Trois âmes

Nouvelle histoire… Hope you'll like it.

« Malefoy ? Il faut qu'on parle… » Elle se tenait devant lui, très droite, très digne. Mais ses yeux affichaient une lueur terrifiée telle qu'il en avait rarement vue. Il se retourna vers elle à regret, irrité par cette intrusion dans le cours de ses pensées. Juin touchait à ses derniers jours, et le lac reflétait les rayons du soleil brûlant en milliers d'éclats comme un miroir brisé.

« Parler ? Pourquoi faire ? Il n'y a rien à dire. Ce qui est passé est passé, il n'y a pas à revenir là-dessus. Tire toi, Granger, je ne veux pas de ragots… », répondit-il avec un geste de la main, semblable en tous points à celui qu'il aurait eut pour chasser une mouche gênante.

Elle ne bougea pas pourtant, frissonnant malgré la chaleur qui pesait comme une chape sur le château immobile. « J'ai peur qu'il n'y ait des conséquences… »

« Des conséquences ? Que veux-tu dire ? », demanda le jeune homme en se redressant brusquement.

« Je suis enceinte. Enceinte de toi », murmura-t-elle d'une voix tremblante. Jamais elle n'avait eut aussi peur de sa vie. Prononcer ces mots était presque encore pire que la découverte en elle-même.

« C'est impossible… Nous… C'était une seule fois ! C'est impossible, tu mens ! Tu veux de l'argent, c'est ça ? » Ses yeux fuyants cherchaient une issue, quelque part, n'importe laquelle. Ce n'était pas la première fois qu'on lui faisait le coup, après tout. Mais il n'était pas de ceux qui avalent des vipères sans broncher.

« Soumets moi au Véritasérum si cela peut te convaincre », insista-t-elle d'un ton pressant en s'appuyant contre le tronc d'arbre près duquel il était assis pour soutenir ses genoux défaillants, « Cela ne changera rien à la réalité… »

Il la regarda. Elle était pâle comme une morte, de fines gouttes de sueur perlaient sur son front et elle semblait prête à s'évanouir. La vérité le frappa : non, elle ne mentait pas. Oui, ce qu'elle disait été vrai. « Je vois… », articula-t-il lentement. Il ferma les yeux quelques secondes. « Je vois », dit-il de nouveau avant de poursuivre : « Alors il n'y a qu'une seule solution, et tu la connais aussi bien que moi. Débarrasse-t-en, le plus vite possible ! Personne ne doit savoir ! Je peux te trouver l'adresse d'un médicomage de confiance, si tu veux. »

« Je ne peux pas faire ça », dit-elle d'une voix si faible qu'il eut peine à comprendre les mots qu'elle prononçait. « Il est déjà trop tard. Je… Je n'ai pas osé faire le test plus tôt. Je ne peux pas le tuer maintenant… Ce bébé va naître, Malefoy, que je le veuille ou non… Que nous ne le voulions ou pas… » Malgré les promesses qu'elle s'était faite à elle-même, sa voix se brisa et des larmes silencieuses se mirent à couler sur son visage immobile. Comment, après toutes celles qu'elle avait déjà versées avant de venir, son corps pouvait-il en sécréter encore ? Ou étaient-ce les larmes de l'enfant lui-même, cette petite chose qui grandissait au creux de son ventre ?

« Certainement pas, non ! Trouve un moyen, enfin, c'est dans toi que c'est. C'est toi, Miss Je-Sais-Tout, n'est-ce pas ? C'est ton problème ! », cria-t-il, fou d'une rage qu'il ne pouvait maîtriser.

« Mon problème ? Il faut être deux pour faire un bébé, Malefoy ! », rétorqua-t-elle immédiatement d'une voix glacée. Il ne répondit pas, ne la regarda pas, les yeux fixés sur la surface étonnamment paisible du lac indifférent. Elle lui jeta un regard désespéré. « Très bien », dit-elle soudain. « Alors ce bébé sera à moi seule. Ne t'approche jamais de lui, ou de moi. Plus jamais, quoiqu'il arrive, quoiqu'il se passe. Tu n'as aucun droit sur aucun d'entre nous », lança-t-elle en s'éloignant à grands pas pour ne pas qu'il la voit pleurer.

Le garçon se laissa tomber sur le sol, étrangement épuisé, comme vidé de toute émotion. Il jeta au ciel au dessus de sa tête un regard de défi. « Comme si j'en avais eu l'intension ! », prononça-t-il à haute voix comme une insulte au monde entier.

oOo

Elle se redressa en sursaut en haletant. Ses draps étaient trempés de sueur, mais c'était des larmes qui coulaient sur ses joues. D'un geste machinal, elle les essuya avant de s'asseoir sur son lit à moitié défait, et regarda autours d'elle. La chambre était si petite que les murs recouverts d'un papier peint décollé par l'humidité semblaient prêts à l'écraser. Un coup d'œil sur les chiffres lumineux du réveil posé sur la table de nuit à côté d'elle lui apprit qu'il était 4 heures et demi : l'aube n'était pas si lointaine, d'ici une demi heure, elle devrait se lever. Trop tard pour se rendormir. Une lumière blafarde se frayait déjà un chemin au travers des volets aux persiennes cassées, et les bruits de l'autoroute toute proche témoignaient de l'activité du monde qui se réveillait. Hermione se leva dans un état second, comme à chaque fois qu'on sort d'un rêve dérangeant. Elle avait haït cette sensation de perdre son emprise sur le monde, cette emprise qu'elle avait autrefois cherchée en engloutissant des bouquins plus gros qu'elle. Mais aujourd'hui, quelle importance ? La vie avait suivi son cours, et elle n'avait rien pu faire depuis ce jour. Juste essayer de surnager, en se laissant entraîné par le courant d'une existence qu'elle n'avait pas choisie.

Elle frissonna sous le baisé glacé du froid matinal. A force de faire des économies sur le chauffage, la maison était à peu près aussi chaude qu'un réfrigérateur. Mais c'est cette économie qui leur permettait d'avoir un toit sur la tête, et de quoi manger à leur faim chaque jour. Mue par une sorte d'automatisme, elle accomplit ces gestes machinaux qu'elle exécutait chaque matin depuis plus de dix ans : allumer la bouilloire, le chauffage de la cuisine, celui de la salle de bain. Ouvrir les volets délabrés sur le paysage triste et brumeux de la banlieue londonienne. Sortir des placards le lait, les corn-flakes, le sucre et la confiture, si on pouvait appeler ainsi ce magma rouge et collant qui tremblotait dans un pot de verre sali. Mettre du pain de mie dans le grille-pain, disposer face à face sur la table deux bols, deux tasses, et deux petites cuillères. Jeter un regard à l'ensemble. Tout cela semblait si triste, si vétuste, si… étriqué ! Si seulement elle pouvait arranger un peu la maison, masquer les tâches sombres de moisissure sur les murs, changer le papier peint démodé, le repeindre peut-être ? Mais où trouver le temps, et l'argent ? La jeune femme soupira avant de se diriger vers la salle de bain.

Il y régnait un froid glacial encore, le petit chauffage n'ayant pas eut le temps de réchauffer l'atmosphère. Elle étouffa un cri en recevant lorsque le jet d'eau glacé la frappa, et serra les dents. Vite, vite, vite, elle se lava en grelottant. La plomberie elle aussi avait du mal à se réveiller le matin et protestait en grinçant… L'eau venait tout juste d'adopter une température tolérable lorsqu'elle eut fini de se rincer. Elle s'enveloppa dans un peignoir d'éponge éculé et sortit de la salle de bain pour s'approcher de la porte close qui faisait face à sa chambre. Elle s'arrêta, prit une grande inspiration en souriant doucement. Le meilleur moment de la journée. Elle frappa doucement avant d'ouvrir la porte : elle était là, endormie encore, ses cheveux d'un blond argenté répondus sur l'oreiller, son bien le plus précieux, sa chair, son sang, sa fille.

oOo

Erin se retourna dans son lit avec un soupir exaspéré. Chaque ressors du matelas lui donnait l'impression d'avoir été imprimé dans sa peau, elle avait le nez et les oreilles gelées. Autant pour les manies d'économie maladives de sa mère… Mais cela ne servait à rien de protester, c'était bien une chose qu'elle avait apprise au cours de ses treize années d'existence. De toute façon, rien ne s'améliorait jamais. La porte grinça doucement en s'ouvrant tandis que sa mère glissait la tête par la porte. L'adolescente se redressa immédiatement : il valait mieux affronter le froid et la fatigue plutôt que de subir une fois de plus les jérémiades de sa mère.

« Oh, tu es debout, chaton ? C'est la douche qui t'a réveillée ? Je suis vraiment désolée… », dit gentiment Hermione en souriant à sa fille.

Cette gentillesse liquoreuse écoeura cette dernière. Elle savait que sa mère avait à peine trente ans. Mais ses yeux cernés qui formaient de grands trous sombres dans son visage pâle et amaigri à force de privations la faisaient paraître plus âgée. Elle avait sans doute été belle, mais elle faisait peine à voir. La voir aussi triste, aussi terne dans l'aube grise du petit matin l'irritait plus que tout : comment, pourquoi en était-elle arrivée là ? Cela demeurait un mystère. Que savait-elle de ses origines ? A vrai dire, rien. Elle ne lui connaissait aucun ami d'enfance, aucune famille, et toutes ses relations étaient des collègues de travail qui n'en savaient pas plus qu'elle. Erin savait que sa mère menait une vie très solitaire. Elle avait l'air perpétuellement en décalage avec le reste du monde, comme si elle ne lui appartenait pas vraiment. Mais la jeune fille ne voulait pas être comme elle : elle voulait être comme les autres, pouvoir rire sans que les murs crasseux de la petite maison ne lui donnent l'impression de la juger comme un tribunal sévère. Elle voulait avoir de jolies choses, ne pas se sentir coupable en achetant une glace en rentrant parce que chaque sou devait être sauvé en prévision de ses études… Ses études ! C'était l'obsession de sa mère. Comme si elle avait des leçons à recevoir d'une caissière de supermarché qui était tombée enceinte d'un inconnu à l'âge tendre de dix-sept ans !

En dépit de tous ses efforts, Erin ne savait rien de son père. Il n'y avait pas de photos dans la maison qui auraient pu la mettre sur la voie. Quand à en parler à sa mère, lui poser des questions, il ne fallait même pas y penser : c'était un sujet sur lequel elle demeurait absolument muette, se refermant comme une huître lorsqu'elle tentait de l'emmener sur ce chemin. Pourtant, ce père absent faisait partie de son identité, et devoir grandir et se construire sans lui laissait dans l'esprit de la jeune fille une impression de manque. Du plus loin qu'elle se souvenait, elle s'était inventée un père et les raisons qui avaient pu les pousser à les abandonner toutes les deux sans ressources. Fillette, elle l'imaginait prince, noble courageux tombé fou amoureux d'une jolie caissière, et qui aurait été séparé de sa dulcinée et du fruit de leur amour par son horrible famille. Plus tard, elle avait rêvé de coups de foudre entre deux jeunes gens à peine sortis de l'enfance qui se seraient enfuis ensemble mais auraient été séparés par les vicissitudes de la vie. Mais le mutisme de sa mère avait fait de cette dernière la coupable toute désignée de la séparation de ce foyer destiné à être heureux : suite à une dispute, elle s'était probablement enfuie avec le bébé nouveau-né, l'arrachant aux bras d'un père désespéré…

Au fond d'elle-même, Erin avait assez de recul pour ne pas croire à ces contes de fée. Son père était probablement un adolescent qui n'avait pas voulu assumer ses responsabilités lorsqu'il avait découvert la grossesse de sa petite amie. Mais l'idée que celui-ci pouvait surgir à tout instant pour réclamer sa fille et la combler de tout l'amour et de toutes les richesses auxquelles elle ne pouvait pas accéder en tant qu'Erin Granger. Et cela rendait la vie quotidienne moins difficile et moins amère. Comme, par exemple, en se levant ce matin là, elle pouvait très bien le rencontrer l'attendant à la grille du collège. Un homme grand et aussi blond qu'elle, aux yeux débordants d'amour…

oOo

Draco tituba jusqu'à la porte du manoir et s'appuya contre le chambranle gravé de serpents entrelacés qui roulaient et déroulaient leurs nœuds de pierre. Il reprit difficilement son souffle. Loin au dessus de sa tête, les dernières étoiles pâlissaient, et le ciel avait prit une couleur d'un bleu un peu plus clair. Un liquide chaud coulait sur son front, goutte à goutte, s'accrochant à ses cils, l'aveuglant à moitié. Il porta la main à son crâne et la retira poisseuse de sang.

« Merde ! », jura-t-il entre ses dents. « Merde, merde, merde ! »

Il regarda aux alentours avec prudence. La colline sur laquelle se trouvait la demeure ancestrale des Malefoy était déserte, l'herbe bruissait doucement dans le vent qui troublait le silence de l'aube nouvelle, mais ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'ils ne le retrouvent. L'odeur de son sang signalait son passage de manière encore plus évidente que s'il avait mit des panneaux indicateurs. Toute la nuit il avait tenté de leur échapper, multipliant les pistes, les crochets et les détours, et tout cela pour en arriver là ? C'était impossible… Ou peut-être était-ce ce qu'on appelait l'ironie du sort. Mais s'ils croyaient qu'ils l'auraient aussi facilement, qu'il attendrait la gorge offerte comme un agneau qu'on mène à l'abattoir, ils se trompaient lourdement. L'homme se laissa glisser sur un genou et dégaina sa baguette magique. Le contact familier du bois lisse sur sa paume avait quelque chose d'infiniment rassurant.

Toujours baissé, il longea la haie de buis qui encadrait le château comme une deuxième muraille. Il était presque sûr de savoir par où ils arriveraient : après tout, c'est lui qui les avait formés, pensa t'il avec ironie. Amusant de penser qu'il faisait maintenant cause commune avec ses pires ennemis. Rassurant de savoir qu'il avait choisi la bonne solution : aujourd'hui, près de quinze ans après la mort de leur fondateur, Albus Dumbledore, l'Ordre du Phénix semblait être sur le point de gagner la Grande Bataille, et cela en bonne partie grâce à ses propres informations. Un traître à son sang : c'est comme ça qu'ils l'appelaient, désormais. Il avait été la fierté de son père, il n'était plus qu'un fugitif poursuivi sur ses propres terres. Mais Draco ne se considérait pas comme tel : il était un homme, fait de chair et de sang, et il voulait vivre. Quant il avait vu les Mangemorts dépérir petit à petit à cause de leurs querelles et de leurs luttes intestines pour le pouvoir, il avait su faire marche arrière.

L'Ordre du Phénix ne l'avait pas accueilli à bras ouverts, loin de là. Mais après trois ans de méfiance, d'informations et de victoires, ils avaient fini par lui faire confiance. Et c'était sur ses indications que Potter avait mit fin aux jours de Lord Voldemort, environ un an auparavant. Depuis ce jour, il fuyait ses anciens amis. S'il restait en vie jusqu'à la fin, alors il était assuré de recouvrer se richesses et le Manoir Malefoy. Il serait un héros. Il serait riche et respecté, et plus personne ne songerait à lui reprocher ses actions passées : au contraire, ce serait un motif de fierté, puisqu'il s'était libéré de ses chaînes pour les gentils amis du gentil Survivant… Et personne n'irait chercher plus loin. Mais, pour le moment, tout ce qui comptait, c'était d'arriver à survivre à ces attaques perpétuelles jusqu'à ce jour béni, ce qui était loin d'être une évidence si l'on considérait le groupe de Mangemorts encapuchonnés de noir qui venait de faire son apparition à l'angle du château, exactement à l'endroit où il l'avait prévu.

Crabbe, Goyle, Zabini. C'était des noms bien connus, ce qu'il avait le plus fréquenté dans ses années d'adolescence. Eux aussi l'avaient rejoint avant la fermeture de Poudlard, ils avaient connu ensemble cet entraînement intensif qui les avait lentement transformé en machines à tuer. Et aujourd'hui, ils étaient après lui : Blaise avait prit sa place entre les deux molosses. Si l'on excluait le fait qu'il était aussi brun que lui-même était blond, on aurait cru voir surgir des fantômes du passé. Et ils le connaissaient trop bien, ses habitudes, ses craintes, ses faiblesses. Blaise était intelligent : il saurait faire bon usage de ces détails si jamais il était attrapé. Draco retint sa respiration, maudissant en esprit les gouttes de sang qui continuaient de s'écouler et qu'il n'osait pas essuyer de peur que ses gestes le fassent repérer. Il se plaqua contre la terre humide. Des branches mortes craquèrent sous les pas lourds de ses poursuivants qui se rapprochaient sinistrement. L'homme aux cheveux clairs avaient l'impression désagréable que les battements de son cœur résonnaient dans l'univers tout entier : jamais ils n'avaient été aussi proche depuis qu'il les avait trahi, seule la maigre barrière de feuillage les séparait les uns des autres.

Et puis plus rien. Le silence. Etaient-ils partis ? Draco n'osait pas se redresser pour vérifier. Trop risqué. Il inspira profondément, réalisant soudain qu'il n'avait pas respiré depuis qu'il s'était couché sous la haie et à quel point il manquait d'air. Il attendit encore quelques minutes. Il faisait si froid dans la lumière grise du petit matin qu'il avait l'impression que son sang était en train de geler dans ses veines, paralysant tous ses membres. Et pourtant les petites gouttes écarlates qui coulaient une à une dans ses yeux auraient du le rassurer que telle n'était pas la situation. Prudemment, il replia ses jambes. Les membres de l'Ordre du Phénix ne devraient plus tarder à arriver maintenant. Le soleil nimbé d'or rouge commençait lentement à se lever à l'horizon. Il se retourna sur les dos, refusant d'écouter les cris de douleurs de chacun de ses membres. Et il le vit, son visage se découpant avec netteté au dessus de lui, ses yeux noirs brillants comme deux pierres d'onyx et ses dents blanches découvertes par son large sourire carnassier.

« Bonjour, Malefoy ! », ricana Blaise, sa baguette pointée sur le cœur de son ancien ami. « Que fais-tu, couché comme ça sur l'herbe ? Tu cherches des champignons ? »

Draco sentit son cœur se recroqueviller dans sa poitrine. « Protego ! », hurla-t-il en désespoir de cause. La dernière chose qu'il vit ce matin là fut la lumière verte qui semblait émaner de Blaise lui-même, et cette douleur intolérable envahissait chaque parcelle, chaque fibre de son être…

Bon, ça vous plaît ? Review please !