Blanc, partie 2

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La lumière filtrait largement à travers les rideaux lorsque Naruto s'éveilla finalement.

Avec un grognement il roula sur lui-même. Sa bouche était sèche, pâteuse, et tout en mussant sa tête dans le creux de son bras pour échapper à la luminosité, il tâtonna à l'aveuglette vers le bord du futon, jusqu'à ce que ses doigts se referment sur sa gourde.

Sa tête lui faisait mal, pire qu'après une gueule de bois –ou du moins il ne pouvait que le supposer, puisque le Renard traitait l'alcool comme n'importe quel autre poison et le métabolisait, le privant de la moindre chance de se bourrer la gueule. Il l'avait rarement regretté autant que ces derniers jours.

Après avoir vidé la gourde en trois longues gorgées, il tenta de rabattre la couverture sur sa tête, en vain. Après avoir tiré inutilement sur le drap pendant une poignée de minutes, il dutse résoudre à entrouvrir ses paupières collées par le sommeil, pour découvrir qu'une longueur de tissu était enroulée autour de sa jambe droite, et que le bout opposé s'entortillait de façon incompréhensible autour de son torse dans un fouillis de plis quasi inextricables là où le rectangle lumineux de la fenêtre venait chauffer son flanc.

Il était étalé en étoile de mer en travers de son futon, et ses pieds dépassaient sur celui qui avait été assigné à Sasuke.

Futon qui était vide, et dont la couverture était soigneusement pliée à la tête.

Avec un sursaut il se redressa, les dernières brumes du sommeil définitivement envolées. Il se débarrassa du drap en un temps record, grimaça sous l'assaut des courbatures et autres élancements de son corps abusé se rappelant à son bon souvenir, puis enfila l'un des deux yukata sans manches fraîchement lavés que les domestiques avaient laissés à leur disposition, pliés près de la porte. Le second était manquant.

Après un instant d'hésitation fiévreuse entre le panneau coulissant donnant sur le couloir et celui d'où filtrait la lumière, qui donnait sur les jardins, il tira les rideaux et fit glisser le panneau. Il mit un peu trop d'énergie dans le mouvement et la porte rebondit en bout de course, mais il était déjà dehors, sans s'en soucier, fouillant l'espace extérieur d'une sonde de chakra fébrile.

La lumière du soleil le frappa de plein fouet, et il resta un instant aveuglé dans l'encadrement de la porte, à cligner des yeux. Mais il avait trouvé ce qu'il cherchait, et son cœur s'apaisa dans sa poitrine.

Il fit quelques pas dans la galerie, ses pieds nus silencieux sur le bois chaud, et s'autorisa à fermer les yeux un instant, à reprendre son souffle. C'était ridicule, mais un instant il avait craint…

Il secoua la tête, dans une vaine tentative de chasser les idées parasites. Ce qu'il avait craint n'avait pas d'importance. Ils étaient en sécurité ici –enfin aussi relativement en sécurité que deux ninjas paranos en pays étranger puissent espérer l'être. Mais certaines choses étaient encore trop fraîches, trop… juste trop. Trois, maintenant quatre jours seulement s'étaient écoulés depuis la Courte Nuit. C'était trop peu encore.

Il se frotta férocement les yeux, chassant les dernières traces de sommeil, et s'accorda un instant pour examiner la vue.

La trouée du jardinet paraissait minuscule par rapport au gigantisme des corps de bâtiments qui les entouraient. Mais comme un petit miracle baigné de soleil, il y avait là une cour plantée d'herbe et d'un unique cerisier aux branches bourgeonnantes. Il était encore trop tôt pour les fleurs, surtout ici dans le nord, mais les feuilles vert tendre pointaient, formant un feuillage déjà dense, plus que correct pour protéger des rayons du soleil.

Et assis au pied de l'arbre se trouvait Sasuke.

Il l'observa un instant, puis laissa de nouveau son regard vagabonder sur la galerie de bois, les murs qui enserraient le jardin et l'étagement de toitures complexes aux tuiles d'ardoise noire.

Une nouvelle fois il se fit la réflexion qu'au comportement de la jeune femme, il n'aurait jamais cru que la famille d'O-kana fût si riche. Sa conduite avait été celle de ceux accoutumés au pouvoir mais aussi à son double tranchant, et non pas celle des multiples gosses de riches que les missions avaient trop souvent amené Naruto à côtoyer et qui pensaient que l'argent était la réponse à tout...

Qu'est-ce qui avait bien pu mener l'héritière d'une riche dynastie de marchands de la Foudre au rôle de compagne illégitime d'un Seigneur d'un pays étranger ?

Il avait été trop épuisé pour se poser la question lorsqu'il était apparu que les indications d'O-kana les menaient à un immense domaine, et il doutait d'avoir jamais la réponse à présent. Il était même peu probable qu'on leur laisse l'occasion de voir une dernière fois O-kana à vrai dire. Leur mission était finie, et ce n'était que la courtoisie, sans doute, qui avait poussé la jeune femme à ordonner que l'on prépare une chambre pour les deux ninjas abrutis de fatigue.

L'accueil au domaine avait été tumultueux, et sous l'effervescence provoquée par leur arrivée surprise au milieu de la matinée, sous la course effrénée des domestiques préparant les appartements et les pleurs de la femme aux cheveux gris qui ne pouvait qu'être la mère d'O-kana tant la ressemblance était frappante, il avait pressenti la tension d'un drame familial non résolu. Mais il avait été trop épuisé pour chercher à en savoir plus comme il l'aurait fait en temps normal, et Sasuke avait été pire encore, les traits tirés, le teint cireux de fatigue…

Après s'être débarrassés du corps de Takara ils ne s'étaient accordé que le minimum vital de repos avant de quitter Kaga, dormant tour à tour une poignée d'heures, trois ou quatre tout au plus. Malgré la déplétion importante de chakra causée par leur technique jointe, Naruto avait décemment tenu le coup. Il avait toujours eu le plus d'endurance, et qu'il le veuille ou non, il avait la réserve infinie du démon le soutenant, même quand il ne puisait pas directement dedans.

Mais Sasuke n'avait que sa propre résistance, et son obstination inhumaine pour le tenir debout. Naruto était à peu près certain que si Ojiro-san avait réalisé à quel point ils avaient épuisé leurs réserves, il ne les aurait pas laissés repartir ainsi, et que la supplique d'O-kana aille au diable.

Mais ils étaient des ninjas, et Sasuke… Sasuke était doué pour dissimuler ce qu'il ne voulait pas que l'on voie.

Et il y avait eu la volonté de la jeune femme, Ramenez-moi chez moi. Maintenant, exprimée avec une telle détresse… Ils n'avaient même pas eu besoin de se concerter alors, pour savoir que c'était ce qu'il fallait faire, quel qu'en soit le coût pour eux même.

Après une discussion à mi-voix avec les membres de l'équipe 8 pour décider de la marche à suivre ils étaient repartis en laissant les élèves de Kurenaï derrière eux, chargés d'un message scellé informant en termes fort peu mesurés l'Hokage des derniers retournements de situation. Naruto était parvenu à produire une grimace qui pouvait passer pour un sourire de remerciement, Sasuke avait juste fait un signe de tête courtois, et les deux équipes s'étaient séparées à l'entrée du la Route Cachée qui remontait vers le nord. Elle était plus longue, mais aussi considérablement plus sûre étant donné les circonstances.

Ojiro avait gardé un œil attentif sur l'évolution de leurs blessures, et les pilules du soldat couplées aux trop courtes heures de sommeil avaient été suffisantes pour les garder entièrement opérationnels le temps nécessaire.

Mais même malgré cela il avait bien failli demander une pause, à plusieurs reprises. Qui pouvait dire quel genre d'effets secondaires pouvaient être provoqués par l'obtention et l'activation d'un dôjutsu comme le Mangekyou Sharingan ? Pas lui, et Sasuke avait eu l'air tellement épuisé, tellement tendu vers l'intérieur…

Mais au final il n'avait rien dit, il avait fait confiance à son équipier pour connaître ses propres limites et savoir à quel moment les dépasser risquait la vie d'O-kana en cas d'attaque… Ils avaient voyagé pendant trois jours, aussi vite que la prudence et l'état de la jeune femme le leur avait permis. En arrivant ils avaient insisté pour faire le tour de la sécurité du domaine, puis relativement rassurés, ils étaient allés s'effondrer aussi sec dans la chambre qui leur avait été attribuée. Ils avaient à peine pris le temps de se laver, se contentant de rincer la poussière, et Naruto n'avait rassemblé la motivation de mettre ses vêtements sales à peu près en tas dans un coin avant de s'effondrer comme une loque que parce qu'il savait que sinon Sasuke lui en ferait la réflexion –et ce n'était pas comme s'ils avaient eu suffisamment d'énergie en réserve pour se permettre le genre de dispute stérile qui s'en serait inévitablement ensuivie.

Les pilules du soldat et les séries de brefs sommes faisaient l'affaire pour un temps, mais ensuite l'épuisement revenait en force et on était bon pour faire un ou deux tours d'horloge.

Il referma le panneau derrière lui, descendit dans l'herbe drue et s'avança en silence. Il hésita un instant à la frontière de l'ombre fraîche projetée par le soleil au zénith, puis rassemblant son courage, fit un pas supplémentaire.

Et c'était étrange, parce que jamais dans sa vie il n'avait eu besoin de rassembler son courage pour se diriger vers son équipier. De la colère, oui, de l'amertume et de la détermination aveugle… Mais du courage ?

Sasuke était assis en tailleur sous l'arbre, les mains posées à plat sur ses genoux, les yeux fermés. Ses traits étaient tirés, et les marques de son obstination apparaissaient finalement dans les cernes sous ses yeux, dans les minuscules rides de fatigue au coin de sa bouche. Il avait l'air pire que trois jours auparavant, mais c'était le prix à payer pour les pilules du soldat : une fois qu'on les arrêtait, la fatigue s'abattait d'un coup sur le corps comme une tonne de briques, le laissant épuisé et fourbu pour une bonne semaine –qu'avec son obstination et sa vitalité habituelle Sasuke réduisait généralement à trois jours, quatre au plus. Naruto soupçonnait que cette fois-ci la remise en forme ne serait pas si rapide. Il n'y avait pas que les pilules à peser sur eux.

« Hey. »

Sasuke ne réagit pas quand le blond se laissa tomber dans l'herbe épaisse à ses côtés, ou du moins aussi à ses côtés que l'autorisait le respect de son espace personnel, et Naruto ne put s'empêcher de ressentir une pointe de soulagement irrationnelle. L'inévitable discussion en était d'autant repoussée.

Sans chercher à s'imposer davantage il s'assit en position de méditation, miroir de celle de Sasuke, les jambes repliées sous lui et les mains ouvertes à plat sur ses cuisses, força son esprit à l'apaisement nécessaire.

La méditation n'était pas son fort et ne l'avait jamais été, peut-être parce que la réflexion était bien loin d'être son activité favorite. Il avait toujours trouvé bien plus de mérite à l'action –parfois au grand désespoir de ses supérieurs et coéquipiers. Mais le vieux pervers avait insisté en long en large et en travers sur sa nécessité en cas d'instabilité émotionnelle ou de résurgence du Renard, et bon gré mal gré il avait dû apprendre à se détacher de l'instant, à se laisser glisser dans la transe apaisante…

Plonger en lui-même posa moins de difficulté que ce à quoi il s'était attendu. C'était comme si le deuil et l'angoisse doublés de la fatigue rémanente de la Courte Nuit avaient ouvert une brèche en lui et qu'il n'avait pas encore retrouvé la force de relever les remparts…

C'était étrange, mais pas si désagréable. C'était comme plonger au plus profond d'un lac, continuer à descendre brasse après brasse, sans ressentir le froid, ni le manque d'oxygène. Juste… bien, et toujours plus profond. Il y avait une sorte d'abandon une fois certaines limites franchies, comme si les actions et les mots et tous les autres artifices ne faisaient plus le poids, plus vraiment.

Plus il descendait profond, plus les choses étaient simples. Au cœur de toutes les circonvolutions et les contradictions, les complications et la douleur mises à vif, il y avait la vérité malgré tout, ce qu'il était, ce qu'il ressentait vraiment, encastré sous les couches de sentiments, de devoirs et d'hésitation. Au plus profond du lac, au delà de la cage du Kyuubi même, les choses étaient terriblement simples. Terriblement aiguisées aussi, comme une lame sans fourreau, mais c'était le pendant inévitable des choses mises à nue, quand on enlevait les protections bien commodes sur les angles durs, toutes les demi-vérités et les demi-mensonges qui servaient d'amortisseurs, rendaient la vie bien plus confortable.

La lucidité a un prix, lui avait dit un jour Iruka-sensei, et ce prix est la douleur qui vient de la vision de l'inévitable. A l'époque il n'avait pas bien compris, persuadé dans son orgueil enfantin que rien n'était inévitable, que tout pouvait changer, avec assez de volonté.

Mais l'enfant était mort, Sasuke portait le Mangekyou, et il voyait à présent, il comprenait. Et si le chemin n'était pas tracé, la douleur l'était, parce que quoi qu'il fasse, certaines choses ne dépendaient pas de lui et chacun de ses choix signifierait abandonner une part de lui-même, laisser mourir quelque chose auquel il tenait.

Et retarder la conversation ne la rendrait pas plus facile.

« Sasuke ? »

Il était encore courbaturé de partout (si lui l'était, qu'est-ce que ça devait être pour Sasuke…), et lorsqu'il tourna la tête vers l'Uchiha le mouvement provoqua un cri de protestation unanime des muscles de son dos. Sasuke ne réagit pas, ne lui adressa pas le moindre regard en réponse.

« Je… je suis désolé. » murmura-t-il finalement. « Je n'aurais jamais dû dire ça. » Un nouveau coup d'œil de côté lui apprit que cette fois-ci Sasuke le regardait, impassible.

Les ombres projetées sur son visage étaient bleues et vertes, dansant au gré de la brise qui agitait les feuilles, et la luminosité reflétée par les murs tout autour d'eux mangeait les contours de sa silhouette. Les cernes sous ses yeux creusaient son visage. Il pencha un peu la tête, scrutateur, et Naruto détourna le regard.

« Pour ton frère je veux dire, » clarifia-t-il. « Je n'avais pas le droit de faire ça... De dire ça. » Parler était plus simple s'il ne contemplait pas les yeux sombres de Sasuke, s'il se concentrait sur autre chose. « Et je comprendrais si tu voulais me casser la gueule. Tu as le droit. »

— Pourquoi donc ? » répondit Sasuke. « C'était vrai pourtant. Tu n'as fait que dire la stricte vérité. »

Naruto sentit quelque chose se contracter dans son ventre face à la calme acceptation. Il n'avait pas été certain de savoir à quoi s'attendre, mais ce n'était pas cela. Pas assez de résistance, de détermination farouche à faire comme s'il ne s'était rien passé.

« J'ai obtenu le Mangekyou Sharingan parce que mon frère était la personne la plus importante pour moi. » Les mots étaient lacés de venin, et Naruto se sentit frémir.

« Qu'y a t-il à dire de plus ? »

Comment est-ce qu'on répondait à ce genre de question ?

« Rien ! Parce que ça ne veut rien dire ! Evidemment qu'il était la personne la plus importante, tu… tu le haïssais plus que tout, tu as dédié ta vie à le tuer. C'est… logique d'une certaine façon. » Les mots lui arrachaient la bouche, mais il était important que Sasuke les entende. La vérité et la douleur. Ils étaient trop avancés, trop profondément dépouillés de toute défense pour qu'il y ait d'autre solution. « Ca ne change rien pour le reste. » Sasuke rit, soudain, un rire amer et tendu, plein de dérision. Pire que tous les cris de douleur.

« Le reste ? Il n'y a pas de reste Naruto. Il n'y a rien d'autre en moi que la haine que j'éprouvais pour lui, pour ce qu'il m'a fait subir. Pour sa trahison, et ce que j'ai dû devenir pour pouvoir le tuer. Il n'y a rien d'autre. » Il haussa les épaules, et s'appuya contre le tronc du cerisier. « Je n'ai jamais rien voulu d'autre que le tuer. Et maintenant c'est fait. Fin de l'histoire. »

Naruto ouvrit la bouche, la referma, la rouvrit de nouveau dans une imitation assez efficace d'une carpe échouée hors de son bassin. Une bulle de vide grossissait en lui. Il avait toujours su que c'était une possibilité, mais il n'avait jamais voulu y croire, parce que ça aurait signifié que le combat était perdu d'avance.

Et malgré la clarté rémanente de la méditation qui ancrait encore son esprit, malgré la lucidité et la conscience des angles purs et acérés de la vérité, il se débattit de toutes ses forces.

Parce que Sasuke ne pouvait pas abandonner, il n'avait pas le droit.

Mais aussi parce que certaines choses étaient peut-être inévitables, mais que d'autres ne l'étaient pas, et cela ne devait pas exister, un combat perdu d'avance. Pas dans son univers à lui, où s'il le voulait suffisamment, s'il s'entraînait et dépassait ses limites, s'il y mettait tout ce qu'il avait et plus encore, il était possible d'atteindre son but. Où, d'une manière ou d'une autre il existait un moyen de faire que les choses soient comme elles le devraient, peut-être pas parfaites, peut-être pas entières, ni équilibrées, ni même justes, mais malgré tout aussi proches de la perfection que possible, d'une certaine manière.

Un combat perdu d'avance n'avait pas le droit d'exister, parce que sinon il n'était plus vraiment lui-même.

« Non… »

Comment Sasuke osait-il lui faire ça ?

Il tenta vainement de se raccrocher à la pureté de sa vision, au sentiment d'évidence qui l'avait un instant envahi, mais une vague de colère irrationnelle submergea le calme et la retenue apportées par la méditation, les balayant comme des fétus de pailles. Itachi était mort, et maintenant, Sasuke osait… osait prétendre qu'il ne restait plus rien ? Que tout ce qu'il y avait eu entre eux, que la rage et l'entente et la lutte côte à côte et tout le reste n'étaient rien ? Que le désespoir face à l'échec et la mort de l'enfant n'avait pas de valeur, pas plus que la détermination commune qui les avait portés pendant et après la Courte Nuit ?

La sensation était pire encore que de se tenir face à Hinata, et de réaliser qu'il avait laissé le démon prendre le dessus, pire que de regarder la si calme O-kana se briser en sanglots désespérés, bien pire que les regards et les murmures des villageois après tout le sang qu'il avait versé pour gagner leur acceptation.

« Fin de l'histoire ? » Il était vaguement conscient que sa voix était un peu trop rauque, un peu trop hors de contrôle pour un ninja qui se devait de maîtriser ses émotions, mais cela n'avait pas d'importance. Ca n'en avait jamais eu. L'important était de chercher le regard de Sasuke, de lui faire face, de traquer la moindre expression sur son visage prouvant qu'il ne pensait pas vraiment ce qu'il disait.

« Fin de l'histoire ? Connard, comment tu peux dire des choses comme ça ? »

Ils étaient face à face, trop proches l'un de l'autre si la tension dans la posture de Sasuke était une indication fiable. Les pupilles d'encre du jeune jônin étaient très légèrement dilatées, et il examinait Naruto en retour comme s'il n'était pas sûr de ce qu'il voyait.

« Comment tu peux oser abandonner après tout ça ? Tu as fait exactement ce que tu voulais, tu l'as tué. Et maintenant que tu as gagné tu veux jeter l'éponge ? » Sa voix était lacée d'une rage contenue qu'il n'avait pas su avoir en lui, et la surprise qu'il ressentait face aux mots qui quittaient sa bouche égalait presque celle reflétée sur le visage de Sasuke. Il se pencha en avant, comme si la proximité pouvait donner plus de poids à ses paroles, et ses doigts griffaient l'herbe et la terre de part et d'autre de ses genoux.

« C'est tout, il ne reste rien ? Rien d'autre ? Et les gens qui tiennent à toi ? Le village ? » Moi ? « Tu oses me dire qu'il n'y a plus rien ? Qu'il a finalement gagné et réussi à te détruire simplement en mourrant ? »

Il tremblait de rage douloureuse et débilitante quand il se rassit en arrière sur ses talons et finit d'une voix enrouée. « Je ne te savais pas si lâche. »

L'étincelle de sa colère sembla finalement attiser quelque chose au-delà du calme apathique et détaché qui entourait Sasuke comme un bouclier, mais ce n'était pas la réaction que Naruto avait vaguement espérée. La ligne de sa mâchoire se durcit, et quelque chose de terriblement froid et las prit possession de ses prunelles. Il secoua la tête, et le rictus sur ses lèvres était l'expression la plus proche du désespoir que Naruto lui ait jamais vu. C'était terrifiant.

« Lâche ? Et pourquoi pas ? Je ne suis pas comme toi Naruto… Je ne suis pas un putain d'idiot désespéré incapable de voir la réalité même quand elle le piétine régulièrement à la face. Peut-être bien que je ne suis pas fort comme toi, capable de tout encaisser et de me relever encore et encore et encore… » Sa voix était altérée, et toute illusion de retenue, de maîtrise s'était envolée. Toute illusion de force. Il avait l'air vidé, comme si les paroles même tiraient sur ses dernières ressources, et qu'il ne restait rien derrière.

« Je ne suis pas toi Naruto, je ne peux pas simplement croire suffisamment aux choses pour les rendre possibles, et changer les gens, et repartir de rien comme si la volonté seule était suffisante. Moi je ne peux pas. Il n'y a que toi qui puisses tout endurer et encore trouver le moyen de déplacer les montagnes pour ton rêve et ceux des autres malgré tout… Il n'y a que toi qui puisses faire ce genre de choses. Comme si tout était possible…

— Sasuke…

— Alors oui, peut-être que je suis lâche, – il cracha les mots comme s'ils brûlaient - peut-être que j'ai tout donné pour mon rêve, et que maintenant qu'il est mort il ne me reste plus rien, et que je n'ai même pas eu ces putains de réponses, il est mort ! Je l'ai haï et je l'ai tué, et je ne sais même pas-… je ne sais toujours pas pourquoi, et je ne saurai jamais à présent ! Alors oui, peut-être qu'il a gagné, et que je suis lâche. » Il fit un geste dans le vide, comme pour illustrer quelque chose, et Naruto vit que ses mains tremblaient. « Peut-être qu'il ne me reste vraiment rien. »

Il resta un long moment tétanisé, à fixer Sasuke acculé contre le tronc du cerisier, la bouche réduite à une fine ligne et les bras raides le long du corps, l'ancrant dans l'herbe comme s'il en avait besoin pour ne pas vaciller.

Il pouvait le comprendre, lui-même se sentait soudain terriblement drainé de toute énergie. La tirade de Sasuke avait étouffé sa colère, ne laissant au creux de son ventre qu'un nœud de peur grandissante et il avait l'impression de voir son équipier pour la première fois. Peut-être était-ce le cas. Ne restait plus à l'arrière de son esprit qu'un mantra désespéré et incohérent, mêlé de colère et de terreur abjecte, non, non, pas Sasuke, pas ça, pas une nouvelle fois. Par pitié ne fait pas ça Sasuke.

Il pensait chacune des paroles qui franchirent ses lèvres.

« Mais peut-être que tu m'as moi. »

La bouche de Sasuke se crispa, et il secoua la tête, le regard rivé au sol.

« Ca suffit Naruto. Tu en as assez fait. Fous-moi la paix. »

La similitude avec leur dispute dans l'appartement de son équipier le frappa soudain, et il se demanda si Sasuke s'en rendait compte. Mais cela n'avait pas d'importance, pas maintenant. La seule chose qui importait était qu'il comprenne ce que Naruto disait, à tout prix. C'était trop important.

« Non, toi, écoute-moi. » Sans qu'il ne sache vraiment comment, il avait attrapé le revers du yukata et il tira Sasuke un peu plus près. « Regarde moi Sasuke. Il ne te reste pas "rien", tu as le village, et Kakashi-sensei, et Sakura, et… et tu sais que tu m'as moi. Toujours. » Ne vois-tu pas ?

La panique diffuse croissant en lui avait un goût acide dans sa bouche, un goût de perte, d'eau qui file entre les doigts sans que rien ne puisse la retenir.

« Tu le sais non ? Ce que tu veux, n'importe quoi, tu- je… je suis là. Tu n'as pas le droit d'abandonner. »

Avant même qu'il ait le temps de penser à ce qu'il était en train de faire il s'avança, un mouvement impulsif et maladroit, et ses lèvres vinrent heurter celles de Sasuke, immobiles sous les siennes, un peu sèches.

Et il aurait presque préféré une nouvelle explosion de colère, un coup de poing dans le nez, une réaction, n'importe laquelle, à l'inspiration tremblante que prit Sasuke, à la manière lente et délibérée dont il détourna la tête, dont sa main trouva la sienne, la força à libérer le tissu de sa veste d'une pression implacable au creux de l'articulation, et le repoussa inexorablement. N'importe quoi plutôt que la manière dont Sasuke l'observa en silence, les yeux étincelants de rage rentrée.

Il recula maladroitement hors de portée de son équipier, les mains plaquées contre ses cuisses dans l'espoir futile de dissimuler leur tremblement. Il avait envie de pleurer.

Sasuke n'avait même pas l'air en colère et c'était pire, tellement pire. Son expression était au-delà, un dégoût mêlé de lassitude et de douleur, de vulnérabilité qu'il ne prenait même pas la peine de dissimuler.

« Ne recommence jamais ça, » gronda-t-il en passant sa main sur sa bouche. Ses articulations étaient blanchies par la tension. « Jamais. » Au fur et à mesure qu'il parlait la colère était de plus en plus sensible dans son ton, vibrante. Dégoût et douleur. « Ne me refais jamais ça. Je ne suis pas un jouet brisé auquel il suffit d'un peu de sexe pour recoller les morceaux, Naruto. Ca ne marchera pas, alors ne m'insultes pas en essayant. »

Il se redressa en s'appuyant contre le cerisier, sans aucune trace de sa grâce habituelle. Se détourna.

Il devrait y avoir une loi, quelque part, qui interdise de ressentir tant de choses à la fois, tant de choses complexes et floues, si atrocement contradictoires : cette horreur incrédule pour laquelle il n'y a même pas de mots, ce soulagement terrible, et toujours cette panique impuissante qui le rongeait...

« Non… »

Il fut sur ses pieds avant que Sasuke n'ait le temps de s'éloigner, une main refermée sur son bras. Le brun se retourna lentement.

« Lâche-moi. »

— Non.

— Naruto…

— Non, ce- c'était – c'est pas comme ça ! Ce n'était pas- pas ça, jamais. Bon sang Sasuke, tu dois le savoir ! »

Sasuke grimaça, brièvement, presque l'expression qu'il avait lorsqu'il encaissait un coup dans le ventre, et vraiment, il n'avait pas l'air de savoir quoi que ce soit, son bras sous la main de Naruto tremblait légèrement, et les cernes sous ses yeux semblaient plus accentués que jamais – il avait l'air aussi malade que Naruto la sensation de l'être.

« "C'était" ? Tu n'as même pas le courage d'employer les mots Naruto, de dire qu'on a baisé, que tu m'as laissé te baiser, et tu voudrais me faire croire que ce n'était pas une tentative idiote et irréfléchie de ta part de me garder en un seul morceau, une nouvelle étape dans ta croisade sans fin pour me "sauver" de moi-même ? Quel que soit mon avis sur la question ? »

Et le pire était qu'il n'avait pas vraiment tort : Naruto avait agi sans réfléchir, cette première fois, tellement terrifié à la perspective de voir Sasuke s'effondrer, n'importe quoi pour le garder debout, entier, n'importe quoi pour empêcher les fragments du masque si longtemps maintenu de tomber en morceaux.

C'est ce qu'il avait fait, sans y réfléchir un instant, sans même s'en rendre compte à ce moment : il avait écarté les jambes, et prié pour que l'ancrage d'un corps contre le sien soit suffisant pour garder Sasuke, pour maintenir à distance la vulnérabilité et la folie, le vide.

Mais.

Mais ce n'était pas seulement ça, ni même le sexe. Il le savait à présent. Il le savait depuis longtemps à vrai dire, avant le combat côte à côte durant la Courte Nuit, avant la longue séance de katas face à lui-même, avant même l'affrontement contre Itachi et le sexe désespéré dans la boue. Cela faisait des mois, des années peut-être, comment dire quand cela avait commencé ? Quand la volonté s'était transformée en besoin ?

Il le savait depuis longtemps, mais c'était seulement aujourd'hui qu'il s'en était rendu compte, parce que la méditation lui avait appris quelque chose de nouveau à propos de lui-même, parce que se contenter de se laisser porter et d'espérer pour le mieux n'était plus une solution.

Parce qu'il risquait de perdre Sasuke définitivement.

« Regarde-moi. Regarde-moi Sasuke. » De nouveau proches, sa main gauche alla chercher la dextre de Sasuke, se referma sans serrer sur les bandages, juste un contact, et Sasuke ne se débattit pas, ne recula pas, se contenta de le fixer de ce regard d'encre terriblement vulnérable.

C'était le moment ou jamais. Si Sasuke ne l'entendait pas maintenant, alors que leurs barrières, leurs protections respectives étaient pulvérisées, alors il ne l'entendrait jamais.

« Ecoute. Je-, ok-. La première fois on a couché ensemble parce que je pensais que… c'était ce qu'il fallait faire. Quelque chose dont tu avais… besoin à ce moment-là, peut-être. Je… sais pas vraiment à quoi je pensais. »

Sasuke haussa un sourcil, et le "et ?" silencieux, presque sarcastique fut quelque chose comme un soulagement.

« Mais ce n'est pas que ça ! Tu crois que je coucherais avec toi si j'en avais pas envie ? Que je… - Tu…

— Etant donné les extrémités auxquelles tu as prouvé que tu pouvais aller en mon nom ? Je serais presque tenté de le croire. Tu es celui qui as passé environ quatre ans à me pourchasser d'un bout à l'autre des Cinq Pays pour me ramener et qui ne m'a pas lâché d'une semelle depuis que tu es arrivé à tes fins. »

Naruto ouvrit la bouche pour protester, mais Sasuke le coupa.

« Je ne sais pas ce que je crois Naruto, mais si tu fais ça à cause de ton putain de complexe de sauveur, ou d'un espèce de sens du devoir- de responsabilité tordu… Alors arrête. Laisse tomber.

— Je- Mais-… » Naruto aurait bien levé les bras au ciel si ça n'avait impliqué de lâcher Sasuke –et si ce dernier n'avait pas été plus proche de la réalité qu'il n'était prêt à l'admettre. A défaut il fit la grimace et roula des yeux. « Bordel, pourquoi tu dois toujours rendre tout si difficile Sasuke ! Je- C'est pas une question de responsabilité, ou de devoir ! C'est… quelque chose que je veux faire, ok ? Pas seulement parce que tu en as besoin, mais parce que c'est ce que je veux. ».

Avant que Sasuke n'ait fini d'ouvrir la bouche pour protester il lui planta son index sous le nez. « Ne nie pas tu veux ? Si tu ne l'avais pas voulu aussi ça serait pas arrivé, point. Tu le sais aussi bien que moi. C'était pour toi, mais c'est aussi… aussi parce que j'en ai besoin, ok ? » Il sentit ses joues s'empourprer, et détourna un instant le regard.

« Ce n'est pas… simplement à cause de toi. Je le voulais aussi. Je… j'ai besoin de toi Sasuke, de t'avoir à mes côtés, ok ? J'essaye d'imaginer ce que je ferais si tu n'étais plus là, si tu partais de nouveau, si… et je ne peux pas. Je ne peux pas ! Et… Et quand- après que tu aies tué ton frère- tu… Tu n'étais pas… J'ai paniqué. J'avais peur que- de te perdre. J'avais peur de te perdre, et j'ai réagi sans réfléchir-

— Rien de neuf.

— Hé ! » Naruto pouvait sentir la brûlure du fard qu'il était en train de piquer se répandre de ses joues à ses oreilles et son cou, et il déglutit nerveusement avec un coup d'œil défiant au visage de Sasuke avant de finalement lâcher sa main, et de croiser les bras sur son torse dans une parodie de bravade.

« Je… voilà. C'était peut-être pas la réaction la plus maligne à avoir, mais j'ai pas fait ça simplement pour toi, ou par pitié, ou devoir ou n'importe quoi d'aussi stupide ! Et je- je regrette rien. Je l'ai fait, j'assume. Voilà. Oh, et heu… C'est pas obligé de se reproduire –même si ça me gênerait pas-, mais, heu…

— Tu ressembles à Hinata quand tu bafouilles comme ça, fit platement remarquer Sasuke. Il était tellement impassible que Naruto se demanda un instant s'il avait entendu un seul mot de ce qu'il venait de dire... Il y avait pourtant intérêt, parce qu'il était certain qu'il ne trouverait jamais le courage de les prononcer de nouveau.

— Quoi ? Tais-toi !! Ce que je veux dire, c'est que je m'en fous qu'on recommence ou pas, tant que tu restes ! Tant qu'on reste amis. Et… j'aimerais que tu me laisses t'aider Sasuke. C'est ce que font les amis. Voilà. »

Sasuke secoua lentement la tête, comme pour éloigner un insecte désagréable, ou peut-être comme s'il avait du mal à comprendre ce qu'il venait d'entendre, et il fit quelques pas dans la lumière aveuglante de l'après-midi jusqu'à la galerie enserrant le jardin intérieur, laissant Naruto où il se trouvait, le visage en feu, mi-humiliation mi-peur, un poids glacial dans l'estomac et le cœur battant si fort dans sa poitrine qu'il avait l'impression qu'on devait l'entendre depuis le pays du Vent.

Mais il ne partit pas. Au contraire il pivota jusqu'à lui faire face, et s'assit sur le rebord de la galerie, les coudes sur les genoux, puis la tête dans les mains. Naruto sentit le poids dans son ventre s'alléger un tout petit peu – pas beaucoup, mais suffisamment pour qu'il trouve la force de bouger d'un pas dans sa direction, de décroiser les bras.

Sasuke tremblait, réalisa-t-il. Malgré la chaleur reflétée par les murs, malgré le plancher de la galerie dont le bois avait été brûlant contre ses pieds nus, Sasuke tremblait légèrement, la ligne tendue de ses épaules, ses mains glissées dans ses cheveux.

« Sasuke. »

Il redressa la tête vers lui, et la vulnérabilité était toujours là. C'était toujours aussi surprenant et aussi terrifiant de pouvoir le regarder, et de ne pas se heurter à la carapace glacée qui le protégeait en temps normal, terrifiant et étrangement enivrant de voir ses sentiments, son indécision se refléter sur son visage, dans son langage corporel. C'était aussi plus terriblement douloureux que tout ce que Naruto aurait pu imaginer de le voir souffrir de manière si ouverte.

Sasuke secoua de nouveau la tête, et –de nouveau, avant même que son cerveau n'ait décidé de ce qu'il était en train de faire-, Naruto se trouva assis à ses côtés sur le bois chaud, plus près qu'il ne l'aurait été en temps normal, épaule contre épaule.

Sasuke se raidit un instant, avant de relâcher ses muscles avec ce qui ne pouvait être qu'un effort conscient, et rien d'autre ne pouvait être plus proche d'une acceptation, peut-être.

« Je ne sais pas comment tu arrives à faire ça, » annonça-t-il après quelques minutes de silence que Naruto avait passées à se retenir d'exiger une réponse -n'importe laquelle- à sa question implicite, à ne pas flipper de manière trop évidente, et à se forcer à rester parfaitement immobile.

« Faire quoi ?

— Je ne sais pas. Ca, trouver la force de rebondir quoi qu'il se produise… » Il laissa échapper un éclat de rire sans humour. « Arriver à me faire croire que c'est possible, être obsédé par moi alors que je t'ai mille fois donné des raisons de ne pas l'être…

— Je ne suis pas obsédé ! »

Sasuke se contenta de hausser un sourcil qui disait "à d'autres" et "mais bien sûr", et Naruto renonça à protester, même s'il était certain qu'obsession n'était certainement pas le bon terme, non mais.

A la place il s'appuya un peu plus contre Sasuke, leurs bras nus se touchant. Sasuke ne fuyait pas, Sasuke parlait, et ne se moquait pas des mots inadéquats qu'il s'était forcé à prononcer, ne riait pas de ce besoin désespéré, si énorme, qui ne pouvait pourtant être qu'une faiblesse de plus à ses yeux… Et peut-être qu'il pouvait laisser la peur disparaître dans la chaleur de l'après-midi au moins pour un temps. Il était fatigué.

« Parfois… Je me demande ce que tu vois. Pourquoi tu fais ça. » Sasuke fixait sa main bandée comme si c'était la chose la plus intéressante du monde. Sa voix était un peu rauque, étrangement calme. « Je n'ai aucun illusion sur moi-même Naruto. Les gens sont médiocres, les trois-quarts sont prêts à te poignarder dans le dos si tu leur en laisses ne serait-ce que la chance. Le monde… Si tu veux survivre il faut que tu sois fort. S'attacher, avoir besoin… Ce n'est que de l'impuissance, des points faibles. Autant mettre des panneaux avec des flèches pour indiquer Frappez-là, ça fait mal. C'est tendre la gorge pour le sabre. C'est… un fardeau, de la vulnérabilité. C'est débilitant. Et- être faible n'est pas une option, ça ne peut pas. Itachi m'a appris cette leçon. » Il releva les yeux, vers le jardin et l'arbre.

Naruto baissa la tête, et mordit sa lèvre inférieure pour s'empêcher d'exploser, d'interrompre Sasuke alors qu'il- qu'il parlait enfin, qu'il s'ouvrait. C'était sans doute la seule chance. Mais Seigneur, la leçon d'Itachi… Il pensait ne pas pouvoir haïr le frère de Sasuke plus qu'il ne le faisait déjà, mais à chaque fois que Sasuke se découvrait, une blessure de plus apparaissait, une plaie purulente laissée à s'infecter toutes ces années, une fêlure supplémentaire dans le lacis de brisures obstinément ignorées. Si Itachi n'avait pas déjà été mort, il aurait pris un plaisir immense à lui passer un rasengan à travers la tête.

Sasuke frotta ses mains l'une contre l'autre avec une légère grimace.

« Mais toi tu n'apprends rien du tout. Tu t'attaches et tu souffres, mais tu continues et tu recommences à chaque fois. C'est… » Il haussa les épaules. « Je n'arrive pas à décider si c'est du masochisme, de la stupidité, ou si… je ne sais pas, si tu es un monstre de résilience peut-être, ou si tu as dieu sait comment trouvé une solution qui aurait échappé au reste de l'humanité ? Asuma-sensei, Jiraiya-sama, tous les autres… O-kana aurait pu mourir, aussi facilement que le bébé. Et tu t'attaches, encore et encore, mais tu parviens à- à survivre à cette faiblesse, à ne pas la laisser te creuser peu à peu, jusqu'à ce qu'il ne reste rien à l'intérieur. »

Il se tourna, soudain, et Naruto sentit sa gorge se contracter.

« Tu dis- que tu as besoin de moi. » Et il était clair à son ton, à quelque chose dans ses yeux que Sasuke ne comprenait pas vraiment, ou qu'il ne le croyait pas, ou- autre chose, mais… « C'est… Si je te repousse tu reviens, si je m'enfuis tu me pourchasses, si je te mets à la porte tu entres par la fenêtre... Tu es proche, tout le temps, et j'ai… je t'ai détesté pour ça, pendant longtemps. Encore parfois. Je- je ne sais pas ce que tu vois, j'ai beau chercher… » Il pencha la tête. « Je suppose que ça n'a le moindre sens que pour toi. Je pensais que tu abandonnerais tu sais, un jour ou l'autre, que tu te lasserais, que tu finirais par réaliser que tout ce que tu as cru voir en moi n'était qu'une illusion, que tu t'es trompé mais non… Jamais. Tu es pire qu'une bernacle accrochée à son rocher… »

Et l'expression sur son visage était suffisamment étrange, à la fois triste et amusée presque, avec cette pointe d'ironie sombre qui n'appartenait qu'à lui, pour que Naruto reste figé où il se trouvait comme une boule de nerfs prête à exploser, incapable de décider si Sasuke venait de l'insulter, de le complimenter, ou si la comparaison était purement à titre pédagogique.

Dans le doute…

« Hé ! »

Mais les traits de Sasuke s'étaient de nouveau durcis, faisant avorter la protestation outrée de Naruto avant qu'elle n'ait fini de franchir ses lèvres. Il avait cet air mortellement sérieux et intense qu'il réservait normalement aux menaces de meurtre immédiatement suivies de mise en application, et aux fois où l'Akatsuki ou son frère étaient mentionnés dans la conversation. C'était une expression qui était rarement bon signe.

« Quoi que je puisse faire, tu ne pars pas ! Tu restes. » Son ton était presque incrédule, comme si ce fait l'offensait personnellement –ce qui était d'ailleurs probablement le cas.

« Ben faudra t'y faire, je vais nulle part, » rappela Naruto avec morgue en croisant les bras d'un air déterminé, carrant les épaules, et se préparant inconsciemment à encaisser une nouvelle attaque.

Il n'était pas préparé à la manière dont Sasuke rit soudain, un peu perdue, un peu désespérée.

« Tu crois que je ne le sais pas ? Que je n'ai pas réalisé depuis le temps ? Lutter… lutter ne sert à rien, il faudrait te tuer pour te faire abandonner… -Ce que soit dit en passant tu t'ingénies à faciliter-, mais… Ce n'est pas le problème. Le problème c'est que je ne suis pas- que tu-… » Il mordit sa lèvre inférieure, avec un geste impuissant et irrité de sa main bandée.

« Tu dis que tu as… besoin de moi. » Il trébucha sur les mots, les sourcils froncés, une note de frustration douloureuse dans la voix. « Besoin de moi ! Je ne t'ai jamais rien apporté, et toitu… Tu donnes tout, tu as continué à avoir confiance en moi quand j'ai trahi, quand j'ai blessé tes précieux amis, quand j'ai manqué de te tuer, quand même Sakura a renoncé…

— Je…

— Laisse moi finir ! » L'agitation avait finalement gagné Sasuke et il se leva, fit quelques pas dans le jardin intérieur. Tout son corps était tendu comme un arc, frémissant de frustration et de tension fiévreuse visible à l'œil nu. Il fit face à Naruto et écarta les mains, paumes vers le haut. « Tu restes, tu donnes, et moi je… je… putain, j'en suis venu à compter là-dessus. A compter sur toi. Parce que quoi que tu fasses, quoi qu'on endure tu ne le laisse pas te creuser. Tu restes… entier. Et sans même m'en rendre comte je me suis appuyé sur ça, sur toi. » D'un coup il laissa retomber ses mains crispées en poings le long de son corps, s'ouvrant et se refermant dans le vide comme si le geste pouvait être un substitut ou un échappatoire pour toute la tension énorme accumulée dans ses épaules, son entière posture. « Je me suis appuyé sur toi et je ne m'en rendais même pas compte, jusqu'à Itachi. Jusqu'à ce que je n'aie plus rien d'autre. » Il baissa les yeux, et n'eut plus l'air qu'épuisé. « Jusqu'à maintenant. »

La colère de Sasuke, réalisa brutalement Naruto avec une mixture indistincte d'horreur, de soulagement et de douleur, n'était pas tant dirigée contre Naruto qu'envers lui-même. Pour avoir été faible. Pour s'être montré humain.

Et pire que tout pour l'avoir révélé, pour avoir à son tour traîné la faiblesse hideuse, le besoin au grand jour, lui avoir donné corps. Pour avoir offert son cou à la morsure du sabre.

Parce que c'était ce qu'il venait de faire, songea Naruto avec incrédulité. Sasuke offrait son cou, et lui donnait le sabre.

Oh, putain de merde.

La vague de panique qui suivit la réalisation fut presque suffisante pour le faire bondir, et seule la question de savoir s'il devait fuir à toutes jambes –ce qui était sa toute première impulsion- ou… Ou quoi ? l'en empêcha.

Dans le doute il se tétanisa et resta où il se trouvait, assis sur le bord de la galerie, parce qu'il était à peu près certain que s'il se levait maintenant, s'il faisait le moindre geste brusque ou pire, s'il essayait de toucher Sasuke maintenant, il tomberait en pièces. La moindre action pouvait revenir à utiliser le sabre. Alors il resta immobile où il se trouvait, s'étranglant sur un mélange d'horreur, d'incrédulité, de peur panique et d'orgueil-joie-soulagement démesuré, parce que Sasuke avait besoin de lui.

Ils restèrent immobile l'un face à l'autre un long moment silencieux, jusqu'à ce que Sasuke secoue la tête, une fois, un mouvement infime.

« Tu veux la vérité Naruto ? Je ne sais pas ce que c'est. J'ai beau le retourner dans tous les sens, je ne sais pas ce que c'est… Tu as raison sur un point, ce ne serait pas arrivé si j'avais été contre. Mais… » Il haussa les épaules, un geste fatigué, vaincu, et soudain ce fut comme si toute la tension avait disparu d'un coup, ne laissant derrière elle qu'un épuisement profond. « Je suppose que tu as raison quelque part. Je vous ai. »

Il fixa son regard dans celui du blond, un mélange étrange de désespoir, de ressentiment et d'impuissance dans son expression.

« Je vous ai, même si au début je n'en voulais pas. Même si je n'ai jamais rien fait pour mériter une telle… pour mériter ça. Je t'ai, je ne sais même pas ce que ça veut dire, et je pense que tu n'en as aucune idée non plus… Mais bien entendu tu te précipites comme un idiot, et comme un idiot je te suis, tu arrives à me faire croire que c'est possible, qu'Itachi avait tort, qu'il n'a pas gagné… Quand on se bat côte à côte, que tout devient simple… Mais… Mais l'enfant est mort, et tu as failli te faire tuer une fois de plus, et je… Je suis fatigué Naruto. Fatigué de me battre. »

Il cligna des yeux et soupira, passa une main sur son visage. « Ho… Et je suis un imbécile pour t'avoir laissé me traîner dans cette conversation vu l'état dans lequel je suis. Je suppose qu'il n'y a aucune chance que tu oublies cette discussion ?

— Je… Aucune chance. Tu me connais. » Naruto sentit un sourire hésitant grandir malgré ses efforts pour le retenir et la boule dans sa gorge. « Mais ça confirme un truc, c'est encore plus compliqué que je ne le pensais dans ta tête. J'aimerais vraiment pas être dedans, franchement. Tu sais quoi ? Tu réfléchis trop Sasuke, il faut que tu te concentres sur les choses importantes, laisses filer le reste. Tu… tu n'es pas obligé de te battre tu sais. Pas toujours, pas contre moi.»

Sasuke parvint à rassembler l'énergie nécessaire pour lui adresser un regard vaguement courroucé à travers ses paupières mi-closes avant de fermer totalement les yeux en se massant les tempes du bout des doigts et d'annoncer avec détachement :

« C'est la pire séance de psychanalyse sauvage à laquelle j'ai eu le malheur d'assister, et tu es très certainement la personne la moins bien placée des Cinq Pays pour jouer le psy.

— Huh, à part Gaara et toi ?

Sasuke acquiesça avec un rire étranglé.

— A part Gaara et moi, oui. Et peut-être Maito Gai. »

Naruto hésita un instant avant de se lever lentement et franchir la distance qui le séparait de Sasuke. C'était presque le plus difficile et une fois entré dans l'espace personnel de Sasuke, poser ses mains par-dessus celles de son équipier sur ses tempes, frottant en petits cercles concentriques comme Sakura-chan le lui avait appris n'était qu'une suite logique du mouvement. Au diable la prudence et la retenue. Si Sasuke avait quelque chose à redire il le ferait savoir.

Sasuke se raidit un instant, puis laissa faire son équipier, acceptant le contact sans combattre. L'étau était de nouveau dans son estomac quand Naruto ferma les yeux à son tour et se pencha doucement, jusqu'à appuyer leurs fronts l'un contre l'autre, sans jamais cesser de masser.

La peau de Sasuke était légèrement moite contre la sienne et il sentait les mèches prises entre eux deux à l'endroit où leurs fronts se touchaient. Malgré ses paupières fermées il percevait la lumière blanche, l'éclat de la luminosité de fin d'après-midi qui les baignait.

La respiration de Sasuke était régulière, soigneusement mesurée, mais jusque sous ses doigts Naruto pouvait sentir les frémissements incontrôlés qui contractaient ses muscles à intervalles irréguliers.

« On fait une sacrée paire de bras cassés hein ?

— Hum…

— Pas un pour rattraper l'autre. »

Que Sasuke ne proteste même pas à ce genre de déclaration était une preuve de plus de son épuisement.

« Il faut que tu ailles voir Ojiro-san, et puis surtout la Vieille, dès qu'on sera rentré à la maison…

Ce n'était pas ce qu'il avait voulu dire, mais c'était important aussi. Sasuke expira doucement.

— Oui. Mais… pas tout de suite.

— Ok, c'est toi qui vois. » Il inspira un grand coup. « Sasuke ?

— Quoi ?

— Si je t'embrasse, est-ce que tu vas essayer de me buter ?

Sasuke se raidit brutalement.

— Depuis quand tu te soucies de ce que pensent les gens avant d'agir ?

Naruto se recula d'un coup, cognant leurs têtes l'une contre l'autre dans le mouvement, trébucha sur le rebord de la terrasse et manqua de tomber en arrière sur le plancher de bois dur.

— Je-

— Attends ! » Les pupilles de Sasuke étaient dilatées, et sa main tremblait autour de la poignée de tunique qu'il avait attrapée pour empêcher Naruto de s'éloigner plus. Un éclair d'hésitation mêlé de quelque chose que Naruto aurait peut-être qualifié de peur s'il s'était s'agit que n'importe qui d'autre que Sasuke traversa son visage avant qu'il ne secoue finalement la tête.

« Non.

— Hein ?

— La réponse est non.

— Oh. »

Il n'y avait pas d'autre répartie immédiate possible qu'une nouvelle imitation de carpe échouée, puis il n'y eut plus d'autre alternative du tout, immédiate ou non, parce que la bouche de Sasuke était contre la sienne, sa main gauche sur sa nuque, l'attirant vers lui, et qui diable pouvait encore avoir l'utilité d'un cerveau dans ce genre de cas ?

Certainement pas Uzumaki Naruto.

---

Ce ne fut pas un baiser torride, comme Naruto s'était oublié à l'imaginer durant les moments d'inaction qui permettaient à sa libido traîtresse de prendre le dessus, ce ne fut même pas un baiser très long, ou très intense, et toutes les filles ayant jamais déclaré que Sasuke embrassait comme un Dieu n'avaient certainement jamais été vérifier, parce que Sasuke embrassait comme quelqu'un qui sait ce qu'il veut, mais qui a passé nettement plus de temps à apprendre de nouveaux moyens d'égorger son prochain qu'à perfectionner ses prouesses buccales.

Simplement, s'il fallait le décrire, le baiser fut doux, presque chaste même, infiniment différent de la violence désespérée de la première fois. Un peu maladroit au début, jusqu'à ce que Naruto penche la tête pour que leurs nez ne se cognent plus, lèvres jointes, puis la langue de Sasuke s'insinuant entre ses lèvres et sa main tremblant légèrement à l'arrière de sa nuque, sa bouche se faisant plus dure, plus exigeante. A un moment donné ses propres mains trouvèrent le chemin, l'une repliée dans le creux le long du cou de Sasuke, presque au niveau du sceau maudit, l'autre en coupe le long de la ligne de sa mâchoire.

Pas une prise, juste un contact, une confirmation enivrante dans la clarté blanche de l'après-midi. Même le désir au creux de son bas-ventre n'était qu'une pulsation lointaine, assourdie par la fatigue, le poids nouveau des mots qu'ils avaient échangé et Naruto aurait pu rester ainsi une éternité.

Du moins jusqu'à ce que son estomac laisse soudainement échapper un gargouillis retentissant.

Il recula légèrement, les joues en feu et Sasuke roula des yeux avec un demi-sourire ironique.

« Tu n'es qu'un ventre Naruto.

— Hé, je suis en pleine guérison, c'est normal d'avoir faim ! » Il pencha la tête avec un regard accusateur. « En plus je suis sûr que toi aussi t'as la dalle, on a pas mangé depuis au moins une journée et demi. »

Sasuke se dégagea de l'étreinte et rejoignit la galerie, laissant Naruto immobile où il se trouvait. Son expression était encore relativement ouverte –bien plus qu'a l'accoutumée-, mais une partie de son habituelle retenue était de retour.

C'était une bonne chose certainement, parce que cela signifiait qu'il était de nouveau Sasuke et non plus cette personne si terriblement vulnérable et étrangement ouverte que Naruto n'était pas sûr de reconnaître, mais… Cela signifiait également que le moment avait passé et Naruto n'était pas certain de ce que la suite impliquait.

Quand il ne fit aucun geste pour le suivre, Sasuke revint sur ses pas, et tendit la main.

« Qu'est ce que tu attends ? La cuisine ne va pas se déplacer jusqu'ici par magie. »

Naruto attrapa la main offerte et franchit la marche pour le rejoindre mais ne la lâcha pas quand ils se trouvèrent face à face. Son pouce frottait doucement la fine cicatrice sur le dessus de la main de Sasuke en petits cercles nerveux.

« J'arrive. Mais… D'abord on met en place des règles. »

Sasuke haussa un sourcil, mais ne dit rien.

« Petit un, on ne prétend pas qu'il ne s'est rien passé. Petit deux… heu… on en parle, après. On a… encore pas mal de choses à mettre au point. On a vu où faire comme si de rien n'était menait, et heu… je sais pas pour toi, mais pour moi ça a été un mois et demi de merde. Ce serait cool si on pouvait éviter que… enfin tu vois.»

Sasuke avait l'expression intense et sérieuse qui indiquait qu'il était totalement attentif et qu'il voyait effectivement –ou qu'il était potentiellement en train de préparer des contre arguments dévastateurs.

« Et, hum…

— Je… vois ce que tu veux dire. Et je n'aime pas ça, mais je crois que tu as raison pour une fois. » Sasuke donnait l'impression de se faire violence pour prononcer ces mots, et ce n'était sans doute pas si loin de la vérité. « Je n'ai certainement pas envie de repasser par tout ça… » Il ponctua sa déclaration par une expression presque comique de dégoût qui s'appliquait sans doute à l'entière conversation et probablement aussi au mois l'ayant précédée. « Le principe de règles n'est… pas totalement stupide.

— C'est vrai ? » ne put s'empêcher de demander Naruto. Il s'était vaguement attendu à ce que Sasuke rejette l'idée en bloc et… Dieu sait quoi d'autre. Il n'était pas tout à fait certain que son cerveau fonctionne encore correctement à cet instant précis. « C'est… bien alors. Ouais. Des règles.»

Un instant Sasuke donna l'impression de vouloir ajouter quelque chose mais il s'interrompit et hocha la tête.

« C'est acceptable. Pour l'instant ça fera l'affaire. Allons-y. »

Il était en train de se détourner quand Naruto le rattrapa et l'embrassa de nouveau, collant son corps contre le sien. Pendant une fraction de seconde le blond eut l'impression qu'il allait se dégager instinctivement et éventuellement lui casser le poignet ou tout autre membre offensant dans le processus mais il n'en fut rien, et l'instant de surprise passé Sasuke répondit au baiser, lentement d'abord, puis avec plus d'enthousiasme.

Quand il recula finalement d'un pas, Naruto aurait bien été en peine de déchiffrer son expression, mais il pencha la tête et murmura « Plus tard. »

Dans sa bouche, c'était une promesse.

---

Naruto fit glisser le panneau menant vers l'intérieur de la maison- et tomba nez à nez avec Ojiro-san.

Ce dernier ne salua même pas, se contenta de les examiner de la tête aux pieds d'un air critique, puis de secouer la tête avec désapprobation. Naruto se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux et seule la présence solide de Sasuke deux pas derrière lui l'empêcha de se ridiculiser en bafouillant une explication embrouillée.

« Sasuke-san, Naruto-san. Je vois que vous êtes finalement réveillés.

— Heu, ouais... Bonjour aussi.

— Si vous aviez dormi une journée de plus j'aurais commencé à m'inquiéter… » Le ton du vieil homme était vaguement réprobateur, mais c'était toujours un peu le cas, et Naruto savait qu'il ne fallait pas s'en formaliser.

— Ha, » fit-il en passant sa main sur sa nuque. « Vous inquiétez pas, on va bien. »

Son ventre émit un nouveau gargouillis retentissant, et il eut un sourire gêné. « Heu, un repas ne serait pas de trop par contre, » ajouta-t-il, provoquant chez Ojiro-san une grimace outragée.

« Comme si je ne le savais pas. Pour compenser les pertes énergétiques liées à l'utilisation de la pilule du soldat il faut que vous buviez abondamment pour vous réhydrater, que vous mangiez beaucoup de légumes et surtout de la viande. »

Naruto échangea un bref regard avec Sasuke.

« Heu... »

Ojiro lui jeta un regard excédé et fit brusquement demi-tour en leur faisant signe de le suivre. Sasuke poussa légèrement Naruto pour le mettre en mouvement et lui emboîta le pas.

« Oh, par tous les Dieux Naruto-san… Ce n'est un secret pour personne un minimum informé qu'en cas de nécessité les ninjas utilisent ce genre de pilules pour doper leur endurance... Et pas besoin d'être un génie pour remarquer qu'entre vous deux vous avez à peine dormi plus de huit heures en quatre jours avant de vous effondrer d'un coup une fois arrivés. Ce n'est pas parce que je ne peux pas marcher sur l'eau ou cracher des boules de feu que je suis totalement stupide vous savez... »

Naruto allongea le pas pour rester au niveau du vieil homme qui marchait étonnamment vite pour un civ- pour un vieux, et rentra la tête dans les épaules. Non pas que cela fasse quoi que ce soit en leur faveur. Ojiro-san avait l'air lancé. Il se demanda si c'était un signe d'instabilité mentale de sa part d'être presque reconnaissant pour l'humeur abrupte et irascible du vieil homme. La culpabilité l'empêchait de penser à Sasuke et à tout ce qu'il ne méritait pas. « Je vous ai fait préparer un copieux repas à la cuisine, suivez-moi. »

Bon, la culpabilité et les contractions affamées de son estomac. Mais le résultat était le même.

Son esprit était un endroit très étrange quand il était fatigué, songea-t-il – bien que certaines personnes auraient probablement fait remarquer que c'était le cas même lorsqu'il était dans son état normal.

« Nous vous remercions, Ojiro-san, » répondit poliment Sasuke. « Nous aurons également besoin de vos soins ensuite, si cela ne vous gêne pas.

— Remerciez plutôt O-kana, » marmonna le vieil homme en tournant à droite puis à gauche dans un dédale de couloirs au sein desquels Naruto était certain qu'il aurait été incapable de se retrouver -contrairement à Sasuke qui aurait certainement pu les parcourir les yeux fermés. Il avait appris à ne pas s'en irriter. « Elle a ordonné que l'on vous traite au mieux jusqu'à ce que vous soyez en état de repartir. » Il leur jeta un bref coup d'oeil. « Ce qui me semble encore loin d'être le cas.

— C'est... généreux de sa part, » murmura Sasuke après un instant.

Et ça l'était, plus que Naruto ne l'aurait cru possible après la mort de l'enfant.

Il n'y avait rien à dire de plus, et le reste du chemin se déroula en silence.

Ils finirent par déboucher sur une autre cour, de terre battue celle-là, et incomparablement plus grande que celle sur laquelle donnait leur chambre. La cuisine était à la mode de la Foudre, en partie installée en plein air sous des auvents de bambou tressé, et trois femmes replètes s'affairaient autour des feux et des marmites bouillonnantes.

Manger ! Les odeurs lourdes et savoureuses de nourriture et d'épice qui embaumaient l'air firent monter l'eau à la bouche de Naruto et son estomac lui donna l'impression qu'il tentait de ramper hors de son ventre pour se rapprocher au plus vite de sa pitance.

Ojiro-san les abandonna entre les mains compétentes de l'une des cuisinières, une femme entre deux âges dont l'expression enjouée ne masquait pas tout à fait une certaine dureté.

« Ha, vous êtes les ninjas qui nous avez ramené O-kana, » murmura-t-elle en les toisant de la tête aux pieds.

A ses côtés il sentit Sasuke se figer soigneusement. Il n'aimait pas vraiment qu'on le dévisage, mais après tout il n'était pas le seul dans ce cas, Naruto partageait le sentiment, du moins quand il n'était pas occupé à crever d'inanition, ou à flipper parce qu'à présent tout était différent –ou pas. Le désagrément était presque suffisant pour noyer l'espèce de mantra exultant et à demi hystérique qui alternait entre Il a besoin de moi et il m'a laissé l'embrasser en boucle à l'arrière de son esprit.

Presque.

« C'est nous, oui. »

Elle les examina un peu plus, puis parut prendre une décision.

« Bien. Vous devez mourir de faim. Aller, venez, venez ! »

Elle les fit asseoir d'autorité sur l'un des bancs bas qui bordaient la zone de cuisine, leur tendit des bols de bois qui auraient presque mérité l'appellation de saladiers, et entreprit de remplir ces derniers à ras bord de riz mélangé avec une sauce non identifiée de viande et de légumes. Ca avait l'air divin.

« Haaaa, merci m'dame ! Vous êtes notre sauveuse. » Naruto empoigna une paire de baguettes. « J'ai tellement faim que je serais presque prêt à bouffer Sasuke ici présent si je n'étais pas certain qu'il est plein de toxines.

— Il sait que s'il essayait il attraperait une intoxication alimentaire. »

Sasuke lui adressa son équivalent d'un bref sourire et Naruto ne put s'empêcher de sourire largement en retour.

« Hé bien avec mes plats vous n'attraperez rien du tout à part un ventre bien plein. Des jeunes gens comme vous ça a besoin de se nourrir. » La femme tapa dans ses mains. « Allez, mangez, mangez ! »

Naruto n'eut pas besoin de se le faire dire deux fois.

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Il en était à son quatrième bol –saladier- quand l'appel de son estomac commença à se faire moins pressant et qu'il ralentit suffisamment son rythme d'ingestion pour prêter attention à ce qui se passait aux alentours. A sa droite Sasuke était en train de vider son bol avec une concentration presque martiale et une expression indiquant qu'il était en pleine réflexion. Naruto s'imagina qu'il pouvait presque entendre les petites roues dans son cerveau tourner et cliqueter furieusement.

De l'autre côté de la cour un groupe d'hommes en tenue de servants mangeaient tout en discutant entre eux. Les regards curieux qu'ils jetaient en direction des deux ninjas n'avaient rien de très discret.

Naruto jouait vaguement à pousser le riz restant d'un bord à l'autre de son bol du bout de ses baguettes quand Sasuke reposa finalement les siennes. Le blond jeta un coup d'œil à la ronde, s'assurant que les cuisinières étaient occupées à l'autre bout de la cour avant de poser une question potentiellement compromettante.

« Hé, Sasuke ?

— Quoi ?

— La conversation de tout à l'heure. Est-ce que ça veut dire qu'on est, tu sais… ensemble ? »

Sasuke le regarda sans répondre, de manière qui indiquait qu'il n'en revenait pas et que contre toute attente Naruto venait de dépasser un nouveau seuil de stupidité. Il secoua la tête, ouvrit la bouche, la referma, détourna les yeux une fraction de seconde comme s'il hésitait avant de finalement hausser les épaules.

« A ton avis ? »

Le retour dans la cour d'Ojiro-san empêcha Naruto de répondre qu'il n'en savait rien, patate, et que c'était justement pour ça qu'il posait la question –ce qui à la réflexion valait sans doute mieux parce qu'un pugila était la dernière chose dont ils avaient besoin pour l'instant.

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En silence ils suivirent de nouveau le vieil homme à travers le dédale de couloirs, jusqu'à une pièce tout en longueur. Elle était arrangée de manière spartiate, une fenêtre ouverte au fond, un mur couvert de tiroirs d'un côté et de l'autre un plan de travail totalement dénudé si l'on faisait abstraction de la bassine d'eau fumante et du tas de bandages propres posé au milieu. Naruto frotta son visage en suivant Sasuke dans la pièce. Son ventre était plaisamment rempli, les muscles de ses épaules et les endroits où il avait été blessé le faisaient souffrir et la fatigue recommençait à se faire pesante.

« Allons-y, » annonça Ojiro-san en fouillant dans un des tiroirs qui semblait contenir des herbes. « Sasuke-san d'abord si vous voulez bien. Si je ne me trompe Naruto-san se remet plus vite. »

Les deux jeunes hommes échangèrent un regard et Naruto haussa les épaules avec une grimace fugace. Ojiro-san était loin d'être stupide et il en avait vu bien plus qu'assez pour pouvoir se faire une idée de ses capacités inhabituelles et peut-être même de leur origine. Si c'était le cas, qu'il avait deviné et qu'il n'en disait rien…

Naruto s'assit docilement sur le bout du comptoir, les jambes pendant dans le vide tandis que le vieil homme ordonnait à Sasuke d'enlever son haut et de lui dire exactement où il avait mal. A la surprise de Naruto son équipier obtempéra sans protester, dévoilant les bandages faits par Hinata. La plupart étaient propres, sauf l'un au flanc qui était légèrement maculé. Hinata avait fait du bon travail, si l'on considérait qu'elle avait auparavant utilisé la majorité de son chakra pour s'occuper d'O-Kana et que la lame noire du déserteur de la brume n'avait pas été du genre à ne laisser qu'une simple coupure…

Le vieux médecin marmonnait dans sa barbe tout en examinant les plaies et en refaisant les bandages, émettant de temps à autre un bruit de satisfaction devant l'état des entailles.

Naruto somnolait à moitié, appuyé contre le mur de bois soigneusement poli quand Ojiro-san se détourna pour aller prendre une fiole dans l'un des tiroirs.

« Très bien, votre main maintenant, voyons cette brûlure… Hinata-san m'a recommandé d'y être particulièrement attentif, le chakra risque de provoquer une infection de la blessure… J'espère que vous n'avez pas fait l'imbécile et que vous avez évité de vous servir de cette main Sasuke-san… Heureusement j'ai un baume très efficace qui… »

Même à cet instant Naruto n'aurait pas réagi si entre ses paupières mi-closes il n'avait pas saisi la réaction de Sasuke à la mention de sa main. Pas grand-chose à vrai dire, un raidissement infime dans la posture, un coup d'œil avorté dans sa direction.

Pas grand-chose, mais chez Sasuke c'était suffisant pour éveiller son attention.

Il fronça les sourcils en se redressant.

« Hé Sasuke, comment tu t'es fait ça, tu t'es brûlé avec notre technique jointe ? »

La tension soudaine dans les épaules de son équipier confirma son intuition. Sasuke hésita une fraction de seconde avant de faire face.

« Tu crois vraiment que je me blesserais avec mes propres techniques ? Pitié Naruto, tout le monde n'est pas comme toi.

— Hé ! Ce n'était qu'une fois et d'abord c'était la faute à Kiba, il m'a fait sursauter et- » Il s'interrompit, pris d'un doute. « N'essaie pas de détourner la conversation ! Comment tu t'es brûlé alors si ce n'est pas avec la technique jointe ? »

Sasuke siffla avec irritation entre ses dents et se détourna à demi en tendant sa main à Ojiro-san, la dissimulant au regard de Naruto.

« On dit "la faute de Kiba" idiot. Et quelle importance ? Sakura finira de la guérir quand on rentrera et elle sera comme neuve.

— Ce n'est qu'une brûlure superficielle, approuva Ojiro-san d'un ton neutre tout en déposant le bandage souillé sur le plan de travail. Elle demande simplement un peu plus de temps à traiter à cause du risque d'infection.

Naruto l'ignora.

— Si c'est rien pourquoi tu ne veux pas me dire à quel moment du combat tu t'es blessé ? Ce-… » Il s'interrompit brutalement, ferma les yeux. Sous ses paupières se rejouait leur dispute sur le champ de ruine, après la chute de la kunoïchi : Sasuke tendu comme un arc, livide, une main serrée sur le fourreau de la Kusanagi, l'autre refermée en un poing. Sasuke, essuyant d'un revers de main la suie sur son visage. Sasuke, prenant appui de la main droite sur le rebord d'un toit alors qu'ils rejoignaient O-Kana. Sa main indemne.

Sasuke, la main sur son épaule et son regard rouge dans le sien.

Non, non, non…

Il s'étrangla et détourna le regard, appuya sa tête contre le mur. Il sentait les larmes lui piquer les yeux.

« Putain, non

— Naruto…

— C'est ma faute. C'est moi qui t'aie blessé quand j'ai perdu le contrôle, quand j'ai laissé le Renard-

Naruto…

— Je suis désolé. Je-

— Ne sois pas ridicule ! » Le ton de Sasuke lui fit tourner la tête. Son équipier le toisait d'un regard froid, mâchoire contractée. « J'ai mis ma main, je me suis brûlé. Il n'y a rien d'autre à dire. Mon choix, ma responsabilité. Arrête de tout prendre sur tes épaules.

— Putain Sasuke, je t'ai blessé !

— Et alors ? C'est déjà arrivé avant. Et je ne t'ai pas épargné non plus. Son regard s'attarda sur le torse de Naruto, là où se trouvait la cicatrice de la Vallée de la Fin.

— Ca n'a rien à voir ! J'ai perdu le contrôle ! Je t'ai blessé sans le vouloir ! Pas parce qu'on se battait, ou que je voulais te faire mal, mais parce que je n'avais aucune putain d'idée de ce que j'étais en train de faire, bordel de Dieu !

— Et tu n'as rien fait. Tu es resté immobile et c'est moi qui ai choisi de te toucher, en toute connaissance de cause. Mon choix, Naruto.

— Pour m'arrêter.

— Pour t'arrêter. Ce qui ne change strictement rien au fait que rien ne m'y obligeait et que j'ai choisi de le faire.

— Si tu n'avais rien fait j'aurais pu blesser quelqu'un gravement. J'aurais… J'aurais pu tuer quelqu'un… Tu parles d'un choix. »

Sasuke émit un bruit d'agacement et de frustration mêlées dans le fond de sa gorge et avança d'un pas vers le blond, soustrayant sa main aux soins silencieux d'Ojiro-san. Instinctivement Naruto chercha à reculer d'autant et ne réussit qu'à se plaquer un peu plus dos au mur.

Le brun jeta un coup d'œil dans la direction du vieux médecin qui les observait les bras croisés puis ferma les yeux un instant.

« Ecoutes-moi bien Naruto. Ce n'est pas ce qui s'est passé. Tu n'avais même pas sorti une seule queue, et tu as repris le contrôle seul-

— Parce que tu m'y as aidé !

— Parce que je t'ai fait réaliser ce qui se passait. Le reste tu l'as fait seul.

— Ho, tu veux dire te brûler la main ? Sûr, pour ça j'ai pas eu besoin d'aide. »

Sasuke se retint très manifestement de le frapper et grinça des dents. Naruto aurait presque préféré qu'il le fasse. Il se serait peut-être senti moins mal. A la place Sasuke bougea, presque plus vite que Naruto ne pouvait le suivre et attrapa son poignet de sa main valide avant de tirer pour le remettre brutalement sur ses pieds.

« Ojiro-san, si vous voulez bien nous excuser… »

En temps normal Naruto ne se serait pas laissé traîner dans le couloir sans réagir, surtout pas par un Sasuke d'une humeur plus que douteuse, mais il était encore sous le choc. La honte et l'horreur rétrospectives bouillonnaient en lui, et il se laissa faire.

« Tu n'es qu'un putain d'idiot. Annonça Sasuke en le relâchant une fois dans le couloir.

— Je suis désolé.

— Une dernière fois écoutes-moi Naruto, ok ? Tu te souviens de notre discussion de tout à l'heure… »

Il aurait été très difficile de l'oublier, mais Naruto ne voyait pas où Sasuke voulait en venir en la ramenant sur le tapis, et comment cela se faisait-il qu'il se retrouve de nouveau acculé, cette fois contre un mur, avec Sasuke vibrant de mécontentement manifeste à quelques pas de lui.

« Sasuke…

— Tu t'en souviens ?

Il hocha la tête.

— Alors pourquoi tu ne me laisses pas en faire autant ?

— Je… Hein ?

Sasuke siffla entre ses dents.

— Tu es là quand les gens ont besoin de toi Naruto. Sans même qu'ils s'en rendent compte tu es là et tu les laisses s'appuyer sur toi, se reposer… Mais tu refuses de faire de même.

— Je…

— Ca ne peut pas marcher si c'est à sens unique.

— Que- Quoi ?

— Ne me force pas à me répéter Naruto. Cette… chose entre nous. Ca ne peut pas marcher si nous ne sommes pas égaux. Si tu me dénies le droit de prendre une partie de ton poids comme tu portes une partie du mien.

— Mais…

— Comme je te l'ai dit c'est mon choix, tout comme c'est le tien lorsque tu fais quelque chose de stupide et que tu sautes en plein milieu d'un combat sans y réfléchir à deux fois.

— Je t'ai blessé.

— Hé bien fais en sorte que ça n'arrive pas la prochaine fois. Mais en attendant ne m'insulte pas en me refusant ce que tu fais tout le temps. » La voix de Sasuke s'adoucit. « Tu n'es pas forcé de te battre. Pas toujours, pas contre moi. »

C'était à peu de choses près les mots que Naruto avait prononcés plus tôt dans la journée et sa gorge se serra soudainement à les entendre dans la bouche de Sasuke, prononcés ainsi. Avec un reniflement il détourna la tête et essuya ses yeux d'un revers de manche.

« Je… D'accord. Et ça n'arrivera plus.

— Et même si c'était le cas je serais là, murmura tranquillement Sasuke.

— Je sais. Merci.

Sasuke ne répondit pas, mais dans la pénombre du couloir Naruto eut l'impression fugace qu'il rougissait légèrement.

— Viens, murmura-t-il. Il ne faut pas faire attendre Ojiro-san. »

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Lorsque après un bain rapide ils regagnèrent finalement leur chambre en silence, le ciel au dessus des toits du complexe se marbrait de violet et de jaune. La fatigue appesantissait leurs membres, embrumait leur esprit.

Ils se préparèrent en silence, dépliant les futons avec une efficacité née de l'habitude. La chambre était suffisamment spacieuse pour les écarter de presque un mètre et demi, et Naruto installa le sien côté porte, le plus près possible du mur.

Après avoir étendu le sien le long de la fenêtre Sasuke contempla un instant l'arrangement en silence, avec une telle intensité que Naruto le soupçonna d'essayer d'y mettre le feu par la seule force de son regard. Puis soudain il tira son futon sur le côté, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'à une vingtaine de centimètres de celui du blond. Son regard défiait Naruto d'en dire quoi que ce soit aussi se tut-il, mais dans le creux de son ventre la chaleur incrédule et reconnaissante irradiait de nouveau et il ne chercha pas à masquer son sourire.

Mon choix Naruto.

Il n'y avait toujours pas de réponses aux anciennes questions, juste une poignée de nouvelles ajoutées au mélange. Le Mangekyou était toujours dans les yeux de Sasuke et ni la douleur ni la responsabilité n'avaient diminuées. L'enfant était toujours mort.

Mais lorsqu'il posa sa tête sur son oreiller et ferma les yeux, étendit la main entre les deux futons et sentit les doigts de Sasuke se mêler aux siens, rien n'aurait pu être plus étrange et pourtant plus parfait.

Il écouta la respiration de Sasuke longtemps, jusqu'à ce que la luminosité déclinante derrière le voile de ses paupières closes fasse place à la nuit, jusqu'à ce que la respiration de Sasuke ralentisse et s'apaise à ses côtés.

Puis il dormit.

TBC

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Encore un chapitre tardif, mais je voulais qu'il soit le meilleur possible, et une fois n'est pas coutume il a reçu d'importants remaniements après la première Bêta-lecture. 
Je remercie donc dans l'ordre Thot, dont les voies sont plus impénétrables que jamais, Sevee pour sa bêta-lecture et ses avis précieux, et enfin Nadramon, pour ses reviews extensive et la seconde bêta-lecture efficace à la vitesse de l'éclair. Même Flash Gordon n'aurait pas fait mieux.

Merci aussi aux nombreux reviewer qui m'ont encouragé tout du long. 

Certains d'entre vous l'ont deviné, ces chapitres étaient les chapitres du deuil, puisque le blanc en est la couleur dans de nombreuses cultures asiatiques.

Je pense que Clair-Obscur ne devrait pas tarder à toucher à sa fin, encore un chapitre, peut-être deux, je ne sais vraiment pas pour l'instant.

Reviews ?