Chapitre 1 : turn and face the strange

Un éclat de lumière, une éclaboussure d'ombre, le chatoiement d'une flamme sur une dorure. Une légère odeur de cire et de fumée, de vieilles pierres, d'un peu d'humidité également. L'odeur de la joie et celle aussi de l'angoisse. J'aime bien l'odeur de l'angoisse bien que je n'ai de cesse de le nier. L'angoisse me fait frémir, réveille en moi certains instincts…

On me pousse du coude, je lève les yeux.

« Reste avec nous, Lunard. »

J'étouffe un bâillement et décoche un petit sourire à Sirius. Lui aussi a l'air de s'ennuyer ferme. La cérémonie de répartition des premières années et censée être quelque chose d'important mais, au bout de six ans, ça perd un peu de son charme. Face à moi, Peter est appuyé sur son coude. D'un doigt, il joue avec sa fourchette. Il a faim. Je peux le sentir de là où je me trouve. Il a faim et ça lui embrume l'esprit. James, lui, s'emploie à nouer un petit ruban autour de… j'hésite. Un morceau de parchemin ? Si c'est bien le cas, il ne ressemble plus à grand-chose.

« Zellsinger Gaïa. »

A côté de moi, Sirius pousse un soupir de soulagement et Peter se redresse, sa fourchette à la main. Gaïa Zellsinger est une toute petite fille à couettes qui trottine comme un botruc. J'étouffe un autre bâillement. J'aurais aimé pouvoir dormir un peu dans le Poudlard Express mais il va sans dire que James et Sirius ne m'en ont pas laissé l'occasion.

« Ça y est, marmonne Peter. On va pouvoir manger. Je crève de faim. »

Son estomac le confirme en poussant un rugissement digne de celui d'un fauve. Tout le monde se prépare au festin. Les couverts commencent déjà à tinter contre les assiettes lorsque Dumbledore se lève et s'avance. Des centaines d'élèves se figent. Non ! Il a déjà rappelé les règles de l'école et donné les nouvelles directives aux élèves concernés. De quoi veut-il donc nous parler maintenant ? De la pluie et du beau temps ?

« Mes chers élèves, la répartition des élèves de première année est maintenant terminée. Mais avant de continuer cette charmante soirée, nous avons encore deux nouveaux élèves à accueillir. »

Il tend la main vers le fond de la salle et tout le monde se retourne. Nous voyons entrer deux adolescents, un garçon et une fille. Tous les deux ont des cheveux d'un noir d'encre. Le garçon a l'air plus âgé, il est plus grand également. Ils s'avancent vers le directeur d'un pas assuré.

« Monsieur et miss La Hire nous viennent de France. Je vous prie de les accueillir comme il se doit. »

Tous deux viennent se planter au devant de la salle.

« Bienvenue, grommelle Peter. Allez, qu'on en finisse. »

McGonagall tend le Choixpeau au garçon.

« Monsieur Timothée La Hire, s'il-vous plaît. »

Il enfile le vieil accessoire, ce qui lui donne des allures de mage fou. Quelques rires fusent ici et là.

« Serpentard.

_ Et un de moins ! » s'écrie James, ce qui lui vaut un regard noir de la part de McGonagall.

L'avertissement est silencieux mais nous le comprenons tous. Si elle ne nous retire pas de points, c'est uniquement parce que le décompte n'a pas encore commencé. Mais je comprends facilement qu'elle ne soit pas ravie de constater que James a déjà pris de l'avance.

Elle s'avance néanmoins vers la jeune fille tandis que son frère se dirige vers la table des Serpentard où il va se mêler aux autres élèves de septième année. Au moins, on n'aura pas à le supporter longtemps.

« Mademoiselle Lucrèce La Hire. »

Elle aussi enfile le Choixpeau.

« Gryffondor. »

Tiens. Les filles vont devoir prévoir une place supplémentaire. Les connaissant, ça va cancaner jusqu'à la fin de l'année. Lucrèce se dirige vers nous. Nos regards se croisent. Elle a des yeux bleus glacés qui me font froid dans le dos. Elle me dévisage, ça me fiche mal à l'aise et je finis par détourner les yeux. A côté de moi, monte une exclamation dont je me serais bien passé.

« Ouuuuuh ! On dirait que notre Lunard a le coup de foudre ! »

Peter se met à glousser et James se désintéresse de son parchemin dont il n'a toujours pas réussi à nouer le ruban.

« Ne raconte pas n'importe quoi Sirius, je me défends. C'est pas drôle. »

Ces quelques mots ne jouent pas en ma faveur. Je m'en rends compte en les prononçant. Les sourires de James et de Sirius s'élargissent. Une fois de plus, je me suis fait piéger par leur stupide règle numéro quatre : qui dément ne fait que cacher son consentement.

« Je peux m'asseoir ici ? »

Bien entendu, il fallait qu'elle vienne à côté de moi. Je me décale légèrement sur le banc sous les regards inquisiteurs des autres. Je leur montre brièvement les dents.

« Et maintenant, que le festin commence ! »

Un rugissement satisfait s'élève dans toute la salle. On dirait qu'une horde de trolls affamés y a élu domicile. Instantanément, des plats remplis de nourriture apparaissent comme venant de nulle part. Des odeurs de viandes, de rôtisseries et de bien d'autres aliments m'assaillent de toute part, faisant gronder mon estomac. Peter, lui, a déjà un aileron de poulet dans la bouche.

« Qu'est-ce qui t'es arrivé au visage ? »

Machinalement, je fais jouer mes doigts sur mes cicatrices. Je n'aime pas qu'on me pose cette question et je pensais en être d'ailleurs définitivement débarrassé au bout de six ans. Il arrive parfois que les première année me le demandent. James et Sirius inventent toujours un tas d'histoires rocambolesques à ce sujet. D'ailleurs, ce soir ne fait pas exception à la règle. Sirius se penche en avant pour mieux regarder Lucrèce.

« C'est Rusard, dit-il de sa voix la plus sérieuse possible. C'est arrivé quand nous étions en première année. Remus s'est aventuré un peu trop près de la forêt interdite et Rusard l'a coincé. Il l'a fait fouetter pendant près de trois heures. »

Je ne peux m'empêcher de rire, surtout lorsque j'entends Lucrèce répondre.

« A Beauxbâton, les châtiments corporels sont interdits. Je ne savais pas que c'était autorisé ici. »

Bien entendu, James ne perds pas une seconde.

« Tu devras faire attention. Cette vieille bourrique de Rusard a placé des espions.

_ James Potter ! s'exclame tout à coup la voix de Lily. J'espère que tu n'es pas encore en train de raconter n'importe quoi ? »

Cette fois-ci, nous éclatons franchement de rire. James désigne du pouce l'élue de son cœur.

« Elle par exemple.

_ Vous vous fichez de moi, pas vrai ? demande Lucrèce, de la colère dans la voix.

_ J'ai eu un accident, finis-je par dire. Quand j'étais petit. C'est de la connerie, les châtiments corporels ne sont pas autorisés ici non plus.

_ Quel genre d'accident ? »

Je secoue la tête.

« Je n'aime pas en parler.

_ Ah. »

Je n'allais quand même pas lui expliquer qu'un loup-garou est passé au travers de la fenêtre de ma chambre pour se jeter sur moi. Si ?

Le festin se termine lentement. Après avoir mangé, j'ai encore plus sommeil. La dernière pleine lune remonte à quelques jours et je n'ai pas encore eu le temps de m'en remettre. Je jette un coup d'œil aux première année. Ils ont l'air d'avoir fini de manger. D'ailleurs, Lily, elle, se lève déjà. Je termine mon verre de jus de citrouille et enjambe le banc. James lève les yeux sur moi.

« Remus, le mot de passe. »

Je m'étire en bâillant.

« Corne de gnou, réponds-je. A tout de suite. »

Lily rameute déjà les nouveaux élèves qui se pressent autour d'elle dans un murmure plus que respectueux. Je ne suis pas toujours ravi d'être préfet mais il y a quand même une chose que j'apprécie : les regards d'admiration des première année. L'insigne leur fait peur et ils le montrent clairement.

Nous leur faisons signe de nous suivre et nous entamons la montée des escaliers.

« Qu'est-ce que vous lui avez raconté à la nouvelle ? demande Lily pendant que nous attendons que l'un des escaliers se décide à nous laisser monter.

_ Rien de bien méchant.

_ Ne commencez pas à lui faire peur avec toutes vos sottises. Vous allez la faire fuir.

_ Ne t'inquiète pas.

_ Si je m'inquiète. Je connais James et Sirius suffisamment bien pour savoir qu'ils vont s'amuser. Rappelle-toi ces deux première année qui ont passé quatre nuits dans les cachots en attendant de voir le dragon qui était censé patrouiller dans les couloirs. »

A ce souvenir, je ne peux m'empêcher de sourire. C'était arrivé il y a deux ans. James et Sirius leur avaient assuré qu'un grand dragon noir patrouillait la nuit dans les couloirs à la recherche d'élèves en vadrouille. Ils avaient ajouté que celui qui arriverait à lui arracher une écaille serait assuré de n'avoir que des O jusqu'à la fin de sa septième année. C'était Slughorn qui avait fini par mettre la main sur eux, transis de froid et épuisés. Il avait fallu deux jours pleins à mademoiselle Pomfresh pour les remettre sur pied.

« Ça te fait rire ?

_ Ce n'était pas bien méchant, Lily.

_ Pas bien méchant ? »

Nous continuons notre ascension. Derrière nous, rares sont les élèves qui n'écoutent pas notre conversation. Qu'ils apprennent donc ! Lily est quelqu'un de formidable, mais elle peut être drôlement casse-pied quand elle le veut.

« Remus ! Ils ont passé deux jours à l'infirmerie. »

Elle laisse passer quelques instants de silence.

« Je compte sur toi pour les garder à l'œil. Tu es préfet, ils sont censés t'obéir. »

Je ne pense pas que Dumbledore se soit rendu compte de ce qu'il faisait le jour où il a décidé de me nommer préfet. Il a dû penser que j'arriverai à tenir James et Sirius mais, en réalité, c'est souvent l'inverse qui se produit. Quand ils ont appris que j'avais été nommé, ces deux idiots ont immédiatement décidé qu'ils pourraient profiter de moi. C'est vrai que je leur laisse passer pas mal de choses, que je ferme les yeux là où il devrait normalement y avoir des points en moins. Mais je suis piégé et ça, Dumbledore aurait dû le voir venir.

Nous nous retrouvons devant le portrait de la Grosse Dame. Elle nous dévisage de son air hautain.

« J'espère que vous avez le mot de passe. »

En six ans, je n'en ai jamais oublié un seul. Je ne pense pas que c'est maintenant que ça va m'arriver. J'ai toujours eu une bonne mémoire, presque photographique en fait. Mon inconscient fixe généralement le moindre détail.

« Corne de Gnou.

_ Magnifique ! »

Je me retourne vers les première année.

« Le mot de passe change à chaque trimestre. Tâchez de ne pas l'oublier, je n'ai pas envie d'aller vous récupérer dans les couloirs à tout bout de champ. »

Nous pénétrons dans la salle commune. Après deux mois de vacances, je suis plutôt content de revenir ici. Un feu a été allumé dans la cheminée éclairant la pièce d'une lumière chaude et accueillante.

« La salle commune, reprend Lily. Vous y avez accès à tout moment. Vous pouvez y faire vos devoirs en toute tranquillité… quand certains ne font pas un boucan de tous les diables. »

Elle jette un coup d'œil vers moi. J'enfonce mes mains dans mes poches. C'est vrai qu'on en a fait du boucan dans cette salle. La plupart du temps, c'est juste pour la vider un peu. Il y a parfois tellement de monde ici qu'on se marcherait presque dessus. Je lui décoche un grand sourire innocent et désigne d'un geste de la main les escaliers qui se dressent dans mon dos.

« Les dortoirs sont par là. A droite pour les filles, à gauche pour les garçons. Enfin je veux dire, à ma droite et à ma gauche. »

Lily sort sa baguette.

« Il vous suffit de tapoter le montant de la porte avec votre baguette et d'annoncer l'année dans laquelle vous êtes pour vous trouver dans la bonne pièce. »

Nous entendons des pas monter les escaliers. Le festin doit être terminé, les autres arrivent en masse.

« Bien, termine Lily. Nous vous laissons vous installer maintenant. Bonne nuit et bonne année scolaire. »

Le troupeau de première année s'élance dans les escaliers, se marchant dessus, se bousculant. Je vois des garçons se diriger vers les dortoirs des filles, et inversement, puis faire subitement demi-tour. Le portrait de la Grosse Dame s'écarte déjà et les premiers élèves font leur apparition. Peter, James et Sirius jouent des coudes pour me rejoindre. Bien malgré moi, je me surprends à chercher Lucrèce des yeux. Elle n'a pas l'air de suivre mes compagnons.

James sourit à Lily. Elle secoue la tête puis se dirige vers ses amies.

« Comment sont les première année ? demande Sirius. Il y a des cas intéressants ?

_ Je n'ai rien remarqué. »

Il a l'air déçu. Je sais que chaque année, il attend l'élève qui lui permettra de bien rigoler. Je ne sais pas ce qu'il cherche réellement, mais je suis bien content qu'il n'ait pas encore mis la main dessus.

Les filles nous dépassent. Elles encadrent Lucrèce, l'emmènent vers le dortoir. A nouveau, nos regards se croisent.

« Elle t'a vraiment tapé dans l'œil, me susurre Sirius à l'oreille. Si tu as besoin d'un coup de main, fais appel. »

Je brise le charme en me tournant vers lui.

« Tu te fais des idées, Patmol. »

Son sourire ne me dis rien qui vaille. Je me sens presque soulagé lorsqu'il finit par se diriger vers le dortoir. Je le suis, les deux autres sur les talons.

Nos malles nous attendent déjà près de nos lits. Un feu ronfle dans le poêle. Il fait une chaleur d'enfer ici.

James se jette sur son lit et retire ses chaussures d'un coup de talon. Peter fouille sa malle à la recherche de ses habituelles petites décorations personnelles comprenant un cadre avec une photo de sa mère, un poster de Quidditch dédicacé par l'un des joueurs et un petit cactus particulièrement hargneux qu'il a baptisé Picotti.

« Quelqu'un a une idée pour faire une rentrée fracassante ? demande Sirius en se laissant à son tour tomber sur son lit. Je vois bien Flitwick essayer d'ouvrir la porte de sa salle sans y arriver. »

James a l'air d'accord. L'idée semble bien lui plaire. De toute façon, quels que soient les plans qu'ils mijotent, ils vont s'arranger pour que ce soit amusant, mal vu des professeurs et profondément stupide.

Je me déshabille rapidement et me glisse dans mon lit. Il n'est pas très tard mais je suis épuisé. J'entends Sirius, Peter et James discuter encore un peu puis je finis par perdre le fil de la conversation et par m'enfoncer dans le sommeil.