Prologue

27 Novembre 199 AC
17h59 – Londres – Quartier Général des Preventers

Heero vérifia à sa montre qu'il était à l'heure et poussa la porte du bureau de Lady Une. Le panneau glissa sur la moquette dans un frottement feutré. La pièce était entièrement silencieuse hormis le léger grattement de la pointe d'un stylo sur une feuille de papier. Lady Une affectionnait le calme. Il referma la porte derrière lui sans faire de bruit. La jeune femme n'avait pas levé la tête, elle savait que c'était lui. Elle le reconnaissait à sa discrétion.

– Vous avez demandé à me voir, dit-il d'une voix égale.

Sa main s'immobilisa au dessus de la feuille et elle le dévisagea par-dessus ses lunettes. Heero Yuy ne perdait jamais de temps en vains discours ou en bavardages sur la météo. Il était direct et efficace. Si les guerres engendraient des désastres, elles permettaient aussi des progrès technologiques considérables et donnaient naissances à des hommes de qualité. C'était ce dont Lady Une était convaincue.

– Oui. C'est au sujet d'une mission délicate et urgente sur laquelle j'ai besoin d'une personne expérimentée. Et vous êtes le seul ex pilote de gundam disponible, puisque comme vous le savez, monsieur Barton et monsieur Winner sont en congés et monsieur Chang est en mission d'infiltration en Chine aux côtés de mademoiselle Poe.

Heero acquiesça d'un léger signe de tête.

– L'affaire concerne l'assassinat de plusieurs hauts dignitaires de l'ancienne Alliance Terrestre. Les meurtres ont commencé il y a un peu plus d'un an. On a cru au début à des accidents isolés ou mêmes à des suicides. Mais des éléments nouveaux dans l'enquête révèlent qu'il s'agit certainement d'une machination mise en place par un assassin très habile. Une personne entraînée, peut-être en ancien soldat de la guérilla terrestre ou un ancien terroriste de la rébellion spatiale…

– Resistance, la coupa Heero.

Lady Une ne releva pas. Elle faisait souvent ce lapsus. Cela semblait amuser Heero.

– La police n'a aucun suspect. Les meurtres sont du travail de professionnel. Ils se sont tous déroulés dans des résidences ou des hôtels de haute sécurité. Rien d'inhabituel n'apparaît sur les vidéo de surveillance et il n'y a pas de traces de fibres, d'empreintes ou de cheveux. L'assassin est un fantôme. C'est une affaire grave qui relève de notre juridiction. Le climat politique international commence seulement à se réchauffer. L'assassinat d'anciens membres de l'Alliance pourrait causer de nouvelles tensions. Il faut faire table rase du passé, on ne peut pas se permettre de laisser libre cours à ce genre de vendetta aux conséquences dramatiques. Cette vague de meurtre doit cesser et l'assassin doit être mis sous les verrous… dans les plus brefs délais. Puis-je compter sur vous ?

Heero accepta d'un signe de tête. Il l'avait écoutée parler sans rien dire avec une attention toute disciplinée. Il avait saisit le CD qu'elle lui avait tendu et qui contenait les informations détaillées de sa mission. Il avait affiché peu d'enthousiasme parce que c'était ce à quoi elle s'attendait en lui demandant de remplir seul une mission si délicate et si floue.

– Bien. Faites-moi parvenir un rapport chaque jour. Je veux être tenue au courant de chaque détail de votre progression. Essayez d'agir vite, il faut éviter à tout prix l'incident diplomatique.

– A vos ordres, répondit Heero d'une voix neutre.

Il la salua et sortit sans faire de bruit en serrant dans sa main la petite boîte qui contenait le disque.

Il y avait quelqu'un dans le couloir. Heero referma la porte avec précaution et fit quelques pas vers le vieil homme au crâne dégarni.

– Tu as reçu la mission, dit l'homme.

Ce n'était pas une question. Heero ne répondit pas. Il n'avait pas envie d'avoir cette conversation.

– Heero, j'ai fait ce que tu m'as dit. J'ai monté ce dossier comme tu me l'avais demandé et j'ai attendu que tu sois le seul disponible pour le transmettre à la commission. Tu me dois des explications je pense. J'ai dissimulé des informations pour toi…

– Howard pas maintenant…

– Pourquoi est-ce que tu tiens absolument à agir seul ? Qu'est-ce que tu sais et que tu ne dis à personne ? Heero ! Si tu ne me réponds pas je parle de ton comportement à Une…

Heero passa à sa hauteur et continua jusqu'à l'ascenseur. Derrière la baie vitrée, le soleil couchant embrasait le ciel d'une intense couleur rouge sang.

– S'il-vous-plait Howard, je dois partir ce soir même. Je vous expliquerai à mon retour si mes doutes se confirment.

– Si tu es toujours en vie tu veux dire !

Heero ne répondit pas. Il soupira et n'osa pas croiser le regard accusateur de son vieil ami.

Après la guerre, Howard avait été recruté par les Preventers. Il était chargé de la cellule d'observation : il collectait des informations et se tenait au courant de toutes les affaires importantes de terrorisme, de meurtre ou même de détournement d'argent sur la planète et les colonies. Sa contribution dans la résistance pendant la guerre l'avait amené à beaucoup se déplacer et il avait de nombreuses connaissances qui lui étaient maintenant encore très utiles. Il montait les dossiers et les transmettait à la commission des Preventers qui jugeait s'il était opportun ou non d'intervenir. Son rôle au sein de l'organisation des Preventer était primordial. Et les anciens pilotes de gundam étaient heureux de travailler à nouveau avec lui.

– Te mesurer à cet assassin tout seul est très risqué ! Même pour toi c'est une mission dangereuse, argumenta Howard en suivant l'ex pilote.

Heero ne répondit toujours pas. Il appuya sur le bouton de l'ascenseur et tapota le métal du boitier avec agacement.

Howard s'appuya contre le mur et le dévisagea un instant.

– Tu crois que c'est lui ?

Le brun releva brusquement la tête vers le vieil homme. Son regard bleu sombre semblait s'être teinté de rouge. Howard connaissait ce regard. C'était celui du soldat blessé, le regard du garçon qui reste fort parce que c'est la seule chose qu'il sait faire, qui se met en colère pour ne pas montrer ses faiblesses, qui se bat pour oublier qu'il souffre. Heero portait un masque de calme et de maîtrise de soi que seule l'évocation de l'ancien pilote du Deathscythe pouvait craqueler.

– Je suis allé sur L2, ajouta le vieil homme, plus bas, en regardant la ville basculer dans la nuit à travers les grandes vitres du bâtiment moderne.

Heero continua à le fixer de son regard caustique.

– Je suis allé à l'adresse qu'il nous a donné et…

– Quand y êtes-vous allé ?

– Après toi.

– Après moi ?

– Un de mes contacts sur L2 t'a reconnu là-bas et m'a dit qu'il t'avait vu. J'en ai conclu que tu étais allé le rencontrer. Mais tu n'as parlé à personne de cette rencontre, j'ai trouvé ça étrange. Alors j'ai profité d'une enquête que j'avais à faire sur L2 pour lui rendre visite en personne… L'adresse qu'il a donnée est celle d'un bâtiment en ruines. Il n'est pas sur L2, hein ?

Heero regarda les portes de l'ascenseur avec intensité comme s'il espérait passer au travers.

– S'il a donné une fausse adresse, c'est qu'il ne veut pas qu'on le retrouve, continua Howard. Il est probable qu'il veuille seulement qu'on lui fiche la paix.

– Duo est excellent pour fuir et se cacher. S'il avait voulu disparaître sans donner de nouvelles, il n'aurait pas eu à mentir. Il aurait disparu. Et personne n'aurait pu le retrouver. Il a horreur de mentir, s'il l'a fait c'est forcément qu'il y a une raison.

– Et à quoi tu penses ?

– Je pense qu'il ment pour détourner notre attention. Celle des Preventers et des autorités. Il fait semblant de mener une vie paisible sur la colonie de son enfance pour qu'on ne pense pas à lui, pour qu'on ne le cherche pas.

– Pourquoi est-ce que Duo ferait quelque chose d'aussi tordu ? Tu vois des complots partout Heero… Il a menti pour avoir la paix. Moi aussi si j'avais voulu planter des choux à la campagne je vous aurais donné une fausse adresse pas vous voir débarquer un matin ! Vous ou quelqu'un de mal intentionné…

– Howard… On parle de Duo. Duo ne plante pas des choux. Il ne prend pas sa retraite dans un endroit paisible. Si vous aviez passé autant de temps avec lui que moi, vous le sauriez. Duo paraît toujours confiant et détendu mais il ne dort que d'un œil et se méfie de tout en permanence. Il ne fait confiance à personne. Il sait se battre dans le noir. Il sourit quand il tue. Il n'a jamais cessé de combattre Howard, il est toujours quelque part sur cette planète, dans un endroit sombre, couvert de sang jusqu'aux coudes…

– Mais le Duo que tu as connu vivait la terreur de la guerre ! Il a sûrement changé !

Heero se mordit la lèvre d'agacement.

– L'homme qui m'a élevé disait qu'il y avait deux types de guerriers. Ceux qui se battent pour des valeurs, suivant leur foi, écoutant leur conscience, ils n'envisagent chaque combat qu'à travers le filtre de la morale. Et il y a ceux qui ne suivent que ce que leur dicte leur cœur. Ce sont les guerriers les plus dangereux de ce monde. Ils ne se battent pas aux côtés des faibles par simple sens moral, ou même pour la paix ou l'honneur, mais parce qu'ils vivent la même souffrance qu'eux, parce que l'injustice les heurte avec la même violence que la main des tyrans opprime les peuples qu'ils asservissent…

– Et Duo est de ces guerriers ? Il ne peut pas trouver le repos. Tout comme toi… Et tu penses qu'il se cache derrière le masque de cet assassin ?

– Oui.

– Pourquoi ? S'il combat pour le bien, il n'a pas de raison d'assassiner ces hommes…

– Sûrement parce qu'il pense que la justice n'a pas été rendue, après tout ces anciens dignitaires qui se pavanent au sein de la haute société ont du sang sur les mains. Aujourd'hui ils servent la paix mais ils œuvraient pour la guerre il n'y a pas si longtemps.

– Et pourquoi tout particulièrement Duo ? D'autres pourraient vouloir se venger.

– Cette façon de tuer est trop propre, trop impeccable, c'est comme une signature. Je sens que c'est lui, Howard, ce n'est pas quelque chose que je peux expliquer.

Il avait parlé d'une voix basse et un peu rauque. L'ascenseur s'ouvrit. Heero entra et Howard bloqua les portes. Le jeune homme se retint de lâcher un soupir.

– Mais les autres peuvent être mis au courant ! Pourquoi est-ce que tu en fais une affaire personnelle ?

Heero agita le CD sous le nez du vieil homme.

– Parce que, Howard, c'est un assassin que je traque là ! Un meurtrier qui a tué de sang froid d'actuels acteurs politiques. C'est un homme qui n'hésite pas à mettre en danger cette paix qui nous a coûté si cher… Vous voudriez que tout le monde soit au courant ? Qu'on dise que les anciens pilotes de Gundam ne sont finalement que des meurtriers ? Personne ne doit savoir qu'un Gundam fait ce genre de choses.

– Mais tu te bases sur des suppositions ! N'agis pas seul alors que tu n'as aucune certitude ! Et puis tu n'es pas le seul concerné, Duo n'est pas que ton ami à toi ! Si c'est bien lui, tu dois au moins prendre conseil au près de Quatre, de Trowa et de Wufei…

Heero baissa les paupières et inspira profondément pour tenter de se calmer.

– Non, Howard. Si c'est bien lui, personne ne doit le savoir. Ni les Preventers, ni les hautes autorités, ni la population. Personne. Je vais régler cette affaire seul. Les Gundams doivent rester une lueur d'espoir. Rien ne justifie qu'ils mettent la paix en péril. Ils ne se désespèrent pas. Ils ne renoncent jamais. Ils ne tuent pas d'innocents. Ils ne sombrent pas dans la folie. Nous sommes des modèles pour ce monde. Il faut maintenir l'illusion. Cette paix doit durer.

Howard laissa échapper un reniflement agacé.

– Vous avez tous trop donné pour cette guerre et maintenant vous vous épuisez pour cette paix. Aucun héros n'est éternel. Pas même les plus forts et les plus purs ! Pas même ceux qui suivent ce que leur dicte leur cœur. Penses bien à ça, si tu le trouves là-bas. Si c'est bien lui l'assassin… Fais attention à toi Heero.

Howard lui adressa un sourire un peu triste et retira son pied de devant le capteur. La porte se referma.

A suivre…

Ecriture achevée le 23/05/2010