Du sommeil, ou de l'envie d'étouffer votre colocataire avec un oreiller

par Linpatootie

Résumé : Sherlock cherche à mener une étude sur le sommeil. John envisage de l'étouffer avec un oreiller.
Note : Je ne suis que l'humble traductrice de cette histoire géniale, écrite par Linpatootie, que vous pourrez trouvez là en reconstituant le lien : http deux points slash slash archiveofourown point org /works/ 346797
Note 2 : Cette histoire appartient à la série "Deux cafés, un noir et un avec du sucre, s'il vous plaît". Trois autres chapitres à venir derrière.

Bonne lecture !

xXxXx

- On ne dormira pas ensemble.
- Pourquoi pas ? C'est parfaitement raisonnable d'avoir envie de tester cette hypothèse et on vit déjà ensemble, de toute façon.
- On. Ne. Dormira. PAS. Ensemble.
- Mais John, gémit Sherlock, en le suivant dans la cuisine comme un enfant malheureux, dans sa robe de chambre écarlate bien trop chère.

John a envie de le frapper. Sensation plutôt familière.

- Il y a beaucoup de gens qui disent que dormir avec quelqu'un améliore la qualité du sommeil. Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à partager un lit avec moi quelques temps pour réaliser cette étude sur le sommeil. Les informations collectées pourraient nous être incroyablement utiles pour cette affaire.

L'affaire à laquelle il fait allusion était plus que ridicule, et ne constituait absolument pas une raison pour que John accepte de laisser Sherlock se glisser dans son lit. Une femme de Brentford avait trouvé son mari mort dans leur chambre d'amis. Ça faisait un certain temps qu'ils dormaient séparément à cause des atroces ronflements de l'homme, et selon elle, dormir séparés avait été tellement mauvais pour sa santé qu'il était mort, juste comme ça. Ça avait été merveilleusement facile pour Sherlock de déduire en moins de deux heures qu'il avait en fait été assassiné par le voisin, tellement en colère de le voir sans cesse se garer devant chez lui qu'il s'était infiltré par la fenêtre et l'avait étouffé avec un oreiller. Toutefois, son extravagante théorie avait éveillé la curiosité de Sherlock, et bien qu'elle ait au final eu tort dans les grandes largeurs, il s'était jeté à corps perdu dans la lecture de plusieurs articles et de deux livres sur les cycles du sommeil et cherchait à présent à rassembler de lui-même des preuves indiscutables.

- Rien que le fait que tu ne voies pas ce qu'il y a de mal à ça est une raison suffisante pour dire non. S'il existe déjà des études sur le sujet, tu ne peux pas les prendre pour argent comptant ?

Sherlock a l'air aussi atterré à ces mots que si John avait suggéré d'accomplir un rituel de sacrifice sur une portée de bébés lapins. Il faut croire que pour un homme de science comme Sherlock, prendre les résultats d'une étude menée par quelqu'un d'autre comme argent comptant doit être similaire. Il a aussi la tenace impression que le sacrifice d'une portée de bébés lapins aurait même moins horrifié Sherlock.

- Qu'est-ce que tu as contre le fait de partager un lit pendant un certain temps ? Tu t'inquiètes à propos de ce que les gens pourraient dire ? Les murs de ma chambre ne sont pas en verre, John, Londres ne pourra pas nous voir, personne n'a besoin de savoir.
- Les gens parlent déjà, ce n'est pas ça le problème, grogne John, essuyant fermement la surface du plan de travail de la cuisine avec un chiffon – c'est rare qu'elle soit assez vide pour qu'il puisse la nettoyer, alors il décide d'en faire le plus possible tant qu'il le peut.
- Tu as peur qu'il puisse se passer quelque chose ? Fascinant.
- Je ne – Sherlock. Non. J'ai juste l'impression que j'ai déjà dit adieu à ma vie privée en emménageant avec toi, donc est-ce je pourrais au moins garder quelques heures d'intimité pour moi pendant la nuit ?

Le visage de Sherlock se teinte de mécontentement, et il se détourne avec un grognement, sa robe de chambre tournoyant exagérément autour de lui. John est fermement convaincu que c'est la seule raison pour laquelle il la porte, de toute façon. Ça rajoute quelque chose de théâtral à ses humeurs.

- Ça sera juste pour une semaine ou deux, reprend Sherlock quelques heures plus tard alors qu'ils sont assis dans un taxi, en route pour une scène de crime toute fraîche à laquelle Lestrade les a convoqués. Quinze jours, au plus.
- Non, répond John.

- On chercherait à atteindre un certain nombre d'heures de sommeil chaque nuit, peut-être huit, le plus logique, et on regarderait si ça fait une différence avec nos habitudes de sommeil quand on dort avec quelqu'un, dit Sherlock alors qu'ils sont tous les deux penchés sur le corps sans tête qui, d'après ses vêtements inhabituels, a l'air d'être un clown de cirque d'âge mur.
- Non, répond John.

- Je suis sûr que ça a un rapport avec l'instinct ; après tout, quand on dort avec quelqu'un, il y a deux individus qui peuvent potentiellement détecter les prédateurs et inconsciemment se sentir plus en sécurité, et donc dormir plus profondément, dit Sherlock alors qu'ils rôdent autour du terrain de campement d'un cirque presque abandonné, l'odeur de la poussière et du vieux coton chatouillant le nez de John.
- Non, répond John.

- Je suppose qu'aller se coucher à minuit tous les jours et se réveiller à huit heures serait parfait, et pas trop difficile à combiner avec tes horaires de travail à la clinique, dit Sherlock alors qu'ils sont cachés derrière une benne à ordure peinte d'un jaune alarmant, tandis que derrière eux, un acrobate très en colère pointe un pistolet vers Lestrade.
- Pour l'amour de dieu, répond John.

- Si cette hypothèse se trouve être vraie, ça pourrait être bénéfique pour toi aussi, réessaie finalement Sherlock ce soir-là tandis que John gratte ses chaussures sur un vieux journal pour faire partir la peinture rouge. Tu serais plus reposé. Ça améliorerait ta concentration.
- Oh, arrête d'essayer de me faire croire que tu fais ça uniquement pour mon bien, comme un bon samaritain, grince John entre ses dents, faisant passer un tournevis dans les rainures de ses semelles, sentant sa résolution s'effriter petit à petit, comme les couches de peinture sur le caoutchouc usé.

Ça l'agace de penser que Sherlock est capable de l'avoir à l'usure, juste en se plaignant et en se montrant persistant.

- C'est pour la science, John, dit Sherlock comme si c'était la seule et unique justification dont le monde avait besoin.

John repose sa chaussure, repose le tournevis, et a l'air impression d'être un idiot bien trop naïf.

- Très bien. Ta chambre, pas la mienne, quatorze nuits, il se passe quoi que ce soit de bizarre et je laisse tomber.
- Bizarre comment ?
- Juste bizarre, Sherlock.

Sherlock n'insiste pas, il s'assoit juste dans sa chaise, l'air incroyablement satisfait de lui-même. John espère qu'il sera capable de réfréner son envie de l'étouffer avec un oreiller avant que l'expérience soit terminée.

Nuit 1

Il ne se passe tellement rien la première nuit que John se sent idiot d'avoir protesté avec tellement de véhémence comme il l'a fait au début. Il n'est pas tout à fait sûr de ce à quoi il s'attendait, pour être honnête. Épuisé d'avoir passé son après-midi à éviter un acrobate meurtrier, il a dormi comme un mort, et imagine que Sherlock a fait pareil – assez singulièrement, il dormait tout à fait calmement quand John s'est réveillé, une respectable distance de draps et de matelas entre eux. En sortant de la salle de bain après s'être rasé, il le trouve réveillé et assis, les draps roulés en boule entre ses pieds osseux, griffonnant furieusement dans son carnet en moleskine, mais décide de ne pas demander si les résultats de la première nuit étaient satisfaisants.

Nuit 2

La deuxième nuit, John apprend que Sherlock parle dans son sommeil. Il est réveillé par quelques syllabes mal articulées qui deviennent bientôt une sorte de monologue incohérent sur le thé. John écoute, fasciné, et un peu agacé à l'idée que Sherlock ne soit jamais capable de la fermer, même pas quand il dort.

John apprend également que Sherlock préfère dormir sur le ventre, et il est poussé et bousculé plusieurs fois par ses longs bras et jambes qui essaient de prendre toute la place sur le matelas. Sherlock ne se réveille même pas quand John le repousse sans douceur sur le côté – ou alors, il fait semblant. Dans les deux cas, John se dit qu'il a tous les droits d'être incroyablement agacé, et envisage d'étouffer Sherlock avec un oreiller.

Nuit 3

La troisième nuit, John apprend que Sherlock non seulement parle dans son sommeil, mais répond aux questions, aussi. C'est certainement l'une des nuits les plus comiques de sa vie. Il s'amuse tellement que dans la foulée, il finit par se prendre accidentellement la main de Sherlock dans la figure.

Nuit 7

John n'arrive pas à croire qu'il a partagé le lit de Sherlock pendant une semaine entière.

Il doit aussi admettre avec réticence qu'il a dormi comme un bébé ces dernières nuits. Sherlock s'est finalement adapté à l'idée de devoir partager son lit, et a arrêté de se débattre comme une étoile de mer en train de convulser, et même s'il continue chaque nuit à raconter des histoires fascinantes, John commence à être tout à fait capable de dormir sans y faire attention. Sherlock lui demande s'il se sent reposé, et il admet que oui, c'est le cas (ce qui donne lieu à de nouveaux gribouillis furieux dans le carnet, pour la science). Il suppose que c'est pareil pour Sherlock – vraiment fascinant, il ne s'attendait pas du tout à le voir dormir huit heures de suite en une seule fois, alors encore moins sept nuits de suite. Il aimerait dire que ça fait une différence chez Sherlock d'être vraiment reposé, mais honnêtement, ce n'est pas le cas.

De l'autre côté, Sherlock ne peut plus affirmer que dormir régulièrement ralentit son cerveau. Maintenant, si John pouvait trouver un moyen de faire pareil pour la nourriture, afin qu'il se mette à manger comme un humain normal, il pourrait considérer l'expérience comme un succès retentissant.

Nuit 9

Cette nuit, John fait un rêve particulièrement surréaliste où Sherlock est un insecte alien, secrètement déguisé en un londonien incroyablement beau qu'il a infecté de ses parasites, le mangeant lentement de l'intérieur ; finalement, il reste plusieurs heures éveillé dans le lit, paranoïaque, tandis que Sherlock murmure des inepties à propos du jardinier qui a volé le panier de courges, s'il vous plaît, ne le dites pas à la domestique.

Nuit 11

Quand John entre dans le lit, rabattant les couvertures jusqu'à son cou et s'installant confortablement, Sherlock est toujours assis, les jambes croisées, tapant quelque chose à l'ordinateur. Il est presque minuit – John sait qu'au premier coup de l'horloge, Sherlock posera son ordinateur sur le côté et s'apprêtera à dormir. C'était presque admirable, la façon dont il se consacrait à son expérience, au point de refuser de suivre les envies qu'il devait certainement ressentir pendant la nuit.

- Tu dors bien plus que tu ne dors d'habitude, maintenant. Tu vas enfin admettre que c'est aussi bon pour ton corps que pour celui d'une personne normale ? demande John, la tête agréablement enfouie dans son oreiller.
- Ce n'est pas le cas, répond Sherlock d'un air absent, les mots sur l'écran se reflétant dans ses yeux.
- Forcément que si. Tu dors comme un bébé toutes les nuits.
- Oui. Pour l'expérience, pas parce que j'en ai besoin.
- Ok… C'est… Attends une minute, se redresse John, plantant ses coudes dans le matelas. Tu es en train de me dire que tu te fais dormir pour pouvoir correspondre aux paramètres requis pour ton expérience ? Malgré le fait que tu ne sois pas fatigué ?
- Oui, répond Sherlock lentement, comme s'il parlait à un enfant de quatre ans mentalement déficient.
- C'est physiquement impossible.

Sherlock éteint son ordinateur avec quelques clics et mouvements de doigts et regarde John tandis que l'écran s'éteint.

- Je contrôle mon propre corps. Je veux que les résultats de l'expérience soient le plus juste possible, alors je me fais dormir huit heures par nuit comme convenu.

John le fixe pendant un moment, assis sur le lit, mince, avec son tee-shirt à l'envers, étrangement.

- Je te déteste, dit-il platement, avant de se détourner et d'attendre le sommeil.

Ça lui prend plus d'une heure, alors que Sherlock a l'air de s'être endormi en moins de dix minutes. Il envisage de l'étouffer avec un oreiller, mais finit par s'assoupir alors que Sherlock raconte une histoire incroyablement cohérente à propos d'une vache à Trafalgar Square.

Nuit 12

- C'est censé durer combien de temps, déjà ?
- Quatorze nuits, au minimum. Peut-être plus si le résultat n'est pas clair.
- Et tu crois qu'il sera clair ?
- Repose-moi la question dans deux nuits.

Nuit 13

Sherlock rêve. John s'en rend compte alors que l'autre est visiblement en train d'expérimenter un authentique cauchemar, et le bavardage habituel passe de quelque chose de drôle et de bizarrement charmant à quelque chose qui lui serre douloureusement le cœur quand il découvre Sherlock d'abord en train d'appeler sa mère, étonnamment, puis Mycroft, d'une façon qui laisse à penser qu'il est en train de revivre son enfance, quelque part. Il le regarde pendant quelques temps, écoute ses murmures et ses faibles gémissements, alors qu'il appelle quelqu'un avec un désespoir grandissant, et il se demande s'il devrait le réveiller. Après avoir réalisé qu'il ne saurait pas quoi faire ou dire, il finit par sortir du lit et aller s'assoir dans la salle de bain, sur le rebord de la baignoire, jusqu'à ce que les gémissements de la chambre finissent par mourir et que le rêve semble s'être évaporé. Le matin venu, il ne lui en parle pas, et Sherlock n'a pas l'air d'être différent de d'habitude. John se demande si la personne la plus intelligente de Londres se rappelle de ses rêves, et combien de fois Sherlock, dans le noir, a appelé quelqu'un qui ne venait pas.

Nuit 14

Le matin qui suit la quatorzième nuit, Sherlock s'assoit sur le lit, entouré de dizaines de feuilles de papier, son ordinateur derrière lui. Il y a des pages et des pages de gribouillis, de graphiques, et un organigramme compliqué tourne sur lui-même sur l'écran. John ramasse une feuille et essaie d'interpréter un tableau griffonné en rouge et en noir, mais n'y arrive pas, sans parvenir à comprendre comment Sherlock réussit à traduire cette étude sur le sommeil en chiffres et en nombres.

- Les résultats sont ce que tu attendais ?
- Hm… John, dirais-tu que la qualité de ton sommeil s'est améliorée ?
- Je ne sais pas. Je suis un bon dormeur en général, quelles que soient les circonstances. J'étais un soldat, rappelle-toi ; je peux dormir debout s'il le faut.

Sherlock fronce les sourcils, les yeux sur les feuilles, faisant tourner un stylo entre ses doigts, et jetant de l'encre sur les draps, et John voit déjà gros comme une maison ce qu'il est sur le point de dire.

- Les résultats ne sont pas concluants. Je propose qu'on augmente la durée à un mois. Plus de données devraient pouvoir aider.
- Très bien, répond John.

Nuit 16

Profondément endormi après une journée particulièrement exténuante à l'hôpital, John donne accidentellement un coup de pied à Sherlock dans son sommeil, et Sherlock le réveille en le secouant brutalement pour l'en informer, avant de se rendormir presque aussitôt. John reste éveillé pendant trois heures, incapable de se rendormir, bouillonnant d'une rage silencieuse, et envisage d'étouffer Sherlock avec un oreiller.

Nuit 17

John se réveille vers 7h30 et trouve Sherlock en train de le filmer. La première chose à laquelle il pense, c'est "Je ne savais pas qu'on avait une caméra" avant que le bon sens ne lui botte les fesses, et il crie, se couvrant avec les draps autour de lui comme une demoiselle effarouchée :

- Je peux savoir ce que tu fous ?
- Je collecte juste des données vidéo. Pour mes recherches.
- Sans penser une seconde à quel point c'est glauque de me filmer pendant que je dors ?
- Tu as accepté de participer.
- J'ai accepté de dormir dans le même lit que toi. Pour autant que je sache, c'est déjà un assez grand sacrifice de ma part !

Sherlock ne répond rien, et étrangement, continue à filmer.

- Arrête de filmer, Sherlock, je suis réveillé. Oh, bon sang, tu m'as déjà filmé en train de dormir avant ?
- Oui, répond simplement Sherlock alors qu'il éteint la caméra.

Elle est toute petite, tenant parfaitement dans la main de Sherlock comme si elle avait été construite exprès pour lui, élégante, digitale et contenant sans aucun doute avec des heures et des heures de séquences avec John en train de baver sur son oreiller.

- S'il te plaît, ne… recommence plus. Je suis sérieux quand je dis que c'est glauque. Tu peux mettre par écrit toutes les données que tu veux, mais arrête de me filmer sans que je le sache, dit John faiblement, fixant la caméra.
- Je peux garder les films que j'ai déjà ?
- Si ça apparaît sur internet, tu prends mon poing dans la figure.
- Ça me paraît raisonnable.

Nuit 20

La vingtième nuit va probablement dénaturer très sérieusement les résultats de Sherlock. Il en est tout à fait conscient, furieux sur son oreiller, alors qu'un orage d'automne impressionnant est en train de s'abattre sur Londres, la pluie frappant les vitres et le tonnerre dansant paresseusement sur leur toit à un rythme régulier. Un éclair illumine la chambre et John a à peine le temps de compter jusqu'à trois avant qu'un nouveau craquement de tonnerre résonne sur Baker Street. Dehors, dans la rue, un chien répond en aboyant, ses jappements se confondant avec la pluie.

- C'est ridicule, grogne Sherlock, les bras croisés sur le drap sur sa poitrine.
- C'est la météo, qu'est-ce que tu veux, répond John. Ton fabuleux contrôle de toi-même sur ton corps ne te permet pas de dormir malgré une petite tempête ?
- La ferme, murmure Sherlock, donnant des coups de pieds dans les draps et se grattant le nez. Tu ne dors pas non plus, à ce que je vois.
- Ça ne me pose pas de problème de dormir pendant un orage, mais pas ceux qui ont élu domicile au dessus de mon toit, répond John, les yeux fixés sur des motifs au plafond que son cerveau à moitié endormi projette sur la surface habituellement d'un blanc immaculé.

Sherlock reste silencieux tandis que le tonnerre claque deux fois, mais toujours en train de frotter son nez. Le sommeil s'insinue dans les recoins du cerveau de John, mais il en est sorti à chaque fois par des éclats lumineux contre ses paupières fermées.

- Je vais peut-être avoir à renoncer à cette nuit en termes de repos et de confort, dit Sherlock à côté de lui.

John peut entendre les pensées se former derrière ses mots et sait que Sherlock ne lui parle pas particulièrement, qu'il parle juste à la cantonade pour se reprendre et se concentrer.

- Mais cette nuit pourrait tout de même être révélatrice de la conclusion que je pense apporter. Rester éveillé pendant un orage est bien plus agréable quand on a de la compagnie.

John tourne la tête pour regarder Sherlock. Il a réussi à joindre ses doigts sous son menton, malgré sa position, allongé sur le lit. John peut voir sa silhouette dans la pénombre de la chambre, tout en coudes, avec un énorme contraste un instant, pendant un éclair bleu aveuglant. John ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais le tonnerre l'interrompt de façon tout à fait impolie.

- Tu n'as jamais eu quelqu'un dans ton lit pendant un orage ? demande John quand ses oreilles arrêtent de tinter, même si la réponse est déjà claire comme de l'eau de roche.
- Nope, répond Sherlock, comme il s'y attendait.

C'est la question suivante qui démange surtout John, presque désespérément curieux d'avoir une réponse à quelque chose qui le taraude depuis qu'il a rencontré Sherlock.

- Tu n'as jamais eu quelqu'un dans ton lit, si ?
- Nope, répond à nouveau Sherlock, aussi sincère que s'il venait juste de lui demander s'il aimait les carottes.

John se tourne vers lui et se redresse sur un coude, laissant le tonnerre faire ses affaires avant de continuer.

- Alors, tu as déjà dormi dans le lit de quelqu'un d'autre ?

Sherlock le regarde, ses yeux toujours aussi clairs malgré la pénombre de la chambre.

- C'est une façon très indirecte de te renseigner sur mon expérience sexuelle, John.

John se met à rire, ramenant les draps au dessus de ses épaules. Le vent lutte contre les murs du 221B et arrive à se faire son chemin à l'intérieur, les vieilles briques ne réussissant pas à le garder dehors.

- Très bien. Cartes sur table. Tu es puceau ?

Les coins de la bouche de Sherlock se retroussent, l'air étrangement satisfait de la franchise de John.

- Techniquement parlant, oui. Ça te surprend ?

- Pas vraiment. Je m'attendais… Enfin, je veux dire, c'est toi. Je n'arrive même pas à imaginer… Enfin, pas que j'essaie particulièrement d'imaginer, mais… bref. C'est juste que c'est une idée bizarre, d'un point de vue général. Pour quelqu'un de ton âge. Tu n'as jamais eu envie ?

Sherlock se tourne vers lui à son tour, lui faisant face, glissant sa main sous sa tête. Étrangement, John a l'impression d'être une fille de douze ans à une soirée pyjama.

- Ça m'a déjà rendu curieux, mais jamais suffisamment pour y faire quelque chose. Ça a l'air tellement pénible… Je peux t'assurer que mon savoir théorique sur le sujet est plutôt complet.
- Je m'en doutais. Ça me paraît juste bizarre que tu refuses d'accepter les données d'études déjà menées sur les cycles du sommeil, mais que ça ne te pose pas de problème d'accepter des informations de seconde main sur le sexe.

John ne réalise pas ce qu'il est en train de dire jusqu'à ce que ce soit sorti de sa bouche, ponctué de façon désagréable par le roulement moqueur du tonnerre. De plus, Sherlock le regarde bouche bée. John ne sait pas si c'est parce qu'il l'a insulté ou s'il vient juste de planter une très, très mauvaise idée dans cette caboche qui ne connaît pas de limites.

- Peu importe, se dépêche-t-il de revenir en arrière. Tu es tout à fait libre de faire… ce que tu veux. Ou de ne pas le faire. Peu importe. Quoi qu'il en soit, ça me fait plaisir que tu aies partagé ça avec moi. Ça m'intriguait, sans vouloir paraître bizarre.
- Tu aurais pu me le demander plus tôt, John. Ce n'est pas quelque chose qui me perturbe particulièrement.
- Oui. C'est… Ouais. D'accord.

John roule à nouveau sur le dos, mal à l'aise, les draps remontés jusqu'au menton. Le tonnerre finit par s'éloigner, lentement, tandis que John ferme les yeux et tente de s'endormir. Il peut sentir le regard de Sherlock sur lui et essaie de ne pas y penser.

Nuit 22

Au tour de John d'avoir un cauchemar. Rien dont il n'ait jamais rêvé auparavant – des flashbacks du désert, des routes en terre, les cris de douleur des soldats qui se vident de leur sang sous ses doigts, et le hurlement perçant d'un enfant en train de mourir. Il se réveille comme c'est le cas habituellement, se battant contre les draps comme s'ils étaient en train de le retenir, la respiration douloureuse et rapide, une sueur froide coulant entre ses omoplates, et des larmes de colère se frayant un chemin jusqu'à ses yeux.

Sherlock est redressé sur ses coudes, l'observant à distance. John le fixe, avec l'impression d'être comme pris en flagrant délit, puis il bondit du lit et file à la salle de bain. Il pleure silencieusement dans le lavabo pendant dix minutes, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus sentir l'odeur de la chair brûlée, et que la réalité redevienne le blanc confortable de leur salle de bain londonienne.

Il retourne dans la chambre, ne distinguant presque rien dans le noir, et se glisse à nouveau dans le lit. Sherlock le regarde toujours. John essaie de l'obliger mentalement à rester silencieux.

- Ça va ?

Merde.

- Oui. Ça va.

Il se tourne de son côté et serre son oreiller d'une main, fermant les yeux.

- John. Est-ce que je… Est-ce que tu veux que je fasse quelque chose pour toi ?

C'est peut-être la question la plus honnête que Sherlock ait jamais posé à John, et ça le frappe juste là où ça fait mal. Il envisage un instant de le lui dire, sèchement, mais il réalise que Sherlock fait de son mieux, et que ça n'a aucun sens de lui faire du mal inutilement.

- Ça va, Sherlock. Rendors-toi, dit-il d'une voix blanche, et il sent le matelas bouger alors que Sherlock se réinstalle.

Alors qu'il s'endort petit à petit, John se dit qu'il peut sentir le fantôme d'une main sur son épaule, des doigts hésitants sur le point de le frôler, mais la sensation ne se confirme pas et il ne s'en rappelle plus le matin suivant.

Nuit 24

John se lève pour aller aux toilettes à 4h30 et quand il revient, Sherlock est maintenant de l'autre côté du lit, roulé en boule du côté de John, enroulé dans les draps comme un énorme burrito anglais avec beaucoup de cheveux. Il reste debout à côté du lit, perplexe pendant un moment, avant de soupirer en silence, exaspéré, et de se recoucher du côté de Sherlock. Il faut qu'il tire plusieurs fois pour récupérer un bout de couverture, mais finalement il y parvient, et s'endort finalement, en ignorant ostensiblement à quel point ce côté-ci du lit est encore confortablement chaud, et à quel point l'oreiller de Sherlock sent le shampooing de luxe.

Au matin, Sherlock a l'air perplexe, mais il ne dit rien, ses doigts tapant sur le clavier de son ordinateur avec excitation.

Nuit 27

Juste avant de s'endormir, John réalise que l'étude de Sherlock est censée se terminer dans trois jours, et il ne sait pas exactement comment le prendre. Puis il ne sait pas comment prendre le fait qu'il ne sache pas comment le prendre, et Sherlock à côté de lui blablate à propos d'une oie dans le Kent et John se retrouve au bord de cet étrange précipice où il ne sait pas s'il est censé rire ou pleurer à propos de cette situation plus qu'absurde.

Nuit 29

Pour leur avant-dernière nuit, ils dorment à peine. Ils se retrouvent soudainement avec une affaire sur les bras, qui se termine lorsqu'ils poursuivent un garçon tout maigre sur un skateboard et qu'ils le livrent à la police pour le meurtre d'une jeune fille de dix-sept ans dont la mort quelques mois plus tôt avait été considérée comme un suicide. Ils se couchent finalement après 5h30 du matin, et John ne prend même pas la peine de changer de vêtements.

Sherlock le réveille tout de même à huit heures, étonnamment reposé pour un homme qui n'a pas eu plus de trois heures de sommeil, et, de bonne humeur, il commence à dire à John qu'il ronfle quand il se couche sans enlever ses vêtements, et n'est-ce pas fascinant de voir à quel point ils se sont endormis rapidement en rentrant alors que l'adrénaline courait encore dans leurs veines ?

John envisage encore une fois de l'étouffer avec un oreiller.

Nuit 30

Leur dernière nuit est extraordinairement ennuyeuse et simple. Sherlock s'assoit et crie des insultes à la télévision avant qu'ils aillent se coucher, ils se disent bonne nuit, et s'endorment. John dort toute la nuit, sans se réveiller, même quand Sherlock se met à parler de lui dans son sommeil (la seule fois qu'il l'ait jamais fait en trente nuits, et la seule fois que John le rate). Ils se réveillent tous les deux environ dix minutes avant que le réveil ne sonne, et John est déjà dans la salle de bain en train de se brosser les dents quand il se met à bipper et qu'un coup de poing bien visé de Sherlock le fasse taire.

Il retrouve le rapport d'étude sur la table de la cuisine quand il rentre de sa journée à l'hôpital, ce soir-là.

- Ce sont tes résultats ? lance-t-il vers la salle à manger, où un grognement évasif de Sherlock lui apprend que oui. Je peux les lire ?
- Fais-toi plaisir.

Sherlock passe la porte ouverte, nouant son écharpe autour de son cou.

- Tu vas où ?
- Je sors. À la morgue. Molly a quelqu'un qui est mort en tombant de son toit et en atterrissant sur sa cabane de jardin. Elle s'est dit que j'aurais envie de voir ça.

John ne demande rien d'autre. Il se fait une tasse de thé et s'assoit sur une chaise, le rapport sur ses genoux. C'est tapé à l'ordinateur. Il y a des tableaux et des graphiques circulaires et des notes de bas de page à l'infini. Il ne va probablement rien y comprendre. Même des années d'entraînement militaire n'auraient jamais pu préparer un homme à la façon dont fonctionnait le cerveau de Sherlock Holmes, comme il avait fini par l'apprendre.

Une Étude sur le Sommeil, réalisée du 6 octobre au 5 novembre 2010, S. Holmes & Dr. J.H Watson

Ça lui fait bizarre de voir que Sherlock se réfère à lui aussi officiellement dans un rapport qui, de toute façon, ne sera jamais vu par quelqu'un d'autre que par Sherlock et lui-même. John n'a pas besoin de lire le document en entier, passant rapidement les graphiques colorés et la plupart des tables avec des nombres qu'il soupçonne d'être là juste pour donner l'air sérieux mais qui n'ont pas de véritable signification. Il se trouve, cependant, que Sherlock a écrit une brève description de chaque nuit qu'ils ont passée ensemble. La plupart d'entre elles sont inintéressantes, détaillant seulement les heures auxquelles il s'est endormi et si ça l'avait aidé à mieux réfléchir le jour suivant, mais certaines lui sautent aux yeux, témoignages inattendus de l'expérience du point de vue de Sherlock.

Jour 1.

Endormi vers 0:15. Moi et J. avons dormi tranquillement, probablement à cause des activités exténuantes de la journée. J. est un dormeur très calme. Vérifié sa respiration quatre fois pendant la nuit, en me demandant s'il n'était pas mort entre temps.

Jour 6.

Endormi vers 11:55. La position préférée de J. pour dormir est en position fœtale, recroquevillé sur son côté gauche (dos à moi). En sommeil léger, il est allongé sur le dos, un bras sur sa tête. Ma position préférée pour dormir est sur le ventre, avec ma jambe droite en l'air. Ne sais pas dans quelle position je suis en sommeil léger. Devrais peut-être demander à J. Il dort le plus souvent en position fœtale, ce qui suggère qu'il dort effectivement d'un sommeil plus profond en présence de quelqu'un.

Jour 10.

Endormi vers 0:06. Ai acheté une caméra pendant la journée pour filmer le sommeil de J. Fasciné par son silence complet ainsi que ses Mouvements Oculaires Rapides très visibles quand il entre en sommeil profond. Ai commencé à calculer combien de temps il restait en MOR, mais me suis endormi en comptant, ce qui est beaucoup trop improductif à mes yeux. Devrais peut-être laisser la caméra tourner toute la nuit, pour collecter des informations plus tard.

Jour 13.

Endormi vers 11:58. Fait un cauchemar. J. n'a pas l'air d'avoir remarqué. Intéressant de constater que les cauchemars ont quand même lieu malgré la présence apaisante d'un ami à côté.

Jour 14.

Endormi vers 0:35. Très bien dormi. J. aussi. Résultats encore peu concluants. Ai proposé que l'étude soit poursuivie sur 30 jours plutôt que 14. J. a accepté, étonnamment. Me sens très reposé et étrangement en paix avec le reste du monde. Pas sûr d'apprécier.

Jour 17.

Endormi vers 0:05. Très bien dormi. J. aussi. J. ne veut pas être filmé. Dommage, ses mouvements et expressions pendant son sommeil se révèlent incroyablement utiles. M'a tout de même autorisé à garder les vidéos déjà prises, c'est déjà ça.

Jour 20.

À cause d'un orage, les résultats sur le sommeil pour cette nuit ne sont pas utilisables. Ai cependant appris que braver un orage aide à développer une étrange intimité entre les gens. J. s'est senti enclin à discuter de sujets personnels. Me suis senti très à l'aise avec ça. Fascinant.

Pourtant, c'est la page de la 22ème nuit qui surprend réellement John. Il n'y a rien. C'est marqué, juste là, Jour 22, mais il n'y a rien de marqué. Pas de données, pas d'observations, rien, une page entièrement blanche en plein milieu de l'énorme rapport. John se creuse la mémoire et bégaie de stupéfaction quand il réalise que c'était la nuit de son cauchemar. Il fixe la page et réalise que Sherlock a dû la garder telle quelle pour son propre bien, n'ayant pas envie de commenter son épuisement cette nuit-là ou de remplir la page avec de froides données comme s'il ne s'était rien passé, et cette idée frappe John d'une vague de gratitude si grande qu'il s'y noie presque.

Il pose le rapport sur la table de la cuisine et s'assoit sur le canapé avec un livre qui n'arrive pas à retenir son attention, tout en attendant que Sherlock revienne à l'appartement. Quand il le fait, c'est en racontant avec enthousiasme des histoires perturbantes à propos d'ustensiles de jardinage coincés dans un foie, mais John sourit et l'écoute attentivement.

Nuit -1

John dort affreusement mal et écoute Sherlock farfouiller dans la pièce en dessous toute la nuit.

Nuit -3

John dort affreusement mal. Sherlock commence à jouer du violon à exactement 3h42. John envisage de l'étouffer avec un oreiller, mais ça semble beaucoup plus difficile à mettre en pratique quand Sherlock est dans le salon et que lui-même est dans son propre lit.

Nuit -7

En une semaine, John n'a presque pas dormi et il suppose que c'est pareil pour Sherlock, si on met de côté le matin où, en descendant, il l'a trouvé la tête avachie sur le bureau, avec non pas un mais deux post-its jaunes collés sur son front, et John a à peine le temps de s'étirer qu'il se réveille en sursaut.

Il est presque minuit moins le quart quand John éteint la télévision en plein milieu de l'émission qu'il était en train de regarder et se lève.

- C'est l'heure de se coucher, dit-il, juste un peu trop fort pour que ça ait l'air vraiment ordinaire.

Sherlock le fixe, assis à son bureau derrière son ordinateur portable, déconcerté, avant de comprendre la situation délicieusement vite. Il sourit d'un air moqueur, le coin de ses lèvres se retroussant tandis que ses doigts commencent la traditionnelle danse de l'arrêt de l'ordinateur, qui veut tout dire.

John se met en pyjama et se brosse les dents. Sherlock est déjà au lit quand il entre dans la chambre, recroquevillé sur le côté, une simple tignasse de boucles qui ressortent des draps blancs. John éteint les lumières et se couche.

Il glisse dans le sommeil alors que Sherlock lui raconte une histoire sur les abeilles à moitié en français, à moitié en anglais. Il dort comme un bébé.