Il était l'un des Chevaliers les plus efficaces de la Table Ronde. Galaad était sans contredit l'image même de l'élégance, de l'étiquette et de la bienséance. Plus patient qu'Arthur encore, grand, fort, intelligent, lumineux, souriant, il avait toutes les qualités qui manquaient au Chevalier blanc pour être parfait, c'est-à-dire supporter et même encourager les cons de la Table Ronde. Les aider dans les moments où ils tentaient de se dépasser et les pousser à enjamber les barrières que des gens plus impatients poseraient sur leur chemin, pour devenir meilleurs. Il avait accompagné Karadoc et Perceval maintes fois en mission et avait ramené avec eux le succès. Il avait raconté leurs exploits, dont il avait presque été l'unique auteur mais bon, à chaque phrase, les deux Chevaliers étaient cités comme partie intégrante des héros de l'histoire… C'est d'ailleurs grâce à Galaad qu'une aventure relate les noms de Perceval et Karadoc parmi les écrits du Père Blaise. Ils n'auraient probablement jamais eu l'occasion d'apparaître dans la légende si ce n'eut été de lui et de ses bons mots.

Il n'était pas un élitiste comme l'était Lancelot… Il n'était pas un Chevalier solitaire. Plusieurs ne l'aimaient pas… On en venait à détester sa gentillesse et son don de soi. Sa générosité, la blancheur de son sourire et son optimisme quasiment surnaturels en devenaient à une certaine limite agaçants, carrément frustrants parfois. Même Arthur en avait parfois des nausées et l'envoyait Dieu seul savait où pour éviter d'avoir à supporter plus longtemps son écœurant positivisme. On ignorait d'où il était sorti, il n'avait, selon le peu qu'on savait de lui, pas de famille, ni d'épouse, ni d'enfants, pas même la pointe du nez d'une idylle… En fait, on ne savait rien de Galaad. Il était un mystère et ne semblait pas non plus vouloir qu'on en apprenne plus à son sujet. Et puis personne ne s'était profondément intéressé à lui poser ces questions. Il n'avait pas plus pris le temps de renseigner les gens sur sa provenance, ses origines. Il n'était pas un cachotier, ni mystérieux par volonté de l'être. Il n'appréciait tout simplement pas l'idée de parler de sa personne. Galaad avait toujours l'impression que dès l'instant ou on parlait de lui, la conversation devenait unilatérale et ça ne lui plaisait pas du tout. Peut-être une touche d'immaturité ? Étant donné le fait qu'il pouvait porter plus d'intérêt aux gens qu'eux ne pouvaient le lui rendre. Il adorait entendre les gens lui raconter leurs problèmes, mais détestait leur raconter sa vie. Les gens ne savaient qu'une seule et unique chose à son sujet… Il était Aquitain.

Il n'était pas là depuis aussi longtemps que les autres. Il était arrivé il y avait environ sept ans. Repéré par plusieurs Chevaliers qui en entendaient parler par des voyageurs, sauvés par un jeune homme d'une telle gentillesse qu'ils avaient d'abord cru faisant partie de la quasi-légendaire Table Ronde. Puis le Roi l'avait fait retrouver, l'avait approché pour lui offrir de faire partie de ses Chevaliers, puisqu'il qu'il avait visiblement les capacités requises pour faire partie de la cour ainsi que de la Table Ronde, que les gens l'aimaient bien et que grâce à ses faits d'arme, il était le bienvenu parmi eux. Galaad n'avait évidemment pas refusé ! Et il s'était parfaitement intégré à une vitesse incroyable, devenant plutôt proche de Lancelot avec lequel il s'accordait particulièrement bien. Ils avaient la même vision pour la majorité des choses, le même savoir, la même intelligence. Tous deux semblaient avoir été élevés, à la base, par des êtres qui n'étaient pas nécessairement humains. Mais plus le temps avançait, plus Arthur avait tendance à les envoyer en mission ensemble. Galaad appréciait beaucoup, lui qui considérait Lancelot comme un grand ami, mais ce dernier n'aimait pas beaucoup l'idée de former un binôme… Lui qui se considérait comme errant et solitaire avait finalement décidé de faire cavalier seul et de prendre ses distances de l'Aquitain. Acceptant la décision du Chevalier blanc sans broncher, de toute façon, ce n'était pas son genre de se fâcher ou de se montrer déçu, il s'était retourné vers ses confrères. Bien que discrètement exaspéré par leur incompétence, il ne s'était strictement jamais mis en colère. Il était Le Seigneur Perfection. S'attirant de plusieurs du mépris et d'heureusement plus nombreux autres, une admiration sans bornes. Il avait gagné la confiance du Roi qui partageait entre lui et le désormais solitaire Lancelot les plus périlleuses missions.

Puis était venue cette période … Ce moment durant lequel Arthur lui avait confié, comme on le fait à un bon ami, qu'il était inquiet pour le futur de quelqu'un. Un certain… Caius.

-Non mais, il s'en tire quoi… On lui a refilé des terres, il est devenu Seigneur...

Lui avait dit Arthur entre deux séances de doléances, alors qu'ils avaient commencé à discuter des camps Romains qui trainaient toujours sur le territoire et qu'il avait commencé à raser... Le sujet en était venu sur un petit problème en lien avec les camps, un problème que le Roi avait apparemment prit en affection.

- Il vit d'ssus mais il a pas la moindre idée de quoi en faire.

Avait-il ajouté suivant une bouchée de pain qu'il mâchonna rapidement pour reprendre avec une visible exaspération :

-Il fout rien de toute la journée, il a des gens à faire vivre et eux ils crèvent de faim parce que leur Seigneur a pas les connaissances requises… Non c'est l'bordel. Bientôt on va les avoir aux portes et ils vont gueuler qu'ils ont bouffé Caius.

Galaad n'avait pas mis beaucoup de temps à comprendre où voulait en venir le Roi et il se redressa, ignorant la dernière phrase qui s'était voulue drôle mais dont l'effet ne sembla pas avoir atteint l'Aquitain… Probablement un double-sens qu'il n'avait pas pigé.

-Vous voulez que je m'occupe de lui Sire ?

Arthur leva la tête vers son Ministre, quittant finalement sa miche de pain des yeux, surpris… Oui bon, quand on a pas l'habitude des gens vifs, ça surprend d'être compris sans même devoir le dire. Se reprenant, le Roi continua :

-Bah, très honnêtement… Ça m'arrangerait. Je sais que c'est pas très prestigieux et tout mais…

-Écoutez Sire, je suis là pour vous servir. J'ai juré fidélité et peu importe la raison pour laquelle vous sollicitez mon aide, que ce soit pour balayer la grande cour de ses feuilles à l'automne ou pour débarrasser le pays d'un dragon, j'irai sans hésitation.

En réponse à pareille déclaration, le Roi avait sourit. Comment aurait-il pu faire autrement ? Galaad était l'exemple du parfait Chevalier. Tant de dévotion en une seule personne. Si seulement ils avaient pu être tous comme lui… Même Lancelot n'était pas aussi respectable. Il avait ses défauts. Le seul défaut apparent de Galaad, c'était justement ça : il n'en avait pas.

-Ben, en fait, y s'agit d'un ancien Centurion.

Avait avoué Arthur après un instant de réflexion, se doutant que Galaad avait déjà dû piger le coup s'ils parlaient de Romains et d'un mec à qui il avait refilé des terres après que les camps aient été vidés.

-Un Centurion, Sire ?

Fit Galaad, plus par principe d'encourager le Souverain à continuer ses explications plus que par réel besoin de confirmation.

-Oui. Le plus proche camp Romain a été vidé y a quelques temps, comme vous le savez, et comme Caius et moi-même étions plutôt bons amis et qu'il a passé plus de temps de sa vie en Bretagne qu'à Rome, il était mieux pour lui de rester. Je lui ai offert une terre, une piaule, des gens, faisant de lui un Seigneur Breton. Seulement le problème, c'est qu'à Rome, il avait une famille et tout, mais personne à son service quoi. Et encore moins de connaissances en agriculture pour entretenir le machin. À Rome, y a pas tellement d'espaces du genre et les gens qui ont des fermes sont pas en villes et font généralement pas partie d'l'armée…

-Je vois ce que vous voulez dire.

-Et comme je sais que… Enfin, je sais que vous avez pas de terres mais vous avez au moins les connaissances en la matière, si ?

-Bien sûr Sire.

Parce qu'un Chevalier de son calibre se devait de savoir un peu de tout. Et les bases de l'agriculture, c'était l'organisation et la discipline ! C'était un peu comme l'armée en fait. Un Centurion ne devrait pas avoir trop de mal à intégrer ça.

-Si vous pourriez aller l'aider à remonter la pente, juste quelques temps, histoire qu'on le retrouve pas noyé avec une pierre à la ch'ville au fond d'un lac…

-Je ferai tout ce que je peux Sire, vous pouvez compter sur moi.

-J'vous fais confiance.

Fit le Roi, sans même hésiter à la lui accorder entièrement. Il mettrait sa vie sur les épaules de ce mec là sans même se questionner… Non en fait c'était pas vrai. Arthur n'aurait jamais été capable de confier son existence à quelqu'un. Mais c'était une belle image quand même…

Et c'est ainsi que tout avait réellement commencé. Une mission qui aurait dû être simple. Une ligne droite, sans raison de dériver où que ce soit, et encore moins de raisons d'être dérouté. Seulement, les choses prirent une toute autre tournure que celle qui avait été prévue. Il aurait semblé que le Destin avait décidé que c'était trop facile de simplement faire suivre au Chevalier une route de la générosité qu'il connaissait beaucoup trop bien. Que l'Aquitain avait besoin d'un challenge, un vrai. De la nouveauté, quelque chose de frais.

Galaad était arrivé chez Caius un matin, très tôt. Assez tôt pour que le soleil commence à peine à pointer ses rayons derrière les collines. L'été avait fait plus de route qu'il ne lui en restait à faire. Malgré sa fin qui arrivait à grand pas, la chaleur estivale et l'humidité montaient toujours en flèche vers midi. Du coup, pour être plus concentré, soit il valait mieux s'y mettre très tard le soir ou très tôt le matin. Étant un homme particulièrement matinal, Galaad avait opté pour les premières lueurs du jour. Après une bonne nuit de sommeil, qui n'était pas frais et dispos pour commencer une nouvelle journée ? Il fallait être bien étrange pour songer à se mettre aux travaux lourds à la tombée de la nuit !

Galaad n'avait jamais vu ce Romain là. Bien qu'il ait souvent accompagné Arthur lors de visites protocolaires et de signatures de traités dans quelques camps, il n'était jamais tombé sur le dit Centurion. Le nom de Caius ne lui était pas complètement inconnu, mais aucune image ne lui venait lorsque le prénom était prononcé. Il avait donc attaché sa splendide jument près de ce qui semblait être un abreuvoir un peu pourri, craquelé, contenant quelques centimètres d'eau croupie en son fond. L'Aquitain avait, pour une très rare fois, hésité en posant pour la première fois les yeux sur le paysage désolant de l'endroit. La chaleur exceptionnelle du mois précédent avait fait ses ravages vu les quelques pousses jaunes qui jaillissaient du petit jardin oublié près de la maison.

Tout était laissé à l'abandon, les clôtures ne tenaient pratiquement plus, les murs de la maison non plus, vu leur fragilité et leur grincement tandis qu'une petite brise se faisait sentir. Déjà, à première vue, un ménage s'imposait. Ce serait une bonne base par laquelle commencer. Prenant quelques notes dans sa tête, Galaad laissa vagabonder son regard sur la pierraille qui couvrait les défunts sillons des champs plus loin, de même que celles du jardin qui devait, à l'origine, servir à nourrir le propriétaire des lieux. Remettre le tout en état. Arthur n'avait forcément pas laissé Caius comme ça, sans un sous en poche, avec une cabane branlante, une terre morte et quelques paysans en charge, sans rien lui dire, ni lui assigner un mentor ou un assistant, si ? Observant une dernière fois le désastre qu'était cette terre, Galaad se redressa avant de frapper sur la paroi qui semblait être une porte au vu de sa mouvance dans ses gonds au moindre petit coup de vent. Galaad attendit avec une étrange fébrilité qu'on vienne ouvrir. Il ignorait ce qui le portait à se sentir ainsi agité mais une chose était certaine, il ne s'attendait pas à la suite…