don't give up (even when i'm gone)

Chapitre 19

oOo

« Je suis une personne horrible, Yara. »

Ce sont les premiers mots que prononce Sansa lorsque Yara arrive dans la cour de Winterfell et s'empresse de la serrer contre elle.

« Je t'en prie, Sansa. Ne dis plus jamais ça parce que c'est faux, d'accord ? C'est entièrement faux. »

La lettre que lui a écrite la louve est gravée dans son esprit.

Je ne vaux pas mieux que Daenerys, Yara. J'abandonne les membres de ma meute les uns après les autres. Je suis incapable de les protéger.

Yara n'a pas hésité longtemps avant de quitter les Îles de Fer pour aller la retrouver.

« Ce que j'ai fait... » murmure t-elle, la voix tremblante.

« Tu as fait ce que tu pensais être le mieux, » coupe Yara.

Elle pose une main sur la joue glacée de Sansa.

« Tu es frigorifiée, » dit-elle. « Depuis combien de temps es-tu dehors ? »

Sansa hausse les épaules d'un air absent, comme si ça n'avait aucune importance. Yara lui frictionne les bras pour la réchauffer. Elle la laisse faire et garde le silence.

« Viens, rentrons. Tu vas geler sur place. »

Pour la première fois, l'ombre d'un sourire se dessine sur ses lèvres.

« Ce n'est pas grave, tu me feras fondre. »

Yara roule des yeux.

« C'est ma réplique. »

Elle la guide vers le château alors que Sansa répond :

« Ce qui est à toi est à moi... pas vrai ? »

« Bien sûr. »

(Elle a emporté le cœur de Sansa et Sansa a pris le sien en échange. Elles partagent tout, désormais, absolument tout – l'eau et la glace ne forment qu'un.)

Yara guide Sansa jusqu'à sa chambre et toutes deux s'assoient devant la cheminée. Elle dévisage la louve d'un air inquiet.

« Tu n'étais pas obligée de venir, » dit Sansa, brisant le silence.

« Bien sûr que si. Tu as besoin de moi, il est hors de question que je te laisse traverser ça seule. »

Sansa sourit légèrement et touche le coquillage qu'elle porte autour du cou.

« Mais si tu ne veux pas de moi, je peux partir tout de suite... » reprend Yara en haussant un sourcil.

« Ne sois pas ridicule. Je n'ai pas encore eu le temps de te faire fondre. »

Toutes deux laissent échapper un petit rire avant que le visage de Sansa ne s'assombrisse de nouveau.

« Je sais que je n'avais pas le choix, » dit Sansa. « C'était un ordre, pas une requête. Si j'avais refusé, les conséquences auraient été terribles, je le sais très bien. »

« Sansa... »

« Mais ce que j'ai fait à Arya... »

Sa voix se brise.

« Je l'ai vendue. »

Le mot semble lui brûler la langue, une grimace de dégoût déforme ses lèvres.

« J'ai vendu ma propre sœur. »

« Sansa, je ne pense pas que ce soit le terme le plus approprié. »

« Vraiment ? Je n'en vois pas d'autre. Je l'ai vendue à Daenerys pour ne pas qu'elle vienne répandre le feu et le sang sur le Nord. »

Yara se lève et vient s'agenouiller devant la chaise de Sansa.

« Tu ne l'as pas vendue, Sansa. Tu as fait ce qui te semblait le mieux pour la protéger. »

Elle voit des fantômes dans les yeux de Sansa.

« On m'a vendue moi aussi. On m'a vendue et Ramsay et... et... »

Ses larmes se mettent à couler. Bouleversée, Yara enroule les bras autour de sa taille et la serre contre elle avant d'enfouir le visage dans son cou.

« Tout va bien, Sansa. »

« Je fais subir à ma sœur ce que... »

« Non, je t'assure. Gendry Baratheon est un homme bon. Il ne fera pas de mal à Arya, il fera tout pour la rendre heureuse, d'accord ? »

Elle s'écarte légèrement, s'assure que Sansa hoche la tête.

« Arya me déteste. Elle ne me pardonnera jamais, je le sais. »

« Ne dis pas ça. »

« Cela fait des semaines qu'elle refuse de m'adresser la parole, elle... »

« Sansa. Ça va s'arranger. Vous formez une meute, tu te rappelles ? Elle finira par comprendre. »

(Voir Sansa si malheureuse et si démunie lui est insupportable. L'eau est peut-être son domaine mais elle déteste la voir couler de ses yeux.)

« Je suis là, Sansa. Je suis avec toi. Tu n'es pas toute seule, d'accord ? »

Une lueur de gratitude apparaît dans ses yeux de glace.

« Je sais. Merci... merci d'être venue. »

« Je n'avais pas le choix. Je t'ai laissé mon cœur, tu te rappelles ? »

« J'espère que tu n'es pas venue le récupérer. »

Leurs lèvres se rencontrent.

« Jamais, » souffle Yara.

.

(Son cœur appartient à Sansa – maintenant, et pour l'éternité.)

.

« Bonjour, Ser Brienne. »

« Bonjour, Lady Greyjoy. »

Un petit garçon aux cheveux dorés vient s'agripper à sa jambe. Yara sourit et s'accroupit.

« Bonjour, Renly. »

Il lui répond dans un joyeux babillage qu'elle ne comprend qu'à moitié.

« Je cherche Arya. Est-ce que vous l'auriez vue ? »

« Oui, ma dame. Elle est dans sa chambre. Elle en sort à peine depuis que... »

Brienne s'interrompt et se mord la lèvre.

« Je vois. Merci, Ser Brienne. »

(Les loups ne peuvent pas devenir ennemis, les loups doivent former une meute unie et se soutenir.)

Yara n'hésite pas une seule seconde lorsqu'elle se retrouve face à la porte de la chambre d'Arya.

Elle frappe.

« Entrez. »

Arya se tient au milieu de la pièce et donne de gracieux coups d'épée dans le vide.

« Oh. Bonjour, Yara. C'est ma sœur qui vous envoie ? »

« Non. Je suis venue de ma propre initiative. »

Arya renifle avec un certain mépris.

« Êtes-vous là pour me convaincre de me réjouir à l'idée d'épouser Gendry ? »

« Absolument pas. »

Arya se fige et laisse tomber son épée avant de pousser un long soupir.

« Je ne suis pas une dame, Yara. Cette vie... ce n'est pas pour moi. »

« Je sais. »

(Cette vie n'est pas pour Yara non plus.)

« Sansa le sait aussi, » reprend t-elle. « Votre sœur n'avait pas le choix. Elle se sent terriblement coupable. Elle... »

« Yara. Je sais tout ça. Je sais que Daenerys n'aurait pas accepté un refus... je sais que je dois faire mon devoir. Cela n'enlève rien à l'injustice de ce qui m'arrive. Je suis un pion, rien de plus. Un pion dans la lutte de pouvoir entre Sansa et la reine dragon. »

Arya pense t-elle vraiment ce qu'elle dit ou la colère la fait-elle oublier qu'elle est bien plus que cela ?

« Vous vous trompez, Arya. Sansa vous aime, elle vous aime vraiment. Elle donnerait n'importe quoi pour qu'il y ait une autre solution. »

La jeune louve hausse les épaules, soudainement très lasse.

« Peut-être, mais il n'y a pas d'autre solution. J'imagine que je ferais mieux de profiter de mes derniers instants de liberté. »

Elle lui tourne le dos, exactement comme elle s'est détournée de Sansa quand elle a scellé son destin.

(Se retournera t-elle un jour ?)

.

« Yara ? »

Sansa distingue à peine son visage dans l'obscurité de leur chambre. Elle enfouit le visage dans son cou alors que Yara la serre contre elle.

« Je... je... »

Dis-le, Sansa. Ce n'est pas compliqué. Juste trois petits mots. Dis-le.

« Je... »

Une boule se forme dans sa gorge.

« Je suis heureuse que tu sois là. »

Yara lui donne un doux baiser.

« Je suis heureuse d'être là moi aussi. »

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(Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à le lui dire ?)

.

« Est-ce que tu peux te permettre d'être loin des Îles de Fer aussi longtemps ? » demande Sansa un matin quand elle réalise que Yara est à Winterfell depuis quelque temps déjà.

« Ne t'en fais pas pour moi, » répond t-elle aussitôt. « Tu as besoin de moi. »

Sansa soupire, pense tristement à ce qu'est devenue sa relation avec Arya. Où est passée leur complicité, leur affection ? Peut-être que tout ça n'était qu'un flocon de neige, fragile, éphémère, voué à disparaître, il a suffi d'une seule flamme pour qu'il fonde.

(La flamme du dragon n'est pas n'importe quelle flamme.)

« Tu es malheureuse, » reprend Yara, les sourcils froncés.

Sansa baisse la tête. La veille, elle a fondu en larmes après avoir passé une nouvelle journée sans parler une seule fois à Arya.

« Je vais bien, » parvient-elle à répondre.

(Elle se sent toujours coupable de se montrer faible devant Yara, Yara qui est une guerrière, Yara qui est si forte.)

« Ne me mens pas, s'il te plaît. Ne te retiens pas de pleurer. »

A peine a t-elle fini sa phrase que les larmes se mettent de nouveau à couler.

« Je... j'ai besoin de prendre l'air, » dit Sansa.

Alors qu'elles sortent dans la cour, elle se demande si ses larmes vont se changer en cristaux de glace.

Yara lui caresse la joue, semble désemparée de la voir aussi triste.

« Ne bouge pas d'ici, » dit-elle d'une voix déterminée. « Je reviens tout de suite. »

Sansa l'observe s'éloigner en silence, le regard vide.

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(Yara ne regardera pas cette meute s'effondrer autour d'elle sans rien faire.)

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« Arya ! »

La jeune louve, en plein entrainement avec Brienne, se retourne et hausse les sourcils.

« Oui ? »

(Pour une fois, ce sont les yeux de Yara qui sont de glace – ce n'est pas bien grave, Sansa les fera fondre un peu plus tard et les changera en eau.)

« Venez avec moi, s'il vous plaît. »

Arya soupire, sans doute sait-elle déjà ce que veut Yara. Elle s'exécute sans rien dire.

« Sansa ne va pas bien, » lâche Yara, brisant le silence.

« Je ne vais pas bien non plus, » rétorque Arya. « Je vais devenir quelqu'un que je n'ai jamais voulu être. »

(Arya ne va pas bien. Sansa ne va pas bien. Ne serait-il pas plus simple qu'elles se soutiennent ?)

« Je sais que vous êtes toujours en colère contre elle mais allez lui parler, s'il vous plaît. »

Alors qu'Arya ouvre la bouche pour répondre, elles sont interrompues par le petit Renly qui déboule de nulle part et s'accroche à la jambe de Yara – pour une raison inexplicable, il semble s'être pris d'affection pour elle.

« Renly ! » s'exclame Brienne. « Je t'ai déjà dit de ne pas t'éloigner de moi ! »

Nullement impressionné, il la laisse lui saisir la main et l'entraîner vers le château de mauvaise grâce.

« Il adore regarder nos entraînements, » s'amuse Arya. « Je pense qu'il rêve déjà d'être chevalier. »

Yara acquiesce pensivement.

« Oui... je pense qu'il en deviendra un. A condition que Daenerys n'apprenne jamais son existence, bien sûr... à condition qu'elle ne s'approche jamais de Winterfell. »

Une ombre apparaît dans le regard d'Arya quand elle comprend où veut en venir.

(L'ombre de la culpabilité ?)

« Sansa n'a jamais cherché qu'à vous protéger. Je vous en prie... allez lui parler. »

Yara se détourne et s'éloigne sans attendre de réponse.

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Un peu plus tard, alors qu'elle est à la recherche de Sansa, elle se fige lorsqu'elle l'aperçoit discuter avec Arya dans le Bois sacré. Elle est trop loin pour entendre ce qu'elles disent, ça l'inquiète, a t-elle empiré la situation ?

Mais quand Arya baisse la tête, quand le visage de Sansa se fend d'un sourire et quand elle serre sa petite sœur contre elle, Yara se met à sourire elle aussi.

(Les loups ne cesseront jamais de former une meute – parfois, il leur faut simplement un peu d'aide pour s'en souvenir.)

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« Yara ? »

« Oui ? »

« Merci... merci infiniment. »

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N'importe quel secret peut être brisé en à peine quelques secondes.

C'est ce que Sansa apprend un matin quand Jorah Mormont se présente devant les portes de Winterfell.

« Lord Mormont, » le salue t-elle sans chaleur.

« Lady Stark, » répond t-il en s'inclinant.

« Que me vaut le plaisir de cette visite ? »

(Il ne faut pas que sa voix tremble, il ne faut pas qu'il voie qu'elle est en train de paniquer.)

« La reine m'envoie finaliser les détails du mariage de votre sœur et de Gendry Baratheon. »

Daenerys est-elle à court d'excuses pour l'espionner ?

« Je vois. J'imagine que vous êtes si débordé que vous n'avez pas eu le temps d'envoyer un corbeau pour m'avertir de votre venue... »

Il baisse la tête d'un air coupable. Sansa réfléchit à toute vitesse, Jorah est la Main de Daenerys, il est amoureux d'elle et ferait n'importe quoi pour sa reine, il est peut-être même le père de ses enfants. Ce n'est pas comme laisser entrer Yara, cette fois le dragon va vraiment pénétrer dans l'antre des loups.

Je n'ai aucune raison de refuser. Si je le fais, Daenerys saura que j'ai quelque chose à cacher. Je n'ai pas le choix... je dois le laisser entrer.

Où est Renly ? Sansa espère que Brienne le surveille, qu'elle aura le temps de courir la prévenir de cacher le petit lionceau, elle se mord la lèvre, encore une fois la situation est en train de lui échapper.

Tout va bien se passer. Jorah ne verra pas Renly, il n'entendra même pas parler de lui. Tout va bien se passer.

« Venez, » finit-elle par dire.

Tous deux entrent dans la cour, Sansa est de plus en plus nerveuse, regarde autour d'elle, où est Arya ? Où est Yara ? Et surtout, où est Brienne ?

« Vous devez être frigorifié, » reprend Sansa en se tournant vers lui.

Il a l'air fatigué, a les yeux un peu tristes. Elle repense à la lettre de Jon, se demande ce qu'il a pensé de l'assassinat des Lannister.

C'est un homme bon, je le sais, alors pourquoi continue t-il de la servir ? L'aime t-il donc à ce point ?

« Je vais vous conduire à votre chambre. Un feu de cheminée devrait vous réchauffer. »

Il lui offre un petit sourire, incline la tête.

« C'est très gentil à vous. »

Naïvement, Sansa pense que cette visite va bien se passer, que Jorah va repartir comme il est venu et que la vie reprendra son cours normal.

(« Tu es encore bien trop naïve, petite colombe, » murmure Cersei.)

Il ne suffit que de quelques secondes et d'un malheureux concours de circonstances pour que tout bascule.

Un petit garçon aux cheveux dorés traverse la cour en courant sur ses courtes jambes.

« Renly ! » crie Brienne au loin en tentant de le rattraper. « Combien de fois t'ai-je répété de ne pas t'éloigner ? »

Il éclate de rire et l'ignore, poursuit sa course en jetant un coup d'oeil par-dessus son épaule, ne regarde plus où il va.

Il s'écrase contre Jorah et tombe sur le sol. Brienne, qui n'a pas vraiment réalisé contre qui il venait de finir sa course, s'agenouille avec inquiétude et s'assure qu'il n'a rien.

« Renly ? Tout va bien ? »

« Moui, » répond t-il.

Brienne relève la tête. Son regard croise celui de Jorah – il est paralysé.

« Qui est cet enfant ? » demande t-il d'une voix étrange.

Oh non. Non, non, non, non, pas ça, pas ça.

« Mon pupille, » répond t-elle, sa voix manque de se briser sous l'effet de la peur. « Renly Snow. »

« Votre pupille, » répète lentement Jorah, les sourcils froncés.

« C'est un bâtard orphelin, ses parents sont morts pendant la guerre. »

Ce mensonge aurait pu avoir la saveur de la vérité si ça avait été quelqu'un d'autre, ce lourd secret aurait alors été préservé, c'est ce qui se serait passé dans les histoires que Sansa aimait, enfant – les histoires qui avaient une fin heureuse.

Jorah garde les yeux fixés sur Renly, il pâlit un peu plus chaque seconde. Il a passé bien trop de temps avec Tyrion pour ne pas reconnaître les yeux verts des Lannister. Brienne, poussée par l'instinct maternel qu'elle n'est jamais parvenue à étouffer, se place devant son fils dans un geste protecteur, et ce faisant elle brise les dernières bribes du fragile bouclier qui le gardait en sécurité.

Jorah plante ses yeux dans ceux de Sansa.

Il sait.

Et Sansa sait qu'il sait.

.

(Que dois-je faire ? Tout est fini, il sait tout, il va tout lui raconter. Que dois-je faire ?)

.

« Cet enfant a du sang Lannister. »

Ce sont les premiers mots que Jorah prononce lorsque Sansa le fait entrer dans son bureau. Elle ne répond pas immédiatement, s'assoit et l'invite à faire de même d'un léger signe de tête.

Ils se dévisagent en silence.

« La réaction de Ser Brienne quand je l'ai vu... » reprend Jorah.

Il a l'air tout simplement épouvanté par ce qu'il vient de découvrir, peut-être parce qu'il repense à la dernière fois qu'il a vu des lions, il pense à leurs cadavres, ceux qu'il a dû enterrer – le cadavre des enfants.

« Cet enfant est le fils de Jaime Lannister. »

Ce n'est pas une question.

Sansa a envie de hurler.

Pourquoi maintenant ? J'avais réussi, pourtant. Personne ne savait, personne. Il était en sécurité. Pourquoi ?

« Daenerys ne doit rien savoir. »

Cersei observe la scène en silence. Sansa sait ce qu'elle ferait – elle protégerait son lionceau jusqu'au bout, elle se battrait comme une lionne pour qu'il ne lui arrive rien.

(Sansa n'est pas comme Cersei mais peut-être qu'aujourd'hui elle doit prouver qu'une louve peut être aussi féroce qu'une lionne.)

« Excusez-moi ? » demande Jorah, toujours sonné.

« Daenerys ne doit rien savoir, » répète t-elle froidement. « L'existence de Renly restera un secret. Elle n'entendra jamais parler de lui, elle ne soupçonnera rien. Me suis-je bien fait comprendre, Lord Mormont ? »

Cersei hoche la tête d'un air approbateur.

« Vous... vous me demandez de mentir à ma reine, » répond Jorah.

« Je vous demande de mentir à une meurtrière ! » s'emporte Sansa.

Il baisse les yeux, Sansa sait qu'il a envie de la défendre et elle sait aussi qu'il ne le fera pas – il n'en a pas le droit, pas après tout ce que la reine dragon a fait.

« Je suis sa Main, » reprend t-il. « Je dois la tenir au courant de toutes les menaces qui... »

« Une menace ? » coupe Sansa. « Renly n'est qu'un enfant, un enfant innocent. »

Il ne croit même pas à ce qu'il dit, elle le voit bien.

« Lord Mormont, je vous en prie. Vous... vous savez ce qu'elle a fait aux Lannister, vous étiez là, vous avez tout vu. Ils étaient innocents eux aussi. Vous êtes un homme bon, je le sais... vous ne pouvez pas penser qu'ils le méritaient, c'est impossible. »

Jorah la dévisage sans répondre, elle voit toutes les fissures dans son regard, sans doute le reflet de celles qui zèbrent son cœur meurtri.

« Vous êtes venu pour discuter du mariage d'Arya et Gendry, je crois ? » dit Sansa au bout d'un moment. « Alors discutons-en. »

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(Elle ne le laissera pas quitter Winterfell sans avoir la certitude qu'il ne dira rien.)

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Yara s'installe à côté de Jorah pendant le dîner. Il ne quitte pas Renly du regard, observe Sansa tenter de le convaincre de manger.

« Il ne sait pas que Brienne est sa mère, » confie t-elle.

Celle-ci regarde son fils de loin, les yeux tristes.

« Je vois, » répond t-il.

Elle apprécie la Main de Daenerys. C'est un homme bon, courageux, et lui aussi a succombé aux yeux violets qui ont hanté les rêves de Yara pendant si longtemps.

(Elle a de la peine pour lui, vraiment.)

« Qu'allez-vous faire ? » demande t-elle.

« Je ne sais pas. Le devoir... le devoir me pousse à lui dire la vérité. »

Il se tourne vers elle.

« Vous étiez au courant depuis tout ce temps, et vous n'avez rien dit. »

« Je ne pouvais pas. Je savais ce qu'elle risquait de faire... mes craintes se sont confirmées quand elle a exécuté les derniers Lannister. Elle ne veut pas des lions dans son royaume, Jorah. Si elle apprend que Renly existe... si elle apprend qui il est... vous savez très bien ce qui se passera. »

(Des rivières de feu sur Winterfell. La fin de la glace. Le cadavre d'un autre petit lionceau.)

« Je sais que vous l'aimez. Et je comprends... plus que vous ne le pensez. Mais je vous en prie, Jorah. Ne lui dites rien. Gardez ce secret. »

Renly ne semble pas décidé à manger, il garde la bouche obstinément fermée et tire une des mèches rousses de Sansa avant de rire. Sansa ne peut s'empêcher de rire à son tour et le serre dans ses bras.

Jorah garde le silence.

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« Vous partez déjà ? » demande Sansa, les sourcils froncés. « Vous venez à peine d'arriver. »

« La reine a besoin de moi, Lady Stark. »

« Oui... je n'en doute pas. »

(Daenerys réalise t-elle la chance qu'elle a d'avoir l'amour de cet homme ? Il est bien le seul à encore l'aimer.)

Elle le raccompagne à l'extérieur de Winterfell. Ils se dévisagent longuement.

Je vous en prie. Dites-moi que vous garderez ce secret. Dites-moi que vous ne voulez plus voir un seul enfant mourir.

Jorah soupire.

« Lorsque je rentrerai à Port-Réal, je révélerai à Daenerys l'existence de Renly. »

Elle a l'impression que son cœur explose, a envie de hurler, il ne lui en laisse pas le temps.

« Ce bâtard orphelin a beaucoup de chance d'être devenu votre pupille, Lady Stark. »

Son cri ne franchit pas la barrière de ses lèvres. Sansa plisse les yeux et comprend ce que Jorah veut dire.

(Elle ne peut pas s'empêcher d'être déçue, d'être inquiète, mais c'est un compromis. Elle devra faire avec.)

« Merci, Ser Jorah. »

Il sourit tristement, s'incline et monte sur son cheval.

Sansa le regarde s'éloigner – son cœur bat toujours aussi vite.