LES ENFANTS DE LA RAISON

En ce monde, il existe peu de personnes au courant de la principale raison de l'existence de L, le grand détective international. L un jour, était arrivé sur Terre, sans visage, mais possédant cette voix particulière, trafiquée mais en même unique, traversant un écran blanc d'ordinateur. Sa présence fut tolérée comme celle d'une croyance un peu sauvage, une certitude floue mais présente, celle d'une entité que refuser de reconnaître serait une abomination. L existait aussi bien que la nuit et le jour, et sa silhouette derrière les objets de technologie était aussi nette que celle de n'importe quel humain.

L n'aurait jamais existé… si le concerné ne s'était pas manifesté. Et même Quillsh Wammy ne l'aurait pas détecté, si un certain épisode de sa vie ne l'avait pas autant marqué.

A cette époque, Quillsh Wammy avait cinquante-huit ans et possédait une fortune qui dépassait plus de dix milliards de dollars. Cependant, personne, en le rencontrant dans la rue n'aurait pu imaginé que derrière ce physique simple se cachait l'un des hommes les plus riches et les plus intelligents du monde.

Wammy était un homme de science, d'origine écossaise. Il était né avant la Guerre, et l'avait traversé, ballotté par les problèmes économiques qu'elle avait conçu. Fort heureusement, ses parents avaient gardé une partie de leur richesse, étant des descendants d'une grande famille noble d'Ecosse et lui avaient permis de vivre bon gré mal gré. Et Quillsh avait vécu de cette manière, avant de dévoiler peu à peu des talents qu'il avait conservé depuis longtemps au fond de ce cerveau remarquable qui était le sien.

A partir de 130 de QI, l'on est considéré en théorie comme en pratique de surdoué. Quillsh, quant à lui, possédait un QI supérieur à 165 et savait parfaitement en utiliser toutes les ressources. Il possédait cette intelligence pratique, technique, extrêmement complexe sur des plans bien définis et, chose que les gens reconnurent en premier lieu, une incroyable gentillesse doublée d'une générosité sans égale.

A vingt-cinq ans, Quillsh permit à de nombreux inventeurs connus d'améliorer leurs créations tout en diminuant leur danger potentiel ou leurs défauts. Ainsi, durant cette période de l'Histoire où la technologie avançait à grand pas, l'homme acquérit une place indispensable dans le monde technologique. Il fut l'un des premiers à travailler pour la NASA et à participer à la création de fusées et de satellites. Il créa des nouveaux systèmes informatiques extrêmement performants, permettant pour les générations futures de développer le terrain préparé. Ses inventions, ses prouesses et ses aides lui apportèrent plus d'argent que sa famille ne pût jamais en posséder.

Néanmoins, Wammy, en homme sage et juste, estima préférable de placer cet argent pour une bonne cause. En 1975, il fit ouvrir un orphelinat à Cornouailles, équipé de la meilleure technologie et des meilleurs éléments pour que les enfants soient extrêmement bien traités. Cette action, soutenue par la population, aboutit à la création d'une dizaine d'autres orphelinats dans le monde, également applaudis.

Personne, pas même lui, n'allait se douter que le 28 Janvier 1987 allait bouleverser le monde dans plusieurs années à venir. Quillsh était un homme intelligent, profondément bon mais hélas peu disposé à regarder l'horizon pour ce genre de choses.

Le Projet Wammy, ainsi nommé, ne prendrait place que cette même année 1987. Car à ce moment-là, l'inventeur de cinquante-huit ans rencontrerait un enfant particulier.

Le Premier.

L.

PREMIERE PARTIE

SEPT ANS

CHAPITRE I

JEU

Maman. Froide.

28 Janvier 1987, Royaume-Uni, Cornouailles, Restormel.

La voiture, féline et noire, s'arrêta dans un vrombissement tenu devant les grandes grilles noires. Sous le soleil froid d'hiver, le chauffeur descendit avant d'ouvrir la portière arrière, s'inclinant avec respect. Quillsh Wammy sortit de la voiture, remerciant son chauffeur d'un signe de tête puis fit quelques pas jusqu'à la grille. Non loin, des éclats de rire enfantins perçaient le calme des lieux.

Quillsh Wammy eut un sourire attendri, contemplant d'un œil doux les façades du manoir se tenant dans une splendeur figée à l'abri du monde. C'était une bâtisse de taille impressionnante, aux murs clairs contrastant avec le noir du grand toit, et aux larges fenêtres blanches d'un temps ancien. Au-dessus de l'entrée brillait une croix, plantée sur les tuiles sombres en un signe protecteur.

La plaque en pierre « The Wammy's House » le fit un peu plus sourire sans qu'il ne sache tout à fait pourquoi. Il ressentait cette joie légère d'avoir accompli un travail colossal et être capable d'en admirer les fruits. Cela faisait près de huit ans que l'orphelinat avait été achevé et déjà plus d'une soixantaine d'enfants y vivaient, entourés de gens justes, capables de les aider à construire leur avenir, de s'établir dans la société future en tant qu'adultes.

Le chauffeur s'approcha de lui mais il fit un geste de la main.

- Merci, Wallace. J'irai à pieds, dit-il d'un ton posé. J'ai envie de retrouver ce lieu comme pour la toute première fois.

Le chauffeur acquiesça avant de retourner à la voiture. Quillsh le regarda démarrer et s'éloigner d'un œil satisfait. Une vague douce de souvenirs le submergea de la même façon que la chaleur d'un feu et il ouvrit la grille, sentant le contraste du métal froid contre sa peau telle une sensation nouvelle mais en temps familière. Il n'était pas revenu en ces lieux depuis cinq ans, ayant dû travaillé sur un projet primordiale de technologie spatiale qui lui avait pris tout son temps disponible.

Roger.

Il soupira.

Quand ses pieds foulèrent la terre de la propriété, il se sentit revenir dans le passé. Lui désignant les travaux à effectuer, les placements du bâtiment, lui posant la plaque devant des dizaines de personnes, l'applaudissant. Lui accueillant les tous premiers enfants, apeurés devant une aussi grande demeure mais rassurés par le sourire de l'inventeur milliardaire.

Le manoir était apparu sur les terres de Restormel lentement, pierre par pierre. Cette terre calme avait plu à Quillsh, paisible et extrêmement enrichissante, et héritage d'une branche éloignée de sa famille installée en cette région.

Il contempla d'un œil rapide les jardins, immenses et bien entretenus, parsemés d'arbres en cette saison jaillissant en formes décharnées et nues. Les enfants jouaient au football à une dizaine de mètres à l'ouest du manoir, ayant improvisé le terrain avec des règles n'appartenant qu'à eux. En effet, il voyait mal dans un vrai match l'arbitre jouer avec les équipes, changeant de camp au gré de ses envies. Les enfants sifflaient le joueur intrus tout en l'encourageant de ses prouesses.

Les adultes de demain.

Les enfants étaient bien trop plongés dans leur jeu pour faire attention à Quillsh qui en profita pour gravir les marches accédant à la grande et lourde porte d'entrée du manoir. Lorsqu'il frappa, ses trois coups résonnant contre le bois, il ne savait pas que cette journée d'hiver changerait sa vie.

Complètement.


Durant sa vie, l'inventeur écossais avait connu de nombreuses personnes nanties d'une véritable compassion et surtout d'un respect envers autrui. Il les avait appréciés, aimés et cela de façon aussi bien fugitive en raison de ses déplacements sans fin à travers le monde, que durable, étant un homme loyal et fidèle.

Roger faisait partie des gens de cette catégorie. C'était un homme qui en cette année 1987 était âgé de cinquante-trois ans. D'origine française, il avait connu Quillsh au début des années 60 lors d'un projet commun sur la création d'un nouvel appareil destiné au monde médical. Les deux hommes, depuis cette période, n'avaient jamais perdu le contact malgré la distance et avaient entrepris ensembles la construction du premier orphelinat, ici, à Cornouailles. Roger, physicien remarquable, avait cessé ses travaux pour s'occuper en tant que sous-directeur de la Wammy's House, ayant un véritable don avec les enfants. Il se dégageait de lui cette impression naturelle de bonté et de fermeté mêlées que les orphelins adoraient. Quillsh, bien que venant rarement à l'orphelinat, était perçu comme un véritable second père pour les enfants vivant dans cette demeure. Et les savoir en sécurité, en paix, suffisait à son bonheur.

- Je suis bien heureux de te voir, Quillsh, dit Roger tandis qu'ils traversaient le grand couloir les amenant au bureau de l'ancien physicien. Mais je ne m'attendais pas à ce que tu arrives aussi vite. Tu viens de New York, c'est cela ?

- Oui, mais je ne regrette pas le voyage, répondit l'inventeur en souriant. Ne pas être ici auprès des enfants me manquait. Et ne plus te parler comme autrefois aussi.

Roger laissa échapper un rire en trois notes.

- Il est vrai qu'avec ton travail, tu n'as guère de temps pour être en mesure de t'occuper de l'orphelinat.

Leurs pas claquaient sur le carrelage brillant.

- D'ailleurs, où sont les autres enfants ? J'en ai vu quelques uns dehors.

- Ils sont en classe avec Margot, répondit Roger en secouant la tête.

Son visage prit une expression très particulière et extrêmement subtile. Cela ne dura qu'un bref instant mais Quillsh y perçut comme un frémissement, trahissant une gêne certaine.

- Roger…

Son ami eut un léger froncement de sourcils. Il ralentit puis arrêta de marcher, surprenant Quillsh qui le fixa. Il y eut un temps de silence assez court mais relativement pesant.

- Je t'ai appelé pour quelque chose que tu es le seul à résoudre, Quillsh, avoua finalement Roger, la voix très basse, métallique.

- Que se passe-t-il, Roger ?

- Il y a un enfant que je dois te montrer.

Quillsh détourna les yeux, observant une peinture accrochée sur le mur blanc. C'était un paysage peint à l'huile et les couleurs mouchetées lui donnèrent un instant l'impression de danser devant son regard. La sensation de malaise disparut aussi vite qu'elle était apparu mais Quillsh ne put s'empêcher d'éprouver une sorte d'angoisse en entendant la voix de Roger, devenant un peu plus grave, plus profonde comme s'il tentait de faire entrer les mots dans l'esprit de son ami sans à peine les formuler.

- Je ne suis pas comme toi, Quillsh, ajouta Roger de cette voix si particulière. Je ne suis pas en mesure de pouvoir le comprendre, d'entrer dans sa manière de penser. Tu es, à mon avis, le seul qui puisse véritablement lui parler.

Il hésita un instant puis fixa son regard dans celui de l'inventeur.

- Il a quelque chose… que tu pourras sûrement trouver, même si je ne sais guère quoi exactement.

Quillsh ne répondit pas, mais il sut parfaitement que son silence suffit. Quelque chose en lui se mit à battre, sourdement, furtivement, et il mit plusieurs secondes avant de réaliser ce que c'était.

La peur.


- Il s'appelle L Lawliet, et a sept ans.

La porte devant eux était close. Le couloir était vide et il y régnait une atmosphère électrique, parcourant de décharges d'adrénaline l'échine de Quillsh. Il n'avait pas ressenti une telle sensation depuis près de vingt ans, alors qu'il avait commencé à créer des machines de plus en plus performantes. Son esprit était en pleine effervescence, travaillant et analysant chaque information que Roger lui donnait.

Derrière la porte, l'enfant.

Lui.

- L ? répéta Quillsh, sans perdre le fil de ses réflexions.

- Oui, c'est ainsi qu'il s'appelle. Est-ce une erreur de l'administration ou que sais-je encore, c'est le nom qu'il porte. Tout à fait officiel, répondit Roger en fronçant légèrement les sourcils. On ne peut pas le changer, c'est sa mère qui en a décidé ainsi.

- Quand est-il arrivé ici ?

- Il y a un mois environ. Il habitait auparavant à Lostwithiel, non loin d'ici. Il n'y avait plus de places à l'orphelinat de la ville mais suffisamment ici. On l'a accepté sans problèmes.

Quillsh dardait son regard sur le bois de la porte, comme s'il tentait vainement d'y observer à travers le garçon dont Roger racontait les événements marquants de sa vie.

- Que s'est-il passé ? demanda-t-il dans un souffle, ayant presque peur que l'enfant puisse l'entendre.

Roger ne répondit pas aussitôt, le regard plongé dans le vague. A cet instant, il parut excessivement vieux, fatigué alors qu'il n'avait pourtant que la cinquantaine. Il resta silencieux un instant puis soupira.

- Sa mère s'est suicidée, peu avant Noël. C'est le garçon qui a prévenu la police quelques jours plus tard. Selon les dires, on aurait retrouvé l'enfant dans la chambre de sa mère, près du corps, ayant l'air très calme. Les autorités ont découvert que Lian Lawliet, la mère de L, était maniaco-dépressive et avait suivi plusieurs séjours à l'hôpital de Saint Austell, avant la naissance de son fils. Elle était jeune, à peu plus de vingt-cinq ans quand elle est morte. On ne sait pas qui est le père de L.

La voix de Roger sembla s'atténuer au fur et à fur qu'il parlait et Quillsh crut un instant que le monde autour de lui était plongé dans une ambiance étouffée, suffocante, où les sons ne passaient plus. Son esprit brûlait de cette flamme retrouvée, mélange de peur et d'excitation, un peu celle de quelqu'un sur le point de faire une chose terrible et ne plus pouvoir s'arrêter à temps.

- Tu ne m'as pas parlé avant, rétorqua sèchement Quillsh.

- Je n'y ai pas pensé, j'étais bien trop occupé avec le garçon. Tu sais, il a vécu sept ans avec cette femme qui paraît-il avait de grosses crises, bien que le voisinage ne la voyait presque pas. Il arrivait seulement que quelques nuits, on l'entendait crier à la mort puis plus rien. Les gens n'ont pas voulu s'en mêler, ils ignoraient même qu'elle avait un enfant. On a effectué un examen corporel mais on n'a trouvé aucune marque de coup, aucune preuve de quelque abus. Cependant… je doute que cet enfant ait été bien traité. Il est très angoissé, même s'il n'en parle pas, très tendu au point qu'il n'est pas capable de dormir correctement. Son sommeil est déséquilibré et de ce fait il ne peut rester avec les autres.

Roger eut un nouveau soupir avant de lancer un regard courroucé à son ami.

- Si je ne t'en ai pas parlé plus tôt, c'est parce que je voulais m'occuper de cet enfant pour un temps, pour qu'il s'habitue à sa nouvelle vie. Il n'est jamais allé à l'école, et d'après ce qu'on m'a dit n'est même jamais sorti de chez lui. Je ne sais pas ce que sa mère lui a fait ou non, mais elle a eu une emprise trop…

Il laissa sa phrase en suspens, détournant le regard. Quillsh secoua légèrement la tête, indécis.

- Comme tu le sais très bien, j'effectue un test pour les nouveaux enfants, afin de connaître leurs capacités, où ils en sont dans leur apprentissage. L a tout simplement refusé de le faire. J'avais pourtant attendu assez longtemps pour ne pas le brusquer avec ça mais il n'a rien voulu savoir. Depuis deux jours, il reste dans la petite chambre d'invités et rejette toutes mes propositions. Il touche à peine aux plateaux qu'on lui laisse près de la porte et personne, pas même Margot, ne peut le décider à changer d'avis.

Quillsh dissimula un sourire amusé. Margot était une jeune fille aimable, qui avait décidé de consacrer sa vie aux enfants. Ceux de l'orphelinat l'adoraient tous et savoir que l'un d'entre eux lui refusait sa douceur était une chose plutôt drôle si l'on regardait avec attention.

- Il se dégage de lui quelque chose que je ne retrouve pas chez les autres, mais que je suis incapable de définir, continua Roger. Mais je sais que toi, Quillsh, tu le peux.

- Allons, comment veux-tu que cela soit vrai ? demanda Quillsh, sachant pourtant pertinemment que ce que disait Roger était la stricte vérité.

La sensation brûlante de peur et de fébrilité s'accentua nettement au fond du corps de l'inventeur qui avait de plus en plus de mal à empêcher ses membres de trembler. Il tenta de déglutir sa salive mais sa gorge était tellement sèche qu'il n'y parvint qu'à moitié.

L'enfant avait quelque chose que Quillsh apercevait, ressentait à travers les mots de Roger. Quelque chose de palpable, de visible, mais si profondément ancré au fond du petit corps que cela devenait presque impossible de pouvoir l'extirper.

Quillsh ressentait bien plus que de l'intuition. De la certitude. Il n'avait pas encore rencontré l'enfant qu'il savait, aussi nettement que le jour suivait la nuit, qu'il n'était pas comme les autres.

Et il avait raison.


Lorsqu'il ouvrit la porte, il ne vit pas tout de suite où était le garçon. Ses yeux se fixèrent sur la pénombre ambiante, et son nez huma l'air renfermé et chaud de la pièce. C'était une petite chambre qu'il connaissait bien, ayant décidé de l'ajouter au plan du manoir pour permettre à des invités de dernière minute ou des enfants arrivés brusquement de se reposer quelques temps. Son regard s'accrocha au lit propre et aux draps faits, installé dans le fond. Il vit aussitôt que personne n'y dormait. Il n'y avait pratiquement aucun pli au niveau des oreillers, ainsi qu'aux couvertures.

La lumière de l'extérieur traversait les volets clos, en stries de couleur froide, tachant les murs d'éclats pâles. Quillsh fit un pas de plus et sous ses pieds cela résonna faiblement, en un écho imperceptible. Tout doucement, il referma la porte qui grinça à ses oreilles avec une proportion démesurée. L'ambiance étouffée du couloir en compagnie de Roger s'était muée en un monde assourdissant, où même le bruit de sa propre respiration prenait des allures de tempête chaotique.

Peu à peu, les yeux de l'inventeur s'habituèrent à l'obscurité mais, quand il aperçut la petite silhouette contre le mur, non loin du lit, il eut un vif mouvement de surprise. Il resta sans mot dire, plusieurs minutes.

L était devant lui.

C'était un garçon recroquevillé, le dos appuyé contre le mur, les genoux remontés contre sa poitrine et ses petites mains crispées sur ses genoux. C'était une attitude purement défensive, de retrait, mais également parfaitement immobile. En y pensant, il aurait pu passer totalement inaperçu si Quillsh n'avait pas prêté une attention minutieuse à la pièce. Il était habillé simplement, comme tous les enfants de l'orphelinat, dans des habits cependant un peu trop larges pour lui, lui donnant l'impression qu'il avait fondu au cours de la nuit. Il était plutôt grand pour son âge, d'après ce que Quillsh pouvait déterminer par rapport à sa posture, mais également très mince. Ses joues étaient creuses, ses lèvres effilées, sa peau était d'une pâleur malade, et dans une strie de lumière lui apparut même légèrement grise comme si elle n'avait pas été exposée depuis longtemps au soleil. Des cheveux noirs ébouriffés et un peu trop longs lui retombaient sur le front, complétant l'apparence chétive.

Il ressemblait à un enfant un peu fatigué en apparence.

En apparence.

Car Quillsh, à ce moment précis, ancra ses yeux dans ceux du garçon et ressentit une violente décharge d'adrénaline au niveau de son échine. Cette chose qu'il avait pressentie, sur le seuil, cet élément qu'il avait supposé exister, vivait dans le regard de cet enfant silencieux.

C'était un regard profond, extrêmement profond, mais dont la vérité n'était qu'un néant le plus absolu, marqué par des cernes si grandes qu'elles lui mangeaient le visage. Deux yeux noirs, deux obsidiennes qui avaient perdu leur éclat premier et à présent demeuraient sur le visage de ce garçon, agrandies, vagues. Neutres. Il y avait dans ces prunelles indifférentes une force froide, implacable, qui pouvait plier et briser, un éclat glacé qui flottait à la surface, que l'on pouvait deviner sans réellement voir. C'était un corps brisé par le passé mais constitué d'un acier inconnu, indestructible.

Le temps sembla se figer, s'étirer, avant de reprendre peu à peu sa course. Quillsh se sentit sortir d'un monde différent, assourdissant de silence, tandis que les yeux de braise glacée de l'enfant ne le quittaient pas, l'analysaient, l'étudiaient en profondeur. Il fit un autre pas vers lui, puis s'arrêta à une distance suffisante : assez près pour deviner ses réactions, assez loin pour ne pas le gêner.

L'inventeur hésita puis finalement, se permit de parler.

- Bonjour, dit-il d'une voix qu'il voulut ferme.

Il s'agissait d'une entrée bien banale mais indispensable pour la suite des événements. L'enfant ne répondit pas, du moins ouvertement. Un silence suivit la déclaration de Quillsh mais il était nanti d'une signification particulière, lourde de question de l'enfant qui appuya sa demande muette d'un léger froncement de sourcils, accentuant l'expression sombre de son visage.

- Je m'appelle Quillsh Wammy, et je suis celui qui dirige l'orphelinat, avec Roger. Tu connais Roger, n'est-ce pas ?

Une tension palpable s'éleva dans l'air. L'enfant ne répondit pas encore une fois. Son regard vide avait cette expression un peu rêveuse de celui qui regarde en face de lui sans s'accrocher à un point particulier. Cependant, le point particulier était Quillsh qui sentait parfaitement peser sur lui ces yeux sans émotions.

- Je viens d'apprendre que tu as refusé de faire le test de capacités que Roger t'a proposé. Tu ne veux pas me dire pourquoi ? Après tout, si tu me le dis, je donnerai une fausse raison à Roger et comme ça, cela restera un secret entre nous deux, qu'en dis-tu ?

Temps de silence. L'enfant de sept ans, recroquevillé, toisa l'homme penché vers lui.

La mère prit son enfant dans ses bras, lui caressant les cheveux. Elle l'embrassa tendrement sur l'oreille gauche, pour le faire rire. Elle murmura tout doucement et le garçon soupira.

- Tu es né de mon ventre comme un miracle. Ton nom est un miracle. Ton nom restera un secret entre nous deux, d'accord ? Rien que nous deux…

Temps de silence. Encore.

- Tu n'aimes pas les autres enfants ? Tu n'aimes pas jouer avec eux ?

Silence.

Dehors, le groupe jouait aux billes roulant à l'intérieur du cercle de craie. Il les regarda par la fenêtre un moment avant de se poster dans le salon. A ses pieds se trouvait une boîte de carrés de sucre. Lentement, ses petits doigts en prirent un, le posèrent sur le tapis, en prirent un autre. Peu à peu, les formes apparurent, se créèrent.

Devant lui, trois lettres de sucre suivis d'un point d'interrogation.

W

H

Y

POURQUOI ?

L'enfant ne dit rien. Quillsh sentit l'atmosphère devenir de plus en plus irrespirable mais n'opta en aucun cas pour le retrait. Les yeux du garçon l'appelaient, lui, il ne savait pourquoi mais l'appelaient avec cette force muette résidant au fond de son petit corps.

Puis, tout doucement, une voix s'éleva, frêle, cassée, si basse que Quillsh crut un instant la rêver. Mais dans la pénombre, les lèvres de l'enfant bougèrent, prouvant ce qu'il supposait être vrai.

- J'ai mal à la tête…

Ce n'était pas une plainte. Juste une constatation. Quillsh imprégna la voix de l'enfant dans son esprit avant de répondre.

- Tu sais pourquoi tu as mal à la tête ? Tu es fatigué ? Tu as faim ?

Il se rendit compte un peu tard qu'il avait posé trop de questions, au risque de bloquer davantage le garçon. Mais ce dernier n'en fit rien. Ses mains crispées sur ses genoux se posèrent sur son front, comme pour le soutenir au cas où il tomberait. Ses yeux se fermèrent une seconde, puis se rouvrirent, toujours aussi vides qu'avant.

- J'ai tout le temps mal à la tête.

- Tu sais comment ne plus avoir mal ? demanda Quillsh, se retenant de poser sa propre main sur le front de l'enfant.

Le garçon le regarda sans animosité particulière face à la question stupide qu'il venait de poser. Il parla si bas que Quillsh dut froncer les sourcils pour lui faire comprendre qu'il n'avait pas entendu. Il reformula sa phrase avec un peu plus de force.

- Le sucre.

Quillsh se sentit très bête devant l'enfant mais ne le montra pas. Le garçon était sujet à des crises d'angoisse selon Roger, et seul le sucre pouvait donc le calmer, le tenir éveillé la journée et éviter à son corps de réagir trop violemment à ce surplus de troubles physiques et psychologiques.

Avec lenteur, il s'agenouilla pour se mettre à hauteur égale avec l'enfant qui ne bougea pas. Ils se fixèrent, tentèrent l'un et l'autre de déchiffrer l'intérieur de leur interlocuteur.

- Pourquoi tu n'as pas voulu faire le test, L ? fit Quillsh d'une voix détachée.

Silence.

-… Je sais pas.

Quillsh soupira, puis se gratta la nuque. La posture qu'il avait prise commençait à engourdir ses cuisses et il se résolut finalement à s'assoire en tailleur, pour être plus à l'aise. Il étudia le visage impassible de l'enfant qui semblait le mettre au défi de lui extorquer des réponses.

Défi.

Quillsh sourit doucement.

- D'accord. Tu ne sais pas pourquoi tu as refusé le test. Mais tu ne sais également pas pourquoi tu te sens aussi différent des autres, que tu trouves stupides, inutiles, ou peut-être seulement pas sur le même plan que toi. Tu te crois seul au monde avec cette chose qui pèse en toi, que tu ne sais pas encore bien contrôler, mais que tu devines à l'intérieur de ta tête et ton corps d'enfant. Supposons que je comprenne ta réaction, supposons que je comprenne ton problème. Tu n'es pas comme les autres et tu en souffres, il y a trop de distances entre toi et le reste des enfants de ton âge.

Quillsh s'arrêta un instant pour juger de l'effet de ses paroles. Et il ne fut pas déçu. L'enfant sembla se redresser légèrement, juste assez pour que Quillsh puisse lire dans son regard un faible éclat de surprise qui disparut comme un éclair de chaleur. Son petit visage se crispa dans un mélange d'expressions difficilement interprétables, car toutes réunies, enfouies sous un masque d'indifférence mis en faiblesse.

- On va faire un jeu, toi et moi, reprit Quillsh. Un petit jeu qui demande une solution, une unique solution. C'est un vieux problème qui a deux mille ans, L. Tu veux jouer ?

Tout en parlant, il fouilla dans sa poche et en sortit une petite barre de caramel qu'il avait gardé de son repas en avion. Son intuition ne l'avait pas trompé et il fut ravi de voir les yeux de l'enfant s'écarquiller légèrement devant la vision de la friandise. Un frémissement apparut sur son visage puis ce fut tout.

- Si tu gagnes, tu auras ça en récompense. Je sais que tu ne manges pas beaucoup mais je pense que tu vas apprécier ce « sucre »-là.

Le visage de Quillsh arbora un air grave.

- Si tu n'arrives pas à gagner ce jeu, ce n'est pas grave. Je te donnerais quand même le caramel pour tes efforts. Fais ce que tu peux et nous verrons, d'accord ?

« Quillsh, tu es fou. Tu sais que cet enfant a quelque chose de spécial mais il n'a que sept ans, enfin ! Il n'est peut-être pas encore prêt, il n'est peut-être… »

Sa pensée mourut au fond de lui quand les yeux de l'enfant s'ancrèrent dans les siens et ne les lâchèrent plus, impassibles, indifférents, mais là.

L'enfant attendait le jeu. Il était prêt.

Quillsh inspira profondément. C'était là que tout devenait sérieux. La sensation brûlante revint hanter son échine et il frissonna légèrement.

- On va le faire avec des sacs des bonbons, puisqu'il s'agit de quelque chose qui te tient à coeur, d'accord, L ? Voici les données : les poids de deux sacs de bonbons de la première sorte, de trois sacs de la deuxième sorte, de quatre sacs de la troisième sorte sont tous supérieurs à l'unité de mesure. Sachant que deux sacs numéro un valent un sac numéro deux plus l'unité ; que trois sacs numéro deux valent un sac numéro trois plus l'unité ; et que quatre sacs numéro trois valent un sac numéro un plus l'unité, peux-tu me dire quel est le poids de sac de chaque sorte ?

Il y eut un long silence, aussi assourdissant que les précédents. L'enfant n'eut aucune réaction mais son mutisme força Quillsh à reprendre.

- Tu veux que je répète ? Si c'est trop dur, je peux t'en donner un plus facile.

Le garçon le fixa, ferma les yeux, les rouvrit.

Puis secoua négativement la tête.

Le cœur de Quillsh s'arrêta un instant de battre, le corps martyrisé par la sensation brûlante. Il crispa ses mains sur ses chevilles pour les empêcher de trembler mais il ne put éviter le goût acide qui imprégna sa langue. C'était irréaliste, tout simplement hors du contexte des normes mais...

Tellement certain à la fois.

Dans un petit soupir, le garçon se redressa avec lenteur, se mit debout et confirma l'hypothèse que se faisait Quillsh : il était plutôt grand pour son âge. Cependant, sa posture avait quelque chose d'arrondi, de voûté, donnant l'impression qu'il flanchait peu à peu. Il regarda Quillsh une seconde avant de se diriger à pas mesurés vers son lit, où s'il s'agenouilla et chercha quelque chose en dessous. Il revint ensuite vers l'inventeur avec deux feuilles de papier et un crayon mordillé. Muni de son matériel, il se remit en sa première position, accroupi, une main sur les genoux, l'autre brandissant le crayon au-dessus d'une des feuilles. Quillsh nota, surpris, la façon plutôt excentrique dont il tenait le crayon : son index et son pouce agrippaient l'objet en le laissant pencher, la pointe en ligne droite vers la feuille. Pendant un instant, Quillsh crut que le crayon, tenu avec cette désinvolture particulière, tomberait d'une minute à l'autre mais quand le garçon commença à écrire, il sut qu'il le tenait cependant avec une agilité déconcertante.

D'une écriture parfaitement régulière malgré sa façon de tenir son crayon, le garçon traça une spirale, puis un carré et enfin un rond où il ajouta, comme pour s'amuser, un minuscule point au centre.

- Les sacs de la première, deuxième et troisième sorte, n'est-ce pas ? dit Quillsh, sentant sa bouche devenir de plus en plus sèche.

L'enfant ne répondit pas, se contentant de lever ses grands yeux vides vers l'inventeur avant de retourner à son dessin. De nouveau cette expression un peu rêveuse avait pris part sur son petit visage et Quillsh se retint de faire un nouveau commentaire, ayant peur que ce regard, cette attitude si froide, mais concentrée disparaisse tout à fait, le ramenant dans une réalité grise. Il avait besoin que ce garçon existe, que ce qu'il avait existe.

Il reporta son attention sur la feuille où déjà le garçon avait commencé des calculs et ses suppositions. Il lut, très clairement :

2 spirales 1 + carré

3 carrés 1 + rond

4 ronds 1 + spirale

« Continue », songea Quillsh, n'osant plus parler.

L'enfant s'arrêta un instant, les yeux fixés sur un point derrière l'épaule de l'inventeur. Dans la pénombre, son visage s'assombrit encore sous la concentration. D'un geste machinal, il porta le pouce de sa main libre à sa bouche et le mordilla, pensif, et surtout plongé dans un monde loin de Quillsh.

Hors de la réalité.

Dans le jeu.

Il recommença à écrire le concept d'une autre façon, mordillant toujours l'ongle de son pouce.

2 spirales – carré 1

3 carrés– rond 1

4 ronds – spirale 1

La sensation brûlante remonta progressivement de l'échine de Quillsh jusqu'à ses omoplates, puis ses épaules, les alourdissant de plus en plus. Une tension gigantesque prit place et il trembla à nouveau, sans toutefois essayer de s'en empêcher. Ce qu'il voyait naître sous ses yeux était quelque chose qu'il n'avait jamais espéré connaître un jour.

Le garçon le regarda, fronça les sourcils. Sans prévenir, il tourna le dos à Quillsh, se remit accroupi et continua ses calculs avec le regard surpris de Quillsh ancré sur sa nuque. Quillsh ne tenta pas de se lever et d'aller voir avec plus de précisions. Il n'en avait pas besoin. Car il savait maintenant.

Il regarda l'enfant réfléchir à plusieurs reprises, devina à ses mouvements qu'il traçait des lignes, sûrement pour faire des grilles et définir les symboles. Il ne le vit jamais rayer quelque chose sur le papier. L'enfant écrivait de façon mesurée et tout cela sans jamais marquer une hésitation. Il réfléchissait, regardait la feuille, puis continuait. Il faisait ce calcul comme quelqu'un ferait des mots croisés, avec la même concentration et la même patience, sachant qu'il arriverait au bout sans trop se monter la tête devant les difficultés.

Le temps de nouveau, perdit sa signification. Quillsh ne sut combien de temps exactement il attendit, assis en tailleur, fixant le dos de l'enfant, mais il crut qu'une courte éternité s'acheva quand le garçon se retourna et lui tendit la feuille du bout des doigts, comme s'il craignait d'entrer en contact avec l'inventeur.

Quillsh inspira profondément, ferma les yeux, posa la feuille sur le sol et compta jusqu'à dix, espérant que son cœur cesserait de battre aussi vite. Le poids brûlant posé sur ses épaules et la sensation de son échine s'accentuèrent brutalement, avant de diminuer tout aussi vite.

Ses yeux lui firent mal quand il les rouvrit. Il baissa la tête et contempla le travail de l'enfant de sept ans.

Le garçon avait dessiné une grande grille, avec dans la première colonne les symboles respectifs ; puis dans les quatre suivantes, toutes les données et les chiffres adéquates, placés avec précision, sans rature ni maladresse. Quillsh, néanmoins, ne regarda pas la dernière colonne mais les quelques lignes écrites juste en dessous de la grille.

Sa bouche avait un goût acide.

Il lut, les yeux embués, de l'écriture propre de l'enfant :

23 ronds 10

1 rond 10/23.

1 carré 11/23.

2 spirales – 11/23 1

1 carré 17/23

Il y eut un silence pesant, étouffant. Quillsh crut se noyer dans ses propres émotions, mais parvint masquer sa surprise, sa joie, sa peur en toussotant. Ses mains tremblèrent comme jamais et pris d'une violente pulsion, il se mit debout, toisant de toute sa hauteur le garçon silencieux.

Un temps.

L'enfant se leva à son tour, ses grands yeux vides brillant d'une étrange lueur, éclairés par la strie de lumière perçant à travers les volets de la pièce. Il amorça un geste qui fit sursauter Quillsh, mais ne fut au final qu'une main tendue, paume vers le haut.

Il voulait sa récompense.

Les doigts tremblants, Quillsh sortit le caramel de sa poche mais dut s'y reprendre à plusieurs reprises pour l'empêcher de tomber. Cependant, il le garda entre ses mains, tout encore abasourdi comme si on venait de le gifler. Sa vue était brouillée.

- Mon petit… Tu… Tu es un véritable génie, bégaya l'inventeur milliardaire.

Une expression subtile s'inscrivit sur le visage impassible de l'enfant qui continuait de tendre la main. Lentement, très lentement, s'épanouit une émotion un peu triste, mélange de surprise mitigée et de moquerie à peine dissimulée.

Et sur ses lèvres apparut un très mince sourire, ironique et étonné à la fois. Sa voix, légère, cassée, résonna dans la tête de Quillsh comme un écho tapageur.

- Je ne comprends pas ce que vous me dites, Monsieur…

Quillsh ne répondit pas. Ce n'était plus la peine.

Il avait compris qui était cet enfant.

Il donna le caramel à l'enfant qui eut un signe de la tête. Puis, comme un automate, laissant son corps le guider, il marcha vers la porte et posa sa main sur la poignée glacée. La sensation froide le réveilla quelque peu mais sans plus. Il voulut se retourner et regarder encore une fois le garçon mais se retint avec toute la force mentale dont il était encore capable et, dans une grande inspiration, ouvrit la porte et sortit.

Dans le couloir, soucieux, Roger, qui s'était assis sur une chaise en bois durant ce laps de temps, releva la tête.

- Alors ? fit-il, les sourcils froncés dans un signe évident d'inquiétude.

Quillsh soupira. La lumière du couloir lui vrilla les yeux, après tout ce temps passé dans la pénombre. Des tâches vives apparurent puis disparurent tout aussi vite, le laissant légèrement nauséeux.

Il eut un temps de silence.

- Que dire ? fit-il finalement, détournant le regard de la porte close. C'est un enfant particulier, vraiment particulier.

Tout en disant ces mots, il fit quelques pas vers la direction du bureau de Roger. Il s'arrêta, puis se retourna et sourit à son ami.

- Je ne sais pas comment te l'expliquer mais… C'est le premier… Le Premier qui possède ça.

Roger secoua légèrement la tête, l'air soucieux de son visage ne disparaissant pas. Il rejoignit son ami, et lui posa une main réconfortante sur l'épaule.

- Qu'a-t-il fait ? demanda-t-il enfin.

Quillsh eut un petit rire sec.

- Un simple jeu. Qu'il a gagné.

Il hésita puis ajouta, toujours de ce rire si sec.

- Avec 100 pour cent de réussites.


Dans la chambre, l'enfant déchira le papier du caramel qu'il croqua d'un air indifférent. Le goût sucré emplit sa bouche et peu à peu, comme il s'y attendait, la douleur pulsante de sa tête diminua progressivement avant de s'éteindre pour un temps indéterminé.

Recroquevillé contre le mur, jouant du doigt sur l'emballage plastique, il avala sa bouchée, impassible. Et, méthodiquement, il commença à casser le caramel de sa poigne d'enfant, en petits morceaux, l'un à après l'autre, les laissant tomber sur le sol.

Tout en coinçant le reste du caramel dans sa bouche, il prit les morceaux cassés dans la paume de sa main, les rassembla en un tas.

Plongé dans la pénombre ambiante, il resta là, accroupi, posant et reposant le caramel en morceaux. Des dessins se formèrent, des lignes se croisèrent, poisseuses, sucrées.

Il ferma les yeux, avant de les rouvrir, vagues, fatigués, ses cernes lui dévorant la peau.

Devant lui, des lettres assemblées, petites, timides, mais criant la vérité qu'il avait tenté de trouver, quand son regard s'était posé sur le corps de sa mère.

Maman. Froide.

B.

E.

C.

A.

U.

S.

E.

PARCE QUE.

A suivre…