Bonjour à toutes !

Eh bien, nous y voilà... C'est avec un mélange de fierté et d'émotions que je vous poste le dernier chapitre de Vivre l'amour à nouveau, achevant cinq ans d'écriture consacrées aux aventures des Brandon. J'avais dix-huit ans lorsque j'ai posté le premier chapitre, ne sachant pas encore dans quelle aventure je m'embarquais, ni si mon point de vue sur la suite de la vie de Marianne allait intéresser quelqu'un... et ne sachant pas que j'allais mettre 5 ans et 842 pages pour aller au bout de mon histoire !

Si j'ai pu aller jusqu'au bout, c'est non seulement parce que je voulais donner une conclusion digne de ce nom à ces personnages chers à mon cœur , mais aussi par respect pour ceux qui ont pris du plaisir à me lire, lecteurs silencieux ou bavards ;-) Un grand MERCI d'ailleurs à toutes celles qui ont toujours pris le temps de m'encourager et de me faire part de leurs émotions après leur lecture !

Vous comprendrez donc que pour ce chapitre j'ai particulièrement besoin d'avoir vos impressions, car inscrire le mot "FIN" reste un grand moment mais cela effraie tout de même un peu, même si je suis vraiment fière de cet épilogue !

Je reste bien évidemment active sur ma page Facebook, donc n'hésitez pas à m'y retrouver si le coeur vous en dit. Vous serez les bienvenus !

Sur ce, j'espère que les adieux au Colonel Brandon, à Marianne, Margaret et tous les autres vous plairont et seront conformes à vos attentes :-)

Je vous souhaite une belle lecture et attends comme toujours vos commentaires avec impatience ! ;-)

Affectueusement

Justine


Épilogue

Instants de vies


1838.

Marianne laissa flâner son regard sur l'eau du lac au-dessus duquel elle était négligemment penchée et observa les ondulations qui le traversaient au fur et à mesure que la barque qui la conduisait sur l'eau continuait d'avancer. Puis, Marianne reporta son attention sur celui qui ramait sans cesser de la regarder.

« Après toutes ces années à revenir ici, je crois que je ne me lasserai jamais de te voir contempler ce qui t'entoure, ma douce, déclara Brandon.

- En vingt ans, j'ai pourtant bien changé, fit remarquer Marianne en soupirant.

- Que devrais-je dire ? demanda Brandon en riant.

- Un homme se bonifie avec l'âge, c'est bien connu, répliqua Marianne. Et c'est particulièrement vrai dans ton cas...

- Et ta mémoire te fait donc déjà défaut ? Ne t'avais-je pas dit que je ne cesserai de te trouver belle malgré les années écoulées ?

- Si..., avoua Marianne avant de rire. Vingt ans..., répéta-t-elle d'un air lointain. Le temps passe tellement vite...

- Nous avons eu une vie bien remplie, fit remarquer Brandon en arrêtant la barque.

- Oui... Mais elle n'est pas terminée !

- J'espère bien que non ! Nous avons encore de nombreux projets à réaliser, répondit Brandon en aidant Marianne à sortir de la barque. Même si certains se sont déjà révélés couronnés de succès... »


1820-1833. Londres.

« Mrs Wentworth ! Quel plaisir de vous revoir ! »

Marianne accueillit avec chaleur une jeune femme à l'air réservé.

« Ne suis-je pas en retard ? demanda cette dernière en remarquant les autres dames rassemblées dans le salon.

- Pas du tout, Anne. Nous vous attendions avec impatience ! » la rassura Marianne avec gaieté.

Marianne avait fait la connaissance de Mrs Wentworth et de son époux, le capitaine Wentworth, lors d'une soirée de charité organisée par les Cox un an auparavant. Cette soirée visait à récolter des fonds pour les officiers blessés et pour les familles endeuillées. Les deux couples s'étaient fort bien entendus et c'est tout naturellement que Marianne avait proposé à sa nouvelle amie de venir à l'un de ses salons.

Cela faisait un an que Marianne avait commencé à prendre part activement à la vie londonienne en acceptant d'organiser des salons dans sa maison de Kensington. Les débuts avaient été timides, Marianne ayant encore à apprendre sur les rouages des salons londoniens. Néanmoins, les présences de dames aussi influentes telles que Lady Firth, Mrs Darcy, Mrs Bingley, Mrs Fitzwilliam et Lady Hathaway avaient poussé quelques curieuses à assister à l'un des salons donnés par Marianne. La jeune femme avait également pu compter sur le soutien sans faille de ses amies et de ses sœurs, ainsi que sur celui de Mrs Thornton.

Le bouche à oreilles avait ainsi permis à Marianne de faire partie des personnes qui commençaient à prendre une certaine position à la fin de la Saison de l'année 1819. Évidemment, elle n'avait guère échappé à quelques mauvaises langues lors de son premier salon ainsi qu'à quelques remarques désobligeantes lancées par des femmes venues uniquement pour épier ses moindres faux-pas, rendues curieuses depuis la mauvaise rumeur dont avait été victime Marianne un an auparavant.

Néanmoins, Marianne s'était attendue à de telles personnes et malgré la honte et le trouble que cela lui procura de prime abord, elle ne s'avoua pas vaincue pour autant et décida de se raccrocher aux paroles encourageantes et sincères de ses amies et des dames qui avaient apprécié ses premiers pas. Ainsi, pour sa deuxième année d'activités, Marianne avait gagné en assurance sans se défaire de sa spontanéité et de son humilité, qualités qui avaient lourdement pesé sur la balance avec laquelle elle avait été jugée lors de sa première année. Elle avait également un beau carnet de connaissances et de nouvelles amies qui ne manquaient jamais une occasion de la soutenir et d'être fidèles à ses invitations.

« J'espère que votre fils va mieux ? demanda Marianne à Mrs Wentworth alors qu'elle l'introduisait auprès de Mrs Darcy, Lady Firth et Elinor.

- Oui, je vous remercie. Ce n'était qu'un léger coup de froid, mais vous savez comme moi avec quelle rapidité une mère s'inquiète dans ces cas-là...

- Bien entendu. Ceci dit, je soupçonne parfois mon époux de me faire concurrence dans ce domaine, mais il sait bien le cacher pour ne pas m'alarmer davantage ! rit Marianne.

- C'est le rôle difficile du mari, intervint Elizabeth en souriant.

- Comment va votre petit Timothy? lui demanda Marianne.

- Il se porte comme un charme, je vous remercie. Lui et sa cousine Héléna passent l'après-midi ensemble chez les Bingley.

- J'imagine qu'ils s'entendent bien. Ils sont si adorables tous les deux.

- Ils sont très proches, en effet. Et les jumeaux ? Comment vont-ils ?

- Ils grandissent bien..., répondit Marianne en souriant. Et leurs préférences s'affirment déjà. Arthur semble aimer la musique et Julietta les histoires.

- Suivrait-elle le même chemin que sa tante Margaret ?

- Ce ne serait pas moi qui l'en dissuaderait ! »

En effet, Margaret avait continué d'écrire des romans mais aussi des pièces de théâtre, genre dont elle n'avait pourtant jamais été aussi férue que ses sœurs. En discutant avec Nicholas au sujet du prénom de leur futur enfant, il lui avait confié avoir un faible pour Hermia si la vie leur donnait une fille. Étonnamment, A midsummer night's dream était la seule pièce de William Shakespeare que Margaret n'avait pas lu. Elle avait donc demandé à son mari de lui en faire la lecture et était tombée amoureuse de la pièce et de cette héroïne passionnée et prête à défier l'autorité pour s'enfuir avec celui qu'elle aime.

Elle s'était alors lancée dans l'écriture de pièces de théâtre plus amusantes que sérieuses et avait eu le bonheur d'être éditée dans un journal. Sa plume avait attiré l'attention de maisons d'éditions à qui Margaret proposa son premier roman qui n'avait pas encore trouvé preneur. Cette fois-ci, elle eut une réponse favorable et avait vu un autre de ses rêves se réaliser.

« En parlant de Margaret, j'espère qu'elle se porte bien ? demanda Lady Firth avec un air complice.

- Elle vit difficilement les premiers mois et les désagréments qu'ils occasionnent, mais elle est heureuse, répondit Elinor en souriant.

- J'en suis bien aise. Elle et son gentil mari le méritent. »

Marianne s'excusa auprès de ses amies et alla faire le tour de ses invitées afin de discuter un peu avec chacune d'elles. Lady Hathaway échangeait une plaisanterie avec Mrs Winslet et Mrs Fitzwilliam et fit signe à Marianne d'approcher.

« Félicitations, Marianne ! Je dois dire que vous ne cessez de nous impressionner !

- En doutiez-vous ? demanda Marianne en souriant.

- Quelle malice de votre part... Pas le moins du monde, évidemment ! Mais... je vous trouve changée. Vous avez gagné en confiance et je trouve cela parfait !

- J'ai eu de bons professeurs...

- Et une vie de famille comblée, ajouta Rose d'un air complice. Le colonel doit être très fier de vous, j'imagine ?

- Bien sûr. Mais il m'a avoué qu'il espérait me voir ralentir mes activités cette année.

- Pourtant, vous faites partie de celles qui donnent le moins de salons, fit remarquer Molly Fitzwilliam d'un air déçu.

- Sans doute, mais mon mari et moi n'avons pas l'habitude de tout cela. Notre mode de vie est calme lorsque nous sommes à Delaford et même si nous aimons y organiser des réceptions ou des pique-nique, l'ambiance est bien plus détendue car nous ressentons moins de pressions, expliqua Marianne.

- Je peux comprendre que vous ayez ressenti de la pression lors de vos premiers pas l'an dernier, mais de grâce, regardez autour de vous ! Vous avez dépassé cela et votre bal donné il y a une semaine a été grandement apprécié ! s'exclama Lady Anne.

- Il est vrai, acquiesça Marianne en souriant à ce bon souvenir pour lequel elle n'avait pas ménagé ses efforts. Mais vous connaissez mon époux... il s'inquiète pour moi...

- Je n'en doute pas ! rit Rose. Et puis vous avez vos enfants également...

- En effet. Eux et mon mari passent avant tout le reste, répondit Marianne. Je suis très heureuse de ce que j'ai accompli jusqu'ici et d'avoir fait taire les mauvaises langues et les commérages. J'ai conscience que rien n'est acquis, mais je pense que je peux continuer à œuvrer de cette façon sans craindre de m'attirer les foudres de ces dames...

- Absolument ! Je garderai toujours en mémoire la mine déconfite de Mrs Kirk lorsqu'elle a vu votre ascension dans le cœur de ses amies ! rit Anne.

- J'avoue que c'est un moment de ma vie qui me fait particulièrement sourire. » répondit Marianne d'un air malicieux.

Outre Mrs Kirk, Marianne avait constaté que Mrs Willoughby avait suivi avec intérêt la mise en place de ses salons dans la haute-société. Certaines de ses connaissances invitées lui avaient fait un compte-rendu détaillé de l'attitude de Mrs Brandon et elle n'avait pas caché sa déception en voyant que celle pour qui elle conservait une rancœur tenace commençait à toucher quelques-unes de ses amies et à se faire apprécier d'elles.

Marianne avait également eu vent de propos acides tenus par les Dashwood et les Ferrars. Depuis leur dernière entrevue, au bal des Darcy deux ans auparavant pour les Dashwood et depuis la dispute concernant Edward et sa mère, ils avaient pris un soin tout particulier à s'éviter et à ne pas se retrouver mêlés dans le même cercle de connaissances.

La Présentation d'Elinor à la Cour un an auparavant avait été particulièrement difficile, les Dashwood et les Ferrars étant présents ce jour-là. Néanmoins, la jeune femme n'avait guère eu le temps de se troubler au sujet de ce qu'ils pourraient bien médire sur elle. En effet, Lady Firth s'étant proposée pour l'a présenter, les propos mesquins qu'auraient aimé proférer les Dashwood et la belle-famille d'Elinor s'évanouirent aussitôt, cédant la place à la jalousie et à la déconvenue en voyant ceux qu'ils traitaient en parias aussi bien intégrés dans la haute-société.

Seul Edward et ses sentiments à l'idée de revoir sa famille avait inquiété Elinor à ce moment-là. Il avait pris grand soin de masquer ses appréhensions et n'avait pas caché sa fierté envers son épouse une fois sa Présentation achevée. Il avait également fait preuve d'un état d'esprit des plus optimistes en se rendant compte des personnes qui l'entouraient. Sa belle-famille, ses amis de longue date et ceux dont l'amitié était encore récente, tous lui avaient témoigné leur affection et leur attention, le rendant fier et heureux de la famille qu'il s'était construit en dépit de tout ce que sa mère avait pu lui dire.

Ce ne fut que quelques années plus tard, lors de l'enterrement de Mrs Ferrars, qu'Edward dut faire face à ceux qu'il avait réussi à éviter toutes ces années. Bien évidemment, son frère et sa sœur le dévisagèrent avec mépris en le voyant assister à la mise en terre d'une mère qu'il n'avait jamais respecté. Edward les laissa agir en leur âme et conscience, la sienne lui ayant dicté de rendre un dernier hommage à sa mère, avec qui il aurait aimé être en meilleurs termes. Un mois plus tard, il apprenait que les Dashwood avaient hérité d'une grande fortune à la mort de Mrs Ferrars, et qu'ils ne perdirent guère de temps pour s'en servir. Ainsi, ils demandèrent à Robert et Lucy Ferrars de leur laisser à nouveau Norland. Robert aurait accepté si Lucy, peu friande de la marotte de son époux pour les cottages, et désireuse de garder un avantage sur sa belle-sœur, l'avait persuadé de ne pas céder.

L'affaire alla loin, Fanny arguant qu'un tel espace ne pouvait leur être réservé alors qu'ils n'étaient que tous les deux et sans enfants tandis que leur petit Harry était promis à une belle alliance avec une jeune fille fortunée et qui serait ravie de séjourner dans un domaine aussi vaste que Norland. De son côté, blessée dans son amour-propre et encline à verser de l'huile sur le feu, Lucy ne manquait pas une occasion de rappeler à sa belle-sœur qu'ils n'auraient pas ce genre de conversation si John n'avait pas bêtement perdu son argent au jeu.

L'entente entre les deux femmes était telle qu'une séparation indéterminée mais inévitable dut avoir lieu. Leur histoire alimentait de façon très comiques les divers salons de Londres et Marianne était toujours mal à l'aise en entendant ces commérages. Son cœur saignait à la pensée que Norland appartenait à de tels odieux personnages et voyait ainsi son passé bafoué. Elle refusait toujours de prendre part aux salons où les Dashwood et les Ferrars pouvaient se trouver, préférant les éviter afin de ne pas sentir son cœur se remplir d'amertume.

Le couple Stubbs était également sur la liste des personnes que Marianne souhaitait éviter. N'ayant pas oublié la violence de leur dernière rencontre, Marianne et Brandon essayaient de ne pas les croiser autant que cela leur était possible. Ils y prenaient un soin tout particulier lorsque les Crawford venaient leur rendre visite à Londres. Henry n'avait plus parlé à sa sœur depuis leur dispute, mais il se tenait malgré tout informé des nouvelles la concernant. Ainsi il apprit que l'harmonie du couple battait de l'aile et que le vrai visage de Mary avait signé un changement conséquent dans la place qu'elle occupait dans le cœur de son époux. Lord Stubbs se montrait ainsi dur et méprisant avec elle dès qu'elle avait une parole malheureuse, l'adoration qu'il avait pour elle ayant fondu comme neige au soleil.

Malgré ces personnes peu fréquentables, Marianne réussissait chaque année à attirer davantage de monde à ses salons. Brandon avait été fier et ravi de constater le succès de Marianne. Il n'oubliait pas le courage que cela lui avait demandé de s'exposer ainsi à ceux-là même qui l'avaient montré du doigt et il était de plus en plus surpris par le changement d'état d'esprit dont certains avaient fait preuve, délaissant leurs grands airs hautains pour venir faire connaissance avec la jeune dame dont certains des plus grands noms de la bonne société parlaient en bien.

Brandon veillait néanmoins à ce que Marianne prenne soin d'elle et de sa santé, remarquant malgré tout que ce travail d'organisation mondaine la fatiguait, même si elle ne le disait pas. Elle arrivait à faire en sorte de ne jamais négliger sa famille et, outre son salon, elle participait uniquement à ceux de ses amies proches et allait une semaine sur deux à ceux organisés par de nouvelles connaissances. Malgré tout, elle veillait à ce qu'aucune de ses distractions n'empiètent sur l'attention qu'elle pouvait accorder à ses enfants, aussi privilégiait-elle les moments où ils pouvaient tous se retrouver en famille, soit chez elle, soit chez les Thornton. Ces derniers faisaient également leur chemin mondain de la meilleure manière possible, le fait que Margaret soit désormais une romancière reconnue aidant considérablement à bâtir sa bonne réputation et celle de sa famille, déjà bien vue grâce aux affaires florissantes de Nicholas.

Les Ferrars se montraient quant à eux plus discrets lorsqu'ils venaient à la capitale, logeant soit chez les Brandon ou les Thornton. Elinor n'avait jamais souhaité organiser de salons et l'idée d'investir dans une maison à Londres même s'ils en avaient eu les moyens ne les avaient jamais effleuré elle et Edward. Marianne et Margaret assuraient donc avec plaisir l'une et l'autre l'entrée dans le monde de Susan et Henry, veillant à ce qu'ils ne soient pas laissés pour compte. Ainsi, Londres leur parut plus agréable que jamais après leur avoir semblé si sombre et emplie de mauvais souvenirs par le passé. Les concerts, les représentations théâtrales, la Derby -qui verrait naître chez les enfants des Brandon et chez Henry Ferrars une passion fervente pour les chevaux- les bals, les boutiques... tous ces divertissements se faisaient désormais sources de plaisirs. Marianne et Brandon eurent également l'idée d'organiser un bal annuel au mois de février, durant lequel un thème différent serait proposé. Cette entreprise eut un succès retentissant et Marianne était chaque année plus excitée de lancer un thème et de voir la manière avec laquelle il serait accueilli.

Malheureusement, quelques années plus tard, Londres redevint sombre et maussade lorsque Lady Firth succomba à une pneumonie. Marianne et ses amies furent vivement affectées par cette tragique perte, Lady Firth leur ayant toujours apporté gaieté, confiance en elles, soutien et une amitié indéfectible. Pendant un mois, elles limitèrent fortement leurs sorties, préférant se retrouver de façon plus intimiste afin d'échanger quelques anecdotes sur leur chère amie et apporter leur soutien à Lord Firth, ébranlé et choqué par la perte de son épouse bien-aimée.

Voyant Marianne aussi affectée, Brandon jugea bon d'écourter leur séjour à Londres et de retourner à Delaford, le temps pour la jeune femme de ne pas rester dans une atmosphère aussi douloureuse. Marianne lui en fut reconnaissante et les Brandon passèrent l'hiver au manoir, les enfants trouvant du plaisir dans certaines activités qu'ils ne faisaient qu'une partie de l'hiver avant d'en passer le restant à Kensington. Les batailles de boules de neige, les lectures au coin du feu, le patinage et autres promenades en traîneau ne manquèrent pas de les amuser. Des bals improvisés et des réunions de famille eurent également l'occasion de les distraire et de rendre cet hiver 1830 plus chaleureux.

L'année suivante, ils durent encore quitter la Saison plus tôt que prévu suite aux disparitions rapprochées de Mrs Dorothy et Mr Carlton, bien âgés et depuis longtemps à la retraite bien que logeant toujours au manoir. Comme il était à prévoir, Brandon fut vivement touché par les pertes des deux personnes dont la fidélité et l'affection à son égard n'avaient jamais faiblis depuis son enfance. Marianne partagea vivement la peine de son mari, tout en s'efforçant de le consoler du mieux qu'elle le pouvait.

Elle y réussit en lui faisant la surprise d'un voyage dans les Cornouailles, rien que tous les deux. Cette destination leur avait toujours été bénéfique dès qu'ils avaient à traverser un moment difficile et ce séjour-ci ne fit pas exception à la règle. Marianne fut ravie de revoir la gaieté revenir pleinement dans le cœur de son mari avant qu'ils ne repartent tous en famille pour Londres, où l'animation et les diverses activités qui y régnaient achevèrent de distraire complètement les Brandon.


Marianne coupa une part de tarte pour Brandon et la lui tendit. Il la remercia d'un sourire et regarda autour de lui. Cela faisait vingt ans qu'ils revenaient dans leur paradis perdu, chaque année le jour de leur anniversaire de mariage. Il n'y avait que pour leurs dix ans de mariage qu'ils avaient modifié leurs plans afin de le fêter avec leur famille et leurs amis proches, mais ils n'avaient plus donné une réception aussi imposante que durant leur premier anniversaire de mariage. Cela faisait partie de leurs moments privilégiés. Ils n'avaient jamais rompu cette tradition depuis que Marianne avaient mis les jumeaux au monde. Plus les années passaient, plus ils avaient l'impression que ce rituel les aidaient à garder une certaine jeunesse, une certaine fougue des premiers jours.

Ils avaient toujours gardé le lieu de leur escapade secrète et les premières années, Arthur et Julietta avaient été très intrigués, cherchant à deviner où leurs parents se rendaient sans eux. Un jour, la curiosité les tenaillant trop, les jumeaux avaient échappés à la surveillance de leur gouvernante, profitant du fait que leurs parents donnaient une réception pour découvrir par eux-même ce lieu secret qu'ils leur cachaient.

Bien évidemment, cette escapade ne mit pas longtemps à passer inaperçue et les enfants furent rapidement retrouvés, mais pas assez pour ne pas avoir causé de frayeur à leurs parents et les exempter de punition. Néanmoins, échaudés par cette expérience, Marianne et Brandon avaient jugé bon de leur expliquer la signification de ce lieu et de le leur montrer une fois que leur punition serait levée.

« Après tout, avait dit Brandon, le manoir et ses environs reviendront un jour à Arthur... Il est juste qu'il puisse en profiter à son tour... »

Marianne n'aimait pas lorsque Brandon parlait de successions ou d'héritage. Surtout depuis que leur vieille amie, Mrs Jennings, les avait quitté deux ans auparavant. Cette perte avait grandement affecté les sœurs Dashwood et leurs familles respectives. En effet, la brave dame avait été une amie chère et fidèle, dont les facéties et les propos avaient pu les mettre dans l'embarras mais aussi les faire rire. Elles n'oublieraient jamais sa bonté et sa prévenance toute maternelle envers elles. La brave dame ne les avait d'ailleurs pas oublié, elles et leurs familles, dans son testament, leur léguant des sommes généreuses qui reflétaient toute sa noblesse et son grand cœur.

Outre leur propre peine, les Brandon avaient eu fort à faire pour soutenir Sir John, plus affecté que son épouse. Marianne avait été indignée face à l'apparente froideur de la fille de Mrs Jennings, surtout lorsqu'on la comparait à sa sœur, Mrs Palmer, dont le naturel si enjoué s'était un moment caché derrière une peine légitime. Néanmoins, Brandon lui avait gentiment rappelé qu'elle ne devait pas juger le chagrin des personnes. Certains pouvaient souffrir en silence et il était prêt à parier que Lady Middleton était de ceux-là.

Lui-même avait pu observer la douleur silencieuse de sa sœur lorsque Mr Whitaker était décédé peu de temps après Mrs Jennings. Les Brandon avaient souvent convié Mrs Whitaker, les Middleton et les Palmer à se joindre à eux tant à Delaford qu'à Londres, afin de les distraire un peu. Ils eurent raison de se féliciter de ces propositions car le décès de Mrs Jennings avait modifié certaines attitudes que l'on croyait ancrée dans la personnalité de chacun. Mr Palmer semblait plus attentif envers son épouse, et Lady Middleton plus démonstrative, bien qu'elle ne put jamais égaler sa sœur ou sa mère dans ce domaine. Néanmoins, elle faisait de réels efforts pour être plus aimable et Marianne songea que la mort de sa mère l'avait sans doute plus affectée qu'elle ne l'avait cru. Sir John était redevenu lui-même au bout d'un certain temps, mais il conservait parfois une certaine gravité dans le regard. Quant à Mrs Whitaker, elle fut touchée de l'aide apportée par son frère et sa belle-sœur et venait leur rendre fréquemment visite.

Cette période de deuil avait été particulièrement sombre pour les Brandon, et leurs enfants les avaient beaucoup soutenu, notamment en rendant fréquemment visite à leur tante ou aux Middleton afin de soulager leurs parents, et en égayant Thomas Palmer, très attaché à sa grand-mère et souffrant de sa disparition.

Marianne et Brandon étaient très fiers de l'altruisme dont faisaient preuve leurs enfants, surtout face à un sujet aussi sensible que le deuil et où la jeunesse, lorsqu'elle est épargnée, n'a guère envie de s'y confronter, même par affection envers ceux qui en sont touchés. Les Brandon pouvaient assurément affirmer que la vie les avait comblés en leur donnant des enfants charmants qui faisaient chaque jour leur bonheur, leur inquiétude et leur fierté.


Été 1820. Delaford.

Le colonel Brandon se dirigea vers son manoir, imposante demeure non dénuée de chaleur se dressant au loin, et dans laquelle l'attendaient les personnes qu'il aimait le plus. Il revenait d'une visite aux Crawford où il avait passé un agréable moment. Il avait apporté son expérience à un projet de rénovation que lui avait soumis Mr Crawford concernant les habitants de son domaine, et avait émis des recommandations qui avaient considérablement aidé son interlocuteur, mais aussi le petit Andrew, qui désirait tout faire comme son père. Brandon avait également eu le plaisir de discuter avec Beth et de bercer son petit garçon, Christopher.

Après deux fausses-couches qui avaient manqué la faire mourir de chagrin, Beth avait enfin eu le bonheur de donner naissance à un autre enfant. Un nouveau fils, un camarade de jeu pour Andrew, et une nouvelle source de joie pour le jeune couple. Les Crawford avaient demandé à Brandon et Marianne d'en être les parrains, honneur qu'ils avaient accepté avec enthousiasme.

« Quel dommage que Marianne n'ait pu venir avec les enfants, avait fait remarquer Beth au moment où Brandon prenait congé.

- Elle était souffrante. Comme elle craignait de vous contaminer, elle a jugé bon de rester au manoir.

- Alors transmettez-lui nos amitiés et nos vœux de rétablissement. Merci encore de votre visite, colonel.

- C'est toujours un bonheur pour moi. » avait assuré Brandon en embrassant Beth, une dernière fois.

Brandon était parti honorer son invitation chez les Crawford une fois que Marianne l'avait assuré qu'elle n'était pas dans un état qui justifiait sa présence à ses côtés. Elle était néanmoins pâle et semblait très fatiguée depuis leur retour des Cornouailles où ils avaient passé quelques jours dans le cottage qu'ils avaient loué deux années plus tôt. Ce séjour leur avait été bénéfique et plein de moments tendres et joyeux.

Brandon n'oublierait pas de sitôt le jour où lui et Marianne avaient fait marcher les jumeaux sur le sable et dans l'eau. Les tenant fermement par les mains afin qu'ils ne perdent pas l'équilibre face au courant des vagues, ils avaient vu leurs visages surpris et un peu effrayés, grimaçant légèrement au contact de l'eau froide. Si Julietta avait rapidement demandé à être prise dans les bras, Arthur avait poussé des petits cris enthousiastes quand le léger courant le faisait lutter pour se maintenir droit malgré l'aide de son père. Brandon et Marianne avaient éclaté de rire en voyant cela et en remarquant l'hésitation de Julietta à remettre pieds à terre, visiblement curieuse de l'attitude de son frère face à cette inconnue qu'était la mer.

Ces souvenirs l'accompagnèrent alors qu'il entrait dans l'enceinte du manoir. Il venait tout juste de confier son cheval à un domestique qu'il ouvrit de grands yeux en voyant Marianne courir vers lui et se jeter dans ses bras. Stupéfait et la tête pleine d'interrogations, il ne put que prononcer le prénom de la jeune femme avant qu'elle ne lui glisse quelques mots à l'oreille. Il se détacha doucement de son étreinte et la regarda.

« En es-tu sûre ?

- Le docteur Jamison est venu le confirmer tout à l'heure, répondit Marianne, radieuse. La naissance est prévue pour la fin février... »

N'y tenant plus, Brandon embrassa Marianne plusieurs fois avant de la soulever dans ses bras et la faire tournoyer, riant tous deux aux éclats à la pensée que ce qu'ils avaient pris pour un mauvais coup de froid était en réalité la plus belle chose qui pouvait leur arriver.

Automne 1823. Delaford.

Assise sur une chaise longue, Marianne regarda ses enfants jouer dans le jardin. Le temps était clément pour les premiers jours d'automne et Arthur et Julietta, six ans, jouaient avec leur petit frère Alan, deux ans. Marianne aurait pu entendre leurs rires toute la journée sans se lasser. Elle aimait à les voir jouer ensemble et laisser parler leur imagination. Leurs cousins et cousines venaient de passer l'après-midi avec eux, remplie de rires et de jeux, mais aussi de petites contrariétés que les trois sœurs avaient réussi à calmer. Depuis qu'elles étaient toutes devenues mères, elles se sentaient plus proches les unes des autres et se donnaient de nombreux conseils. Leur mère assistait très souvent à leurs réunions et était heureuse de l'harmonie qui y régnait et de se retrouver au milieu de ses petits-enfants. Contrairement à ce que ses filles avaient craint, Mrs Dashwood ne souffrait pas de la solitude. A la vérité, elle n'avait que de rares moments où elle se trouvait seule. Les Middleton l'invitaient un jour sur deux quand elle n'était pas chez ses filles, chose qui arrivait fréquemment.

« Maman ! s'exclama Julietta en venant vers Marianne.

- Qu'y a-t-il, ma chérie ?

- Quand Papa va-t-il revenir ? demanda la fillette en appuyant son menton contre le genou de sa mère.

- Très bientôt.

- Arthur dit que Papa lui a promis de l'emmener faire du cheval à son retour... Mais moi je voulais qu'il me lise une histoire !

- Oh... D'une part je doute fort que ton père emmène Arthur faire du cheval aujourd'hui...

- Du poney, maman ! C'est moins dangereux, je sais ! s'exclama Arthur en courant vers elle, traînant Alan par la main.

- Il fera sans doute nuit le temps que tout soit installé pour votre escapade, répondit Marianne en prenant Alan dans ses bras, le voyant prêt à manifester son mécontentement d'être arraché si brutalement de ses jeux par son frère.

- Oh non..., soupira Arthur, déçu.

- D'autre part, est-ce que ton père avait promis de t'y emmener aujourd'hui ? demanda Marianne en ébouriffant les cheveux châtains de son fils.

- Oui...

- Arthur ?

- Non... Mais Henry m'a dit qu'il avait fait du poney hier avec Andrew et moi aussi je veux en faire !

- Ton père te l'a promis et il tiendra parole, mais un autre jour.

- Alors, est-ce que vous pourrez me faire répéter ma leçon de piano quand Papa lira une histoire à Julietta ? demanda le petit garçon avec espoir.

- Bien sûr, mon cœur. » répondit Marianne en l'embrassant.

Comme ils se l'étaient promis, Marianne et Brandon avaient réussi à instaurer des moments privilégiés avec leurs enfants. La lecture, l'apprentissage du piano tantôt avec l'un, tantôt avec l'autre, le chant, le poney... Elinor leur apprenait même le dessin tandis que Marianne enseignait parfois la musique à Susan, la fillette ayant manifesté son désir d'être aussi douée en dessin que sa mère et aussi accomplie que sa tante au piano.

Soudain le regard de Marianne s'éclaira en apercevant Brandon. Ce dernier posa un doigt sur ses lèvres et la jeune femme hocha discrètement la tête avant d'accaparer l'attention d'Alan par des chatouilles auxquelles se joignirent ses aînés. Ces derniers poussèrent un cri de frayeur en se sentant brusquement soulevés du sol.

« Papa ! »

Passée la surprise, ils entourèrent le cou de leur père de leurs bras tandis que Brandon les embrassait avec tendresse.

« Comment vont mes trésors ? demanda-t-il, suscitant un flot de réponses de la part de ses enfants.

- Vous me ferez la lecture, Papa ?

- Et moi vous me ferez faire du poney, pas aujourd'hui mais un autre jour ?

- Bien sûr, bien sûr ! rit Brandon.

- Laissez votre père respirer, les enfants ! intervint Marianne en riant.

- Papa ! » s'exclama Alan en tendant les bras vers son père d'un air désespéré.

Brandon reposa les jumeaux par terre et attrapa Alan dans ses bras avant de le couvrir de baisers, faisant rire le petit lorsqu'il lui fit des baisers dans le cou.

Marianne regardait la scène avec attendrissement, le cœur gonflé de joie. Brandon reposa son fils sur le sol et Marianne en profita pour encourager ses enfants à rentrer à l'intérieur tandis qu'elle devait parler avec leur père. Les enfants obéirent en courant et Marianne saisit l'occasion pour attraper le bras de Brandon afin qu'il se baisse vers elle.

« Bonjour..., murmura-t-il avant de l'embrasser.

- Nos enfants étaient aussi impatients que moi de te voir rentrer à la maison !

- Je ne me lasserai jamais d'un tel accueil, répondit Brandon en souriant.

- Eux non plus, semble-t-il ! Comment s'est passée ton après-midi ? s'enquit Marianne.

- Plutôt bien. La ferme des Forbes n'a jamais été aussi productive et les gens du domaine vont avoir de quoi tenir l'hiver sans difficultés. Et toi ?

- Très bien. Mes sœurs t'envoient leur affection, de même que tes nièces et ton neveu. Les enfants ont bien joué et s'entendent à merveille. Je crois même que Sue a fait la conquête d'Alan ! Il ne la quittait pas d'une semelle !

- Cela ne m'étonne pas, cette petite est d'une douceur incroyable. Et toi, comment vas-tu ? demanda Brandon en portant la main sur le ventre de Marianne.

- Très bien. Tout se passe bien. Les deux premiers mois ont été les plus difficiles, mais à présent cela va bien mieux. Je pense que nous pouvons d'ailleurs l'annoncer aux enfants...

- Je sais que tu souhaitais attendre, étant donné... »

Brandon se tut, le souvenir de la précédente fausse-couche de Marianne à deux mois de grossesse un an auparavant voilant ses yeux. Ils avaient beaucoup souffert et avaient du expliquer à leurs enfants que le petit frère ou la petite sœur qu'ils attendaient ne viendrait pas encore. Échaudés par ce drame, Brandon et Marianne avaient convenu de ne pas parler d'un prochain compagnon de jeu pour leurs enfants avant d'avoir attendu un certain temps, pour plus de sûreté. Marianne avait été très courageuse durant cette épreuve, le fait d'avoir déjà trois enfants l'aidant à se ressaisir plus rapidement. Les conseils et autres paroles de réconfort de Beth et Mrs Dashwood, ayant déjà du faire face à un tel drame, lui furent également très précieux.

Marianne prit la main de Brandon dans les siennes et la baisa.

« La dernière fois j'ai été trop enthousiaste et n'ait pas attendu suffisamment... A près de quatre mois de grossesse, je pense qu'il est temps de le leur annoncer. Sans parler du fait que mon ventre, jusque là discret, commence à prendre un peu d'ampleur..., répondit Marianne en souriant.

- Alors ne les faisons pas attendre plus longtemps... » répondit Brandon en aidant Marianne à se relever de sa chaise longue.

Une fille naquit quelques mois plus tard, répondant au doux nom d'Eloïse. Ressemblant à sa sœur aînée de par le physique et les cheveux auburn, elle avait néanmoins hérité des yeux noirs de sa mère alors que Julietta les avait de couleur noisette, comme son père et son jumeau. Malgré une ressemblance physique, leur caractère demeurait légèrement différent. Si Julietta était de nature passionnée, elle avait une certaine modération que n'avait pas Eloïse, plutôt impétueuse et têtue. Alan était la copie conforme de son père mais avait les yeux de sa mère alors qu'Arthur avait les yeux de Brandon et des traits qui rappelaient davantage Marianne.

Les années passèrent et les quatre frères et sœurs se montraient très liés les uns aux autres malgré d'inévitables disputes ou autres chamailleries sans importance. Julietta et Eloïse possédaient toutes les deux un tempérament volontaire et curieux qui les avaient poussé à partager les activités de leurs frères, telles que la pêche, les courses de chevaux -bien que ces dernières aient été vivement modérées par leurs parents- l'escalade d'arbres toujours plus hauts, les combats à l'épée -choses qu'elles faisaient bien évidemment en cachette et dont seule leur tante Margaret était informée- et la nage.

Brandon avait vivement insisté sur ce point, surtout depuis qu'Arthur avait un jour glissé dans le lac étant plus jeune, causant une frayeur terrible à ses parents. Ne sachant elle-même pas nager et n'osant imaginer ce qu'il se serait passé si Brandon n'avait pas été là pour sauver leur fils, Marianne approuva l'idée d'enseigner la nage à leurs enfants.

Outre leur passion commune pour les chevaux, les garçons trouvaient également une forme de détente en pratiquant le dessin ou la musique, Alan étant plus enthousiaste dans le premier domaine tandis qu'Arthur l'était davantage dans le second. La musique avait toujours fait partie de leur vie et ils aimaient en jouer tant avec leur père qu'avec leur mère et leurs sœurs. Ces dernières prouvaient qu'elles étaient aussi attirées par les activités d'extérieur que par celles qui les faisaient qualifier de jeunes files accomplies.

Le piano, le chant, le dessin, les langues étaient autant de domaines dans lesquels elles s'épanouissaient et progressaient. La broderie n'était en revanche pas un art dans lequel elles excellaient, n'ayant pas assez de patience pour une activité aussi minutieuse. Eloïse avait en revanche un penchant très net pour le jardinage et passait un temps considérable dans la serre de Delaford avec sa mère pour planter diverses fleurs. Julietta avait quant à elle développé une attirance pour l'écriture depuis que Margaret lui avait fait lire ses romans et la jeune fille et sa tante se faisaient régulièrement parvenir leurs derniers travaux.

Les quatre enfants Brandon étaient promis à un bel avenir et leurs parents se félicitaient d'avoir écouté les conseils de Mrs Winslet de prendre une demeure à Londres. Leurs enfants y étaient bien vus et côtoyaient des membres influents de la bonne société, disposant de qualités morales essentielles aux yeux des Brandon, qui ne souhaitaient pas voir leurs enfants renier les principes qu'ils leur avaient inculqué et la moralité humble et travailleuse des gens de leur domaine.

Marianne et Brandon avaient également pu constater combien chaque enfant pouvait s'avérer être différent. Si Julietta était douce, mais déterminée à aller au bout de ses idées, Arthur était généreux, mais prêt à faire toutes les bêtises possibles et l'adolescence fut une période assez difficile sur ce point. Néanmoins, la peine qu'il ressentait en voyant que sa conduite blessait ses parents et l'amour qu'il avait pour la musique réussissaient à canaliser ses humeurs. Alan était quant à lui le doux rêveur de la fratrie, qui savait garder les pieds sur terre lorsqu'il le fallait. Néanmoins, comme Marianne à une époque, il ne pouvait faire semblant dans ses relations avec les gens, aussi s'il n'appréciait pas une personne, elle finissait toujours par s'en rendre compte. Enfin, Eloïse était un mélange de toutes ces caractéristiques. Vive, entêtée, gentille, rêveuse et d'une honnêteté redoutable, elle pouvait faire rire ses parents comme leur faire craindre le pire lorsqu'elle se trouvait en société.


« Quand aurons-nous des nouvelles d'Eloïse ? demanda Brandon d'un air détaché.

- Christopher ! Qu'avions-nous convenu ? s'exclama Marianne d'une voix pleine de reproche.

- Je demande simplement si notre fille t'as fait part de son projet de nous écrire pour nous rassurer dès son arrivée en Irlande, répliqua Brandon en haussant les épaules.

- Elle t'as promis qu'elle nous écrirai dès qu'elle arriverait... et nous avions promis de ne pas parler des enfants lorsque nous étions ici, ajouta Marianne en souriant avant de déposer un baiser sur la joue de Brandon.

- Pardonne-moi... De toutes manières, avec son oncle et sa tante elle ne risque rien...

- Bien sûr que non ! Margaret en prendra tout autant soin que de ses filles ! rit Marianne. Et puis songe que les Fitzwilliam seront là eux aussi. Et tu connais le caractère protecteur du colonel depuis qu'il a eu ses jumelles ?

- Bien sûr... bien sûr, mais... Ne te prépares-tu pas à ce qu'elle nous annonce ses fiançailles lors de son retour ? demanda Brandon d'une voix anxieuse.

- Chéri... »

Marianne s'approcha de Brandon et se blottit contre lui. Leur benjamine, Eloïse, était depuis longtemps amoureuse d'Anthony, le fils aîné des Winslet. Ce dernier lui avait manifesté peu d'intérêt mais Rose n'avait pas manqué d'informer Marianne des sentiments que son fils nourrissait envers Eloïse malgré son apparence réservée. Marianne en avait fait part à Brandon, mettant en avant la délicatesse et la timidité d'Anthony. Elle savait que Brandon vivrait difficilement le mariage de sa petite dernière, jugeant que quatorze ans était encore bien jeune pour déjà songer à se marier et qu'il préférait que sa fille attende ses dix-huit ans.

Le temps et les diverses rencontres avec les Winslet l'aidèrent à se familiariser avec l'idée qu'il pouvait avoir Anthony Winslet pour gendre. Il l'estimait beaucoup et avait fait en sorte de lui manifester davantage de sympathie, surtout depuis qu'Eloïse était venue le trouver en pleurant pour lui demander s'il ne voulait pas qu'elle épouse un homme qu'elle aimait depuis ses douze ans.

« Papa... Vous plaisez-vous à me tourmenter ? avait-elle demandé en entrant dans le bureau de Brandon.

- Te tourmenter, ma chérie ?

- Oui ! Julietta m'avait dit que vous risqueriez de ne pas être d'accord !

- Eloïse, je n'apprécie pas que tu me parles par énigme, l'avait repris Brandon d'un air stupéfait.

- J'aime Anthony Winslet, mais vous ne l'aimez pas ! avait éclaté en sanglots la jeune fille.

- Mon ange..., avait répondu Brandon d'une voix douce en laissant sa fille pleurer sur son épaule. C'est faux, j'apprécie beaucoup Mr Winslet...

- Alors pourquoi faites-vous toujours en sorte d'éviter les réceptions dans lesquelles lui et ses parents sont invités ?

- Je ne fais pas cela...

- La dernière fois vous avez accepté une invitation après avoir eu la confirmation qu'ils ne seraient pas là... !

- Je le reconnais..., avait soupiré Brandon. Eloïse... Je t'aime et je ne veux que ton bonheur et comme je l'ai dit à ta sœur lorsqu'elle s'est fiancée, faire en sorte de vous voir toutes deux heureuses avec des hommes qui vous méritent est un des objectifs que je me suis fixé lorsque vous êtes venues au monde.

- Et Arthur et Alan ? avait demandé Eloïse avec surprise.

- C'est différent. Pour eux, je voulais qu'ils soient de vrais gentlemen, des hommes loyaux, fidèles aux principes que ta mère et moi vous avons inculqué. Bien évidemment, je souhaite leur bonheur dans le mariage et je suis heureux pour Arthur et espère qu'Alan fera les bons choix à son tour. Mais pour ta sœur et toi, mes filles chéries, les choses sont plus compliquées...

- Parce que nous sommes des femmes ?

- Précisément. Si une femme se joue d'un homme, il aura le cœur brisé mais pourra se redresser et garder une bonne réputation pour peu qu'il ait toujours suivi une bonne ligne de conduite. Mais une femme... Si un homme se joue d'elle et lui brise le cœur, il peut aussi se jouer de sa vertu et la déshonorer pour toujours.

- Je le sais... Maman nous a souvent mise en garde avec Julietta.

- Dans ce cas, comprends-tu mes réticences à l'idée de te voir lier ton cœur à celui d'un homme, et ce à un âge aussi jeune que quatorze ans ?

- Bien sûr... Mais Anthony... Je veux dire, Mr Winslet est un homme très vertueux ! Jamais il ne me ferait de la peine...

- Sans doute, et je ne demande qu'à le croire. Mais en attendant, je préfère que tu le regardes agir, que tu continues à affirmer ta personnalité et que tu attendes quelques années avant d'accepter une demande en mariage.

- Quelques années ?

- Oui, cinq ou huit...

- Oh Papa ! Vous plaisantez, n'est-ce pas ? s'était exclamé la jeune fille d'un air horrifié.

- Oui..., avait répondu Brandon en riant. Je t'aime, ma fille.

- Je vous aime aussi, Papa. Maman me l'a rappelé avant que je vienne vous trouver.

- En doutais-tu ?

- Pas du tout ! Mais je ne veux pas que votre amour pour moi vous rende triste...

- Mon trésor, mon amour pour toi est un de ceux qui me sont les plus précieux et si je suis triste... c'est parce que je vois combien tu as grandi et qu'un jour tu vas me quitter...

- Comme Julietta... Vous avez été triste après son départ...

- Oui. J'étais heureux – et je le suis toujours ! - qu'elle fasse un mariage d'amour avec un digne d'elle, mais... il faut accepter de partager sa place avec un autre homme dans son cœur et de voir son enfant prendre son envol.

- Mais elle vous aime toujours, Papa, et je vous aimerais toujours aussi ! s'était exclamée Eloïse en se jetant au cou de son père.

- Je le sais, ma chérie. »

Sensible à la peine de sa fille, et encouragé par Marianne, il avait accepté de la laisser partir avec les Thornton en Irlande. Les Thornton avaient de la famille là-bas et les Winslet y séjournant durant cette période du printemps, les deux familles en avaient conclu que cela pourrait être agréable pour les deux jeunes gens de s'y retrouver, entourés de chaperons, tels que le colonel Fitzwilliam et sa famille, eux aussi du voyage. Ils pourraient ainsi s'observer mutuellement avec attention et voir si le temps pourrait fortifier leur amour jusqu'à ce qu'ils soient en âge de le laisser s'exprimer.

« Nous nous sommes fait à l'idée que nos enfants devraient prendre leur envol un jour ou l'autre, déclara doucement Marianne.

- Pas moi, répliqua Brandon.

- Voyons ! rit Marianne. Les mariages de Julietta et Arthur m'ont été les plus difficiles car c'étaient les premiers que nous avons mariés, mais ils ont épousé des personnes gentilles, qui leur correspondaient, et ils ne seront pas dans le besoin... Alan semble encore à des lieux de tout projet matrimonial puisqu'il est disposé à se lancer dans les affaires après avoir effectué son Grand Tour en Europe, mais je m'y prépare aussi... Et pour Eloïse... Belle et gentille comme elle est, t'attendais-tu à ce qu'elle n'attire aucun gentleman ?

- Eloïse est notre petite dernière et... cela me sera difficile de voir notre manoir vide une fois que nos enfants seront tous partis...

- Moi aussi, mon chéri, soupira Marianne.

- En tout les cas, je serai plus vigilant que jamais depuis ce qui s'est passé avec Julietta. » prévint Brandon.


Julietta avait connu en effet quelques déceptions sentimentales avant d'épouser le fils de Mrs Dunst, la sœur aînée de Lady Hathaway. Elle était tout d'abord tombée amoureuse d'Andrew Crawford, mais avait du se résigner en le voyant accorder sa préférence à Susan Ferrars, qu'il épousa. Il l'avait toujours traitée avec le plus grand respect et un amour fraternel de sorte que Julietta n'avait pu le blâmer de s'être joué d'elle. Brandon et Marianne avaient eu de la peine à lui redonner le sourire suite à cette désillusion, surtout lorsque les membres concernés sont très liés et amenés à se revoir fréquemment.

Malheureusement, cette peine de cœur à un âge aussi avancé que seize ans ne fut pas la seule que connut la jeune Miss Brandon. Une ancienne connaissance de ses parents en la personne de Mr Gold vint ainsi lui tenir des propos fort charmeurs une fois qu'elle eut fait sa Présentation à la Cour. Julietta n'aurait sans doute pas été choquée, la différence d'âge existant entre son père et sa mère l'ayant convaincue que cela ne représentait pas un obstacle au bonheur conjugal, mais la manière insistante avec laquelle il la regardait dès qu'ils se trouvaient dans une même réception, et ses efforts pour tenter de lui parler dès que ses parents étaient hors de leur vue achevèrent de rendre la jeune fille mal à l'aise et de la convaincre qu'elle devait en parler à ses parents.

Ces derniers furent vivement choqués et furieux de l'attitude de Mr Gold, que Brandon se promis de punir en duel. Marianne et Julietta le prièrent cependant de ne pas mettre sa menace à exécution et Mr Gold s'en sortit avec des remontrances publiques dont il se souvenait encore.

Julietta avait mal vécu ces péripéties amoureuses et Marianne avait discuté de nombreuses fois avec elle, la rassurant et lui parlant de sa propre expérience.

« Maman, je ne me marierai jamais ! avait un jour pleuré la jeune fille, la tête enfouie dans son oreiller.

- Voyons, ma chérie, pourquoi dis-tu cela ? Tu es encore bien jeune...

- Peut-être mais plus je vois de gentlemen et plus je me dis que jamais je ne rencontrerai le bon... ou si je le rencontre, il ne m'aimera pas ! s'était exclamée Julietta avant de se blottir dans les bras de sa mère.

- Sais-tu qui tu me rappelles ? avait alors demandé Marianne en souriant.

- Non... ?

- Moi à ton âge...

- Vraiment ?

- Oui. J'étais follement éprise d'un homme qui s'était joué de moi et cette passion m'avait conduite à me comporter de façon égoïste avec mon entourage. Dieu merci, tu es plus sensée que moi sur ce point ! Malgré tout, après une telle expérience, je ne croyais plus être capable d'être aussi éprise et surtout, éprise de la bonne personne, avait expliqué Marianne en caressant les cheveux de sa fille.

- C'est là que vous avez rencontré papa ? avait demandé Julietta, le regard soudain plus éclairé.

- En réalité, je connaissais ton père depuis un moment mais je ne le voyais pas comme un homme que je pourrais aimer. Puis j'ai ouvert les yeux sur ses qualités auxquelles je n'avais prêté qu'une attention superficielle et nous sommes devenus amis.

- Je ne veux plus être amie avec un gentleman, cela fait bien trop souffrir si cette amitié se change en amour non partagé, avait répliqué Julietta, songeant à Andrew.

- Oui, bien sûr... Mais cela peut aussi poser de bonnes bases pour la suite, si vous êtes amoureux l'un de l'autre. Il a fallu qu'une femme s'intéresse un peu trop à ton père pour que je me rende compte de mon amour pour lui ! Si seulement j'avais prêté plus d'attention à mes sentiments, je n'aurais pas passé quelques mois à croire que tout était perdu.

- Mais je n'ai pas un ami qui ressemble à ce que papa était avec vous...

- Ce que je veux t'expliquer, ma chérie, c'est que nos idéaux nous aveuglent et nous empêchent de nous rendre compte de l'or que nous avons sous nos yeux ou de ce qui compte le plus. Si tu désires être amie avec un gentleman dans le but de l'épouser, tes sentiments seront faussés. Si tu ne veux pas d'une amitié avec un gentleman mais chercher un mari, tu risques de te heurter à de nombreux obstacles, dont ton propre cœur, qui ne verra que ce qu'il voudra voir pour peu que tu puisses te marier.

- C'est tellement compliqué !

- Oui, les affaires de cœur sont difficiles. Mais une fois que l'on apprend à se connaître soi-même, que l'on sait ce que l'on veut et ce que l'on ne veut pas... les choses sont plus faciles. Tu es belle tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, et je sais que tu trouveras la bonne personne. En attendant, découvre qui tu es, n'oublie jamais de mêler ton cœur à ta raison, et tout ira bien.

- Je suis d'accord... Mais j'ai déjà dix-sept ans... J'ai peur de devoir attendre encore des années et de ne plus être aussi belle aux yeux des hommes...

- Je me suis mariée à dix-neuf ans ! Je n'étais ni trop jeune, ni trop âgée, mais j'ai eu la maturité et la réflexion nécessaire pour faire le meilleur choix de ma vie et je ne le regrette jamais, bien au contraire ! Je suis même reconnaissante d'avoir eu une telle déception amoureuse à dix-sept ans, car c'est ce qui m'a fait mûrir et ouvrir les yeux sur ce que je voulais vraiment, avait expliqué Marianne avant d'embrasser sa fille. Toi aussi tu auras cette chance, mon trésor, n'en doute pas... »

Un an plus tard, la vie donnait raison à Marianne puisque Julietta avait attiré le regard d'un gentleman de bonne famille, Mr Dunst. Âgé de dix-huit ans, Mr Dunst avait été charmé par Julietta lors du séjour qu'elle et sa famille avaient fait à Pemberley. Les Darcy étant de grands amis des Dunst, les invitations s'étaient enchaînées et les jeunes gens furent épris l'un de l'autre.

Lorsque Mr Dunst était venu demander un entretien à Brandon, ce dernier avait cru que le ciel lui tombait sur la tête. Lui et Marianne s'étaient longuement concertés sur la marche à suivre, s'encourageant mutuellement à la décision qu'ils allaient prendre après un entretien avec leur fille afin de connaître ses sentiments. Julietta leur parla avec emphase de Mr Dunst, expliquant avec une émotion sincère combien elle était éprise de lui et sûre de ses sentiments. Marianne et Brandon comprirent alors avec un pincement au cœur que leur fille aînée, leur fille chérie allait les quitter pour vivre une nouvelle vie.

Brandon avait ensuite eu la tâche de recevoir Mr Dunst et de lui donner sa bénédiction. Comme Beth quelques années auparavant, Julietta était ensuite venu trouver Brandon pour le remercier, en larmes, tandis qu'il la serrait contre son cœur, très ému. Marianne et Brandon avaient ainsi découvert la sensation étrange de bonheur et de tristesse que les parents éprouvent en voyant leur premier enfant quitter le nid familial. Quelques mois plus tard, c'était au tour d'Arthur, devenu avocat, de célébrer son mariage. Là encore, les Brandon eurent quelques difficultés à masquer leur peine à l'idée que leurs deux premiers-nés les quittaient presque en même temps pour voler de leurs propres ailes.

Cependant, Brandon était très fier du chemin parcouru par Arthur, qui avait souhaité faire des études de droit, sans toutefois négliger la musique. Marianne avait coutume de dire qu'il avait de l'or dans les mains et tous ceux qui avaient eu l'occasion d'écouter jouer Arthur Brandon étaient du même avis. Brandon et lui avaient souvent joué ensemble et composaient quelques pièces musicales. Brandon était fier de ses fils, avec qui il partageait de nombreuses activités et dont il observait le sérieux et la droiture avec fierté. S'il avait la fâcheuse tendance de veiller parfois sur ses filles au risque de les étouffer, il était plus en confiance avec ses fils, de par leur positon d'homme, et grâce à leur tempérament. Arthur s'était donc marié avec la fille cadette des Tilney, Cassandra, avec qui il s'était toujours très bien entendu. Leur amitié s'était muée en amour, à la manière de l'histoire entre Susan et Andrew.

Ces derniers n'avaient d'ailleurs pas longtemps nié l'évidence de leurs sentiments et à dix-huit ans, Susan avait eu la joie d'être fiancée à celui qu'elle avait toujours aimé, son seul et unique amour. Leur mariage avait été joyeux et un an plus tard, ils accueillaient leur premier enfant, faisant d'Elinor et Edward les jeunes grands-parents d'un petit William. Ils avaient eu moins de difficultés à assumer ce nouveau rôle que leur amie Emma Knightley. Sa fille aînée, Sybil, s'était mariée à un gentleman très respectable, doté d'une belle rente, et était devenue l'heureuse mère d'une petite fille. Emma n'avait pas fait preuve de beaucoup de joie au premier abord, ne se sentant pas assez âgée pour être une grand-mère respectable. De plus, celle qui n'avait pu donner d'héritier à son mari craignait que sa fille ne prenne le même chemin qu'elle et ne soit pas bien traitée par son époux.

Mr Knightley avait jugé la chose fort ridicule étant donné qu'il n'avait lui-même jamais reproché à Emma de ne pas avoir mis au monde de garçon. Il aimait ses deux adorables filles. Alice, la seconde, lui ressemblait beaucoup et lui et Emma se réjouissaient de l'avoir encore à la maison, aidant particulièrement Emma à accepter son statut de jeune grand-mère avec une jeune fille encore sous son toit. Alice était très proche d'Eloïse et semblait particulièrement sensible au charme d'Alan, mais le désintérêt manifeste du jeune homme pour le mariage la heurtait plus qu'elle n'aurait su le dire. Néanmoins, elle était prête à l'attendre, faute de n'éprouver de sentiments amoureux pour aucun autre gentleman.

La famille Knightley faisait ainsi partie des proches des Brandon et des Ferrars, bien que la paix avec ces derniers ait failli être mise à mal lorsque Sybil, très liée à Susan, avait jugé bon lui faire part de son avis concernant Andrew. Sybil espérait pour son amie un gentleman de situation supérieure et avait, comme sa mère avant elle, cherché à lui trouver un remplaçant. Susan, peu dupe, n'avait pas apprécié le jugement négatif que son amie portait sur l'homme qu'elle aimait et avait gardé ses distances avec Sybil pendant quelques mois. Lorsque la jeune fille était revenue avec une lettre pleine d'excuses, d'humilité et de vœux de bonheur, la paix entre les deux amies avait été rétablie.

Henry Ferrars avait quant à lui bien grandi et, outre sa passion pour les chevaux, il fut sensible à l'exemple de son père, clergyman apprécié de tous et manifestant de l'intérêt à ses ouailles. L'accompagnant souvent durant ses visites auprès des pauvres, Henry découvrit un autre monde qui lui plaisait autant que celui de l'équitation et c'est tout naturellement qu'il souhaita embrasser une voie ecclésiastique à son tour. Ses parents ne l'en dissuadèrent pas, mais l'incitèrent à bien réfléchir. Il était leur fils unique et pouvait choisir une direction plus en vue au sein de la société s'il le souhaitait.

Dans sa réflexion, Henry dut également prendre en compte l'amour que lui et Héléna Bingley se portaient. Leur douceur de caractère et leurs divers points communs mêlés à des retrouvailles fréquentes avaient joué un rôle dans cet attachement. Henry avait fait part à Héléna de son désir de devenir clergyman après ses études de droits et la jeune fille avait approuvé son ambition.

Cependant, au gré de diverses discussions, Henry comprenait que la jeune fille avait un nom à prendre en considération et ne pouvait guère se satisfaire d'une vie simple, ou du moins si elle le pouvait, Henry voulait être sûr qu'elle ne le regretterait pas. Il en fit part à la jeune fille, qui reçut la noblesse de son soupirant comme un affront à la constance et à la puissance de son amour. Les deux jeunes gens cessèrent dès lors de se voir aussi régulièrement qu'ils le faisaient, tous deux malheureux par la lutte qui se jouait entre leur raison et leurs sentiments.

Conscient des tumultes qui devaient habiter son fils, Edward avait longuement discuté avec lui. Rien n'empêchait Henry de venir en aide aux nécessiteux grâce à sa fonction de membre du barreau, puisque ses études de droit le destinaient à cela. Néanmoins, le salut vint en la personne de Mr Bingley. Sensible à la peine de sa fille et à la droiture d'Henry, il lui proposa de travailler pour lui en tant que son homme de loi une fois qu'il aurait achevé ses études. Son propre homme de loi se faisant vieux, la transition serait parfaite et assurerait une bonne position à Henry, qui pourrait ainsi épouser Héléna sans craindre de lui offrir un train de vie plus simple.

Henry accepta avec reconnaissance la proposition de Mr Bingley et le mariage avec Héléna fut célébré dès qu'il eut fini ses études. Elinor et Edward furent soulagés par un tel dénouement, craignant que leur fils ne passe à côté du bonheur en étant tiraillé par ses choix de vie. En devenant l'homme de loi de Mr Bingley, il s'assurait une bonne position dans la société et ne renonçait pas à son désir d'aider son prochain.

En effet, comme Mr Crawford avant lui, Henry demanda à Brandon quelques conseils pour mener à bien une entreprise de rénovation des maisons des gens du domaine des Bingley et de son propre domaine. Heureux de la prise de position de son neveu à ce sujet, Brandon l'aidait du mieux qu'il le pouvait dans ses projets.


« Ne crois-tu pas que Margaret aura déjà fort à faire avec Hermia ? demanda Brandon à Marianne. Elle risque de ne pas prêter une grande attention à Eloïse...

- Il est vrai qu'elle a tellement désiré Hermia que la voir à présent fiancée la tourmente beaucoup, mais ma sœur n'est pas une tante indigne ! s'exclama Marianne, choquée.

- Je n'ai pas dit cela, répondit Brandon d'un air d'excuse.

- C'était légèrement sous-entendu..., répliqua Marianne avec ironie.

- Non, je voulais juste dire que sa propre fille et son fiancé risquaient de l'accaparer et de faire passer Eloïse au second plan...

- Je ne suis pas d'accord. Et quand bien même, n'as-tu pas confiance en Eloïse ?

- Si !

- Tu n'as pas confiance en la moralité des Winslet ?

- Si... Quel est ton secret pour être aussi confiante, ma douce ? soupira Brandon en posant sa tête contre l'épaule de Marianne.

- Mon instinct maternel et mon passé, sans doute... Mes filles et moi avons de nombreuses discussions dont tu ignores tout et cela me permet de savoir ce qu'elles pourraient être capables de faire ou leurs faiblesses...

- Donc... Eloïse ne risque pas de s'enfuir en Écosse pour se marier ? demanda Brandon avec un petit sourire.

- Christopher ! s'exclama Marianne. Heureusement que ta fille ne t'entend pas ou elle t'en voudrais de ce manque de confiance !

- Me dénoncerais-tu ? demanda Brandon en renversant Marianne sur ses genoux.

- Non... Je tiens à préserver la paix, mais je pourrais te le faire payer, répliqua Marianne d'un air mutin.

- Sérieusement, je plaisantais. Notre fille nous aime trop pour nous causer une telle peine... et Mr Winslet est un jeune homme posé, semble-t-il.

- C'est mieux, colonel Brandon ! Et puis songe qu'Eloïse a la sage compagnie d'Ophelia... »


1820 - 1837. Orchideus Park.

Margaret et Nicholas avaient profité de leur première année de voyage pour découvrir un peu des lieux que la jeune fille rêvait de visiter depuis longtemps et étaient souvent en mer. Ainsi, outre l'Irlande et l'Italie, les Thornton avaient foulé les terres françaises, espagnoles et autrichiennes. Margaret n'aurait pu rêver mieux et s'était retrouvée enrichie de ces expériences nouvelles. Ces dernières lui avaient notamment donné l'inspiration nécessaire à l'écriture d'autres histoires qui lui avaient permis de remporter un certain succès.

Parallèlement, lors de leurs retours en Angleterre, les Thornton jouissaient d'une vie calme et agréable à Orchideus Park. Margaret avait peu à peu pris de l'assurance dans son rôle de maîtresse de maison et son amitié avec Barbara, jamais démentie, l'avait beaucoup aidé dans son rôle auprès des métayers de son domaine. Elle était grandement appréciée de ses gens et avait un grand attachement pour sa demeure et ses environs, dont elle prenait grand soin.

Ce temps passé à voyager et à laisser libre cours à son imagination, mêlé à une intimité et une complicité chaque jour plus grandissante avec son époux avait néanmoins subi une certaine usure. A près d'un an de mariage et sans enfant, Margaret commençait à craindre pour sa capacité à porter une vie en son sein. Cette prise de conscience brutale lorsqu'elle avait retrouvé ses sœurs et leurs familles l'avait fortement ébranlée et plongée dans un désespoir intense. Même Barbara, pourtant toujours là pour rassurer Margaret n'avait pu lui apporter du réconfort. Le fait qu'elle-même attendait son deuxième enfant n'y étant pas étranger.

Margaret avait pu compter sur les paroles encourageantes de sa mère et de ses sœurs, mais elle avait souhaité s'isoler un peu, la présence d'enfants autour d'elle ne faisant que raviver sa peine. Pourtant, Margaret avait un mari des plus attentionné et désireux de compenser le chagrin de sa femme par des marques d'affection toujours tendres. Mais la jeune femme avait besoin d'une personne qui la comprenne.

Seule Beth avait réussi à se faire écouter de Margaret, elle aussi ayant des difficultés à avoir un autre enfant. Les deux amies avaient pu mettre des mots sur leurs douleurs et s'encourager mutuellement. Leur joie avait été à son comble lorsqu'elle s'étaient rendues compte qu'elles attendaient un heureux événement à quelques jours d'intervalles. Ainsi, à près de deux ans de mariage, Margaret avait donné naissance à Hermia Marianne Barbara Thornton.

Puis les années passèrent, la petite Hermia grandit et attendit ses trois ans pour avoir une petite sœur, Ophelia. L'entente entre les deux sœurs était réjouissante et leurs parents s'en félicitèrent grandement, surtout au vu de leurs différences de caractère. Si Hermia était d'un tempérament passionné et extraverti, Ophelia était plus réservée et timide. L'une était aussi blonde que les blé, l'autre aussi brune que l'ébène. Margaret et Nicholas avaient souvent du refréner les ardeurs de leur aînée et encourager leur cadette qui souffrait d'un fort complexe d'infériorité face à sa sœur aînée. Les choses n'avaient pas été en s'arrangeant lorsque les deux sœurs étaient tombées amoureuses du même homme, le fils aîné de Lady Hathaway.

Ophelia s'était sentie contrainte de taire son amour pour lui devant l'ardeur avec laquelle Hermia en parlait, cette dernière annonçant ainsi à sa famille qu'elle était éprise de James Hathaway. Elinor, plus proche d'Ophelia, dont elle pouvait comprendre les émotions intérieures sous son apparence réservée, l'encouragea à se confier à elle et sut que sa jeune nièce souffrait, déchirée entre son amour pour sa sœur et celui qu'elle ressentait pour le fils Hathaway. Elle en avait instruit Margaret et la jeune femme et son époux prirent le soin de discuter avec leur fille afin de convenir de la marche à suivre pour l'aider à surmonter la situation. La solution fut trouvée lorsque Marianne, au courant de l'affaire, proposa à sa sœur d'emmener Ophelia dans le voyage qu'elle et sa famille devaient faire pour la France.

Ce voyage s'avéra être une excellente chose pour la jeune fille, qui revint deux mois plus tard, forte d'un enrichissement culturel important et d'une confiance en elle qui lui permit de revoir ses proches sans souffrir aux souvenirs de ce qui l'avait fait quitter l'Angleterre. Elle fut surprise de voir que sa sœur avait un tout autre jugement sur James Hathaway, se demandant pourquoi elle avait été amoureuse d'un homme qui ne lui accordait que peu d'attention et semblait attiré par la fille de Georgiana et Jonathan Spader. Marianne en avait profité pour discuter avec sa nièce, lui expliquant qu'elle lui ressemblait beaucoup lorsqu'elle était plus jeune et que davantage de maîtrise lui ferait le plus grand bien, ainsi qu'à son entourage.

Hermia étant une jeune fille sensible, elle ne mit pas longtemps à comprendre que sa sœur, si réservée, devait beaucoup souffrir et se tenir dans son ombre. Elle avait été rapidement la trouver et après avoir longuement parlé, les deux sœurs étaient plus soudées que jamais et s'entraidaient l'une et l'autre. Hermia engageait sa sœur à être moins réservée tandis qu'Ophelia lui apprenait à l'être un peu plus.

Ainsi, les deux sœurs s'aidèrent mutuellement à affronter les compagnies de James Hathaway et de Mary Spader, laissant le temps cicatriser leurs blessures. Celles-ci étaient heureusement superficielles pour Hermia, qui se rendit compte qu'elle s'était emportée plus loin qu'il ne le convenait pour une amourette passagère. Cette prise de conscience la fit réfléchir un temps sur ce qu'elle attendait de l'amour et elle en vint à la conclusion qu'elle n'était sans doute pas prête pour donner son cœur à un homme.

Margaret avait été soulagée d'entendre cette confession de la part de sa fille. Elle lui avait fait part de sa propre expérience avec Nicholas et cela avait rassuré Hermia, qui ne doutait plus de son bon choix. Cela étant, la vie réserve parfois quelques surprises, testant nos capacités à tenir les bonnes résolutions que nous nous étions fixées suite à une attente déçue ou une désillusion. Hermia vit ainsi ses bons objectifs réduits à néant lorsqu'elle fit plus amplement la connaissance de l'héritier des Wentworth.

La douceur et la maturité du gentleman la touchèrent tout comme sa tante avait été touchée par Brandon des décennies plus tôt. Pour la première fois, Hermia comprit ce qu'était l'amour et se félicita d'avoir modéré son comportement parfois emporté grâce à l'influence d'Ophelia. Cette dernière partageait le bonheur de sa sœur, qu'elle trouvait changée dans le meilleur sens du terme. Elle-même était plus enjouée, plus sociable avec les autres et cela lui avait permis de se lier d'amitié avec de nombreuses personnes.

Margaret et Nicholas avaient vu leurs filles évoluer et se félicitaient du chemin qu'elles prenaient. Ils se réjouissaient d'autant plus qu'elles veillaient à ne pas perdre leur humilité et à continuer de s'intéresser à leurs amis moins fortunés, après une période où Hermia, influencée par certaines relations londoniennes, avait estimé être au-dessus de tout cela.

Barbara et Alfred faisaient toujours autant de l'excellent travail au service des Thornton et Margaret veillait à maintenir son amitié avec Barbara. Elle avait craint les commérages, non par rapport à elle, mais par rapport à Barbara, qui ne souhaitait pas être vue comme un obstacle dans la montée sociale de Margaret. Cette dernière l'avait vivement reprise et avait été jusqu'à écrire un livre où elle prenait Barbara comme héroïne.

Par ce biais, elle espérait faire changer les mentalités, mais comme Nicholas le lui avait fait remarquer, cela ne risquait malheureusement pas d'avoir la portée que la jeune femme attendait. Néanmoins, cela eut le mérite de rassurer Barbara, qui se sentit très honorée. Les deux amies vécurent des joies et des peines communes, mais leur amitié resta inébranlable.

Nicholas était quant à lui un homme d'affaire prospère et très estimé et Margaret représentait sa source d'inspiration. Elle le guidait par des conseils toujours avisés après avoir douté de ses capacités à ce sujet et l'encourageait sans relâche. Leur mentalité avait mûri, mais ils étaient restés aussi complices et taquins que par le passé, se liguant parfois gentiment contre leurs filles lorsqu'elles faisaient quelque caprice.

Leurs rapports avec les Thornton restèrent au beau fixe et, passée la déception pour Mr Thornton de ne pas avoir de petit-fils, il fut très affectueux envers ses petites-filles, jusqu'à sa mort en 1836. Cette perte fut dévastatrice pour les Thornton, même si Nicholas et Margaret se ressaisirent le plus tôt possible afin de soutenir Mrs Thornton, profondément affligée. Mrs Dashwood leur prêta main forte, puisant dans sa propre expérience pour aider son amie à traverser cette douloureuse épreuve. Les deux femmes en vinrent ainsi à vivre toutes deux à Barton Cottage, où elles pouvaient se tenir compagnie et fuir la solitude, mais aussi avoir leurs enfants et leurs petits-enfants non loin d'elles. Hermia et Ophelia étaient très proches de leurs grands-mères et leur rendaient visite de façon quotidienne.

Le décès de son père poussa Nicholas Thornton à mettre certaines de ses affaires en retrait pour se consacrer plus pleinement à sa famille et trouva un appui en la personne d'Andrew Crawford, qui, gagnant sa vie grâce au commerce, lui apporta une aide bienvenue durant cette période. Margaret suivit quant à elle les divers conseils que lui donnèrent ses sœurs et décida qu'un voyage en famille les aideraient à retrouver une certaine paix dans leur cœur, un changement d'air ne pouvant qu'être bénéfique.

Son idée fut appréciée à sa juste valeur et eut l'effet escompté sur chacun d'eux. Ceci étant, peu de temps après leur retour, les Thornton n'eut guère l'esprit à ressasser leur peine puisque Tristan Wentworth fit sa demande en mariage à Hermia après des mois à lui faire la cour. Une nouvelle gaieté et fébrilité s'empara alors d'Orchideus Park et Margaret se vit souvent aux prises entre deux sentiments contraires, heureuse de voir le bonheur de sa fille et triste de la savoir bientôt loin d'elle...


Marianne et Brandon avaient terminé leur pique-nique et après quelques minutes où Brandon fit la lecture de quelques sonnets à Marianne, la tête de la jeune femme posée sur ses genoux, il s'arrêta pour la contempler. Elle avait peu changé en vingt ans. Quelques rides s'étaient installées au coin de ses yeux, et les commissures de ses lèvres étaient un peu marquées. Pourtant, elle restait la même. Le même regard pétillant lorsqu'elle avait de bonnes nouvelles ou était simplement heureuse, le même regard amoureux dès qu'elle posait les yeux sur lui, le même regard empli de tendresse quand ses enfants étaient auprès d'elle... Il y avait pourtant une certaine maturité dans ses yeux désormais, due à l'expérience. Pour toutes ces petites choses nouvelles, Brandon trouvait Marianne embellie et épanouie.

Lui-même avait vu son visage se marquer par les années écoulées, mais Marianne n'avait jamais changé dans sa manière de l'aimer. Chaque matin, il avait le bonheur de se réveiller à ses côtés et si ce n'était pas lui qui la contemplait avant qu'elle ne sorte du sommeil, c'était elle qui l'observait et le couvrait de baisers jusqu'à ce qu'il ouvre les yeux. Si la différence d'âge existant entre eux était flagrante au premier abord vingt ans plus tôt, aujourd'hui il n'en était rien. Les Brandon étaient considérés comme des égaux au premier regard, la maturité de Marianne estompant leur écart d'âge. Brandon avait par ailleurs peu changé et conservait une certaine jeunesse grâce à Marianne.

Cette dernière vivait cette nouvelle ère avec un certain soulagement. En effet, si les commentaires agréablement surpris au sujet de leur complicité malgré leur écart d'âge l'avaient réjoui, elle avait éprouvé beaucoup de lassitude à devoir faire face à ceux qui se montraient plus sceptiques. Lors du bal des Cox, en 1819, sa rencontre avec Mrs Forster, jeune épouse du colonel Forster, l'avait vivement touchée. Mrs Forster était peu heureuse dans son mariage, s'étant mariée par intérêt et par un certain attrait pour l'uniforme. Elle avait tout d'abord était surprise par la complicité existant entre Marianne et Brandon avant de lui demander si elle n'avait pas la sensation d'être utilisée pour parader avec un mari plus âgé dans les salons afin qu'il suscite l'envie des gentlemen. Marianne avait été choquée et lui avait répondu avec toute son impétuosité que sa relation avec Brandon ne reposait aucunement sur des motifs aussi frivoles.

Mrs Forster avait été ébranlée par cet aveu et s'était mise à pleurer, confiant à Marianne que malgré toute la gentillesse de son mari, elle ne l'aimait pas comme elle aurait aimé vivre cet amour tant idéalisé. Marianne avait été gênée de l'entendre se confier à elle alors qu'elles ne se connaissaient pas, mais elle était restée polie et avait tenté de consoler la jeune femme du mieux qu'elle le pouvait. Cette mésaventure lui avait fait plus pleinement prendre conscience du caractère surprenant de sa relation avec Brandon. Une complicité entre mari et femme ayant sensiblement le même âge n'a rien d'étonnant pour peu qu'ils s'aiment, une même complicité entre un homme et son épouse plus jeune que lui interpellera toujours même s'ils s'aiment.

Si cela était possible, cette prise de conscience la rendit d'autant plus amoureuse de Brandon et la fit davantage chérir la chance qu'elle avait. Le reste de la soirée s'était déroulée avec davantage de légèreté et Marianne avait rarement quitté son mari, avec qui ils avaient fait la connaissance des Wentworth et avaient noué de solides liens d'amitié avec eux.

« A quoi penses-tu, mon chéri ? demanda Marianne, la tête toujours posée sur les genoux de Brandon.

- Je pense... que même si je vivrai difficilement le jour où nos deux derniers enfants quitteront le nid, tu seras enfin à nouveau toute à moi, répondit Brandon en souriant.

- Je ne pense pas t'avoir négligé pendant ces vingt dernières années pourtant... » répliqua Marianne d'un air mutin en attirant Brandon à elle.

Brandon sourit et l'embrassa. En effet, il ne pouvait guère faire de reproches à Marianne sur ce point, la jeune femme ayant réussi à trouver l'équilibre entre son rôle de mère et celui d'épouse. Brandon ne comptait plus les fois où elle l'avait surpris par un baiser volé, une caresse ou des réveils pleins de surprise, comme la fois où, profitant du sommeil de Brandon, elle avait couvert leur lit de pétales de rose avant d'en disperser jusqu'à la nursery pour lui annoncer sa cinquième grossesse.

« Et donc... une fois qu' Alan et Eloïse quitteront le nid, as-tu quelques projets pour nous deux ? demanda Marianne en entourant le cou de Brandon de ses bras.

- Bien sûr... Je pense qu'un troisième voyage en Italie s'imposera... afin de nous permettre de retrouver une certaine jeunesse... Sauf pour toi qui es toujours aussi jeune, ajouta Brandon d'un air taquin.

- Très drôle ! »

Cinq ans auparavant, Brandon et Marianne avaient décidé d'emmener leurs enfants en Italie, afin qu'ils puissent à leur tour découvrir les joies et les plaisirs de la vie latine. Ce voyage avait été couronné de succès, les enfants tombant amoureux de l'Italie, avec une préférence différente pour divers endroits. Si Julietta avait aimé la Toscane, Eloïse avait adoré Venise et ses promenades en gondoles, tandis qu'Arthur et Alan avaient eu une préférence pour Rome et Sienne, cette dernière plus particulièrement pour le Palio. Voyant leur passion pour les chevaux s'affirmer, Brandon les y avait emmené, ainsi que ses deux filles, qui partageaient également cet amour pour les chevaux.

Les Brandon n'étaient pas seulement allés en Italie, mais avaient fait plusieurs voyages pour la France où ils avaient fait connaissance avec la cousine de Brandon, Fanny de Rosebourg, et certains membres de la famille des Whitaker. Brandon avait ainsi tenu sa promesse de faire découvrir Paris à Marianne et la jeune femme avait grandement apprécié cette visite des plus beaux endroits de la capitale française. Elle avait été particulièrement impressionnée par la cathédrale de Notre-Dame, et avait aimé sa visite au musée du Louvre avec toutes les beautés qu'il comportait. Les de Rosebourg s'étaient également fait un devoir d'emmener pratiquement tous les soirs les Brandon au théâtre. En dépit de toutes ces agréables découvertes, la préférence de Marianne était toute acquise à l'Italie, qu'elle trouvait plus lumineuse et à qui elle conférait un attachement sentimental.

« Je suis d'accord avec cette excellente idée ! répondit Marianne avec enthousiasme. L'Italie me manquait et comme tu le dis, cela nous rappellera quelques souvenirs de notre voyage de noces. D'ailleurs... je pense que nous aurons bien besoin de nous sentir jeunes..., ajouta-t-elle en rosissant.

- Que veux-tu dire ?

- Juste avant que nous partions, j'ai reçu une lettre de Julietta, répondit Marianne avec un petit sourire.

- Comment va-t-elle ? Pourquoi ne me l'as-tu pas lu ?

- Si je ne te l'ai pas lu ce matin c'est parce que je voulais profiter des quelques moments où nous resterions concentrés sur nous et non sur nos enfants, mais tu as été le premier à transgresser cette règle... Oui, notre fille va bien... quoi qu'un peu malade ces derniers temps...

- Malade ? s'alarma Brandon. Oh... ! s'exclama-t-il alors en voyant le regard de Marianne.

- Notre Julietta attend un heureux événement, déclara Marianne d'une voix qu'elle n'arrivait plus à contenir.

- Mon Dieu... ! »

Touchée par l'émotion de son mari, Marianne le serra dans ses bras, laissant elle-même couler quelques larmes.

« Notre petite Julietta va avoir un bébé... Notre enfant va avoir un enfant..., répéta Brandon, abasourdi.

- Oui... Nous allons être grands-parents... Mon Dieu ! Comme cela sonne étrange ! s'exclama Marianne en riant à travers ses larmes.

- En effet... !

- Je comprends mieux ce qu'a pu ressentir Elinor lorsque Susan lui a annoncé sa grossesse !

- Et voilà pourquoi tu as mis un certain temps avant de descendre... Je t'ai trouvé les yeux brillants, et je pensais naïvement que c'était du au fait de te retrouver avec moi dans ce lieu, remarqua Brandon.

- Je ne devais pas te montrer que j'avais pleuré, sourit Marianne. Et tu es une mauvaise langue ! Tu sais que je suis toujours heureuse de passer ce jour ici avec toi chaque année, ajouta-t-elle en embrassant Brandon.

- Je le sais, mais j'aime à me l'entendre rappeler... Après tout, je vais bientôt devenir grand-père, répondit Brandon d'un air amusé, faisant éclater de rire Marianne.

- Oui, mais je tiens à vous rappeler qu'avant tout, vous êtes mon mari, colonel Brandon et qu'en tant que tel, je peux exiger de vous certains devoirs ! répliqua Marianne en capturant le menton de son mari entre son pouce et son index.

- Vraiment ? Et quels sont-ils ? s'enquit Brandon.

- Eh bien... Continuer à me faire croire que je suis éternellement jeune, comme vous me l'avez promis.

- Cela ne devrait pas être compliqué, commenta Brandon en hochant la tête.

- Ensuite... que vous ne cessiez jamais de me surprendre et de me faire rire comme vous savez si bien le faire depuis notre mariage.

- Vous en demandez beaucoup, Mrs Brandon ! Est-ce tout ?

- Non... Que tu continues à m'aimer comme tu le fais si bien..., répondit Marianne en caressant les cheveux de Brandon.

- Cela n'est pas un devoir, mais un besoin vital, ma douce..., murmura-t-il à l'oreille de Marianne.

- Même lorsque je serais une grand-mère ? demanda-t-elle en fermant les yeux, troublée par la sensation du souffle de Brandon sur son oreille.

- Toujours... Du moment que tu restes mon épouse lorsque nous sommes seuls, répondit Brandon en continuant ses baisers.

- Est-ce que ceci représente une preuve suffisante à tes yeux ? demanda Marianne avant d'embrasser Brandon.

Elle y mit tant de passion qu'elle fit perdre l'équilibre à Brandon, les faisant se retrouver allongés sur la nappe. Ils éclatèrent de rire et se blottirent l'un contre l'autre.

« Des preuves telles que celle-ci, j'en redemande, ma douce... » murmura Brandon, une lueur malicieuse dans le regard.


1844. Delaford.

Marianne et Brandon se promenaient main dans la main dans le hall ensoleillé de Delaford où étaient exposés les portraits de famille, véritable galerie qui s'était agrandie au fil des années. Ils dévisagèrent avec attention chacun de ces portraits qui représentaient des personnes qui leur étaient chères et qui avaient les yeux braqués sur eux. Leurs parents, Elinor et Edward, Susan et Henry, ainsi que leurs conjoints et leurs enfants ; Margaret et Nicholas, Hermia et Ophelia et leur famille respective ; les Whitaker et les Crawford.

Puis Marianne et Brandon s'arrêtèrent devant les portraits les représentant. Tous les dix ans, ils avaient fait réaliser un portrait où ils posaient ensemble. Ils n'en avaient que deux et deux autres où ils posaient séparément. Les suivants les firent sourire puisqu'ils les représentaient entourés de leurs enfants lorsqu'ils étaient petits, puis lorsqu'ils étaient près de l'âge adulte.

Leurs enfants occupaient d'ailleurs une grande place dans cette galerie. A des âges différents, seuls ou ensemble, ils étaient là, comme figés dans le temps, souriant à leurs parents. Ces derniers se sentirent très émus en voyant les portraits représentant leurs enfants avec leurs conjoints. Conformément à ce qu'ils avaient souhaité pour eux, leurs enfants avaient fait des mariages d'amour et les Brandon ressentaient du soulagement, songeant que leur rôle de parent avait atteint son objectif, même s'il ne prendrai véritablement fin qu'à leur mort.

Brandon et Marianne passèrent devant les portraits de Julietta avec son mari et leurs enfants, puis devant celui d'Arthur avec Cassandra et leurs fils. Ils ne purent s'empêcher de sourire devant celui d'Alan et de sa famille. En effet, Alan avait épousé Alice Knightley une fois ses études terminées et après avoir obtenu une bonne positon dans ses affaires. La jeune fille avait fait preuve de patience, trouvant du réconfort dans les dessins que lui faisait parvenir Alan chaque mois en gage de son amour. Le jeune homme était peut-être un rêveur, mais il tenait à avoir une bonne situation avant de prendre femme. Il eut la satisfaction de voir son attente récompensée deux ans après qu'il eut achevé ses études et Alice se sentit la femme la plus comblée au monde lorsqu'elle fut enfin appelé Mrs Alice Brandon.

Marianne et Brandon étaient d'ailleurs ravis des conjoints choisis par leurs enfants. Ils s'appréciaient beaucoup et du moment qu'ils faisaient le bonheur de leurs enfants, les choses ne pouvaient que bien se dérouler, le fait d'avoir connu leurs gendres et leurs belles-filles pour la plupart lorsqu'ils étaient enfants, aidant aussi grandement à cette cordiale entente. Parmi les couples, la même harmonie subsistait, malgré quelques petites maladresses sans importance entre certains du fait de leurs tempéraments si variés.

« Où mettons-nous ce portrait-là, colonel Brandon ? demanda Thomas.

- Ici, à côté des portraits d'Éloïse et de son mari... »

Marianne serra plus étroitement la main de Brandon lorsqu'ils virent le portrait du fils d'Eloïse et Anthony Winslet leur faire face. Leur petite dernière avait mis au monde son premier enfant un an auparavant, leurs petits-enfants se retrouvant désormais au nombre de six. Comme l'avait fait remarquer Brandon à ses enfants un jour où ils étaient tous réunis à Delaford, leur rôle de grands-parents était fort agréable, les inquiétudes liées à celui de parents étant désormais derrière eux à présent que leurs enfants étaient tous bien établis et heureux. Ils conservaient bien évidemment une certaine angoisse lorsque leurs filles et leurs belles-filles attendaient un heureux événement, craignant toujours une complication, mais ils avaient le beau rôle auprès de leurs petits-enfants, qui, pour les plus grands, aimaient se retrouver avec eux à Delaford afin de partager de bons moments.

Marianne et Brandon retrouvaient une certaine jeunesse avec autant d'enfants autour d'eux et rien ne leur faisait plus plaisir que d'avoir le manoir rempli par leurs enfants et leurs petits-enfants. Ils donnaient de nombreux repas de famille, auxquels se joignaient dès que possible les Ferrars et leurs enfants, les Thornton et leurs filles, ainsi que Mrs Dashwood et Mrs Thornton. Marianne se sentait véritablement heureuse dans ces moments-là, au-milieu des gens qu'elle aimait, un enfant dans les bras, les autres jouant et riant bruyamment autour d'elle, tandis qu'elle conversait avec sa mère et ses sœurs et croisait quelques fois le regard de Brandon posé sur elle.

Ils avaient eu l'occasion de se retrouver tous réunis un an plus tôt lors du mariage d'Ophelia avec l'héritier des Darcy. La jeune fille avait longtemps songé à rester auprès de ses parents, ou même à entrer au couvent, mais leurs nombreuses invitations avec les Darcy et les tentatives d'Hermia pour favoriser cette union mêlées aux remarques de Margaret et de Mrs Darcy eurent raison de ses projets.

Le jeune homme avait été séduit par sa discrétion et ses nombreuses qualités de cœur et d'esprit, et lui avait fait sa déclaration, encouragé par ses parents qui se trouvaient être agréablement surpris de son choix. Ophelia avait désormais un train de vie nouveau et différent de celui qu'elle connaissait, mais elle tâchait de s'en acclimater et avait l'aide de ses proches et de sa belle-famille pour se prendre davantage au jeu mondain sans perdre sa personnalité.

Les hivers à Londres faisaient partis des rares moments que les Brandon pouvaient passer avec toute leur famille, se retrouvant fréquemment chez les uns ou chez les autres, assistant avec émotion à l'ascension sociale de la nouvelle génération de leur famille. Ils formaient un cercle familial très respecté et apprécié dans les salons en raison des diverses familles qui le composait.

Cependant, s'ils ne pouvaient se voir aussi souvent en-dehors de la Saison, les Brandon veillaient à ce qu'ils soient tous présents à Delaford au moins une semaine en été afin de profiter des délices du domaine en famille. En attendant ces moments, Marianne pouvait jouir de la compagnie de ses sœurs, essentiellement de celle d'Elinor, résidant plus près du manoir. Leur affection ne s'était jamais démentie et se renforçait davantage à mesure que les années passaient, les confrontant aux mêmes craintes et aux mêmes espoirs. Leurs sujets de conversation tournaient essentiellement autour de leurs enfants et de leurs époux, de leur mère, de leur vie présente et de leurs projets à venir. Le dernier en date ne pouvait que les rendre joyeuses puisqu'il concernait un voyage en Italie que les Brandon désiraient offrir aux Ferrars pour leur trentième anniversaire de mariage.

Marianne Dashwood était née pour un destin extraordinaire et sa vie en avait attesté. Elle avait appris à se concentrer sur l'avenir, reléguant le passé au rang de doux souvenirs dans lesquels elle ne se plongeait plus avec autant d'ardeur qu'auparavant. Elle avait compté plus de joies et de bonheur, d'amour et de rires que de peines et de larmes. Elle savait ce qu'était la félicité et ne désirait à présent rien de plus que la quiétude et la présence de sa famille à ses côtés.

Elle regarda son mari avec tendresse, observant ses rides au coin des yeux tandis qu'il souriait devant le portrait de sa fille et de son petit-fils. Il avait chassé les fantômes de son passé depuis des décennies, ayant ouvert son cœur à une nouvelle vie auprès de Marianne et de leurs enfants. Leur amour indéfectible était une force qui ne désemplissait pas et leur faisait envisager l'avenir avec sérénité.

« Je crois entendre la voiture, ma douce, déclara soudain Brandon en tournant la tête vers la porte d'entrée.

- Si tôt ? Ce doit être Arthur... Les autres arriveront comme toujours à l'heure... sauf Eloïse bien entendu ! rit Marianne en faisant allusion au défaut de ponctualité de sa benjamine.

- Prends garde que je ne lui rapporte tes propos, répliqua Brandon d'un air rieur. Tu sais combien ta fille est susceptible...

- Ma fille ? Il me semble qu'elle est tout autant à vous qu'à moi, colonel Brandon !

- Je n'ai pas dit le contraire. Mais elle a hérité de tes adorables petits défauts et de mes grandes qualités, répondit Brandon en prenant un air digne.

- La modestie fait sûrement partie des qualités qu'elle a oublié de te rendre ! rit Marianne. Viens, allons les rejoindre ! »

Marianne allait partir en direction du perron lorsque Brandon la retint par le bras et la fit revenir vers lui avant de déposer un tendre baiser sur ses lèvres.

« Pour que tu ne m'oublies pas en attendant de t'avoir à nouveau rien que pour moi... » murmura Brandon.

Marianne lui sourit et lui rendit son baiser.

« Tu peux être rassuré, car s'il y a bien une chose dont je suis sûre, c'est que je ne pourrais jamais t'oublier, mon amour... » répondit-elle dans un souffle.

Ils échangèrent un regard et se mirent à rire en entendant les voix excitées qui leur parvenaient du perron. Puis Marianne prit le bras que Brandon lui tendait et, radieux, ils allèrent accueillir leurs enfants.


FIN