Chapitre XII. - Pas d'au revoir

Monde Connu : Rogue du Monde Connu


Trouver le chemin du retour. Les mots étaient fermement ancrés dans l'esprit de Rogue tandis qu'il traversait à grandes enjambées la réserve poussiéreuse de ses appartements, les escaliers et se dirigeait vers les portes principales du château.

Les élèves allaient et venaient en maltraitant avec allégresse leurs valises cabossées. Les promesses de garder contact pendant l'été fusaient de part et d'autre dans les couloirs. Cette marée humaine grouillait et remuait en tous sens dans le plus total des chaos.

Rogue traversa le couloir en direction des élèves. La mer s'ouvrit sur son passage. Au milieu de cet espace dégagé se tenait un élève solitaire de première année. Il avait le dos tourné vers Rogue et essayait d'effacer une tache sur sa robe. Rogue plissa les yeux face à cette obstruction.

Un autre élève se pencha alors pour attraper le bras du garçon. L'enfant émit un petit cri lorsqu'il se retrouva entraîné hors du chemin du professeur. Rogue passa sans prononcer un mot, mais se permit un mince sourire de satisfaction. Les premières années étaient assez bien dressés au bout d'un an.

Aux portes du château, les élèves montaient à bord des calèches pour rejoindre le Poudlard Express.

Rogue les regarda avec méfiance. En temps normal, il prenait plaisir à passer le dernier jour de classe seul dans ses quartiers, soulagé d'échapper aux cris et au remue-ménage. Mais il avait fini par s'impatienter d'attendre la convocation de Dumbledore. Et en plus de cela... quelque chose l'avait attiré dehors cette année.

Il perçut le timbre agréable de la voix du directeur et tourna la tête.

Dumbledore était debout, son dos faisant face à Rogue. Le directeur se déplaça un peu, et il vit à qui il était en train de parler : Harry.

Rogue frissonna et eut un mouvement involontaire de recul. Il s'en voulut aussitôt d'avoir eu une telle réaction viscérale. Le garçon avait le pouvoir troublant de le manipuler et de mettre ses émotions au grand jour. Et pas seulement la colère, mais des émotions provenant d'endroits plus profonds, bruts, et dans lesquels il n'avait aucune envie de se perdre. Plus le garçon repartirait tôt dans son monde et mieux cela vaudrait. Avec cette idée en tête, il s'approcha de Dumbledore et du garçon avec lenteur.

Harry se trouvait entre le directeur et les murs ensablés du château. La tête baissée, les bras fermement serrés autour de son torse, son attitude défaite contrastait de manière flagrante avec celle des autres élèves. Alors que Rogue se rapprochait, il capta des bribes de conversation :

« Vous n'avez pas à vous donner tout ce mal, disait Harry au directeur. Je ne vois pas l'intérêt maintenant que... »

Il s'arrêta en apercevant Rogue, qui les observa tous les deux avec suspicion.

« De quoi parlez-vous ensemble ?

― De rien, » répondit aussitôt Harry.

Un éclair d'excitation était passé dans les yeux du garçon, mais il avait aussitôt disparu.

« Hermione m'a dit que vous ne venez jamais voir le départ des élèves. Je me demande... enfin, je veux dire, est-ce que vous êtes venu pour une raison précise ? Vous voulez me voir pour parler de quelque chose ? interrogea-t-il.

La gorge de Rogue semblait étrangement sèche. Après sa première punition, le Potter animé, bavard et facétieux s'était envolé. Il avait été remplacé par un adolescent maussade, qui n'ouvrait la bouche que quand on le lui demandait pour laisser échapper des réponses si courtes qu'elles frisaient l'incorrection. Rogue avait fermé les yeux, trop content de profiter de ce silence béni. Et pourtant, Rogue le surprenait encore à l'observer, une lueur d'espoir vacillant dans ses yeux verts.

C'était cet d'espoir insensé qui énervait Rogue au plus haut point. Il ne prenait pas le garçon avec lui cet été. L'idée en elle-même était absurde. Potter essayait clairement de le faire culpabiliser à propos de quelque chose qui ne dépendait pas de sa responsabilité. Il ne céderait pas.

« Mes allées et venues ne vous regardent pas, répliqua Rogue.

― Exact, murmura Harry qui baissa les yeux vers le sol. Rien de plus qu'un professeur et un élève. »

Dumbledore fixa Rogue comme s'il attendait quelque chose de lui.

Une vague de désespoir frappa Rogue sans qu'il ne parvienne à en comprendre l'origine. Il mit la main dans une de ses poches pour cacher son poing serré, et ses doigts se refermèrent autour d'un ingrédient de potion petit et rond, qui était frais et réconfortant dans le creux de sa main.

Le garçon avait toujours ses bras drapés autour de lui et Dumbledore les regardait alternativement. Rogue se sentit pris au piège comme si on l'avait mis sur le devant d'une scène. Il s'éclaircit la voix :

« Est-ce que vous voulez... plus de fruits ? »

Le garçon le brûla de son regard.

« Non, je ne veux pas de ces maudits fruits ! »

La réticence de Rogue à corriger le garçon s'évapora.

« Potter... »

Harry se raidit.

« Il n'y a que nous trois. C'est inutile de m'appeler comme ça.

― Harry, le reprit Dumbledore, il n'y a aucun problème avec le nom de Potter.

― Ce n'est pas mon nom, insista Harry. Pourquoi est-ce que vous ne m'appelez pas par mon nom ? »

Rogue était en sueur ; il était sur que le garçon était responsable. Il lissa ses robes avec malaise.

« Il est temps que je vous dise au revoir. »

Harry grogna :

« Tu m'as dit une fois... »

Il s'arrêta, secoua la tête.

« Ou plutôt, mon père m'a dit une fois qu'il ne faudrait dire au revoir qu'aux personnes qu'on souhaite vraiment recroiser. Vous savez, les revoir. »

Rogue soupira avec impatience.

« Est-ce que vous avez une raison particulière pour critiquer chacun de mes mots ?

― Je ne veux pas vous entendre dire ce que vous ne pensez pas. »

Rogue serra les dents.

« Très bien. Va-t'en. »

Harry le détailla.

« Vous ne pouvez pas être si différent de lui. C'est impossible.

― Vous allez rater votre train, ajouta Rogue.

― Mon père m'a dit une fois que la meilleure chose, mais aussi la plus difficile qu'il ait jamais faite était de fonder une famille. De se permettre de nous aimer, et de se laisser lui-même...

― Il est trop tard ! explosa Rogue. Il est trop tard pour que je… pour... »

Il prit une inspiration tremblante et expira lentement.

« Il est... tard. Vous devriez y aller. »

Harry l'observa avec tristesse, puis il se détourna et s'éloigna.

« Ce garçon est plutôt perceptif en ce qui concerne les problèmes de cœur, commenta Dumbledore.

― Il n'y a qu'une seule chose dont je souhaite discuter à propos de Potter, » grommela Rogue.

Le directeur soupira.

« Qu'avez vous découvert sur les chances de Harry de retourner dans son monde ? »

Rogue pressa ses lèvres l'une contre l'autre. Dumbledore hocha la tête.

« C'est ce que je craignais. J'espérais que nous serions capables de le renvoyer chez lui avant la fin de l'année scolaire... »

Il fit un geste vers les voitures.

« Vous ne parvenez pas à trouver de connections entre les mondes ? »

Rogue secoua la tête.

« Quelque soit la nature du phénomène qui l'a amené ici, le passage s'est refermé et a disparu depuis. »

Il hésita.

« Je n'ai trouvé qu'un seul texte qui évoque un évènement pareil. »

Il passa au directeur une copie du message ; lui-même en avait déjà mémorisé le contenu.

Un voyageur fatigué tombe à travers la forêt

Quand il se réveille, les arbres l'entourent sans être là

Reflets d'un monde passé

Ainsi le voyageur erre sans fin

Perdu dans ce décor familier

Alors seulement il comprend

Que le chemin du retour est celui qu'il vient de quitter

La guide peut le conduire sur ce chemin

Elle est plus proche qu'il ne le croyait

Mais il n'appartient qu'à lui de faire le premier pas

« Plutôt vague, n'est ce pas ? murmura Dumbledore.

― Vous ne pouvez pas imaginer le nombre d'auteurs qui sont des poètes frustrés, acquiesça Rogue en se frottant les tempes avec lassitude. Bien entendu, je compte poursuivre les recherches pendant l'été. »

Il détestait devoir poser la question, mais c'était inévitable.

« Vous pourrez faire venir le garçon à Poudlard quand il faudra l'examiner plus en détail ?

― J'ai bien peur que ce ne soit pas possible, répondit Dumbledore, un sourire furtif dansant sur ses lèvres. Pour cause de fumigation. »

Il fallut un moment à Rogue pour digérer cette information.

« Fumigation. A Poudlard. Pour quelle raison ?

― Des joncheruines.

― Des joncheruines, répéta Rogue.

― Une de nos plus jeune élève m'en a parlé. Apparemment, ces créatures peuvent pénétrer dans le cerveau et y brouiller vos pensées.

― Ah, je vois. Vous avez été atteint, n'est ce pas ? » demanda Rogue.

Dumbledore haussa un sourcil.

« Je pose la question uniquement par souci pour votre santé, M. le Directeur, dit Rogue

― Hum. En tout cas, l'école doit être fermée pendant plusieures semaines cet été.

― Alors, comment va-t-on examiner le garçon ?

― Oh, mais je suis sûr que vous allez bien trouver une solution. »

Dumbledore passa un doigt dans sa barbe, l'air pensif.

« Vous savez qu'il ne doit rester qu'un court moment chez les Dursleys pour renouveler les enchantements de protection ?

― Ne recommencez pas. »

Rogue jeta un œil aux voitures et vit qu'Harry le regardait. Le garçon détourna le regard, puis baissa les yeux.

« Il est différent de l'autre, remarqua Rogue. Il y a de la colère, mais aussi... de l'anxiété.

― Plus empathique, renchérit Dumbledore. Il a hérité des inquiétudes de son père. »

Rogue se demanda un bref instant quel genre d'homme il aurait pu devenir si le destin le lui avait permi. Comment un homme avec son nom avait-il pu créer un tel espoir dans ces yeux ? Lorsqu'il était enfant, il avait cherché désespérément à mener une vie similaire à celle qu'Harry lui avait décrite. Mais aujourd'hui...

Les voitures s'ébranlèrent. Le directeur fit un dernier signe d'adieux aux élèves qui partaient. Harry était assis, le dos voûté, et fixait intensément l'école.

« Cette situation a atteint un point intéressant, commenta Dumbledore. Une âme perdue a besoin d'un guide. »

Rogue respira profondément tandis que la ligne de voiture disparaissait de sa vue. Il ne voulait pas identifier la cause du serrement qu'il ressentait dans sa poitrine.

« Il demande l'impossible.

― Vous vous sous-estimez. »

Rogue émit un bref ricanement en réponse.

« Vous avez la capacité rare de déceler immédiatement le plus mauvais côté des gens. Cela vous rend inestimable à mes yeux pour la guerre qui se prépare. »

Dumbledore se tourna vers Rogue, sa face ridée par les préoccupations.

« Mais vous pouvez vous montrer aveugle quand il s'agit de voir leur meilleur côté. C'est peut-être quelque chose sur lequel vous devriez vous interroger. »

Rogue frissonna inconfortablement. Il avait l'impression d'être un élève à qui on avait posé une question délicate et de qui on attendait une réponse correcte.

« J'ai remarqué que le garçon n'était pas dénudé de qualités.

― Mais vous ne vous y attardez pas. Vous ne voulez pas non plus considérer ce que cela signifie pour son potentiel. »

Dumbledore joignit les mains devant lui et se redressa pour offrir son visage aux rayons du soleil.

« Néanmoins, je ne faisais pas référence à Harry tout à l'heure. »

Rogue grogna lorsque la lumière se fit dans son esprit.

« Vous vouliez parler d'autocritique. »

Le directeur émit un petit son satisfait.

« C'est un endroit superbe pour commencer. »

Avec une tape encourageante sur l'épaule, Dumbledore partit vers le château. Rogue resta dehors. Il entendit le sifflement du Poudlard Express et un nuage de fumée monta vers le ciel dans la direction de la gare de Pré au Lard. Très bientôt, les élèves allaient être sur le chemin de leur maison.

Ses pensées se dirigèrent vers sa propre demeure, à l'Impasse du Tisseur. S'il devait s'occuper du garçon là-bas, qu'il en soit ainsi. Cela serait uniquement dans un but de recherche, et les informations qu'il rassemblerait lui permettront de se débarrasser au plus vite du gamin. Il sentit la contraction dans sa poitrine se relâcher et il hocha la tête, rassuré que ce soit la bonne décision à prendre.

Le bruit du Poudlard Express diminua jusqu'à ce qu'il se dissipe en échos dans les falaises. Bientôt, il sera impossible de distinguer le son de la machine distante au-dessus du piaillement des oiseaux et du murmure du vent chaud de l'été.

Ce n'est que lorsqu'il n'y eut plus personne sur qui se focaliser que Rogue se rendit compte à quel point il n'était pas à sa place à Poudlard : une figure sombre et isolée, qui clignait maléfiquement des yeux face au parc inondé de soleil et déserté par les élèves. Et pourtant, même s'il était complètement en décalage ici, il ne pouvait pas supporter l'idée d'être ailleurs.

Il tourna les talons et marcha vers la lumière vacillante du château pour commencer ses préparatifs des longs mois d'été. Son esprit visualisa un garçon aux cheveux noirs assis dans un compartiment du train, et il se surprit encore à murmurer ces mots : trouver le chemin du retour.


Merci pour vos reviews ! Je n'ai pas pu répondre à certaine car il n'y a pas d'e-mail, mais cela m'a fait plaisir.

Alors... est-ce que vous croyez que Rogue va craquer ?

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