Précédemment dans La Course - chapitre 35 : Black fait son grand retour dans la vie de Mackenzie, et pas n'importe comment ! Il attaque le dortoir des Gryffondors et met cette pauvre Atkinson dans un état de nervosité conséquent. Mackenzie s'inquiète tout particulièrement pour Neville qui, faut-il le rappeler, a quelques mauvais souvenirs liés aux Mangemorts qui ont pu avoir un impact négatif sur sa vie dès sa plus tendre enfance. Lorsqu'elle veut se rendre à Poudlard avec les équipes d'Aurors et de Brigadiers, elle est toutefois arrêtée par Ombrage, qui semble l'avoir désormais dans le collimateur (un rapport avec leur dispute à propos de Remus Lupin peut-être, au chapitre 17 ?). Tentée un moment de prévenir Daniel, avec qui elle est disputée depuis quelques semaines, ou d'aller à Poudlard quand même, pour consoler directement le concerné, Mackenzie abandonne finalement ses deux idées et se contente de confier une lettre à Kingsley pour Neville, croisant à cette occasion une Tonks de particulière mauvaise humeur. De retour dans son bureau, elle y retrouve Terrence, avec qui elle a accepté de sortir, lequel s'est bien rendu compte que quelque chose n'allait pas. Lorsqu'il tente de la faire parler, il est cependant accueilli avec beaucoup de défiance et s'inquiète même qu'elle refuse de maintenir leur rendez-vous, ce qui fera beaucoup rire Riley au cours d'un restau entre copines. Ce dîner est aussi l'occasion de revenir sur la vie amoureuse de Mackenzie, jalonnée de déceptions liées notamment à Sirius (mais pas que !) ainsi que sur celle de Riley, en particulier son histoire si mystérieuse avec Lupin. Riley brille également dans ce chapitre par les doutes qu'elle exprime concernant la culpabilité de Sirius et sa "trahison" et surtout, par ses conseils vestimentaires pour une soirée de sexe endiablée. C'est au moment où elle divulgue ses ultimes conseils à une Mackenzie mortifiée que Terrence vient la chercher pour leur rendez-vous. Malgré ce début un peu gênant et une conversation qui n'en sera pas moins tendue par moments, notamment lorsqu'il sera question de racisme, de sexisme et de patriarcat, Mackenzie et Terrence passent une bonne soirée, qui sera cependant interrompue par le père de Mackenzie, dont le potentiel à causer des catastrophes n'a pas faibli avec les années. Il s'avère qu'il vient au nom du tableau de la mère de Mackenzie à Ste Mangouste car Atkinson est recherchée en urgence par Iris, la petite amie de Daniel. Ce dernier, après avoir découvert que Sirius s'est introduit à Poudlard, s'est enfermé dans la chambre où Alice et Frank sont hospitalisés et ne veut plus en sortir. Mack réussit cependant à l'y rejoindre et apprend à cette occasion que Neville a été puni pour avoir perdu la liste de mots de passe qui a permis à Sirius d'entrer, mais également qu'Augusta lui a envoyé une Beuglante et, surtout, a accepté qu'un sort d'Oubliettes lui soit jeté quand il était bébé, pour lui faire oublier l'attaque de ses parents, à laquelle il a partiellement assisté et qui l'a traumatisé. D'où les problèmes de mémoire de Neville... On y apprend par ailleurs que Daniel est un "Sans Nom", c'est-à-dire un enfant de sorciers au Sang Pur abandonné à la naissance car né hors mariage, qu'Alice n'était pas sa soeur biologique mais une Sans Nom elle aussi et qu'il est éidéiste, autrement dit qu'il a hérité de sa famille qu'il ne connait pas un don de mémoire qui lui permet de se rappeler d'absolument tout ce qui lui est arrivé depuis sa naissance. Mackenzie, sonnée par toutes ces révélations, décide d'aller à Poudlard pour confronter l'équipe professorale et consoler Neville...

Abécédaire des personnages cités :

Daniel Horton : meilleur ami de Mackenzie, guérisseur à Ste Mangouste, frère d'Alice Londubat, père d'Anna & oncle de Neville
Anna Horton : fille de Mackenzie et Daniel, 11 ans, toutes ses dents, en première année à Gryffondor
Adrian Atkinson : frère aîné de Mackenzie, ancien batteur dans l'équipe de Poufsouffle, en mauvais termes avec sa sœur
Riley Thomas : amie de Mackenzie, rencontrée plus de quinze ans plus tôt à Sainte Mangouste, tante de Dean
Terrence Savage : Brigadier-en-chef, à la tête de la Police magique, frère jumeau de Travis, ancien Serpentard, a eu un rendez-vous avec Mackenzie

Précisions à toutes fins utiles : Cherchant Harry qui s'était enfui de chez ses tuteurs, Mackenzie a débarqué dans la chambre d'hôtel des Weasley en Egypte (chapitre 5) ; Mackenzie a fait un premier tour à Poudlard lors de l'attaque du portrait de la Grosse Dame à Halloween et y a croisé Remus et Severus, lequel a sous-entendu qu'elle et Lupin aidait Sirius à se cacher (chapitre 11) ; Mackenzie et Remus ont pris un verre ensemble un soir de novembre à Pré-au-Lard et y ont notamment parlé de Riley (chapitre 13) ; Mackenzie a appris par Ombrage que Lupin était un loup garou (chapitre 17) ; le père de Dean est recherché et Mackenzie mène une enquête avec Kingsley et Tonks, qui les a menés à rencontrer la mère de Dean (chapitre 21) ; au Nouvel an, le frère de Mackenzie, Adrian, a sous-entendu que leur mère, morte lors d'une attaque à Ste Mangouste pendant la guerre, avait été tuée par le « meilleur ami » de Mackenzie (chapitre 23) ; Anna, qui était présente lors de ce dîner, s'est lancée dans une enquête pour découvrir l'identité de ce « meilleur ami » et pense que c'est Regulus Black ou Barty Croupton Jr, tous deux de son année (chapitre 31) ; Anna a été collée par Rogue pour avoir pris la défense de son ami Allister, qui avait fait exploser un chaudron (chapitre 17) ; Ernie Macmillan est le cousin germain de Mackenzie (chapitres 5 et 19).


Hey !

Tout d'abord, j'espère que vous vous portez toutes et tous bien (ainsi que vos proches) en ces temps de confinement et de pandémie.

Et ensuite : non, vous ne rêvez pas ! Un nouveau chapitre même pas quatre mois après le précédent, et alors que j'ai même publié une histoire parallèle : mais que m'arrive-t-il ? Je saurais pas vous dire mais j'en suis la première ravie !

Merci aux copines d'écriture pour la motivation et les coups de pied aux fesses quotidiens : Orlane Sayan, Aliete, AppleCherryPie et malilite ! Ce chapitre a été sponsorisé par le NaNo 2019 mais également par le CampNaNo actuel, qui m'a permis de le terminer ! :-)

Vous avez été très nombreuses à me laisser des reviews, quel bonheur ! *.*

Merci à Orlane Sayan, Sakhina (x 37 ! *.*), MPYO, Mademoiselle Mime (x 2), clochette69, Polala (x 7), AppleCherryPie, lune patronus, henrismh, Tiph l'Andouille, Bistre, Nymueh, mimi70, Asterie, NameIs, Aliete, Baccarat V, feufollet, malilite, Rozen Coant, Juliette & AvaTarbleu !

Vos RàR ont été normalement envoyés par MP !

Polala :

Merci merci merci pour toutes tes reviews, olalala, ça m'a fait trop plaisir !

C'est marrant de voir que tout le monde finit par avoir un doute sur l'identité du père d'Anna à un moment donné, j'adore particulièrement voir à quel chapitre l'hypothèse va tomber, j'ai des théories parfois dès le chapitre 5 ;p Je ne peux rien dire bien sûr mais sache que tu n'es pas la seule à penser que Sirius est le géniteur de cette petite ;-) Très contente que tu aies apprécié la conversation entre Mackenzie et sa maman par tableau, j'ai beaucoup aimé écrire cette discussion et tout le ressenti de Mackenzie par rapport à la perte de sa mère et l'absence qui persiste malgré le tableau.

Effectivement, Timon est à l'origine du titre du chapitre 34 ;D Je suis contente que le chapitre 32 avec ses catastrophes en cascade t'ait plu. C'est vrai que Lily est particulièrement chouette dans ce passage, que ce soit quand elle console Mackenzie (ça me paraissait tellement normal de proposer d'aller chercher quelqu'un de plus proche !) ou quand elle secoue Sirius (j'ai particulièrement aimé qu'elle le déloge de son lit par les pieds haha). Ravie aussi que tu aies aimé Peter, c'est jamais évident de l'écrire mais je trouve que ça lui va bien, d'essayer de défendre Mack et de protéger un peu Sirius pour ensuite tout se prendre dans la gueule, le pauvre :s

C'est vrai que le nom de Regulus revient de plus en plus souvent à l'époque du Ministère... Ami avec Mackenzie, je ne sais pas mais c'est sûr qu'ils s'entendent déjà un peu mieux. En même temps, ils partent de trèèèèès loin. Iris est très chouette, je suis contente qu'elle te plaise, je pense qu'elle tient à sa relation avec Daniel et a conscience que ça passe par bien s'entendre avec sa fille et donc avec la mère de sa fille. Tu as bien fait de ne pas trop t'inquiéter pour la dispute de Mack et Dan, ces deux-là ne peuvent pas rester trop longtemps l'un sans l'autre ! ;-) J'ai adoré écrire la famille de Tonks et je suis très heureuse qu'elle t'ait plu aussi ! ;D Pour l'Ordre de Merlin, ça a effectivement un rapport avec Ste Mangouste et/ou son ancien poste de guérisseuse/apprentie guérisseuse mais je n'en dirais pas plus ! ;p

Oooh comme je suis contente que la scène Sirius/McGonagall t'ait plu, j'ai adoooooré l'écrire et j'ai beaucoup ri en écrivant une McGonagall mauvaise joueuse ! ;p Et ravie que la conversation entre eux ensuite t'ait touchée. Je les aime beaucoup trop tous les deux ensemble. Desdemona a juste pas eu de chance de tomber sur Eldred, il ya tant d'Eldred dans le monde, surtout à cet âge-là ! Mais comme tu dis, c'est un personnage très cool, cette Desde, et elle a pris une belle revanche sur ce connard. Haha j'avoue que le début du chapitre est mignon mais en même temps, l'envie de secouer Sirius et Mack n'est jamais loin... Mais, les ados hein ? Tout est si dramatique avec eux ! ;-) L'arrivée de Riley va peut-être changer quelque chose à tout ça, qui sait ? :p Contente que les sermons de Lily et Lucy t'aient plu et crois-moi, je regrette déjà d'avoir annoncé la mort de Lucy, je m'y suis attachée un peu trop et j'en suis si triste d'avance :(

Merci pour tes compliments sur Ombrage : c'est dur de se mettre dans la tête d'une telle connasse haha mais si j'y arrive, c'est trop cool ! La scène du restau entre Mack et Riley était sympa à écrire et c'est vrai qu'elles se lancent pas mal de piques entre elles mais faut pas croire, derrière la façade, il y a beaucoup de soutien de l'une pour l'autre et inversement, et c'est ce qui compte ! ;-) J'avais depuis longtemps envie d'introduire un autre point de vue sur Sirius, pas forcément quelqu'un qui penserait qu'il est complètement innocent, mais quelqu'un qui remettrait en cause ce point de vue général sur lui et sa "trahison", et Riley était parfaite pour ça. Contente aussi que tu aies aimé le rendez-vous avec Terrence, j'ai adoré écrire Mackenzie dans une situation dans laquelle vous ne l'aviez encore jamais vu ! Pour sa tirade sur la société patriarcale, c'est pas forcément un clin d'oeil à Gilmore Girls, juste à mes convictions, mais les femmes de GG ont effectivement beaucoup de réflexions de ce type et c'est cool ! Aladdin est aussi un de mes dessins animés préférés héhé, mais je sais pas si j'aurais eu le même regard en le découvrant à 30 ans comme Mack plutôt qu'à 5 ans ;p Vraiment toutes mes excuses pour le passage sur Neville, je suis à la fois fière d'avoir réussi à te faire pleurer mais aussi vraiment désolée d'avoir brisé ton coeur :( Neville est aussi un de mes personnages préférés, il partage la tête d'affiche avec Sirius et Ron.

Merci pour tous tes compliments en tous cas et je te laisse avec ce chapitre, où Mack fond sur Poudlard pour aller couper des têtes ;D

Juliette :

Merci pour ta review ! Contente que ce chapitre t'ait plu !

Il n'est pas encore sûr que Mackenzie retrouvera sa magie grâce à la fontaine, ne courons pas aux conclusions ;p Et c'est clair que Sirius ne gagne pas beaucoup de points auprès de Mackenzie en ce moment et que son frère en gagne davantage. Mais bon, rappelons que Regulus part quand même de loin puisqu'il y a deux-trois chapitres, il en était encore à insulter Mack et que Sirius, malgré une dispute pas très cool, a marqué pas mal de points ces dernières années avec Mackenzie ;p Bon et aussi Riley a tendance à voir des trucs partout haha, elle extrapole beaucoup alors a-t-elle vraiment raison de croire que Regulus est soudainement tombé amoureux de Mack ? Il y a matière à débat, quand même !

Merci pour tes compliments sur la relation entre James et Sirius et entre Sirius et Lily, et ce que ça donne pour l'équilibre de leurs relations à tous les trois. Vraiment très très contente que ça te paraisse crédible ! *.* Je pense que James faisait des efforts pour faire passer Lily avant beaucoup de choses mais de là à en oublier ses potes tout le temps ? J'ai un peu de mal avec cette idée, c'est plus compliqué que ça, ça dépend des situations... C'est ce que j'essaie de mettre en évidence, ravie que ça te plaise !

J'ai adoré écrire la scène entre Sirius et James ainsi que toutes celles entre Sirius et Lily. Leur relation un peu houleuse ne se résume pas à se disputer l'attention de James, même si ça a son importance bien sûr. Le problème vient aussi du fait que Sirius s'est toujours méfié de Lily, qui était amie avec Severus. Sans compter la jalousie de Sirius, très exclusif dans ses relations avec les gens dans sa vie car ayant une famille aux abonnés absents. C'est aussi pour ça que j'avais besoin d'éloigner un peu James pour rapprocher Sirius et Lily et montrer à Sirius qu'il avait plus de points communs avec Lily qu'il ne le pensait... Tu as raison d'être optimiste en tous cas : Sirius et Lily ont un bel avenir amical devant eux, et ce n'est que le début ! :-)

J'espère que la suite va te plaire, merci d'avoir pris le temps de laisser une gentille review !

- O -

Je vous avais laissé la dernière fois avec un chapitre au Ministère teinté de beaucoup de rancoeur et de tristesse : en voici la suite directe, pleine d'autant de colère que de tendresse !

Bonne lecture !


CHAPITRE 37

Panser les plaies


Dire que j'étais énervée aurait été un euphémisme.

La vérité, c'était que je fulminais de rage, le cœur battant beaucoup trop vite, une veine démesurément gonflée pulsant à une vitesse étourdissante dans mon cou, ma respiration hachée et erratique me cisaillant les côtes.

Mes pas, eux aussi, témoignaient de la colère qui m'animait depuis que j'avais quitté Sainte Mangouste, quelques minutes à peine plus tôt.

Claquant de plus en plus vite et de plus en plus fort sur le carrelage blanc des couloirs de mon enfance, suivant le rythme de mes pensées qui rejouaient dans ma tête toutes les révélations que Daniel venait de me faire sur Neville, sa mémoire, sa grand-mère et ses professeurs, ils avaient attiré jusqu'à moi les regards curieux des quelques visiteurs encore présents, les œillades désapprobatrices des guérisseurs de garde et les grognements râleurs des tableaux déjà endormis.

Le chemin désert au beau milieu duquel j'avais transplané dès mon arrivée dans le hall d'entrée en étouffait désormais la violence et seule l'humidité qui gagnait mes chaussures à chaque nouveau pas que j'enfonçai rageusement dans la boue témoignait de ma fureur.

Un autre jour, dans d'autres circonstances, j'aurais sans doute pu être apaisée par les souvenirs que j'associais à cette route que j'avais emprunté des dizaines de fois entre ma première et ma septième année d'études : les discussions animées dans les calèches qui nous amenaient du Poudlard Express jusqu'au banquet de la rentrée, les fous rires avec mes ami.e.s les samedis après-midi où nous étions autorisé.e.s à descendre vers le village pour y oublier tous nos devoirs, les retours sous la neige au mois de décembre, le bout du nez gelé et les mains pleines de paquets cadeaux.

Rien n'était toutefois suffisamment divertissant pour m'arracher à la tempête qui s'était levée sous mon crâne, pas même la fois où Daniel et moi avions été surpris par une pluie torrentielle en rentrant d'une de ces sorties et que notre course s'était terminée par un vol plané, lorsque Horton avait glissé en m'entraînant malgré moi dans sa chute.

La silhouette du château elle-même n'était plus aussi rassurante qu'elle ne l'avait été à mes yeux, et pas seulement parce que mon regard d'adulte et de mère distinguait désormais tous les dangers qui se cachaient derrière son immensité et sa magie, là où ma naïveté d'adolescente n'avait pas pu – jusqu'à un certain point, en tous cas – les déceler.

Dans la nuit noire et sans lune, les courbes et les lignes de ses centaines de tours me semblaient ce soir comme floues, entourées qu'elles étaient par une brume épaisse et peu naturelle, qui atténuait la lumière diffusée par les milliers de fenêtres qui auraient dû normalement accrocher mon regard.

L'esprit accaparé par Neville, tournant et retournant les mots qui se percutaient les uns aux autres pour former les phrases meurtrières que je comptais adresser à Dumbledore et à toute sa clique, je ne ressentis d'abord pas le froid anormal qui s'infiltra sous mes vêtements.

Il fallut que j'arrive devant l'immense portail qui marquait l'entrée de l'école pour qu'il se faufile brusquement en deçà, quelque part au plus profond de mes os, figeant du même coup mon souffle dans ma poitrine.

J'eus ainsi à peine le temps de distinguer le premier Détraqueur, sa haute silhouette enveloppée d'une cape, son visage entièrement dissimulé par une cagoule, ses mains luisantes, grisâtres, visqueuses et couvertes de croûtes, avant qu'un premier souvenir funèbre ne remplace cette vision lugubre.

Comme lorsque j'avais fait face pour la première fois à l'une de ces créatures, au moment de ma seule et unique visite à Azkaban, je revis dans un flash, d'abord les couloirs détruits de Sainte-Mangouste, asphyxiants de poussière, jonchés de cadavres et inondés de sang, tels que je les voyais encore parfois sous la réplique exacte de l'hôpital qui avait été reconstruit à la fin de la guerre.

Le corps de ma mère vint juste après, étonnamment préservé au beau milieu du chaos que j'avais découvert sur place, seuls ses yeux grands ouverts et vides de toute vie témoignant du sort qui lui avait été jeté.

La suite fut à l'image de la guerre, un enchaînement de visages tuméfiés et de pierres tombales, de poults inexistants et de chair en décomposition, dont le tourbillon avait été à l'époque si puissant qu'il ne semblait former désormais qu'un seul et même mauvais souvenir.

Lors de mon passage à Poudlard quelques mois plus tôt, la voix douce et désemparée de Sirius s'était ajoutée à ce tableau macabre, telle qu'elle avait été lorsqu'elle m'avait annoncée tous ces décès, ceux de ma mère et de Lucy, de Caradoc et de Dorcas, de Fabian et de Gideon, dans une cacophonie telle qu'elle avait manqué de me faire vaciller.

A ma grande surprise, ce fut pourtant cette voix qui, cette fois, me sortit brutalement du brouillard qui s'était abattu sur mon esprit et me donna la force d'abattre mon propre poing sur le portail fermé de l'école.

Cette voix qui, au beau milieu de l'océan de mensonges qu'elle n'avait cessé de m'offrir, avait trouvé le moyen de ne m'annoncer que des vérités dévastatrices, celles auxquelles j'aurais préféré ne pas avoir à croire et qui, aujourd'hui encore, constituaient mes pires souvenirs.

Je ne pouvais pas laisser cette voix gagner.

Pas cette fois, pas encore, alors que celui auquel elle appartenait risquait de devenir un nouveau souvenir traumatisant dans l'histoire d'ores et déjà bouleversante de mon neveu.

A cette pensée, mon poing s'abattit plus fort encore sur le fer froid qui m'interdisait l'accès à l'intérieur du château et qui s'avérait pourtant incapable de tenir Black à distance. J'aurais certainement fini par m'y briser un ou deux doigts, si une lueur flottante n'était pas apparue un peu plus loin, suivie d'un grognement mécontent et d'un aboiement apeuré.

— Qui va là ? rugit bientôt la voix de Hagrid, avec une évidente colère. On a pas idée de débarquer à une heure aussi tardive pour défoncer les portes d'une propriété privée !

— Privée pour qui ? crachai-je du tac au tac. Pas pour Sirius Black en tous cas !

Il y eut un silence – gêné ou déconcerté, je n'aurais su dire – et je ne tardai pas à distinguer la silhouette massive du garde-chasse, une lanterne pendant au bout de son bras droit, une arbalète tendue dans la main gauche et son éternel chien Crockdur trottinant à ses pieds.

Lorsqu'il me reconnut, son visage se teinta d'incrédulité et il baissa immédiatement son arme.

— Mackenzie ? s'étonna-t-il, en s'empressant de décrocher les milliers de serrures qui gardaient la porte close. Quelque chose ne va pas ? Qu'est-ce que tu fais là ?

J'attendis de pouvoir faire quelques pas sur le chemin de terre battue qui zigzaguait jusqu'au château et, surtout, de ne plus entendre la voix de Sirius me percer les tympans, pour répondre :

— Je dois voir le professeur Dumbledore. Tout de suite.

Mon ton, que j'avais voulu le plus ferme possible, s'avéra en définitive quelque peu menaçant, ce qui n'échappa ni à Crockdur, qui laissa échapper un gémissement craintif en se recroquevillant encore davantage dans l'ombre de son maître, ni à Hagrid, qui haussa un sourcil surpris.

— C'est si urgent que ça ? demanda-t-il, en baissant distraitement une main pour calmer son molosse. Je suis pas certain qu'il puisse te recevoir maintenant, il est en réunion avec tous ses professeurs, comme tous les vendredis soir. C'était justement là que j'étais avant que tu ne déclenches toutes les alarmes du château en t'acharnant sur la porte.

S'il s'agissait d'une réprimande, j'y fus totalement insensible, prenant simplement soin de fourrer mes mains dans mes poches pour échapper au regard lourd de curiosité qu'il y porta. Mes phalanges avaient souffert des multiples chocs que je leur avais infligé, je le sentais à la douleur lancinante qui pulsait jusque dans mes épaules, et je n'avais pas envie qu'il puisse en observer les dégâts.

— Justement, Dumbledore n'est pas le seul à qui je dois parler. Allons-y.

Je n'attendis pas son assentiment pour commencer à avancer mais il me rattrapa en deux enjambées précipitées qui firent trembler le sol sous mes pieds.

— Le professeur Dumbledore m'a spécifiquement demandé de faire attendre tout visiteur dans son bureau, je crois qu'il préférerait que…

Incapable de faire preuve de la moindre politesse, je l'interrompis d'un petit rire jaune et sec.

— Là, tout de suite, je me contrefous de ce que Dumbledore préférerait, crachai-je. Je connais le chemin de toute façon.

Ce n'était pas totalement vrai, d'abord parce que je n'avais jamais vraiment eu l'occasion de visiter la salle des professeurs pendant ma scolarité, ensuite parce que rien ne me disait avec certitude que c'était là qu'avaient lieu leurs réunions hebdomadaires. Je n'eus heureusement pas à m'inquiéter de ces détails logistiques puisque Hagrid céda rapidement, en soupirant un « Très bien, très bien » fataliste.

Dans le parc incroyablement silencieux, l'absence de toute conversation entre nous fut d'autant plus perceptible, tout comme le bruit de nos pas crissant sur l'herbe encore humide d'une pluie qui avait probablement inondé le domaine quelques heures plus tôt.

Ce ne fut que quand nous atteignîmes le Grand Hall, et après avoir renvoyé gentiment dans leurs quartiers un couple de Poufsouffles en train de glousser derrière une armure, que Hagrid osa demander :

— C'est à propos de Black ? Il s'est passé quelque chose de grave au Ministère ?

Dans le contexte actuel, la question était logique, naturelle, et pourtant, je sentis ma colère monter d'un cran.

— Pas au Ministère, ici même, corrigeai-je d'un ton coupant. Mais je ne suis pas étonnée que vous ne vous en soyez pas rendu compte. Ce n'est pas la première fois que vous passez à côté de quelque chose de si grave.

Le reproche ne lui échappa évidemment pas – le contraire m'aurait presque vexé ! – et il rougit, de derrière les brides de peau qui se distinguaient sous sa barbe hirsute jusqu'au sommet de son front. Les yeux baissés vers le sol, je le vis ouvrir la bouche et crûs, l'espace d'une seconde, qu'il allait m'offrir des excuses.

Des excuses que son regard m'avait déjà présentées mille fois, presqu'à chaque fois que je l'avais croisée depuis la fin de ma sixième année, mais qu'il n'avait formulé qu'une seule fois à haute voix.

Il se dégonfla toutefois rapidement, sans que je puisse déterminer si c'était une conséquence de mon évidente défiance – je n'avais pas besoin d'excuses, et surtout pas maintenant – ou d'un instant de faiblesse de sa part.

— C'est par ici, souffla-t-il simplement, en me désignant une porte dérobée sur notre gauche, à quelques pas des portes à double battant – pour l'heure fermées – de la Grande Salle.

L'ouverture n'avait pas été pensée pour quelqu'un de la taille de Hagrid, qui dut se plier en plusieurs étapes pour rejoindre le long couloir, semblable à un millier d'autres dans ce château, qui la prolongeait.

Malgré la hauteur de plafond suffisante pour accueillir une personne deux fois plus massive que lui, ses épaules restèrent par la suite voutées et sa tête enfoncée dans son cou tandis qu'il me guidait silencieusement et je ne fus pas mécontente qu'il s'arrête rapidement devant deux gargouilles de pierre en tous points identiques.

Ma colère ne résistait que très rarement à une telle démonstration de regrets.

Heureusement, les statues s'écartèrent bientôt, sous l'impulsion d'un mot de passe que je n'entendis pas, et ma rage, que j'avais senti s'évaporer lentement, trouva un nouveau réceptacle en un coup d'œil.

Depuis la place centrale qui me faisait face au bout d'une longue table, Dumbledore présidait une cour de professeurs répartis à sa droite comme à sa gauche, l'air imposant malgré sa robe bleu ciel ornée de baguettes magiques, qui ressemblait étrangement à l'un des pyjamas préférés d'Anna.

S'il fut surpris de découvrir que j'étais la fauteuse de trouble qui avait mis en déroute son système d'alarme, il n'en laissa rien paraître.

— Oh, Miss Atkinson, c'était donc vous ! s'exclama-t-il joyeusement, en se levant dans un mouvement de robes gracieux. Quelle bonne surprise !

Le large sourire qu'il étira en même temps, d'une facture pourtant semblable à tous ceux qu'il avait pu un jour m'adresser, me donna instantanément envie de foutre le feu à sa barbe, qui dévalait de son cou jusqu'à la table à la manière d'une cascade de lait.

— A votre place, je n'en serais pas aussi certaine, fut ma réponse glaciale, crachée d'entre mes dents serrées.

Elle me valut quelques regards surpris de la part des différents visages qui m'observaient tous et dont la plupart m'étaient familiers. Je reconnus ainsi Lupin, assis à quelques pas à peine de moi, Rogue, en face de lui, le même rictus de mépris que dans sa jeunesse déformant ses lèvres, Babbling, avec quelques cheveux blancs de plus mais l'air singulièrement identique, et Chourave, dont la bonhomie habituelle semblait intacte.

En bout de table, à la gauche du Directeur, Flitwick paraissait toutefois le plus déconcerté par ma présence comme le ton de ma voix – je le devinais à ses sourcils froncés –, et ce n'était rien face à McGonagall, à la droite de Dumbledore, qui pinça les lèvres d'un air scandalisé.

Le directeur, lui, se contenta d'un battement de paupières maîtrisé, qui ne trahissait aucune offense.

— Ah ? s'étonna-t-il tout juste, d'un ton qui restait guilleret. Souhaitez-vous que nous en discutions au calme, dans mon bureau ?

A mes yeux, cette simple proposition et les quelques pas qu'il fit pour l'accompagner furent toutefois autant de signes qu'il n'était pas aussi stupide qu'il espérait le paraître et qu'il percevait ma colère, sans peut-être encore la comprendre. J'avais baigné trop longtemps dans l'ambiance hypocrite du Ministère, avec ses sourires mielleux et ses petits rires de façade, pour ne pas reconnaître une question qui n'en était pas une et qui cachait en réalité une volonté de m'éloigner suffisamment rapidement pour lui éviter un scandale.

Ce soir, cependant, je n'étais pas d'humeur à être la Serdaigle raisonnable que j'avais – presque – toujours été entre ces murs, celle dont on se souvenait uniquement comme d'une personne gentille, innocente et naïve.

D'un geste sec, je tirai donc la chaise la plus proche de moi, qui se trouvait idéalement située en bout de table, face à celle de Dumbledore, et m'y installai.

— Ici, ça sera très bien. D'autres que vous ont aussi besoin d'entendre ce que j'ai à dire.

Parce qu'il était à proximité immédiate – à ma gauche, sans personne pour faire barrage entre nous – et qu'il trouva intelligent de ponctuer ma phrase par un ricanement moqueur, Rogue eut le droit à mon premier regard assassin.

Je n'avais pas oublié que le souvenir qu'Anna m'avait envoyé pour mon anniversaire, et qui avait rendu Daniel si fier, cachait aussi une réalité révoltante : dans sa vie ponctuée depuis le plus âge par des cauchemars et malheurs en tous genres, où Bellatrix Lestrange et ses consorts auraient pu paraître un choix évident, Neville était prioritairement terrorisé par son ignoble professeur de Potions.

A cette pensée, ma rage monta d'un nouveau cran et j'aurais pu le choisir comme première victime si Dumbledore ne l'avait pas dissuadé, d'un regard sans appel, du moindre commentaire.

— Comme il vous plaira, Miss Atkinson, déclara-t-il ensuite d'un ton cordial.

D'un geste de la main, il fit signe à Hagrid, resté debout et mal à l'aise à la porte, de reprendre sa place et s'assit à son tour en ajoutant :

— De quoi exactement vouliez-vous me parler ?

Son ton aimable ressemblait presque à celui que Fudge adoptait lorsqu'il intervenait à la radio pour rassurer la population sur Black et contrastait définitivement avec le mien lorsque j'ironisai :

— De beaucoup de choses, à vrai dire, mais pourquoi ne pas commencer par votre incompétence ?

— Miss Atkinson ! s'indigna immédiatement le professeur McGonagall, en redressant dans un mouvement brusque sa silhouette toute entière.

Le ton, qui n'était pas bien différent de celui qu'elle avait pu utiliser pour me parler quand j'étais son élève, me fit serrer les poings.

Ce n'était pourtant rien à côté de la brûlure de l'amertume qui me mordit le ventre en songeant qu'elle était à l'origine de la punition de Neville, elle qui, même lors de l'épisode qui avait failli coûter à Black l'amitié de ses meilleurs amis en début de sixième année et qui lui avait valu des retenues pour une bonne partie de l'année, n'avait jamais jugé bon de lui interdire l'accès à son dortoir et à sa salle commune.

Elle était pourtant bien placée pour comprendre la situation de Neville, comme elle avait été en excellente position pour saisir la complexité de celle de Sirius – ou, du reste, de cette saisissante image de martyr dans sa propre famille qu'il s'était créé de toutes pièces.

Elle était même mieux placée, songeai-je en me remémorant du même coup tout ce qui la liait à Alice et Frank.

McGonagall les avait mieux connu que beaucoup, comme leur professeur et Directrice de maison d'abord puis en se battant à leurs côtés dans l'organisation pas si secrète de Dumbledore, comme Daniel et moi l'avions tant soupçonné.

Cela lui valut un regard polaire de ma part.

— Gardez votre salive pour plus tard, grinçai-je sèchement. Vous êtes la prochaine sur ma liste, de toute façon.

Ses yeux félins s'écarquillèrent et deux ronds écarlates apparurent sur ses joues creusées, aussi subitement que les personnages en colère dans les dessins animés qu'Anna affectionnait encore de regarder.

— Je ne me laisserais pas…, commença-t-elle d'un ton coupant, mais Dumbledore l'interrompit d'un petit raclement de gorge poli avant qu'elle n'ajoute le « parler sur ce ton » que je n'avais eu aucun mal à deviner.

Il souriait toujours, agaçant de placidité.

— Minerva, s'il vous plaît, laissons notre invitée parler. Je suis sûr qu'elle nous accordera un droit de réponse en temps voulu.

Pendant un instant, sa sous-directrice eut l'air de vouloir protester à coups d'insultes bien senties mais elle finit par se rasseoir, les lèvres pincées, non sans m'offrir une œillade acérée.

— Vous disiez, Miss Atkinson ? reprit Dumbledore aimablement. Quelque chose à propos de mon incompétence, il me semble, et qui a tout à voir avec l'affaire Sirius Black, j'imagine ? Il se trouve que j'ai justement eu une conversation à ce sujet il y a quelques jours à peine avec Dolores Ombrage, qui travaille également sur ce dossier.

C'était la dernière remarque à laquelle je m'attendais et également la pire.

— Vous me comparez à Ombrage ? ne pus-je m'empêcher de grogner, scandalisée.

— Je n'oserais jamais faire une chose pareille, Mackenzie, croyez-moi, déclara-t-il d'une voix qui me parût sincère, cette fois. Mais vous êtes bien là pour parler de Black et de sa dernière intrusion, je me trompe ? Sachez que nous avons depuis pris soin de renforcer les mesures de sécurité. Le château et le domaine ont été ratissés de long en large pour colmater la moindre brèche qui lui permettrait de s'y introduire, les portes et les armures ont été ensorcelées pour le stopper s'il se présente de nouveau à l'intérieur du château et des Trolls ont été placés dans la tour de Gryffondors.

— C'est précisément mon problème.

— Les mesures de sécurité ? s'étonna-t-il, sourcils en circonflexe.

— Les Trolls devant la salle commune des Gryffondors, clarifiai-je d'une voix glaciale.

Cela n'eut pas l'air de l'aider puisqu'il répondit aimablement :

— Je sais que les Trolls ont une mauvaise réputation mais ceux-là ont été dressés pour protéger, et non pour blesser les humains. Ils sont plus inoffensifs que les Détraqueurs aux portes du domaine, en tous cas.

Si c'était un constat censé me rassurer, ce fut un cuisant échec.

J'en venais à me demander comment je n'avais pas pu réaliser, dans ma jeunesse, à quel point mon école était gérée par des incapables.

— J'imagine que c'est exactement ce que se dit mon neveu chaque soir quand il doit passer des heures en tête à tête avec eux, raillai-je avec dureté. Que vous avez été suffisamment indulgents de ne pas l'obliger à converser avec ses pires souvenirs tous les jours et qu'il doit s'en montrer reconnaissant.

Connaissant Neville, mon ironie était peut-être ni plus ni moins que la vérité et le silence qui tomba sur la pièce, épais comme le brouillard des montagnes environnantes, m'indiqua que je n'étais pas la seule à le penser. Remus, en particulier, baissa la tête dans un mouvement rapide à la seconde où mon regard dévia vers la droite, presque immédiatement suivi par Chourave, laquelle se mit à observer avec une gêne évidente ses ongles sales de terre fraîche.

Je savais que c'était l'enseignante préférée de Neville, et pour de bonnes raisons visiblement puisque sa réaction m'indiquait qu'elle était l'une des seules à avoir jugé sa punition injuste.

Le menton relevé de McGonagall et ses lèvres pincées me confirmèrent qu'elle n'y voyait toujours, de son côté, aucun problème.

— Vous avez toujours été terriblement dramatique, Miss Atkinson ! s'agaça-t-elle, excédée. Il n'a jamais été envisagé de mettre Neville en présence de Détraqueurs !

— Encore heureux ! Vous voulez un Ordre de Merlin pour vous récompenser de votre miséricorde, peut-être ? Je pourrais en toucher un mot à Fudge à l'occasion.

— Il ne passe pas non plus toutes ses soirées avec des Trolls, continua-t-elle en m'ignorant – quoique je vis distinctement les arêtes de son nez frémir de fureur. Je doute même qu'il se retrouve en leur présence plus de cinq minutes tous les soirs puisque ses camarades lui ouvrent.

— Ce sont cinq minutes de trop pour n'avoir commis aucune bêtise !

— Aucune bêtise ? Neville a perdu la liste de mots de passe qui a permis à Black de rentrer dans la Tour !

— Une liste de mots de passe qu'il a été obligé de rédiger à cause d'un tableau aussi incompétent que vous et que vous aviez décidé de placer là ! répliquai-je, serrant les dents pour ne pas leur révéler que tout était aussi de la faute d'Augusta.

Augusta qui avait joué avec sa mémoire et refusait aujourd'hui d'en assumer les conséquences désastreuses.

Augusta que j'avais terriblement envie d'étrangler, malgré la promesse que j'avais faite à Daniel.

Pour l'heure cependant, McGonagall et sa mauvaise foi constituaient un substitut intéressant à la colère qui semblait me submerger encore un peu plus à chaque seconde qui s'écoulait.

— Tous les autres élèves de sa maison s'en sont accommodés et le chevalier du Catogan a été le seul à accepter de prendre le relais de la Grosse Dame après son attaque, répondit-elle, d'un ton faussement calme. Vous auriez préféré qu'on laisse leur salle commune sans surveillance, peut-être ?

Qu'elle ironise sur une situation qui avait rendu Neville misérable fut la goutte de trop et je me sentis bondir de ma chaise avant même d'en avoir conscience.

— J'aurais préféré que vous soyez en mesure d'empêcher une première attaque et que personne ne décide de faire porter la responsabilité de la deuxième attaque que vous n'avez pas réussi à arrêter à un gamin de treize ans qui a perdu un misérable bout de parchemin ! Mais vous n'êtes certainement pas capable d'une telle indulgence quand le gamin en question n'est pas votre élève favori, n'est-ce pas ?

Elle ouvrit la bouche d'un air outré, en même temps que Dumbledore qui leva une main comme pour apaiser un débat trop houleux, mais je ne laissai ni à l'un ni à l'autre de m'interrompre, posant brutalement mes mains tremblantes sur la table.

— Qu'est-ce que Neville n'a pas à vos yeux que Sirius avait, professeur McGonagall ? poursuivis-je d'un ton acerbe, en plantant résolument mes yeux dans les siens. Ce n'est pas un génie de la métamorphose, et vous ne pouvez pas vous targuer d'être à l'origine de sa réussite ? Il déteste voler et ne peut pas vous accompagner pour une partie amicale de Quidditch à chaque bêtise qu'il fait ? Il n'a pas mis le feu à votre salle de classe suffisamment de fois, en tentant à chaque exploit de s'en sortir par une blague charmante qui vous faisait rire ? J'aimerais vraiment comprendre quelles sont les qualités requises pour entrer dans vos bonnes grâces et s'éviter d'injustes punitions.

La seule réponse que j'obtins fut un mouvement des cils incroyablement rapide qui ne lui ressemblait définitivement pas et qui prouvait à lui seul que je l'avais heurtée.

Ses traits jusqu'ici tirés par l'irritation s'affaissèrent d'un coup et elle blêmit, son teint virant à un blanc si laiteux que je pus distinguer sur la peau de son cou et l'arrondi de sa mâchoire les taches brunes de vieillesse qui commençaient à y apparaître. Son dos également se tassa, lui faisant perdre brusquement quelques centimètres de la prestance qui m'avait tant effrayée quand j'étais plus jeune, et j'aurais pu m'attarder longtemps sur la lueur blessée au fond de ses pupilles si Dumbledore ne s'était pas raclé la gorge d'un air gêné.

— Je comprends votre colère, Miss Atkinson, mais vous vous montrez injuste avec le professeur McGonagall.

A en croire les dizaines de regards désapprobateurs qui pesaient sur moi, il n'était pas le seul à le penser.

Seul Rogue s'était désolidarisé de ce front uni et ne pouvait s'empêcher d'afficher un rictus d'approbation, ce qui n'était jamais un compliment pour qui que ce soit.

— Non, Dumbledore, c'est vous tous qui êtes injustes sans être capable de l'admettre, répliquai-je tout de même, sans me laisser démonter. Neville a perdu une liste de mots de passe, et alors ? Même sans cette liste, Black aurait trouvé un autre moyen de se rapprocher de Harry et c'est le seul à blâmer ! Vous n'avez même pas l'air de réaliser que si Black n'avait pas fui de lui-même, Potter n'aurait pas été le seul à mourir ! Ses autres camarades aussi, Neville y compris, et il en a pleinement conscience ! Mais au lieu de le rassurer après avoir été incapable de le protéger, la seule chose que vous avez jugé utile de faire a été de lui signifier que cette attaque était de sa faute et qu'il devait être puni pour les actions d'un psychopathe qui aurait pu tuer l'ensemble de ses camarades et lui-même. Voilà ce que vous avez fait.

Il y eut un nouveau silence sonné qui me permit de me rasseoir et d'avaler quelques goulées d'air qui firent refluer les larmes qui menaçaient de mettre à mal mon argumentaire.

Ce fut le moment que choisit le professeur Flitwick, du haut de la pile de coussins qui lui permettaient de s'élever à la hauteur des autres, pour émettre une toux presque timide.

— Si je pus me permettre, Mackenzie, peut-être est-ce seulement votre inquiétude de parent qui vous pousse à envisager la situation sous un angle que Neville n'a même pas entrevu ? Ce n'est pas la première fois qu'il est puni pour une erreur qu'il aurait commise et il m'a toujours semblé être un jeune homme raisonnable, capable de faire la part des choses.

J'avais conscience qu'il s'agissait d'un compliment, peut-être même d'un compliment sincère qui témoignait de l'opinion positive qu'il se faisait de mon neveu.

Il n'en restait pas moins complètement faux : j'avais suffisamment côtoyé Neville pour savoir qu'il partageait avec moi une tendance quasi-pathologique à se culpabiliser, même lorsque sa culpabilité n'était rationnellement pas fondée.

Ça ne pouvait qu'être pire lorsqu'elle se mêlait à ce qui constituait jusqu'ici le plus grand drame de sa vie.

— Neville est peut-être un garçon raisonnable quand il s'agit de devoirs à faire et de consignes à respecter, admis-je. Je le connais toutefois assez pour savoir qu'il l'est beaucoup moins lorsqu'il est question d'un Mangemort comme ceux qui lui ont arrachés ses parents. Et vous n'avez fait qu'aggraver les choses en lui signifiant, consciemment ou non, qu'il s'était fait le complice de Black en perdant cette foutue liste.

A ce stade, même Severus perdit toute trace de la légèreté suffisante qu'il affichait encore quelques minutes avant, lorsque j'avais reproché à McGonagall tout ce qu'il avait dû un jour lui reprocher lui-même.

Le mot « Mangemort » et la référence à Alice et Frank l'avaient fait pâlir – ce qui était drôlement ironique, considérant son passé – et semblaient avoir, du même coup, décontenancé tous les autres.

A mes côtés, Remus paraissait incapable de relever les yeux de la table sur laquelle il avait posé deux mains qu'il tordait nerveusement, Chourave n'en menait pas plus large, malmenant avec fébrilité des gants boueux qui dépassaient des poches de sa robe et même Flitwick et McGonagall avaient posé leurs yeux sur diverses pièces du mobilier pour ne pas avoir à croiser mon regard.

Toutes ces précautions étaient cependant inutiles puisque j'avais les pupilles rivées uniquement sur Dumbledore, dont les yeux bleus, derrière ses lunettes baissées, s'étaient teintés d'une dose conséquente de gravité.

— Et vous savez ce qui est le plus décevant, dans cette histoire ? continuai-je, avant qu'il ne puisse m'offrir les excuses qu'il paraissait sur le point de me fournir – des excuses dont je n'étais pas certaine de vouloir et que j'avais surtout peur de juger peu sincères. C'est que vous, plus que n'importe qui d'autre, n'ayez pas été capables de réaliser ce qu'une telle punition pouvait signifier pour Neville.

Je fis glisser mon regard sur les autres – McGonagall, Flitwick, Chourave, Remus et même Hagrid – pour leur signifier que ce « vous » était collectif et ne s'adressait pas seulement – même si principalement – au Directeur.

— Tout le monde ici ou presque a connu Alice et Frank. La plupart d'entre vous ont été leurs professeurs, d'autres leurs camarades et certains se sont même battus à leurs côtés pendant la guerre. La seule chose qu'il vous suffisait de faire pour comprendre Neville et deviner les conséquences de vos décisions sur lui, c'était de vous souvenir de ce qui leur était arrivé. C'était aussi simple que ça et aucun d'entre vous n'en a été capable. C'est ce qui est le plus décevant.

Je n'ajoutai rien, malgré mon envie d'allonger cette liste ridiculement courte en égrenant tout ce qui m'avait déçu dans leur comportement – dans le comportement de tout le monde – vis-à-vis d'Alice et Frank.

Leur silence coupable envers Daniel après l'attaque, car personne ne savait exactement quoi dire : présenter des condoléances, souhaiter un prompt rétablissement ?

Les portes qui étaient restées désespérément closes et ne s'étaient même pas entrouvertes lorsqu'il avait tenté de récupérer la garde de Neville, en malmenant au passage un ordre établi que peu de gens avant lui avaient osé ouvertement bafouer.

Leur absence dans la chambre si vide d'Alice et Frank, pendant presque tous les jours qui s'étaient écoulé au cours des dernières années.

Ce n'était pas le choix qui manquait.

Je restai silencieuse pourtant, car toute mon amertume ou celle que nourrissait certainement Daniel n'avaient qu'un très vague rapport avec le bien-être de Neville dans son école et c'était tout ce qui comptait pour l'instant.

Le soupir lourd de Dumbledore et la façon dont il frotta ses yeux derrière ses verres correcteurs furent les premiers signes que mon discours avait porté ses fruits.

Il semblait tout à coup terriblement fatigué et ses épaules s'étaient sensiblement affaissées, comme si le poids du monde s'y était brusquement déposé.

— Je suis désolé, Mackenzie, finit-il par déclarer, en ayant la décence de ne pas éviter mon regard. Vous avez raison, l'un de nous aurait dû réaliser notre erreur, et moi le premier. La punition de Neville va être levée et je prendrai personnellement le temps de discuter avec lui de toute cette affaire.

— Je me joindrai à vous, déclara McGonagall avec solennité, ses yeux également sur moi.

Ils n'étaient ni fuyants, ni aussi froids que je l'aurais imaginé, même si quelque chose dans son maintien m'indiquait qu'elle n'avait toujours pas avalé mes reproches.

Je m'étais moi-même tenue trop souvent crispée de cette façon, à chaque fois que quelqu'un m'avait prise à partie sur ma relation passée avec Sirius, pour ne pas me reconnaître dans sa stature et regretter un tant soit peu ce que je lui avais dit.

Je n'en laissai rien paraître cependant, trop soucieuse de ne pas perdre mon avantage, et me contentai donc de hocher sobrement la tête en indiquant :

— J'ai besoin d'un autre engagement de votre part avant de partir l'esprit plus tranquille.

— Dites-moi tout, Miss Atkinson, m'accorda facilement Dumbledore, en réprimandant d'un nouveau regard sombre le soupir méprisant de Rogue.

Je ne fus pas mécontente de retourner à ce dernier la monnaie de son gallion lorsque, sans lui accorder une miette de mon attention, j'énonçai :

— La prochaine fois qu'un incident avec Neville surviendra, j'aimerais que des mesures soient prises contre son professeur de potions.

Dumbledore fronça légèrement les sourcils mais ce ne fut rien face à la réaction de Severus, dont je vis – non sans une certaine délectation, je devais l'admettre – les yeux s'écarquiller avec une indignation qui contrastait drastiquement avec son habituelle indifférence teintée de supériorité.

— Pardon ? grogna-t-il d'une voix glaciale. Je n'ai rien à voir avec la punition de Londubat !

— Avec celle-ci, peut-être. Mais je sais de source sure que la majorité des autres situations injustes auxquelles il a été confronté pendant toute sa scolarité ont eu lieu en ta présence.

Mon regard dévia inévitablement vers Lupin qui, s'il parut un instant surpris, eut un mouvement imperceptible du menton, comme pour m'approuver.

Rien de tout ceci n'échappa à Rogue, qui retrouva avec une rapidité étonnante toute son arrogance.

— Oh, je comprends mieux, commenta-t-il d'une voix doucereuse et avec un rictus mauvais. Remus Lupin et Mackenzie Atkinson, un duo qui a toujours eu les mêmes intérêts à cœur et qui continuent manifestement de collaborer. Je n'ai pas de temps à perdre avec les accusations de deux personnes qui n'ont jamais su choisir leurs fréquentations.

De la part de n'importe qui d'autre, l'attaque aurait pu me mortifier et me laisser bêtement silencieuse, une fois de plus victime de cette culpabilité qui ne voulait pas me quitter.

De la part de Rogue, dont toutes les fréquentations de l'époque avaient eu pour principale occupation les meurtres de moldus et autres sangs jugés impurs et qui, pire encore, y avait également participé, ce fut tout l'inverse.

La fureur qui fit bouillonner mon sang fut si forte que lorsqu'il se leva sans un mot de plus, comme pour mettre fin à cette conversation dont il pensait sans doute être ressorti gagnant, je ne pus qu'obéir à mon instinct : dans un mouvement tout aussi alerte que le sien, je reculai ma chaise et tendis ma jambe la plus proche juste devant lui.

Déséquilibré, il s'affala sans grâce sur le sol, dans un bruit sourd et un amas de tissu noir.

— Miss Atkinson, s'il vous plaît ! s'exclama immédiatement Dumbledore en se levant.

McGonagall et Flitwick avaient également bondi, comme si nous n'avions que seize ans et étions encore sous leurs responsabilités, et Severus leur donna d'ailleurs peut-être raison. Les genoux encore à terre, il redressa tout juste la tête, brandissant sa baguette dans ma direction à une vitesse impressionnante, ses yeux assombris par un mélange de rage et d'humiliation.

Il n'eut toutefois le temps de rien faire puisque j'avais déjà la mienne en main, tendue juste devant son visage cireux.

— Je n'ai peut-être pas ton expérience quand il s'agit de tuer mais je serais ravie de commencer par toi, crachai-je d'un ton menaçant, le bout de bois pointé entre ses deux yeux.

Ses joues rougirent légèrement sans que je ne réussisse à déterminer exactement pourquoi – sa position, mes mots – mais je ne lui laissai aucune occasion d'ouvrir la bouche pour répliquer, appuyant encore davantage ma baguette sur la peau excessivement blanche de son front.

— Écoute-moi bien car je ne me répéterai pas deux fois : la prochaine fois que j'entends dire que tu martyrises Neville dans le seul but de te donner l'impression d'avoir du pouvoir dans cette misérable existence que tu mènes, je prendrai moi-même les mesures pour t'empêcher de recommencer, quitte à te jeter en prison pour les crimes que tu n'as jamais expié.

Il pâlit considérablement cette fois, perdant jusqu'à l'usage de sa parole si habituellement cynique, et ce fut Dumbledore qui intervint d'une voix ferme :

— Mackenzie, ce n'est ni le moment ni le lieu pour de telles menaces. Severus a en outre été innocenté par le Ministère.

— Pas vraiment, objectai-je, en acceptant néanmoins de reculer ma baguette, consciente d'avoir désormais l'avantage. A ma connaissance, il n'y a aucun jugement ayant autorité sur ce point, pas plus que de traces écrites de votre petit arrangement avec la Ministre de l'époque.

Les joues encore plus blêmes, Rogue se releva avec une dignité piétinée, époussetant ses robes pour se donner une contenance.

— Beaucoup en ont été témoins et les faits sont trop anciens, me répondit le directeur sans se laisser décontenancer.

J'écartai ces détails avec un petit reniflement moqueur.

— Pas suffisamment anciens dans un système bancal où des gens sont envoyés en prison sans procès et où des coupables sont laissés en liberté malgré des crimes de guerre atroces. Je dirais même que, dans le contexte actuel, où la population s'inquiète toujours davantage de l'évasion de Black et de notre incapacité à le rattraper, Fudge pourrait être intéressé par l'idée d'enfermer le seul ancien Mangemort qui, selon toute vraisemblance, travaille précisément là où ont eu lieu les deux seules attaques qu'il a menées. Cette hypothèse de complicité le convaincrait d'ailleurs sans doute beaucoup plus que la tienne, si jamais je lui en faisais part, ajoutai-je en reposant un regard tranchant sur son protégé.

Ce dernier déglutit de façon inélégante, en passant une main nerveuse dans ses cheveux trop gras.

— Tu n'oserais pas.

Sa voix était toutefois teintée de beaucoup d'incertitudes, que je me fis un plaisir d'accentuer en étirant un sourire aussi mauvais que celui qu'il m'avait adressé plus tôt.

— J'oserais beaucoup de choses pour mes enfants et manque de chance pour toi, Neville est l'un d'eux et Anna sa plus fidèle supportrice et confidente. Peut-être que lui ne me dira rien de lui-même mais il lui en parlera forcément et elle trouvera le moyen de me le faire savoir. C'est une enfant pleine de ressources, elle arrive toujours à ses fins.

Pour toute réponse, j'écopai d'un nouveau coup d'œil assassin, que je soutins sans sourciller jusqu'à ce que sa bouche pincée et ses sourcils froncés par la haine se détournent en premier. Dans un mouvement de robes qui aurait pu être intimidant si ses vêtements n'étaient pas encore partiellement couverts de la poussière du sol sur lequel il s'était écrasé, il s'éloigna dans un marmonnement d'insultes dont je ne saisis pas grand-chose, prenant soin, cette fois, de vérifier que mon pied n'était pas sur son chemin.

— Et bien sûr, s'il te venait à l'idée de torturer Anna à la place de Neville, les conséquences judiciaires seraient les mêmes ! précisai-je d'un ton excessivement léger, suffisamment fort pour qu'il m'entende et juste avant qu'il ne claque la porte avec force.

Les murs, s'ils n'avaient pas été de pierre, en auraient sans doute tremblé, et Dumbledore soupira.

— C'était parfaitement inutile, Mackenzie, me réprimanda-t-il sèchement.

D'autres l'approuvèrent, peut-être plus par gêne d'avoir assisté à un tel esclandre que par réelle conviction, et seul Remus, qui avait du mal à cacher son rictus satisfait, ne paraissait pas d'accord avec lui.

— Pour les plans nébuleux qui vous poussent à défendre ses actes les plus abjects, sans doute, mais pas pour moi. A moins bien sûr que vous ne soyez prêt à m'en faire part pour m'expliquer en quoi je me trompe si bêtement en croyant qu'une personne à ce point antipathique et dangereuse ne mérite pas mon respect ?

Croisant les bras sur ma poitrine, je fis mine d'attendre sérieusement une explication mais il ne trouva rien à répliquer et, satisfaite de toutes ces batailles gagnées, je me levai.

— En attendant d'avoir peut-être un jour une réponse à cette question, je vais voir ma fille et mon neveu et je risque même de les faire sortir de leurs quartiers malgré le couvre-feu. Bonne soirée.

Ce ne fut qu'une fois dehors, dans le couloir vide qui s'étendait sur plusieurs mètres devant et derrière moi, que je me rendis compte de la pesanteur de l'air qui régnait jusqu'ici dans la pièce que je venais de quitter. Je réalisai du même coup que j'avais le souffle plus court qu'à l'accoutumée, que mon cœur battait peut-être un peu trop fort et que mes mains, qui s'étaient tenues relativement tranquilles pendant toute cette entrevue, tremblaient désormais violemment.

Cette retombée d'adrénaline brutale, qui me figea bêtement sur place, fut sans doute la raison pour laquelle je me trouvais encore si près de la porte de la salle des professeurs lorsqu'elle s'ouvrit à la volée, laissant échapper un corps qui me heurta de plein fouet.

Je titubai vers l'arrière dans un grognement de douleur et reconnus Remus.

— Oh, Mackenzie, désolé ! s'exclama-t-il d'un ton confus, en m'attrapant par les mains pour m'aider à me stabiliser sur les talons que j'avais eu la bêtise de mettre. Je pensais que tu étais déjà loin, je voulais justement te rattraper.

Je me dégageai presque immédiatement, tout à coup soupçonneuse.

— Qu'est-ce que tu me veux ?

Mon ton était glacial et il papillonna des paupières, perturbé.

Certes, nous avions en commun de détester Rogue mais ce n'était pas assez pour me faire oublier qu'il faisait partie de ce corps professoral qui avait été incapable de montrer la moindre compassion envers Neville.

Pire puisqu'il était précisément le seul qui, dans cette pièce, avait été l'ami d'Alice et Frank.

C'était du moins ce que j'avais longtemps cru.

— Juste te proposer de t'accompagner à la salle commune des Gryffondors, répondit-il d'un ton incertain. Tu te souviens du chemin ?

Je ne l'avais emprunté qu'à très peu de reprises, exclusivement pour aller voir Sirius, et ce seul rappel ne fit que glacer encore davantage l'atmosphère autour de nous.

— Je me débrouillerai, ne t'en fais pas pour moi, répondis-je de mon ton le plus sec.

Je m'empressai de prendre la direction du Grand Hall mais il me rattrapa en une enjambée à peine.

— Attends Mackenzie, une seconde ! Je…

— Quoi encore ?

S'il espérait que j'étais intéressée par ses explications, l'hostilité dans ma voix, à coup sûr, lui démontra le contraire.

Il déglutit d'ailleurs, manifestement mal à l'aise.

— Je voulais te dire que je… je n'ai pas oublié Alice et Frank, dit-il quand même, après une profonde inspiration.

Malgré son menton légèrement enfoncé dans son cou, je croisai son regard voilé par la tristesse et sentis mon cœur cogner un peu plus fort encore dans mes oreilles. Ses yeux bleus étaient un ton plus foncé que ceux de Daniel mais je ne pus m'empêcher de penser à ce dernier et à la détresse que j'avais lu dans les siens plus tôt dans la soirée.

Là-bas, à Sainte-Mangouste, dans la chambre toujours si vide qui accueillait Alice et Frank depuis plus de douze ans.

— C'est bizarre, je ne t'ai pourtant jamais vu à leur chevet ces dernières années, ironisai-je donc, d'un ton acide. C'est quoi ton excuse ? C'est toi qui as hérité de la cape d'invisibilité de James et tu t'es caché dessous dans un coin pendant tout ce temps ?

— Quoi ? Non ! Je… C'est compliqué…

— Plus compliqué que d'aller rendre visite à James et Lily ? l'interrogeai-je, sans compatir à son ton douloureux.

Il n'y en avait ce soir que pour l'enclume qui écrasait mon estomac, tout en réussissant l'exploit d'obstruer également ma gorge, et qui semblait peser le poids de toutes les injustices qu'avaient subi Neville et Daniel.

Elles étaient si nombreuses qu'elle me faisait oublier tout le reste.

— J'imagine que tu vas souvent leur rendre visite à tous les deux, ajoutai-je froidement lorsqu'il ne répondit rien. Une fois par an au moins, je dirais ? Ou plutôt une fois par mois ? Ça serait dommage qu'ils croient que tu les as oubliés, après tout !

La façon dont il baissa la tête me parut être un aveu évident et malgré tout ce que me soufflait ma raison – que je ne pouvais pas lui en vouloir d'aller sur la tombe de deux de ses meilleurs amis, que je ne pouvais pas lui reprocher de les préférer à Alice et Frank –, ce constat ne fit que me faire serrer les poings encore davantage.

— C'est bien ce que je me disais, fut mon seul commentaire teinté de toute ma déception, avant de tourner à nouveau les talons.

Il ne tenta pas de me rattraper cette fois et seul le bruit démesuré de mes semelles écrasant le sol de pierres se répercuta sur les murs qui nous entouraient jusqu'à ce que je quitte le couloir.

– O –

Une fois dans le Grand Hall, sans davantage réfléchir à où j'allais exactement, ni tenter de convoquer des souvenirs que je n'avais pas envie de voir revenir me hanter, j'avalai les étages les uns après les autres jusqu'au septième, réalisai très vite que j'étais dans la mauvaise tour, traversai plusieurs couloirs au hasard, redescendis plusieurs volées de marches, visitai encore deux autres tours qui s'avérèrent vides de tout Troll et me retrouvai coincée sur un escalier qui me balada pendant quelques minutes d'un coin à l'autre du château.

Ces quinze minutes à errer eurent au moins l'avantage de faire refluer ma colère, suffisamment en tous cas pour faire face à Neville sans aggraver la situation.

L'inconvénient, toutefois, c'était que j'étais définitivement perdue.

En presque quatorze ans, j'avais eu le temps d'oublier ces couloirs que j'avais arpenté pendant sept années, comme le château avait eu des milliers d'occasions de se parer de nouvelles armures, de nouveaux tableaux et peut-être même de nouveaux passages.

Et puisque ma malchance ne faisait jamais les choses à moitié, chaque mètre carré que je foulais du pied s'avéra vide de la moindre âme vivante, aucun élève téméraire n'ayant décidé ce soir-là de braver le couvre-feu.

Ce fut du moins ce que je pensais jusqu'à ce que, redescendant prudemment les étages vers le Grand Hall, dans l'espoir de tenter une nouvelle fois une reconstitution du chemin vers cette maudite tour, j'aperçoive un groupe entier des plus téméraires d'entre eux, opportunément habillés tout de rouge et d'or.

Il y avait trois filles et trois garçons et leur tenue de Quidditch aussi bien que leurs airs lessivés et poisseux m'indiquèrent qu'ils revenaient d'une séance d'entraînement.

Je m'empressai de les rejoindre, à une vitesse telle que je fis sursauter plusieurs d'entre eux.

Ou bien était-ce seulement de voir bondir devant eux une femme qu'il n'avait jamais croisé nulle part auparavant ?

— Bonsoir, les saluai-je sans m'en soucier, en étirant mon sourire le plus affable. Désolée de vous avoir fait peur. Je cherche la salle commune des Gryffondors.

Cela ne fit – évidemment – qu'accentuer leur suspicion évidente.

— Pour quoi faire ? demanda la plus grande d'entre eux, une jeune femme noire aux sourcils présentement froncés.

— Et vous êtes qui, d'abord ? enchaîna celle qui se tenait juste à sa droite, beaucoup plus petite et d'origine indienne ou pakistanaise si j'en croyais sa carnation.

— On vous a jamais vu ici, fit remarquer la dernière, une brunette aux yeux clairs, en faisant glisser un regard scrutateur sur mon visage puis sur ma tenue, un peu trop quelconque pour receler le moindre indice.

— En plus, il est super tard, qu'est-ce que vous allez bien pouvoir faire là-bas ? conclut un des jeunes hommes, le plus âgé et leur capitaine, si j'en croyais en tout cas le blason supplémentaire qui ornait le côté gauche de sa robe.

Seuls les deux restants, deux rouquins que je reconnus immédiatement – et pas seulement parce que cette couleur semblait dans l'Angleterre sorcière n'appartenir qu'aux Weasley –, échangèrent un regard entendu avant de reposer les yeux sur moi.

— On s'est déjà vus quelque part, non ? vérifia l'un.

— Quelque part dans une cheminée en Égypte, il me semble, ajouta l'autre.

— Vous cherchiez Harry, renchérit le premier.

— Il avait fait exploser sa tante, termina le second.

Ils ricanèrent bêtement à ce souvenir qui, à mes yeux, n'avait toujours rien de très drôle, ce qui semblait également être le cas de leur capitaine, dont les sourcils se froncèrent brusquement dans leur direction puis dans la mienne.

Je leur offris tout de même un sourire.

— George et Fred, si je me souviens bien, dis-je en les pointant du doigt l'un après l'autre.

— Plutôt Fred, répondit celui de gauche, que j'avais appelé George, en se désignant avec un rictus moqueur.

— Et plutôt George, ajouta celui de droite, en imitant à la perfection son jumeau.

— Mais rien de grave, ne vous inquiétez pas.

— Notre propre mère nous confond aussi parfois.

— C'est agaçant, c'est vrai.

— Mais c'est la dure loi de la gémellité.

Les trois jeunes filles levèrent les yeux au ciel dans un bel ensemble devant cette mise en scène qui n'était certainement pas nouvelle mais ce fut le capitaine qui, ses yeux excessivement plissés sur moi, les interrompit en demandant :

— Vous êtes là pour Harry ?

Le ton était clairement alarmé et, même s'il tentait de le cacher sous un jour plus apaisé, personne ne fut dupe.

— Il est monté le premier pour échapper à ce lunatique qui nous oblige à nous entraîner tous les jours, m'expliqua l'une des filles dans un soupir fataliste. Parfois même la nuit. C'est déjà la nuit à vingt-trois heures, pas vrai ?

Pour bonne mesure, elle jeta un coup d'œil à sa montre – qui, si elle était à la même heure que la mienne, affichait certainement plus de vingt-trois heures –, écopant presque immédiatement d'un regard noir de son capitaine.

— C'est bientôt la fin du Tournoi et la finale, ce n'est pas le moment de relâcher nos efforts ! protesta-t-il d'un ton virulent. Il est hors de question que la Coupe revienne de nouveau aux Serpentards cette année ! Ou même l'année prochaine ! Et toutes les suivantes, tant qu'on y est !

— Tu seras même pas là pour le voir, rétorqua la brune en roulant des yeux.

— Et si ça se trouve, en cherchant à te fuir, Harry a encore provoqué une catastrophe et c'est pour ça qu'il est de nouveau recherché par le Ministère, intervint Fred d'un ton moqueur.

— Ça sera vachement plus difficile pour nous de gagner si le plus jeune et le plus talentueux attrapeur de l'école depuis un siècle est en prison, ajouta George avec un clin d'œil railleur.

Je ne goûtai pas davantage à cette blague, surtout face à cette information dont j'aurais aisément pu me passer.

Elle faisait refluer vers mon cerveau une quantité non négligeable de souvenirs dans lesquels James et Sirius se disputaient pour savoir laquelle de leur position au Quidditch – Poursuiveur ou Batteur – Harry allait décrocher dès qu'il arriverait à l'école.

Ma grimace passa cependant parfaitement inaperçue, face à la réaction disproportionnée que ces plaisanteries provoquèrent chez leur capitaine.

Ses yeux s'écarquillèrent au point que je redoutais un instant qu'ils se détachent du reste de son visage et, dans un geste qui me prit totalement de court, il se saisit de mes mains avec une épouvante qui me parût incroyablement sincère mais extrêmement inappropriée.

— Vous ne pouvez pas arrêter Harry et le jeter en prison !

— Je…

— On a besoin de lui et de ses talents !

— Ce n'est pas…

— Sans lui avec nous, l'équipe toute entière est perdue !

Si les jumeaux Weasley s'esclaffèrent face à cette dramatisation qui semblait plutôt habituelle – c'était tout du moins ce que je déduisais de l'air blasé de ses camarades qui ne paraissaient pas plus étonnés que ça de sa réaction –, elle lui valut un coup de coude violent dans les côtes de la part de la plus grande des jeunes filles.

— Merci pour nous, Dubois !

— Et pour Harry, ajouta une de ses amies, d'un ton réprobateur. Il serait ravi d'apprendre que la seule chose qui te manquerait chez lui s'il venait à être emprisonné est son talent au Quidditch !

Le jeune homme en perdit quelques secondes sa contenance, bafouillant des mots qui n'avaient pas de sens et des phrases qu'il ne terminait pas, et j'en profitai pour dégager mes mains des siennes et reculer d'un pas, par sécurité.

Les joueurs de Quidditch étaient des spécimens dangereux, j'en étais convaincue depuis que j'avais rencontré mon frère.

Celui qui me faisait aujourd'hui face n'abandonna l'idée de présenter des excuses à ses camarades qu'en constatant que leurs rictus ne cessaient de s'agrandir de raillerie.

— Qu'est-ce que Potter a fait, cette fois ? reprit-il avec un soupir, en reportant son attention sur moi. J'espère qu'il ne s'est pas fourré dans une nouvelle situation improbable.

— Ça serait quand même cool s'il pouvait nous débarrasser d'un autre professeur en l'acculant dans une pièce souterraine après avoir passé avec brio les obstacles dressés par le corps professoral pour cacher la pierre philosophale, intervint le premier Weasley, avant que je ne puisse ouvrir la bouche.

— Et encore plus cool si le professeur en question était Rogue, l'approuva la brunette avec un sourire rêveur.

— Si ça se trouve, il a juste découvert une autre chambre des secrets contenant un monstre sanguinaire à qui il va aussi faire la peau ! surenchérit le deuxième jumeau avec un grand sourire.

— En nous débarrassant au passage d'un autre prof incompétent. Je vote pour Rogue aussi !

— Ou alors, il a croisé Sirius Black, a réussi à le mettre hors d'état de nuire et est maintenant recherché pour être interrogé. J'ai bon ?

Le ton un peu trop léger avec lequel la petite indienne avait exprimé cette hypothèse figea mon cœur dans un battement et je dus me racler la gorge pour conserver un air aimable et répondre :

— Je ne suis pas là pour Harry. Je viens voir Neville Londubat.

— Oh, expira le capitaine d'un air franchement soulagé, avant de froncer à nouveau les sourcils. Vous êtes sûre ?

— Certaine. Neville est mon neveu et il faut que je le vois pour… euh, une affaire de famille, hasardai-je, pour ne pas avoir à leur préciser la véritable raison.

Le mention de Sirius Black risquait, j'en étais convaincue, de les relancer dans des spéculations que je ne souhaitais pas entendre.

— Et vous vous appelez comment ? vérifia-t-il encore, sans doute moins pour s'assurer que je n'étais pas une psychopathe venue kidnapper un de ses camarades qu'il ne connaissait probablement pas, que pour pouvoir ratisser le pays et me retrouver s'il me venait à l'idée de m'en prendre à son précieux attrapeur.

Ce qu'il ne pouvait pas deviner, c'est que j'avais beaucoup trop de reproches à me faire s'agissant de Harry – et de cette vie rythmée par les catastrophes qu'il semblait mener – pour avoir le courage de m'approcher de lui de moi-même.

— Mackenzie Atkinson, répondis-je donc, en espérant mettre fin à cet interminable interrogatoire.

Je fus déçue – et alarmée – lorsque ses yeux s'agrandirent encore plus que quelques minutes plus tôt.

Atkinson ? répéta-t-il, d'une voix incrédule. Oh Merlin, vous ne seriez pas de la même famille qu'Adrian Atkinson par hasard ? L'entraîneur de l'équipe des chauves-souris de Ballycastle ?

Un reniflement excédé manqua de m'échapper.

Évidemment qu'il avait entendu parler d'Adrian.

Comment avais-je pu ne pas l'anticiper ?

— C'est mon frère. Vous voulez un autographe ?

Il pencha la tête vers la gauche puis vers la droite, en battant des mains avec enthousiasme.

Ses pupilles jusqu'ici banalement marrons semblaient désormais dévorées par une flamme orange fiévreuse.

— Oui, pourquoi pas ! Vous pourriez aussi lui parler de moi, lui remémorer mon existence ? Il était venu voir un match cette année et ça ferait pas de mal qu'il s'en souvienne avant de sélectionner ses nouveaux joueurs aspirants !

— T'as pas déjà reçu une proposition de la part de Flaquemare ? s'étonna l'une de ses coéquipières.

Chhhhut ! Ce n'est pas encore officiel ! la réprimanda-t-il en baissant d'un ton, ses yeux cherchant dans le couloir vide la moindre personne – vivante ou morte – qui pourrait aller colporter ses secrets. Et en attendant, je peux encore prospecter d'autres clubs. Vous pourriez lui parler ?

Je laissai échapper le soupir lourd qui m'obstruait la gorge, tout en hochant la tête.

— Je lui écrirai, promis-je avec réticence. A condition que vous me conduisiez enfin dans votre salle commune.

— Avec plaisir, Madame Atkinson ! s'empressa-t-il de s'exclamer, en me faisant signe de le suivre.

En quelques minutes à peine, passant par des couloirs que je n'avais même pas aperçu ou que j'avais boudé, nous nous retrouvâmes entourés par des Trolls à la mine patibulaire, devant le portrait de la Grosse Dame.

Il n'avait pas changé, malgré l'incident d'Halloween qui l'avait défiguré, mais quelque chose dans sa posture et son regard rendaient son personnage un peu plus grave.

Heureusement, Olivier Dubois – qui avait passé les cinq minutes qu'avait duré notre trajet à se présenter et à me résumer son parcours de joueur – s'avéra aussi persuasif qu'avait pu l'être Black quand il s'agissait de faire entrer une étrangère dans sa maison et je me faufilai bientôt à l'intérieur.

Les mêmes tapisseries écarlates recouvraient les murs, les mêmes fauteuils et canapés moelleux envahissaient tous les coins et la même cheminée immense se dressait dans le fond, entourée pour l'heure de plusieurs groupes d'élèves qui discutaient, leurs conversations parfois entrecoupées par de grands éclats de rire ou de non moins bruyants éclats de voix.

Après avoir instinctivement cherché parmi eux Anna et Neville, je m'en détournai, de peur d'y voir s'y superposer des visages qui avaient depuis bien longtemps déserté les lieux.

Mon tour d'horizon rapide des tables, qui ne semblaient accueillir en ce vendredi soir que des élèves de cinquième et septième années débordés, fut tout aussi infructueux.

— Peut-être que Neville est dans son dortoir ? fit Dubois, en suivant mon regard. Je peux aller le chercher, si vous voulez !

Je secouai la tête avant d'avoir eu le temps de me raisonner, peu enthousiaste à l'idée qu'il revienne ensuite pour me donner de nouvelles informations qui pourraient intéresser mon frère.

J'en savais désormais assez sur son poids, sa taille, son régime alimentaire, son parcours scolaire, ses meilleurs arrêts, ses plus beaux matchs et le nombre de fois où il avait été blessé pour pouvoir écrire le début de sa biographie.

— Je peux me débrouiller toute seule à partir d'ici, merci.

— Les dortoirs des garçons sont de ce côté, si jamais vous vous perdez, ironisa l'un des jumeaux en pointant l'un des escaliers en colimaçon qui s'élevaient vers les hauteurs.

— Bonne soirée Madame Atkinson, me salua le reste de l'équipe, qui d'un air encore perplexe, d'autres avec un sourire aimable.

— Et n'oubliez pas votre promesse, surtout ! me rappela pour la quinzième fois leur Capitaine.

Ce ne fut que lorsqu'ils disparurent que je me rendis pleinement compte de ma situation : j'étais une adulte totalement inconnue dans une salle pleine d'élèves de tout âge et si être entourée de la quasi-totalité de l'équipe de Quidditch m'avait protégée de leur curiosité pendant quelques minutes, ce n'était plus le cas maintenant que j'étais plantée au milieu de la pièce, hésitante.

Les premières secondes, il n'y eut qu'un ou deux regards, d'abord celui d'un élève qui leva les yeux d'un devoir quelconque dans l'espoir de trouver une occupation plus réjouissante pendant un instant, puis celui d'une gamine qui descendait les escaliers menant aux dortoirs des filles et qui se figea en m'apercevant. En moins d'une minute cependant, et par la force de ce vent puissant qui colportait à Poudlard les nouvelles plus vite encore que le Magicobus ne se débarrassait de ses clients, je me retrouvai noyée sous le poids des yeux scrutateurs qui pesaient sur moi et des murmures qui se répercutaient d'un bout à l'autre de la pièce.

Personne n'osa pourtant s'approcher de moi, jusqu'à ce que quelqu'un, à ma gauche, ne demande :

— Vous venez voir Neville ?

La voix – féminine – n'était pas totalement désagréable mais quelque chose dans son ton me fit songer qu'elle était – au moins un peu – soupçonneuse.

En me tournant vers elle, je découvris qu'elle appartenait à une jeune fille dont les épais cheveux bruns ébouriffés masquaient une partie du visage. Elle occupait à elle toute seule une table, que j'avais d'abord cru désertée en pleine session de travail par tous les étudiants qui y avaient élu domicile tant elle était remplie de livres. Il y avait plusieurs volumes de Métamorphoses, quelques dictionnaires et un manuel de Runes, un livre d'interprétations des rêves que j'avais beaucoup trop vu entre les mains de Desdemona à une époque, plus de deux traités d'Arithmancie, au moins quatre livres de Sortilèges et un livre indéterminé qui grognait à intervalles réguliers malgré le rouleau de papier collant qui l'entourait.

Un seul sac était pourtant jeté par terre au pied d'une chaise et, à l'exception notable d'un gros chat à l'épaisse et foisonnante fourrure orange affaissé sur un coin de table, ses pattes nettement arquées et son nez étrangement écrasé, personne ne lui tenait compagnie.

J'en étais à scruter les cernes gris cendre et démesurément grandes qui descendaient sur ses joues tirées quand elle se racla la gorge d'un air impatient, m'obligeant à remettre à plus tard cet examen indiscret.

— Oui, je cherche Neville, acquiesçai-je. Vous savez où je peux le trouver ?

— Pourquoi ?

— Pourquoi est-ce que vous pourriez savoir où je pourrais le trouver ? me fis-je préciser, en levant un sourcil perplexe. Parce que vous avez l'air de le connaître.

— Non, rétorqua-t-elle d'un ton excédé. Pourquoi est-ce que vous cherchez Neville ?

— Je dois lui parler, indiquai-je simplement. Une affaire privée.

Ses lèvres se pincèrent avec une froideur que je ne pensais pas mériter et, d'un geste brusque, elle repoussa le livre – de Défense contre les forces du mal – sur lequel elle était jusqu'ici penchée.

— Vous travaillez au Ministère, n'est-ce pas ? m'interrogea-t-elle de but en blanc. Au Département de la Justice magique.

La dernière phrase avait été prononcée comme un constat irréfutable et, par réflexe, je baissai les yeux vers mes vêtements, et en particulier ma cape. En quittant mon appartement ce soir, j'étais certaine de ne pas avoir pris celle sur laquelle était épinglé le badge qui me permettait de me promener au Ministère sans être embêtée – ce qui aurait été d'un goût douteux, surtout pour mon rendez-vous avec Terrence – et cet instant d'hésitation me le confirma.

La jeune fille m'observait cependant avec une certitude inébranlable, les bras désormais croisés sur sa poitrine.

— Je ne pensais pas que c'était le genre d'informations qui se devinent juste en m'apercevant, plaisantai-je, dans l'espoir de détendre une atmosphère qui me paraissait inutilement hostile.

Elle roula des yeux, sans même se fendre d'un léger sourire.

Pire encore puisque son visage manifestement fatigué se teinta d'une couche d'animosité supplémentaire.

— J'ai entendu les joueurs de l'équipe vous appeler Madame Atkinson et j'ai vu votre nom dans la Gazette du Sorcier à plusieurs reprises ces derniers mois. Vous gérez l'affaire Sirius Black.

L'explication avait l'avantage de la logique, même si je n'avais connu presque aucun élève à mon époque – exception faite de Daniel et peut-être de Regulus – qui soit suffisamment intéressé par les journaux pour les lire entièrement et en retenir les plus infimes détails.

Car mon nom, j'en étais certaine, n'était pas apparu en première page ou au cœur des articles alarmistes de Rita Skeeter, qui préférait le plus souvent m'y désigner comme « l'une des enquiquineuses du Ministère ».

Cette gamine avait dû lire minutieusement chacune des pages du journal – ou peut-être seulement celles concernant Sirius Black – pour réussir à retenir un nom qui n'y avait été inscrit noir sur blanc qu'une ou deux fois tout au plus.

Je n'eus d'autre choix de lui confirmer l'information, dans un hochement de tête laconique.

— C'est vrai, je travaille au Ministère, notamment sur l'affaire Black.

Il y eut plusieurs murmures excitées non loin – notre conversation n'échappait à personne, j'en avais conscience – et même le gros chat, qui papillonnait jusqu'ici des paupières avec paresse, se redressa brusquement et bondit sur le bord de la table entre sa maîtresse et moi.

Ses pupilles me transpercèrent d'un regard qui me parut presque trop perspicace mais la jeune fille le ramassa d'un geste agacé pour le reposer plus loin.

— C'est pour ça que vous êtes là ? s'enquit-elle ensuite, tout aussi sévèrement. Pour Sirius Black ?

Puis, sans me laisser le temps de répondre, elle contourna brusquement le meuble qui nous séparait, se planta devant moi et ajouta, d'une voix accusatrice :

— Comment ça se fait que vous ne l'ayez toujours pas attrapé ? Ce n'est pas normal ! Il est extrêmement dangereux ! Il a failli… Il aurait pu… Ron et Harry…

La fin de sa phrase mourut dans un sanglot inattendu, qu'elle s'efforça de contenir en hoquetant une série de mots hachés que j'eus le plus grand mal à saisir. Les larmes qui gonflaient ses yeux et les noms de ses deux camarades m'en apprirent cependant suffisamment sur ce qui la tourmentait et je sentis ma gorge se serrer douloureusement.

— Je suis désolée, commençai-je un peu maladroitement, en tendant une main toute aussi incertaine vers son épaule.

Elle bondit en arrière avant que je ne puisse l'y poser, alors que je m'apprêtais à baragouiner une phrase affligeante de banalité, quelque chose comme « je sais à quel point c'est frustrant… ».

— Sans vouloir vous offenser, Madame Atkinson, je m'en fiche complètement de vos excuses, m'interrompit-elle avec colère, en utilisant sa manche pour essuyer ses yeux et mieux retrouver son opiniâtreté. Si Black n'est toujours pas derrière les barreaux, c'est de votre faute, à vous et à vos collègues ! Vous ne pouvez pas blâmer Neville.

Interloquée, j'en perdis pendant quelques secondes ma capacité à répondre.

Pourquoi tous les élèves que je croisais aujourd'hui pensaient que j'en avais après des enfants dont j'avais eu l'occasion de changer les couches à une époque pas si lointaine que ça ? Des enfants dont les rires candides et les sourires innocents avaient illuminé quelques-unes des soirées les plus obscures de ma vie ?

— Il a perdu une liste de mots de passe, et alors ? en profita-t-elle pour continuer, la voix vibrante d'indignation, en dégageant d'une main tremblante et tâchée d'encre les cheveux qui tombaient sur ses yeux. Ça ne veut pas dire qu'il est responsable de ce qui s'est passé ! Vous n'avez pas le droit de le punir pour rien ! La punition que lui a infligé le professeur McGonagall est déjà assez injuste comme ça ! Je ne vous laisserai pas l'interroger et lui faire croire qu'il a quelque chose de plus à se reprocher !

Et comblant la distance qui nous séparait d'un pas définitif, elle se planta devant moi, les bras croisés et la mâchoire serrée, manifestement déterminée à m'empêcher d'avancer davantage dans la Salle commune.

Il n'en fallut pas plus à mon cœur pour fondre sous une vague de tendresse pour cette inconnue qui paraissait prête à défendre mon neveu avec autant de hargne et de témérité que moi, et ce malgré les regards moqueurs qui pesaient sur elle d'un bout à l'autre de la pièce, accompagnés de quelques rires que je me surpris à faire taire d'un coup d'œil assassin.

J'aurais presque pu céder à mon envie de la serrer dans mes bras pour la remercier, au risque de me prendre un coup de pied dans le tibia, si un cri d'excitation, depuis les escaliers qui me faisaient face, ne nous avait pas tirés toutes les deux de notre conversation dans un sursaut.

— Maman ! s'écria une voix qui, par un phénomène magique que je peinais encore à comprendre, me fit oublier tout le reste.

Cette jeune fille qui paraissait considérer Neville comme un camarade suffisamment important pour se dresser contre une figure d'autorité du Ministère, alors même qu'il m'avait affirmé un jour que personne dans sa classe ne le considérait vraiment comme un ami.

Les autres élèves qui observaient la scène avec de plus en plus de perplexité, se tordant presque le cou pour voir qui avait hurlé ainsi un mot qui n'avait certainement pas sa place ici.

Il n'y en avait que pour Anna, le grand sourire qui fendait son visage en deux, l'écart entre ses dents de devant qui m'avait tant manqué, ses pieds nus qui dépassaient d'un pyjama orné d'étoiles qui commençait à être beaucoup trop court pour ce corps qui me semblait considérablement grandi, et ses cheveux rassemblés en une tresse lâche pour ne pas qu'ils la dérangent pendant son sommeil.

Lorsque son regard croisa le mien, le caramel de ses yeux qu'elle tenait de moi s'illumina et elle sauta les quatre marches qui la séparaient du sol d'un bond.

Encore quelques bonds et je la réceptionnai dans mes bras.

— Salut mon trésor, lui chuchotai-je tandis qu'elle me serrait contre elle à m'en étouffer, acceptant mes baisers sans rechigner, me les rendant même en double. Je me trompe peut-être mais j'ai l'impression que tu es contente de me voir.

Le dernier bisou qu'elle déposa sur mon front avant de se détacher de moi en fut une confirmation.

— Trop contente ! Mais qu'est-ce que tu fais là ? Pourquoi tu m'as pas dit que tu venais ? Quand Romy est montée pour dire qu'il y avait une femme bizarre dans la salle commune et qu'un garçon lui avait dit que c'était la tante de Neville, je pensais que c'était une blague complètement nulle ! Je suis trop contente que ça soit pas une blague !

Et elle replongea le nez dans mon cou avec un petit rire, s'attirant quelques œillades teintées d'autant de moquerie que de jalousie, me laissant m'étonner seule de la vitesse à laquelle les rumeurs pouvaient courir dans ce coin du monde.

Lorsqu'elle me lâcha de nouveau, je remarquai que l'amie de Neville – ou ce qui s'en rapprochait très sensiblement – nous regardait avec des yeux arrondis de stupeur.

— Vous… vous êtes la mère d'Anna ? s'enquit-elle, d'une voix tout à coup plus timide.

— Il paraît, lui souris-je avec indulgence.

— Et la tante de Neville ?

— Selon les lois propres à notre famille, confirmai-je à ma manière.

— Vous ne venez pas l'interroger alors ? vérifia-t-elle encore, les joues si rouges qu'elle en paraissait presque moins épuisée.

— Pas sur cette liste de mots de passe maudite, en tous cas.

A ce stade de son interrogatoire, elle baissa les yeux vers ses chaussures dans un « Oh Merlin » teinté d'une gêne évidente.

Je n'eus toutefois pas le temps de la rassurer, ni elle de m'offrir ses plus plates excuses, puisqu'Anna, qui observait jusqu'ici notre échange les sourcils froncés, tira sur le bas de mon chemisier pour attirer mon attention.

— T'es venue pour Nev', maman ? Papa a reçu ma lettre ? Et il t'en a parlé ?

— Bien sûr qu'il m'en a parlé, répondis-je, un peu étonnée par la question. Tu veux bien aller le chercher, s'il te plaît ? Et enfiler des chaussures ou au moins des chaussettes au passage ? Marcher pieds nus dans ce château est le meilleur moyen de gagner un aller express pour l'infirmerie de Pomfresh, dont la potion la plus célèbre reste cette bonne vieille Pimentine.

Elle se fendit d'une moue écœurée à cette idée – un père guérisseur et radicalement anxieux lorsqu'il s'agissait de la santé de son unique enfant lui avait valu d'en avaler beaucoup trop de litres – mais hocha sagement la tête, avant de s'élancer en courant dans l'escalier en colimaçon qui menait à son dortoir.

Sa silhouette avait à peine disparu dans le tourbillon qui s'élevait vers les étages supérieurs de gauche qu'une autre, tout aussi familière et un peu plus grande, fit son apparition sur les marches de droite, l'air manifestement perturbé.

Plus raisonnable que sa cousine, Neville avait, de son côté, pris le temps d'enfiler des chaussures et même une robe par-dessus son pyjama.

— Tatie ? s'assura-t-il d'une voix timide, en s'arrêtant prudemment en bas des escaliers.

— En chair et en os, lui souris-je, en ouvrant les bras. Comment ça va, mon grand ?

Marmonnant un « Très bien » mécanique, il jeta un coup d'œil incertain vers la jeune fille qui se tenait toujours à mes côtés, laquelle sortit de sa torpeur dans un sursaut. Après une œillade paniquée dans ma direction, elle s'empressa d'aller se cacher derrière la pile précaire de livres qu'elle avait construit sur sa table, comme si j'allais subitement décider de dénoncer son forfait à son camarade.

Je tentai de la rassurer d'un regard tandis que Neville se réfugiait maladroitement contre moi pendant quelques très courtes secondes, mais elle baissa la tête, cachant définitivement son visage rouge pivoine sous une forêt de boucles désordonnées.

— Qu'est-ce que tu fais là ? m'interrogea mon neveu, lorsqu'il se détacha de moi. Est-ce que tout va bien ? Oncle Dan ?

— Daniel va bien et moi aussi, le rassurai-je immédiatement. J'avais juste envie de vous rendre visite à toi et à Anna.

Ses yeux firent état de son scepticisme mais il était bien trop poli pour me le dire ouvertement.

— Et tu… Est-ce que tu as vraiment le droit d'être ici ? formula-t-il avec diplomatie.

— Tant qu'aucun article du règlement intérieur ne l'interdit, je pense que oui. Le directeur avait l'air d'être d'accord, en tout cas.

Je lui épargnai les nombreux détails qui entourait cet « accord », comme le fait que j'avais déclenché les alarmes du château en tapant du poing sur une porte, crié sur tous ses enseignants, fait un croche-pied à son professeur de potions et mis le fameux directeur devant le fait accompli.

Il pâlit pourtant aussi vite que si je lui avais tout avoué.

— Tu… tu as vu le professeur Dumbledore ? Il… Vous avez parlé de quoi ?

Son inquiétude était si palpable, dans ses mains qui se tordaient avec nervosité et ses jambes qui se balançaient avec angoisse, que je regrettais presque ma décision de venir jusqu'ici.

La traînée de couleurs qui descendit les escaliers menant aux dortoirs des filles et traversa la pièce à la vitesse d'une étoile filante me donna une excuse pour ne pas répondre à sa question et le rendre encore plus misérable.

— Hey Nev', t'es déjà là ! s'exclama Anna avec enthousiasme, quand elle se stabilisa devant nous dans un freinage de dernière minute – d'extrême dernière seconde même. Qui t'a prévenu ?

— Olivier Dubois. Il m'a dit de te dire ne pas oublier ta promesse, Tatie.

Je levai les yeux au ciel avec désespoir, avant de les poser, sans autre préambule, sur les pieds désormais chaussés de ma fille.

— Je peux savoir d'où viennent ces baskets ? lui demandai-je, même si je connaissais déjà la réponse.

Leur couleur doré éclatante témoignait d'une attention aux goûts d'Anna qui ne pouvait émaner que d'une personne de mon entourage également passionnée par le sport et le Gronian ailé qui était dessiné sur la languette arrière confirma mon hypothèse.

— Euh… de mon dortoir ? tenta cependant ma progéniture, avec un sourire ingénu.

— Et avant ça ?

— De ma valise ?

— Remonte encore un peu plus le temps.

— Je crois bien qu'elles étaient dans ma chambre à la maison.

Anna, la prévins-je d'une voix menaçante.

Admettant avec réticence sa défaite, elle courba légèrement la tête dans une grimace.

— Ok, d'accord, c'est Tante Riley qui me les a donnés pour Noël ! C'est le nouveau prototype de son usine, elle voulait que je les essaie et elles sont trop cools, elles vont dix fois plus vite que les Hermès qu'elle vend en ce moment ! Promis, elles sont pas dangereuses !

— Ça reste à prouver. Tu te souviens de la règle n°1 lorsqu'il s'agit des chaussures que fabrique Riley ? Elle est simple et je te l'ai répétée plusieurs dizaines de fois.

— Ne jamais les accepter, et pire encore, les enfiler, sans t'avoir laissé vérifier avant qu'elles sont sans danger, récita-t-elle d'un ton monocorde. Mais pourquoi tu fais pas confiance à Tante Riley ? Elle fabrique des chaussures depuis des années et tout le monde adore ce qu'elle fait ! C'est ton amie, tu devrais être la première à croire en elle !

Le discours ressemblait étrangement à ce que Riley elle-même ne cessait de me répéter lorsque je faisais mine de vérifier la sécurité de ses inventions et je me demandais si elle n'avait pas pris soin de faire apprendre à Anna ce plaidoyer culpabilisateur que je connaissais par cœur avant de lui offrir, dans mon dos, son nouveau modèle de chaussures.

Ce qu'elle n'avait pas dû préciser à ma progéniture, cependant, c'était que j'avais été aussi son premier cobaye à mon insu, ce qui expliquait ma méfiance lorsqu'il s'agissait des baskets que fabriquait Riley.

Même avec cette information, ma fille n'en aurait pourtant pas moins été acquise à sa cause, j'en étais convaincue.

Car quelle enfant ne rêverait pas d'avoir une « tante » – ou ce qui s'en rapprochait le plus – dont le métier était de confectionner des chaussures capables de la faire courir aussi vite que le dieu Hermès, voler plus haut encore que le jeune Icare, marcher sur l'eau à la manière de Jésus ou fendre les flots comme l'avait fait Moïse ?

Depuis qu'elle avait commencé à les commercialiser, environ cinq années plus tôt, chaque nouveau modèle au nom d'un héros grec ou d'une figure religieuse moldue qu'elle réalisait trouvait aussitôt son public et les quelques améliorations qu'elle y apportait à chaque rentrée ne faisaient que confirmer son succès.

Il était tel qu'elle avait fini par ouvrir une usine de fabrication dans le Nord de l'Irlande, qu'elle avait le loisir d'abandonner à ses fidèles employés sans risquer la banqueroute, comme en témoignaient les derniers mois qu'elle avait majoritairement passé chez moi.

— Être fière de Riley ne signifie pas nécessairement lui abandonner tous mes choix d'éducation, fis-je remarquer à Anna. Tu aurais dû m'en parler avant de les accepter et, plus encore, de les apporter ici.

— T'aurais jamais voulu que je les ramène ! protesta-t-elle.

— Parce qu'elles sont sans doute interdites par le règlement et que je préférerais que tu évites de passer des heures en retenue pour rien.

— Oh, tu sais, je cours tellement vite quand je les porte qu'aucun professeur ne serait capable de me rattraper ou de me reconnaître ! Et ne parlons même pas de Rusard et de sa stupide chatte !

C'était la plus mauvaise réponse qu'elle aurait pu m'offrir, et ce d'autant plus qu'elle l'avait ponctuée d'un petit rire d'une légèreté qui ne pouvait que m'alarmer quant au nombre de lettres que McGonagall serait amenée à m'adresser dans les années à suivre.

Je le lui fis comprendre en pinçant les lèvres et en fronçant les sourcils de mon air le plus sévère, celui qui précédait le plus souvent une punition et qui la poussa à ajouter, très vite et sans réfléchir :

— De toute façon, t'es pas venue pour mes chaussures, non ? Je croyais que tu voulais parler à Neville et tu l'ignores complètement !

Je sus que cette tentative désespérée pour éloigner momentanément ce sujet dangereux avait fonctionné lorsque je vis, dans la périphérie de mon champ de vision, le concerné sursauter. Les conséquences furent toutefois beaucoup plus importantes que ce qu'elle s'était probablement imaginée puisqu'après avoir écarquillé les yeux avec l'air d'un lapin pris entre les phares d'une voiture et avoir croisé mon regard inévitablement compatissant, les traits du visage de Neville se contractèrent sous l'effet d'une colère inattendue et qu'il tourna exclusivement vers Anna.

— T'avais promis de rien leur dire !

La hargne dans sa voix était si manifeste que ma fille recula d'un pas, en se décomposant à son tour.

— Je ne…

— Non ! l'interrompit-il, d'une voix accusatrice. Je t'avais demandé de rien raconter de ce qui s'était passé à Oncle Dan et Tatie et t'avais juré que tu le ferais pas ! T'as juré et tu l'as fait quand même !

— Mais tu…, tenta encore Anna, les larmes aux yeux, en essayant courageusement de se rapprocher de lui.

Il écarta la main qu'elle tendit dans sa direction, avec une brusquerie qui ne lui ressemblait pas.

— Je m'en fiche de tes excuses ! Laisse-moi tranquille !

Et sans un mot de plus, à peine un regard définitivement mouillé et blessé, il s'échappa en courant par le passage dans mon dos, qui claqua dans la salle commune tout à coup silencieuse.

Il n'en fallut pas plus à Anna pour fondre en larmes, presque littéralement.

Son visage, qui me paraissait être le plus joli et le plus harmonieux visage du monde, se tordit dans une expression de détresse que je lui avais rarement vu et disparut bientôt sous les torrents d'eau et de morve qui se mirent à couler de ses yeux et de son nez.

Hoquetante, elle essaya quand même de m'expliquer quelque chose mais ses mots semblaient se noyer sous la même inondation lacrymale et elle abandonna finalement quand je l'attrapai par les épaules pour la serrer dans mes bras. Son corps tremblant vint percuter le mien et elle colla sa tête si fort contre mon ventre que je la soupçonnai pendant un instant de vouloir retourner se lover entre mes organes, là où personne ne pouvait lui faire de mal.

C'était ce que j'avais moi-même secrètement souhaité chaque fois qu'elle était secouée d'un gros chagrin comme celui-ci, et encore plus maintenant qu'il était causé par l'incompétence de l'équipe professorale qui l'avait justement sous sa responsabilité.

Peut-être qu'il existait un sort qui me permettrait de lui épargner toutes les peines du monde, songeai-je, en caressant tendrement ses cheveux jusqu'aux lobes de ses oreilles, dans un geste qui l'avait toujours apaisée.

Ou peut-être que Daniel accepterait de la déscolariser, quitte à devoir se coller lui-même à son éducation à domicile. Je sentais que c'était le moment parfait pour leur proposer à tous les deux de vivre en autarcie dans une ferme au fin fond d'un pays lointain, en kidnappant au passage Neville pour le faire échapper lui aussi à cet environnement néfaste. Nous élèverions nos propres animaux et cultiverions notre propre potager, dans un paradis bucolique et en paix, où personne ne pourrait jamais nous trouver.

C'était un plan parfait, qu'Anna ne pourrait qu'accepter : elle aimait les animaux, elle aimait la nature, elle aimait son père et Neville.

Il me suffisait juste de le lui proposer.

— Tout va bien se passer, lui chuchotai-je pourtant à la place quand je sentis – plus que je n'entendis – ses reniflements s'espacer contre mon ventre. C'est promis.

Elle renifla encore, sans que je sache si d'autres larmes venaient de s'écraser sur mon chemisier d'ores et déjà trempé.

— Il… il… me… me… déteste, hoqueta-t-elle d'une voix faible.

— Le jour où Neville te détestera marquera aussi le jour où Daniel ne m'aimera plus du tout, répondis-je avec ironie.

Elle y fut parfaitement insensible, s'écartant brusquement de moi avec horreur.

— Quoi ?! s'alarma-t-elle, scandalisée – et un peu effrayée aussi, je ne pus l'ignorer. C'est pas possible ! Papa t'aimera toujours !

J'esquissai un sourire.

— Et Neville t'aimera encore plus fort et encore plus longtemps. Et s'il essaie d'arrêter un jour, on lui fera boire un filtre de cousinade, tiens ! Ça empêche quiconque l'avale de rompre les liens avec sa cousine préférée.

Elle fronça le nez, peu convaincue.

— Ça existe pas ton truc, j'en suis sûre.

Je m'efforçai de maintenir mon air le plus mystérieux tandis que j'essuyais son visage avec un bout de ma robe et terminais en passant mes pouces sous ses yeux rougies.

— Mais s'il veut pas me pardonner, on l'inventera, d'accord ? souffla-t-elle d'une toute petite voix, ses iris de nouveau embués.

Je recueillis les nouvelles perles d'eau sur ses cils du bout de mon index et hochai la tête avec solennité.

— Je ne pense pas qu'on en aura besoin de sitôt mais promis, juste au cas où.

Elle me remercia maladroitement et se détacha définitivement de moi, pour réajuster son pyjama, passer un doigt incertain sous son nez puis vérifier l'état de sa tresse, dont elle fourra bientôt l'extrémité dans sa bouche avec nervosité.

— Au début, je voulais pas vous le dire, tu sais, je voulais tenir ma promesse, me révéla-t-elle. Il s'est fait gronder devant tout le monde par McGonagall, et j'ai rien dit, il est resté enfermé dans son dortoir tout triste pendant presque tout le weekend, et j'ai rien dit, il a été obligé de passer des heures avec les Trolls quand je terminais les cours après lui et que j'étais pas là pour lui donner le mot de passe, et j'ai encore rien dit, il y avait des gens qui se moquaient de lui et j'avais envie de les taper et de leur jeter des sorts et je l'ai pas fait et j'ai même rien dit ! Mais quand sa grand-mère… cette vieille… cette vieille…

— Pas d'insultes avant tes dix-sept ans, lui rappelai-je un peu mollement, juste pour le principe.

Elle me fusilla du regard, les joues virant brusquement à un rouge vermillon du plus bel effet.

— Elle lui a dit que c'était la honte de sa famille ! explosa-t-elle avec indignation. La honte de sa famille, tu te rends compte ? C'est elle la honte de sa famille ! Si elle veut pas de lui dans sa famille, nous on le prend et ça sera la fierté de la nôtre !

— Tu sais bien que ce n'est pas aussi simple que ça, mon trésor, lui dis-je tristement.

— Eh ben, c'est pas juste ! A cause d'elle, il a pleuré pendant des heures ! Je la déteste ! Elle le mérite pas !

Tout dans son ton, sa posture, son regard me rappelait Daniel et j'aurais presque pu en sourire si le sujet s'y était davantage prêté.

— J'ai moi aussi beaucoup de choses à reprocher à Augusta, l'approuvai-je doucement. Mais c'est la grand-mère de Neville, il l'aime beaucoup même si elle est parfois trop sévère avec lui et je ne crois pas qu'il serait très content de t'entendre dire tout ça.

— Je l'ai jamais dit devant lui, je suis pas complètement bête, marmonna-t-elle, dans une moue vexée.

— Je compte sur toi pour continuer à ne pas le dire, alors. On va descendre le chercher avant qu'il ne croit qu'on l'a oublié.

J'attrapai sa main pour me diriger vers la sortie mais elle résista un peu, les traits grimaçants d'appréhension.

— Tu devrais y aller toute seule, comme il a dit qu'il voulait pas me parler…

Sa voix un peu brisée lui donna droit à un baiser sur le sommet du crâne.

— Parfois, quand on est en colère, on dit des trucs qu'on ne pense pas et c'est jamais bon de laisser les choses pourrir sans s'expliquer. Crois-en ma vieille expérience.

Elle parût sceptique, comme à chaque fois que je faisais référence à un savoir obscur qui n'avait aucune tangibilité pour elle, mais je n'ajoutai aucun exemple.

Lui raconter dans le détail les conséquences qu'avaient eu mes disputes avec Sirius, Daniel et la plupart de mes ami.e.s quand j'étais en sixième année risquait de nous mener sur des chemins dangereux et ne serait certainement pas capable de la rassurer.

Avec un soupir, elle finit par céder.

— D'accord mais s'il veut pas me pardonner, je rentre avec toi à la maison, déclara-t-elle tout de même, catégorique. Poudlard sans Neville, ça sert à rien.

Je me contentai de la pousser devant moi avec un rire, incapable d'être suffisamment de mauvaise foi pour ne pas reconnaître dans cette tendance au mélodrame un trait de caractère que je partageais moi-même avec son père et dont elle n'avait pu qu'hériter.

Au moment de passer par l'ouverture derrière laquelle se tenait le portait de la Grosse Dame, le gros félin orangé de la jeune sorcière qui m'avait invectivée à mon arrivée se faufila devant nous et, comme si nous l'avions invité à rejoindre notre groupe, marcha d'un pas décidé à nos côtés sur toute la longueur du couloir puis dans les escaliers.

— C'est le chat d'Hermione, finit par m'apprendre Anna, peut-être pour combler le silence du château, qui ne faisait qu'accentuer sa nervosité.

Mes doigts qu'elle serrait à m'en couper la circulation témoignaient en tous cas du fait qu'elle n'était pas sereine.

— Hermione, la meilleure élève de l'école ? vérifiai-je, en me remémorant les courriers reçus pour mon anniversaire.

Elle hocha la tête.

— Mais Neville est meilleur qu'elle en Botanique. Ou au moins aussi bon, précisa-t-elle pour bonne mesure.

Je me fendis d'un sourire attendri et elle ajouta, l'air de rien :

— Tu parlais de quoi avec elle quand je suis arrivée ?

— De Neville à vrai dire, répondis-je. Elle pensait que j'étais là pour représenter le Ministère et interroger Neville sur ce qui s'est passé l'autre jour et elle voulait m'en empêcher. Je crois bien que si tu n'étais pas arrivée, elle m'aurait jetée un sort pour me bloquer le passage.

J'avais dit ça sur le ton de la blague – même si mon scénario n'était pas si invraisemblable – et Anna, bon public, rigola.

— J'aime bien Hermione, elle est sympa. Elle nous a aidé plein de fois à retrouver le chemin de la Salle commune, Allister, Romy et moi, quand on se perdait dans le château au début de l'année. Et puis, elle est toujours gentille avec Neville, elle l'aide souvent avec ses devoirs même quand elle en a plein, c'est-à-dire tout le temps !

— C'est vrai qu'elle avait l'air très occupée.

— C'est parce qu'elle suit toutes les options de troisième année.

— Toutes ? répétai-je, étonnée.

Ma fille opina, malgré toutes les raisons qui auraient dû lui faire secouer la tête.

A commencer par le fait que suivre autant d'options était humainement impossible.

— Je sais pas comment elle se débrouille parce que les cours ont lieu souvent en même temps mais Neville m'a dit qu'elle était en Soins aux créatures magiques et en Divination avec lui et on la voit tout le temps avec des livres de Runes et d'Arithmancie dans la Salle commune.

— Ça doit pas être très simple, commentai-je, faute de pouvoir me lancer dans un long monologue sur les défaillances de son école.

J'espérais seulement que les parents de cette jeune fille avaient la moindre idée de la pression sous laquelle elle ployait, même si quelque chose me disait que non.

Anna pencha la tête d'un côté puis de l'autre, hésitante, avant de me révéler :

— Elle pleure souvent dans les toilettes des filles en ce moment, je l'ai croisée quelques fois avec les yeux rouges. C'est pas qu'à cause des cours, ajouta-t-elle, en fronçant les sourcils. Elle s'est disputée avec Harry Potter et Ron Weasley. C'est ses meilleurs copains.

— Ce sont ses meilleurs copains, corrigeai-je gentiment. Pourquoi est-ce qu'ils se sont disputés ?

Du doigt, elle désigna le chat, qui menait désormais la marche et venait d'entamer la dernière volée de marches avant le Grand Hall en dodelinant du postérieur devant nous.

— Son chat a mangé le rat de Ron et il veut pas lui pardonner alors qu'on sait tous que les chats mangent les souris et qu'en plus, son rat était super moche et super vieux, il avait vraiment rien pour lui. Et d'abord, qui ramène un rat comme animal de compagnie ? C'est dégoûtant ! Et Harry, il est encore plus bête que Ron, Romy m'a dit qu'il faisait la tête parce que McGonagall lui a confisqué son Éclair de feu car Hermione a dit que peut-être Sirius Black lui avait envoyé pour essayer de le tuer avec mais maintenant, il l'a récupéré, et il marche super bien et il a même gagné le match avec mais il lui parle toujours pas ! Les garçons sont vraiment nuls, conclut-elle d'un ton définitif.

— Et ils le restent malheureusement très longtemps, lui révélai-je avec fatalisme.

Elle roula des yeux d'un air exagérément désespéré, jusqu'à ce que j'ajoute d'un ton plus léger :

— Heureusement pour toi, sur les milliards de spécimens masculins qui auraient pu obtenir le rôle de ton cousin, tu es tombée sur le plus adorable. Où penses-tu qu'il est allé se cacher ?

L'effet de ma déclaration ne fut pas exactement celui que j'avais escompté puisqu'elle me broya de nouveau les doigts avec sa main droite, tout en me désignant du menton le parc plongé dans l'obscurité qui s'étendait désormais à nos pieds.

— Dans les serres. La numéro 6 est sa préférée, il y a une colonie de plantes super bizarres qui parlent une langue qu'il essaie de décrypter. Il y va tout le temps en ce moment, il les écoute pendant des heures et il pense qu'elles se racontent leurs vies mais moi, j'y comprends rien du tout.

— C'est parce que tu as la main jaune, comme ton père.

— C'est quoi, la main jaune ? demanda-t-elle, en s'engouffrant tête la première dans la brèche que je venais d'ouvrir consciencieusement pour sa curiosité.

Ses muscles se décrispèrent en tout cas autour de ma paume tandis qu'elle levait un regard interrogateur vers moi.

— L'inverse de la main verte, l'éclairai-je. Celle que ta mère, elle, a toujours eu.

Elle s'abstint opportunément de me rappeler tous les pilea et autres cactus morts sous ma supervision et plissa seulement les yeux d'un air sceptique.

— Ça a pas de sens, ton expression. Pour faire du vert, il faut du jaune et du bleu donc la main jaune ne peut pas être le contraire de la main verte, puisque c'est la moitié de ce qu'il faut pour l'avoir. Non ?

— C'est aussi la couleur des plantes que les idiots de la Botanique oublient systématiquement d'arroser et laissent chaque année cramer sous le soleil, insistai-je. Je pense que ça marche aussi.

— Hummm, d'accord. Mais dans ce cas, laisse-moi te dire que tu as la main sacrément jaune, alors ! Comment va notre quinzième ficus, abandonné sur le palier ?

Je levai mes deux mains au niveau de ma poitrine dans un geste exagérément offensé.

— Je suis ta mère, je te rappelle, et tu me dois le respect !

— Tant que tu ne seras pas plus attentive à Ficus le Mal-aimé 15ème du nom, je ne vois pas pourquoi, répliqua-t-elle dans un éclat de rire.

Nos bêtises se poursuivirent ainsi pendant encore quelques minutes, le temps de traverser l'étendue herbeuse et d'arriver devant la serre n°6.

De l'extérieur, elle ne semblait pas avoir changé et pas une lanterne, à l'intérieur, n'indiquait que Neville pouvait s'y trouver.

— Vas-y la première, murmura Anna en me poussant vers la porte. Je reste avec le chat.

Le concerné ne l'entendit cependant pas de cette oreille puisqu'après nous avoir observé toutes les deux pendant une longue seconde, son nez écrasé presque plus plissé, il fila vers la Forêt Interdite et disparut de mon champ de vision en tout juste deux bonds.

— Je ne fais pas confiance à ce château, et encore moins en pleine nuit, dis-je en lui attrapant la main d'autorité.

— Mais… tenta-t-elle de protester, avant de fermer brusquement la bouche quand je nous fis entrer sous la verrière.

Le manque d'oxygène lié à la forêt tropicale qui germait à l'intérieur ainsi que l'odeur de terre omniprésente me firent légèrement suffoquée au départ mais, une fois accoutumée, je pus me concentrer sur mon environnement. De longues lianes s'élevaient des murs et couraient jusqu'au plafond en rejetant des petites étincelles de lumière, seule source de luminosité dans la pièce, et un peu plus loin, derrière ce qui ressemblait à des arbustes en train de danser la polka, une série de borborygmes et de grognements étaient clairement perceptibles.

En tendant l'oreille, j'y décelai également un reniflement qui revenait à intervalles irréguliers et dont Anna suivit immédiatement la mélodie sans plus songer à son appréhension.

Neville était assis au bout de l'allée, en face de plusieurs plantes en pots démesurément grandes qui semblaient effectivement tenir une conversation. Même dans l'obscurité qui nous enveloppait, je ne pus rater ses yeux rouges et les sillons de larmes qui s'étaient dessinés sur ses joues, et pas seulement parce qu'il essaya de les faire disparaître avec une manche de sa robe dès qu'il nous aperçut.

Anna aussi le remarqua, ou ce fut du reste ce que je déduisis lorsqu'elle lâcha brusquement ma main pour bondir à ses côtés.

— Je suis désolée, Neville ! s'exclama-t-elle en s'agenouillant par terre en face de lui. Tellement tellement tellement tellement désolée !

Son ton était démesurément dramatique mais surtout incroyablement douloureux et Neville, parce qu'il était Neville, et de ce fait le garçon le plus adorable du monde, ne put l'ignorer.

— C'est pas grave, souffla-t-il en s'efforçant d'esquisser un sourire.

Un sourire qui ressemblait plutôt à une grimace, ce qui ne fit qu'alarmer davantage Anna.

— Si, c'est grave ! C'est super grave ! s'écria-t-elle en lui attrapant les mains. Tu voulais pas que je le dise et je l'ai dit et j'aurais jamais dû, je suis trop nulle ! Si tu me pardonnes, je te promets de faire n'importe quoi pour toi pendant dix jours ! Tu me pardonnes, s'il te plaît ?

Il eut un reniflement qui ressemblait étrangement à un rire cette fois.

— T'es pas nulle, Nanouille, promit-il, usant de ce surnom qu'il était le seul à pouvoir utiliser sans la faire hurler d'indignation. Et t'as rien à te faire pardonner. Tatie et Oncle Dan finissent de toute façon par toujours tout apprendre.

— C'est vrai, l'approuvai-je avec un sourire de connivence. On a des oreilles partout.

Si Anna roula des yeux pour exprimer son scepticisme – ou peut-être son exaspération –, son cousin, lui, ne me fit même pas l'honneur d'un rictus.

— J'aurais juste voulu qu'il y ait encore des gens qui ne sachent pas à quel point je suis nul, marmonna-t-il en baissant la tête vers ses genoux remontés.

— N'importe quoi ! s'indigna immédiatement Anna, couvrant ainsi le bruit que mon cœur sembla émettre en se fissurant de tristesse. T'es pas nul ! C'est moi qui suis nulle ! On peut pas tous être nuls dans cette famille, c'est une question d'équilibre.

Elle n'avait à l'évidence pas assez fréquentée le monde consanguin des Sangs Purs, qui était capable d'engendrer des dizaines de personnes malveillantes et immorales – ce qui correspondait pour moi à « être nul » – dans le même cercle familial.

Neville non plus puisqu'il ouvrit la bouche d'un air vindicatif, prêt à lui donner tort en lui rappelant ses plus vils forfaits.

— Et si on partait plutôt du principe qu'aucun de vous deux n'est nul ? l'interrompis-je à temps, d'un ton que j'espérais à la fois doux mais ferme. Je pense que ça serait un bon début.

Sans égards pour ma tenue si durement choisie, je pris ensuite place à même le sol poussiéreux et maculé de terre et de feuilles mortes, tandis que Neville esquissait une moue.

— Tu dis ça parce que tu es gentille, que tu me voies pas tout le temps et que tu m'aimes bien, marmotta-t-il avec amertume.

— Et ça vaut aussi pour Anna ? demandai-je, faussement ingénue. Je ne dis pas qu'elle est nulle juste parce que je suis gentille, que je l'aime bien et que je ne la vois plus aussi souvent que je le voudrais ?

— Non ! Mais t'es sa maman, tu peux pas trouver qu'elle est bête !

— Et toi, t'es son neveu et mon cousin, elle peut pas te trouver bête non plus ! répondit Anna à ma place.

Je lui fis un clin d'œil, qui n'eut aucun effet sur les traits tirés de Neville.

— Sauf que moi, je fais n'importe quoi, je provoque des catastrophes partout, j'ai failli tuer Ron et Harry et Seamus et Dean et si ça se trouve, plein d'autres gens parce que Sirius Black aurait pu tuer tout le monde après nous et tu penserais pas que je suis pas bête s'il avait… si Anna…

Il ne termina pas sa phrase, les yeux baissés sur ses chaussures, mais ce ne fut même pas nécessaire : la simple évocation dans la même phrase de ma fille et de Sirius, ce Sirius capable d'assassiner et de torturer et que je ne connaissais que par le biais des journaux, fit plonger mon cœur dans le fin fond de mon ventre, là où il me parût peser d'un coup cent fois plus que son poids.

Mon silence, à peine brisé par la façon dont je déglutis, lui permit d'ajouter :

— Si Papa et Maman pouvaient se rendre compte de quoique ce soit, ils auraient eu honte de moi, j'en suis sûr.

Incapable de résister à ce murmure brisé, la gorge serrée à m'en étouffer et les larmes aux yeux, je me rapprochai pour le serrer contre moi, sans égards pour son âge, qui lui interdisait sans doute, désormais, d'accepter un câlin sans ronchonner.

Le fait qu'il ne proteste pas, et qu'il planque même son nez contre ma robe en reniflant, ne fit que me confirmer que l'heure était grave.

— Personne n'aurait eu honte de toi, Neville. Et surtout pas Alice et Frank. Ils auraient été fiers d'avoir un fils aussi...

— Aussi quoi ? me coupa-t-il en se détachant brusquement de moi. Maladroit et stupide ? Incapable et idiot ? Empoté et incompétent ?

Sa détresse était palpable, même teintée de toute la colère qu'il avait mis dans son énumération, et je secouai la tête.

— Aussi gentil et loyal, proposai-je, en essuyant d'un doigt sa joue mouillée. Doux et protecteur, sensible et dévoué, adorable et courageux. J'en ai encore des tas, des adjectifs, et stupide, empoté, incompétent ou maladroit n'en font pas partie !

Il roula des yeux devant les compliments, sceptique, tandis qu'Anna m'approuvait d'un signe de tête définitif, en enroulant à son tour un bras autour de ses épaules.

— Grand-mère pense que je suis stupide, en tous cas. Elle le dit à tout le monde. Que... Que je ne suis pas aussi doué que Papa et que je ne le serais jamais.

J'aurais pu lui expliquer c'était Augusta qui était stupide, d'autant qu'elle était à l'origine de nombre de ses défaillances, ou qu'elle ne le pensait pas vraiment, qu'elle était surtout écorchée et peut-être trop vieille pour élever un nouveau Londubat qui n'était pas Frank, et qui ne le serait effectivement jamais.

— Elle m'a même envoyé une Beuglante ! renchérit-il avec désespoir. Elle a dit que je lui faisais honte !

Anna, jusqu'ici parfaitement silencieuse, claqua sa langue contre ses dents à la manière de Daniel et je craignis, face à son regard assombri par la colère, de la voir oublier toutes ces belles résolutions consistant à ne pas insulter trop fort la grand-mère et seule parente encore vivante de son unique cousin devant lui.

— Moi, en tous cas, tu me fais pas honte, Nev ! se contenta-t-elle pourtant de grogner, d'un ton catégorique. Pas comme cet idiot d'Ernie ! Toi, au moins, tu fais des trucs incroyables !

— J'ai jamais rien fait d'incroyable ! nia-t-il avec véhémence. Cite-moi un seul truc incroyable que j'ai fait de toute ma vie !

— Tu m'as rattrapé quand je suis tombée dans l'escalier chez Papa quand j'avais 5 ans et sans toi, je me serais ouvert la tête !

— J'ai juste amorti ta chute parce que j'étais devant toi et que t'as roulé sur moi ! En plus, c'est moi qui me suis ouvert le front !

— Ça prouve que tu es capable de prendre des coups pour les autres quand c'est nécessaire, insista Anna, avec une pugnacité que j'admirais.

Elle était teintée d'une mauvaise foi qu'elle tenait à la fois de Daniel et de moi, et que j'adorais la voir mettre à profit pour servir des causes positives.

— Et puis, t'as foutu la honte à Rogue aussi, au début de l'année ! ajouta-t-elle avant qu'il n'ait pu la contredire. C'était super cool ! Même les septièmes années étaient jaloux de pas avoir assisté à la transformation de cet attardé en grand-mère ringarde !

Neville eut un faible sourire, à peine gâché par son nez légèrement plissé, ce qui ne fut pas mon cas.

— On avait dit pas d'insultes avant tes 17 ans, lui rappelai-je. Et ça vaut encore plus pour les insultes que je n'approuve pas.

— Mais Rogue est horrible ! se défendit-elle, indignée. Et c'est pas parce que c'est mon prof que je dois le respecter et parler de lui comme de la huitième merveille du monde quand il est pas là ! Il est complètement débile !

— Ça ne t'autorise pas pour autant à utiliser des termes médicaux désignant les personnes handicapées comme une insulte, répliquai-je fermement.

Ses joues rougirent tandis qu'elle jetait un regard alarmé vers Neville, à qui l'allusion à ses parents n'avaient pas pu échapper.

Il ne dit rien pourtant, conscient sans doute qu'il ne s'agissait que d'une maladresse de langage de sa part.

— Désolée, marmonna-t-elle quand même. Est-ce que je peux le traiter de connard à la place ?

— Non, fut ma réponse catégorique.

Elle fit la moue et j'ajoutai, avant qu'elle ne proteste :

— Mais dans quelques années, quand tu seras suffisamment grande et que McGonagall ne pourra plus m'envoyer de courriers méprisant mes méthodes d'éducation pour me reprocher chacun de tes écarts de langage, je ne vois pas pourquoi je t'empêcherais d'énoncer ce genre de vérités.

Son rire claironnant fut une récompense suffisante, laquelle s'avéra encore plus grande lorsque même Neville gloussa en détachant son nez de ma cape. Il ouvrit la bouche pour commenter – avec autre chose que des autocritiques infondées qui me briseraient encore le cœur, je l'espérai – mais un bruit sec, du côté de l'entrée de la serre, le détourna de notre conversation dans un sursaut.

— Qu'est-ce que c'était ? s'enquit-il, en tournant un regard effrayé vers le fracas.

De notre place, et avec l'éclairage aux lampions végétaux qui tamisait l'atmosphère, il n'était pas possible de voir grand-chose.

— La porte, répondit cependant Anna, les sourcils froncés. Je crois qu'elle s'est ouverte toute seule !

— Ou avec un peu d'aide de la part du vent puissant qui souffle tous les jours sur l'Ecosse, nuançai-je.

— Je suis là tout le temps et la porte s'est jamais ouverte comme ça, fit remarquer mon neveu, toujours pas convaincu.

— Je vais voir ! s'exclama Anna en se levant avec détermination.

— Ne te fais pas avaler par une plante, s'il te plaît. J'ai perdu depuis longtemps les vagues notions de Botanique que j'ai un jour eues et je ne suis pas certaine de pouvoir t'aider.

— Comme si j'allais compter sur toi alors qu'il y a Neville ! railla-t-elle sur le même ton. Lui n'a encore jamais assassiné de ficus, pas vrai, Nev ?

— Euh, non, je crois pas, répondit le concerné d'un air perplexe.

— Reste à l'affût alors ! Si je pousse un hurlement, ne laisse surtout pas Maman venir me sauver et viens tout seul !

Ce qui aurait pu être une excellente boutade – et lui valoir un regard mauvais si elle n'avait pas immédiatement disparu, avalée par l'obscurité de la serre – résonna plutôt comme une mauvaise blague quand, à peine une minute plus tard, elle laissa échapper un petit cri strident.

Je bondis sur mes pieds en même temps que Neville mais elle revint en courant avant que nous ayons pu la rejoindre.

— Y'avait deux grands yeux jaunes là-bas, au milieu de plein de feuilles ! expliqua-t-elle, essoufflée, en désignant un buisson au loin. C'est une plante, tu crois, Nev ? Une plante qui peut nous observer ?

— Je crois pas qu'il y en ait des comme ça ici. Je vais aller voir, décida-t-il à son tour courageusement.

Il disparut avant que je n'ai le temps de le dissuader mais, presque aussitôt, ses pas précipités résonnèrent en sens inverse contre la terre meuble sous nos pieds, de retour vers nous. Comme Anna – qui avait profité de sa courte absence pour se coller contre mon flanc –, il avait perdu quelques tons de blanc et ses traits s'étaient décomposés.

— Tatie, je… je crois que c'est le Sinistros, souffla-t-il, non sans déglutir difficilement sur le dernier mot.

— Le Sinistros ? répétai-je sans comprendre.

Ou du reste, mon cerveau ne comprit pas tout de suite, contrairement à mon cœur qui manqua instantanément un battement.

— Le Sinistros, le présage de mort, celui que le professeur Trelawney a vu dans la tasse de Harry ! en profita pour s'exclamer Neville, d'un air terrifié.

— Qui est le professeur Trelawney ?

— La prof de Divinations ! Elle a dit qu'il allait mourir avant la fin de l'année et que j'allais casser ma tasse et que j'allais arriver en retard à son prochain cours et j'ai cassé ma tasse et je suis arrivé en retard et Harry a failli mourir deux fois depuis le mois de septembre et maintenant c'est moi qui vais mourir !

— Et moi avec, parce que je l'ai vu aussi ! ajouta Anna d'un ton tout aussi horrifié.

Une partie de moi aurait voulu pouvoir me moquer gentiment de leurs superstitions, comme n'importe quel parent, mais entendre parler de prédictions funèbres à propos de Harry et Neville, alors que c'était ce qui avait rythmé le début d'une vie dont aucun d'eux ne se rappelait mais dont j'avais gardé des souvenirs vifs, ne m'y aida pas.

Je me forçai quand même à esquisser un sourire rassurant.

— Personne ici ne va mourir, leur promis-je.

— En fait, si, puisqu'on va tous mourir un jour, ne put s'empêcher de me contredire Anna dans une moue.

Je roulai des yeux devant ce qui ressemblait très fort à une remarque qui aurait pu échapper à Daniel ou Riley.

— Un jour, d'accord, mais pas ce soir.

Pour illustrer mon propos, je fis quelques pas vers l'allée sombre qu'ils avaient tous les deux fui et, malgré leurs protestations, me dirigeai vers le seul buisson qui semblait animé par un vent inexistant. Les larges feuilles qui le composaient et l'obscurité ambiante n'aidaient pas à y voir grand-chose mais je pliai tout de même les jambes pour me retrouver à la hauteur des yeux jaunes et familiers que j'espérais y retrouver.

— Sniffle ? appelai-je, presque dans un chuchotement. C'est moi, Mackenzie, tu veux bien sortir ?

Pendant quelques secondes, il n'y eut aucun bruit, si ce n'est celui des respirations saccadées d'Anna et Neville qui me regardaient tous les deux avec une appréhension mêlée de perplexité, puis finalement, les feuilles face à moi se mirent à bouger toutes seules, pour laisser apparaître deux oreilles légèrement pendantes, une truffe d'un noir de jais et des pupilles jaunâtres d'une vivacité presque étonnante.

Le sourire qui se dessina inévitablement sur mes lèvres fut récompensé d'un jappement enthousiaste et, avant d'avoir eu le temps de me préparer à l'impact, le chien me bondit dessus avec une force qui me fit vaciller.

— Maman ! couina Anna. Fais attention !

Debout sur ses pattes arrière, Sniffle me serrait toutefois si fort entre ses deux pattes avant que j'aurais été incapable de tomber, l'aurais-je même voulu. Avec un nouvel aboiement, il fondit sur mon visage pour le lécher, ce qui tira une nouvelle exclamation apeurée à ma fille, avant de nicher sa truffe dans le creux de mon cou pour me renifler.

Ce ne fut qu'après une bonne minute blotti contre moi – et après avoir reçu un bon nombre de caresses en échange – qu'il s'écarta, reposa ses pattes au sol et tourna son corps, en même temps que toute son attention, vers Anna.

Ses paupières plissées et sa truffe retroussée lui donnaient l'air bien plus sévère qu'il ne l'avait jamais été, si bien qu'elle recula immédiatement d'un pas, en se cachant précipitamment derrière Neville.

— Pourquoi il me regarde comme ça ? s'alarma-t-elle, dans un glapissement aigu. Je lui ai rien fait !

Incapable de retenir un petit rire, je tirai Sniffle vers l'arrière par l'une de ses oreilles et passai une main sur le sommet de son crâne dans un geste d'apaisement.

Cela eut le mérite de le détourner de ma fille puisqu'il choisit de revenir se pelotonner contre moi, m'obligeant à m'asseoir plus confortablement par terre pour pouvoir se coucher sur mes genoux.

— Je pense que tu l'as vexé en sous-entendant qu'il pourrait me faire du mal, expliquai-je avec un sourire. Après tout, avant que tu n'arrives dans ma vie et que tu en deviennes la personne la plus importante, Sniffle était plutôt haut placé dans la liste de mes personnes favorites. C'était même celle qui me protégeait le mieux.

— Mais c'est même pas une personne, fit platement remarquer Neville.

— Et surtout, on l'a jamais vu ! s'indigna ma fille, en croisant les bras sur sa poitrine d'un air mécontent. Comment est-ce qu'il peut être si important, si on l'a jamais vu ? S'il était si important pour toi, il serait aussi important pour moi, parce que t'es ma maman !

De nouveau, les yeux de Sniffle se levèrent vers elle mais cette fois, il ne les fit peser sur sa silhouette que quelques secondes avant de les braquer dans les miens. L'étincelle qui y brillait était difficile à déchiffrer : s'il ne s'était pas s'agi de Sniffle, j'aurais sans doute interprété cette lueur et les paupières tombantes qui l'accompagnaient comme un mélange de douleur et de tristesse, de ressentiment et d'interrogation, de colère et de lassitude.

Mais c'était juste Sniffle, un chien qui m'avait sauvé la vie malgré lui et qui, par un miracle que je ne m'expliquais toujours pas, avait réussi à se retrouver sur mon chemin chaque fois que le besoin urgent d'un câlin s'était fait ressentir au cours de cette sixième année catastrophique.

Je ne l'avais plus revu depuis et rien entre nous ne justifiait une telle palette de sentiments.

Du bout des doigts, je le grattai donc entre les oreilles, dans l'espoir de faire disparaître les plis qui rendaient sa figure encore plus sinistre, espérant également éloigner cette impression tenace qu'il tenait bien plus à moi qu'il n'aurait dû et que son corps fatigué et amaigri n'était que le sommet d'un impressionnant iceberg de malheurs en tous genres à l'origine d'un tel manque affectif.

Avec un soupir de contentement, il s'écrasa de nouveau contre moi et mon cœur se serra un peu plus.

— Disons que la vie nous a éloignés l'un de l'autre et, visiblement, Sniffle n'aime pas le changement. C'est bien ça, Sniffle ? ajoutai-je avec douceur, en suivant de l'index la ligne qui se dessinait de son front jusqu'à sa mâchoire. J'ai vieilli, j'ai une fille et tu me préférais à dix-sept ans, quand tu pouvais te glisser dans mon lit à l'abri de tous les regards, pas vrai ?

Pour toute réponse, il ferma les yeux, reniflant tout juste, et Anna et Neville, qui semblaient s'être adoucis en constatant que « le Sinistros » n'était pas d'humeur à me dévorer, vinrent s'asseoir face à nous, bien qu'à distance raisonnable.

— J'arrive pas à croire que tu aies un chien et que tu me l'aies jamais dit ! marmonna ma fille, encore un peu grognon. En plus, j'adore les animaux !

— Tu n'adorais pourtant pas le Sinistros il y a tout juste trois minutes, rétorquai-je, moqueuse. Et ce n'est pas mon chien.

— T'as dit que t'avais dormi avec lui ! Tu dors souvent avec des chiens qui t'appartiennent pas ?

— Juste celui-là et c'est une longue histoire.

« Une longue histoire » était mon expression préférée pour éviter d'avoir à en dévoiler trop sur mes plus beaux déboires et Anna en avait parfaitement conscience.

— Tu me caches toujours des trucs et tu me racontes jamais rien ! bougonna-t-elle, en fronçant les sourcils. Alors que tu dis tout le temps que je peux te demander n'importe quoi !

De toute évidence, nous ne parlions plus de Sniffle, ce que le regard en biais que Neville lui adressa, ses yeux agrandis sous la forme d'un avertissement, me confirma.

A bien y réfléchir, il n'avait pas pu ne pas être impliqué par Anna dans sa quête de l'identité de mon « meilleur ami » tel que l'avait évoqué Adrian au cours de ce dîner désastreux du Nouvel An et qui, selon lui, était aussi le meurtrier de ma mère.

— Peut-être que si tu me posais tes questions directement plutôt que de mener des enquêtes improbables dans mon dos, tu obtiendrais plus facilement des réponses, fis-je remarquer avec un haussement d'épaules. A ta place, j'aurais également évité de les poser à ton grand-père, il est à la fois très nul pour donner des réponses et très fort quand il s'agit d'induire de nouvelles questions.

Pour une raison qui m'échappa, Sniffle choisit ce moment pour ouvrir les yeux dans un grognement et sa mimique colérique fit un écho parfait aux traits contractés d'Anna.

— Je sais même pas ce que ça veut dire « induire » ! râla-t-elle, dans une tentative évidente pour détourner la conversation d'une possible réprimande.

— Ça veut dire conduire à quelque chose, indiqua Neville à ma place, d'une voix un peu timide.

— Ça veut aussi dire que je préférerais que tu évites de faire des recherches sur moi à mon insu, surtout si tu finis par t'imaginer que j'ai été amie avec des gens que j'ai en réalité à peine connus et dont les noms sont tristement célèbres dans notre famille.

Je pensais évidemment à Croupton Jr et le regard en biais et plein de culpabilité qu'elle jeta à son cousin, qui baissa lui-même la tête vers ses genoux, m'indiqua que la référence n'avait échappé à aucun d'entre eux.

Je ne lui précisai pas, toutefois, que cette révélation faite malgré moi à Daniel avait aussi provoqué un autre type de culpabilité chez son père.

— Si je t'avais demandé qui était ton meilleur copain à l'école, tu me l'aurais jamais dit, souffla-t-elle d'une toute petite voix, en contorsionnant ses mains avec nervosité.

— Il me semble que j'ai pourtant répondu à toutes tes autres questions ce jour-là, la contredis-je patiemment. Tu m'as demandé si ta grand-mère avait été assassinée, et je t'ai répondu que oui. Tu m'as demandé comment, et je t'ai expliqué l'attaque de Ste Mangouste et ce qui s'était passé. Tu m'as demandé si je connaissais son assassin et je t'ai dit que je n'en avais aucune idée car je n'en ai aucune idée. Rien ne t'empêchait de demander qui était le principal suspect selon mon frère mais tu ne l'as pas fait.

Sur mes genoux, Sniffle se crispa brusquement et je sentis, sous ma main qui n'avait cessé de caresser son dos décharné, tous ses poils se hérisser. Tout aussi brutalement, il tourna la tête vers moi, dans un angle qui n'avait rien de naturel, ses yeux de nouveau plissés traversés par une lueur que je n'aurais pas pu interpréter autrement que comme la manifestation d'un reproche évident, même avec la plus grande des mauvaises fois.

Ce furent toutefois les yeux attristés d'Anna et son visage navré qui retinrent toute mon attention, lorsqu'elle les releva lentement vers moi.

— Tu… tu avais l'air tellement triste quand oncle Adrian en a parlé et quand je t'ai posé des questions et je voulais pas te rendre encore plus triste avec ça.

Avec un soupir, je tendis les mains vers elle et attrapai doucement les siennes.

— Ce qui m'attriste encore plus que de discuter d'un de mes anciens amis qui m'a poignardée dans le dos, Anna, c'est de savoir que tu ne me fais pas assez confiance pour m'en parler et que tu préfères aller fouiller dans des archives scolaires en embarquant ton innocent cousin dans tes aventures au passage.

— Je suis pas si innocent que ça ! se défendit le concerné, vindicatif. C'est même moi qui aie proposé d'aller regarder dans les anciens exposés qui sont mis à disposition par Madame Pince dans la bibliothèque !

— C'est vrai ça ! C'était son idée ! l'appuya Anna avec reconnaissance. Mais on a rien trouvé là-dedans.

— Peut-être que si vous m'aviez posé la question directement, j'aurais pu vous dire que ça ne servait à rien de chercher de ce côté-là parce que je n'ai jamais fait d'exposé avec lui.

Ils baissèrent la tête dans un bel ensemble, Anna continuant à jouer distraitement avec les doigts de ma main gauche, qu'elle avait gardé dans la sienne.

— Tu le connaissais pas de l'école, alors ? s'enquit-elle timidement.

J'eus un petit rire amer, qui ressemblait un peu trop à un reniflement, et jetai un coup d'œil vers Sniffle, qui s'était de nouveau écrasé contre moi, comme accablé. Quand je tendis la main vers son crâne, dans l'espoir de trouver un réconfort similaire à celui qu'il m'avait toujours offert, il n'eut aucune réaction, appuyant même sa truffe à m'en faire mal sur mon genou, comme pour m'interdire l'accès à son cou.

Je laissai échapper un soupir.

— On était juste pas dans la même année, lui et moi. Il était un peu plus âgé.

— Oh, euh, d'accord, répondit ma fille avec incertitude. On a pas pensé que tu pouvais être amie avec quelqu'un de plus âgé. Je suis pas amie avec des gens plus âgés, moi.

— Moi non plus, indiqua Neville sur le même ton.

Ils échangèrent un regard gêné, si rapidement que j'aurais pu le manquer si je n'avais pas eu des années d'entraînement en la matière, et je ne pus m'empêcher de rouler des yeux avec lassitude.

— Ne faites pas comme si vous ne vouliez pas savoir qui c'est ! Après des mois à vous interroger, les lettres adressées à mon père et vos recherches dans les tréfonds de la Bibliothèque, je ne vous croirais pas.

— Si t'as pas envie de nous le dire, t'es pas obligée, fut la réponse en demi-teinte d'Anna.

— On a pas fait tant de recherches que ça en plus, fut celle, gênée, que m'offrit Neville.

Un nouveau soupir m'échappa, tandis que je les observais l'un après l'autre, épaule contre épaule et têtes baissées, leurs yeux ne cessant toutefois de revenir vers moi à intervalles réguliers.

Quelle que soit la façon dont je retournais le problème, une seule conclusion s'imposait à moi : je préférais encore être celle à le leur avouer, plutôt que de laisser ce plaisir à un connard comme Rogue.

Il me fallut tout de même plusieurs inspirations profondes pour avoir de nouveau l'impression que l'air circulait dans ma gorge serrée et réussir à souffler :

— C'était Sirius Black.

Même prononcés trop bas, la portée de mes mots ne leur échappa pas et ils écarquillèrent les yeux quasi-simultanément, en se redressant dans un sursaut.

Quoi ?! s'exclamèrent-ils dans un même cri, qui fut rendu encore plus dramatique par l'aboiement de Sniffle.

Je m'obligeai à inspirer calmement à nouveau, cachant mes mains tremblantes sous mes jambes pliées, m'efforçant, surtout, de soutenir ce double regard éberlué.

Il n'avait rien à voir avec tous ceux, pourtant pareillement étonnés, que j'avais pu essuyer après la guerre, lorsque quelqu'un qui n'avait pas eu l'occasion d'observer le ballet de ma relation avec Sirius découvrait que j'avais été son amie. Il n'était pas teinté de cette lueur de reproche, presque de dégoût, que des adultes si prompts à me juger avaient pu m'adresser.

Il n'y avait qu'un choc, compréhensible dans les circonstances actuelles, mais qui faisait battre mon cœur tout aussi vite.

— Lorsque j'étais à Poudlard, j'étais amie avec Sirius Black, m'obligeai-je cependant à répéter, plus distinctement. Après Poudlard aussi, d'ailleurs. En quelque sorte.

Ils n'avaient pas besoin d'avoir davantage de détails sur cette partie-là de ma vie et, à en croire leurs mines sidérées, le seul fait d'avoir pu être liée d'une quelconque façon à Sirius Black dans ma jeunesse, peu importe pendant combien de temps et à quel degré d'intimité, était suffisant pour l'instant.

Un silence lourd s'abattit pendant un instant qui me parût incroyablement long sous la verrière, à peine troublé par les caquètements des plantes autour de nous.

Même Sniffle paraissait retenir son souffle, crispé contre moi, la respiration plus rapide que d'ordinaire.

Je n'osai même pas le caresser, de peur de le faire fuir.

— Mais tu as…, finit par murmurer Anna, d'une voix un peu rauque. Comment est-ce que… ? On parle bien du Sirius Black des journaux, hein ? Celui d'Azkaban ? Celui qui a… euh… la Tour de Gryffondor ?

Elle appuya cette semi-phrase par un regard vers son cousin, qui paraissait encore incapable de fermer sa bouche semi-ouverte.

— A ma connaissance, il n'y a pas d'autre Sirius dans sa famille, confirmai-je. Et aucun autre qui ait été à Poudlard en même temps que moi, en tous cas.

Mécaniquement, elle hocha la tête, ses paupières papillonnantes témoignant de sa confusion.

— On pensait que peut-être… Son frère Regulus… Vous étiez dans la même classe et vous avez travaillé sur un projet de Runes en commun pendant votre sixième année…

Je déglutis difficilement à ce souvenir, m'obligeant à rejeter les réminiscences de cette aventure désastreuse de la même manière que j'avais éloigné mes souvenirs face aux Détraqueurs.

— Je n'ai jamais été amie avec Regulus. Ou en tous cas, pas comme avec Sirius.

Ma voix flancha indubitablement sur le dernier mot, sur ce nom que je m'efforçais de ne jamais prononcer en public, pour ne pas laisser transparaître toute la palette de sentiments que je m'interdisais de ressentir et que je continuais pourtant à lui associer.

Heureusement, ni Anna ni Neville n'eurent l'air de réaliser l'étendue de ma tristesse et seul Sniffle releva sa truffe lentement, l'air infiniment fatigué, avant de tendre une patte pour la poser sur ma joue, dans un geste d'apaisement peut-être.

Je dus en tous cas me racler la gorge pour ne laisser aucune chance aux larmes de l'emporter.

— Est-ce que… Comment…. Pourquoi oncle Adrian pense qu'il a tué Grand-mère ? formula péniblement Anna, en pesant ses mots comme s'il s'agissait de bombes susceptibles de me tuer.

J'aurais presque pu sourire d'une telle prudence de sa part mais je déglutis.

— Il était à l'hôpital ce jour-là.

— Mais comment tu peux en être sûre ? insista-t-elle. T'étais là-bas toi aussi ? C'est quand tu travaillais à Ste Mangouste avec Grand-mère ? Papa a dit que c'était pendant la guerre mais que tu as arrêté avant que lui commence à travailler là-bas.

Je me forçai à ne pas fermer les yeux, de peur d'accentuer leur anxiété comme leurs questions, mais il me fallut une nouvelle inspiration profonde pour chasser les images morbides qui, dans un éclair rapide similaire à celui du flash d'un appareil photo, venaient régulièrement remplacer leurs deux visages.

— Je travaillais là-bas oui, mais je n'y étais pas quand c'est arrivé. J'aurais dû mais je… je n'ai pas…

Obstruée par tous les mots que j'aurais voulu mettre sur cette journée noire et sur toute la culpabilité stupide qui continuait de me hurler que tout aurait été différent si j'avais été là où j'aurais dû être à ce moment-là, ma gorge se serra et je fus incapable de continuer.

— Peut-être qu'il était pas là-bas alors, en profita pour glisser ma fille à mi-voix, après avoir échangé un nouveau regard avec Neville. Peut-être que Sirius Black était pas à l'hôpital et qu'il a pas tué Grand-mère et peut-être qu'Oncle Adrian se trompe et te fais la tête pour rien et c'est pas juste !

Son ton s'était durci sur la fin de sa phrase, réchauffant mon cœur glacé par cette discussion, sans réussir à m'arracher autre chose qu'un sourire triste et désillusionné.

Sniffle, en revanche, aboya avec enthousiasme, comme pour l'approuver, et tendit même une patte vers elle, qu'elle caressa avec hésitation.

— Black m'a dit lui-même qu'il était là-bas, Anna. Il accompagnait quelqu'un à un rendez-vous médical et j'imagine que c'était une excuse parfaite pour être sur place à ce moment-là sans éveiller les soupçons.

Je me gardai d'indiquer que la personne qui était avec lui, celle qu'il s'était porté volontaire pour « protéger », n'était autre que Lily Potter et que tout ce qui avait suivi semblait confirmer que cette attaque n'était en réalité qu'un piège destiné prioritairement à l'éliminer, elle – et avec elle, Harry.

Ce ne fut toutefois pas nécessaire puisqu'ils ne posèrent aucune question pendant quelques secondes, osant à peine me regarder.

Seul Sniffle eut une réaction que je fus incapable d'interpréter, puisqu'il laissa échapper un grognement qui dévoila ses canines incroyablement pointues.

Finalement, au bout d'un temps infiniment long à mes yeux, Neville se racla la gorge et leva un regard un peu gêné vers moi.

— Mais Tatie… commença-t-il avec hésitation. Ça veut pas dire que c'est ta faute ce qu'il a fait, et Anna a raison, c'est pas juste que ton frère te le reproche. Le professeur Lupin m'a dit que pendant la guerre, beaucoup de gens ont découvert que leurs amis n'étaient pas vraiment leurs amis. Tu pouvais pas savoir.

Anna l'approuva d'un hochement de tête définitif et la conviction de leurs yeux me convainquit presque à mon tour, comme cela avait pu arriver face à d'autres personnes.

A part les Potter, et peut-être dans une moindre mesure Daniel et Riley, personne n'avait toutefois conscience de la place que j'avais pris dans la vie de Sirius, de tout ce que notre relation à cette époque aurait dû me permettre de deviner de ses desseins.

Et ce n'était pas à mes enfants que j'allais l'expliquer.

— Quand est-ce que Lupin t'a dit ça ? demandai-je plutôt. Aux dernières nouvelles, il était professeur de Défense contre les forces du mal, pas d'Histoire contemporaine.

Mon ironie un peu mesquine n'échappa ni à l'un ni à l'autre, si j'en croyais en tous cas la moue qui déforma les traits de Neville et le sourcil qu'haussa Anna.

— Oui, oui, il est prof de Défense. C'est juste que, euh, il m'a invité plusieurs fois à prendre le thé depuis notre premier cours. Au début, je crois qu'il voulait juste me rassurer sur… euh, tu sais, ce que tu as vu dans le souvenir qu'on t'a envoyé pour ton anniversaire. Mais après, il m'a dit qu'il connaissait Papa et Maman pendant la guerre et à Poudlard, alors je… je lui ai demandé des trucs sur eux. Il me raconte des histoires qui changent de celles de Grand-mère.

Le but de Neville n'était certainement pas de me culpabiliser et pourtant, je dus retenir une grimace en me souvenant de la façon dont j'avais agressé le concerné pas plus tard qu'une heure plus tôt.

— En plus, c'est le seul prof qui lui a dit que c'était pas de sa faute si Sirius Black avait réussi à entrer dans la Salle commune, ajouta Anna, de l'approbation dans la voix. Il pense même que c'est pas Neville qui a perdu la liste mais que Black lui a sûrement volé.

Sniffle geignit, comme s'il n'appréciait pas la théorie, ce qui parût être aussi le cas de Neville.

— Quand elle était pas dans mon dortoir où il avait pas accès, elle était dans ma poche et je vois pas comment il aurait pu la prendre là sans que je m'en rende compte. Le professeur Lupin essaie juste d'être gentil mais c'est moi qui l'aie perdue et s'il était arrivé quelque chose à Ron ou à Harry…

Il s'interrompit de lui-même, de grosses larmes pendant à ses cils et menaçant de venir couler sur ses joues, mais ni Anna ni moi ne fûmes les premières à réagir, elle en le serrant contre elle ou moi en tendant une main pour les essuyer avant qu'elles n'aient le temps de s'écraser sur le sol.

Sniffle fut en effet le plus rapide puisqu'il quitta sa place contre moi dans un bond et, sans une hésitation mais d'un pas précautionneux, s'approcha doucement de Neville. Lentement, il se baissa à son niveau, tentant peut-être de prendre le moins de place possible pour ne pas lui faire peur, et posa sa truffe sur sa jambe la plus proche. Pliant les pattes, il avança ensuite centimètre par centimètre jusqu'à se retrouver complètement sur ses genoux et pouvoir écraser son visage contre le ventre de mon neveu.

Les larmes de ce dernier ne tardèrent pas à s'écraser sur le crâne du chien, à quelques centimètres de la main qu'il leva pour le caresser.

— S'il était arrivé quoique ce soit à qui que ce soit, mon grand, ça aurait été de la faute de Black, pas de la tienne, intervins-je alors d'une voix ferme et sans appel, en me retenant de faire remarquer que le corps enseignant, qui avait placé un tableau incapable et inconstant à leur entrée, méritait aussi d'être blâmé. Et même sans ça, Black aurait trouvé un autre moyen de s'introduire dans votre dortoir, crois-moi.

— Mais… tenta-t-il quand même de protester, avant d'être coupé par mon claquement de langue.

— Il n'y a pas de mais qui tienne, Neville. Perdre une liste de mots de passe n'est pas une erreur pour laquelle tu mérites de t'en vouloir toute ta vie et, si tu penses vraiment que mon frère a tort de m'en vouloir d'avoir été amie avec Sirius Black, alors que je considère que c'est à ce jour la plus grosse erreur que j'ai jamais commise, tu ne peux que l'admettre.

En face de moi, la queue de Sniffle, qui n'avait cessé de se balancer au rythme des caresses de Neville, cessa brusquement son mouvement, pour s'écraser sur le sol. Il se recroquevilla un peu plus aussi et laissa même échapper un gémissement triste qui poussa Anna, qui avait laissé tomber sa tête sur l'épaule de son cousin, à poser sa main sur son dos pour le cajoler à son tour.

— Il est mignon, finalement, commenta-t-elle au bout d'un moment, à mi-voix, brisant le silence qui avait suivi ma dernière déclaration.

Neville sourit en signe d'approbation, grattant du bout de ses ongles la fourrure flétrie de l'animal.

— Par contre, il a plein de blessures, constata-t-elle en fronçant le nez, laissant courir avec douceur sa main sur les flancs à découvert de Sniffle. Il se crispe à chaque fois que je passe les doigts sur ses côtes, je suis sûre qu'il en a des cassées.

Lorsque je voulus vérifier par moi-même, en posant à mon tour mes doigts près de ceux de ma progéniture, Sniffle sursauta et bondit de quelques centimètres, suffisamment pour se soustraire à ma tentative, sans pour autant s'éloigner des deux enfants.

J'eus aussi le droit à un regard mauvais et plein d'un tel ressentiment que je ne pus que déglutir.

— Mais je croyais qu'il t'aimait bien, murmura Anna, à qui ce brusque volte-face n'échappa pas.

C'était ce que je croyais aussi et le constat contraire fit un drôle d'effet à mon ventre, qui se serra.

— Sniffle n'a pas eu une vie facile, minimisai-je cependant. Il a le droit d'être en colère, même sans raison, même contre moi.

— Tu crois que quelqu'un lui a fait du mal ? s'enquit Neville avec tristesse.

— Sans doute, soufflai-je, tout en sachant pertinemment que c'était forcément le cas.

Ma fille ne fut toutefois pas dupe de ma prudence puisqu'elle pinça les lèvres avec colère, la mâchoire serrée.

— C'est vraiment dégueulasse ! Il méritait pas ça.

Puis, dans un geste plein de tendresse, elle se pencha vers lui pour déposer un baiser papillon sur son crâne.

Cela eut le mérite de le sortir de son mutisme comme de son immobilisme puisqu'il releva la tête dans un jappement et se précipita à son tour sur elle pour lui lécher la joue à plusieurs reprises.

Le rire que cette caresse tira à Anna réchauffa l'atmosphère de plusieurs degrés.

— Tu penses qu'on peut essayer de le soigner un peu, Maman ? demanda-t-elle, en le serrant précautionneusement contre elle. Cet été, quand j'étais chez Papi, Tatie Gül m'a appris à panser certaines plaies chez les mammifères avec des cataplasmes de plantes mais je me souviens plus du nom de celle qui soigne les côtes cassées.

Contrairement à Gül, la femme de mon oncle Sam, qui était magizoologue spécialisée dans les soins aux animaux, mes compétences s'arrêtaient aux portes de l'anatomie humaine et je n'avais pas la moindre idée de ce qui pouvait guérir une côte blessée chez un chien.

C'était toutefois sans compter sur Neville, qui se redressa brusquement, les yeux brillants soudain d'une lueur excitée.

— C'est l'argile verte qui soigne les côtes fêlées ! dit-il avec enthousiasme. Il suffit de la mélanger avec de la poudre de ricin et de l'eau !

— Et il y en a ici ? demanda Anna, trépignant presque.

— Dans la serre n°2 et dans la serre n°4 ! Si je vais chercher des gants dans la réserve, je peux même prendre un peu de bulbe de Tapalancour dans la serre n°7 et en extraire le jus pour soigner toutes les égratignures qu'il a partout.

— Cool ! s'écria ma fille. Et moi, pendant ce temps, je peux aller lui chercher à manger dans les cuisines ! Ça se voit qu'il a rien avalé depuis des jours ! Qu'est-ce que tu en dis, Sniffle ? Ça te va comme programme ?

Le concert d'aboiements qui résonna sous la verrière et les coups de langue enthousiastes qu'il leur administra sur le visage fut une réponse des plus éloquentes à leurs projets, et bientôt, nous fûmes tous debout et dehors, devant la porte de la serre n°7, là où le chat d'Hermione semblait monter la garde.

— Maman, tu vas avec Neville, peut-être qu'il réussira à t'apprendra un truc ou deux sur comment t'occuper des plantes de la maison au passage, décida Anna avec une autorité teintée de moquerie. Et moi, je prends Sniffle, comme ça, si on croise Rusard, il pourra lui mordre les fesses. Pas vrai, Sniffle ?

Pourtant, lorsqu'elle tenta de le tirer avec elle vers le château, sans se soucier une seconde de savoir si j'avais la moindre objection à ses plans, l'animal refusa de bouger. Campé sur ses pattes comme si sa vie en dépendait, il serra les dents et lâcha plusieurs aboiements mauvais en direction de l'édifice, comme s'il représentait à lui seul un danger.

— Peut-être que la personne qui lui a fait du mal est là-bas, dans le château, et qu'il a peur d'y aller, chuchota Neville en tentant de l'apaiser du bout des doigts.

Anna émit un « Oh » chargé de colère autant que de déception, avant de le gratter entre les deux oreilles à son tour.

— D'accord alors, je peux aller chercher à manger toute seule et Neville ira cueillir les plantes. Maman, tu restes avec Sniffle pour qu'il ne s'enfuit pas si quelqu'un qu'il n'aime pas arrive, on sait jamais.

Du coin de l'œil, je vis le chien me jauger comme si j'étais justement l'une de ces personnes qu'il ne portait pas dans son cœur et sa défiance ne fut qu'une raison de plus de proposer :

— Et si c'était moi qui allais aux cuisines, plutôt ? Tu pourrais accompagner ton cousin et Sniffle resterait avec vous.

— J'irais vachement plus vite que toi avec mes chaussures !

Pour illustrer son propos, elle s'élança dans un sprint autour de la serre et, sans surprise, se retrouva à nouveau devant nous en quelques secondes à peine, malgré la circonférence imposante de la bâtisse.

— Ce n'est pas une question de vitesse, Anna, mais de sécurité, objectai-je quand même. Je n'ai pas envie que tu tombes sur n'importe qui en chemin. Et je ne parle pas seulement du concierge.

Elle fit la moue mais eut l'intelligence de ne pas prétendre que Sirius Black ne réussirait pas à la rattraper avec de telles chaussures à ses pieds.

— Et si je prends le chat d'Hermione ? négocia-t-elle, en le désignant d'un signe de tête. Je l'ai vu se battre avec le rat de Ron et je peux t'assurer qu'il est capable de tout quand il veut faire du mal à quelqu'un ! En plus, il pourra sentir si quelqu'un de bizarre s'approche et me prévenir, pas vrai Pattenrond ?

Le miaulement qu'émit le concerné fut partiellement couvert par le grognement que lâcha Sniffle mais, d'une démarche alerte, il vint se placer à la gauche de ma fille, sa fourrure rousse hérissée, comme s'il était déjà prêt à se battre.

— Je te promets que je ferais super super super attention et que je reviendrais très très très vite ! ajouta Anna, en joignant ses doigts dans un geste de supplication désespérée. S'il te plaît, Maman ?

Je cédai dans un soupir, incapable de résister à sa bouille et à son excitation.

J'avais conscience aussi de ne pas pouvoir toujours l'empêcher de faire ce qu'elle voulait, alors que j'étais si loin et dans l'impossibilité de la surveiller autant que je le voulais.

— D'accord, mais si tu n'es pas revenue dans dix minutes, je pars à ta recherche.

— Je serais déjà revenue dans cinq et Nev aussi ! fanfaronna-t-elle avec un immense sourire. Toi et Sniffle, vous avez qu'à nous attendre ici !

Et dans un coup de vent, elle disparut, vite suivie par son cousin qui s'élança dans la direction opposée, bien qu'à une vitesse pour sa part bien plus raisonnable.

Je me retrouvai ainsi seule avec Sniffle qui, après avoir gardé les yeux fixés sur la traînée de couleurs laissée dans son sillage par Anna aussi longtemps que possible, se carapata par terre, à bonne distance de moi et sans m'accorder une once de son attention.

— Si tu as quelque chose à me reprocher, mon vieux, tu peux me le dire, marmonnai-je, en me laissant tomber sur le banc de pierre installé à la gauche de l'entrée de la serre, qui accueillait habituellement les premiers élèves arrivés. Même si je ne vois absolument pas pour quelle raison, toi, tu pourrais m'en vouloir.

Il émit un reniflement presque dédaigneux, sans relever la tête, enfonçant même davantage sa truffe dans le sol boueux.

— Après tout, de nous deux, tu es le premier à m'avoir abandonné, continuai-je quand même, d'un ton plus amer que celui que je me serais imaginée utiliser face à un chien que je n'avais connu que quelques mois quand j'avais dix-sept ans. Au début, tu étais toujours là où je ne m'y attendais pas, à Pré-au-Lard, à l'infirmerie ou dans les couloirs, le plus souvent quand quelque chose n'allait pas et, du jour au lendemain, tu as complètement disparu.

De nouveau, je n'eus le droit qu'à une réaction mitigée, à peine un geignement étouffé par la terre contre laquelle il continuait de se cacher.

— Peut-être que j'ai eu tort de ne pas m'inquiéter pour toi, admis-je, en traçant des formes indéterminées sur le sol avec le talon de ma chaussure. Je me suis dit que tu étais peut-être parti avec ton propriétaire quelque part et que tu n'étais plus dans le coin. Je me suis toujours demandée si tu n'étais pas le chien de Fenwick, ou quelque chose comme ça…

Le nom de mon ancien professeur eut un peu plus d'effet puisqu'il redressa brusquement la tête, pour m'offrir un regard que je ne sus comment interpréter.

— Ça serait logique, c'est la seule personne dans le corps professoral qui n'était plus là pendant ma septième année et qui aurait pu être autorisé à avoir un chien ici. Mais comme il est mort, qui sait ? Ça n'explique pas ce que tu fais encore dans le coin, en plus.

Il répondit d'un gémissement, ses grands yeux jaunes toujours dans les miens, et tout ce que j'y vis de tristesse et de désespoir me fit déglutir.

Ce regard, je ne le connaissais que trop bien, pour l'avoir vu chez tous les rescapés de la guerre, chez toutes ces personnes qui avaient perdu leurs proches les uns après les autres. C'était ce même regard voilé que j'avais croisé si souvent dans mon propre miroir et qui était revenu me hanter tous les jours ou presque au cours de ces derniers mois.

Il fallut que je secoue la tête pour m'en détacher et retrouver le fil de mes pensées.

— Tu sais, Sniffle, je crois que si tu étais resté, tout aurait été différent, soupirai-je. Pour toi, pour moi, pour nous. Peut-être même que tu aurais fini par être aussi important que Daniel lui-même. Ou que Sirius.

J'avais murmuré mon dernier aveu si bas qu'il aurait presque pu être avalée par le vent impitoyable qui faisait hurler les arbres et leurs feuilles autour de nous, ou avoir été rendue inaudible aux autres par le bruit assourdissant que semblaient émettre les battements désordonnés de mon cœur, mais Sniffle s'immobilisa, ouvrant des yeux si grands que ses orbites parurent sur le point de tomber à ses pieds.

— Oh, ne me regarde pas comme ça, toi aussi ! marmonnai-je, agacée, en rabattant ma cape autour de moi, vérifiant d'un coup d'œil inquiet qu'aucun de mes enfants n'était de retour. Si tu as vu sa photo dans le journal et que tu penses toi aussi qu'il a toujours été diabolique, tu te trompes. Sirius n'a pas toujours été comme ça. Pas avec moi, en tous cas.

Sa gueule ouverte parût s'ouvrir encore plus grande, ce qui ne m'empêcha pas d'ajouter, comme pour me libérer enfin d'un poids qui pesait trop lourd sur ma poitrine :

— Sans lui, je crois que je ne serais même plus là pour te raconter toutes ces bêtises.

A ma plus grande surprise – ou du reste, plus grande encore que celle que je ressentais à chaque fois que Sniffle avait l'air de réellement comprendre ce que je lui disais –, il aboya bruyamment, non pas de l'air menaçant et méchant qu'il avait adopté tout à l'heure, mais de contentement.

Je le compris surtout à la façon dont il se redressa, pour mieux bondir vers moi et poser sa tête sur mes genoux.

Lorsque je caressai prudemment d'une main le haut de son crâne, étonnée par ce retournement pour le moins inattendu, il releva la tête dans un nouveau glapissement joyeux et lécha ma main puis mon bras avec enthousiasme.

Bientôt, ses pattes avant furent sur mes épaules, et exactement comme lors de nos retrouvailles quelques dizaines de minutes plus tôt, je me sentis basculer vers l'arrière, sans qu'il ne fasse rien pour m'empêcher de tomber cette fois.

La rencontre douloureuse entre mon dos et l'herbe au sol me coupa momentanément le souffle mais je fus incapable de retenir mon éclat de rire en voyant que ce contretemps n'avait pas altéré l'excitation de Sniffle, qui me retomba presque immédiatement dessus pour me lécher le visage.

— C'est bien ce que je préfère chez toi, je peux te dire n'importe quoi et tu ne me juges jamais, souris-je quand sa truffe reprit naturellement le chemin de ma clavicule, pour ne plus bouger. Tu m'as beaucoup manqué.

Il soupira pour toute réponse, expirant quelque chose qui ressemblait à de la satisfaction, et nous restâmes là un moment, immobiles au beau milieu de l'herbe un peu humide, dans le silence presque apaisant du parc vide.

Ce fut Anna qui le brisa en revenant en courant, ses pas rendus si rapides par ses chaussures ensorcelées que je l'entendis à peine arriver et sursautai violemment lorsqu'elle apparut dans mon champ de vision.

— Je vois que vous vous êtes réconciliés ! se réjouit-elle, à peine surprise de nous trouver par terre.

Je me redressai maladroitement, songeant qu'il me faudrait plusieurs douches pour me débarrasser de toutes les crasses de cette soirée et en particulier de l'odeur de chien mouillé étrangement familière qui me collait désormais à la peau.

— Si tu pensais pouvoir me remplacer si vite aux yeux de Sniffle, j'ai bien peur que tu ne sois obligée de revoir tes plans, raillai-je. Notre relation est bien plus longue, j'ai l'avantage des années.

— Peut-être mais moi, j'ai de la nourriture, répliqua-t-elle avec un sourire malicieux, en posant sur le banc plusieurs aliments emballés dans des serviettes. Je ne suis pas sûre que tu puisses gagner face à ça !

Et de fait, dès qu'elle eut commencé à déballer ses trouvailles, Sniffle se désintéressa complètement de moi, pour se jeter sans hésitation sur son premier repas depuis plusieurs jours de toute évidence. Il mangea si vite le premier plat qui tomba sous son nez que j'eus tout juste le temps d'y distinguer plusieurs tourtes individuelles à la viande ou aux légumes – je fus incapable de le déterminer – qu'il goba comme des petits bonbons.

— Je me suis dit que ça serait compliqué de transporter des plats chauds dans mes mains tout en courant alors j'ai pris le plus de trucs froids possibles, expliqua ma fille, en continuant de dévoiler ses trésors à Sniffle, qui venait de se jeter sur une quantité impressionnante de petits pains. Heureusement, ce soir, c'était poulet rôti et patates sautées donc c'est super bon, même froid, et j'ai aussi pu prendre du dessert ! De la tarte aux pommes, comme ça, il risque pas d'être malade en mangeant du chocolat.

Son énumération fut récompensée par Sniffle d'un aboiement enjoué, entre deux bouchées de la cuisse de poulet à laquelle il venait de s'attaquer, et, après l'avoir caressé avec un rire, Anna vint s'asseoir par terre, juste à côté de moi.

— Tu n'as croisé personne ? vérifiai-je, en entourant son épaule de mon bras pour l'obliger à poser sa tête sur mes genoux.

Elle se laissa faire sans protester, étirant même un sourire content.

— Juste le professeur Lupin et Pattenrond a failli l'éborgner en l'entendant arriver derrière nous. Il m'a accompagné jusqu'aux cuisines et je lui ai dit qu'on faisait un festin pour nos retrouvailles en famille, histoire de le dissuader de venir nous rejoindre si jamais c'est de lui dont Sniffle a peur.

Le dénommé s'arrêta brusquement de déchiqueter les pommes de terre dont il se régalait, sa queue cessant du même coup le mouvement de balancier qui signalait généralement sa bonne humeur. L'arrivée bruyante de Neville, ses mains gantées chargées de plusieurs plantes, parfois encore dans leurs pots, me détourna cependant rapidement de ce détail.

— J'ai trouvé tout ce qu'il fallait ! A part un seau pour le remplir d'eau mais je me suis dit que tu pourrais en faire apparaître un, Tatie.

Je fus ainsi chargée de la mission relativement aisée de métamorphoser l'un des pots qu'il vida de ses bulbes puis d'en changer régulièrement l'eau pour leur permettre de jouer les apprentis vétérinaires.

Neville, qui avait ramené bien plus de racines que prévu, s'occupa de son côté de les réduire en poudre ou en pâte, selon ce qui lui paraissait le plus adéquat, et Anna, les lèvres retroussées à la manière de Daniel quand il travaillait, ayant pris soin de resserrer sa tresse pour ne pas être distraite par des cheveux épars, s'était vue assigner la tâche essentielle de les appliquer sur les côtes puis sur le dos de Sniffle.

Ce dernier, après avoir observé notre laboratoire improvisé d'un œil critique, se tenait désormais complètement immobile, les yeux à demi-fermés, l'air serein, profitant en silence de ce traitement privilégié dont il semblait avoir été privé pendant de trop longues années.

La dernière étape de notre opération, qui consistait à l'enrouler dans des bandages pour permettre à nos onguents d'agir, me fut évidemment réservée et, lorsqu'il s'affala finalement par terre, le corps à moitié momifié, ce fut avec un soupir de bienheureux qui ne mentait pas.

Anna et Neville le rejoignirent bientôt, l'une à sa gauche et l'autre à sa droite, écopant chacun d'un coup de langue en guise de remerciement.

— Vous feriez une sacrée bonne équipe de guérisseurs, tous les deux, leur fis-je savoir, réellement impressionnée, en prenant place face à eux.

Ils grimacèrent tous les deux, peu enthousiasmés par mes nouveaux plans de carrière pour eux.

— J'ai pas d'assez bonnes notes en Potions et en plus, j'ai pas envie de travailler dans un hôpital, répondit Neville d'un ton définitif.

C'était compréhensible, considérant tout ce que le bâtiment de Sainte-Mangouste avait d'histoire et de teneur à ses yeux, et je ne précisai pas que leur complicité et leur organisation m'avait surtout fait songer qu'ils feraient une bonne équipe de guérisseurs d'urgence, de ceux qui étaient contraints d'agir dans la précipitation avec le peu de moyens à leur disposition.

La guerre m'avait contrainte à le devenir et je ne leur souhaitais pour rien au monde d'avoir à endosser les mêmes responsabilités que celles qui avaient pesé sur mes épaules à l'époque.

— Et moi, je préférerais soigner les animaux, indiqua Anna. Ou écrire des livres ! Ou faire des films ! Ou des dessins animés ! Oh, comme ça serait trop bien !

Elle passa le reste de notre temps dehors à imaginer le scénario farfelu d'un chien qui avait perdu toute sa famille et son propriétaire précédent dans un terrible accident et qui, soumis à de mauvais traitements par une famille d'humains qui n'avaient rien à envier aux demi-sœurs diaboliques de Cendrillon ou à la belle-mère de Blanche-Neige, ne réussissait à s'en sortir que grâce à ses connaissances en Botanique et à un gang de chats sauvages dont l'ingéniosité lui permettait en définitive de s'enfuir pour ouvrir sa clinique vétérinaire dans une campagne bucolique.

A la fin de son récit, Neville pleurait presque de rire, j'étais incapable de faire disparaître le sourire qui mettait pourtant à rude épreuve mes zygomatiques et, sans doute porté par notre enthousiasme, Sniffle semblait presque applaudir avec ses deux pattes avant.

J'aurais aimé pouvoir rester là indéfiniment, coincée dans cette petite bulle de bonheur et de sérénité qui semblait si étrangère à tous les maux qui rythmaient mon existence, et qui garderait Anna, Neville et même Sniffle éloignés de ceux qui perturbaient les leurs.

La nuit glaciale écossaise et la fatigue qui commençait à creuser les traits de mes enfants en décidèrent cependant autrement.

Quand Anna tenta d'étouffer un énième bâillement dans le creux de son coude et que je ne pus plus ignorer plus longtemps les tremblements qui secouaient régulièrement Neville et l'obligeaient à serrer contre lui sa robe trop fine, je me résolus à jeter un coup d'œil à ma montre.

Il était plus de deux heures de matin.

— Je pense qu'il est largement l'heure de rentrer pour tout le monde, leur annonçai-je avec une moue désolée.

— Oh non ! s'exclama ma fille, en roulant jusqu'à moi pour m'empêcher de tout son poids de me lever. Je veux pas que tu rentres !

— Si je pouvais rester avec vous, tu sais bien que je n'hésiterais pas.

— Alors reste ! Tu peux dormir à la Tour ! On peut même prendre Sniffle !

— Sauf qu'il veut pas aller au château, lui rappela Neville tristement, comme en écho au gémissement qu'émit le chien.

— Et le professeur McGonagall risque de ne vraiment pas apprécier d'apprendre que j'ai dormi sur un canapé de votre salle commune, ajoutai-je, peu enthousiaste à l'idée de donner à sa directrice de maison une raison de me crier dessus à son tour.

— C'est nul, bougonna-t-elle, en acceptant toutefois de me relâcher.

Je me levai à regret et lui tendis une main pour l'aider à en faire de même.

— Dans trois mois, ce que tu trouveras nul, c'est de vivre à nouveau avec moi et toutes mes règles et interdictions stupides, plaisantai-je pour détendre l'atmosphère.

Elle plissa le nez dans une moue, préférant se pencher sur Sniffle, qui s'était à son tour dressé sur ses jambes.

Debout l'un en face de l'autre, ils faisaient presque la même taille.

— Comment il va faire pour enlever ses bandages ? s'inquiéta-t-elle en l'embrassant sur le sommet du crâne. Il peut pas faire ça tout seul.

Neville, qui semblait se poser la même question, tourna un regard incertain dans ma direction.

— Peut-être que tu pourrais les desserrer pour qu'il puisse s'en débarrasser plus facilement ? Ou les rendre perméables à l'eau pour qu'ils finissent par tomber tout seuls s'il pleut ?

Avec une grimace, je tentais de me remémorer les formules de métamorphose susceptibles d'influer sur une matière comme celle des bandelettes, sans réussir à me décider sur la plus adéquate.

— Ou sinon, on peut essayer de le retrouver demain dans le Parc pour les lui enlever, proposa alors Anna. Je suis sure qu'il comprend tout ce qu'on dit et qu'il viendrait si on lui donne rendez-vous !

Sniffle aboya, comme pour acquiescer, ce qui poussa Anna à lui encadrer le visage de ses deux mains, un sourire espiègle sur les lèvres.

— Demain, à la dernière sonnerie, celle qui marque la fin du dîner, on t'attendra ici, d'accord ? lui chuchota-t-elle, en désignant d'un doigt l'intérieur de la serre que nous avions quitté. Neville vient tous les soirs et il n'y a jamais personne. Je t'apporterai même un repas !

Un nouvel aboiement d'excitation et un coup de langue baveux scellèrent cet accord qui n'en était peut-être même pas un et, après une dernière pluie de baisers et de caresses sur le crâne de Sniffle, Neville et Anna furent prêts à lever le camp.

Le cœur un peu serré de devoir l'abandonner, je me résolus à les imiter et m'accroupis pour me retrouver à la hauteur du chien.

— Fais attention à toi, s'il te plaît, lui soufflai-je tout bas. Je ne m'y attends jamais quand ça arrive mais j'aime bien te trouver sur ma route de temps en temps et j'aimerais bien que ça continue.

Pour toute réponse, sa truffe se posa sur mon nez pendant quelques secondes, avec une telle douceur que je fermai instinctivement les yeux.

Lorsque je les rouvris, il avait disparu.

– O –

Avec Anna et Neville comme guides, le retour jusqu'à la Tour des Gryffondors se fit plus rapidement qu'à mon arrivée mais, contrairement à ce que j'avais imaginé, la salle commune n'était pas vide.

Derrière la table qui semblait encore plus encombrée de livres et de parchemins en tous genres, à quelques mètres de la cheminée désertée qui expirait ses derniers relents de chaleur et de feu, Hermione était toujours là.

La tête posée sur une encyclopédie, les yeux hermétiquement fermés, la bouche à moitié ouverte et la respiration régulière, elle était de toute évidence endormie et ne sursauta même pas lorsque le portrait de la Grosse Dame se referma en grinçant sinistrement derrière nous.

— La pauvre, elle va avoir un torticolis si elle reste trop longtemps comme ça, chuchota Anna avec une grimace compatissante. On devrait la réveiller pour qu'elle aille dormir dans son lit.

— Je m'en occupe, souffla Neville en se dirigeant à pas prudents et sur la pointe des pieds vers sa camarade.

J'accompagnai de mon côté Anna jusqu'au bas des escaliers menant à son dortoir, ouvrant deux bras démesurément grands pour réclamer un câlin dès qu'elle se fut hissée sur la deuxième marche pour se retrouver à peu près à ma hauteur.

Elle s'y réfugia immédiatement et je la serrai contre moi en m'efforçant de ne pas l'étouffer.

— J'aurais tellement aimé pouvoir te présenter Romilda et Allister avant que tu partes, regretta-t-elle à mi-voix, sans se préoccuper, elle, de la force de son étreinte.

Il ne me vint cependant pas à l'esprit de m'en plaindre, savourant la sensation de ses petits doigts qui s'enfonçaient dans mon dos et de son menton qui me perforait le ventre.

— Tu pourras les inviter à passer quelques jours avec nous pendant les vacances, lui promis-je. J'ai bien l'intention de découvrir si cet Allister méritait vraiment que tu t'insurges contre Rogue et récolte une retenue pour lui.

Ses jolis yeux caramel s'illuminèrent d'excitation et elle s'écrasa encore davantage contre moi.

— Trop cool ! Je leur dirai demain, ils vont être contents !

Derrière nous, une exclamation étouffée se fit entendre, brisant le silence dans lequel était plongée la Tour, et je me retournai pour voir Neville, la main sur l'épaule de son amie désormais réveillée et les lèvres étirées en un rictus d'excuse. Pendant une seconde, sa camarade parût se demander où elle pouvait bien être puis ses yeux s'écarquillèrent d'horreur et elle commença à fouiller avec précipitation dans ses notes et dans ses livres, attrapant d'une main tremblante une plume encore gorgée d'encre qui avait formé une flaque à quelques centimètres du bouquin sur lequel elle s'était assoupie.

De là où j'étais, je n'entendis que des brides des mots affolés qui s'échappèrent de sa bouche en un flot ininterrompu mais le peu qui me parvint – « Botanique », « Runes », « Arithmancie », « pas finis », « devoirs », « catastrophe », « rater mon année » – fut suffisant pour me donner une idée de l'ampleur du problème.

Avec un soupir, je reportai mon attention sur Anna et me détachai tout doucement et à regret de son étreinte, caressant doucement du pouce l'une de ses joues encore roses du froid extérieur.

— N'oublie pas de prendre une douche et de bien sécher tes cheveux avant de te coucher, ou tu risques d'attraper froid. Tu as encore la serviette que ton grand-père t'a fabriquée et qui permet de les sécher rapidement, j'espère ?

Elle opina sagement du chef avant de murmurer, avec hésitation :

— Je peux te poser une question avant que tu partes, Maman ?

— Ce que tu veux, lui accordai-je facilement, en déposant un baiser sur son front.

— Est-ce que toi et Papa, vous vous êtes disputés ?

Je fronçai les sourcils, sans pouvoir ignorer le looping que fit mon estomac à l'idée que la rumeur de notre engueulade récente lui soit parvenue. Je doutai que Daniel, même en colère, le lui ait apprit lui-même mais la liste de ceux qui auraient pu le lui révéler était longue.

— Au cours de toute notre vie, tu veux dire ? choisis-je toutefois de me faire préciser, en me raccrochant à l'espoir – un peu naïf – qu'il s'agissait d'une interrogation complètement hasardeuse liée à la fatigue qui commençait à l'assommer.

Malheureusement pour moi, elle secoua la tête, en se mordant la lèvre inférieure.

— Non, je veux dire, il y a pas longtemps. Vous m'avez envoyée tous les deux les mêmes livres que je vous avais demandés par des paquets séparés et je me suis dit que ça voulait dire que vous vous étiez pas parlés avant de le faire. Sauf que vous vous parlez tout le temps alors j'ai pensé que… Mais tout à l'heure, tu as dit qu'il t'avait parlé de la lettre que je lui ai envoyé alors je me suis peut-être trompée…

Ses mains qu'elle tordait sans le réaliser et sa mine inquiète qu'elle cachait derrière un masque vacillant de courage me serrèrent un peu la gorge et, pendant une courte et ridicule seconde, je fus même tentée de passer sous silence ces dernières semaines qui m'avaient labouré le cœur, juste pour voir son visage perdre de cette gravité dont elle n'avait pas besoin.

— On s'est un peu engueulés, oui, lui avouai-je cependant, parce que mentir n'avait jamais été une option entre nous. Mais tout va bien maintenant.

— Promis ? vérifia-t-elle, en plissant les yeux. Vous n'allez pas arrêter de vous parler toute votre vie, comme toi et… comme toi et Sirius Black ? murmura-t-elle dans une expiration précipitée, avec un regard rapide et indécis en direction de Hermione.

Cette dernière était trop occupée à paniquer pour se soucier de nous, cependant, de sorte qu'elle ne put m'entendre déglutir péniblement.

Je me forçai pourtant à sourire, écartant d'un geste faussement léger de la main cette hypothèse, comme si elle était farfelue.

Comme si je n'avais pas conscience d'avoir aussi pensé, à l'époque où Owen m'avait poignardée dans le dos, que Sirius ne pourrait jamaisme trahir à son tour, alors qu'il l'avait fait.

— Daniel et moi, c'est pour toute la vie, comme toi et Neville, je te le promets. Maintenant file ou tu ne réussiras pas à te réveiller avant le dîner demain !

Confiante en ma parole, heureusement encore trop jeune pour réaliser que tout était rarement aussi acquis, elle se fendit d'un rire à la fois soulagé et amusé, quémanda un nouveau baiser, puis un autre, écrasa à son tour ses lèvres contre ma joue à plusieurs reprises et finalement, après un dernier câlin et à contrecœur, commença à grimper les escaliers menant à sa chambre.

Sa silhouette venait à peine de disparaître dans un tournant quand elle redescendit plusieurs marches en courant et que sa tête et le haut de son pyjama désormais boueux réapparurent dans mon champ de vision.

— N'oubliez pas mon anniversaire, surtout ! C'est bientôt !

Je ne pus m'empêcher de rire face à cette manœuvre qui lui ressemblait tant.

— Le 23 juin, c'est ça ? Ne t'en fais pas mon trésor, je l'ai bien noté dans mon agenda.

Elle tomba évidemment dans le panneau, ouvrant de grands yeux scandalisés.

— Quoi ?! Mais c'est l'anniversaire de Papa, le 23 juin ! Moi, je suis née le 24 avril !

— Oh, vraiment ? m'étonnai-je, en me grattant pensivement la joue. J'ai dû confondre. Après tout, ce 24 avril correspond seulement au jour où j'ai eu l'impression qu'on me coupait le ventre en deux, tout ça pour en faire sortir un petit monstre. Rien de très mémorable, après tout !

Elle me tira la langue, l'air néanmoins soulagée.

— C'est pas drôle, Maman ! J'espère que j'aurais le double de cadeaux, pour la peine !

Je ne lui avouai pas que c'était précisément ce qui était prévu, parce que la distance qui nous séparait risquait de nous rendre, son père et moi, complètement déraisonnables, et me contentai d'un geste de la main pour la chasser vers son dortoir.

— Ce qui est sûr, c'est que tu n'auras rien du tout si tu ne vas pas te coucher tout de suite ! la menaçai-je d'une voix faussement sévère.

Prudente comme elle l'était seulement lorsqu'il s'agissait de s'assurer des cadeaux, elle me souffla un baiser et un « Je t'aime » avant d'être avalée par le tourbillon des escaliers qu'elle monta à toute vitesse.

Je pus ainsi rejoindre Neville et sa camarade, qui ne semblait pas prête, de son côté, à se détacher de sa chaise.

La recherche frénétique qu'elle avait mené dans ses papiers désordonnés s'était certes terminée, mais elle était désormais penchée sur un parchemin presque vierge, sur lequel elle écrivait à une vitesse étourdissante des mots qu'elle raturait trop vite et trop souvent, en marmonnant des onomatopées incompréhensibles.

Neville, impuissant, l'observait sans plus rien dire, visiblement à court d'arguments pour la convaincre d'aller se coucher.

— Elle veut absolument finir ses devoirs de Botanique et de Runes avant de monter pour pouvoir terminer ceux de Métamorphoses et de Sortilèges demain, me chuchota-t-il avec une grimace. Je lui ai proposé de lui prêter mon devoir de Botanique pour l'aider, je l'ai déjà terminé, mais elle ne veut pas.

— C'est parce que c'est de la triche, Neville ! grogna l'intéressée sans relever la tête, en s'acharnant encore davantage sur sa plume.

La pression qu'elle y exerçait était telle qu'une petite explosion de gouttes d'encre ne tarda pas à avoir lieu juste sous son nez, l'obligeant à éloigner son visage de son parchemin avec précipitation pour limiter les dégâts.

Ses yeux gonflés et cernés, quand ils croisèrent les miens, me frappèrent toutefois bien davantage que les tâches noires et de tailles inégales qui s'éparpillaient désormais sur ses joues.

— Tu laisses bien Ron et Harry copier tes devoirs et tu corriges les leurs parfois, fit remarquer Neville timidement, en fouillant dans ses poches à la recherche, sans doute, d'un mouchoir en papier.

Lorsqu'il n'en trouva pas, il tira sur une des manches de sa robe et, avec un naturel presque déroutant, entreprit d'essuyer le visage de son amie.

Interloquée, Hermione elle-même resta figée pendant un court instant puis, comme si ce simple geste de réconfort avait débloqué les vannes de toute la tristesse qu'elle s'obligeait à garder pour elle, elle se mit à pleurer dans un flot ininterrompu de grosses larmes.

Neville me lança un regard paniqué, éloignant précipitamment sa main de ses joues inondées, pour la poser toutefois presque immédiatement, bien qu'avec hésitation, sur son épaule la plus proche.

— Ron et Harry feraient jamais certains de leurs devoirs sérieusement si je les aidais pas, c'est pour ça que je le fais ! sanglota-t-elle entre deux hoquets irrépressibles, épongeant elle-même ses yeux avec les manches de son pull. Moi par contre, je peux me débrouiller toute seule ! Je me suis toujours débrouillée toute seule ! C'est pour ça que les professeurs McGonagall et Dumbledore m'ont permis de suivre tous les cours que je voulais !

Je dus me retenir de commenter ce dernier point, ravalant ma remarque sur le fait qu'ils étaient surtout complètement inconscients, et ce depuis plusieurs décennies déjà.

— Mon oncle Dan dit souvent que parmi les leçons qu'il a appris à ses dépens au cours de sa vie, la plus importante c'est que demander de l'aide et admettre qu'on en a besoin n'est pas un signe de faiblesse, au contraire. Pas vrai, Tatie ?

Mon hochement de tête confirma cette maxime, peut-être la préférée de Horton.

— Et quand il était à l'école, il disait aussi souvent que s'inspirer n'est pas tricher pour se justifier de me voler mes devoirs de Sortilèges, ajoutai-je d'un ton léger, dans l'espoir de détendre l'atmosphère.

Pour toute réponse, Hermione renifla, sans que je sache si elle désapprouvait ce point de vue ou tentait seulement de reprendre progressivement le contrôle sur sa respiration et sur elle-même.

Neville, lui, esquissa un léger sourire, en pressant encore un peu plus ses doigts sur l'épaule de la jeune fille.

— Si tu as peur que mon devoir soit trop mauvais par rapport à ce que tu rends au professeur Chourave d'habitude, je peux juste te ramener les livres que j'ai utilisés, proposa-t-il gentiment.

Les yeux de sa camarade se plissèrent, avec une évidente désapprobation.

— T'es plus fort en Botanique que moi, Neville, arrête de te rabaisser, le réprimanda-t-elle.

Il haussa les épaules avec modestie mais estima sans doute plus raisonnable de ne pas disputer ce point.

— Ça veut dire que tu veux bien prendre mon devoir et aller dormir ? Je peux aller te le chercher tout de suite, si tu veux !

Le mouvement instinctivement négatif qu'elle amorça de la tête stoppa Neville dans son élan, alors qu'il s'apprêtait déjà à s'élancer vers les dortoirs.

— Mais si tu as du temps demain et que ça te dérange pas, je veux bien qu'on en discute pour savoir ce que tu as trouvé sur le sujet, suggéra-t-elle toutefois, d'une toute petite voix. Ça m'aiderait beaucoup.

La mine de Neville, qui s'était légèrement assombrie, retrouva instantanément de sa jovialité.

— Avec plaisir ! s'exclama-t-il, soulagé. On peut se retrouver en début d'après-midi à la Bibliothèque, ça te va ?

Elle approuva d'un hochement de tête moins enthousiaste, esquissant néanmoins un sourire reconnaissant dans sa direction, avant de baisser les yeux vers la table chargée de toutes ses obligations.

Son regard était toujours obscurci par un nuage d'angoisse qui faisait peine à voir.

— Il faut quand même que je termine ma traduction de Runes, chuchota-t-elle, en attrapant d'une main tremblante un rouleau de parchemin bien entamé, ainsi qu'un des lexiques qu'elle avait à disposition. J'ai presque fini, ça sera pas très long, promis.

Neville ne sut quoi répondre, tournant seulement ses yeux bleus désemparés dans ma direction.

— Monte te coucher, mon grand, je vais l'aider à boucler tout ça, le rassurai-je, en tirant d'autorité une chaise pour m'y asseoir.

— T'es sure, Tatie ? vérifia-t-il, tandis qu'en face de moi, la jeune Gryffondor ouvrait de grands yeux horrifiés.

Il était évident qu'elle n'avait pas envisagé une seconde que je me propose de l'aider.

— Vous n'êtes pas obligée, Madame ! Je peux me débrouiller toute seule, ça va me prendre à peine dix minutes !

— Ou même pas cinq si je m'en mêle, objectai-je gentiment, mais avec fermeté. Je n'ai peut-être pas fait de Runes depuis des années, mais j'ai toujours eu de très bonnes notes dans cette matière pendant ma scolarité.

Elle ouvrit la bouche pour protester, peut-être pour m'expliquer à nouveau sa vision de la tricherie et à quel point elle était éloignée de la mienne, mais avant qu'elle ne puisse m'en empêcher, je m'emparai de son parchemin, d'une de ses plumes, d'un flacon d'encre et de son lexique, tirant un rictus satisfait à Neville au passage.

— Merci d'être venue, Tatie, dit-il en se penchant vers moi pour me serrer dans ses bras. Ça m'a fait plaisir de te voir et de te parler.

— Moi aussi, mon grand, tu n'imagines pas à quel point.

Il m'embrassa sur la joue avec un sourire, me chargea de saluer Daniel, souhaita une bonne nuit à sa camarade et, à son tour, fut happé par les escaliers menant à son dortoir.

Je me retrouvai seule avec Hermione.

— Vous n'êtes pas obligée de m'aider, Madame, répéta-t-elle alors, en se mordant nerveusement les lèvres. Neville ne le saura pas si vous partez, je ne lui dirais pas.

Levant un œil de son devoir – qui me paraissait jusqu'ici parfait et dont l'exercice principal consistait à traduire des maximes latines –, je lui adressai un regard rassurant, quoiqu'un peu excédée par cette entêtement propre aux Gryffondors.

— Je ne fais pas ça seulement pour Neville, Hermione, lui fis-je savoir doucement. On ne dirait peut-être pas comme ça mais j'ai aussi été une adolescente et je sais ce que c'est que d'avoir le sentiment que tout va mal et que rien ne pourra jamais s'arranger. Je sais aussi que c'est encore pire quand trop de devoirs s'accumulent et que les amis qui sont censés nous aider deviennent subitement bêtes et nuls. J'ai vécu tout ça.

Elle déglutit, ses joues se teintant progressivement d'un léger rouge vermillon, qui semblait aller de pair avec son regard tout à coup fuyant.

— Neville vous a tout raconté ?

Les yeux sur la fin du texte à traduire – quelques lignes à peine –, je plongeai ma plume dans l'encre, secouant au passage la tête.

— Il n'aurait jamais osé. C'est Anna la commère du duo.

Son hochement de tête approbatif aurait presque pu laisser croire qu'elle fréquentait ma fille régulièrement mais la façon dont elle porta son pouce à ses lèvres, avec anxiété, m'apprit que ce n'était certainement pas ce qui l'intéressait.

Elle resta silencieuse quelques dizaines de secondes de plus pourtant, m'observant en se rongeant les ongles, oubliant même de protester contre les mots que j'écrivais sur son devoir et qui l'obligerait à le recopier au propre avant de pouvoir le rendre au professeur Babbling.

Ce ne fut que lorsque j'arrivai à l'avant-dernière phrase à traduire de l'anglais au Futhorc – la maxime latine « Pulvis et Umbra Sumas » – qu'elle se racla la gorge et osa demander :

— Et comment vous avez fait pour que tout s'arrange, finalement ? Quand, euh, vous aviez mon âge et que tout allait mal ?

Son ton chagriné me rappela un peu trop toutes les émotions qui m'avaient obstrué la gorge à cette époque-là mais je réussis à étirer les lèvres en un sourire, en lui désignant le parchemin sur lequel j'étais penchée.

— J'ai accepté l'aide des autres pour mes devoirs et pour d'autres choses, répondis-je. Ça a débloqué pas mal de situations.

Elle eut un timide rictus de remerciement et dégagea nerveusement les cheveux épais qui s'étaient échappés de derrière ses oreilles.

— Même avec vos amis bêtes et nuls ? s'enquit-elle doucement.

Un rire instinctif m'échappa, devant cette appellation qui correspondaient parfaitement au souvenir que j'avais gardés de Sirius et de Daniel.

— Ceux-là ont fini par revenir tout seuls ou avec un peu d'aide du destin.

Elle plissa le nez, sceptique.

— Je ne crois pas au destin. C'est un concept qui sert à rassurer ceux qui ont trop peur de l'avenir ou à justifier les actes de ceux qui ne savent pas comment les assumer après coup.

Je laissai échapper un petit rire, devant cette nouvelle preuve qu'elle était bien l'élève intelligente que Neville m'avait décrite.

— Avec un peu d'aide des aléas de la vie, alors ? proposai-je à la place, sans entrer dans ce débat un peu trop philosophique pour l'heure qu'il était. Il arrive toujours un moment où la vie se charge de remettre du plomb dans la tête de celles et ceux qui semblent l'avoir perdu. Y compris dans la nôtre.

A nouveau, elle ne répondit rien pendant un instant, portant simplement son index à sa bouche pour en mordiller la peau au niveau des articulations.

— Et s'ils ne reviennent pas ?

Je pris le temps de traduire la dernière maxime – « A posse ad esse non valet consequentia » –, me laissant moi-même le temps de songer à tous ceux – celui– qui n'étaient pas revenus.

— S'ils partent et ne reviennent jamais, c'est qu'ils n'en valaient pas la peine, fut ma réponse, peut-être un peu abrupte.

Je le réalisai en l'entendant avaler sa salive dans un bruit ostensiblement inquiet, sans réussir à cacher sa terreur à cette idée.

Et je la comprenais au fond, je comprenais ces sentiments trop forts, cette conviction que tout et tout le monde en valait la peine, que chaque amitié, chaque coup de cœur, chaque relation nouée méritait toutes les peines qui l'accompagnaient.

J'avais mis du temps à me convaincre du contraire, sans être certaine d'ailleurs d'avoir vraiment réussi.

Ce fut pour cette raison, et peut-être aussi pour faire disparaître son air horrifié, que j'ajoutai, d'un ton plus léger :

— Mais rassure-toi, mes deux idiots à moi sont revenus et n'ont plus osé repartir avant longtemps, si ce n'est jamais. Et nous nous étions disputés pour des raisons autrement plus graves qu'un rat avalé par un chat et un balai confisqué.

Je posai ensuite ma plume sur la table et soufflai sur l'encre encore brillante pour l'aider à sécher plus vite, avant de lui tendre son devoir terminé avec un sourire.

Elle l'attrapa avec hésitation en s'efforçant de me rendre la politesse, malgré ses lèvres encore un peu tremblantes.

— Merci, Madame Atkinson. Désolée de vous avoir dérangé. Et aussi de vous avoir crié dessus devant tout le monde tout à l'heure, ajouta-t-elle plus bas, avec une grimace confuse et rougissante.

Je balayai ses excuses d'un geste de la main.

— Tu ne m'embêtes pas et tu peux m'appeler Mackenzie, lui assurai-je sincèrement. C'est la moindre des choses quand on sait que tu es la seule personne à avoir défendu Neville de cette façon, là où tous ceux qui auraient dû le faire se sont lâchement défilés.

— Je suis sure qu'il aurait fait la même chose à ma place, marmonna-t-elle, en rougissant encore davantage.

— Ça n'en mérite pas moins un Ordre de Merlin selon moi, répliquai-je avec légèreté, sans mentir cependant.

Ses lèvres s'étirèrent plus largement tandis qu'un rire lui échappait, dévoilant des dents très blanches et plus brillantes encore que la lueur dans ses yeux.

— Je préférerais un Prix Nobel mais je prends quand même, plaisanta-t-elle à son tour.

Elle entreprit ensuite de ramasser les milliers de parchemins parsemés autour d'elle et je l'aidai, en refermant les livres posés sur la table, qui auraient pu constituer à eux seuls une bibliothèque tout à fait honorable. L'un d'eux en particulier attira mon regard et ma curiosité parmi la foule de manuels scolaires dont les titres seuls faisaient remonter beaucoup trop de souvenirs à la surface de ma mémoire, si bien que je l'attrapai du bout des doigts.

— « Au nom de la loi, je vous arrête ! Tome 4 : la responsabilité du fait des animaux magiques, histoire et origines », lus-je sur la couverture, avant de hausser un sourcil dans sa direction. Dois-je y voir le signe que le professeur Binns a décidé d'enfin diversifier ses cours en parlant d'autre chose que des innombrables révoltes de gobelins ?

Elle laissa échapper un rire face à cette blague qui n'avait visiblement pas vieilli avec les années.

— Non, pas vraiment, on étudie justement la révolte de Gurtuk le Sanguinaire au 16èmesiècle en ce moment.

— Une lecture de chevet alors ? raillai-je en lui rendant son livre.

Elle l'attrapa avec une moue que je ne sus comment interpréter.

— C'est juste une lecture pour aider Hagrid dans ses recherches. Vous connaissez Hagrid ?

— Il y a des gens qui ont été scolarisés à Poudlard il y a moins de vingt ans et qui ne connaissent pas Hagrid ? lui renvoyai-je du tac au tac. J'espère qu'il ne s'est pas encore fourré dans une histoire improbable impliquant des créatures mythologiques à ne pas approcher.

J'avais prononcé cette phrase avec une pointe d'amertume et en espérant très fort me tromper mais son rictus penaud me parût être un aveu évident.

— En quelque sorte mais ce n'était pas sa faute cette fois ! le défendit-elle néanmoins. Au début de l'année, il est devenu professeur de soins aux créatures magiques et pendant notre premier cours, un idiot de ma classe a provoqué l'Hippogriffe qu'il nous présentait et a été blessé. Il y a eu une plainte et il va y avoir un procès et je me suis proposée pour aider Hagrid à trouver des arguments pour éviter à Buck d'être condamné à mort.

Ses yeux firent un aller-retour rapide vers le livre qu'elle tenait toujours entre ses mains et elle ajouta dans une grimace :

— Le moins qu'on puisse dire, c'est que jusqu'ici, ça n'a pas été un grand succès. Je ne trouve que des précédentes jurisprudences négatives !

— Il faut dire que les sorciers ne sont jamais très indulgents avec les créatures fantastiques qui sont difficiles à domestiquer, comme les Hippogriffes. Je suis même étonnée qu'un procès lui soit organisé.

— D'après ce que Hagrid nous a dit, le professeur Dumbledore est intervenu en sa faveur.

J'émis un « Ah » un peu plat, me retenant tant bien que mal de grogner mon agacement face à cette manie de sa part.

— Dans ce cas, c'est étonnant qu'il n'ait pas réussi à faire complètement annuler le procès.

Ses lèvres se pincèrent, tandis qu'elle jetait le livre dans son sac un peu trop violemment.

— Le garçon qui a été blessé vient d'une famille très influente dans le monde sorcier, expliqua-t-elle d'un ton si féroce que je ne pus manquer toute la haine qu'elle lui portait. Il s'appelle Draco Malefoy, peut-être que vous connaissez sa famille ?

Ce fut à mon tour de plisser les lèvres face à ce nom qui n'éveillait en moi – au mieux – que des envies de meurtre et – au pire – des souvenirs désagréables du temps de la guerre.

— En tant que patriarche d'une grande famille de Sangs Purs, son père Lucius a un siège au Conseil des Mages qui assiste le Ministre dans certains aspects du fonctionnement du Ministère, notamment pour tout ce qui concerne la justice magique. Il m'arrive donc de le croiser et on ne peut pas dire que je l'aime beaucoup.

C'était même un euphémisme, considérant sa tendance à s'acheter encore davantage d'influence en graissant la patte du Ministre et de ses plus proches subordonnés à chaque fois que l'occasion se présentait.

A ce népotisme enrageant s'ajoutait tout ce que m'en avait raconté Sirius pendant la guerre ou avant et qui, si la moitié de ce qu'il m'avait dit était vrai – et c'était sans doute vrai, puisqu'il s'agissait du mari de sa cousine et, surtout, d'un de ses collègues Mangemorts – ne donnait définitivement pas envie d'apprendre à le connaître personnellement.

A en croire ses traits qui se décomposèrent, Hermione ne fut cependant pas dupe de mes propos volontairement mesurés et de ma mine que j'espérais aussi neutre que possible.

— Vous pensez que son influence auprès du gouvernement va jouer en sa faveur, c'est ça ? s'alarma-t-elle, désespérée.

Je pensais même que le dénommé Buck avait déjà un jugement de condamnation à son nom quelque part dans un tiroir du troisième étage du Ministère mais le lui dire, alors que je venais de passer une soirée plus que mouvementée et que la sienne n'avait pas été moins fatigante, n'était toutefois pas une option.

— Un juge compétent ne résiste pas très longtemps à une argumentation solide, la rassurai-je plutôt, sans mentir.

Il s'agissait juste de ne pas lui dire que la commission d'examen des créatures dangereuses n'était pas composée de juges, et peut-être même pas de personnes compétentes.

— Mais je ne trouve rien de solide, justement ! s'écria-t-elle quand même, d'une voix rendue plus aiguë encore par la panique. J'ai cherché dans toute la Bibliothèque ou presque, et je ne trouve rien du tout ! Oh Merlin, si Buck est condamné à mort, Hagrid va être inconsolable !

Ses yeux qui s'embuaient déjà m'indiquèrent que la possibilité d'un nouveau déferlement de larmes n'était pas invraisemblable, sans Neville et sa douceur pour y mettre fin cette fois.

— Je peux regarder de mon côté si j'ai quelques livres ou si quelqu'un au département de contrôle et de régulation des créatures magiques a quelque chose qui pourrait t'aider, proposai-je donc précipitamment, dans l'espoir d'endiguer la crise. Les bibliothèques du Ministère sont sans doute un peu plus portées sur le sujet que celle de Poudlard.

Son regard s'illumina à tel point que je craignis, pendant une courte seconde, qu'elle ne bondisse sur moi pour m'embrasser, comme avait été sur le point de le faire Olivier Dubois.

— Vous feriez ça ? se contenta-t-elle pourtant de s'exclamer, dans un sourire démesuré. Oh, merci merci merci ! Ça serait super ! Enfin, si vous avez le temps, bien sûr.

— Il faut bien qu'il y ait quelques avantages à obtenir un Ordre de Merlin virtuel de la part d'une personne qui n'est pas habilité à en délivrer, raillai-je avec un clin d'œil.

Elle se fendit d'un rire et, son sac enfin fermé et accroché à son épaule, elle attrapa la pile de bouquins qu'elle n'avait pas pu y caser entre ses bras, prête enfin à rejoindre son lit.

— Merci de m'avoir aidé, Madame Atkinson, fit-elle juste avant d'entamer la volée de marches menant aux étages. Neville a de la chance de vous avoir dans sa vie.

Un sourire sur les lèvres, je vérifiai qu'elle ne me fasse pas un coup à la Anna en revenant précipitamment en arrière mais ce fut du côté de l'autre escalier, et alors que je m'apprêtais enfin à passer le tableau de la Grosse Dame pour quitter la Salle commune, que se fit entendre un bruit de pas précipités.

— Madame Atkinson, attendez !

En me retournant, je découvris Dean, dans un sweat trop grand pour lui floqué du logo de l'équipe de football de West Ham, l'air à la fois alerte et épuisé.

— Est-ce que je peux vous parler, juste une minute ? demanda-t-il d'un ton hésitant, en se stabilisant sur la dernière marche de l'escalier qu'il venait de dévaler.

Mon premier réflexe fut de jeter un coup d'œil à l'horloge au-dessus de la cheminée et dont le tic-tac marquait les secondes avec une régularité agaçante.

— Il est plus de trois heures du matin, Dean, soupirai-je. Tu devrais être couché depuis longtemps.

Il baissa les yeux vers ses chaussettes banalement blanches, en se mordant la lèvre inférieure d'un air coupable.

— Je sais, souffla-t-il. Je suis désolé. C'est juste que j'ai entendu dire tout à l'heure que vous étiez là quand Olivier Dubois est venu prévenir Neville de votre visite et je voulais vous parler alors j'ai attendu que Neville revienne mais il a mis du temps à rentrer et quand je suis descendu après son retour, vous étiez en train de parler avec Hermione et je voulais pas vous déranger, ni qu'elle croit que je vous espionnais alors je suis resté dans les escaliers jusqu'à ce qu'elle monte. Et euh… s'il vous plaît ? Ça sera pas long, promis.

Ses yeux suppliants, dont la forme me rappelait un peu trop ceux de Riley, me firent céder plus rapidement encore que les pupilles d'Hermione et je relâchai la porte que je tenais encore ouverte. Avant qu'elle ne claque, j'entendis la Grosse Dame grogner quelque chose à propos de ces élèves insensibles qui n'hésitaient jamais à la réveiller à n'importe quelle heure.

Dean, de son côté, en profita pour me rejoindre au pas de course, comme s'il craignait que je ne m'enfuie quand même.

— Si c'est à propos de l'enquête sur ton père, je n'ai malheureusement rien de nouveau à te dire depuis la fois où j'ai rencontré ta mère, lui indiquai-je d'un ton navré. J'imagine qu'elle t'en a parlé ?

Je l'espérai en tous cas, car la seule perspective de lui résumer notre avancée – peu glorieuse – à ce sujet me donnait envie de fuir très loin, là où je ne risquais pas de lui briser le cœur.

A mon grand soulagement, il hocha la tête, même s'il parût un peu déçu.

— Oui, elle m'a raconté et elle m'a aussi dit que le policier en charge de l'enquête lui donnait régulièrement des nouvelles, même s'il n'y en a pas beaucoup. Il s'appelle Kingsley Shacklebolt, c'est ça ?

— C'est ça, confirmai-je. C'est un très bon Auror.

Je me promis même d'offrir au dénommé une bouteille de Whisky Pur Feu, pour le remercier de gérer ce dossier mieux encore que je ne l'avais imaginé.

— Ma mère a dit qu'il avait l'air compétent, m'approuva Dean gravement. Mais c'est pas de ça dont je voulais vous parler. Enfin, pas vraiment… C'est… euh… à propos de ma tante.

Il se racla nerveusement la gorge avant d'ajouter, d'une voix tout aussi incertaine :

— J'ai une tante, non ? C'est ce que ma mère m'a dit.

Le seul fait qu'il ait à me poser la question, à moi qui avais eu la chance d'avoir Riley dans ma vie, et qui avais même pu rencontrer son père à quelques reprises, suffit à me serrer la gorge de chagrin.

Je me forçai toutefois à ne rien laisser transparaître et hochai simplement la tête.

— C'est une très bonne amie à moi, lui fis-je savoir. Elle s'appelle Riley.

Il laissa échapper un « Oh » confus, en avalant sa salive dans un bruit ostensiblement perturbé.

— J'ai entendu Anna et Neville en parler une fois, me révéla-t-il. C'est elle qui a fabriqué les baskets d'Anna, celles qui permettent de courir très vite, je crois ? Je pensais que c'était votre sœur ou la sœur de son père parce qu'Anna l'appelle tante Riley.

Lui aussi s'efforçait de garder un air digne et teinté de neutralité, mais l'ironie injuste de la situation ne lui échappait pas, je le voyais bien à ses yeux voilés.

Pendant un instant, je fus presque tenté de lui expliquer que ce qu'Anna avait gagné en côtoyant celle qui aurait dû être sa tante à lui cachait en réalité d'autres absences, celle de mon frère pour commencer, qui n'avait jamais été son oncle que de nom, celle de ma mère aussi, qui avait été fauchée avant que je puisse envisager moi-même qu'elle devienne grand-mère et celle d'Alice et Frank bien sûr, qui n'avaient jamais pu jouer leur rôle auprès de ma fille et de mon neveu.

Ce n'était pas un concours de souffrances cependant et j'en avais suffisamment conscience pour taire tous ces détails qui ne seraient sans doute même pas capables d'adoucir la brûlure de son amertume.

— Riley est la marraine d'Anna, c'est aussi pour ça qu'elles sont proches, lui précisai-je quand même.

Il acquiesça, un peu mécaniquement, avant de demander :

— Est-ce qu'ils ont d'autres frères et sœurs ? Mon père et ma… euh, Riley ?

— Non, ils n'étaient que deux.

— Et leurs parents ? Ils sont vivants ?

Je me fendis d'une moue, pas certaine de savoir comment répondre à cette question-là.

Devais-je lui dire que Riley, tout en étant ma meilleure amie, n'avait pas mentionné sa famille devant moi depuis des années ? Que le sujet était presque tabou, parce que la guerre avait achevé de faire exploser ce qui était déjà bien trop fissuré pour ne pas se briser ? Qu'elle ne parlait jamais de ses parents autrement que reniflant de mépris, si bien que je n'osais plus depuis longtemps aborder ce sujet ?

Ce dont j'étais certaine, c'est qu'il n'apprécierait sans doute pas de s'entendre dire que jusqu'à ce que je le rencontre sur la voie 9 ¾ à la dernière rentrée et que je tique sur son nom, Riley avait décrété, sans visiblement s'en assurer, que son frère était décédé.

Je soupirai.

— Je ne suis pas sure d'être la mieux placée pour répondre à cette question, Dean.

Mon expérience des réponses évasives avec Anna aurait dû me faire réaliser qu'il s'agissait d'une mauvaise façon de formuler le problème, ce que je ne compris pourtant que quand il écarquilla les yeux un peu trop grands.

— Il leur est arrivé quelque chose de grave ? s'inquiéta-t-il. Pendant la guerre ?

— Non, non ! m'empressai-je de démentir. Je ne crois pas en tous cas. C'est juste que je n'ai pas toutes les réponses et je ne voudrais pas te dire des bêtises.

Il hocha la tête, en se tordant les mains de plus belle.

— Vous pensez que ma tante… enfin, Riley… vous pensez qu'elle voudrait bien m'en parler si je lui demandais ? Qu'elle voudrait bien me rencontrer et répondre à certaines questions, sur mon père et sur sa… ma… notre famille ?

Il fut plus difficile de garder un air neutre cette fois et de ne pas ouvertement grimacer devant cette hypothèse.

Lui avouer que la peur viscérale de Riley d'être blessée la rendait excessivement méfiante à l'égard de l'enquête que nous menions était la dernière chose dont j'avais envie maintenant, alors qu'il était trois heures vingt-six du matin et que j'étais loin d'être la mieux placée pour le faire.

— Peut-être, mentis-je donc. Si ta mère est d'accord, bien sûr.

J'avais posé cette condition dans le seul but de me laisser au moins jusqu'aux vacances d'été pour convaincre Riley, certaine que sa mère ne le laisserait jamais rencontrer une tante qu'il n'avait jamais vu sans elle-même poser certaines exigences.

C'était sans compter sur l'enthousiasme et l'impatience propres aux adolescents qui, combiné ici à un besoin de savoir dont je ne pouvais mesurer l'ampleur, me prirent complètement de court.

En le voyant se redresser d'un coup, gagnant au passage un nombre de centimètres que je ne me souvenais pas lui avoir vu auparavant, je sus que mon plan était sur le point de se casser la gueule.

— On en a déjà parlé justement et elle est déjà d'accord ! s'exclama-t-il avec un nouvel espoir qui me serra la gorge. Enfin, seulement si elle peut être là, mais j'imagine que vous pourrez organiser ça, vous ou Riley ? Il y a une sortie à Pré-au-Lard dans deux semaines, vous pensez qu'elle serait disponible pour venir ce jour-là ?

— Euh… Je… C'est peut-être possible, je ne sais pas, bafouillai-je, sans réussir à cacher mon incertitude. Il va falloir que je lui demande, d'accord ? Riley est quelqu'un de très occupée.

Occupée la plupart du temps à m'emmerder mais c'était un job à part entière qu'elle prenait très à cœur et Dean n'avait de toute façon pas besoin de tels détails.

A en croire le sourire sincèrement reconnaissant qu'il m'adressa, il semblait d'ailleurs pour l'heure se satisfaire de la simple possibilité d'une telle rencontre.

— Pas de problème, je comprends. Tenez-moi juste au courant dès que possible, s'il vous plaît ? Pour que je me prépare avant.

Se préparer à quoi, je n'en avais pas la moindre idée, et pourtant l'immensité des possibilités – et ce qu'elles devaient provoquer d'appréhension et d'excitation mêlées chez lui – manqua de me faire déglutir.

— Promis, m'entendis-je souffler, en sachant que je serais désormais incapable de ne pas soumettre l'idée à Riley. File te coucher maintenant.

Il obéit sans difficulté, prenant le temps de me remercier avec enthousiasme, et je passai le reste du trajet en direction de l'extérieur à me fustiger d'être à ce point incapable de dire non.

En plus de tout ce qui m'était tombée dessus depuis l'été dernier, je me retrouvais désormais obligée de convaincre ma meilleure amie récalcitrante de s'intéresser encore un peu plus à une famille qui, d'aussi loin que je m'en souvienne, n'avait fait que la blesser.

Sans parler des recherches à mener pour sauver un hippogriffe déjà condamné par ce salopard de Malefoy, tout ça pour rassurer une gamine que je venais à peine de rencontrer et au profit d'une personne sur qui j'avais injustement déversé ma colère en début de soirée.

Avec ma chance, j'allais certainement tomber nez à nez avec Harry et devoir me justifier de n'avoir pas été capable de réaliser que la menace qui pesait sur lui et ses parents était aussi la personne dont j'avais été la plus proche pendant la guerre.

Ou avec Sirius lui-même, et Merlin seul savait à quel point cette rencontre-là serait une catastrophe à tous les niveaux.

A cette seule pensée, je sentis mes doigts se serrer instinctivement autour de ma baguette, enfoncée dans la poche de ma robe.

Les couloirs de l'école que j'étais en train de traverser étaient pour l'heure plongés dans un silence d'église et vidés de tous leurs habitants – morts ou vivants –, ce qui n'arrangea pas mon rythme cardiaque et ma nervosité.

Elle était telle que j'accélérai sensiblement le pas à chaque armure que je croisais, à chaque ombre qui se dressait sur mon chemin et au moindre souffle de vent qui faisait grincer les milliers de portes probablement mal fermées autour de moi.

J'arrivai dans le Grand Hall plus essoufflée que je n'aurais dû et m'apprêtai à rejoindre l'étendue dégagée du Parc et son impression trompeuse de sécurité quand un mouvement presque imperceptible attira mon attention dans la périphérie gauche de mon champ de vision.

Repulso ! m'écriai-je aussitôt, en dégainant ma baguette avant même de le réaliser.

Le corps qui s'envola immédiatement à travers le Hall, non sans une exclamation, n'était pas celui de Black et j'en reconnus les cheveux châtains saupoudrés de gris au moment où il commença à rouler dans les escaliers et s'écrasa finalement dans l'herbe.

— Et merde ! soufflai-je, en dévalant les marches à mon tour, pour m'accroupir à ses côtés. Ça va ?

Affalé sur le dos, une grimace de douleur déformant ses traits, le souffle court et l'air déboussolé, Remus s'efforça de me rassurer d'un sourire – qui avait l'air de le mettre au supplice – et d'un hochement de tête – qui lui tira un grognement plaintif.

— J'ai connu mieux mais ça va aller, mentit-il toutefois, en tentant de se redresser en position assise à l'aide de ses mains éraflées par les pierres de l'escalier.

Je l'aidai en lui offrant précipitamment mon coude, puis en le faisant s'asseoir sur la dernière marche avec précaution.

— Tu as mal quelque part en particulier ? vérifiai-je, en m'accroupissant devant lui.

Il roula des épaules, comme pour en détendre les muscles, et grimaça à nouveau.

— A mon amour propre, principalement, plaisanta-t-il. Tu connais un sortilège efficace pour le réparer ?

Je souris, sans pouvoir m'empêcher, dans un vieux réflexe de guérisseuse, de tendre un doigt devant ses yeux pour m'assurer qu'il n'avait aucune commotion.

Il en suivit le mouvement sans problème et me promit ne voir que trois doigts lorsque j'ajoutai mon majeur et mon annulaire à mon index déjà levé.

— L'humilité ne marche pas trop mal s'il s'agit seulement d'un ego blessé à l'idée de s'être fait battre par une femme, répondis-je alors, en prenant place juste à côté de lui.

— Tu rigoles, j'espère ? Les plus belles raclées en duel que j'ai essuyées, c'étaient contre des femmes et mon ego de mâle n'a jamais eu de problème avec ça. A l'époque en revanche, je n'étais pas professeur de Défense contre les forces du mal et cette partie-là de mon ego a un peu plus de mal à avaler de s'être fait avoir comme un bleu. Heureusement qu'aucun de mes élèves n'était là pour me voir désavoué de la sorte.

Je m'entendis rire, presque avec complicité.

— Je ne dirais rien à personne, promis-je.

— C'est très aimable à toi, sourit-il.

Il y eut un silence, dont il profita pour étirer ses jambes devant lui, et peut-être vérifier que je ne lui avais brisé aucun os, et je ne pus m'empêcher d'ajouter :

— Si je peux te donner un conseil pour l'avenir, cela dit, ça serait d'éviter de te cacher dans un coin sombre au moment où une femme seule et sur le qui-vive passe par-là. Peut-être que ça t'évitera d'être envoyé dans un mur ou autre déconvenue de ce genre.

Le coin gauche de sa bouche se releva, dans un demi-rictus.

— J'essaierais de m'en souvenir la prochaine fois que j'attendrais quelqu'un. A ma décharge, ça ne m'arrive pas souvent de le faire au beau milieu de la nuit, et encore moins dans un château hanté par les fantômes et les esprits frappeurs.

Sans parler des anciens amis psychopathes, songeai-je avec cynisme, sans toutefois le dire.

— Les rumeurs qui disaient à notre époque que tu n'étais pas aussi innocent que tu voulais le faire croire et que tu avais régulièrement des rendez-vous galants en pleine nuit n'étaient donc pas vraies ? préférai-je me moquer. Je suis presque déçue.

— Et moi donc, j'aurais adoré ! ricana-t-il. Malheureusement, j'ai plus de souvenirs de nuits à essayer d'échapper à Rusard que de nuits passées à embrasser des filles.

— Tant que tu n'as aucun souvenir de nuits passées à embrasser Rusard, je pense que ce n'est pas si mal.

Il gloussa, surpris sans doute de ce trait d'humour improbable, et, à nouveau, un silence s'installa, plus apaisé et moins lourd que le précédent. Il fut le premier à le briser, en se raclant la gorge d'un air gêné.

— Je me suis porté volontaire pour te raccompagner au portail à la place de Hagrid, m'indiqua-t-il en se levant. On peut y aller, si tu veux.

Poliment, il tendit une main pour m'aider à me relever et je la saisis, moins par nécessité que pour faire montre de ma bonne volonté. Pendant quelques dizaines de secondes, peut-être une minute ou deux, aucun de nous ne dit rien et je vis bien, à la façon dont il lissait nerveusement sa cape en me jetant des coups incertains à intervalles réguliers, qu'il cherchait un moyen de remettre notre dernière discussion sur le tapis.

— Si tu t'es proposé pour pouvoir t'excuser par rapport à notre conversation de tout à l'heure, sache que tu as perdu de précieuses heures de sommeil pour rien, le devançai-je. C'est moi qui te dois des excuses, en réalité.

Étonné, il s'arrêta une seconde de marcher pour tourner la tête dans ma direction, un sourcil haussé en guise d'interrogation silencieuse.

— Neville m'a raconté ce que tu as fait pour lui, précisai-je. Et ce que tu comptes continuer à faire, j'imagine ?

Il émit un « Ah ? » un peu embarrassé, comme si le fait qu'il ait pris de son temps pour consoler et rassurer mon neveu, ainsi que pour faire revivre pour lui le souvenir de parents qui étaient presque morts, n'était qu'un détail.

— Ce n'est pas grand-chose, me confirma-t-il d'ailleurs, d'une voix dégagée. Surtout en comparaison de tout ce que je n'ai pas fait pendant douze ans.

La pointe de douleur qu'il fut incapable de minorer et que je perçus dans son ton suffit à faire peser une couche supplémentaire de culpabilité sur mes épaules.

— Il y a des tas de choses que je n'ai pas faits pendant douze ans et que je regrette amèrement, soufflai-je. Je n'étais vraiment pas la mieux placée pour te reprocher quoique ce soit.

— Bien sûr que si ! grogna-t-il avec une telle colère que je me figeai.

Il s'en rendit évidemment compte et m'offrit un regard d'excuse.

— Tu ne peux pas dire que tu n'es pas bien placée pour me reprocher de n'avoir jamais rendu visite à Frank et Alice au cours des douze dernières années, reprit-il un ton plus bas, sans toutefois perdre de sa hargne. Pas alors que tu as dû leur rendre visite souvent et être la personne la plus présente auprès de Daniel et de Neville pendant tout ce temps.

— Peut-être, admis-je du bout des lèvres. Ça ne me donnait pas le droit de te reprocher de rendre visite à Lily et James.

— Un peu quand même, insista-t-il, têtu. Alice et Frank étaient aussi mes amis.

— Pas comme James et Lily. Et c'est même pas la peine de chercher à le nier ! grinçai-je quand il fit mine d'ouvrir la bouche avec véhémence. Vous aviez le même âge, tu as partagé avec eux une salle commune et des milliers de cours pendant sept ans, sans compter un dortoir et un bon milliard de blagues pas drôles avec Potter. Je suis sûre qu'ils savaient tout de toi.

— Tu n'imagines même pas à quel point, marmonna-t-il à voix basse, plus pour lui-même que pour moi sans doute.

Le regard instinctif – et définitivement triste – qu'il leva vers le ciel, là où la lune à demi-pleine et à moitié cachée sous des dizaines de nuages brillants était accrochée, le trahit cependant.

Je réalisai alors que c'était la première fois que je revoyais Lupin depuis que j'avais appris – bien malgré moi – la raison qui expliquait son teint maladif, ses cicatrices et ses absences mensuelles à l'école. En dire quoique ce soit, ou me comporter autrement, ne me vint cependant pas à l'esprit. Ce serait jouer le jeu malsain d'Ombrage et j'étais désormais certaine que la clé pour être une meilleure personne était de faire exactement le contraire de tout ce qu'elle faisait.

Je restai donc silencieuse, me contentant d'avancer à sa hauteur à travers le parc désert, les yeux sur le chemin qui s'étendait devant nous pour m'assurer de ne pas glisser bêtement.

— Ce n'est pas pour ça que je ne suis jamais venu rendre visite à Alice et Frank à Ste Mangouste, finit-il par expirer, bien après que nous ayons dépassé le Saule Cogneur, sur lequel ses yeux mélancoliques s'étaient attardés un long moment. C'est juste que je… j'ai toujours eu peur qu'ils me jugent.

— Alice et Frank ? vérifiai-je, les sourcils froncés par la perplexité.

Il opina avec une grimace, en évitant mon regard.

— C'est stupide, j'en ai conscience mais… je sais pas… Leurs yeux pourraient me reprocher d'avoir disparu de la circulation à la seconde où j'ai appris ce qu'avait fait Black, d'avoir été incapable de réaliser que les proches de Voldemort pourraient s'attaquer à certains d'entre nous, d'avoir été trop égoïste pour continuer à me battre, d'être encore vivant et tout seul alors qu'ils auraient pu aisément prendre ma place sans que je ne manque à personne et être là pour Neville. Ce genre de choses…

La gorge serrée face à ces réflexions qui m'étaient presque familières, je fus incapable de trouver une réponse et il continua, d'une voix plus brisée encore :

— Lily et James ne peuvent pas me reprocher grand-chose, eux. Ils sont là sans être vraiment là et quand je vais leur rendre visite, je peux leur raconter n'importe quoi sans qu'ils me regardent d'un air désabusé ou déçu. Ça me paraît beaucoup plus simple et moins dangereux.

Là encore, je ne répondis rien, faisant tout juste claquer mon index avec mon pouce, et il conclut, dans un reniflement à la fois moqueur et méprisant :

— Tu dois te demander comment j'ai pu atterrir à Gryffondor et donner le change pendant toutes ces années. Tu n'es certainement pas la seule d'ailleurs, Riley doit se poser la même question.

Cette fois, je laissai échapper un rire un peu étranglé par l'émotion mais suffisamment railleur pour exprimer mon sentiment.

— Ça serait quand même sacrément culotté de sa part. Je n'ai jamais vu quelqu'un s'enfuir aussi vite que Riley quand elle a peur d'être blessée. Pourquoi est-ce que tu crois que les premières chaussures qu'elle a inventées sont celles qui lui permettent de se faire la malle en quelques secondes ? Ce n'est certainement pas un hasard.

Il ricana, retrouvant toutefois rapidement le rictus amer qui déformait ses traits fatigués.

— Je lui ai écrit, tu sais ? Après que tu me l'aies conseillé quand on s'est vus en novembre. Elle ne m'a jamais répondu.

Le « Oh » qui lui répondit fut difficile à interpréter, même pour moi.

Était-ce de la surprise à l'idée qu'il ait osé, malgré douze de silence de sa part et de rancune du côté de Thomas ?

Était-ce de la déception en constatant que cette traîtresse ne m'avait rien dit, alors qu'elle abusait de mon hospitalité depuis des mois ?

Certainement un peu des deux.

— Je ne savais pas, lui avouai-je en ralentissant le pas à la vue du portail. Je suis désolée.

J'avais presque oublié les centaines de Détraqueurs qui y stationnaient mais ni les images que j'y associais, ni la voix de Sirius n'eurent le temps de venir me distraire. Remus avait déjà sorti sa baguette et lancé un Patronus en forme de loup à l'assaut des créatures les plus proches, qui s'élevèrent plus haut dans un râle mécontent.

Il tira ensuite de sa poche le trousseau de clés de Hagrid et entreprit de libérer le passage.

— T'en fais pas, je m'attendais pas vraiment à ce qu'elle le fasse. A mon avis, il faudrait que je tombe sur elle par hasard en pleine rue pour qu'elle accepte de me parler, et encore si elle s'enfuit pas avant.

D'un geste galant de la main, il m'invita à rejoindre l'extérieur, d'où je pourrais enfin rejoindre mon lit en quelques secondes, avant de m'offrir un sourire un peu triste qui eut raison de mes précautions habituelles.

— Rien n'est encore sûr mais on sera peut-être à Pré-au-Lard lors de la prochaine sortie autorisée, si tu veux retenter ta chance, lui fis-je savoir en quittant le domaine. Je veillerai à ce qu'elle enfile une paire de chaussures normales, pour être sure que le combat soit équitable cette fois.

Et avec un rictus d'encouragement, je transplanai.


Alors, alors, alors ? ;-)

Je le dis souvent j'ai l'impression, mais c'est un chapitre que j'avais hâte d'écrire pour mille raisons, parmi lesquelles : Anna. Neville. Sniffle. Hermione.

Ai-je besoin d'en dire plus ?

Ah si ! Le croche-pied à Rogue, un beau moment aussi ! ;p Sans parler de Dumbledore qui se fait enfin un peu secouer pour la gestion merdique de son école. Et McGonagall : je l'adore mais cette punition de Neville, ça ne pouvait pas passer comme ça ! (bon, j'avoue que Mackenzie y va un peu fort en lui reprochant son favoritisme envers Sirius devant tant de gens...)

J'ai beaucoup rigolé à écrire Dubois aussi, comme Fred et George et le reste de l'équipe (Harry est volontairement absent, héhé).

J'ai comme l'impression que les moments Anna/Sniffle vont faire jaser, peut-être plus encore que ce qu'on apprend à demi-mots de Sirius et Mackenzie ainsi que les moments entre Sniffle et Mack. J'ai personnellement le coeur qui a fondu quand Sirius console Neville. Et quand Mackenzie se confie à Sniffle sur Sirius (le pauvre, sacrée soirée pour lui aussi dis donc !). Et quand Anna fait une crise de larmes pour sa dispute avec Neville (une tendance au drame dans cette famille, non ? :p). Sans parler de l'atelier pansage des plaies et festin de roi pour Sniffle. Et le futur dessin animé que va écrire Anna sur Sniffle et son gang de chats sauvages (wink wink Aliete). Et quand Neville console Hermione. Et Hermione qui engueule Mackenzie et défend Neville aussi. Hermione et Mackenzie discutant des idiots de leurs vies (comme le dit si bien Anna : les garçons sont vraiment nuls). Dean qui veut rencontrer Riley. Riley qui fabrique des baskets trop chouettes. Et Remus toujours là pour briser des coeurs avec sa culpabilité et sa solitude.

Oh, et les quelques indices et clins d'oeil lâchés ici et là sur l'intrigue à Poudlard, peut-être en avez-vous repéré quelques-uns ? ;p

Je suis curieuse en tous cas de savoir ce que vous avez pensé de tout ça !

Le prochain chapitre a pour titre (peut-être provisoire) « L'art de plaider » et on devrait y retourner au Ministère pour faire avancer toutes ces intrigues qui n'arrêtent pas de s'ajouter ! ;-)

En attendant, n'hésitez pas à laisser une review : comme indiqué dans ma note d'autrice de la dernière fois, ça illumine mes journées et en comparaison du temps que me demande la rédaction et la publication d'un chapitre aussi long, c'est si rapide !

Et pour celleux qui auraient manqué l'information : un spin-off de cette histoire qui raconte un autre épisode de la vie de Sirius et Mackenzie est disponible sur mon profil sous le nom de Cartographie des étoiles. Allez y jeter un coup d'oeil et commentez, ça me ferait plaisir !

J'attends de vos nouvelles avec impatience ! :)

Et surtout, restez chez vous et prenez soin de vous et de vos proches.