Songfic inspiré d'une chanson de Stephen Lynch, du même nom, bien sûr. Pour ceux que ça intéresse, un lien menant aux paroles originales, à la traduction et à une vidéo est disponible sur mon profile.

Bonne lecture !

If I were gay

« Harry ? »

Figeant ma fourchette non loin de ma bouche, je me tourne vers la détentrice la voix, qui se tient derrière moi. A la table des Gryffondor, j'entends des murmures moqueurs bruisser parmi mes camarades de classe, ainsi que des ricanements et des soupirs. Je n'y prête pas attention. Depuis le temps, j'y suis habitué.

« Oui ? » La fille qui s'est adressée à moi arbore le blason des Serdaigle, est brune et, pour le moment, rougit tant qu'elle s'apparente davantage à une écrevisse. Mais elle reste très jolie tout de même.

Le son de ma voix, hélas, semble la décontenancer, et son teint devient presque mauve. Charmant. « Je m… me dem… » Elle balbutie quelques mots inintelligibles, avant de renoncer et de s'éclaircir la gorge. Poli, j'attends avec calme et patience qu'elle se reprenne. « Je me demandais… » Voilà, c'est mieux. « si tu étais libre samedi. Pour la sortie à Pré-au-Lard. »

C'était prévisible. Je modèle mes traits en une moue navrée, conférant autant de sincérité que possible à mon regard vert étincelant. Bien que je doute toujours un peu de l'utilité de cette manœuvre ; les filles voient-elles seulement mes yeux derrière le verre de mes lunettes ? « Oh, je suis désolé… » Remarquez l'accent juste de mon ton, ni excessif ni désinvolte. « J'avais déjà prévu d'y aller avec mes amis. Peut-être une autre fois, euh… ? »

« Lydie » s'empresse-t-elle de me répondre, ravie. Pourquoi ravie, d'ailleurs ? Je ne viens pas de la jeter, à l'instant ? Même si c'est fait avec beaucoup de classe et de tact, ne devrait-elle pas être au moins un peu déçue ? A moins que l'unique but de son approche ait été de parler au Garçon-Qui-A-Survécu.

« Lydie », poursuis-je avec un sourire amical. « Vraiment désolé. Mais tu comprends, je ne peux pas décommander deux jours avant, ce ne serait pas correct. »

« Oui, bien sûr » glousse-t-elle. « Je comprends tout à fait. Merci quand même. » Elle replace une mèche de cheveux derrière son oreille, se mordille la lèvre inférieure. Comme c'est mignon. « Alors… à la prochaine. »

J'élargis mon sourire, hochant la tête. « Oui, à la prochaine, Lydie. »

Emettant un bref rire à la mention de son prénom, elle esquisse un petit signe de la main, puis se dirige vers la table de sa maison. Soulagé de m'en être sorti sans hurlements ni pleurs ni scandale, j'entreprends de d'avaler la bouchée de purée qui refroidit au bout de ma fourchette.

Quelques mois auparavant, une telle situation m'aurait embarrassé que j'aurais sans doute été plus cramoisi que cette Lydie – et vue la couleur de ses joues en surchauffe, ce n'est pas peu dire. Mais dorénavant, cet ordre de scène est devenu si banal que je ne m'en formalise plus. Depuis que le monde des sorciers me doit notre victoire de la guerre et la disparition de Voldemort, ma cote de popularité est montée en flèche.

En effet, durant l'été succédant à notre désastreuse escapade au Département des Mystères, ainsi qu'aux douloureux événements s'y étant produits, mon désespoir m'a poussé à traquer mon ennemi de toujours. C'était stupide, oui, et j'ai frôlé la mort tant de fois que mes amis ont eux-mêmes enchaînées les crises cardiaques. Sale période. Je ne me maîtrisais plus tout à fait, ma magie m'échappait par moment, et j'étais incapable de la réfréner. Ma rage, mon désarroi, mon chagrin, le sentiment que je n'avais plus aucun choix sur ma vie m'ont fait perdre toute notion de prudence.

Alors j'ai arpenté le pays à la recherche de Lord Voldemort, avec pour seule ambition et envie : réaliser cette maudite prophétie. L'Ordre du Phénix, les Weasley, Ron et Hermione ont tous tenté de m'en dissuadé, si bien que j'ai dû à plusieurs reprises ruser pour leur échapper et ne pas les mêler à cela. J'avais compris que l'issue ne dépendait que de moi, que, même s'ils désiraient m'aider de toute leur âme, ils ne m'étaient d'aucun secours.

Lorsque je me suis retrouvé face au Seigneur des Ténèbres, j'étais seul, comme prévu, et lui a sommé ses larbins de s'écarter. J'avais à peine conscience de peut-être vivre mes derniers instants ; tout ce qui importait à mes yeux, c'était que ma quête, qui avait duré l'été entier, prenait enfin fin. Je n'en pouvais plus. Il fallait que l'un de nous meure, car, tel que le dit la prophétie, continuer à survivre dans ces conditions m'était insoutenable.

Le duel a été long, éprouvant, mais je n'en ai conservé que quelques bribes de souvenirs indistincts. Pourtant, je me remémore encore aujourd'hui sans mal le sortilège Impardonnable qui a scellé le destin de Voldemort. J'étais dans une telle rage qu'il me semble avoir fusé presque contre ma volonté de ma baguette. Quoi qu'il en soit, le résultat est celui-ci : le Seigneur des Ténèbres est bel et bien mort, enfin, laissant le monde en paix.

Mon exploit a mis la société en joie, bien entendu. Le début de ma sixième année a donc été quelque peu mouvementé. Entre ma convalescence, les cérémonies, les procès des Mangemorts, les insistances des journalistes et Dumbledore s'obstinant à offrir aux élèves de Poudlard une année scolaire normale, on peut dire que je n'ai soufflé qu'aux alentours de décembre. Mais à présent, l'exaltation des premiers mois après ma victoire s'est un peu calmée. Un peu, seulement, car mes camarades me dévisagent davantage et se prosternent à demi devant moi. C'est très embarrassant.

Et puis, comme le démontre l'intervention de Lydie, la gente féminine de l'école me témoigne une attention particulière. Soudain, ma taille inférieure à la moyenne, ma maigreur, mes lunettes et les épis hirsutes me tenant lieu de chevelure paraissent les aguicher au plus haut point. J'avoue que, au départ, les propositions, les allusions équivoques et les tentatives de séduction m'ont tout à fait stupéfait. Après tout, j'achevais une lutte interminable et n'avais pas songé une seconde à ce genre de conséquences. Pourtant, les faits sont là : je suis le célibataire le plus convoité de Poudlard.

Néanmoins, j'ai beau être un héros national, encore, je n'ai pas changé. Cela signifie entre autre qu'il n'est pas dans mes habitudes de me jeter dans les bras de filles que je connais à peine de vue, qui ne s'intéressent qu'à mon argent et à ma célébrité, qui elles-mêmes n'ont aucune idée de qui je suis et qui, de surcroît, ne me plaisent en général pas le moins du monde.

Cela ne m'empêche pas de profiter de la vie, loin de là. Je savoure chaque instant avec un plaisir qui m'était jusqu'alors inconnu, si bien que même les devoirs et les cours m'enjouent. Les discussions avec Ron et Hermione, dans la salle commune ou dans le parc, après les leçons, ainsi que leurs disputes incessantes, me procurent une joie indicible. Pour la première fois de ma vie, j'ai la possibilité de passer une année scolaire plus ou moins paisible, et cela me rend heureux à un point que je n'osais imaginer. Nous sommes fin avril, et la seule chose grâce à laquelle je ne regrette pas que cette année merveilleuse touche peu à peu à sa fin, c'est que j'aurais droit à une seconde tout aussi superbe au mois de septembre.

Alors que je déguste mon dîner, souriant malgré moi d'une joie véritable, une nouvelle voix m'interpelle. Beaucoup moins sympathique, celle-ci.

« Eh bien, Potter, tu aimes tant que ça, refouler les greluches myopes qui daignent lever les yeux sur toi ? Si tu t'entêtes à toutes les rejeter, il n'en restera bientôt plus une seule de potable qui acceptera de se coltiner ta compagnie. »

J'interromps à nouveau mon repas et affronte le regard narquois de Drago Malefoy. Parkinson et Zabini, à ses côtés, ont l'air un peu exaspérés, à l'instar de Ron et Hermione, que j'entends gémir d'irritation. Mais Malefoy et moi faisons comme si de rien n'était, et, tandis qu'il me jauge, les bras croisés sur sa poitrine, ses fines lèvres étirées en un demi-sourire, je lui adresse un coup d'œil goguenard.

« De quoi tu te plains ? » répliqué-je. « Celles qui ne peuvent pas m'avoir se rabattent sur toi, en général. Je ne fais qu'entretenir ta vie sociale, tu devrais me remercier. »

Touché. Il plisse les paupières, puis s'éloigne sans rien ajouter. Le soulagement de ses comparses à voir notre joute se terminer de manière si prompte est palpable, mais je n'y prends pas garde, me contentant de suivre Malefoy du regard. Un sourire joue sur mes lèvres. Je l'ai un peu vexé, j'ai l'impression, et je sais qu'il prépare déjà sa prochaine offensive. Crétin, va. Sans plus m'en soucier, je replonge dans mon assiette. Peut-être qu'on me laissera enfin manger sans me déranger.

La guerre est terminée, certes, les quatre maisons de Poudlard sont en bonne entente, certes. Toutefois, certaines choses ne changent jamais. Certaines choses comme ma rivalité avec Malefoy.

Il s'avère que ce prétentieux fils à papa n'a pas suivi les traces de Lucius Malefoy et est devenu espion à la solde de l'Ordre du Phénix. Ca me fait mal de l'admettre, mais il a été un élément essentiel durant la guerre, à tel point que j'ignore si, sans lui, nous nous en serions sortis avec si peu de morts. Mais lui et moi n'avons pas pour autant cessé de nous quereller, de nous défier. Je dois juste avouer que nous ne nous haïssons plus, ni ne nous méprisons. Nos rapports tiennent davantage d'un jeu ou d'une habitude que d'une véritable animosité. Après ce que nous avons vécu, ce qu'il a fait et ce qu'il m'a vu faire, il ne nous est plus concevable de nous vouer une haine indéfectible.

En revanche, je ne saurais en aucun cas me passer de nos joutes verbales, ce qui agace de façon prodigieuse une conséquente partie de l'école. Mais que voulez-vous, avec le temps, nos prises de bec me sont devenues indispensables. Rien que nos deux misérables réparties de tout à l'heure ont contribué à ensoleiller ma journée.

Les plats contenant la purée, le poulet, les pommes de terre, les potages et les côtes d'agneaux disparaissent, les coupes des desserts les remplaçant. Je me sers de la tarte à la mélasse et un autre verre de jus de citrouille, plongé dans une réflexion tout à fait banale, lorsque, pour la troisième fois, quelqu'un me détourne de ma nourriture.

« Dis-moi… » fait Ron. Je porte mon attention sur lui, qui est assis en face de moi auprès d'Hermione. Ils ont l'air un peu mal à l'aise. Résigné, j'avale ma bouchée.

« Qu'y a-t-il ? » demandé-je.

Ron se gratte l'arrière du crâne, le bout des oreilles écarlates, et jette un coup d'œil en coin à Hermione. Celle-ci hochant la tête à sa question tacite, il reprend : « Dis-moi… Lydie ne te plaisait pas ? »

Haussant les sourcils, sceptique, je le dévisage pour déterminer la raison de cette interrogation saugrenue. « Heu… Ce n'est pas ça, j'ai… je ne l'ai pas vraiment regardée, en fait. »

« Alors pourquoi as-tu refusé de l'accompagner à Pré-au-Lard ? » Hermione me fixe d'une drôle de manière. Mais qu'est-ce qui leur prend, tout à coup ?

« Eh bien, tout d'abord, je ne la connais même pas… et puis… Enfin, vous auriez voulu que je vous délaisse pour une inconnue ? »

« Non, bien sûr que non ! » La précipitation de Ron m'incite à me méfier. Quelque chose de pas très net est en train de se dérouler sous mon nez, et je suis incapable de discerner de quoi il s'agit.

« Mais tu ne l'as pas regardée du tout ? » insiste Hermione. « Tu n'as pas vu qu'elle avait de longs cheveux bruns ? De grands yeux bleu clair ? Des lèvres pleines ? Une jolie poitrine ? »

Estomaqué, j'écarquille les yeux. « Non, mais toi, par contre, tu semble l'avoir observée en détail. »

Elle émet un claquement de langue impatient alors que Ron se détourne pour lui masquer son énorme sourire d'abruti. Hélas, il se ressaisit bien vite et me questionne à son tour.

« Et Miranda ? »

« Quoi Miranda ? »

« Tu sais, la fille d'hier. »

« Laquelle ? Je te signale qu'au moins trois filles m'ont abordé, hier. »

« Blonde, grande, élancée, un petit en trompette. » La description d'Hermione ne m'évoquant rien, elle ajoute, un peu dépitée : « A Poufsouffle. »

Je réfléchis un moment. « Ah, oui. Elle. »

« Alors ? » Ron détaille mon expression avec un air curieux.

« Alors quoi ? »

« Qu'est-ce que tu penses d'elle ? »

« Ben… J'ai eu du mal à comprendre ce qu'elle marmonnait parce qu'elle ne m'a pas regardé dans les yeux… Et ses mains devaient être moite ; elle n'arrêtait pas de les frotter sur sa robe. »

« C'est tout ? » Hermione semble atterrée.

« Oui, c'est tout. » Je la lorgne d'un œil suspicieux. « Depuis quand tu t'intéresses tant au physique des filles qui me courent après ? »

Ron, ce rustre, ne lui laisse pas l'occasion de se justifier. Dommage ; j'aurais bien voulu entendre l'explication de sa nouvelle lubie. « Et que dis-tu de Sue ? Elle t'a parlé avant le cours de Métamorphose de la semaine dernière. Souviens-toi ; brune, avec des formes généreuses… »

J'écarquille les yeux, interloqué. « Je peux savoir ce qu'il se passe ? Pourquoi toutes ces filles vous passionnent, tout à coup ? »

Ron et Hermione s'entreregardent, embarrassés, avant de river leurs yeux à leurs assiettes. Je fronce les sourcils, mécontent. Ca sent le complot, et je gage que ce dont ils ont discuté dans mon dos ne va pas me ravir. Mais alors pas du tout.

« On… On se disait juste que… avec le nombre de filles qui te convoitent et la guerre qui est terminée… tu pourrais te détendre un peu… profiter de la vie… » Ron bafouille en consultant Hermione, si bien que j'ai l'impression qu'il récite un texte qu'elle lui a soufflé. Ça me plaît de moins en moins.

« Je ne profite pas assez, selon vous ? »

« Non, ce n'est pas ça ! » se récrie Hermione. « Mais… enfin… Aucune de ces filles ne te semblent… agréables ? Tu ne voudrais pas sortir avec l'une d'elles, rien que pour voir ? »

Je croise les bras sur mon torse, un rien contrarié. Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ? Pourquoi ce subit acharnement à vouloir me caser ? Je les toise d'un air sévère, escomptant les déstabiliser.

« Je suppose que ça part d'une bonne intention, mais, franchement, qu'est-ce que ça peut vous faire ? »

Hermione hésite, tortillant une mèche de ses cheveux bruns avec son index. C'est nouveau, ça. « On trouve juste que tu ne te mêles pas assez aux autres. Tu ne restes qu'avec nous et on pense que ce serait bien pour toi… de te trouver… une autre distraction. »

Dire que je suis stupéfait est un doux euphémisme. Sans voix, je demeure bouche bée une bonne minute tandis que je comprends où ils veulent en venir. Alors mon début de colère se dissipe, j'esquisse un sourire en secouant la tête. Ils ne peuvent pas tout simplement me le demander sans détour ?

« Vous savez » je commence d'un ton indulgent « si vous avez envie d'être un peu seuls, vous n'avez qu'à me le dire. Je saisis tout à fait que ma présence puisse être parfois de trop. »

Ron et Hermione s'empourprent, incapables de répondre. Eh oui, il fallait bien que ça arrive : mes deux meilleurs amis se sont déclarés leur flamme durant l'été. Mieux vaut tard que jamais, hein. Une chance qu'ils aient survécu à la guerre car ils ont choisi le tout dernier moment pour se mettre en couple. Mais à présent que tout est dit et que les choses sont mises au clair, ils vivent leur amour pleinement. Et, preuve que ce sont de vrais amis, ils ne m'ont pas écarté. Pas le moins du monde. D'ailleurs, je me demande bien comment ils dénichent des moments en tête-à-tête. Quoi qu'il en soit, je conçois sans mal qu'ils désirent un peu d'intimité de temps à autres et qu'il est délicat de me dire de dégager lorsque nous sommes ensemble. Ils n'avaient aucun besoin de jouer les agences matrimoniales pour me dire les laisser en privé.

« Ca n'a rien à voir, enfin… » marmonne Ron. Il peine toujours quelque peu à s'exprimer avec moi concernant sa relation entre Hermione et lui. Sans doute car je la considère comme ma sœur, et qu'il est difficile de converser affaire de lit avec le frère de sa petite-amie. Si j'étais sorti avec Ginny, ç'aurait peut-être été pareil.

Je l'interromps d'un geste. « Je ne suis pas vexé, tu n'as pas besoin de m'inventer un manque affectif pour me dire que je ne suis pas tout à le temps le bienvenu. Je sais être compréhensif, lorsqu'il le faut. »

« Nous en avons conscience, Harry, bien entendu… » Hermione paraît chercher ses mots. « Et ce n'est pas de cela qu'il s'agit. »

Réprimant un soupir, je retiens ma main de s'emparer de ma fourchette. Bon sang, j'ai faim et j'en ai assez de leur petit jeu. « De quoi, alors ? »

Nouvel échange de coup d'œil. Un doute s'éprend de moi, insidieux. Depuis combien de temps préparent-ils cet entretien ?

Hermione me scrute d'un regard perçant. « Es-tu certain qu'aucune de ces filles ne t'intéresse ? Qu'aucune ne… t'attire ? »

J'encre mes yeux aux siens, répliquant de la même voix lente et prudente. « Oui, j'en suis certain. »

« Et… pourquoi ? »

« Comment ça, pourquoi ! Je vous l'ai dit : elles sont des inconnues et des inconnues qui ne… m'aguichent pas particulièrement ! Maintenant venez-en au fait parce que je commence à perdre patience. »

« D'accord… » Ron prend un profonde inspiration, m'affrontant sans ciller. « D'accord. » Son timbre est davantage ferme et assuré, dorénavant. « Harry, Hermione et moi, comme nous te l'avons confié à l'instant, avons parlé de toi. » Ouille. Je n'aime pas trop ses traits graves. « Nous nous sommes interrogés sur la raison de ton comportement. » Mon comportement ? J'ignore ce qu'il mentionne, mais est-il vraiment plus bizarre que le leur ? « Tu affirmes être heureux, pourtant, tu restes distant et tu ne te lies avec personne. Maintenant que la guerre est finie, tu aurais l'occasion de te trouver une petite-amie, mais le fait est que tu sembles plutôt t'écarter de toutes tes prétendantes… »

« Nous avons bien sûr pensé » me coupe Hermione alors que j'ouvre la bouche, indigné « que cela ne faisait pas partie de tes préoccupations. Mais… nous avons aussi songé à autre chose. » Intrigué, je lui concède son léger soupir ainsi que l'infime seconde qu'elle s'octroie pour puiser du courage en elle-même. « Harry. » Pourquoi se sent-elle obligée de prendre cet air solennel ? « Serais-tu, par hasard… attiré par les hommes ? »

A cet instant précis, le temps s'immobilise, se suspend, tandis qu'un assourdissant silence s'abat sur la Grande Salle. Cela ne dure sans doute pas davantage que quelques risibles quarts de seconde, pourtant, il s'en passe des choses. Tout d'abord, je m'insurge sans émettre un son, figé d'effarement. Je me sens, dans un premier temps, incrédule et, il est vrai, presque offensé qu'ils aient envisagé cette alternative. Comment et pourquoi en sont-ils venus à cette étrange conclusion ? Qu'ai-je fait ou dit pour les mener à cette insolite théorie ? Suis-je efféminé ? Ai-je eu des réflexions déplacées ? Sans oublier que je suis outré que Ron et Hermione entretiennent à mon insu de telles conversation à mon encontre. De quel droit épient-ils mes moindres faits et gestes ? Et puis d'abord, de quoi je me mêle ?

C'est donc là mes premières pensées et réaction à leurs propos. Une réaction naturelle, spontanée, celle que l'on attend de la part d'un hétéro endurci qui a la prétention de se croire plus ou moins viril, surtout depuis qu'il a vaincu par ses propres moyens un mage noir surpuissant.

Hélas, alors que je m'apprête à revendiquer haut et fort mon orientation sexuelle, il advient un singulier phénomène. La malheureuse interrogation d'Hermione prend corps dans mon esprit, et, lors d'un fugace éclair, j'entraperçois une silhouette masculine m'étreindre, caresser mon dos, m'embrasser. Sans que j'y puisse rien, ma gorge s'assèche et se noue. Mon estomac se contracte. Un frisson parcourut mon échine. L'air me fait défaut. La sueur emperle les paumes de mes mains. Mes joues s'embrasent.

Dingue comme une phrase d'apparence anodine peut vous chambouler de l'intérieur.

Le bruissement des conversations, les tintements des couverts reprennent dans la Grande Salle, et je me rends soudain compte que cet écrasant silence n'avait en fait eu lieu que dans mon imagination. Les mots d'Hermione m'ont tant heurté que je m'étais isolé par mégarde dans une bulle où seul résonnaient de puissants martèlements désordonnés. Mon cœur. Ron et Hermione me dévisagent, sans doute dans l'espoir d'interpréter ma mine hagarde, patientant que je leur livre une réponse. Cependant, je m'en sais tout à fait inapte. Tout ce bouscule dans mon esprit, je ne parviens plus à réfléchir.

Ils m'ont coupé l'appétit, ces imbéciles.

Quoi que n'ayant aucune idée de ce qui est en train de m'arriver, j'ai pourtant l'intime conviction que je dois fuir au plus vite. Je ne sais pas quoi ni pour quelle raison, mais je dois fuir. Tout de suite. Alors, tâchant d'être sourd aux frénétiques battements de mon cœur, je me lève d'un bond, les pieds de ma chaise raclant le sol de pierre, et me dirige d'un pas vif vers les portes de sortie. Ron et Hermione me hèlent en un appel étonné duquel je m'indiffère, poursuivant ma course jusqu'au couloir.

Une fois hors de la Grande Salle, mon esprit embrumé s'éclaircit un peu, mais je ne me départis pas pour autant de mon trouble. Encore sous le choc, je me précipite à une fenêtre, à l'autre extrémité du corridor, apposant mon front brûlant sur la vitre froide. Je me refuse à déchiffrer la cause de mon émoi, je me refuse même à l'effleurer. Ce que la question d'Hermione a déclenché en moi est très certainement momentané, et, dans quelques minutes à peine, je me serai calmé. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter.

N'est-ce pas ?


Je boude. Si, c'est vrai. Je boude Ron et Hermione en n'engageant plus la conversation, en ne répondant que par monosyllabe, en dédaignant leurs regards à la fois coupables et soucieux, et, surtout, en m'opposant de manière ferme et catégorique à leur fournir une réponse. Vous savez… à propos de cette question déconcertante qui m'a outragé, a froissé mon orgueil. Eh bien je ne dirai rien ni n'aborderai le sujet à nouveau. Car ce ne sont pas leurs affaires et car la réponse est bien entendu négative.

Une demi heure après m'être rafraîchi les idées contre une fenêtre, je me suis rendu comme si de rien n'était au cours de Sortilèges et Enchantements, boudant, comme je l'ai dit, mes amis. Au bout d'un moment, ils ont fini par comprendre que je ne souhaitais plus discuter avec eux et par me laisser tranquille. Mais, pour la forme, je continue à bouder, même à présent que nous nous trouvons en Métamorphose. Le reste de la journée se déroule donc sans trop d'anicroches, et je m'alite plutôt satisfait d'avoir provoqué l'embarras de Ron lorsqu'il me dit bonne nuit.

Le lendemain, je décide de mon montrer magnanime et de feindre d'oublier notre petit différent. Ron et Hermione, conscients que mon incommensurable tolérance a des limites, ne se mêlent plus de ma vie privée ou de mes prétendues déviations sexuelles. Toutefois, il n'empêche que mon honneur est bafoué et qu'il me faut remédier à cette situation. C'est-à-dire, prouver de façon subtile mais explicite que je suis bel et bien hétéro. Cela peu paraître puéril, cependant, si je veux que mes amis ne m'importunent plus à ce propos, je me dois de leur clouer le bec une bonne fois pour toute. Je les connais ; dès qu'ils croiront que j'ai négligé notre discussion surréaliste, ils reviendront à la charge, et ce, jusqu'à ce que j'admette. Le problème étant que je n'ai rien à admettre, puisque je suis heureux et épanoui, j'ai besoin de les en persuader. Un comble, tout de même.

Ainsi donc, je mets en œuvre mon brillant stratagème dès le terme du petit-déjeuner. En quoi cela consiste ? C'est très simple : sitôt qu'une fille croise mon chemin, je la dévore du regard. De haut en bas. De façon très flagrante et très impudique. Eh bien quoi ? Ron et Hermione trouvent que les filles m'indiffèrent. Je m'en vais donc les démentir. Les filles me captivent tant que je ne puis me contraindre à me détourner d'elles. Et comme il y a beaucoup de filles à Poudlard, je suis le plus heureux des hommes.

La discrétion n'ayant jamais été mon fort, Ron et Hermione notent mon manège dans l'instant, écarquillent les yeux tandis que les miens s'attardent sur la chute de reins d'une cinquième année de Poufsouffle. Ma cible, en revanche, me tourne le dos et ne s'aperçoit de rien. La seconde, cependant, une élève de Serpentard (la maison des Serpentard comportant avant tout des humains, rien ne m'interdit de les regarder), me remarque et rougit. Parfait. Si Poudlard tout entier est convaincu que je suis bel et bien attiré par les filles, cela ne peut que m'être bénéfique.

Je m'applique donc, tout au long du jour, à reluquer les demoiselles, qu'importe leur maison, et à le faire aux vues de la totalité de l'école. Bien entendu, mon attitude suscite plusieurs réactions. Car enfin, qu'est-il en train d'arriver au si courtois et respectueux Harry Potter ? Ce mystère parcourt les couloirs au bout de quelques heures, si bien que je me sens autant épié que mes cibles. Quant à elles, eh bien… Tout dépend de leur caractère, ou peut-être aussi de l'admiration qu'elle me porte. Certaines se laissent déshabiller en gloussant, en me souriant, parfois, sans protester. Sans doute que l'idée du Survivant les toisant sous toutes leurs coutures les flatte. D'autres cependant ne sont pas aussi conciliantes. Selon elle, à ce que je présume, un héros de guerre n'en est pas moins un homme aux hormones incontrôlables, et de ce fait, je n'ai aucun droit de les regarder de la sorte. Celles-ci ont plus de tempérament et me démontrent leur mécontentement par le biais de cris indignés, de coups d'œil assassins lorsque j'ai de la chance, ou, pire, de gifles bruyantes et douloureuses.

D'ailleurs, à midi, je m'en suis pris tellement que je sens à peine mes joues. Ron en rit encore, Hermione, elle, désapprouve ma démarche. Elle ne dit rien, mais je perçois ses ondes négatives comme si elle m'en poignardait. De quoi se plaint-elle, au juste ? N'était-ce pas elle qui estimait insuffisant mon attrait envers la gente féminine ?

Lorsque je lui fais part de cette réflexion, pourtant, elle pousse un soupir exaspéré. « Je sais ce que tu essaies de nous prouver, Harry, alors arrête de te donner en spectacle. »

« Je ne me donne pas en spectacle. » Mes yeux suivent le trajet d'une jolie rousse, que j'abandonne à regret pour ne pas me casser la nuque. Je rive à nouveau mon attention sur Hermione, qui me foudroie de ses iris noisette. J'ébauche un sourire espiègle. « Je me contente de profiter de la vue. »

Ron s'esclaffe à gorge déployée. « Ecoute » fait-il en se ressaisissant sous la moue renfrognée de sa petite-amie. « On est désolé de t'avoir posé cette question hier. C'était stupide d'avoir pensé à ça. Mais tu n'es pas obligé de jouer au pervers, on a compris qu'on s'était trompé. »

« Ca, je l'espère bien ! » répliqué-je en redressant le nez. Toutefois, j'espère aussi que nul n'aura plus le moindre doute à ce sujet. Si mes deux meilleurs amis se sont mépris avec tant d'aisance, qui sait quelles sordides rumeurs ceux ne me connaissant pas colportent à mon encontre ?

Alors qu'une noiraude de Gryffondor nous dépasse à vive allure dans le couloir, Hermione se poste face à moi, gênant ma contemplation. Je lève les yeux au ciel. « Quoi ? »

« Tu n'as rien entendu ou tu le fais exprès ? Arrête de profiter de la vue comme ça ! C'est dégradant et sûrement vexant pour la plupart des filles ! »

« Hermione… » dis-je avec nonchalance. Son expression excédée s'exacerbe. « Mon intention n'est de vexer personne, voyons. Je ne fais que… apprécier ce qui est beau. » Je ponctue ma déclaration d'un ton langoureux, d'un sourire charmeur et d'un insistant regard sur la poitrine de ma meilleure amie. Cela équivaut à s'amuser dans un incendie, entre la ferveur de son propre courroux et la jalousie maladive de Ron, mais c'est trop tentant.

Comme je le craignais, la main d'Hermione fuse et cogne ma joue de plein fouet. Aïe-euh. Ma pommette, qui avait fini par devenir insensible, se réveille soudain, me brûle et palpite d'une sourde souffrance. Je me la frotte alors qu'Hermione, cramoisie de colère, tâche de maîtriser ses pulsions meurtrière, et que Ron, d'évidence, hésite encore entre me refaire le portrait et éclater de rire.

Alors que je me demande moi-même si une fuite prompte ne serait pas plus avisée que de rester planter au milieu du couloir entre une furie et un petit-ami possessif, un ricanement narquois attire notre attention. Nous faisons tous trois volte-face, tombant nez à nez avec Malefoy, qui nous jauge d'un air condescendant. J'oublie la présence de Ron et Hermione, ignore Parkinson et Zabini, alors que Malefoy et moi nous avançons l'un vers l'autre, nous défiant du regard.

« Qu'est-ce que je disais ? Maintenant que tu as effarouché celles que tu n'as pas rejetées, tu te rabats sur ce qui reste. » Malefoy lance un furtif coup d'œil en direction d'Hermione, attisant la fureur de Ron. « Pathétique. »

Bien que ses injures à l'égard de mes amis m'agacent toujours autant, cela ne provoque plus en moi cette fulgurante sensation de rage. En fait, Malefoy n'a plus jamais traité Ron de miséreux ni Hermione de Sang-de-Bourbe. D'une certaine façon, je crois que les actes qu'ils ont tous deux accomplis durant la guerre lui inspirent du respect. J'en ai même l'intime conviction. Et s'il se permet de les mépriser, ce n'est que dans le but de m'énerver un peu. Cela aurait pu fonctionner, comme auparavant, toutefois, j'ai décelé la retenue avec laquelle il vient de dénigrer Hermione. Alors, quoique las, je ne fais qu'esquisser un demi-sourire sarcastique.

De surcroît, j'ai aussi découvert que cet arrogant garçon avait un cœur. Etonnant, hein ? Peut-être même que, derrière son masque imperturbable, c'est un grand sensible…

Bon, on va pas pousser non plus.

Mais je sais depuis quelques mois qu'il ne supporte pas plus que moi que l'on insulte ses amis. Si je l'avais appris des années plus tôt, je l'aurais vu autrement… et j'aurais utilisé cette minuscule faiblesse pour le déstabiliser. Mais comment deviner qu'il affectionne Pansy Parkinson et Blaise Zabini alors qu'il dilapidait la majeur partie de son temps avec ces gorilles de Crabbe et Goyle ?

Quoi qu'il en soit, mes récentes observations vont enfin m'être utiles. Me rapprochant de lui, goguenard, je réprime mon léger agacement instinctif.

« Tu as quelque chose à dire, je suppose, vu avec qui tu traînes ? »

Tel que je l'avais escompté, les pommettes diaphanes de Malefoy s'empourpre. Il crispe les mâchoires et plisse les paupières. Je ne l'avouerai jamais à quiconque, mais j'adore le mettre dans cet état en une simple phrase.

« Moi je ne m'abaisse pas à lorgner ma meilleure amie » rétorque-t-il à mi-voix. Il étouffe davantage son timbre afin qu'il ne soit audible que pour moi. « Et je n'ai pas besoin de reluquer toutes les filles de l'école pour… prouver certaines choses. Aux autres ou à moi-même. »

Mon visage s'embrase tandis que Malefoy m'adresse un mince sourire ironique. Cette réplique implique bien des choses, mais des choses auxquels je ne veux pas réfléchir. D'ailleurs, je me refuse à penser que Malefoy, mon rival depuis mes onze ans, aient osé entretenir semblables doutes que Ron et Hermione. Bon sang, c'est une conspiration ou quoi ?

Tiraillé entre ma colère et un glacial effroi, je ne puis que marmonner de manière presque inintelligible : « Je ne vois pas de quoi tu parles. »

Il émet un bref rire. « Bien sûr, Potter. C'est pour ça que tu as reçu des baffes tout au long de la journée. Petit innocent… »

La cloche annonçant la reprise des cours retentit, me retirant l'occasion de répliquer. Satisfait de sa victoire, Malefoy rejoint ses amis et, s'éloignant avec eux vers leur salle de classe, me destine un clin d'œil mi-cynique, mi-malicieux.

Et là, c'est le drame. Ce clin d'œil, dont l'unique dessein est de me narguer, ne déclenche pas en moi une coutumière et réconfortante exaspération. Non. Cela me fait frissonner. Et plus encore : cela me fait trembler. Un violent et subit tremblement, qui fait vibrer tous mes membres, hérisse mon échine. Dans le même temps, mon cœur s'emballe de manière bien trop virulente, le feu de ma figure se mue en un brasier me consumant, une sensation déroutante étreint mes entrailles. Pour la seconde reprise en deux jours, j'ignore ce qui se trame en moi et j'en suis effrayé. Cependant, j'ai une conscience aiguë de la fraîcheur de l'air s'infiltrant au travers de mes vêtements depuis que la chaleur émanant de Malefoy s'est reculée. Depuis que Malefoy s'est reculé de moi, depuis que son regard d'acier ne s'encre plus au mien, depuis que son corps a abandonné notre proximité.

Je m'en collerais une rien parce que cette idée m'effleure, mais, en cet instant précis, je crève d'envie que Malefoy me serre contre lui.

« Harry ? Tout va bien ? »

Sursautant à demi, je me tourne vers Ron et Hermione, qui me scrutent d'un air préoccupé. Un persistant frémissement me parcourt encore, je me sens ébranlé aux tréfonds de moi-même, néanmoins, il n'est pas question qu'ils s'en rendent compte. Alors je grimace un sourire amical, m'évertuant à recouvrer ma voix dans les abîmes de ma gorge obstruée.

« Oui, oui, tout va bien. A… Hem. Allons en cours. »

Mes amis ne sont pas dupes, mais, discernant mon malaise, ne s'acharnent pas. Je leur en suis reconnaissant, car je me sais incapable de leur dire quoi que ce soit.

Lors du trajet qui nous sépare de notre classe, je poursuis mon activité, c'est-à-dire dénuder en pensée les filles de Poudlard. Hélas, le cœur n'y est plus. Aucune d'elle n'est assez blonde, assez pâle et – une lamentation manque de m'échapper chaque fois que cette vérité me heurte – assez masculine pour attirer mon attention.


Cette fois-ci, une bonne nuit de sommeil ne suffit pas à me remettre de mes émotions. Lorsque je me réveille, le lendemain de cette fâcheuse confrontation avec Malefoy, mes pensées font un sacré charivari sous mon crâne. Tandis qu'une partie de moi nie en bloc mon ardent émoi, l'autre le justifie par la concordance entre la discussion que j'ai eue avec Ron et Hermione et les propos acides de Malefoy. Comme mes amis m'avaient perturbé le jour précédent, toute allusion ayant plus ou moins un rapport avec une attirance pour les hommes me met sur les nerfs. J'avais juste espéré que l'école ne me croit pas… ça. Ainsi, les mots de Malefoy, qui ne concernaient d'évidence pas cela, en définitive, maintenant que je les reconsidère avec du recul, m'ont un peu désorienté. Voilà tout.

J'hésite entre les deux une minute, puis choisis de me comporter en homme : je nie donc tout.

Non, je n'ai pas frémi, ni tressailli et encore moins tremblé. Non, Malefoy ne partage pas les faux soupçons de Ron et Hermione concernant mes préférences ; j'ai juste mal interprété sa répartie purement rhétorique. Et, non, je n'ai pas eu froid dès qu'il m'a quitté. Depuis quand j'ai besoin d'un chauffage, d'abord ? Je ne peux pas être devenu frileux d'une seconde à l'autre, sans raison ! Ce n'était sans doute qu'un effet de mon imagination, rien de plus.

J'ai beau me le ressasser lors du petit-déjeuner et du premier cours, mon trouble se mouvant à la lisière de ma conscience, je suis d'humeur nerveuse et taciturne un bon moment. De plus, je n'ai plus aucune envie de contempler les filles, ce qui, à ce qu'il me semble, en déçoit plus d'une – et en soulage d'autres. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais, pour une cause obscure, elles n'éveillent en moi pas le moindre attrait. Je préfère ne pas m'en soucier.

Ron et Hermione, bien entendu, remarquent bien vite que quelque chose me tracasse. Je n'en attendais pas moins d'eux.

« Ce n'est rien, je vous assure » je grommelle. « J'ai juste mal dormi. »

Ron ouvre la bouche alors que je l'implorais sans mot dire de ne pas révéler le nombre de fois où je me suis retourné dans mon lit cette nuit. Il ne distingue pas ma tacite supplique et s'apprête à aviver la curiosité d'Hermione. Par miracle, une intervention me préserve de ses questions anxieuses.

Je me roidis cependant en me rendant compte que, en définitive, le destin a une dent contre moi.

« Des problèmes d'insomnie, Potter ? » lance Malefoy en nous croisant dans le couloir. « Remarque, ça ne m'étonne pas ; ce que tu as regardé hier a dû alimenter des rêves captivants. »

Par réflexe, je pivote sur mes talons pour le braver. Et je me fige. Drago Malefoy se tient face à moi, arborant son habituelle expression prétentieuse et railleuse, dans une posture nonchalante, le menton et le nez relevés, ses iris gris me dardant. J'ai soudain très chaud, et, comble de malheur, je le trouve vraiment très séduisant dans cette position de pure provocation.

Les battements de mon cœur résonnent à mes oreilles, entravant ma concentration. Impossible de livrer une joute verbale dans ces conditions. J'opte donc pour la fuite stratégique. C'est lâche, surtout de la part d'un Gryffondor, mais je suis si malhabile à dissimules mes sentiments que Malefoy s'apercevrait sans mal de ma… situation. Il lui suffirait de plonger son regard ensorcelant dans le mien et il…

Je me détourne, renfrogné, me dérobant à ses yeux perçants.

« Va te faire voir, Malefoy. »

Sous les exclamations stupéfaites des spectateurs, je m'éclipse sans demander mon reste, Ron et Hermione sur mes talons. Malefoy est pris au dépourvu par ma réaction, toutefois, je ne veux pas courir le risque de le laisser se ressaisir.

J'accours hors du château pour me diriger au cours de Soins aux Créatures Magiques. Au moins, là-bas, je ne risque pas un nouveau duel avec mon rival.

Mon soulagement est de courte durée. Alors que je recouvre une respiration régulière et des pulsations plus modérées, les sixième année de Serpentard rejoignent les Gryffondor dans le champ nous tenant lieu de salle. Je me remémore, horrifié, que les cours de cette après-midi se déroulent en commun avec eux. Je vais passer le restant de la journée à proximité de Malefoy. Y'a pas à dire, je suis maudit.

Hagrid nous rassemble autour de sa cabane. La leçon du jour est consacrée à une espèce d'insecte luminescent dont le venin contient des propriétés médicinales. Il nous faut les observer, prendre des notes, récolter un peu de venin et l'étudier. Durant deux heures, en compagnie des Serpentard. Autant dire que je ne suis pas des plus appliqués.

Par chance, je suis en équipe avec Ron et Hermione, si bien que je peux me permettre d'être inattentif. Je bande donc la totalité de ma volonté pour ne pas poser les yeux sur Malefoy, qui, j'en ai la conviction, s'est installé juste devant moi avec Parkinson et Zabini rien que pour m'enquiquiner. L'abruti. Je le déteste.

Nous commençons donc tous à détailler du regard la libellule scintillante, Hermione notant des informations d'une main fiévreuse, Ron hasardant quelques commentaires. Moi, eh bien… je m'efforce de suivre de mon mieux. Ce n'est pas une tâche des plus aisées. Tout d'abord, car Malefoy, dos à moi, est vraiment très proche de notre établi et que je n'ai jamais autant désiré le savoir ailleurs. Le souvenir de la veille me hante à nouveau, malgré mes efforts pour le repousser, escorté du spectre encore vivace des sensation m'ayant assailli. J'ai nié, j'ai échoué. Inconcevable de nier quelque chose d'aussi intense. J'ignore ce que c'est, d'ailleurs, bien que j'en ai une infime idée, il est exclu que je l'approfondisse. De surcroît, tout est si subit que, avec un peu de chance, ce n'est que passager… Je n'y compte guère, bien entendu, puisque nul n'est plus infortuné que moi sur cette foutue planète.

Ce bouleversement constitue la première cause de mon manque d'assiduité lors de ce cours. La seconde, c'est un parfum planant dans l'air, qui me charme, accapare une conséquente partie de mon esprit. Je m'aperçois bientôt que c'est le sien. Oui, le parfum de Malefoy. Quand je vous disais que j'étais malchanceux…

Lamentable, je sais. Mais je suis inapte à ne pas y prendre garde. Qu'y puis-je, moi, si son odeur naturelle est envoûtante ? Son odeur naturelle, en effet. Ben quoi ? Vous imaginez, franchement, Drago Malefoy en train de se parfumer tous les matins devant sa glace ? Tout au plus sent-il un peu le propre, le frais. Sinon, je perçois une ténue nuance de menthe épicée, avec un soupçon de cannelle. Ravissant. Je ne me lasse pas de le humer, en déplorant ma faiblesse dans le même temps. J'essaie de l'ignorer, mais la brise légère soufflant alentour m'envoie sa fragrance en plein visage. Et c'est exaltant. De plus, le soleil filtrant au travers des nuages illumine ses fins cheveux blonds, comme si un rayon de soleil soyeux vêtait son crâne, reposait sur sa délicate nuque diaphane.

Je me délecte de son odeur et m'abreuve de sa vue sans vergogne, incapable de me détourner. J'y renonce, en fait, car ce que j'inhale et contemple est bien trop plaisant. Fermant mes paupières à demi, je me risque à m'abandonner à son parfum, en gorgeant mes poumons. J'ai conscience de mon imprudence, de mon impertinence, de l'étrange interdit que représente mon innocente divagation, du ridicule qui me guette si un élève me surprend. Pourtant, je m'en moque. Cette odeur… Elle me rassérène et me berce, répandant en moi une délicieuse quiétude, me déconnectant de la réalité. Désormais, mon envie de serrer Malefoy contre moi se mêle à celle de respirer la fragrance apaisante de sa peau…

« Tu t'endors, Potter ? »

La voix désobligeante me fait l'effet d'une douche froide. Rouvrant mes yeux, je croise ceux, plutôt amusés à mes dépens, de Malefoy, qui s'est contorsionné sur son tabouret pour me faire ma face. Je suis soulagé de constater que l'irritation me gagne aussitôt.

Fronçant les sourcils, je le foudroie d'un regard noir. « Mêle-toi de ce qui te regarde. »

Du coin de l'œil, je l'entrevois secouer la tête de dépit. « Repose-toi, cette nuit, au lieu de fantasmer au sujet des jupes des filles. C'est bien moins divertissant lorsque tu n'es pas en forme. » Puis il me tourne le dos, poursuivant l'exercice.

Selon leurs murmures sceptiques ou exaspérés, Ron, Hermione, Parkinson et Zabini, qui ont tous quatre suivi notre bref échange, n'ont pas saisi la phrase de Malefoy. Moi, en revanche, je sais qu'il évoque nos duels. Mes réparties ne sont pas à son goût ? Eh bien qu'il sache qu'elles ne s'amélioreront pas tant qu'il sentira aussi bon et me décontenancera par la biais de vils clins d'œil !

Au terme du cours, je fuis aussi vite que possible, Ron et Hermione, perplexes, trottinant à ma suite. Je leur formule une excuse évasive, ma seule préoccupation étant de m'éloigner de Malefoy et de la menthe épicée se dégageant de lui. Lorsque nos deux classes prennent place dans les cachots, sous le nez plissé de dégoût de Rogue – toujours aussi aimable en dépit de la fin de la guerre – je prends soin de m'attabler au fond, alors que Malefoy ne manque jamais une occasion de flagorner le maître des potions en choisissant le premier rang. Au moins, ici, mon odorat ne captera pas ses sournoises effluves de cannelle, et les relents des potions que nous confectionnerons se chargeront d'en masquer les éventuels arômes.

Après les instructions sèches et efficaces de Rogue, nous entamons la préparation de la potion du jour, les indications des grimoires nous assistant dans notre entreprise. Mon estomac encore quelque peu noué, ma gorge asséchée dissipent certes ma concentration, mais je ne m'en inquiète pas. Malefoy est trop loin de moi pour me désarçonner tel que lors de la dernière heure…

C'est du moins ce que j'ai eu la naïveté de croire. Pourquoi est-ce que je lorgne dans sa direction plutôt que mon chaudron ? Pourquoi suis-je passionné par l'élancement de sa silhouette, le rayonnement opalescent de sa chevelure, ses… ses mains ? Ouhlà, on se calme et on retourne à sa besogne. A sa potion, aux ingrédients à mélanger, aux doses à mesurer… et non pas à l'étude de ses longs doigts pâles qui manipulent les poudres et les liquides avec tant de grâce, de précision. Je cligne des paupières, épouvanté, puis reporte ma frêle attention sur mon chaudron bouillonnant. Bien entendu, je ne parviens pas à me concentrer et, le visage baissé, jette un coup d'œil discret vers Malefoy. Un gémissement à mi-chemin entre le désespoir et la convoitise gargouille dans ma gorge. Je ne le réprime que de justesse.

Bon sang, je suis irrécupérable ! Ses doigts, ses jointures, le revers et la paume de ses mains me fascinent. Presque hypnotisé, je fixe ses gestes adroits, assurés, les savourant de semblable façon que je savourais tout à l'heure son odeur. Ses mains soignées sont pareilles à celles d'un pianiste, sans doute douces et souples, comme je le présume en l'observant de la sorte. J'en viens à me demander ce que j'éprouverais à les sentir se glisser entre mes mèches d'ébène rebelles. Se couler de mon front au long de mes joues. Serpentant de ma mâchoire à ma gorge. De ma gorge à mes épaules. Des épaules à mon torse, mon ventre…

J'interromps le fil périlleux de mes songeries juste à temps pour reprendre la fabrication de ma potion. Hélas, je suis trop distrait et le résultat, comme d'ordinaire, ne satisfait pas Rogue. Qu'importe. J'ai des soucis prioritaires à cette maudite potion sans intérêt – des soucis tels que mon impromptu éblouissement à l'égard de mon rival. Comme j'avais décidé de nier ce qu'il provoque en moi, de démentir l'absurde erreur de Ron et Hermione, il m'est néanmoins inenvisageable de prêter la moindre valeur à cet embrouillamini.

Ma théorie, que je revendique comme l'unique plausible et acceptable, est la suivante : jusqu'à preuve du contraire, je suis un adolescent mâle. C'est-à-dire, un garçon cheminant sur la voie d'homme. En tant que tel, je suis affligé d'hormones en furie qui se chamboulent dès qu'il est question, de près ou de loin, de sexe. De surcroît, n'ayant pas détenu l'occasion de tout à fait m'épanouir sur ce plan-là (s'envoyer en l'air ou sauver le monde, il faut choisir !), ma libido délaissée réclame dorénavant son dû. C'est aussi simple que cela.

En ce qui concerne les goûts douteux de ma libido surchauffée… Ce n'est pas vraiment de mon fait, n'est-ce pas ?

Quoi qu'il en soit, il me suffit de patienter. Tôt ou tard, la tension inassouvie s'étant accumulée au cours de ces longs mois d'abstinence finira par s'estomper. C'est avec cette rassurante certitude que je me couche la nuit venue, escomptant que cette insoutenable situation s'arrangera bientôt.

Je me réveille me semble-t-il à peine une demi minute après avoir clos mes paupières, le cœur cognant à grands coups dans ma poitrine, en sueur et… mince. Mon caleçon est un peu humide, conséquence, je suppose, d'un rêve très animé Des bribes floues mais explicites affluent en un éclair, et je sens les traits de mon visage se décomposer. Oh, bon sang… J'ai passé la nuit à m'imaginer en train de… avec… En dépit de l'heure matinale, je bondis hors de mon lit et fonce sous la douche, où je réduis la température dans l'espoir d'effacer les dernières traces honteuses de mon rêve.

Lors que je rejoins le dortoir, Ron, Dean, Seamus et Neville émergent à leur tour, paraissent étonnés de me voir déjà debout et en serviette de bain, des gouttelettes de ma douche perlant le long de mes épaules. Ils me questionnent sans beaucoup se soucier de mes réponses. Seul Ron me scrute de l'œil émérite du meilleur ami, déduisant dans l'instant que je lui cache quelque chose. Il a raison, et j'ajouterai même que je ne suis pas prêt de le lui révéler. Nul ne doit jamais avoir connaissance des images qui ont provoqué cette réaction durant mon sommeil.

Ron et Hermione hasardent des interrogations que j'élude, les joues brûlantes de mortification. Hors de question que je leur parle de… ça. Cela les conforterait dans leurs ridicules spéculations. Et de plus, faire le récit de ce rêve monstrueux le rendrait… réel. Je ne peux permettre cela. Je vais d'ailleurs m'appliquer à l'oublier, à feindre de rien, à me convaincre, encore une fois, que ce phénomène n'est dû qu'à mes hormones en folie.

Hélas, j'ai beau me répéter que je suis bel et bien hétéro, j'avoue qu'un minuscule petit doute commence, de manière lente et progressive, à s'insinuer dans mon inébranlable certitude. C'est plutôt inquiétant. Pour évincer cette persistante confusion, je reprends mon activité de l'avant-veille, avec, cette fois-ci, davantage de retenue. Les filles que je déshabille du regard ne doivent se rendre compte de rien, et surtout pas de mon œil sceptique. Car, oui, je suis contraint d'admettre qu'aucune d'elles n'éveille en moi le moindre instinct bestial, ni même la plus infime attirance. Alors, au bord de l'accablement le plus noir, je me mets à… reluquer les garçons.

A titre d'essai, j'entame ma sordide mais nécessaire entreprise par Ron. J'ai du mal à dissimuler mon soulagement tandis que je ne ressens rien. Parfait. Je réitère l'expérience sur mes camarades de dortoir, plusieurs élèves dont l'âge vari entre quinze et dix-sept ans, desquels je m'indiffère de façon identique. Parfait également. Comme tous ces spécimens mâles ne me donnent pas l'envie irrépressible de leur sauter dessus, mon moral remonte et je passe une matinée assez calme. Bien entendu, cela n'explique en rien mon rêve ni mon impassibilité devant la horde de mini-jupes galopant au sein de Poudlard, mais je préfère ne pas m'en préoccuper pour le moment. Une chose à la fois. Tout ce qui importe, dans l'immédiat, c'est mon désintérêt à l'encontre des adolescents, eux aussi en proie aux tourments de leur libido naissante.

Ce qui signifie, de ce fait, que mes drôles de réactions envers Malefoy, ainsi que ce rêve embarrassant, n'ont pas matière à m'inquiéter. Après tout, si j'étais… attiré par les hommes, j'aurais été le premier au courant, non ?

Le cœur allégé, je suis les cours de la journée en omettant peu à peu cette regrettable histoire. Je parviens presque à sourire d'un air nigaud, plutôt allègre à l'idée de préférer les demoiselles, lorsqu'une interpellation gâte les choses.

« Tu as récupéré ta nuit de sommeil, Potter, ou tu es encore plus amorphe qu'hier ? »

Alors que je rencontre le gris regard moqueur de Drago Malefoy, déterminé à ne pas me laisser faire, une image me traverse l'esprit. Mon rival, tout à fait nu, les paupières closes, étendu sous moi et le visage épanoui de plaisir. Une importune bouffée de chaleur empourpre mon visage.

Tandis que Malefoy attend ma cinglante répartie, espérant que j'ai recouvré assez de mes capacités mentales pour l'envoyer paître, me jaugeant avec une expression présomptueuse, les visions de mon rêve se superpose à la réalité. Je vois Malefoy tel qu'il est en ce moment, les bras croisés sur son torse et un maigre sourire narquois au coin des lèvres, mais aussi abandonné et alangui contre moi, la bouche arrondie en un soupir muet.

J'ai donc beaucoup de mal à dénicher une réplique digne de ce nom et ne puis que le dévisager, sans voix, tiraillé entre un fulgurant désir et mon agacement coutumier. C'est très perturbant ; je me sens mi-ébloui, mi-horrifié… et très excité.

Malefoy conserve le silence un instant, puis hausse les sourcils, surpris. « Et alors ? Tu n'as rien à me dire ? » Ses traits se muent en une moue goguenarde. « Aurais-tu eu une nuit agitée, par hasard ? »

La provocation émanant de lui me prodigue une ardente envie de… Non, rien. J'ai juste très, très chaud, en particulier aux joues et au bas ventre. Cette fois, je fuis sans même prendre la peine de rétorquer, tournant les talons et m'élançant dans le couloir.

Des rumeurs au sujet de cette scène circulent déjà dans l'école, cependant, je n'ai guère l'occasion d'en éprouver de la gêne. Je consacre la majorité de mon temps à rechercher des explications pour ce qui m'arrive ces temps derniers – et il se trouve que je n'ai, à l'heure actuelle, rien débusquer de satisfaisant.

Mes nuits, écoutées et sportives, se résument à une partie de jambe en l'air onirique en compagnie de Malefoy. Mes matins à un nettoyage rapide de mon caleçon souillé, à une douche glacée et un déni total de mon trouble face aux questions anxieuses de Ron. Le reste de mes journées… j'ai honte… je guigne les filles en désespérant de les trouver belles, affriolantes, attirantes, en vain… je me rassure en constatant que les garçons ne m'inspirent rien de plus… puis, surtout, je prends mes jambes à mon cou pour éviter Malefoy… pour éviter que, malgré ses mots acerbes destinés à m'énerver, malgré nos duels de piques cyniques, je ne peux m'empêcher de le voir tel que me le montrent mes rêves… de le voir resplendissant d'une beauté que je n'avais pas soupçonnée par le passé… de le voir si beau que, bien que je sois excité ou irrité, j'en suis ému…

Voilà comment s'écoulent ces deux semaines-ci, une déstabilisante routine s'instaurant d'elle-même… Ah, et il y a aussi mes courses effrénées au travers des couloirs, tandis que Malefoy tente de me héler. Dans ces moments-là, je m'isole de ce qui m'entoure et je récite dans ma tête les raisons qui font de moi un homme non-attiré par les hommes. Si j'avais été… gay – n'ayons pas peur des mots – je m'en serais aperçu bien avant. Si j'étais gay, je m'intéresserais aux garçons en général et non pas juste à Malefoy en particulier. Non ? A moins que je n'aie rien compris au fonctionnement de ces choses-là.

Quoi qu'il en soit, la situation devient intenable. Je manque de sommeil, suis nerveux et presque agressif, toujours au bord de la crise de nerfs. Mon comportement intrigue les élèves et préoccupe mes amis. Des hypothèses se colportent à mon encontre de bouche à oreille, et je suis si irascible que, dès qu'on m'interroge, j'envoie mon interlocuteur sur les roses – pour demeurer poli.

Sans oublier Malefoy… A mon instar, je crois qu'il avais appris à apprécier la tournure de nos rapports depuis la fin de la guerre. Tout comme moi, il doit aimer à me défier par des mots, à me provoquer comme si nous étions encore ennemis, alors que nous sommes, d'une certaine manière, très complices. C'est singulier et peut-être un peu tordu, mais, après nos antécédents, c'est ce le genre de relation qui nous convient le mieux.

De ce fait, il me semble que ma subite distance à son égard l'agace prodigieusement. Chaque fois qu'il m'adresse la parole pour engager une nouvelle joute verbale, je lui tourne le dos et pars en courant à demi. Dès qu'il fait mine de s'approcher, j'emprunte la direction inverse. Dès que son regard cherche à s'encrer au mien, je me détourne. Qu'il pense que je ne veux plus de notre rivalité me désole, bien qu'il ait toutes les raisons de le croire, hélas, je ne dispose pas d'autre alternative. Mes rêves, de plus en plus osés et… imaginatifs, hantent mes nuits, certes, mais pourrissent mes journées. Je ne peux jeter le moindre coup d'œil à Malefoy sans que des réminiscences compromettantes brouillent ma vision.

Ce n'est plus gérable, d'une part car cette cessation forcée des hostilités me pèse, et d'autre part car Malefoy n'est pas de ceux qui se laissent ignorer en toute impunité. Ces deux derniers jours, sa contrariété paraît avoir atteint son apogée, si bien que, lorsqu'il s'est efforcé de s'avancer vers moi, la résolution illuminant ses iris gris m'a arraché un frisson. J'ai aussitôt remarqué qu'il s'apprêtait à rompre notre tacite accord, à commettre un acte auquel nous ne nous sommes jamais confrontés auparavant : il veut que nous parlions en toute franchise. Il veut savoir pourquoi je m'écarte de lui soudain, pourquoi nos duels m'effraient à ce point. Comme je connais son obstination, je m'applique davantage à ne pas le croiser plus que nécessaire, à décamper des parages dès qu'il s'y trouve, et tant pis pour ma réputation de courageux Gryffondor. Tout plutôt que de parler en toute franchise avec Malefoy.

Il faut remédier à cela, et j'ai donc débouché à une conclusion logique : implorer le secours de Ron et Hermione. Après tout, s'ils n'avaient pas suggéré mon improbable et invraisemblable attirance pour les hommes, mon subconscient malmené par mes hormones en débandade n'en serait pas à fantasmer sur mon ancien ennemi.

Aujourd'hui, juste au terme du cours d'Histoire de la Magie, profitant de la pause, j'esquive habilement Malefoy qui bouscule le flux continu des élèves dans le but de me rejoindre, et entraîne Ron et Hermione à l'intérieur d'une salle de classe déserte. Closant le battant derrière moi, je leur fais face, ignorant leurs expressions circonspectes.

« J'ai besoin de votre aide » gémis-je presque, me laissant choir sur une chaise.

« Oui, bien entendu » répond Ron, un peu perplexe. « Quel est ton problème ? »

Comme s'il ne le savait pas ! « Sans blague, tu n'as pas remarqué mon comportement de ces derniers jours ? »

« Si, justement » dit Hermione, me scrutant d'un œil perspicace. Trop perspicace. « En fait, tu as commencé à être… instable depuis notre discussion. »

Aïe. Attention : avoir une amie trop intelligente et observatrice peut beaucoup nuire à vos secrets. J'affiche un air de pure innocence, pour la forme, conscient que cela ne prendre pas. « Mais non, quelle idée. Tu me trouves instable ? »

« Te vexe pas, vieux, mais j'admets que tu n'as pas été aussi agité depuis cet été. » Cet été. C'est-à-dire, selon Ron, que mon état ressemble à celui de l'époque je traquais Voldemort. Formidable. Soudain, je me demande si leur confier mon tracs est bien avisé.

« Il exagère. » Je le sais fort bien, toutefois, si je me réfère à l'expression d'Hermione, il n'exagère que de très peu. « Allez, dis-nous pourquoi tu es sur les nerfs. » A nouveau, j'ai le déplaisant pressentiment qu'elle s'est déjà fait une idée de la cause de mon trouble.

Agis en homme. Tu as vaincu le Seigneur des Ténèbres, tu ne vas tout de même pas te laisser impressionner par les regards curieux – limite avides, dirais-je – de tes amis. Prenant une profonde inspiration, j'entreprends de triturer un pan de ma robe de sorcier. « Voilà, eh bien… en fait, depuis… notre conversation… » je feins d'ignorer le ricanement étouffé de Ron. Faux frère. « J'avoue que je me suis un peu interrogé. Un peu, seulement. »

« Ca explique que tu aies regardé toutes les filles de l'école au point de te construire une réputation de pervers » dit Hermione, l'air entendu.

Je rougis, ébauchant un sourire contrit. « Oui, c'est vrai. »

« Et le problème est que tu n'appréciais pas ce que tu voyais. »

Cette fois-ci, je me redresse sur mon siège, indigné. Son affirmation m'a piqué au vif ; pourquoi Hermione tient-elle tant à démontrer mon homosexualité ? Je ne suis pas gay !

« Admets-le » intervient Ron, hilare, avant que ne je m'offusque à hauts cris. « Tu n'es pas vraiment doué pour caché ce que tu ressens ni pour jouer la comédie. Tu t'es tant forcé à jouer que ton manque d'intérêt pour les attributs féminins était palpable. »

Ils ont recommencé ! Je suis désormais persuadé qu'ils ont parlé de moi dans mon dos ! Et ils m'ont proclamé gay sans m'en informer ! Mais quels traîtres !

Je me renfrogné, buté. « Il est possible que ces filles ne m'ont pas intéressé plus que ça, mais ce n'est pas le problème. »

Ron semble s'efforcer lui aussi de lire en moi. « Alors c'est que tu as trop apprécié de lorgner les garçons ? »

C'est infernal ! « Non plus. Je suppose que, comme vous m'avez épié avec autant d'efficacité, vous vous doutez que je ne ressente rien pour les garçons, humm ? »

« En effet. Et ça nous surprend un peu. » A ce que je vois, Ron n'avait pas envisagé cette alternative et en veut à Hermione de ne pas lui en avoir fait part. On dirait deux coéquipiers travaillant sur une enquête ardue. « Alors la question est : qu'est-ce qui te met dans cet état ? Tu n'éprouves rien de spécial ni pour les filles, ni pour les garçons, et pourtant, tu es en effervescence en permanence. »

Ron acquiesce d'un hochement de la tête. Je suis décontenancé qu'ils m'aient étudié de la sorte, tout en me sentant rassuré ; comme d'ordinaire, je pourrai leur parler sans détour. Cependant, le fait qu'ils n'aient pas encore évoqué Malefoy et mon attitude envers lui me souffle que soit ils ne m'ont pas si bien espionné, soit ils ont repoussé la perspective qu'il ait plus d'importance pour moi qu'un éternel rival. Dans les deux cas, ce que je m'apprête à leur divulguer leur fera un sacré choc. Moi-même je ne m'en suis pas encore remis.

Empoignant ce qu'il subsiste en moi de bravoure, j'affronte leurs regards attentifs. « Je n'éprouve rien pour les filles et les garçons en général, oui… Mais en revanche, j'ai… je fais, disons, une légère fixation sur… une personne en particulier… »

Je marque une pause, un peu fébrile. L'éclair de compréhension illuminant les iris d'Hermione à cet instant me confirme ce à quoi je m'étais attendu. Elle vient de relier entre eux les événements de ces derniers jours et mes réactions bizarres, et en a déduit ce qu'il y avait à déduire. Sa bouche bée, ses yeux s'écarquillent. Mais Ron, lui, n'a même pas considéré comme imaginable une telle aberration, alors je suis contraint de poursuivre.

« Et cette personne… c'est… Hem… Malefoy… »

Là, ils le savent. Hermione referme la bouche et Ron a l'air de s'étrangler avec sa salive. « Quoi ? » fait-il, interloqué, sa paume sur sa gorge. « Tu… tu es… amoureux de… ? »

C'est à mon tour d'être éberlué. « Eh, j'ai jamais dit ça ! J'ai dit que je faisais une très, très légère fixation sur lui ! Va pas tout confondre ! »

« Légère comment, ta fixation ? » Si je mens, Hermione le repérera aussitôt. Ses yeux acérés décèleront la moindre fable. Il est donc impensable de lui cacher la vérité.

Je m'éclaircis la gorge – tandis que Ron recherche sa respiration, perdue quelque part vers son estomac. « Je fais… quelques rêves la nuit… Des rêves plutôt… Enfin, des rêves où il ne devrait pas avoir sa place… Et, aussi, j'ai remarqué qu'il avait de jolies mains et… une bonne odeur… » J'ai fini par river mon regard sur le bout de mes chaussures, tordant mes doigts, les joues en feu. Je ne me rappelle pas m'être senti si embarrassé de toute ma vie. Ou du moins depuis longtemps.

« …'on… 'an… » Ce gargouillis inintelligible provient de Ron, qui suffoque en arborant un teint cramoisi soutenu. Hermione lui tapote le dos d'un geste apaisant, me dévisageant avec compassion.

« Je comprends maintenant pourquoi tu te sauves chaque fois qu'il essaie de te provoquer. Ca me paraissait étrange que tu le fuies comme ça alors que vos bagarres ressemblaient une petite habitude que tu semblais aimer, mais je ne m'en suis pas beaucoup souciée. J'imagine que tu repenses à tes rêves dès qu'il se retrouve devant toi ? »

« Oui. » J'ai hâte d'achever cet entretien.

« …Malefoy… garçon… pas… possible… » D'évidence, Ron partage mon souhait.

« Comment comptes-tu y remédier ? » me demande Hermione, accentuant ses caresses apaisantes sur le s omoplates de son petit-ami.

« J'espérais que vous auriez une solution. »

« Pourquoi pas tout simplement lui en parler ? »

Je m'apprête à protester, outré, mais Ron me devance. « Tu es folle ! Il va s'en servir pour faire vivre un enfer à Harry ! Ce n'est pas parce qu'il était dans notre camp pendant la guerre qu'il est moins crétin qu'avant. » Sa sollicitude me touche. Il doit vraiment craindre pour mon image pour avoir si vite recouvré son souffle et écarté la suggestion d'Hermione.

Celle-ci roule des yeux. « Vous ne réfléchissez donc jamais ? Malefoy aime lui aussi leurs stupides disputes. Pourquoi crois-tu qu'il s'acharne à courir après Harry depuis deux semaines ? Il est donc possible… »

« Que quoi ? » je l'interromps, soudain exaspéré. « Qu'il fantasme lui aussi sur moi ? Ca m'étonnerait, si tu veux mon avis. Et quand bien même, qu'est-ce que ça changerait ? »

« Vous pourriez cesser de vous taper dessus et concrétiser vos fantasmes communs. Non ? »

J'ai l'impression d'avoir de la fièvre tant mon visage me cuit. « Non mais, ça va pas ! Je ne suis pas gay ! »

Ron et Hermione me jettent un coup d'œil dubitatif. J'y renchéris sans ciller.

« Tu te moques de nous ? » dit Ron.

« Non ! Vous l'avez dit vous-mêmes, aucun des garçons que j'ai reluqué ne m'a convenu. Tu devrais d'ailleurs en être soulagé » j'ajoute avec un œillade éloquente dans sa direction. Ron esquisse un mouvement de recul instinctif.

« Mais tu ne t'intéresses pas non plus aux filles… » continue Hermione, comme si de rien n'était, réflexive. « Ca veut dire que tu n'aimes que Malefoy ? »

« Qu'est-ce que tu n'as pas compris, au juste ? » je m'impatiente. « Je fais une fixation passagère – persistante, certes, mais passagère. Je cherche un moyen de m'en débarrasser, pas de me rapprocher de Malefoy. »

« Peut-être que si tu testais… tu y prendrais goût… » insiste-t-elle.

« Mais non ! »

« Va pas lui mettre de mauvaises idées dans la tête, il en en a déjà bien assez lui-même. Il te dit que c'est passager et que ça se produit presque contre son gré. »

Hermione se masse la tempe de son index. « Vous le faites exprès ou quoi ? Harry, je ne veux ni ne peux te contraindre à quoi que ce soit – tu es de toute façon trop entêté. Mais ce que j'en dis, c'est que ta fixation pour Malefoy date de bien plus longtemps que ces dernières semaines. Selon toi, pourquoi apprécies-tu tant tes confrontations avec lui ? Pourquoi réponds-tu à ses provocations ? Ce qui se passe, c'est que ton corps s'aperçoit à son tour que connaître Malefoy… plus en profondeur ne serait pas vraiment désagréable. »

« Elle marque un point » concède Ron, comme à contrecœur.

Hermione se tait un instant, guettant ma réaction. « Qu'en penses-tu ? »

Je me lève d'un bond, les poings et les mâchoires crispés, mon cœur tambourinant entre mes côtes à une cadence douloureuse. « Je pense que vous n'avez rien écouté et que vous m'avez décrété amoureux de mon ennemi avant même que je ne vous en parle. Je ne sais pas pourquoi je fais ces rêves ni pourquoi j'aime me battre avec lui, mais je suis convaincu de ne pas être attiré par les hommes… et encore moins par Malefoy. Pas de cette manière. »

Furieux et en ébullition, un indicible brouhaha résonnant sous mon crâne, je me dirige vers la sortie, quitte la classe sans un regard pour Ron et Hermione, qui demeurent penauds et silencieux. Je m'éloigne dans le couloir d'un pas vif, me refusant à approfondir les démentes conjectures de mon amie.


°°°°°°


Tandis que Harry Potter fuit à nouveau, la tête baissée, Drago Malefoy s'extirpe d'un renfoncement enténébré du mur et l'observe disparaître à l'angle d'un couloir. Un sourire étirant ses lèvres, il songe que son initiative de talonner Potter et ses copains jusqu'à cette classe était la meilleure qu'il avait eue de toute l'année.

A suivre…

Voici la première partie de mon OS, qui, je l'espère, vous donne l'envie de lire la suite. Je tiens à dire pour ma défense qu'il s'agit là du premier slash que j'ai jamais écrit – mais de loin pas le dernier, si tout se passe comme prévu – et que je m'excuse si cela ressemble déjà à tout ce que vous avez lu auparavant.

Pour les habitués du genre, je pense, en effet, qu'il y a là ce que j'appelle la formule basique : un Drago charmeur et à peine moins antipathique dans les livres, des rêves mouillés, des provocations, déni, découverte de leur orientation sexuelle, les copains qui s'en mêlent des deux côtés… Bref, excusez-moi d'avance. J'espère au moins que vous aurez eu une agréable impression de familiarité. Je trouve toujours sympa de lire un truc pas trop dépaysant par moment, ça détend.

Merci d'avoir lu jusqu'ici !

Bye,

Sam Dreamangel