Ce texte a été réalisé dans le cadre du défi Conte à Rebours !

Disclamer : Les personnages cités ne m'appartiennent pas (sauf ceux qui m'appartiennent, c'est facile, c'est ceux que personne connait) mais sont la propriété de... oh, allez, on connait la chanson. Le conte est original, cependant.

Rating : M, mais pas tellement à cause de la présence de lemons.

Note : Je remercie spécialement Ariani Lee qui m'aide beaucoup (non j'ai pas fini, j'en suis au chapitre 6) pour cette fic, ainsi que Kurozaya qui m'a écrit un poème d'ouverture.

Ensuite, je remercie une fois de plus tous les participants du défis, ainsi que tous ceux qui se sont inscrits mais ravisés, parce que c'est l'intention qui compte et que ça m'a fait chaud au coeur.

Et pour finir, chers lecteurs, sachez que je me suis plantée assez franchement sur l'une de mes propres conditions, c'est assez la lose, je sais. J'ai écrit un truc à mi-chemin entre le conte noir et... autre chose. Vous m'en voyez navrée, je crois bien que j'ai échoué. Ça m'attriste un peu.


Inéluctable

Il était une fois un empereur. Il vivait, seul être masculin au cœur de la Cité Interdite, avec ses 13 épouses. Et, alors qu'il se faisait de plus en plus vieux, et elles de moins en moins jeunes, il désespérait de se voir offrir un fils. Car aucune de toutes ses filles ne pourrait jamais monter à sa suite sur le trône. Cependant c'était là son seul tracas, et il régnait avec bonté et justice. Son empire s'étendait entre le sommet du monde aux astres radieux et les pieds des nuages secoués par les grands vents. Il était immense et prospère. On y vivait en paix.

Mais la paix n'avait pas toujours régné. Lorsque la terre abritait encore les quatre éléments, que ceux de la technologie s'éteignaient à peine, leur espèce était apparue à la surface du monde. Elle avait émergé de la Conscience Universelle et s'était immédiatement scindée en deux races contraires et complémentaires : ceux de la terre et du feu, ceux du ciel et de l'eau. Tous savaient que le monde allait changer et que son nouveau visage dépendrait de leurs actes. Ceux du ciel et de l'eau soufflèrent alors pour éteindre ceux de la terre et du feu. Ils parvinrent à dissiper beaucoup d'entre eux. Furieux, les survivants invoquèrent le sang du monde à eux et firent couler tout le magma de tous les volcans sur ceux du ciel. La guerre fit rage, mais rien ne parvenait à stopper le sang du monde. Ceux du ciel étaient décimés, la surface, le visage du monde, s'asséchait et ne leur permettait plus d'y vivre alors qu'il favorisait ceux de la terre. L'un d'eux prit une grave décision, et conduisit les siens à travers les nuages, sous le sommet du monde, là où il faisait froid et où la pluie les sauva. Ceux de la terre ne purent franchir les pieds des nuages, trop humides, qui les auraient éteints à cause de leur nature brûlante. Ils déversèrent plutôt leur colère sur le visage du monde et le changèrent en ce portrait hideux couvert de sang et de cicatrices.

Le temps passa. Une organisation naquit dans le ciel et sur la terre. Une famille impériale, une autre royale, des règles de successions qui ressemblaient à celles des ancêtres de ceux de la technologie, qui avaient vécu sans nature puis avaient été décimés par la rage du monde. A cause ou grâce à la Frontière du Ciel et de la Terre, il n'y eut plus de guerre.

Mais un jour, l'Empereur du Ciel eut vent d'une atroce affaire. Le Roi de la Terre aurait découvert un moyen pour les siens de franchir la frontière, après des siècles de recherche acharnée, et sur son lit de mort, l'aurait confié à son fils. L'Empereur ne sut que faire. Il devait protéger son peuple de la folie de ceux de la terre. Car ils étaient violents et instables. Ils feraient du sommet du monde un toit de feu. La Frontière du Ciel et la Terre était le dernier rempart qui les sauvait. L'Empereur considérait qu'il n'avait pas le choix. Il ne réunit pas le Conseil, fit appeler les plus puissants élémentaires de l'empire et ensembles, durant huit jours et huit nuits, ils créèrent le globe. C'était une prison parfaite. Assez petite pour contenir dans une main mais trop grosse pour être totalement recouverte par deux, et surtout trop vide pour se passer d'un être si on l'ouvrait.

L'Empereur savait que ce qu'il s'apprêtait à faire était cruel, et pour cela se déplaça lui-même. Une nuit, sous la lumière de la lune, il franchit la Frontière du Ciel et de la Terre et se volatilisa jusqu'au château du Roi de la Terre. Il trouva le Prince et, conscient de la monstruosité de son geste, ouvrit le globe et y emprisonna l'enfant. Il parvint à remettre le globe aux siens, mais ne franchit plus jamais la Frontière du Ciel et de la Terre.

L'empire ne resta pas longtemps sans empereur, car après une grossesse de 4 ans la treizième épouse mit au monde un garçon, qui fut sacré à peine né. Par contre, le royaume resta longtemps sans roi ni reine. Et chacun savait que si l'héritier venait à être libérer, sa colère et sa vengeance traverseraient la Frontière et détruiraient l'Empire du Ciel. Il fut donc scellé au fond des coffres impérieux, dans un lieu auquel seul l'Empereur pourrait se rendre.

Et il s'écoula 20 ans.

- (X : x : X) -

« Un mirifique chemin reliant Ciel et Terre,

Intemporel entre les étés et les hivers.

Nul ne sait comment il s'est formé,

S'il est construit de nuages ou de terre,

Ou peut être les deux se lient-ils; estropiés. »

(Kurozaya-sensei)

Un million d'interrogations assaillaient l'esprit du jeune Empereur du Ciel. Qui était cette jeune femme à la peau brune et aux cheveux noir d'encre ? Pourquoi était-elle pieds nus ? Pourquoi dansait-elle au centre d'un cumulonimbus en plein orage ? Mais surtout…

Pourquoi portait-elle un yukata de la mauvaise couleur ?

- Votre Grâce ?

Roxas se frotta les yeux. Quand… Comment était-il rentré ?

- Votre Grâce, vous êtes bien pâle… Êtes-vous souffrant ?

Il baissa les yeux sur celle de ses épouses qui venait de parler. Elles étaient cinq en tout, vêtues des somptueux Ju-Ni Hitoe impériaux, ces kimono aux manches si longues et qui se composaient en douze couches s'étalant de part et d'autre des corps de celles qui les portaient, se superposant à ceux de leurs voisines. Chacune d'elle avait une place bien définie, et parfois se chamaillaient pour des broutilles à ce sujet. L'une d'elle, la plus éloignée du trône, en bas des marches, se plaignait notamment se devoir s'asseoir à même le sol. Une autre lui rétorquait alors assez vite que se tenir sur les marches était un privilège douloureux. La seule qui ne récriminait pas était la Première, la favorite. Du moins en avait-elle le nom, car Roxas ne l'aimait pas plus que les autres. On avait, une fois de plus, décidé de ça pour lui. Celle-ci était assise juste à côté du trône, en haut des marches, et prenait appui sur l'un des accoudoirs du siège que Roxas, forcé de lui céder, avait abandonné. Tout ce qu'elle pouvait dire ou faire pour tenter de l'approcher, elle le disait, le faisait. Peut-être qu'il l'appréciait même encore moins que les autres. C'était elle qui venait de parler. Son visage, blanc de maquillage, ne laissait voir ni ses traits ni son expression, et ses cheveux dorés étaient placés sur sa tête en coiffure très élaborée. Peut-être était-elle très belle. Peut-être pas.

- Votre Grâce, co−

- Vous avez raison. Je ne me sens pas à mon aise.

Elle se tut, vexée du sous-entendu. Une autre gloussa. Roxas se leva lentement. Son propre kimono semblait voler autour de lui tant les épaisseurs s'accumulaient, et trainaient derrière lui. Ses manches, selon les canons vestimentaires en vigueur, mesuraient deux fois la taille de ses bras, si bien depuis le plus jeune âge il avait dû apprendre à manipuler tout ce qu'il touchait avec plusieurs couches de tissu par-dessus les doigts. Il marcha avec grâce, contournant le trône sous les cinq regards de ses épouses et s'y déroba par la porte qu'on ouvrit devant lui et qui, au terme d'un long couloir clair, menait à ses appartements. Il n'aimait aucune de ses épouses mais comment aurait-il pu ? Il ne savait rien d'elles, ignorait jusqu'à leurs noms puisque, depuis 16 ans, il n'avait pas pris la peine de les retenir. Elles se ressemblaient toutes. Seules leurs coiffures et leurs places à ses pieds les démarquaient à ses yeux. Et surtout, elles avaient toutes au moins deux fois son âge. Leur préoccupation unique était de paraître jeunes et de grimper dans cette petite hiérarchie dont le plus haut échelon était une place à la gauche du trône. Elles ne savaient rien d'autre que ce qu'on leur avait dit d'apprendre et n'avaient pas soif de savoir. Selon Roxas, elles étaient peut-être moins intéressantes que les servantes, qui au moins avaient des choses à raconter.

Des servantes, il y en avait à foison dans la Cité Interdite. Cet immense palais tout en cloisons de perles de pluie et en portes de papier de vent, demeure et cage de l'Empereur du Ciel, refusait à tout homme d'y passer une nuit. Tout domestique était donc une femme. Les membres du Conseil étaient des hommes mais vivaient hors des murs de la Cité. Alors qu'il s'approchait de son lit, quatre de ces servantes se présentèrent à lui, à genoux, les mains au sol et le visage baissé vers elles. Il écarta les bras et elles vinrent à lui. Roxas ignorait par quel talent elles parvenaient à le déshabiller sans jamais le regarder. Chacune d'elles détournait la tête pour ne pas poser les yeux sur lui, car regarder l'Empereur du Ciel était un prestige interdit au simple peuple. Et malgré cette interdiction elles dénouaient les obi et faisaient glisser les couches de tissus sur ses épaules, les ramassaient et les pliaient avec adresse et rapidité. Roxas l'avait fait remarquer un jour à l'une de ses épouses, qu'il avait choisie pour une promenade dans les jardins de cirrus. Elle avait eu ce geste désagréable de la main, prolongé par sa manche, que l'on fait lorsqu'on balaye une parole, et avait répondu bêtement :

N'est-ce pas là leur seul travail ? Il est heureux qu'elles s'en acquittent parfaitement.

Une fois nu, l'une des habilleuses - la principale à ce qui semblait, une petite brune aux cheveux courts coupés au carré - s'écrasa devant lui. Il baissa les yeux sur elle. Il ne connaissait pas plus son nom que ceux de ses épouses mais il lui semblait qu'il avait plus de complicité avec elle. Ces quatre domestiques partageaient plus de sa vie que les cinq femmes de noblesse qui, le temps de quelques heures, se trainaient à ses pieds. Quelle logique absurde.

- Que désirez-vous porter, votre Grâce ?

- Je compte sortir.

Elle se releva et Roxas observa attentivement la façon dont elle inclina la tête et détourna les yeux pour qu'ils ne tombent pas sur son corps. Toutes les quatre sortirent, portant chacune une partie de son habit complexe. Puis deux revinrent, dont une, la principale, portant un vêtement beaucoup plus simple plié sur ses bras. Un yukata gris et léger en soie de cirrus, dont il avait du faire l'acquisition de façon on ne pouvait plus officieuse : il avait confié à l'une des servantes un peu d'argent, de quoi lui acheter cet habit informel dans lequel on aurait certainement beaucoup de mal à le reconnaitre, malgré ses cheveux blonds, et elle le lui avait rapporté dans la plus totale confidentialité. L'idée de porter un habit aussi informel l'avait beaucoup séduit, mais rapidement il avait été confronté au mystère du non sur-mesure. Et les manches très courtes, qui ne tombaient pas plus bas que ses poignets, l'avaient intrigué, perturbé. Mais ce qui avait été des plus grisants demeurait cette mobilité incroyable.

D'ailleurs, si sa mémoire était bonne, il portait ce yukata pour la seconde fois lorsqu'il avait croisé cette jeune fille…

- Quand… suis-je rentré de ma dernière sortie ?

- Hier dans la soirée, votre Grâce, répondit la petite brune.

Il devait être aux environs de midi. Avait-il passé toute la soirée de la veille et toute la matinée à ne rien faire ? Non, il ne se serait pas éveillé sur son trône… Mais que diable s'était-il passé ? Où avaient donc fuit tous ses souvenirs ? Une fois de nouveau vêtu, il s'approcha lentement de la fenêtre, pas tout à fait accommodé à l'aisance du yukata. Il fit coulisser le panneau en papier de vent qui fermait la fenêtre circulaire et s'y appuya.

- Si l'on me demande, dit-il, prétendez que je suis souffrant et décline toute visite.

Puis il se glissa par la fenêtre hors de ses appartements. Faire une telle chose, avec de telles intentions, voilà qui n'était pas digne d'un Empereur, tout le monde à la cour aurait tenté de le dissuader. Mais il avait une soif terrible d'aventure, et le chemin dans les jardins de cirrus qu'il empruntait quotidiennement s'il désirait sortir en manquait cruellement. Personne hormis ses habilleuses n'avait un âge similaire au sien. N'existait-il donc aucun enfant de sa génération dans tout l'Empire ? Personne qui, comme lui, aurait fêté prochainement son 16e anniversaire ?

Il y avait la jeune femme. Son visage à présent était très flou dans la mémoire de Roxas. Il ne restait plus que ses cheveux d'un noir d'encre, son yukata du rouge maudit et sa danse étrange et fluide. Ils s'étaient parlé, mais que s'étaient-ils dit ? En sortant ce jour, Roxas nourrissait le discret espoir de la croiser à nouveau. Et son intuition lui disait qu'il y avait fort à parier pour qu'elle soit cachée dans le nuage d'orage qui sévissait un peu plus bas, si proche de la Frontière du Ciel et de la Terre. Les éclairs qui le zébraient de l'intérieur avaient, parfois, un éclat de la mauvaise couleur.

Roxas aurait beaucoup aimé prendre sa forme élémentaire. Les petites gens le faisaient. Voyager sous l'apparence d'un long serpent d'eau aux anneaux de tornade, voilà une chose qui devait être grisante. Mais, malgré tout son esprit de contradiction et son désir de se soustraire aux conventions stupides - comme en sortant ainsi vêtu de la manière du peuple - il ne parvenait pas à s'y résoudre. C'était d'une telle indécence… Pire encore que de se promener nu à la vue de tous. Particulièrement pour quelqu'un de son rang. Quel paradoxe ridicule était celui-ci qui permettait une liberté aux foules des plus bas statuts que la convenance lui interdisait. Il alla donc en marchant, en sautant de nuage en nuage, se laissant glisser sur les rafales, jusqu'au cumulonimbus d'un gris inquiétant.

Elle était là, au milieu des immenses pans de coton noir et des éclairs qui le tranchait. Elle dansait, pieds nus, légère comme le vent mais pourtant vive comme le feu. Et elle arborait toujours la Mauvaise Couleur.

- Qui es-tu ?

Elle lui lança un regard joueur mais ne cessa de danser.

- Qui es-tu, toi ? Ne se présente-t-on pas avant de demander un nom ?

Roxas resta bouche bée. Que… Comment… On ne s'était jamais adressé à lui de la sorte. Bien sûr il avait cherché quelque chose comme ça en s'habillant de la sorte, mais il n'avait jamais été autre chose que l'Empereur, sacré avant même de naître, personne ne l'avait jamais nommé autrement que « votre Grâce » et surtout jamais ne l'avait tutoyé.

- Peut-être es-tu dans le vrai, mais adresse-toi à moi autrement, car tu es devant ton Empereur.

Elle ne se jeta pas à ses pieds. Ne s'inclina pas. Ce fut à peine si elle cessa de danser. Elle semblait méditative.

- Non, finit-elle par répondre avec mystère. Non, vous n'êtes pas mon empereur.

- De quel droit mets-tu ma parole en doute ?

Loin d'agacer Roxas, cette situation l'intriguait. Ne le reconnaissait-elle pas ? Refusait-elle de croire que son souverain se promènerait seul en yukata à la frontière ? Sans doute avait-elle raison. Mais cela n'en était pas moins perturbant. Elle reprit sa danse.

- Nul doute. Faits seulement. Vous n'êtes pas mon Empereur.

- Pourquoi portes-tu la Mauvaise Couleur ?

Pour sûr répondit-elle quelque chose. Mais Roxas ne l'entendit pas, ou plutôt ce souvenir s'échappa de son esprit avant même de s'y poser, ainsi que toutes ses questions, et il s'assit sur le coton noir pour regarder la danse envoûtante et électrique de l'inconnue, pendant un temps qui s'étendait sans précision entre une seconde et cent ans.

- (X : x : X) -

- Où se trouve le globe ?

Dans la salle des conseils, tous se tournèrent avec malaise vers Roxas. Celui-ci savait pertinemment qu'il avait du faire le chemin inverse et pénétrer à nouveau dans la Cité par la fenêtre de ses appartements mais n'en avait aucun souvenir, ni même du moment où on l'avait changé, et encore moins de celui où il s'était rendu en salle des conseils. Ni même de comment ou de pourquoi la question du globe était parvenue à ses pensées. Mais pour l'instant tout cela était diffus et de moindre importance, relégué au second plan. Dans l'immédiat, il voulait une réponse.

- Votre Grâce… Le globe… est une chose extrêmement dangereuse, et—

- Me prenez-vous pour un sot ? Je sais cela. Ce n'est du reste pas ce que je demande.

Personne ne parla durant presque une minute, mais Roxas attendit patiemment que l'un de ses conseillers cède. Ils le craignaient, comme n'importe qui de sensé craindrait un enfant doté d'un pouvoir de vie et de mort quasi absolu depuis la naissance. Combien d'hommes et de femmes il avait fait jeté du sommet du monde dans l'Absence, qui régnait par-dessus le plus haut point du ciel, par caprice ou colère, lorsque, plus jeune, un rien l'excédait et que sa compréhension du monde se limitait à lui-même ? Il ne savait plus et ça ne signifiait qu'une chose : trop.

- Les coffres impériaux sont prodigieusement sûrs, votre Grâce, relança un autre que le premier.

- La chose prodigieuse est que, bien que je pose une question simple, vous ne puissiez y répondre simplement. Où donc dans les coffres impériaux ? Je ne vous apprendrai pas qu'ils s'étendent presque sous toute la Cité.

- Juste sous le quartier des armes, votre Grâce. Sous les forges froides exactement, entre la glace Iro et Kurai.

La glace, dans le ciel, servait de matériau dur. Il y avait trois niveaux de pureté, le Kurai, une glace blanche et opaque, l'Iro plus translucide, et enfin le Jun, totalement transparent. Cela servait aussi de monnaie, et frappé, une pièce de Jun en valait cent d'Iro, et une d'Iro correspondait à dix de Kurai. Toutes les pièces d'armures, armes et fragments d'architecture pouvaient donc être utilisés comme argent. On racontait que les forges froides l'étaient tant que cette glace qui en sortait était solide comme du métal, et trop dure pour fondre, même jetée sur la terre. Cependant personne n'avait jamais réellement fait l'expérience, et Roxas ne voyait pas l'intérêt de telles rumeurs puisque qu'il n'existait aucun contact, aucun échange entre le Ciel et la Terre.

- Fort bien, ponctua-t-il cette conversation.

Mais manifestement l'un de ses conseillers souhaitait poursuivre.

- Votre Grâce, qu'avez-vous l'intention de faire ?

Chacun le savait bien sûr. L'Empereur était jeune et frustré d'une vie dont les limites étaient idiotes pour cet âge. Le précédent Empereur n'avait pas eu ce cruel problème.

- Rien qui ne vous concerne, répondit-il calmement, bien décidé à ignorer tous ceux qui tenteraient de le dissuader de faire quelque chose de stupide et dangereux.

Puis, pour que personne ne vienne encore ajouter mot, il se leva, lentement, avec cette prestance que seuls ont les plus grands, entouré de ses manteaux de tissus qui accrochaient le soleil et trainaient derrière lui comme un voilage lourd et précieux.

Il ferma les yeux. Il était dans son lit, la journée et la cérémonie rituelle du couché était terminée et il venait de s'allonger dans ses draps du plus fin coton de stratus. Ou était passée son après midi ?

Il fit un rêve. La danseuse en rouge était là. Elle tournoyait encore et encore, sauvagement mais gracieusement. Elle prononçait des mots au sens horrible, mais plus les secondes passaient plus il tombait sous leur charme, finissant pas accepter, bien qu'il ne sache pas quoi. Peu importait. Un intense sentiment de liberté montait en lui alors qu'il transgressait de plus en plus des codes qui soumettaient son rang. Agir dans le secret, sans d'autre regard ni jugement que le sien, sans avoir de compte à rendre à personne d'autre que lui-même, c'était comme respirer une grande bouffée d'air frais après avoir été comprimé par un rocher. C'était excitant, exaltant, de pouvoir enfin choisir et décider pour lui-même, de piétiner les usages et l'apparence. Cette liberté nouvelle, comme une folie sauvage, l'affranchissait de tout et il pouvait devenir l'esprit fiévreux qu'il avait toujours du terrer en lui.

- Votre Grâce ? Comment vous sentez-vous ?

Roxas ouvrit les yeux. Le soleil zénithal ?... Mais… Oh, sans importance.

- Pas moins bien que d'habitude, médecin, répondit le jeune Empereur avec insouciance.

Il était alité. Il ne comprenait pas mais ça lui était égal. Egal de savoir comment il était passé d'un soir en salle des conseils à un midi dans sa chambre. Il n'avait pas envie de se soucier de ça. Il se sentait tellement léger…

- Je crains hélas que si, votre Grâce… Vous êtes victime d'un empoisonnement.

- Un empoisonnement, comme tu y va

- C'est très sérieux ! Votre corps est corrompu par une énergie… une énergie… qui ne vient pas du Ciel.

Seule la gravité insondable des dires du médecin parvint à sortir Roxas de sa torpeur. Il réussit à comprendre à quel point ces mots lourds de sens et ces faits lourds de conséquences pouvaient le mettre en péril. Puis l'urgence s'estompa. Le sérieux s'effrita, il sourit.

- Allons bon. Mais qui de la terre aurait un tel pouvoir ?

- Ça ne vient pas de la terre, votre Grâce…

- Tu délires, médecin. Rien n'est ni du Ciel, ni de la Terre.

- C'est pourtant le cas. Vous êtes atteint par un mal qui affaibli votre jugement, qui arrache des heures entières à votre mémoire. Ce n'est pas une chose naturelle, votre Grâce. C'est un maléfice qu'on vous jette.

Roxas haussa les épaules. Rien ne semblait plus grave ni maléfique. Il avait seulement envie de jouer, de se sentir libre encore, comme lorsqu'il suivait ce rêve, comme lorsqu'il décidait de prendre le globe, comme quand il regardait danser la jeune femme au yukata de la mauvaise couleur.

- Rentre chez toi, médecin. Peut-être as-tu raison mais je m'en fiche. Tu gâches mon plaisir.

Le médecin impérial s'inclina. Il n'y avait rien d'autre à faire, une catastrophe était désormais enclenchée.

- (X : x : X) -

Plus le temps passait et moins Roxas se souvenait de ses journées. Et moins il s'en souciait. Les minutes et les secondes cessaient d'exister, son esprit sombrait sans qu'il ne s'en rende compte dans une logique factice et erronée qui anesthésiait sa méfiance, endormait son ben sens avec un simili d'exaltation. La plus totale décadence de sa raison lui échappait et il riait sans savoir pourquoi, oubliait tout et agissait sans y penser, sans penser seulement. Autour de lui on le voyait dépérir de jour en jour. Sa conscience avait été lentement plongée dans le coma.

Il avait descendu des marches et ouvert des portes, puis il s'était réveillé ailleurs. Il avait libéré un coffre et levé la condamnation de sa serrure, avant d'être à nouveau entouré de ses épouses vielles et stupides. Il avait tenu le globe dans ses mains.

Avant de tout oublier. Il n'existait qu'une façon de mettre un terme à cela.

Et bien sûr cela serait comme signer la fin de l'Empire du Ciel.

- (X : x : X) -

A nouveau il ouvrit les yeux. On venait de lui arracher des mains ce qu'il tenait, et il ne fallait pas, il ne fallait surtout pas car… Il fut saisit alors par l'horreur de sa situation.

Elle était là, à une petite dizaine de mètres de lui. Avec sa peau brune, ses cheveux noir d'encre et ses yeux sans iris.

Elle lui sourit, d'un sourire qui disait « merci » et « vous êtes stupide ». Plus aucune des préoccupations qui lui semblaient si logiques ne l'était encore à présent. Que s'était-il passé ? Un rêve ? Un ensorcellement ? L'effroi, la panique. Pourquoi n'avait-il pas écouté son médecin ? Comment…

- Rends-moi ça sur le champ ! ordonna-t-il à la danseuse, qui lui sourit de plus belle.

- Venez donc me le prendre.

Elle se tenait de l'autre côté de la Frontière du Ciel et de la Terre. Venait-elle d'en bas ? Mais… Par quel prodige… la Frontière !...

- Non ? Et bien je suis navrée de devoir prendre congé de vous, votre Majesté.

Définitivement, elle venait de la Terre. Comment avait-elle franchit la Frontière ? Au regard de tout le reste, cette catastrophe qui ne trouvait ni réponse ni solution n'était finalement qu'un misérable détail. Elle s'enfuyait et virevoltant joyeusement.

Elle tenait une chose sphérique, assez petite pour contenir dans une main mais pas assez pour être recouverte totalement par deux. La prison parfaite. Le globe.