Ça aura pris du temps, mais j'ai finalement rédigé une sorte de fin. Je n'en suis pas totalement satisfaite, je ne sais pas si elle vous contentera (et s'il y en a encore qui l'attende ?) mais j'en suis arrivée à un point où je me dis que j'ai fait mon maximum et que c'est probablement mieux que rien.

Certains élèments dans cet OS font référence à une autre de mes fics (Les Aimants), mais ça ne devrait pas nuire à la compréhension globale.

Un autre OS, sur Magdalena et Avery, est en projet. Vous comprendrez aisément pourquoi je préfère ne pas vous indiquer une date de mise en ligne…


2005

(OS final)

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Matinée de solstice ensoleillé. Les jours se sont allongés mais les heures demeurent toujours aussi vides.

Il se retourne au son de ses pas mais ne prononce pas un mot.

Kassidy prend place à ses côtés, tend la main vers la Psychandre, qui trône au milieu de la table en céramique, et en arrache une feuille qu'elle ajoute à son thé.

« A quoi bon ? lui demande-t-il en la voyant faire. Le futur ne nous réserve plus rien.

– Je vois le passé aussi, parfois.

– Il ne nous réserve rien non plus. »

Elle cale ses talons sur les reliefs des pieds ouvragés du guéridon et sent la chaleur du fer sous ses semelles trop fines.

Il n'a jamais fait si beau ces dix dernières années.

« Ils ont attrapés le dernier des Détraqueurs aujourd'hui, devine-t-elle. Ils les ont fait disparaître pour de bon. »

La guerre est finie, le mal éradiqué, et la boule de feu au-dessus d'eux rayonne de contentement. C'est aussi simple que ça.

« Qu'y a-t-il ? demande-t-elle à l'homme qui partage sa terrasse, qu'elle devine soucieux.

– Il ne fait jamais chaud à Azkaban. »

Rabastan pense à son frère, alors elle pose une main sur la sienne. Il répond à son geste de réconfort par un pauvre sourire.

« C'est curieux, on aurait pu se marier, il y a longtemps, et on aurait probablement fini à Azkaban tous les deux. Au lieu de ça, on ne s'est pas marié et on se retrouve à finir nos vieux jours ensemble. »

Elle voudrait lui répondre qu'à quarante-cinq ans, elle se sent encore jeune mais la vérité c'est qu'elle a enduré tellement d'horreurs qu'il lui semble être âgée de plusieurs vies.

Il parcourt le jardin d'un coup d'œil circulaire en tripotant le bracelet métallique à son poignet.

« Il y a des jours où je déteste devoir passer ma vie ici.

– Je ne peux rien t'offrir de plus », regrette-t-elle.

Tout ce qu'elle a obtenu de la justice, c'est que Rabastan soit assigné à son domicile plutôt qu'emprisonné à Azkaban. C'est déjà un verdict inespéré, il serait bien mal avisé de réclamer davantage.

« Je sais bien, et je te remercie de tout ce que tu as fait pour moi. Seulement… mon frère me manque. Et la femme que j'ai aimée le plus… »

Sa respiration se bloque. La rage ou l'affliction fait luire ses pupilles.

« Elle te manque ? propose Kassidy.

– Autant qu'il te manque. »

Les voilà tous les deux réunis, le cœur brisé d'avoir aimé la mauvaise personne.

« Il aurait été tellement plus simple qu'on soit amoureux l'un de l'autre. »

Elle a prononcé ces mots mais ils auraient pu être ceux de Rabastan.

« J'ai trouvé le numéro de la Gazette que tu as jeté dans la poubelle, poursuit-il sans s'arrêter sur son intervention.

– Je suis désolée. Je voulais t'épargner ça.

– Elisha s'est remariée.

– Oui, j'ai lu. »

Que peut-elle ajouter à ça ?

« J'ai voulu lui écrire. J'ai écrit des centaines de lettres. » Il a les larmes au bord des yeux, prêtes à dévaler ses joues rêches. « Mais ça lui aurait fait peur, ça lui aurait fait du mal.

– Et ça t'aurait renvoyé tout droit à Azkaban. Tu as promis que tu ne chercherais pas à la contacter. C'était une des conditions…

– Au diable les conditions ! » s'enflamme-t-il en tapant du plat de la main sur la table ronde.

Les cuillères tintent dans les tasses et les oiseaux se taisent une seconde. Le brusque silence le trouble suffisamment pour qu'il regagne son calme.

« Elle était… Elle me rendait fou, comme un adolescent. J'aurais pu tout arrêter pour elle. J'y ai pensé, vraiment. J'aurais tout arrêter. Mais non, j'ai été stupide. Je suis allé chez les Londubat, et… tu connais la suite. »

Il est rongé par les remords. Ça ne leur fait qu'un point commun supplémentaire.

La Psychandre commence à faire son effet. Elle est toujours là, au manoir Andersen, mais une part d'elle-même flirte avec les fantômes de sa mémoire. C'est le mois d'avril et elle sent sur sa peau l'humidité des cachots, et celle des baisers de Sirius. Elle entend contre son oreille les rendez-vous secrets qu'ils convenaient pour se retrouver. Elle entend l'absence, le silence pesant des amitiés brisées : Narcissa qui rentre dans le moule – elles ne se sont plus vues depuis son mariage avec Lucius Malefoy –, Magdalena qui s'insurge contre le monopole des Sang-Pur – elles se sont croisées durant la deuxième guerre mais être du même camp n'a pas suffit à réparer les années de froide cordialité –, Bellona qu'elle a protégé à distance – aujourd'hui, elles s'envoient des cartes convenues pour Noël ou leurs anniversaires. Et Severus qu'elle avait retrouvé bien des années après leur scolarité.

Elle avait perdu tout ce qu'elle avait à perdre petit à petit au fil de sa septième année, alors elle s'était accordé le droit d'aimer Sirius Black. Ni Potter, ni Pettigrow n'avaient jamais rien su de ce qui se tramait dans leur dos. Lupin s'en doutait, mais ne pipait mot. Tout devait aller pour le mieux.

Mais elle avait voulu jouer sur les deux tableaux en conservant Rabastan comme issue de secours. Elle avait manqué de discrétion, et Severus, tapi dans une ombre qu'elle avait cessé de contrôler, avait découvert le pot au rose. Ultime preuve de son attachement, il avait voulu la protéger de Sirius. Pour cela, il n'avait eu qu'à révéler au Gryffondor quelle traîtresse elle était. Sirius était parti. De sa vie, de Poudlard, puis au cœur de la guerre.

Retranchée dans son manoir, elle avait vécu la première guerre de très loin. Jusqu'à ce que l'arrestation de l'ainé des Black parvienne à ses oreilles. L'imaginer, et sous l'emprise de la Psychandre le voir à Azkaban, l'avaient rendue malade. Elle avait voulu se laisser mourir et elle l'aurait fait si son père n'avait pas été à ses côtés.

Un matin, Logan Andersen n'était pas venu lui porter à manger. Le midi il n'était pas paru non plus. Et pas davantage le soir. Elle l'avait finalement trouvé étendu dans la véranda, terrassée par la fatalité qui s'abattait sur lui : en quelques années, perdre sa femme et voir sa fille dépérir, c'était trop de choses à surmonter. Il n'avait pas pu et avait préféré se libérer de cette existence à l'aide d'un poison rapide.

« Après le décès de mon père, j'ai cru que je rencontrerais quelqu'un, confia-t-elle à Rabastan d'une voix pâteuse. J'ai eu des histoires, mais ça n'a pas marché. Ils n'étaient pas… lui. Ils n'étaient pas Sirius. Peut-être qu'il y a quelque part quelqu'un que j'aurais pu aimer comme lui, ou même plus, mais si c'est le cas je ne l'ai jamais rencontré. »

Par la suite, elle avait fait fructifier les affaires familiales, pratiquement coupée du monde. Sirius s'était évadé. Elle avait pensé à le joindre, à trouver un moyen de le contacter mais avait hésité trop longtemps. Cette fois il avait échappé à la prison – on disait qu'il était mort.

Et puis Voldemort était revenu et Severus avait toqué à sa porte. Elle avait rejoint la lutte, parce qu'elle ne craignait plus de mourir au combat. Et quand, à son tour, son ami était tombé, quand la guerre fut terminé, il ne lui avait plus resté que Rabastan à sauver. Ce qu'elle avait fait, en y employant des ressources financières conséquentes et en usant sans scrupule de son influence et de son rôle d'alliée de l'Ordre. Elle avait obtenu sa libération – si on pouvait appeler cela ainsi.

Depuis, les jours se ressemblent, seules les saisons témoignent du temps qui poursuit sa course. Leur quotidien est tissé de nostalgie et de silence, avec parfois, sans prévenir, une de ces éclaircies qui vient rendre les choses un peu plus douces.

« On devrait le faire, lâche-t-elle soudain. On pourrait être enfin libres, on pourrait être heureux. »

Elle lui tend sa baguette. Ils échangent un long regard tandis qu'il referme les doigts sur le bâton. Maladroitement, il prononce :

« Oubliettes. »

Le poids qui l'oppresse disparaît. Sirius est loin, il n'en reste plus qu'une image floue dans son esprit, une image vide de sens. Elle ne souvient pas qu'elle l'ait aimée, et ça n'a plus aucune espèce d'importance.

Car le soleil, en traversant leurs tasses vides, jette partout ses éclats blancs aveuglant et c'est une vision si paisible que ça suffit à son bonheur.