde de douze heures. Tous le savaient mais Colt avait tendance à rendre ses rapports un peu en retard, mauvaise habitude prise auprès d'un colonel peu regardant sur les délais de rendu des dossiers. De mauvaise grâce, la jeune femme se leva.

"Y a à manger ?"

Bréguet répondit par un grognement positif tandis que la soldate inspectait le contenu du réfrigérateur. Une pomme en main, elle s'attaqua à son propre rapport. Elle pourrait en profiter pour consulter le compte-rendu de la journée précédente et peut-être deviner ce qui se passait chez la mère. Mais il n'y avait aucune entrée pour la veille. Elle fronça les sourcils et feuilleta les pages suivantes pour vérifier qu'elle ne s'était pas trompée.

"Smith n'a pas encore écrit son compte-rendu ?

- Possible mais ça m'étonnerait, marmonna Bréguet.

- Il est du genre zélé.

- Je l'ai surtout vu prendre le journal hier soir et commencer à rédiger.

- Il n'a écrit que la date, montra sa coéquipière. Il s'est ravisé et a préféré aller se coucher ?"

L'idée était étrange dans la mesure où les gardes de nuit constituaient le lot de tout soldat mobilisé. Ils avaient tous l'habitude de la fatigue qui accompagnait ces nuits sans sommeil. Mais il n'était pas non plus improbable que Smith ait écrit la date pour simplement se raviser et repoussé la rédaction du compte-rendu. Bréguet haussa les sourcils : "Il doit pioncer chez lui, si tu veux aller le réveiller. Mais je pensais qu'il ne s'était rien passé ?"

La soldate haussa les épaules : "Laisse, une question que je me posais."


Le changement de garde se fit aussi discrètement et silencieusement que d'habitude. Une ombre se glissa dans le couloir et une autre s'éclipsa avec un signe de tête, en direction du jardin. Mary s'était presque habituée à ce fonctionnement. Le début avait été dur et Sélim avait été terrifié par ces présences silencieuses. Aujourd'hui, ils arrivaient à vivre avec l'idée que constamment un garde était dans leur maison et un autre avait les yeux rivés sur leurs fenêtres. La seule chose à laquelle Mme. Bradley ne se ferait sûrement jamais était leurs yeux : scrutateurs et impassibles. Les soldats avaient beau être aussi silencieux et discrets que possible, leurs yeux la suivaient constamment, épiant ses faits et gestes. Aujourd'hui plus jamais, ce regard inquisiteur mettait ses nerfs à rude épreuves. Dans ces conditions, comment contacter les frères Elric ? Téléphoner était exclu et leur écrire allait prendre tellement de temps.

Le plancher derrière elle craqua. Mary sursauta.

"Maman ?"

Sélim se tenait dans le couloir, sa feuille couverte de lettres à la main. Elle soupira et se força à sourire : "Oui, mon chéri ?

- J'ai terminé. Est-ce que tu veux regarder ?

- Montre-moi, oui, l'invita-t-elle en tapotant le lit."

Loin d'être aussi fier et enthousiaste qu'elle ne l'aurait pensé, son fils se hissa calmement à côté d'elle et lui tendit la feuille, le regard interrogateur. Tant de calme la mit mal à l'aise.

"Tu t'imagines des choses, se gronda-t-elle mentalement. Il ne se comporte pas différemment par rapport à hier ou la semaine dernière. C'est ton propre comportement qui l'étonne." Néanmoins, une part d'elle se demanda si le comportement de son fils n'avait pas toujours été inquiétant.

"C'est très beau, mon chéri, le félicita-t-elle avec un sourire. Est-ce que tu veux que je te montre d'autres lettres ?"

Il acquiesça silencieusement et lui tendit son bâton de pastel - rouge cette fois. Aussi posément que possible, elle attrapa la couleur et se pencha sur la feuille. Du coin de l'œil, elle vit son fils s'approcher pour examiner les D et E qu'elle traçait et sentit une odeur terreuse sous l'odeur fraîche de la lessive. Une odeur froide et sèche, comme celles des pierres après la pluie. Ou celle de cette cachette dans laquelle elle avait découvert les corps inanimés. Un frisson lui parcourut le dos et Mary se gronda mentalement. Elle délirait.

"Qu'est-ce que tu voudrais pour déjeuner ? " demanda-t-elle pour se calmer. Se raccrocher au concret, à la vie de tous les jours pour éviter de perdre pied. Ses grands yeux noirs la regardaient encore de manière beaucoup trop fixe pour un enfant de son âge mais une petite voix enthousiaste lui répondit : "Des pâtes !"

Bien sûr que son fils voulait des pâtes. Il avait 5 ans et n'aimait que les pâtes. Elle se concentra sur son enthousiasme.

"On peut y rajouter des carottes et un peu de poulet ?"

La perspective d'y ajouter des légumes calma quelque peu l'enfant et la rassura encore. Par ailleurs, l'évocation du déjeuner avait donné une idée à Mary. Remballant le linge, elle descendit au rez-de-chaussée, Sélim sur ses talons. Son fils se réinstalla docilement à sa table de jeu tandis qu'elle se mettait à farfouiller dans la cuisine. Consciente de la présence de la militaire dans son dos, elle attrapa les divers ingrédients nécessaires pour le déjeuner, avec l'expression la plus neutre possible. Elle ouvrit le pot de paprika et le vida dans l'évier.

Elle avait une fois demandé au major Breda ce que ses soldats surveilleraient chez elle, au tout début de la surveillance. Tout, lui avait répondu le soldat d'un air sérieux. Et quand elle avait essayé d'obtenir plus de détails, il avait secoué la tête : tout ce qui se passait chez elle, petit ou grand, serait tracé. Ils passeraient au peigne fin l'ensemble de leurs faits et gestes.

"Pourquoi ? Pourquoi surveiller autant alors qu'ils n'avaient pas causé le moindre problème ces derniers temps ?

- Parce que nous voudrions éviter tout problème futur. Que ce soit avec vous ou à votre encontre."

Mais Mary aurait mis sa main à couper que l'administration militaire n'avait pas grand-chose à faire de la veuve du généralissime. Et l'ardeur avec laquelle Mustang avait traîné le nom de Bradley dans la boue ne l'avait que davantage convaincue. L'armée ne lui voulait aucun bien et la surveillait, elle. Alors elle avait pris l'avertissement de Breda très au sérieux. Leurs moindre faits et gestes, donc.

Pour faire bonne mesure, elle fit couler un filet d'eau pour effacer toute trace de l'épice. La soldate était dans son dos et ne pouvait vraisemblablement rien voir, à moins d'être dotée de capacités surhumaines. Mary soupira ostensiblement et se tourna vers elle aussi normalement que possible.

"Il me manque des ingrédients pour ce midi. Si vous pouviez simplement garder un œil sur le petit pendant que je cours en bas de la rue. La famille Hugues..."

La soldate hocha la tête et lui fit signe d'y aller. Ce n'était pas une demande inhabituelle car après tout, ce n'était pas comme si leur situation leur permettait de recourir à une babysitter facilement. Mary expliqua rapidement la situation à Sélim, trop concentré pour vraiment saisir la portée de ce qu'elle disait, et claqua la porte derrière elle.

"Mary ? Qu'est-ce que...

- J'ai besoin de ton aide, coupa-t-elle d'un ton pressé. Est-ce que je peux entrer ?"

La surprise avait laissé Grâce sans voix mais elle se reprit rapidement et s'effaça pour laisser son amie rentrer.

"Que se passe-t-il ? Est-ce que Sélim va bien ?

Mary secoua la tête : "Je n'ai pas le temps de t'expliquer mais j'ai besoin de ton aide, s'il te plaît. "

L'urgence dans sa voix ne laissait pas de place aux questions et força Grâce à abandonner toute hésitation.

"De quoi as-tu besoin ?

- Je dois contacter les frères Elric.

- Les frères Elric ? s'exclama son amie.

- Je n'ai pas le temps de t'expliquer, Grâce, je suis désolée, répéta Mary en essayant de supprimer toute panique de sa voix. Mais j'ai besoin de les contacter. Est-ce que tu peux toujours les joindre ?

- Euh, oui, bafouilla-t-elle avant de se reprendre. Oui, je peux les contacter. Que veux-tu que je leur dise ?

- Seulement que j'ai besoin de leur aide. Ici.

- Tu as besoin d'aide, tu veux qu'ils viennent, répéta Grâce d'un ton déterminé. C'est tout ?"

Mme Bradley se mordit les lèvres. "J'ai aussi besoin de paprika".


"Vous n'abandonnez jamais, n'est-ce pas ?"

Avec un soupir intérieur, Audra releva la tête du comptoir vers le colonel Remington qui jeta un regard dédaigneux vers l'épaisse enveloppe qu'elle était venue récupérer.

"Des nouvelles du Sud ?

- Tout à fait."

Ce n'était pas parce qu'ils étaient revenus à Centrale que l'incident du Sud était clos. Evans avait essayé de convaincre Mustang de la laisser sur place une ou deux semaines pour prendre la température de l'opinion publique et voir comment les choses évoluaient. Le généralissime avait refusé en raison des dossiers qui les attendaient à la capitale. Il avait raison bien sûr, mais la jeune femme n'était pas confiante face aux événements : d'abord l'inscription puis les différents échanges avec Ravier dont le positionnement dans l'échiquier politique n'était pas clair. Audra aurait voulu évaluer elle-même les conséquences de ce qu'ils avaient fait sur le coup de l'urgence mais à la place, elle devait se fier au réseau qu'elle avait durement construit au cours de ses années à lutter contre le gouvernement Bradley. Malgré l'hésitation de ces anciens contacts, ceux-ci avaient quand même tenu parole et lui envoyaient ce qu'elle espérait être un rapport fiable de la situation dans le Sud.

Remington lui adressa un sourire encore plus méprisant si cela était possible.

"Vous ne savez réellement pas abandonner.

- Je ne vois pas de quoi vous parlez, monsieur, rétorqua-t-elle en faisant glisser le registre vers la soldate, qu'elle remercia d'un geste de la tête."

Son enveloppe en mains, elle tourna résolument les talons à l'officier qui lui emboîta le pas. Autant pour sa tranquillité.

"Même après tout ce que je vous ai dit dans le Sud, vous êtes toujours là. A mettre votre nez dans les affaires du gouvernement. Dans celles de l'armée.

- J'agis conformément aux ordres donnés par le généralissime.

- Des ordres auxquels vous n'êtes pas tenue d'obéir, fit remarquer Remington.

- Vous voulez donc simplement que je m'en aille, maintenant ?

- Si cela n'était pas clair avant, oui, c'est bien ce que je vous dis : si vous avez ne serait-ce qu'une once de décence, vous partiriez. Votre présence à elle-seule est une injure à l'armée.

- Car celle-ci s'en sortirait tellement mieux sans moi, répliqua Audra, s'arrêtant brusquement."

Ils étaient à présent devant la porte de son minuscule bureau et il était hors de question qu'elle le laisse rentrer. Surtout pas s'il continuait à l'insulter de la sorte.

"L'armée s'en sortirait mieux sans vous, répondit Remington avec dédain. Elle l'a fait pendant...

- Soulèvements dans l'Ouest, affrontements dans les rues de Centrale, sans compter les actions de vandalisme à l'encontre des militaires, commença-t-elle à énumérer.

- Uniquement parce que ce gouvernement se montre beaucoup trop laxiste.

- Répondre à la violence par la violence. Il n'y a bien que les militaires pour croire que cela continuera à fonctionner. Réfléchissez deux minutes, colonel : combien de temps croyez-vous qu'il faudra aux populations civiles pour décider que si un groupuscule a réussi à tuer le généralissime et son fils, prendre le contrôle de Centrale et renverser le pouvoir il y a deux ans, alors elles peuvent également ?

- Cela ne peut se produire que si nous en leur laissons l'occasion, siffla Remington, avec un regard dur."

Audra secoua la tête : "Ne soyez pas stupide. Vous, mieux que quiconque, savez ce qui se passe à nos frontières. Le Front de Libération de l'Ouest n'est pas la seule organisation séparatiste et ne sera pas la dernière. Drachma, Creta et Aerugo n'hésiteront pas à armer ces groupes et souvenir une guerre civile si cela leur permet in fine de mettre la main sur Amestris. Toute l'insatisfaction que nous pouvons créer alimente directement ces mouvements.

- Et c'est ce que vous souhaitez."

Cette fois ce fut au tour de la jeune femme de le regarder avec mépris. Elle lisait dans ses yeux que Remington croyait réellement à ce qu'il venait de dire et cela la consterna encore davantage.

"Vous êtes tellement ridicule. Raccrochez-vous si vous le voulez à cette rivalité stupide entre armée et civils. Mais n'oubliez pas que si cela cause notre perte à tous alors je vous aurai prévenu.

- Car vous êtes tellement sage et clairvoyante.

- Je ne refuse simplement de laisser ce pays sombre dans le chaos le plus total. Nous avons tous déjà trop souffert. Trop versé de sang."

Audra avait dit ses mots plus pour elle-même que pour lui. Remington ne lui ferait sans doute jamais confiance et ne verrait sans doute en elle qu'une vile intrigante qui cherchait à saboter autant que possible l'armée. Elle n'allait pas perdre son temps à le convaincre du contraire. Relevant la tête, elle lui désigna le couloir d'un regard.

"Vous permettez ?

- Je...

- Le généralissime m'a donné du travail, coupa-t-elle en désignant l'enveloppe."

Néanmoins, une lueur étrange brilla un instant dans les yeux du colonel, après quoi son masque habituel de mépris revint et il lui tourna les talons sans autre forme de procès. Soupirant, la jeune femme attrapa ses clés pour se réfugier dans son bureau. Elle avait du travail à faire, des soucis autre que le petit égo de Remington. Elle déchira l'enveloppe pour y découvrir un épais dossier et un petit mot manuscrit.

"Tu sais que nous n'approuvons pas tes derniers choix. Des années de mensonge et de manipulation ne disparaissent pas aussi simplement."


Roy n'était exactement au courant des modalités prévus pour joindre son homme de terrain mais la matinée s'était écoulée avant que le roux ne se présente devant lui.

"Breda, salua Roy d'un signe de tête.

- Vous avez l'air fatigué, généralissime.

- Comme tous les autres jours. Café ?

- Volontiers."

Roy distribua les tasses et s'installa face à Breda, Hawkeye assise à sa gauche.

"Vous vouliez me parler ?

- Commencez, répondit Roy. Il me semble que vous aviez également quelque chose pour moi.

- Vous n'allez pas apprécier, prévint son homme de main."

Cette journée ne faisait que s'améliorer. Il lui fit signe de poursuivre et écouta patiemment Breda lui faire un compte-rendu des investigations, tout en faisant glisser le bout de son index sur le bord de la tasse. Cela produisait un petit son strident qui tapait sur les nerfs de son assistante mais lui donnait un étrange sentiment de satisfaction.

"Quand a-t-il été tué ? demanda Riza, après lui avait jeté un regard noir.

- Entre 16h et 22h la veille, d'après l'état du corps.

- ça nous donne une fenêtre assez large, commenta Hawkeye avec une grimace. J'imagine qu'aucun voisin ne sait quoi que ce soit ?

- C'est le genre de voisinage où personne n'a rien vu, rien entendu, confirma Breda.

- Même si ce n'est pas l'armée qui demande ?

- Mon informateur a commencé à les questionner avant d'avertir les autorités mais pour l'instant, personne ne sait rien, soit par peur des représailles, soit parce que ce type a réellement été discret."

Mustang secoua la tête : "Combien y-a-t-il de personnes qui s'entassent dans cet immeuble ? Quelqu'un doit bien avoir vu le tueur passer. Les vieux qui sont là toute la journée ou les enfants qui jouent dans l'immeuble.

- On continue de creuser, répondit Breda pour botter en touche."

Roy tapota le rebord de sa tasse, pensif : "Les corps ont été retrouvés dans la baignoire tous les deux et aucune goutte de sang ailleurs. Donc il arrive, menace mère et fils pour qu'ils aillent dans la salle de bain et entrent dans la baignoire. Plutôt étrange comme procédé : je les aurais tués plutôt que de m'embêter. Ça aurait été plus facile de faire passer ça pour un crime crapuleux.

- Etant donné le quartier, plutôt difficile de faire croire à un cambriolage, pointa Riza.

- Un règlement de compte, sinon ? Ce n'est pas comme si l'armée avait l'habitude de beaucoup creuser ces cas.

- Retarder la découverte des corps ? Aucun risque que le sang ne goutte à travers le plancher"

Breda hocha la tête : "Plancher en bois. Les voisins du dessous auraient vu une tâche sur leur plafond assez rapidement. Et la salle de bain dispose d'une petite fenêtre. Pratique pour éviter la puanteur. Les corps auraient pu rester là longtemps avant que quelqu'un ne s'en rendent compte. Peut-être qu'il a essayé de retarder la découverte des corps pour éviter que quelqu'un ne fasse le lien avec le détournement de train.

- Pas vraiment convaincu, marmonna Roy. Ça me paraît tiré par les cheveux.

- En attendant, le double meurtre nous donne déjà des informations : l'ennemi est préparé et s'attendait à des investigations de la part de l'armée. Il a anticipé et a tué le messager ainsi que sa famille avant qu'on ne remonte jusqu'à eux, résuma Riza.

- Un professionnel, donc. Mais ça pourrait être n'importe quel groupe armé : Aerugo, Drachma, le FLO… où même la pègre, pour ce qu'on en sait.

- Arthur continue d'investiguer. Il arrivera peut-être à faire parler les voisins."

Mais la piste était plutôt maigre. Quelque part, Mustang s'y attendait un peu. Ces populations-là étaient trop vulnérables et ces quartiers trop peu protégés. Il avait vu des tas de cas comme celui-là. L'enquête piétinerait sans doute pendant quelques temps avant que l'affaire ne soit délaissée pour un dossier plus important et jamais on ne retrouverait le coupable. A moins que l'un des voisins ne se décide à parler, ce qui n'était pas franchement gagné.

"Il reste la piste de l'Ouest, proposa Breda. Qui a pu avoir accès à la liste et comment est-elle arrivée jusqu'ici ?

Roy secoua la tête : "J'ai besoin que vous laissiez tomber ce sujet. La piste de l'Ouest peut attendre : une enquête officielle a déjà été lancée et vous risquez d'interférer avec eux.

- Vous avez autre chose pour moi ?

- Sélim Bradley."

Breda haussa un sourcil.

"Sélim que nous surveillons depuis un an ?

- Les homonculus de façon plus générale, expliqua Hawkeye. Des phénomènes se produisent dans le tunnel. La dernière fois, ils étaient dus à Sélim. Nous avons besoin de vérifier que d'une part, il n'est pas impliqué dans cette affaire, et d'autre part qu'il n'existe pas d'autre homonculus.

- Attendez, vous avez tué les derniers survivants lors de la bataille contre le Père ?

- S'ils ont pu un jour être créé par Père, rien n'exclut qu'on ne puisse en créer à nouveau."

Breda hocha la tête gravement : "ça m'a tout l'air d'être un vrai tas de merde."

Le principal avantage à ne plus faire partie des rangs réguliers de l'armée était que Mustang ne pouvait plus lui reprocher son langage. Et la situation lui avait tout l'air d'être l'occasion pour en profiter.

"Quel genre de phénomène ? et où ?

- Les ouvriers entendent des voix inhumaines dans le tunnel, sous Lior.

- Lior, avec le prêtre ? les souterrains sous l'église ?"

Riza lui tendit le dossier qu'elle était sans doute passée récupérer aux archives plus tôt.

"Et nous sommes sûrs que toute explication logique a été écartée ? Pas de mauvaise volonté des ouvriers ?

- Ils n'ont pas de raison : libération immédiate en échange de six mois de travaux, expliqua Riza. Tout s'est toujours bien passé d'après les rapports de Reynes.

- Pas de pauvre âme errant dans le tunnel après s'être perdue dans l'église ? Un chat peut-être ?

- Si c'est ça, Reynes sait que je n'hésiterai pas à lui faire brûler vif, grommela Mustang.

- On peut toujours vérifier sur site. Histoire d'être sûrs."

Roy acquiesça : "Commencez par ça.

- Et comment se passe la surveillance de Sélim ? demanda Riza.

- Bien, aucun fait à signaler. Il y a un homme - ou une femme - dans la maison à chaque heure du jour ou de la nuit. S'il est impliqué dans cette affaire, je veux bien savoir comment.

- Rien à signaler, donc."

Breda ne lui répondit pas tout de suite et joua avec le fond de son café.

"Je ne fais pas confiance à la veuve Bradley, avoua-t-il finalement. Je pense qu'elle nous cache quelque chose."

Mustang haussa un sourcil.

"Rien de particulier ou d'inquiétant, précisa Breda. Notre surveillance rapprochée n'a rien identifié mais mes derniers échanges avec elle ne m'ont pas rassuré. Elle a beaucoup trop l'air sur les gardes.

- Nous avons des hommes 24/7 chez elle, vous l'avez dit, rappela Riza. Ça n'encourage en rien à la confiance."

Breda haussa les épaules : "C'est juste un ressenti"

Sélim Bradley n'avait pas été un problème ces 2 dernières années. Quelles étaient les probabilités qu'il le devienne maintenant ? Et vu toute la publicité que Mustang s'était attaché à faire à feu président Bradley, jamais personne n'oserait s'approcher de la veuve et l'utiliser à des fins politiques.

"Vous connaissez mieux la situation, trancha finalement Roy. Un doute et vous tirez."

Breda hocha gravement la tête. Après tout, le gamin n'avait pas d'existence légale.


Les coups retentirent sans délicatesse aucune contre sa porte. Par réflexe, Smith se redressa brusquement sans réellement savoir pourquoi. Il lui fallut une autre salve de coups pour se réveiller complètement et comprendre qu'il était dans sa chambre. D'un pas un peu raide, il se dirigea vers la porte d'entrée et jeta un coup d'œil dans le judas.

"Le boss veut tous nous voir, déclara Colt en entrant"

Sa mine fatiguée indiquait que sa garde s'était venait à peine de se terminer. Malgré son bâillement à peine réprimé, la blonde conservait un regard vif.

"Tous ? Maintenant ? s'étonna Smith.

- Tous et maintenant.

- Laisse-moi 5 min, grommela-t-il. Le temps de passer sous la douche."

Sans prendre le temps de vérifier que Colt avait accepté, il s'éloigna vers sa salle de bain, son tee-shirt déjà par-dessus la tête. Il était crevé au point de ne plus se souvenir d'être rentré chez lui, cette nuit, chose assez rare pour des soldats entraînés comme eux. Une bonne douche l'aiderait à se réveiller. Il passa rapidement sous l'eau, sans se soucier de sa température : que Breda ait envoyé Colt leur chercher alors que sa garde venait de se terminer était inhabituel. Mais peut-être voulait-il leur signifier la fin de la garde d'un mioche de 5 ans ? Smith rêvait, il le savait. Il pouvait tirer un trait dessus autant que sur sa longue douche chaude.

En se séchant rapidement, il constata des entailles sur ses biceps. Rien de profond, sans quoi il l'aurait sans doute remarqué avant mais le passage de la serviette rugueuse le fit grimacer. Smith n'en avait aucun souvenir de la façon dont il s'était fait cela. Il regarda le sang perler lorsqu'il pressa la coupure entre ses doigts et cette vision le mit mal à l'aise, sans qu'il sache pourquoi. Il n'avait jamais été sensible à la vue du sang - peu de soldats l'étaient. Smith mit cela sur le compte de la fatigue et finit de s'habiller. La mémoire lui reviendrait plus tard, il était encore à moitié endormi. Lorsqu'il fut fin prêt, Colt était à deux doigts de se finir sa nuit contre le mur mais se redressa promptement et lui emboîta le pas.

"Tu sais pourquoi Breda veut nous voir ? demanda-t-il en dévalant les escaliers.

- Aucune idée. Peut-être qu'il veut nous briefer sur la mission parallèle ?"

Smith hocha la tête en silence mais sentait que sa coéquipière n'en avait pas fini. De toute façon, ce n'était pas vraiment le moment pour en parler de toute manière. Les rues étaient pleines, animées de l'effervescence de la fin d'après-midi. Trop d'oreilles autour d'eux auraient pu capter une bribe d'information. Ils ne parlaient jamais de leurs missions en dehors de la planque ou d'un endroit sûr. Une règle de base qu'ils n'avaient pas besoin de se rappeler. Néanmoins son regard scrutateur l'agaça rapidement. A l'embranchement, Smith lui fit signe de le suivre. Ils traversèrent quelques rues pour s'éloigner de la foule avant de trouver un cul-de-sac désert. Un coup d'œil aux fenêtres leur indiqua qu'ils étaient tranquilles.

"Qu'est-ce qu'il y a ?

- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé hier soir ?

- Hier soir ?"

Colt hocha la tête : "Je ne t'ai pas croisé lors de la relève. Je me suis dit que tu t'étais peut-être éloigné en me voyant ou autre. Mais tu n'as rien renseigné dans le journal d'observation."

Il ne s'agissait pas là de manquements francs à leurs règles ou code de comportement, si tant est qu'on puisse appeler ça comme ça. Mais ces deux faits étaient suffisamment inhabituels pour expliquer la curiosité de la soldate : une des autres règles tacites était de toujours confirmer visuellement la relève de la garde. Le premier ne quittait pas son poste tant que le second soldat n'était pas arrivé et sans confirmer que tout se passait bien. Mais leur petit nombre les empêchait parfois de s'y conformer et il arrivait que le soldat en poste s'éloigne pour investiguer un mouvement ou un bruit un peu étrange à l'arrière de la maison. En revenant, la relève était déjà en poste et il ne lui restait plus qu'à partir. Mais même maintenant, après une douche et à la lumière du jour, Smith n'avait aucun souvenir de la veille.

Le regard de sa coéquipière n'était ni soupçonneux ni agressif mais il suffit à accroître son sentiment de malaise diffus. Jamais il n'avait eu de trous de mémoire pareil, à moins d'avoir ingéré une quantité conséquente d'alcool.

"Je ne m'en souviens pas, avoua-t-il brusquement.

- Tu ne t'en souviens pas ?"

Il secoua la tête : "Niet, nada. Rien du tout. Je ne me souviens même pas être rentré chez moi.

- Mais tu as bu ?

- Tu imagines vraiment Mme Bradley sortir l'alcool et nous en proposer ? demanda Smith avec agacement.

- Assez improbable, en convint Colt, mais après avoir fini ta garde, t'es allé faire la fête ?

- Encore moins probable, me connaissant. Et ça n'expliquerait pas pourquoi je n'ai pas écrit de compte-rendu."

Colt se gratta la tête, assez perplexe.

"Ça t'arrive souvent ?

- Pas vraiment, non... répondit lentement Smith. Pourquoi ? Il s'est passé quelque chose pendant ta garde ?"

Il était plus que conscient de la tension dans sa posture et sa voix mais il n'y pouvait rien. Toute cette situation n'avait aucun sens.

"Non. Je trouvais juste l'ambiance... bizarre, ce matin."

Smith fronça les sourcils. La traduction de ses impressions n'était pas le fort de sa coéquipière mais celle-ci avait de bonnes intuitions et visait généralement juste.

"Bizarre comment ?

- Tendu, lourd, répondit Colt en haussant les épaules. Mais je l'ai peut-être imaginé."

Ils savaient tous les deux que la blonde n'avait rien imaginé du tout. Devant le malaise croissant de son coéquipier, Colt se gratta une nouvelle fois la tête.

"T'inquiète pas, ça va te revenir. Ça doit être la fatigue et la monotonie à en mourir de cette affectation." Mais elle-même était à moitié convaincue. Colt lui fit signe de repartir : "Le boss nous attend."

Presque toute l'équipe était réunie. Panaya avait exceptionnellement relevée de sa garde mais Bréguet avait toujours les yeux braqués dans les lunettes, tout en écoutant d'une oreille Breda parler. Celui-ci adressa un signe de tête aux derniers arrivants.

"Quoi de neuf, boss ? On va être relevés de cette garde ? demanda joyeusement Colt."

Le roux eut un sourire en demi-teinte qui ne valait rien de bon : "Souvenez-vous que vous l'avez souhaité mais changement de programme, en effet : la piste du coursier nous mène à un cul-de-sac. Le petit a été retrouvé mort, avec sa mère. Tous les deux tués par balle dans leur baignoire. Arthur continue de creuser mais le voisinage n'est pas franchement bavard. Il va avoir besoin d'aide.

- Est-ce que c'est ouvert au volontariat ?

- Désolé, la tâche a déjà attribuée à Bréguet"

Panaya et Colt protestèrent, pour la forme : interroger la centaine de personnes récalcitrantes résidant dans le quartier délabré n'allait pas être une partie de plaisir, même si le changement de mission était toujours bon à prendre. Et le recoupement de toutes les informations allait nécessiter méthode et esprit analytique. Logique que la tâche revienne à Bréguet.

"J'ai aussi une mission pour toi, Panaya : est-ce que tu es déjà allée dans l'Est ?"

Breda les briefa rapidement sur la situation et leur tendit l'exemplaire du rapport fourni par Hawkeye. Panaya irait investiguer cette affaire à Lior tandis que lui resterait soutenir l'équipe de surveillance. Il tenait à voir de près ce qui se produisait dans la maison des Bradley.

Légèrement frustrée, Colt haussa un sourcil : "On va se relayer à 3 sur cette garde ?

- Pas vraiment le choix. Et j'ai eu suffisamment de mauvaises surprises dues à la famille Bradley pour m'en méfier comme la peste. Même si l'épouse n'y était pour rien à l'époque. Vous avez des nouvelles à me remonter ?"

Smith sentit le regard de sa coéquipier couler sur lui, plus ou moins discrètement. Mais qu'allait-il expliquer ? Être crevé au point de ne pas se rappeler la fin de la garde précédente ? Il secoua la tête. Il allait bien avoir le temps d'en reparler au cours des longues prochaines semaines.


Le soleil n'était pas tout à fait couché, encore visible dans le ciel embrasé. Les ruelles étaient calmes, typiques d'un quartier pavillonnaire. Roy descendit et claqua la portière, heureux de profiter pour une fois de sa soirée. Le chauffeur coupa le moteur, sans rien dire : il était obligé d'attendre et Mustang avait dû négocier fort pour éviter que l'ensemble de sa garde rapprochée ne vienne également. Il était soldat et alchimiste, merci bien, il était tout à fait capable d'assurer sa propre sécurité, a fortiori sur une base militaire. Le nez dans un dossier, Riza avait fait remarquer pour la forme qu'il ne s'agissait pas d'un site militaire stricto sensu, puisqu'il hébergeait les familles et non pas les soldats eux-mêmes mais elle n'avait pas émis de doute sur la capacité de son supérieur à se défendre. Le reste de la garde avait alors suivi.

Il s'engagea dans l'allée parsemée de dessins enfantins à la craie et sonna. Grâce ne fut pas longue à lui ouvrir : "Monsieur le président.

- Roy, corrigea-t-il gentiment. Désolé pour l'heure tardive mais j'ai apporté le dessert."

Il lui montra la boîte en carton dans ses mains. La jeune femme lui sourit et l'invita à entrer.

"Comment vas-tu ? Elysia est déjà couchée ?" Il n'avait aucune idée du rythme des enfants de cet âge.

"Juste dans sa chambre, répondit Grâce, amusée. Est-ce que vous… tu veux la voir ?"

Les choses étaient étranges depuis la mort de Maes. Mustang passait les voir de temps en temps, plus rarement qu'il ne le voulait, histoire de vérifier que sa femme et sa fille n'avaient pas de problèmes et vivaient dans des conditions correctes et la situation avait toujours été un peu gênée. Parce que Mustang se sentait toujours responsable et parce que Grâce ne le connaissait pas tant que ça. Depuis qu'il était président, les choses s'étaient encore corsées. Un formalisme inattendu s'invitait parfois entre eux et la jeune femme passait inconfortablement du vouvoiement au tutoiement.

Roy haussa les épaules : "J'imagine qu'à cet âge, on n'a pas très envie de venir s'asseoir avec des vieux inconnus qui discutent de choses terriblement ennuyantes.

- Tu serais étonné de ce qu'elle pourrait dire, répondit-elle en lui prenant le dessert des mains. Pas sûre qu'elle s'ennuie tant que ça. Assieds-toi. Je t'apporte un thé ?"

Les pas de course dans le couloir ne furent pas longs à arriver.

"Tonton Roy ! Tu m'as apporté un cadeau ?"

Ainsi donc, la mémoire des enfants de 6 ans enregistraient au moins 6 mois. C'était bon à savoir.

"Non, répondit Roy avec une grimace. Mais j'ai apporté du gâteau."

Les yeux de la petite fille s'illuminèrent à cette idée.

"C'est une tarte à la pomme, ajouta-t-il."

Apparemment l'idée était suffisamment alléchante pour qu'Elysia reste. Elle s'installa sur le divan à côté de lui et lui raconta dans le menu détail les cookies qu'elle avait fait avec sa mère.

"Et est-ce qu'ils étaient bons ?

- Oui ! Enfin… je crois. Je euh, bafouilla-t-elle, rouge comme une tomate

- Ils étaient mal cuits ?"

La petite fille rougit de plus belle.

"Elysia n'a pas été autorisée à manger les cookies car elle a tenté de les chaparder, expliqua Grace en entrant, gâteau dans les mains."

Roy décocha un regard faussement choqué à son interlocutrice.

"Ce n'était pas ma faute !

- Elysia, prévint Grace d'un ton réprobateur.

- C'était Sélim, marmonna la petite fille sous le regard sévère de sa mère."

Elle finit par prendre sans un mot la part de gâteau qu'on lui tendit. Sans savoir trop quoi dire, Mustang se lança dans une conversation triviale avec Grace. Comment allaient-elles ? Est-ce que le climat n'était pas trop tendu en ce moment ? Elysia faisait effectivement beaucoup de progrès à l'école. Au bout d'une petite heure, il eut le sentiment d'avoir fait son devoir envers Maes et se prépara à partir. Il n'allait pas perturber leur routine plus que nécessaire. Le dessert avait été un plaisir et il allait tâcher de passer une tête plus régulièrement mais il se faisait ce genre de promesse à chaque fois.

Une fois son manteau enfilé et la petite fille partie, il ne put toutefois s'en empêcher : "Tu as toujours des contacts avec la famille Bradley ?

- Ce sont des voisins, répondit évasivement Grace.

- Des voisins pas comme les autres."

Elle n'était pas censée être au courant mais grâce à la langue bien pendue des frères Elrics, trop de monde au goût de Roy connaissait l'existence de Sélim Bradley. Et il savait également que la veuve de son amie n'approuvait pas leur traitement. Elle lui adressa ce sourire poli mais crispé qui lui signifia son départ.

"Si tu as besoin de quoi que ce soit, si tu te sens en danger ou ne serait-ce qu'inquiète, tu sais où me trouver", rappela Roy.

Grace hocha la tête mais son expression lui indiquait clairement qu'elle n'était pas prête de l'appeler. "Merci de venir, ajouta-t-elle néanmoins."

L'air avait rafraîchi, au grand plaisir de Mustang, lorsqu'il ressortit. Il avait le sentiment d'être enfermé bien trop souvent à son goût et savoura l'air frais en attendant que son chauffeur ne revienne. Il avait sans doute fait un tour dans le quartier, pour éviter de stationner trop longtemps devant la maison et indiquer la position du généralissime aussi efficacement qu'un panneau lumineux. Roy aurait préféré rentrer à pied mais le traitement que lui réserverait Hawkeye si elle apprenait qu'il enfreignait les protocoles de sécurité lui fit rapidement passer l'envie. Il se dirigea donc docilement vers la chaussée lorsqu'il vit la voiture s'engager dans l'allée. Il rendit son salut distraitement au chauffeur avant se rendre compte de la sensation de picotement dans son dos. Quelqu'un l'observait. Avec très peu de discrétion. Roy se retourna franchement vers son observatrice.

Forcément.

Les Bradley vivaient dans la même rue et Mary Bradley se tenait sur le pas de sa porte, les mains crispées sur un sac poubelle. Mustang lui adressa un bref signe de tête, auquel elle répondit à peine. La veuve Bradley n'avait aucune raison de le porter dans son cœur. Il s'apprêtait à repartir lorsqu'un détail retint son attention : à la fenêtre de la maison, une petite figure blanche l'observait également. Une petite tête qui dépassait à peine de la fenêtre et dont il discernait les grands yeux noirs malgré la distance. Selim. L'immobilité anormale de la silhouette lui arracha un frisson malgré lui, avant qu'il ne se détourne. Quoi que Grace en pense, cet enfant ne serait jamais comme les autres.


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