Le vent tournoyant fouettait l'attelage, ses hurlements derrière les fenêtres faisant penser à des cris de bébé. La pluie bombardait le toit sans discontinuer, et frappait les fenêtres avec autant de fougue que deux amants s'embrassant après une longue absence. Le ciel était noir, ne laissant voir aucune trouée à travers les nuages gris sombre. L'obscurité ne cessait que par intermittence, brièvement éclairée par un éclair, accompagnée aussitôt après par le roulement sourd du tonnerre.

Bella regardait par la fenêtre, suivant du bout des doigts la trace des gouttes d'eau qui s'écoulaient le long de la vitre. La voiture fit une nouvelle embardée alors qu'elle passait encore une fois sur une irrégularité de la chaussée. Il se balança violemment d'un côté à l'autre pendant quelques secondes. Bella fixait l'extérieur, à travers la fenêtre, tentant d'avoir un aperçu du paysage et de voir à quoi il ressemblait, mais à travers une telle obscurité, on ne pouvait voir qu'à quelques mètres à travers les landes qui défilaient de part et d'autre du chemin.

Se rendant compte que malgré le temps et les efforts passés à tenter de voir quoi que ce soit de la campagne environnante, elle ne distinguait toujours rien, elle ferma les yeux. Elle espérait s'endormir, tout en sachant qu'il n'y avait qu'une chance infime pour que le sommeil la prenne. Trop de pensées se bousculaient dans sa tête, fusant les unes et les autres à une vitesse invraisemblable.

Elle était là, seule, dans la voiture, âgée de seize ans depuis seulement la veille. Elle avait quitté son foyer pour épouser un homme qu'elle n'avait jamais vu, afin honorer l'accord passé entre sa famille et celle de son fiancé le jour même de sa naissance.

Elle ne connaissait que très peu de détails sur son futur époux. C'était le fils de Lord et Lady Cullen, il se nommait Edward et avait dix-neuf ans. Elle ne connaissait rien de ses goûts et de ses occupations favorites. Elle ignorait s'il préférait le grand air ou les occupations plus tranquilles à l'intérieur, elle ignorait ce qu'il étudiait, elle ne savait rien de ses musiciens préférés, ni même s'il aimait la musique. Bella espérait qu'il en jouait, car elle adorait s'asseoir près d'un piano et écouter le musicien les yeux fermés en se laissant peu à peu envahir par la musique et s'y abandonner complètement.

Elle se résigna à abandonner l'idée de s'endormir, ouvrit les yeux et regarda de nouveau à travers la fenêtre. Un nouvel éclair zébra le ciel, et le grondement du tonnerre fit trembler la voiture. Elle se demanda si cette tempête était un signe, et qu'elle présageait ce que serait son mariage: hostile et tumultueux.

Soudain, la surface de la route empruntée par l'attelage changea. Irrégulière et inconfortable depuis un bout de temps maintenant, elle devint lisse et plus douce. De la lumière perça l'obscurité, venant des lanternes éclairant la voie emprunté par le coche. Bella put enfin voir où elle se trouvait, et écarquilla les yeux.

L'allée s'étirait au milieu du plus merveilleux des jardins. La jeune fille était persuadée que la chose qui lui manquerait le plus serait son jardin, mais en découvrant celui-ci, elle se dit qu'elle pourrait y passer des heures à s'occuper des fleurs. Il y avait là des haies, taillées avec tant de soin, qu'aucune feuille, ne fusse que la plus petite, ne dépassaient. Des buissons de roses bordaient l'allée, et nombre de tournesols poussaient, serrés les uns contre les autres, tous de la même taille.

Doucement, la voiture ralentit, puis s'arrêta. Bella resta un moment adossée sur son siège pour reprendre un peu ses esprits, juste avant de faire le premiers pas vers sa nouvelle vie, qui débutait à cet instant.

Le cocher lui ouvrit la porte, et lui offrit sa main afin de l'aider à descendre. Bella plaça lentement sa main dans la sienne, se mit debout et sortit de la voiture. Alors qu'elle relevait la tête, après avoir prudemment descendu les degrés du marchepied, Bella ouvrit la bouche, mais se reprit très vite et la referma aussitôt, avant que qui que ce fut ne le puisse remarquer. Ce n'était pas très bien élevé de se tenir en public, bouche bée. Elle tourna un peu sur elle même, de façon à avoir une vue d'ensemble, ignorant la pluie battante qui trempait son visage et sa robe.

Le mot le plus approprié pour qualifier la demeure était "grandiose". Venant elle-même d'une famille de la bonne société, la jeune femme pensait avoir déjà vu nombre de belles maisons. La sienne était grande, mais rien de comparable avec la demeure qui se trouvait devant elle. Les pierres étaient blanches, et des tuiles grises couvraient le toit. Il y avait un second corps de bâtiment - Bella supposa qu'il s'agissait des écuries- avec des tuiles noires. La maison et le porche d'entrée étaient entourés d'une clôture, qui faisait office de balcon donnant sur le jardin, et l'entrée de la propriété, donnant sur la route, était gardée par deux piliers, surmontés de deux statues. Son premier "coup d'oeil" achevé, elle s'aperçut que la porte de la maison s'était ouverte et qu'une femme se tenait debout sur le seuil. Bella rougit instantanément et baissa la tête, en avançant lentement vers l'entrée.

"Miss Swann, quel plaisir de vous voir enfin, je suis Lady Cullen. Je suis heureuse que votre voyage se soit bien passé", dit la dame sur le pas de la porte.

Bella la regarda. Elle avait des cheveux ondulés, couleur caramel, retenus en chignon. Elle portait un chemisier blanc, dont le col montant, le jabot et les manches étaient en dentelles. Le chemisier était rentré dans la ceinture de sa jupe bleue brodée de fleurs. La jupe était en soie. Il était clair que cette dame faisait partie d'une famille puissante. Bella s'avança vers elle et lui fit une révérence:

"Bella si vous le voulez bien Madame.

_ Oh, ma chérie, pas de manières! Vous ferez partie de la famille demain, s'exclama Lady Cullen"

Et elle s'avança vers Bella et l'embrassa sur les deux joues.

"Je pense ma chère, que vous devez être fatiguée par un aussi long voyage. Permettez-moi de vous montrer la chambre où vous dormirez ce soir. Comme vous ne pourrez voir Edward que demain, autant vous mettre au lit rapidement!" Et Lady Cullen prit le bras de Bella et elle la fit entrer dans la maison.

Le hall d'entrée était aussi impressionnant que la façade de la maison. Le sol était pavé d'un damier noir et blanc, les murs étaient de marbre, comme étaient de marbre les colonnes soutenant l'escalier let la galerie à l'étage. Lady Cullen entraîna la jeune fille dans les escaliers jusqu'au premier étage. Là elles empruntèrent un corridor et s'arrêtèrent devant la seconde porte, sur la gauche.

"C'est ici que vous passerez la nuit ma chère Bella, dit Lady Cullen en ouvrant la porte.

Lorsque Bella pénétra dans la chambre, elle se dit que tout dans cette maison devait était aussi exquis. La pièce était luxueuse, mais pourtant harmonieuse, car il n'y avait aucune ostentation dans le décor. Un grand lit à baldaquins trônait au fond de la pièce, entouré de rideaux rouges, destinés à préserver l'intimité de ses occupants. Dans la pièce, il y avait également deux sofas aux pieds de bois dorés et finement sculptés, recouverts de tissu rouge. L'un des deux se tenait au centre de la pièce, et l'autre devant la fenêtre, pour permettre à ses occupants d'avoir une vue magnifique sur les jardins. Un grande armoire en chêne occupait le mur gauche de la chambre, près d'une délicate table de travail en bois clair, surmontée d'un bouquet de fleurs dans un grand vase.

Bella perçut un mouvement derrière elle et se tourna pour constater que deux serviteurs apportaient ses bagages et les posaient devant l'armoire, saluant discrètement chacune des deux femmes.

Lady Cullen rompit le silence qui s'était installé.

"Cette chambre est très simple, mais c'est seulement pour une nuit vous savez, dès demain, vous vous installerez dans la chambre principale, dit-elle en souriant gracieusement.

_ Oh, Madame, elle sera parfaite, je n'espérais pas autant de confort, répondit doucement Bella. Une légère rougeur envahit pourtant son visage, lorsqu'elle pensa à ce qu'impliquait "demain soir".

_ Oh, ma chérie, vous êtes vraiment trop gentille. Mais vous ai-je demandé de m'appeler Madame? Je vous en prie, appelez-moi Esmé.

_ Oui, Madame, je veux dire, Esmé" Et Bella rougit de nouveau, de son erreur.

Esmé regardait Bella avec un sourire si resplendissant, que la jeune fille fut surprise que la lumière ne brillât pas plus dans la pièce.

"Merci pour tout ce que vous faites pour moi, murmura-t-elle.

_ Ma chère, j'ai toujours ardemment désiré avoir une fille. J'aime, Edward, plus que ma propre vie, mais déjà petite, je voulais une fille. Carlisle ne voulait pas d'autres enfants après Edward. Il avait eu son héritier, cela suffisait, donc je n'ai jamais eu la fille que j'avais toujours voulu. Mais demain, j'aurai celle que je j'espérais tant, dès que vous aurez épousé mon fils. Et d'après ce que j'ai pu voir au cours de ces brefs instants, je ne pense pas que j'aurais pu en trouver une meilleure." Esmé, joignant le geste à la parole, prit Bella dans ses bras, et la serra fort contre elle, comme une mère l'aurait fait avec sa propre enfant. Bella s'abandonna contre elle, car elle n'avait pas été étreinte de cette façon depuis des années. Sa propre mère l'avait toujours délaissée. Elle était beaucoup plus attachée aux apparences en société, et une semaine après sa naissance, Bella avait été confiée à une nourrice. Ses nounous étaient toujours des adolescentes, qui travaillaient pour aider leurs familles. Elles n'avaient pas pu lui donner tout l'amour qu'un enfant était en droit d'espérer, même si parfois, elles avaient vraiment essayé.

Le seul amour maternel que Bella avait connu était celui que sa grand-mère adorée, Marie, lui avait donné, lorsqu'elle venait la voir. Elle venait l'été, et à chaque Noël, et entourait Bella de beaucoup d'amour et d'attention. Elle passait toutes ses journées avec Marie au jardin, et sa grand-mère lui enseignait patiemment la science des fleurs et l'écoutait lire.

Malheureusement, leur temps ensemble ne dura pas. Quand Bella eut sept ans, Marie attrapa une pneumonie, et ne guérit jamais complètement. Elle mourut quand Bella eut neuf ans et demi. Bella ne fut plus jamais étreinte de cette façon pendant six années et demie.

"Merci, " murmura-t-elle, et ses yeux se remplirent de larmes.

Esmé la relâcha doucement et l'embrassa sur le front.

"Ce n'est rien. Et maintenant, il est temps de vous mettre au lit. Une longue journée vous attend demain." dit elle en claquant des mans.

Bella acquiesça et se tourna vers ses bagages. "La salle de bains est derrière la porte de droite. Dormez bien. A demain." Et elle quitta la pièce.

Bella resta un long moment immobile au milieu de la pièce en fixant la porte, puis elle pénétra dans la salle de bains. La pièce etait la moins grande qu'elle ait vue depuis son arrivée dans la maison, mais elle était assez impressionnant. Le sol était couvert d'un parquet de bois brun. Un mur traversait la pièce sur la moitié de sa longueur, séparant la baignoire du lavabo et des toilettes. La baignoire elle-même était blanche, posée sur des pieds de bronze, avec deux robinets également en bronze, l'un pour l'eau froide, et l'autre pour l'eau chaude.

Se lovant dans l'eau chaude d'un bain, Bella ferma les yeux et pensa à son futur immédiat. Demain, le 20 septembre 1871, elle allait, à l'âge de seulement seize ans, être mariée à un homme inconnu.