Chapitre 1

Un rêve impossible

La jeune femme à l'intérieur des tentures soupira. Le voyage de retour s'annonçait long. Elle détestait voyager sur de grandes distances, enfermée dans les toiles de ce baldaquin porté par quatre hommes. Elle devait sans cesse chercher à garder son équilibre, même si les porteurs faisaient de leur mieux pour éviter les mouvements brusques. Mais la route était accidentée dans ces montagnes.

Elle se remémora sa visite chez le seigneur Ogawa. Malgré la présence d'autres convives, cet homme avait clairement montré sa satisfaction à l'idée d'un mariage avec elle. Il était si vulgaire. Elle secoua la tête, cherchant à chasser le souvenir de son baiser forcé, ce matin. Elle qui n'était pourtant presque jamais seule, il avait réussi à la coincer. Izayoi n'avait pas réagi lorsqu'elle avait reconnu le seigneur Ogawa. Après tout, il était son fiancé. Mais elle avait profondément détesté l'odeur de viande pourrie qu'il dégageait et la sensation de ses lèvres sur les siennes. Et puis, il avait aussi ce regard... Elle avait l'impression d'être une chose à vendre, un jouet, qu'il pourrait bientôt déballer.

Elle soupira une nouvelle fois. Elle remarqua alors le silence inhabituel qui régnait dehors. Les oiseaux et les insectes n'émettaient plus un son. Il n'y avait que les pas des gardes et des porteurs qui brisaient le silence. Bientôt, ils s'arrêtèrent. Elle ouvrit légèrement les tentures. Des dizaines de youkai approchaient dans le ciel. On la déposa vivement et on se prépara à l'attaque. Izayoi fronça les yeux. Elle n'était pas spécialisée dans le combat, mais il lui semblait que les youkai étaient beaucoup trop nombreux pour la petite armée qui l'accompagnait. Elle sortit un petit couteau qu'elle amenait toujours avec elle. Elle n'hésiterait pas à sacrifier sa vie plutôt que de se faire dévorer par un youkai.

Le choc des armes à l'arrivée des ennemis fut brutal. Elle continua à regarder, mais la scène se transforma vite en vision d'horreur. Les démons déchiquetaient sans peine ses servantes, ses porteurs, et même les gardes tombaient un à un. Elle voyait le sang gicler de toutes parts, des parties de corps passer devant ses yeux, quelques youkai mourir. Mais comme elle l'avait deviné, les démons étaient trop nombreux. Bientôt, les seuls sons qu'elle entendit furent ceux de la mastication des youkai qui dévoraient les humains.

On ne tarderait pas à la trouver, même derrière ces lourds rideaux. Elle arrêta de regarder et appuya le couteau devant son ventre. Il valait mieux mourir tout de suite.

- Kaze no Kizu!

Un vent intense fit basculer le baldaquin et Izayoi fut jetée dehors.

- AHHH!!!

Un youkai d'apparence humaine et tenant une immense épée se dirigea vers elle. Il s'agenouilla à ses côtés pendant qu'elle reculait en brandissant son couteau:

- Reste loin, youkai!

Elle tourna la lame contre elle-même pour achever sa vie, mais le youkai s'approcha rapidement et immobilisa son bras:

- Mais que faites-vous!!!

- Je ne veux pas être dévorée comme mes compagnons! Je préfère mourir avant!

- Les youkai qui ont tués vos amis sont morts, lui précisa-t-il.

Elle prit le temps de regarder autour d'elle. Ce qu'elle y vit était plus terrible que le mince aperçu qu'elle avait eu du baldaquin. Les humains et les youkai gisaient en morceaux un peu partout. La route était rouge de sang. Cinq lignes avaient creusé le sol et des grands rochers barraient maintenant le chemin. Izayoi laissa tomber le couteau par terre et se mit à pleurer. Elle fixa le youkai penché sur elle. Il précisa:

- Pardonnez-moi. Tout à l'heure, en attaquant, je n'ai pas fait attention. Je ne croyais pas qu'il restait des survivants.

- Oh. C'est... c'est vous, les marques?

- Oui.

Izayoi prit une grande respiration pour tenter de calmer ses pleurs. Elle lui demanda:

- Et maintenant?

- Maintenant quoi?

- Que... que ferez-vous de moi?

- Eh?

- Si vous ne dévorez pas les humains, vous en faites quoi?

Le youkai se releva en soupirant. Il rangea son épée en disant:

- Les humains ont une vision étroite du monde, n'est-ce pas? Je viens d'exterminer les youkai qui ont tué vos amis et vous croyez tout de même que je suis ici pour vous faire du mal?

La jeune femme se remit à pleurer et lui dit en criant presque:

- Je ne sais pas ce que vous voulez, moi! Les seuls youkai que j'ai vus ont... Ils ont...

Elle cacha son visage dans ses mains, incapable d'en dire plus. Elle sentit le grand youkai se rapprocher. Il la prit dans ses bras et se mit à marcher en la tenant contre lui.

- Que faites-vous?

- Je vous ramène d'où vous venez.

- Non. S'il vous plaît. Je ne veux pas revenir là.

Il s'arrêta et la regarda.

- Où voulez-vous aller alors? Parce que vos amis morts ne le savaient peut-être pas, mais une armée de youkai approche à grande vitesse. Ce n'était pas sage de passer par ces montagnes.

- Croyez-vous que j'ai eu mon mot à dire là-dedans?, s'énerva-t-elle.

- Oh. C'est vrai que les femmes n'ont aucun pouvoir chez les humains.

Elle resta muette devant une telle évidence. Elle tenta de reprendre ses esprits.

- Y a-t-il un village où je puis louer des hommes afin de m'amener près de la capitale?

- Non. Tous les villages du coin ont déjà été exterminés.

Izayoi se mit à trembler et hésita avant de demander:

- Par les youkai?

- Par ces youkai, en effet.

Il sourit devant ses doutes.

- Vous ne me faites pas confiance, n'est-ce pas?

- Je... je ne sais pas.

- Très bien. La capitale, vous dites?

- Oui.

Le guerrier appela quelqu'un.

- Myouga?

- Oyakata-sama?

Ce qui ressemblait à un moustique se dirigea vers le nez du youkai et s'y posa.

- Myouga..., il frappa la mouche avec sa main. Ce n'est pas le moment.

- Ahhh... Oyakata-sama. Pardonnez-moi. Que puis-je faire pour vous?

- Rejoins Sesshoumaru. Avertis-le de mener les armées et de repousser ces youkai.

- Vous... vous n'y serez pas?

- Non. Mon fils sera sûrement heureux d'assumer seul le commandement.

- Et vous allez?

- Ramener cette jeune femme à la capitale.

Le démon-mouche écarquilla les yeux.

- Peut-être qu'il est préférable que je ne mentionne pas à Sesshoumaru-sama la raison de votre absence?

- Pfff, n'hésite pas à lui dire s'il te le demande. Je n'ai rien à lui prouver, Myouga.

- Non, je sais. Mais les idées de votre fils sur les humains sont différentes des vôtres, monseigneur.

- J'en suis conscient. Allez, vas-t-en maintenant.

Le grand youkai posa ses yeux d'or sur la jeune femme et sourit.

- Alors, on y va? Accrochez-vous.

Elle ne put répondre puisque le youkai se transforma alors en gigantesque chien blanc. Elle se retrouva assise sur son dos, et bientôt couchée sur le ventre, car elle s'accrochait de toutes ses forces aux poils argentés. Elle ferma les yeux très fort lorsqu'il s'éleva dans le ciel et amorça sa course. Elle ne put s'empêcher de crier:

- Ahhhh!!! Mais arrêtez!!! AHHHH!!!

Le chien lui répondit:

- C'est la façon la plus rapide de rejoindre la capitale. Je ne crois pas que vous voulez passer plusieurs jours en ma compagnie, alors...

- Je déteste ça, je déteste ça...!

Mais il ne fit que rire et continua son vol. Heureusement que c'était l'été, pensa Izayoi. La température était considérablement plus fraîche en hauteur. Quoique couchée comme elle l'était sur le corps du grand chien, elle n'avait pas froid. La fourrure de ce youkai était douce et il sentait bon. Sa peur se calma bientôt et elle ouvrit les yeux lentement pour regarder le paysage. La vue était magnifique. Les montagnes où elle avait été attaquée s'effaçaient déjà au loin. Ils survolaient maintenant une région de collines verdoyantes. Elle voyait des villages au creux des vallées et les rivières briller comme des serpents de soleil.

Elle n'osait pas bouger de peur de tomber et elle n'arrivait pas à desserrer ses doigts, crispés sur les poils du chien. Mais ironiquement, elle ne sentait plus de peur envers ce youkai. Il dégageait une aura solide et rassurante. Après les émotions de sa visite chez Ogawa-sama et l'horreur de l'attaque dans les montagnes, elle était heureuse de pouvoir se reposer sur lui. Elle n'aurait pas su quoi faire s'il l'avait laissé seule.

Izayoi posa sa joue contre le corps du grand chien. Elle ne ferma pas les yeux pour voir encore les nuages défiler rapidement. Le vent jouait dans ses cheveux et faisait flotter les pans de son kimono de soie. Elle se sentait toute petite contre lui, mais cette course folle à travers les cieux faisait battre son coeur très fort. Elle avait peur de tomber, mais en même temps, elle lui faisait confiance. Ces contradictions la rendaient presque heureuse. Elle sourit en pensant que, si elle survivait, cette aventure unique resterait gravée dans sa mémoire. Elle ne la confierait à personne, elle la garderait toute pour elle.

Le voyage vers la capitale fut trop court. Le grand chien amorça sa descente près des montagnes de l'ouest et se posa dans une vallée creusée par la rivière Hozugawa. On ne voyait pas la capitale, mais Izayoi savait que l'on était près de Sagano. Juste avant qu'il soit masqué par les montagnes, elle avait reconnue au loin le mont sacré de l'est, Hiei-san. Elle était venue ici dernièrement avec son père pour visiter le nouveau temple Tenryû-ji, dédié à la mémoire d'un empereur mort dernièrement.

Le youkai se posa et se transforma. Izayoi était toujours appuyée sur son dos. Il tourna la tête pour lui parler et son visage se retrouva alors très proche du sien. Elle remarqua tout à coup qu'il était très beau. C'était certainement le plus bel homme qu'elle ait rencontré. Ses yeux dorés faisaient un étrange contraste avec l'argenté de ses longs cheveux, attachés ensemble sur sa tête. Cela mettait en valeur ses oreilles pointues. Il avait une ligne fléchée sur chacune de ses joues et sa bouche... Izayoi rougit en réalisant ses pensées. Le youkai lui dit:

- Vous allez bien?

- Oui. Merci.

- Je continue à pied, car ma forme youkai est un peu trop évidente. Mais je ne pourrai pas vous amener plus loin que le pont.

- D'accord. Je pourrai demander de l'aide au temple du Dragon céleste, tout près.

- Excellent.

Il se mit à courir et à sauter entre les arbres. C'était presque aussi excitant que de voler dans le ciel, songea Izayoi. Elle n'avait pas hâte d'être rendue au pont, tout à coup. « Le Togetsukyô... Le pont qui traverse la lune... Comme un passage entre ce rêve et la réalité. » Elle appuya sa tête dans son dos, tout contre son épée. Ce youkai... Qui était-il? Un chef d'armées? Un seigneur, sûrement, elle l'avait déjà compris. Pourquoi avait-il pris la peine de la ramener jusqu'ici?

Elle avait rencontré plusieurs chefs de guerre, mais jamais un comme lui. Il n'avait pas cette soif de puissance qu'elle avait perçu chez autres. Il semblait presque triste... Non, plutôt fatigué de ces batailles qui n'en finissaient plus. Pourtant, elle sentait aussi que sa force était sans égale. Ce n'était sûrement pas la peur qui l'épuisait.

Peut-être imaginait-elle tout cela. Mais elle eut tout à coup envie de soulager ses souffrances. Izayoi glissa ses mains sur ses épaules, comme si elle cherchait à mieux s'accrocher pour ne pas tomber, mais son geste ressemblait plus à une caresse. Le guerrier ne réagit pas, mais il nota le changement chez la jeune femme. Il continua sa course à travers la forêt et très bientôt, ils arrivèrent en vue du pont.

Il la déposa doucement au sol en la regardant mieux. La jeune femme avait dans les yeux une expression de tristesse, comme si elle voyait au travers lui. Sans trop savoir pourquoi, il se sentit touché.

- Nous y sommes.

- Oui.

- Vous saurez rejoindre...?

- Oui, je saurai traverser la lune.

- Eh?

Elle le fixa encore une fois avec ce regard si doux.

- Je ne vous reverrai pas, n'est-ce pas?

- Ce serait surprenant.

- Oui, je sais.

Ils restèrent immobiles et silencieux. L'humidité du soir montait de la rivière et des filets de brume flottaient entre eux.

- Il est sans doute préférable que vous inventiez une histoire, plutôt que de dire qu'un youkai vous a ramenée.

- Je sais. Cette aventure sera pour moi seulement. Merci infiniment de m'avoir sauvée.

Personne ne mérite de périr des mains de ces youkai.

- Et merci de m'avoir ramenée ici.

Le soleil brilla une dernière fois sur la cime des arbres puis il disparut derrière les montagnes de l'ouest. Le vent passa dans les feuilles de bambous comme une caresse. Le youkai brisa le silence:

- Quel est votre nom?

- Je m'appelle Izayoi.

Il réalisa qu'elle lui avait donné son prénom, comme une invitation.

- Izayoi, dit-il en s'approchant d'elle.

Tout à fait naturellement, il se pencha sur sa bouche pour effleurer ses lèvres. La jeune femme ferma les yeux sous la douceur de ce baiser. Son coeur tambourina plus fort et elle porta les mains devant elle, comme pour l'empêcher de sortir de sa poitrine. Le baiser du youkai se prolongea. Elle sentit son odeur tellement douce, surtout quand elle la comparait à celle du seigneur Ogawa. Sans qu'elle puisse les retenir, des larmes se mirent à couler de ses yeux, quand elle réalisa à quel point elle détestait son fiancé, maintenant que ce grand youkai lui avait montré tant de bonté. Il s'éloigna d'elle.

- Adieu, Izayoi.

- Attendez.

Elle détacha le long foulard de soie rouge noué sous son obi et elle le lui tendit. Elle lui dit:

- Prenez soin de vous, monseigneur.

Il ne répondit rien, mais il lui sourit en prenant le tissu. Elle eut le temps de cligner les yeux et il était déjà parti. Izayoi essaya les traces de ses larmes, respira à fond l'air plus frais de la soirée, puis se mit en route vers le pont qui traverse la lune. En marchant sur ces planches de bois, elle se dit qu'elle garderait le souvenir de ce youkai bien vivant dans sa mémoire. Lorsque les temps seraient durs, elle l'imaginerait revenir près d'elle et lui sourire encore. Elle ne pourrait jamais oublier cette journée.

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Voilà le début d'une nouvelle histoire. J'ai dernièrement visionné le troisième film d'Inuyasha et la scène qui débute le film m'a beaucoup touchée. J'ai donc décidé de raconter ce qui avait pu arriver pour qu'on en arrive là. J'espère que vous apprécierez.

Myriel