CHAPITRE 1 : Requiem pour un anniversaire

« Bon anniversaire ! »

En règle général, je ne suis pas un grand amateur de soirées d'anniversaire, surtout quand ça me concerne directement. Mais lorsque c'est ma cousine Lily qui me sert dans ses bras, je crois que je peux bien faire des concessions.

Elle m'embrasse sur la joue et, bien malgré moi, je me sens rougir. A quelques pas, James se met à applaudir et à siffler. Celui-là, à dix-neuf ans passés, il a largement oublié de grandir. Mais il me fait rire. Depuis qu'il est tout petit, il s'emploie à amuser les gens. Au grand dam de mon oncle Harry, je dois l'avouer.

« Hé ! Tes cheveux sont tout rouges ! »

Ah oui, mes cheveux. Entre autres… A la réflexion de mon cousin, je me concentre pour leur redonner leur couleur habituelle, châtain clair. Etre métamorphomage, ça comporte quelques avantages, surtout lors de soirées costumées, mais au quotidien, c'est une vraie plaie. Quand j'étais adolescent, j'aimais donner à mes cheveux une teinte turquoise. Mais depuis que je suis entré en internat à Sainte Mangouste, on m'a fait comprendre qu'une tenue correcte était de rigueur.

Lily me tend son cadeau, me tirant de mes pensées. Je saisis en souriant le paquet recouvert d'un emballage doré et jette un œil autour de moi. La tradition familiale veut que l'on fête chaque anniversaire au Terrier. Bien que je n'appartienne pas réellement à la famille, Molly n'a jamais accepté que je déroge à la règle.

Pour l'heure, nous sommes dans le salon. Quelques bûches crépitent dans la cheminée mais il ne fait pas particulièrement froid. Cette année, l'été s'annonce précoce. Mais comme le dit souvent oncle Harry, en Angleterre, l'été ne dure jamais bien longtemps.

La majeure partie des membres de la famille est réunie là. Grand-mère Molly, bien sûr que je nomme ainsi, comme tous les autres, mais qui n'est en aucun cas ma grand-mère. La mort de l'un de ses fils, l'année de ma naissance, l'a vieilli prématurément. D'après quelques vieilles photos, j'ai pu constater qu'elle avait jadis eu la tignasse rousse des Weasley. Ses cheveux sont maintenant d'un blanc neigeux. Grand-mère Molly est une petite femme au visage ridé et au dos voûté. Elle s'efforce de sourire mais je sais que la disparition de mon oncle Fred a marqué le début de sa déchéance. La mort de grand-père Arthur, il y a deux ans, l'a profondément ébranlée également.

Une maladie stupide. Du reste, toutes les maladies sont toujours stupides. Malgré tout ce qu'il a vécu et son acharnement légendaire, grand-père Arthur n'a pas pu faire face à la variole du dragon. Lorsque l'épidémie s'est déclarée, ça a fait beaucoup de bruit. C'est vrai qu'à l'université, j'avais appris qu'elle avait disparu de la surface de la Terre. Une bien grande leçon d'humilité, n'est-ce pas ? Lorsqu'il est question de magie, on ne peut jamais être sûr de rien.

Une bonne partie des membres de la famille est donc là. Ne manquent que oncle Charlie, actuellement en déplacement en Roumanie et Victoire.

A la pensée de ma cousine qui ne l'est pas réellement, mon cœur fait un bond dans ma poitrine. J'ai déconné avec Victoire et je l'ai payé très cher. Nous sommes sortis ensemble pendant presque quatre ans. Aah ! Quatre années à la fois si longues et si courtes. J'ai déconné parce que je l'ai laissée filer. Elle est partie en France pour étudier les plantes méditerranéennes. Plongé dans mes études de médicomagie, je lui ai toujours promis de la rejoindre mais j'ai sans cesse repoussé l'échéance. Jusqu'au jour où elle a rencontré quelqu'un d'autre.

Victoire n'est jamais rentrée de France en fait. Elle m'a envoyé une lettre pour signifier notre rupture. Une simple lettre. Cher Teddy, tu sais que je tiens tout particulièrement à toi mais j'ai besoin de voir d'autres horizons. Je t'ai attendu des nuits et des jours durant, croisant les doigts pour que le matin suivant soit celui qui t'amènerait sur le pas de ma porte. Tu n'es jamais venu et le temps a filé. Aujourd'hui, j'ai rencontré un garçon. C'est quelqu'un de bien et je suis sûre que tu t'entendrais à merveille avec lui…

Mes yeux me brûlent tout à coup. Victoire… Les quelques nouvelles que je reçois me viennent des autres membres de la famille. Je fais de mon mieux pour faire bonne figure mais chaque information est un coup de poignard que je reçois en plein cœur.

« Tu n'ouvres pas ton cadeau ? Je vais finir par être vexée. »

Quelques rires fusent autour de nous et je reprends pieds dans la réalité. Tous les regards sont braqués sur moi. Mais ce sont les yeux verts de Lily qui me décident à quitter ma torpeur. Ma jeune cousine vient d'avoir quinze ans. C'est le portrait craché de ma tante Ginny, la même chevelure flamboyante, la même fougue, la même hargne lorsqu'elle se lance dans une nouvelle entreprise. Sa seule différence avec sa mère est qu'elle a le vertige et qu'elle déteste monter sur un balai. Comme quoi, on n'est pas toujours tenus de ressembler à nos parents.

D'ailleurs, tandis que je déchire le papier doré du paquet cadeau, je songe qu'il manque deux autres personnes à notre petite réunion familiale, deux personnes qui ont toujours manqué et qui, finalement, manqueront toujours.

Mes parents.

Je ne les ai jamais connu. Ils sont morts quelques mois après ma naissance, sacrifiés pour la bonne cause. Quand j'étais enfant, j'ai écouté avec avidité et fierté les récits de leurs actes héroïques lors de la grande bataille. A vingt-cinq ans, je reconsidère les choses. Je ne considère plus leur mort comme un sacrifice volontaire mais comme une affreuse ironie du destin, la volonté d'une force supérieure et cruelle.

Une fois le papier entièrement déchiré, je tiens dans mes mains un écrin de bois finement travaillé. Je l'ouvre délicatement et ne peut réprimer un éclat de rire auquel Lily fait écho. Ma cousine est merveilleuse. De tous les membres de la famille, je crois que c'est d'elle que je suis le plus proche. Ça peut sembler étrange dans la mesure où nous avons dix ans d'écart mais j'ai parfois l'impression qu'elle seule est en mesure de comprendre mon combat et ma détresse. Elle est également la seule à se rendre compte que ma rupture d'avec Victoire, il y a trois ans, m'a profondément marqué.

« Est-ce que ça te plaît ? »

J'agrippe ma cousine par l'épaule, l'attire à moi et dépose un baiser sur son front.

« C'est fantastique, Lily. Tu ne pouvais pas mieux trouver.

_ Je sais. Tu crois peut-être que je ne te connais pas ? »

J'éclate de rire et tends l'écrin à Hugo qui tente de se dévisser le cou pour mieux voir. Il le saisit à pleines mains, observe l'objet sous tous ses angles.

« Qu'est-ce que c'est ? »

Je m'éloigne de Lily, saisis la petite perle d'un noir de jais.

« Ça, mon très cher cousin, c'est un Œil de Gobelin.

_ Un œil ? »

Au ton de sa voix, je devine qu'il est sceptique. Tante Hermione vole à mon secours. Elle tend la main, et je dépose la perle au creux de sa paume. Elle n'est pas très grande, à peine la taille de l'ongle de mon pouce et je me dis qu'il faudra que j'y fasse particulièrement attention, qu'il ne me faudrait pas grand-chose pour la perdre.

Hermione la lève à hauteur de ses yeux. La lumière ne se reflète pas sur sa surface, ce qui donne une curieuse impression de vide.

« L'Oeil de Gobelin fait partie des pierres semi-précieuses et semi-magiques, énonce-t-elle de sa voix professorale que nous lui connaissons tous. On dit qu'il n'en existe qu'une centaine au monde mais en réalité plus d'un millier ont été découvertes au cours des cinquante dernières années.

_ A quoi est-ce que ça sert ? demanda Hugo en dévorant la pierre des yeux.

_ Eh bien personne ne le sait réellement. On raconte que ça permet d'affiner les sens mais j'ai entendu dire également que ça rendait invisible. »

Hermione remet la perle dans l'écrin et me la tend. Déçu, Hugo enfonce les mains dans les poches de ses vêtements moldus. Il est le digne fils d'Hermione, toujours avide de tout savoir, de tout comprendre. A Poudlard, c'est un élève exemplaire, cité au tableau d'honneur par tous ses professeurs. Cette année, il a même été nommé préfet.

« Comment est-ce que tu as réussi à te procurer ça, Lily ? »

Elle m'envoie un clin d'œil en guise de réponse. Je sais que les enfants qui sont encore scolarisés à Poudlard ont eu une autorisation spéciale de sortie pour le week-end afin de rencontrer toute la famille. Je sais aussi que suite à quelques désagréments, l'année dernière, Lily n'a pas eu l'autorisation cette année d'aller à Pré-Au-Lard. Donc, comment a-t-elle fait pour se procurer un Œil de Gobelin sans avoir quitté les murs de Poudlard ?

« C'est un secret, ça gâcherait tout si tu l'apprenais.

_ Lily, répliqua Harry d'un ton mi-amusé mi-inquiet, j'espère pour toi que tu n'as pas encore désobéi. »

A ces mots, oncle Ron éclate de rire. Parfois, lorsque je les vois tous les deux, j'envie la complicité qui les unit. Ils ont vécu tant de choses ensemble que ce qui peut leur sembler banal et évident est en réalité un mystère total pour les autres membres de la famille.

Certains se contentent de sourire, comme s'ils avaient compris mais d'autres glissent immédiatement sur d'autres sujets. Tandis que le gâteau est amené, découpé et partagé, je tente de questionner un peu plus ma cousine.

« Lily, ton cadeau me fait vraiment plaisir mais… ça a dû te coûter une fortune. »

Les yeux verts de Lily brillent de satisfaction. Elle s'amuse tout particulièrement de la situation.

« C'était ce que tu voulais, n'est-ce pas ? »

J'acquiesce en riant. Oui, ça remonte à une conversation que nous avons eu au début des vacances de Noël. J'avais confié à Lily que la médicomagie demande tellement d'aptitudes que je rêvais de posséder un Œil de Gobelin pour avoir la moindre chance de décrocher mon diplôme.

« Allez, dis-moi comment tu t'es débrouillée. »

Lily se ressert un morceau de gâteau et plante sa cuiller dans la crème fouettée. Ses longs cheveux roux retombent de part et d'autre de son visage moucheté de taches de rousseur. C'est une très jolie fille et j'ai du mal de croire qu'à son âge, elle n'a pas encore de petit-ami. Bon, je sais que lorsque ce sera le cas, je risque fort de faire une grosse crise de jalousie. Non pas que je sois particulièrement attiré par elle, non, mais c'est un peu comme ma petite sœur. Et comme tous les grands frères du monde, je suis surprotecteur envers elle. J'aimerais qu'elle puisse garder toute son innocence, toute sa pureté.

Quoiqu'à voir son air ravi, je suis prêt à parier qu'il n'y a rien d'innocent dans la façon dont elle s'est procurée la perle.

« Je te le dirais peut-être, Teddy, finit-elle par dire entre deux bouchées de gâteau. Un jour. Quand j'en aurais envie. Ou alors il faudrait que tu… »

Elle est coupée par des coups tapés contre la fenêtre. Dehors, dans l'obscurité du soir tombant, une grosse chouette d'une brun pâle tape du bec contre le carreau. A sa patte, une enveloppe est accrochée avec une ruban violet.

Cassiopée. Je me lève précipitamment de mon fauteuil et m'empresse d'ouvrir. Dans un grand battement d'ailes, la chouette quitte son perchoir pour venir s'installer sur mon épaule. Je dénoue délicatement le ruban.

« Est-ce que tu connais cet oiseau ? » me demande grand-mère Molly.

Je saisis l'enveloppe et lis l'adresse :

Teddy Remus Lupin

Le Terrier, Loutry Sainte Chaspoule

En pleine fête d'anniversaire

Sûr que je connais cet oiseau et sûr que je connais cette écriture aussi. Un sourire vient se dessiner sur mes lèvres.

« C'est Cassiopée, dis-je, la chouette de Isobail. Mais… je croyais qu'elle était de garde aujourd'hui. »

Je fronce les sourcils tout en décachetant la lettre. Isobail Healsaver est celle que j'appelle ma binôme. Elle est moi avons passé nos examens d'entrée à l'internat en même temps. Nous avons fréquentés les mêmes salles de classe, avons connu les mêmes galères et nous sommes retrouvés dans le même service bien qu'elle appartienne à l'équipe de dépistage et moi à celle de diagnostic.

Le parchemin est à l'en-tête de l'hôpital Sainte Mangouste et l'encre utilisée est noire, d'une qualité assez médiocre. Rien à voir avec les encres violettes dont Isobail se sert toujours pour son courrier.

Teddy,

Tout d'abord, joyeux vingt-cinquième anniversaire. Je sais que je te dérange en pleine sauterie et que tu es en compagnie de ta famille mais j'ai terriblement besoin de toi ce soir. Je crois qu'il vaut mieux que je n'en dise pas plus mais… s'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît, je ne m'en sortirais pas sans toi. Je suis désespérée, à l'aide,

Iso.

« Cette petite a un faible pour toi, carillonne grand-mère Molly dans mon dos. Quand est-ce que tu vas te décider à l'inviter à souper ? »

Mes cheveux changent brusquement de couleur pour virer au rouge. Un picotement de gêne me parcourt la nuque. Voilà le grand désagrément des métamorphomages, il est quasi-impossible de masquer ses émotions. J'entends des rires s'élever tout autour de moi.

« Je suis désolé, dis-je en pliant la lettre et en l'enfouissant au fond de ma poche, mais je vais devoir vous laisser là.

_ Oh, s'exclame Ginny déçue, ils ne peuvent pas te laisser libre le soir de ton anniversaire ? »

J'allais leur dire que Isobail réclamait mon aide et que, lorsqu'elle le fait, c'est réellement parce qu'elle a des problèmes mais, en réalité, tante Ginny m'offre la possibilité de m'en sortir sans avoir à subir les railleries ou les regards entendus de mes oncles, tantes et cousins. Je prends une mine contrite, force même mes cheveux à brunir pour me donner un air sombre et profondément malheureux et secoue la tête.

« Non, je suis désolé. L'un des guérisseurs a eu un empêchement. Vous avez ce que c'est, quand c'est comme ça, ce sont les internes que l'on va chercher. »

J'affronte leurs mines déçues, acquiesce devant leurs protestations et enfile ma veste. Je plonge l'écrin de l'Oeil de Gobelin dans la poche intérieure, saisis mon balai et, avec un signe de la main, l'enfourche.

Dans les secondes qui suivent, le vent zoome dans mes oreilles, ébouriffant mes cheveux. Cassiopée vole à quelques mètres de moi, ouvrant la voie bien que je connaisse le chemin par cœur.