« Ça fait combien de temps que tu vis ici, Katya ?

- Bientôt trois ans.

- Je viens de réaliser que tu n'es plus la petite fille que j'ai connue. C'est étrange.

- Pas tant que ça, Peter… personne ici ne m'a vu grandir. »

Ses boucles enfantines se parviennent plus à égayer son visage grave et morne. Piotr Rasputin n'a pas entendu le rire de Kitty Pryde depuis que William Stryker a violé leur refuge. Son regard troublé fuit les yeux de chat éteints pour se fixer sur le chevalet, où repose une esquisse au fusain. C'est un minois d'enfant au sourire timide. Illyana Rasputin.

« Elle a fait de gros progrès en anglais. Elle sera bilingue avant ses dix ans.

- Niet. Elle oubliera sa langue maternelle, Katya. Elle ne peut pas retourner en Russie. »

Le cœur lourd, Piotr ajoute : « Le mot mutant n'a pas besoin de traduction là-bas ». Ses paupières mi-closes devinent l'ombre d'une main qui se pose sur son front. Son cou recueille un souffle tiède qui descend sur sa poitrine. Puis un visage s'incline sur son torse et c'est bientôt toute la chaleur d'un corps féminin qui s'étend sur lui en ronronnant :

« Avant, tu me racontais ton pays et les remous de la Volga, mais moi je ne voyais que toi et tes grands doigts tout tachés. Tu me prenais dans tes bras et j'écoutais ton cœur, pendant que tu me parlais de tes dessins, de tes problèmes de perspectives et de tout un tas de détails dont je me fichais pas mal. Tu te souviens, Peter ?

- Da, Katya.

- J'ai changé, Peter. Malgré moi. C'est plus pareil, tu sais. Même toi, tu vois bien que c'est plus pareil. On n'oublie pas, mais on continue d'avancer. Tu comprends ?

- Presque. »

Sa voix est neutre mais ses yeux doux étincellent. Il a grandi trop vite, elle ressemble à un frêle papillon égaré sur la garde d'une épée. Pourtant, il sait que le corps d'enfant penché sur lui renferme des cicatrices de femme. Ses lèvres recueillent un long baiser puis murmure :

« Katya Pryde, quel âge as-tu ?

- Je suis déjà à la fin de ma vie. C'est mon dernier Nouvel An. »

Un haut-le-cœur saisit Piotr. Il se redresse vivement, le souffle coupé. Il la dévisage, hagard. La femme-enfant est redevenue chaton et miaule :

« Si tu savais comme j'ai eu peur de mourir avant d'avoir pu te le dire… Mais maintenant, je n'ai plus peur. Ni d'aimer, ni de mourir. Car je t'ai toujours aimé, Peter, toujours, et quelque part, je suis déjà morte. »

Elle bondit comme un lutin et s'évanouit dans le plancher sans un bruit. Ses cheveux bouclés se fondent dans les veines du parquet avant de disparaître. Piotr se lève à son tour et descend au rez-de-chaussée en empruntant l'escalier. Il y retrouve Scott, Logan, Ororo, Hank, Bobby, Malicia, Warren et la grande femme brune qui l'enlace tendrement. Le professeur Xavier les a rejoint et sourit presque malgré lui. Encore quelques minutes avant la grande traque…

Kathryn Pryde apparaît dans un costume en cuir noir emprunté à Malicia. Elle brandit un vieux livre de poche et s'exclame : « Shakespeare a raison : votre passe-muraille Ariel traverse le bateau de la cale au mat, quel talent ! quel pouvoir ! Sauf que les vrais héros restent dans l'ombre : ce sont eux qui affrontent la tempête. Marre d'Ariel et des X-kids, marre de vivre les uns sur les autres, à attendre qu'on vienne nous exterminer. C'est comme si l'Institut tout entier était devenu la Salle des Dangers. Je veux sortir et monter au front, mourir au combat, jouer aux X-men. Les hommes ont cru pouvoir baisser le rideau, mais le combat continue et je ne me cacherai plus en coulisses…

- Personne ne peut se cacher des Sentinelles » grince Cyclope qui grimace un faible sourire : « A qui devrai-je donner mes ordres, jeune X-girl ?

- Qu'est-ce que vous pensez de Shadowcat, professeur ? Votre chaton a grandi, il lui reste quelques vies… Je tiens à en consacrer encore une aux X-men. »

Tous lèvent leur coupe de champagne. Déjà plus que des fantômes. Cinq, quatre, tr---