Désolée pour le retard, j'avais dit avant le Nouvel An mais en fait, j'ai été rattrapée par mes révisions et mes exams... du coup, maintenant que j'ai du temps, j'en profite pour poster ce chapitre !

Sébastien : un grand merci pour ta review qui me réchauffe le cœur (comme tu vois, il n'y a pas de problème, je préfère le tutoiement) ! Pour l'autre site, je ne sais pas trop s'il faut être inscrit pour poster un commentaire... Je suppose, à moins qu'il n'y ait un moyen pour autoriser les anonymes à commenter comme ici, mais dans ce cas je ne l'ai pas encore trouvé. Tout ce que tu dis en tout cas me donne le sourire et je suis contente surtout de savoir que tu as lu cette histoire jusqu'au bout. Je te souhaite d'aimer autant la suite et à bientôt !

Guest : Hum... Oui, effectivement, ça commence à faire un peu beaucoup ! Il faudrait peut-être en enlever deux ou trois, Meryl est pas un moulin quand même ! Puis c'est vrai que ça fait peu de place dans un seul corps... Un grand merci pour ta review qui m'a fait rire, j'espère que la suite va te plaire !

Guest (number 2) : Moui, j'ai l'impression que pas mal de gens ont dû se dire ça. C'est sûr que seulement quelques personnes ont avancé l'hypothèse, sans oser trop s'avancer. Moi, de mon côté, j'avais hâte de voir vos réactions. Cela dit, en y réfléchissant, Sirius n'était pas un mauvais choix non plus, ça aurait même été tout à fait possible ! durant sa cavale... Merci pour ta review et j'espère que la suite te plaira !

Et un grand merci à Indifferente et Mademoiselle Mime, ainsi qu'à tous ceux qui continuent de suivre cette fanfic !


Une petite musique pour la route : idem que pour la précédente, ça peut être bien de l'écouter. Il s'agit de "Magic Dance" de David Bowie.


Chapitre 70 – Enfant de Rebelle

ANDROMAQUE – Vous ne l'aimez pas. On ne s'entend pas, dans l'amour. La vie de deux époux qui s'aiment, c'est une perte de sang-froid perpétuel. La dot des vrais couples est la même que celle des couples faux : le désaccord originel. Hector est le contraire de moi. Il n'a aucun de mes goûts. Nous passons notre journée ou à nous vaincre l'un l'autre ou à nous sacrifier. Les époux amoureux n'ont pas le visage clair.

La guerre de Troie n'aura pas lieu Jean Giraudoux

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Souvent, c'est la nature même des gens, ce qui les rassemble plus tard les sépare.

La Conspiration Merlin Diana Wynne Jones

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14 janvier 1995

Qu'est-ce que son départ pouvait bien signifier ? J'ai peur. Peut-être a-t-il eu peur, lui aussi. Mais la question serait plutôt, là maintenant : est-ce qu'il reviendra ? Il n'a pas donné signe de vie depuis sa disparition. J'avais encore son odeur à côté de moi, tout contre moi, cette odeur étrange de végétaux inconnus. Les draps portent encore la trace de ce qui s'est passé. Moi-même, je ne suis pas ressortie indemne. Dans la confusion du moment, je me suis soudain rappelée de ce que je risquais et j'ai couru à la pharmacie pour régler le problème. Je n'avais pas prévu tout ça, mais maintenant que c'est arrivé, il faut au moins que je prenne des responsabilités. Comment je pourrais faire tout ça sans attirer les soupçons de Nicolas ? Je vais devoir tout cacher, je ne veux pas qu'il soit au courant de quoi que ce soit, je le vois d'ici m'assaillir de réprimandes sur mon irresponsabilité.

Je tremble, maintenant. Ca a été si fort, ce que j'ai ressenti. Comment a-t-il vu les choses, de son côté ? Qu'est-ce qu'il a ressenti ? Est-ce qu'il pourrait me mépriser, après tout ça ? Je voudrais qu'il revienne pour qu'on puisse en parler, parce qu'il faut qu'on en parle. En même temps, je redoute son retour, j'ai peur de ce qu'il pourrait me dire. Qu'il me dise par exemple que c'est une erreur. C'est peut-être une erreur, mais on l'a faite à deux, et je ne veux pas en endosser la responsabilité seule. Est-ce qu'il pourrait seulement se défiler ?

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8 février 1995

Le week-end dernier a été long et houleux. J'en suis encore exténuée tant j'y repense. Mais d'un autre côté, je ressens aussi un profond soulagement, et j'ai pu aborder cette semaine avec sérénité. Encore une fois, la situation échappait à mon contrôle, mais c'était moins « grave » qu'en janvier, dans le sens où les choses semblaient aller davantage de soi et qu'après un mois, j'avais un recul évident sur la situation. Lui, moins. Je sentais qu'il était venu à contrecœur, mais il est venu malgré tout, parce que lui non plus ne pouvait pas envisager qu'on n'en parle pas. Sa réponse ne m'a presque pas étonnée, tant je m'y attendais ; il ne pouvait pas raisonner autrement : c'était une erreur, il fallait qu'on oublie ça et qu'on arrête même de se voir. Il y avait presque de l'urgence dans sa voix quand il a dit cette dernière chose. L'avoir annoncée de façon aussi cavalière aurait pu me vexer, mais je savais comment il était et je savais que ça n'allait pas être une bonne idée de me prendre la tête avec lui. Il fallait qu'on aborde la chose calmement, que je lui expose mon avis.

Il n'était pas vraiment très clair sur ses intentions. D'un côté on aurait dit qu'il voulait vraiment couper les ponts, de l'autre il n'avait pas l'air d'en avoir tellement envie : il y avait une sorte de mollesse dans son ton quand il avançait cette exigence. On aurait dit aussi qu'il portait tout le poids du monde sur ses épaules et j'ai remarqué qu'il avait l'air encore plus fatigué qu'avant : son teint qui avait déjà l'air bien maladif a empiré, et les cernes qu'il a sous les yeux me font penser qu'il enchaîne les nuits sans sommeil. Il ne veut pas me dire ce qui le tracasse. Pour lui, tout ce qui importe, c'est que je l'oublie. Mais comment je pourrais l'oublier ?

J'ai écouté tout ce qu'il avait à dire, et à la fin, je me suis efforcée d'être sereine et de dire, calmement : « tu sais, pour ce qui est arrivé il y a un mois, il n'y a aucune raison de nous en vouloir. »

Il m'a regardée avec la plus profonde incompréhension et j'ai continué :

« Je veux dire… moi, je ne regrette rien. Toi, peut-être, mais ne va pas croire que tu as fait quelque chose de mal – parce que je sais ce que tu penses à ce sujet, ne mens pas. C'était merveilleux, pour tout te dire. C'est pour ça que je ne veux pas te perdre. »

Ca ne valait pas tous les discours que j'enchaînais dans ma tête depuis des semaines, mais c'était simple et ça allait au but. Je ressens toujours un peu de pudeur à parler de ça, surtout à un homme que je connais à peine au bout du compte, mais ça exprimait parfaitement mes sentiments. Au fond, Severus a quelque chose qui m'attire plus que ne l'auraient fait des hommes bien plus beaux et plus intéressants que lui. Il n'a rien pour plaire au départ, il n'y avait aucune raison pour que j'essaie de nouer des liens avec lui tant nous sommes différents. Mais rien que d'envisager une séparation, je me rends compte que c'est déjà trop tard, depuis bien longtemps, pour que ça ne cause pas de dommage : j'ai réussi à m'attacher plus à lui, en un an, qu'à d'autres personnes en plusieurs années. Nos rencontres intempestives, qui sont devenues des rendez-vous, mouvementaient ma vie et la rendaient moins morne au fur et à mesure. Elles me permettaient de tenir et de supporter la vie quotidienne qui ne procure aucune excitation. Il a cette part de mystère qui m'arrache un peu au monde réel pour m'emmener ailleurs. Je ne demande que ça, et je n'arriverais plus à me passer de sa présence maintenant. Me dire ça me fait presque peur. Il y a quelques jours je ne savais pas ce que je ressentais pour lui, mais quand il est là, ça paraît tellement évident qu'on ne peut pas mettre de mots dessus.

Après une longue discussion dont je n'ai plus grand souvenir vu que se succédaient toujours les mêmes arguments : « je ne peux plus rester avec toi…je ne suis pas quelqu'un pour toi... » je suis finalement parvenue à le convaincre, du moins à l'apaiser. Je ne suis pas sûre que ça ne continuera pas à lui trotter dans la tête, mais on est au moins arrivés à l'accord commun (même si c'est difficile pour moi) de ne pas reparler de cette soirée. Il avait l'air si fermement résolu quand il disait que je me trompais sur son compte, que nous suivions la mauvaise pente, que je ne pouvais pas le faire changer d'avis sans risquer une violente dispute avec lui. Je me doutais cependant que j'avais raison sur un point, qu'il avait vraiment une estime de lui si basse qu'il était prêt à empêcher quiconque d'avoir une bonne impression de lui. C'était presque instinctif chez lui. Il est asocial, misanthrope, renfermé et dénué de tout sentiment positif à force d'être mis à l'écart. Je suis sûre que je suis sa seule fréquentation en dehors d'éventuels collègues de travail et de ses élèves dont il me parle parfois. Je ne sais pas quelles sont les autres personnes qu'il fréquente, si elles ont la force de caractère qu'il faut avoir pour tenir le coup avec lui, parce qu'il met à l'épreuve quiconque tente d'entrer en contact avec lui. Pas étonnant qu'il ait si peu d'amis, s'il doit toujours se comporter comme ça.

Mais personne à part moi n'a jusque-là atteint le stade que nous avons franchi, j'en suis persuadée, et ça me donne le vertige. Je sais qu'il a douze ans de plus que moi et que c'est sa première expérience aussi, il me l'a dit. Je ne l'ai pas jugé, je ne me suis pas moquée de lui – ça aurait été une erreur grossière et stupide, et puis je n'y pensais pas du tout – et les choses se sont passées naturellement, presque comme si elles devaient arriver, et très sincèrement, même s'il y a eu un long flottement durant lequel je suis restée perdue ensuite. Je peux dire que cet acte a eu de l'importance pour moi, parce qu'une fois dans ma vie je voulais plus que de simples gestes d'affection. A ce moment précis, il me semblait être quelqu'un d'attentif et de pareil à moi, qui avait les mêmes exigences que moi et voulait les combler – tout comme moi. Nous étions en accord et c'est ça qui a rendu cet instant sublime. Est-ce que j'ai vraiment écrit que c'était sublime ?

Je me moque qu'il soit laid et repoussant, aussi aimable qu'un frigidaire, habillé comme un moine pour une raison qu'il n'a jamais spécifiée, jamais soigné et taiseux. Il est plus que tout ça pour moi. Il serait temps qu'il se rende compte qu'il y a quelqu'un pour lui et que je suis cette personne, s'il veut bien le reconnaître. Ce qui s'est passé cette nuit-là ne vaut pas qu'on l'enfouisse dans les abîmes de nos souvenirs. Je ne veux pas être pour lui simplement une passade, je crois que maintenant qu'on a franchi un cap, il y a un moyen de continuer, d'aller plus loin, parce qu'on ne gagne rien à vouloir reculer.

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19 février 1995

Je croyais que cet événement allait rendre nos relations tendues, que les choses allaient être différentes…Heureusement (ou pas), rien, en apparence, n'a changé. Il revient, ce qui me soulage, après son long mois de silence radio. Mais le fait qu'un accord tacite et presque malsain se soit mis en place entre nous, le fait de ne pas du tout devoir évoquer ça, me pèse. A quoi je m'attends, au juste ? Il m'a fait comprendre qu'il ne voulait pas qu'il y ait plus. Mais le fait est que c'est arrivé. Qu'il l'a fait, et avec moi. Il a bien murmuré à plusieurs reprises qu'il allait le regretter, qu'il ne devait pas le faire, mais il a cédé et j'en suis heureuse. Je crois que c'est le seul moment où je l'ai vu aussi humain, aussi libéré. Il en était touchant, et il a bien vu que je n'étais pas tout à fait sur la défensive non plus.

Je sais que ça ne peut pas durer, mais si je romps notre promesse, est-ce que ça ne le fera pas fuir, encore une fois ? Est-ce que je vais me dégonfler ? Je crois qu'il devine que ça me taraude mais qu'il fait exprès de ne pas voir pour ne pas m'encourager à aborder le sujet. Je sais qu'il est mal-à-l'aise. Il ne me regarde plus de la même façon. Parfois je surprends du dégoût dans ses yeux, et je ne sais pas si ça s'adresse à moi ou à lui. D'autres fois, il y a une faim qui en dit long sur ce qu'il ressent réellement. A la fois il a envie d'être avec moi, et à d'autres moments il préférerait me rayer de sa vie sur un coup de tête, quitte à le regretter ensuite. Il ne veut pas davantage prendre en compte mes sentiments qu'il connaît bien, parce que moi, je me pose moins de questions que lui et je sais ce que je veux.

Je me souviens mot pour mot de ce qu'il m'a dit, au soir de nos retrouvailles : « je ne suis pas quelqu'un pour toi. Il vaut mieux renoncer définitivement, Vera. Tu ne me connais pas. Tu es trop jeune, trop naïve. Je te blesserais si tu me connaissais mieux. Tu me fuirais. Je ne veux pas de toi. Je préfère que nous en restions simplement à notre cordialité. C'est déjà beaucoup pour moi. »

Il ne croit pas ce qu'il dit. Il regarde ailleurs mais jamais dans ma direction. Il a d'ordinaire un regard plus franc et jamais effrayé. Qu'est-ce qui l'effraie, chez moi ?...

Et toi, Vera, qu'est-ce que tu ressens réellement ? Il suffit d'être honnête avec moi-même, pour une fois. Je ne peux pas passer par quatre chemins et utiliser des tas de périphrases pour atténuer le propos et me voiler la face. Je ne peux pas nier qu'il y a eu quelque chose et que cet événement qui a tout chamboulé n'est pas arrivé sans prévenir. J'avais le cœur qui battait en l'attendant, j'imaginais sa vie, je me demandais s'il pensait à moi, parfois je rougissais quand il me regardait…A l'époque, peut-être que tout au plus, je ressentais une certaine attirance pour lui. Pour ce qu'il cachait. J'ai initié tout ça, donc j'en avais envie. Mécanisme inconscient, peut-être, je ne sais pas. Je suis celle qu'il lui faut. Je suis cette femme qui pourrait changer l'homme qu'il est, blessé par je ne sais quoi, une erreur du passé sûrement. J'aime ses blessures que moi seule peux guérir. Il sait qu'il ne pourra plus se passer de moi maintenant qu'il m'a. Je suis certaine qu'il cherchait un moyen de se sauver et qu'un beau jour, en arrêtant de chercher, il l'a trouvé. Moi. Je suis tombée amoureuse de cet homme.

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26 février 1995

J'ai vu ce matin quelque chose d'étrange. Je ne sais pas s'il est bon d'en parler là. Ca ne paraît pas si étrange à proprement parler, ou peut-être que si… Je crois que depuis le temps, je dois m'attendre à des surprises concernant Severus.

Lorsque je me suis réveillée, ce matin, il était resté à mes côtés, cette fois. Pour une fois, je l'ai vu dormir. Les gens sont différents quand ils dorment, ils sont plus détendus et il y a quelque chose de fragile chez eux. Severus, je dirais plutôt qu'il ressemblait à une forteresse qu'il fallait protéger. Une forteresse où les défenses sont abaissées, qui pourrait être envahie en pleine nuit, mais une forteresse dont je pourrais être la gardienne.

Et il y a eu ce tatouage. Je ne l'avais jamais vu auparavant, sans doute parce qu'il met souvent des couches de vêtements par-dessus, et qu'invariablement, hiver comme été, il porte des manches longues. J'ai été intriguée. Il était imprimé sur son bras gauche, qu'il avait posé de mon côté sur le matelas. Je ne pouvais pas bien le voir, alors j'ai hésité. Mais la curiosité a été la plus forte. J'ai saisi son bras et je l'ai tourné pour mieux voir. Je ne sais pas pourquoi, j'ai frissonné en l'examinant de plus près. On ne pouvait pas faire plus glauque… Comment le décrire ? Une tête de mort de la bouche de laquelle sort un serpent qui s'enroule autour de lui. D'où lui venait ce tatouage ? Il était si bien fait, d'ailleurs, que j'avais la sensation qu'il bougeait… Alors j'ai tendu la main pour l'effleurer, juste un peu.

Et c'est là qu'il m'a pris le bras. J'en ai sursauté, tant j'ai cru qu'il allait me le briser. Il avait le regard glacial et il y avait comme une lueur furibonde dans ses yeux qui me disait : « ne t'avise même pas de faire ça. » J'ai pris peur, je sais que lorsqu'il est comme ça, c'est pour une bonne raison. J'ai lâché son bras mais il ne m'a pas lâchée en retour, comme s'il craignait que je ne recommence.

Ce devait être quelque chose de sensible. Je me suis risquée à lui demander ce que c'est.

« Tu n'avais pas à la voir.

-A un moment ou à un autre, j'aurais fini par la voir, non ? Il y a toujours le danger que je me réveille avant toi et que je voie par inadvertance ce dessin sur ton bras pendant que tu dors. »

Il n'a rien dit, il est resté silencieux. Je me suis adoucie :

« Qu'est-ce que c'est, au juste ? D'où ça te vient ?

-Une erreur de jeunesse. »

Il n'a rien dit de plus. Ca pouvait vouloir dire beaucoup de choses. Ce n'était sans doute pas une bonne idée, mais j'y suis tout de même allée de mes suppositions, à moitié sur le ton de la plaisanterie. Je ne voulais pas qu'il soit aussi tendu, comme un animal menacé.

« Hum… J'ignorais que tu étais le genre à entrer dans une secte. A moins que ce ne soit un groupe de métalleux…

-Vera, m'a-t-il dit très sérieusement, il vaut mieux pour toi que tu n'approfondisses pas plus le sujet. Ce…ça ne serait pas bon. »

J'ai été surprise de cette réponse.

« Qu'est-ce que tu veux dire par-là ? »

Je voulais être taquine, mais j'étais réellement intriguée. Il l'a senti et a soupiré. J'ai compris qu'il n'avait pas trop envie d'en faire part. Alors je lui ai dit :

« S'il y a quelque chose qui ne va pas, tu peux me le dire. »

Mais il n'a rien dit de plus. Il s'est juste levé et rhabillé pour partir. Je lui ai demandé s'il reviendrait, il m'a répondu à demi-mot quelque chose que je n'ai pas compris. J'ai dû dire quelque chose de mal, le blesser involontairement ou je ne sais quoi, mais j'ai beau chercher, je ne vois pas. Je soupçonne malgré tout que le simple fait d'évoquer son passé le fait se refermer davantage sur lui-même. Je devrais prendre plus de précautions, la prochaine fois qu'il viendra. Parce qu'il va revenir, c'est obligé.

Du coup, je me pose une question qui ne m'est même pas venue auparavant, alors que je le fréquente depuis bien plus d'un an. C'est perturbant. Il m'en dit très peu sur lui. Je pourrais en être vexée, c'est vrai. Mais j'ai supposé dès le début que c'était un homme secret qui avait besoin de temps. Et puis, chacun a le droit d'avoir ses secrets, j'imagine. Quoique moi, je ne sais pas si j'ai déjà eu des secrets pour quelqu'un.

En tout cas, hormis cet incident, les choses se sont allégées entre nous et j'ai comme l'impression qu'il accepte notre situation telle qu'elle est, qu'il ne la juge plus si contre-nature. Il a changé, depuis quelques temps. Il me regarde plus franchement, il s'autorise enfin à avoir quelques attentions à mon égard, il montre qu'il a envie de moi et c'est réciproque. On pourrait presque former un couple s'il n'avait eu tous ces scrupules. Ca a été difficile de le faire sortir de sa coquille, mais dès que je l'ai embrassé, j'ai trouvé le moyen d'abaisser ses défenses, même s'il a un peu résisté. Il aurait eu les moyens de m'empêcher de faire ça, mais finalement il ne m'a pas repoussée. Après l'amour, il a paru assumer un peu plus ses propres sentiments et il m'a regardée en me demandant si les choses devaient vraiment se passer comme ça. Je lui ai répondu « oui » à défaut d'autre chose. Et je lui ai demandé aussi de ne pas partir inopinément, que le lendemain matin je voulais encore qu'il soit là pour bien réaliser.

Nous nous sommes mis d'accord pour ne pas ébruiter notre relation nouvelle. Je sais que ça pourrait choquer Nicolas. Il m'a promis de revenir ce soir et je travaille cette après-midi, donc je lui ai dit que je prévoyais de retourner chez moi vers 18h. Il ne voudra pas dîner en ville, je vais prévoir un repas pour deux et m'aviser que Nicolas ne vienne pas sur un coup de tête, il faudra que je trouve un prétexte.

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25 mars 1995

Je n'arrive pas encore à croire que le temps puisse passer si vite, depuis janvier. Je suis comme dans un rêve. Je me sens heureuse. Je ne suis pas avec la meilleure personne du monde mais je suis du moins avec la plus attentive et captivante. Il est toujours aussi peu loquace mais il m'écoute quand je lui parle, il me raille à présent surtout pour me taquiner, alors qu'avant c'était avec une réelle méchanceté dans la voix. Il a de la considération pour moi, il n'arrête pas de vérifier anxieusement si je ne finis pas par me lasser de lui, mais il finit par se rassurer parce que, tout de même, je ne suis pas comme ça ! Il ne réagit plus à mon contact. Il le tolère. Il l'aime. Enfin, c'est l'impression qu'il me donne. Maintenant c'est lui qui cherche ma bouche, ma peau, mon corps dans le noir. On se laisse aller corps et âme et toute difficulté semble s'être évaporée. Adieu tous les tracas, on détruit les barrières pour s'aimer librement.

Il me parle plus de lui, mais à mots couverts souvent. Il m'évoque son passé qui n'a pas été rose, sa scolarité commune à celle de beaucoup d'adolescents que j'ai fréquentés. Je comprends tous les ravages que ça peut faire et surtout pourquoi il a fait des bêtises étant jeune. Je sens qu'il me cache encore des choses, mais je n'insiste pas et il m'en remercie discrètement. Il n'a pas envie d'approfondir le sujet, il me donne les informations qu'il veut bien m'offrir, parce qu'il sait que je ne vais pas le juger. Mais qu'est-ce qu'il dissimule encore qui échapperait à ma compréhension et à ma tolérance ?

Le scénario de chaque soirée est souvent le même. On se retrouve. On dîne, en tête à tête. On discute des détails sans importance de la journée, je lui mets du Bowie plein les oreilles et il a l'air de trouver un peu moins à redire (peut-être est-il enfin enclin à l'apprécier ?), il me regarde avec insistance au bout d'un moment, je comprends son message et je l'invite à rejoindre ma chambre pendant que je vais à la salle de bains. On ne se soucie pas de la routine, pour le moment, l'important c'est le moment. Je mets la chemise de nuit qu'il aime (celle que j'ai portée le 1er janvier, je sens toujours à son regard qu'il l'apprécie), je viens le retrouver. Et puis on s'aime. Longuement. Il ne se passe plus une seconde sans qu'on cherche à rattraper les instants passés loin l'un de l'autre.

Et puis, quand c'est fini, on s'allonge l'un à côté de l'autre, on se fait face, et on se regarde. Lui, jamais il ne parle, et pourtant, il ne ferme pas immédiatement les yeux. En fait, je ne saurais pas dire s'il les ferme réellement. Je m'endors systématiquement avant. Mais comme je n'ai jamais envie de dormir tout de suite – et pas après ça –, je me mets à parler, de moi, de banalités, de mes états de pensée, de choses inintéressantes en somme. Il pourrait très bien m'ignorer, pousser des soupirs ennuyés, me demander de me taire, mais à la place, il ne dit simplement rien. Il ne me répond pas, il se contente de m'écouter. Je sais qu'il m'écoute, et je sais que m'entendre parler doit signifier quelque chose, pour lui, s'il ne réclame pas le silence. Peu importe ce que je dis, il m'entendra toujours parler dans le silence et l'obscurité, parce que j'imagine que c'était cela, qu'il voulait, depuis des années. Une voix qui lui parle.

Un jour, j'essaierai d'arrêter de parler, et je vérifierai alors sa réaction. Peut-être cela l'étonnera-t-il, ou le perturbera-t-il, et alors je saurai.

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2 avril 1995

Réveil ce matin en douceur. Comme je croyais qu'il était encore endormi, j'ai voulu me lever pour préparer un petit-déjeuner surprise. Me conduire comme si on était un jeune couple, même si notre situation est particulière et pas vraiment encore fixée. Je suis comme une funambule. A tout instant, la corde peut vaciller et me faire tomber dans le vide. La chute serait vertigineuse. Pour le moment, j'ai encore la tête dans les étoiles.

Brusquement il m'a prise par la taille et m'a empêchée de partir. Il m'a tenue avec tant de force que je me suis un peu débattue, et je lui ai demandé de me lâcher. Il m'a soufflé à l'oreille qu'il ne me laisserait jamais partir. Ca résonnait presque comme une menace, mais pas franchement effrayante. Malgré tout, ses taquineries dissimulent toujours un message sibyllin et je l'entends, même si j'essaie de me défendre en disant : « je vais préparer à manger ». Il me répond : « j'ai faim de toi et seulement de toi. » Je suis restée et comme la veille, comme les autres jours, comme je voudrais que ça soit tout le temps, on a fait l'amour. C'était plus doux que les autres fois, comme s'il avait enfin réussi à s'apprivoiser, à connaître ses limites et à ne pas déployer trop de force dans ses gestes. Moi aussi, j'ai appris des choses. On était tous les deux timides au début, mais on a évolué ensemble et au lieu de nous frustrer, ça a permis d'avoir davantage envie l'un de l'autre. On est sur un pied d'égalité, il y a un domaine où nous avons tous les deux une expérience similaire. Il ne peut pas prétendre, ce coup-ci, en savoir plus long que moi sur le sujet.

J'adore le murmure de sa voix qui retentit dans mon oreille. Elle est si douce et si caressante… Il le fait tout le temps depuis que je le lui ai dit, et j'en raffole. Il ne me dit pas ce qui lui plaît chez moi, mais en général, ses gestes et son regard parlent pour lui. J'ai fini par comprendre que le silence était notre ami et qu'il n'y avait pas besoin de trop en dire pour se comprendre. Avec lui, j'apprivoise même l'absence de paroles, je suis plus sereine, plus apaisée. J'ai fini par comprendre la sérénité qu'on a à n'écouter que ses pensées quand c'est nécessaire. Je lui ai demandé si, malgré tout, il n'avait pas d'autre occupation que de rester planté toute la journée à n'importe quel endroit pour réfléchir. Il a haussé un sourcil comme il sait si bien le faire et il m'a répondu avec sa verve habituelle : « les activités de tout être humain normal, je suppose. Manger. Dormir. Lire.

-Et qu'est-ce que tu aimes lire ? »

Il a marqué un temps d'hésitation.

« Des revues.

-De quoi ?

-Ca ne t'intéresserait pas.

-Mais tout m'intéresse !

-Pas ça.

-Oh, arrête de répondre par monosyllabes et sois franc !

-De l'occultisme. »

Je ne l'imaginais pas dans cette veine-là. Ce type m'étonne de plus en plus chaque jour.

« Après avoir fait partie d'une secte, tu me dis maintenant que tu t'intéresses aux phénomènes paranormaux ? Et qu'est-ce que ce sera, la prochaine fois ? Tu t'adonnes à des rituels vaudous ? Des tables tournantes… ? »

Il a soupiré d'un air fataliste, comme s'il se doutait que j'allais réagir comme ça.

« Mais ça existe, des revues sur l'occultisme ?

-Je suppose qu'on peut en trouver.

-Il faudra que je cherche, alors. Histoire que je te cerne un peu plus. »

Il a eu un sourire en coin comme s'il se moquait silencieusement de moi.

Maintenant que j'y pense, il y a eu plusieurs allusions depuis notre rencontre que j'avais jusque-là un peu oubliées. Sa façon bizarre de s'habiller (ça ne lui plaît jamais quand je fais des remarques sur sa tenue, il préfère que je garde la bouche close sur le sujet), et puis, plus récemment, tous ces petits phénomènes étranges avec lui, et même son tatouage. Tous les ingrédients pour en faire un bon sataniste sont réunis, non ? Bien sûr, je plaisante, à moitié. Pour le moment, il n'a pas encore tenté de m'enrôler, c'est donc que tout va bien.

Je ne sais pas pourquoi, malgré tout, j'ai ressenti un sentiment diffus de malaise en l'écoutant. Quand il évoque tout ça, j'ai chaque fois ce même pressentiment bizarre et ça ne me plaît pas du tout. Quelque chose me démange, et même si j'aime être avec lui, en même temps mon instinct me dit de fuir. Mais il est trop tard, non ? Je ne peux pas le plaquer sans explication…Je suis sûre que je le blesserais, si je faisais ça. Qu'il ne me le pardonnerait pas. Il s'accroche à moi comme s'il avait peur que je disparaisse du jour au lendemain, maintenant. Il ne fuit plus, mais il veut que je reste.

Nos étreintes terminées, on attend encore un peu, dans le silence. C'est toujours un moment de flottement où nous récupérons tous les deux. J'aime être dans ses bras. Des courants contradictoires s'entrechoquent en moi dans ces moments-là : je me dis qu'à me serrer comme il le fait, il pourrait m'étouffer, mais d'un autre côté, c'est comme s'il me protégeait. Contre quoi ? Quel danger extérieur me menacerait ? Est-ce que ce n'est pas simplement pour se rassurer, lui ? Cet homme pense-t-il à moi dans ces moments-là ou ne voit-il que son propre intérêt avant tout ?

Je me lève enfin pour préparer le petit-déjeuner. Je reviens, il regarde avec un peu de circonspection le plateau, comme si j'avais pu ajouter du poison dedans. Je lui dis que c'est mangeable. Il mange sans dire un mot, tout en me regardant. Je n'ai pas vraiment faim, et quand il m'invite d'un geste à prendre ma part, j'accepte de bonne grâce mais je ne prends qu'une bouchée. Le repas terminé, il me dit qu'il doit rentrer. Il a presque du regret à dire ça. Je ne veux pas qu'il s'en aille. Qu'il ait un train à prendre ou non, je fais tout pour le garder près de moi le plus longtemps possible, je l'embrasse, je tombe dans ses bras, mais rien n'y fait, et je trouve la parade. Je me saisis de la cape qu'il a laissé traîner la veille et je l'enroule autour de mon corps, pour qu'il vienne la chercher s'il le peut. La tentation est grande, il a compris le but du jeu. Il réussit par un moyen bien plus vil à me faire rendre les armes : il m'embrasse avec tellement de fougue que je crois un instant avoir réussi et qu'on va avoir de nouveau un instant pour nous deux. Soudain, il s'empare du vêtement et l'arrache de mon corps. Sous le coup de la colère et de la frustration, je le traite de tous les noms, et ça le fait rire, et je lui pardonne finalement. Il m'avoue finalement qu'il ne sait pas quand il pourra revenir, qu'il va avoir un troisième trimestre très chargé, qu'il a donc toutes les chances de rester dans son internat pendant assez longtemps.

« Oh… Alors, pas de problème, je peux attendre, » je réponds.

En vérité, dès la seconde où il est parti, il m'a manqué immédiatement. Ces mois vont me paraître si longs. Ecrire sur lui prolonge un peu le sentiment qu'il est près de moi et qu'il m'enlace. Il n'a pas dit quand il reviendrait, à la vérité. Quand les choses seront calmées ? Au mois de juin, quand les inévitables examens de fin d'année seront terminés ?

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11 avril 1995

Les journées semblent plus vides. J'ai peur d'être devenue beaucoup trop dépendante, il faut que je me reprenne et que je m'assume un peu, au lieu de soupirer après un amant qui adore me faire languir. Ca s'apparente presque à du masochisme. Je crois que mon métabolisme ressent un peu cette faiblesse, je suis fatiguée pour un rien, ces jours-ci. Mon rythme est plus lent et ça me vaut des reproches au travail, alors j'ai intérêt à reprendre du poil de la bête ! En attendant, ce soir, je me promets de penser à autre chose. Je lis, je dors, je regarde des films, j'écoute de la musique. Je fais un tour à la bibliothèque quand même pour voir s'ils n'auraient pas quelque chose sur les revues d'occultisme, et visiblement, ce n'est pas très réputé, vu la petitesse des rayons. Pourtant, j'en ai quand même vu, des ouvrages un peu anciens, de vieux traités de magie que je n'ai pas eu le courage d'ouvrir tant ça me paraissait ronflant. J'ai vu une vieille dame qui me regardait bizarrement. Je n'ai trouvé aucun magazine. La vieille dame s'est approchée de moi pour me parler. Dès les premières paroles, j'ai senti que le dialogue allait être haut en couleurs et nous emmener très loin. Je me suis excusée avec, je crois, un peu de brusquerie et je suis partie. C'est si bête d'être prise pour une illuminée parce que je m'intéresse un peu à ces choses, ne serait-ce qu'une fois dans ma vie. Ces bouquins sont hors d'âge. Je m'étonne même qu'on en conserve encore ici. Qui en fait usage encore aujourd'hui ? On voit qu'ils n'ont pas été empruntés ou même examinés depuis des lustres. C'étaient de vieux manuscrits étudiés, sans doute, par des savants qui considéraient encore ce genre de sciences comme recevables, à une époque, des alchimistes, des gens qui se disaient sorciers…Une époque si lointaine.

Qu'est-ce que je vais risquer à rentrer dans « son monde » ? Avant, je n'aspirais qu'à ça. Aujourd'hui, je doute un peu. Est-ce qu'il ne s'est pas encore fichu de moi ? Ca se ressentait dans le ton de sa voix, même s'il était à demi sérieux. Tiens, et s'il était aussi un adepte de ces jeux de rôle dont Nicolas est si friand ? Ca leur ferait un point commun et une raison de commencer à bien s'entendre, s'ils en prenaient l'occasion. Aucun des deux ne s'est revu depuis la confrontation de la dernière fois, Severus ne le souhaite pas et Nicolas ne voudrait pas en entendre parler. Comme je ne parle plus de lui, il croit que j'ai arrêté de fréquenter « ce drôle de gus » comme il dit.

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20 avril 1995

Je le ressens, quelque chose ne va pas depuis une semaine. Tout est bizarre. J'ai commencé à m'en rendre compte au cours de la semaine dernière. Je pensais ne pas avoir à trop m'inquiéter, mais toutes ces remarques sur mon état de santé m'ont chiffonnée et parfois, je me suis surprise à faire des choses qui n'étaient pas dans mes habitudes, comme me coucher très tôt, souvent vers 18h, sans dîner. De toute façon, je ne mange plus régulièrement. Je manque d'appétit aux heures décentes et je suis prise d'une fringale au cours de l'après-midi ou même de la nuit. Tout ça, encore, ça peut être normal, si ce n'est que j'ai été aussi un peu malade la nuit dernière.

Est-ce qu'il y aurait un problème avec la pilule ? Je crois que j'ai tout fait normalement, selon les prescriptions. J'avais terminé une plaquette et j'attendais l'arrivée de mes règles, du coup, comme c'était censé se passer, mais j'attends toujours et je dois recommencer maintenant. J'ose vraiment espérer que ce n'est pas ça, que c'est quelque chose de normal. Je préfère ne m'en ouvrir à personne, même pas à mon meilleur ami, parce que je sais tout de suite ce que serait sa réaction. Pour le moment, je n'ai pas envie de trop y penser, de peur que ça devienne réel…

Je préfère ne pas m'avancer du tout tant que je ne suis sûre de rien. Mais j'aime autant me dire que c'est passager et que c'est juste un effet de mon imagination, un coup de stress stupide. On n'a pratiquement jamais parlé de ça, lui et moi, comme si c'était pratiquement certain que ça n'arriverait pas. On a vécu le moment comme n'importe quel couple, sans envisager les choses qui pourraient advenir par la suite. Et puis, je suis jeune, je viens d'avoir vingt-trois ans, je suis en situation précaire… J'envisage bien tout ça, et j'ai des sueurs froides. Qu'est-ce que je vais faire ?

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24 avril 1995

Le verdict est tombé. J'ai eu beau essayer de le fléchir, de lui faire dire le contraire, parce que ça ne se pouvait pas, j'avais tout fait pour que ça n'arrive pas, c'est malgré tout bel et bien arrivé : je suis enceinte. Je le prends pour le moment avec un peu de détachement, mais j'ai en même temps comme une chape de plomb qui me tombe sur les épaules, je ne sais plus où me mettre, à qui parler. Je ne me suis jamais sentie si seule. Ca m'est tombé dessus comme ça. Je ne me suis pas préparée à ça. Moi, tout ce que je veux, c'est que Severus soit là et qu'il me dise ce qu'il en pense. Ce serait mieux que nous accueillions la nouvelle en même temps, mais pour l'heure il est loin d'ici et au courant de rien. Il ne le saura que lorsqu'il reviendra et d'ici là, il me faudra prendre une décision…

Il va sans dire que j'aurais déjà pris ma décision bien avant, parce que je ne vais pas garder ça longtemps pour moi.

Réfléchis, Vera. Il n'y a absolument rien qui va. Tout va de travers, tout est allé trop vite depuis le début. Severus et moi nous fréquentons depuis à peine deux ans, notre relation a pris un réel tournant au début de l'année, et puis en vérité, ce qui m'a paru si long à construire est arrivé tellement vite, que ni l'un ni l'autre ne l'a prévu. On s'est jetés l'un sur l'autre comme des bêtes sauvages, sans penser aux conséquences. Enfin, j'ai pensé aux conséquences. Lui aussi, peut-être, quand il a voulu tout arrêter au début. J'aurais dû l'écouter, mais…ce serait renier tout ce qu'on a vécu. Ce n'est pas ce bébé qui me fera quand même regretter ce qui est arrivé ?

Heureusement que je l'ai découvert tôt. Il va falloir que je prenne des dispositions d'ici aux prochains mois, et que… je me prépare, tout simplement. A quoi, c'est ce qu'on verra, en fonction des décisions.

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1er mai 1995

Je supporte assez bien le choc, pour le moment. Enfin, je veux dire que je me suis calmée. Je n'arrive toujours pas à me remettre les idées en place, malgré tout. Je suis perdue.

Comme j'étais malade, j'en ai profité pour demander quelques jours d'arrêt maladie, le temps de tout remettre en ordre, dans mes affaires et dans mes pensées. Ces temps-ci, mes journées sont un enfer, j'ai toujours les nerfs à fleur de peau.

J'attends un bébé. Bon. Honnêtement, je ne me suis toujours pas faite à l'idée. Il va falloir peut-être agir vite pour ne pas totalement le réaliser. Je sais très bien que dans les circonstances actuelles, je ne peux pas avoir d'enfant. Officiellement, je suis célibataire, je vis seule, je n'ai pas un salaire mirobolant… J'ai seulement de quoi m'occuper de moi-même déjà. Je connais beaucoup de gens qui seraient prêts à me traiter d'irresponsable si j'élève un enfant dans ces conditions. J'ai bien envie de n'en avoir absolument rien à faire, mais je suis bien trop gentil pour leur dire en face de se mêler de leurs affaires.

Je suis réaliste. Mais être réaliste n'exclut pas aussi d'hésiter. Je me connais, à force, j'ai toujours hésité. Passé le choc, passée la peur et la surprise, la conviction qu'on ne va pas survivre à cette situation, se pose la question qui nous entraîne dans un cercle vicieux : et si… ?

Qu'est-ce que je peux faire avec ce « et si » ? On sort du domaine des possibles. On va vers le rêve, vers un futur idéalisé. Or, la réalité est toujours loin de ce qu'on avait imaginé. Oui, je me vois bien avec des enfants, mais je n'ai jamais vraiment pensé non plus à comment je construirais ma famille…J'ai rêvé au Prince Charmant quand j'étais ado, aujourd'hui celui qui s'est présenté ressemblait plus à un méchant de dessin animé Disney qu'à un beau jeune homme bien fait de sa personne. Je ne fais jamais rien comme les autres.

Malgré ça, je l'aime. C'est sûr, maintenant. J'adore tous les moments avec lui. On n'était pas faits pour s'entendre, mais à force de persévérance on s'est trouvés, on a su aimer les qualités et les défauts de l'autre. Soudain, ça me semble naturel qu'il devienne un jour le père de mes enfants. Il a une dizaine d'années de plus que moi, certains diraient que c'est énorme, mais à la réflexion je ne vois pas ce qu'il y a de si choquant. On ne sait jamais de qui on va tomber amoureux, de toute façon, ce n'est pas quelque chose qui se commande, ni quelque chose à laquelle on s'attend. Notre histoire est la plus atypique qui soit, mais c'est sans doute ça qui la rend si belle, en un sens.

Comme rien ne se voit, Nicolas ne se doute de rien, mais remarque quand même mon comportement. J'ai envie d'être seule, je ne supporte pas vraiment de le voir ces temps-ci. De tous, je sais que ce sont ses commentaires que j'ai le moins envie d'entendre.

L'avis le plus important dans cette histoire, celui qui me conforterait le plus, serait celui de Severus. Pour le moment, je suis perdue, je n'arrive pas à me décider. C'est vrai que j'ai le temps, mais est-ce que ce temps ne sera pas plutôt un fardeau ? J'ai envie qu'il revienne vite, je ne peux pas attendre juin pour qu'il décide à repointer le bout de son nez ! Si je pouvais lui écrire…mais cet imbécile ne m'a jamais donné son adresse. Bon sang, c'est quoi cette manie de tout cacher ? La prochaine fois qu'il viendra, soit je serai enceinte jusqu'au bout des ongles et il ne me restera qu'à le mettre devant le fait accompli, soit je me débarrasse du fœtus et je fais comme si rien n'avait changé. Mais un fond de morale en moi me dit que je dois quand même attendre son aval, avoir son avis. Ce ne serait pas juste, sinon. Mais notre situation est particulière. Il ne vit pas avec moi. Peut-être que ça changerait ? Qu'on emménagerait enfin ensemble ? Alors qu'on se connaît à peine, finalement ? Que je ne connais presque rien de sa vie en dehors de moi ? Est-ce que ça serait vraiment raisonnable ? S'il revient cet été, comment il va prendre tout ça ? Pas aussi bien que moi, je m'en doute. Mais il restera à se calmer pour réfléchir à tête reposée. Je me sens étouffer dans cette situation, à présent. Je me sens abandonnée au moment où j'ai le plus besoin de soutien. Est-ce que je compte vraiment pour lui, finalement ?

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14 mai 1995

Nicolas vient comme prévu chez moi à 19h. Il me regarde très attentivement. Et il me propose qu'on aille en ville se manger un morceau. J'accepte, évidemment.

Encore une fois, je manque d'appétit. Il s'inquiète parce que ça fait depuis un mois que je laisse toujours des restes dans mon assiette, il me demande si ça va et si je ne suis pas malade. Je me demande si ce n'est pas un tic, ou un faux mouvement de ma part qui lui a mis la puce à l'oreille. Alors qu'on prend sa voiture pour qu'il me ramène chez moi, brusquement il rentre dans une place de parking au hasard, au crépuscule, il stationne et met le frein à main, et se tourne vers moi avant que j'aie le temps de lui demander ce qu'il fait.

« Vera, tu sais que ça m'énerve quand tu me fais des cachotteries. Je te connais à force, j'arrive toujours à comprendre quand tu me prends pour un crétin. »

Je fais mine de ne pas comprendre, ça l'énerve encore plus.

« Ne fais pas l'innocente. Pourquoi tu m'évites, ces derniers temps ? Et puis, pourquoi tu as l'air si malade depuis un mois ? Tu peux me dire ce qu'il y a ? Quelque chose au boulot, une mauvaise nouvelle ? »

Il y a réellement de l'inquiétude dans sa voix. Il se comporte toujours comme s'il était loin de toutes ces choses, habituellement. Je n'ai jamais pensé qu'il pouvait être attentif à mes ressentis. Nous sommes tous les deux très silencieux sur nos sentiments. Cela n'empêche pas qu'il y ait des signes que nous reconnaissons infailliblement chez l'un et chez l'autre, et qui nous servent à savoir quand quelque chose ne va pas.

« Je ne t'évite pas.

-Mon œil. Et moi je suis le Prince de Galles. »

Ses yeux me fixent avec insistance et je soupire, mais je ne suis toujours pas décidée à lui dire. Il m'encourage sèchement, il sait qu'il me met mal-à-l'aise.

« Ecoute, je ne veux pas en parler…

-Mais tu vas le faire, parce que ça dure depuis trop longtemps maintenant. Dis-moi ce qu'il y a, tu te sentiras sans doute mieux après ? »

Quel menteur, c'est surtout parce qu'il est curieux. Je caresse l'idée de rentrer toute seule, à pied, et puis je me dis qu'avec sa bagnole, il va quand même me rattraper et me harceler jusqu'à l'appartement. Il a même le double des clés, il ira jusqu'à rentrer chez moi pour avoir enfin sa réponse. Ce type peut être un véritable poison quand il s'y met, je l'ai trop souvent vu à l'œuvre, et pas seulement avec moi.

Finalement, après tergiversations, je finis par lui avouer, même si les mots me paraissent difficiles à laisser sortir. Si sa tête quand je lui ai dit que j'étais enceinte était déjà digne d'être prise en photo, il est encore plus difficile d'en dresser un portrait quand il a compris qui était le père. Et là, sa réaction ne s'est pas faite attendre :

« Tu m'avais dit que tu avais arrêté de le voir !

-Je ne t'ai jamais rien dit. C'est toi qui as fini par le croire tout seul.

-Alors ça veut dire que quand je n'étais pas là, ce type… Bon sang, j'en suis malade. Vera, regarde ce qu'il t'a fait ! Et tu l'as laissé faire !

-Et tu sous-entends quoi, qu'il a abusé de moi ? »

Sa remarque m'a vraiment mise en colère, mais il n'a pas démordu. Il oscillait entre une colère bouillonnante et une panique totale, et on n'a pas tardé à se disputer violemment, comme je m'y étais attendue dès le départ.

« Tu ne le connais pas, tu ne peux pas te permettre de le juger simplement à l'apparence.

-L'apparence est déjà un indice, figure-toi, et il n'y a pas besoin d'en savoir plus sur le profil de l'individu. Ce type te refile les chocottes et toi, pauvre cloche, tu te jettes dans ses bras comme la dernière des… »

La dernière phrase m'a offusquée. J'ai manqué d'air, je suis sortie de la voiture et je me suis dépêchée de partir. Il a couru derrière moi.

« Vera, tu te rends compte ? Combien de fois on va te dire de ne pas fréquenter n'importe qui ?

-Et combien de fois je vais devoir te faire comprendre que je ne suis plus une gamine, et que je sais très bien me prendre en charge toute seule depuis bien plus longtemps que toi ! Tu n'as pas de leçon à me donner ! »

Ca a eu le mérite de lui clouer le bec et je l'ai planté là. Au lieu de rentrer, j'ai couru jusqu'au parc. Là, je me suis calmée. Je me suis trouvée au même endroit que celui où Severus et moi nous retrouvions, auparavant. J'aimerais bien revenir à ce temps-là. J'étais insouciante et un peu folle, je le suis toujours d'ailleurs. Oui, assez pour m'être retrouvée dans cette situation…et être en voie de l'assumer. En réfléchissant, j'ai réalisé que la discussion houleuse avec Nicolas avait peut-être eu son effet, un effet plus positif que ce que j'avais escompté au départ, parce que j'étais dans l'indécision. Ce que je déteste chez mon meilleur ami, c'est qu'il se croie toujours obligé de jouer les nounous avec moi…et qu'il essaie en l'occurrence d'écraser ma fierté. Mais est-ce que je suis le genre à me laisser dicter ma conduite ? Est-ce que suivre les conseils d'autrui, ce ne serait pas plutôt une énorme erreur ?

Je crois que je dois creuser dans ce sens. Et reprendre mon calme, il le faut.

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16 mai 1995

Deux jours et mon téléphone n'arrête pas de sonner. A chaque fois, c'est lui, alors je préfère ne pas décrocher. Je ne me sens pas encore prête à avoir encore une discussion avec lui. Il n'a jamais eu aucun tact.

Malgré tout, à un moment ou à un autre, il fallait bien qu'il comprenne qu'il n'allait pas y arriver par ce moyen. J'entendais toquer à la porte et sans me douter de rien, j'ai ouvert. C'était lui. Il avait une expression indéchiffrable sur le visage et il ne me regardait pas. J'ai eu la tentation de lui claquer la porte au nez, mais je me suis dit que ça n'allait pas être très malin de ma part. Alors je l'ai laissé entrer. On n'a rien dit pendant plusieurs minutes. C'est lui qui est venu, donc ce n'est pas à moi d'engager une discussion.

« Bon, écoute, je suis désolé pour l'autre jour. »

Profonde inspiration comme s'il allait commencer un long discours. Et encore une fois un faux-pas.

« Je crois quand même qu'il y a certaines choses dont on doit discuter…Je sais pas si tu as très bien conscience toi-même de ce qu'il se passe…

-Et toi, est-ce que tu en as conscience ? j'ai rétorqué.

-Je ne suis pas à ta place, mais je me demande si tu mesures vraiment ce que tout ça va entraîner. »

Il avait la voix ferme, celle que je lui connais bien quand il veut s'assurer de quelque chose avec moi. Ca m'irrite et ça me calme à la fois, alors je le laisse dire ce qu'il a à dire, si ça peut soulager sa conscience :

« Je vais pas m'étendre à propos du…enfin, de ce gars, tu sais assez bien ce que j'en pense. Non, c'est surtout concernant le bébé que je m'inquiète. Enfin, pour toi, surtout. Toi et moi savons très bien que tu n'es pas du tout préparée pour ça. »

J'ai dû le reconnaître, à mi-voix.

« Moi, maintenant, c'est à toi que je pense. Je crois que tu ne peux pas le garder. Si tu considères un peu ta vie telle qu'elle est, c'est loin d'être le cadre idéal pour développer un environnement familial sain. Et puis, je ne voudrais pas t'embêter encore avec ça, mais je crois que si tu le gardes, tu vas faire une erreur. Réfléchis, tu ne sais rien à propos de ce gars et de ses intentions…

-Je croyais que tu ne t'étendrais pas là-dessus. Tu n'as pas pris le temps de le connaître.

-Tu dis ça, mais mets-toi à ma place ! Tu dirais quoi si tu me retrouvais à flirter avec quelqu'un de louche ? »

Je déteste qu'il aborde ce sujet. Je déteste qu'il fasse pire que mieux, qu'il renforce ma culpabilité alors qu'il devrait me soutenir et ne pas contester mes choix quels qu'ils soient. C'est déjà dur d'être dans cette situation, sans que même mon meilleur ami se mette à me juger…à propos du père.

« Passons sur ma situation précaire. C'est vrai que vivre en appartement avec un petit salaire pour me permettre de tenir, avec parfois du rouge dans le compte en banque, ce n'est pas vraiment le cadre idéal. Je sais très bien tout ça. La décision ne reviendra qu'à moi seule, de toute façon, et…je pense qu'il vaut mieux que j'attende son retour.

-Et quand est-ce qu'il va revenir ?

-Je ne sais pas. »

Ma réponse l'a encore fait tiquer.

« Donc tu es en plus obligée d'attendre après un type qui part du jour au lendemain sans donner de nouvelles et réémerge quelques mois plus tard si ça lui chante ? Tu n'as pas plutôt l'impression qu'il profite de toi ?

-Nicolas !

-Je suis désolé, Vera, je dis ce que je pense. Et c'est sûr que c'est pas agréable à entendre mais je te trouve vraiment naïve. Je serais pas étonné qu'il n'assume pas ses nouvelles responsabilités quand elles lui tomberont sur le coin de la g…

-Pourquoi est-ce que tu ne peux pas me soutenir au lieu de me faire la leçon à tout bout de champ ?! »

Je suis contente d'avoir enfin pu le dire. Il était temps que ça sorte. Il s'est offusqué, bien sûr, mais il s'est calmé aussi et je crois qu'il a compris que son comportement était déplacé et blessant. Je suis presque étonnée de ne pas avoir fondu en larmes devant lui, mais je l'ai fait finalement après coup, quand j'ai été sûre d'être seule. Je ne veux pas donner aux autres l'apparence de la faiblesse, qui leur permettrait de m'enfoncer davantage.

Et Severus… Il ne peut pas être tout ce que Nicolas dit. Ce n'est pas vrai. Il va comprendre, j'en suis certaine, il est le seul sur qui je peux compter de toute façon. Le seul dont l'avis aura vraiment de l'importance. Son retour est de plus en plus nécessaire à mesure que les jours s'écoulent.

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18 mai 1995

J'en viens à m'interroger sur notre avenir ensemble.

Notre relation ne dure que depuis quelques mois. Et au train où ça va, je me demande où elle ira. Est-ce le type d'homme à faire durer une liaison, au point de demander en grande cérémonie la main de sa chère et tendre ? Non, sûrement pas. Je ne le vois pas comme ça. On va dire que je suis romantique, mais lui, à la façon dont il me touche, dont il me regarde aussi, il n'a pas dû avoir de femme avant moi, enfin, je suppose. Ca me fait quelque chose. Je suis la seule. Je devrais en tirer un certain orgueil. Je suis la seule sur qui il a posé un regard différent. Non, ça ne s'est pas passé comme ça. Il a fallu longtemps pour que son regard sur moi change.

Est-ce qu'il voudra bien de ce bébé ? S'il veut qu'on le garde, comment va-t-on s'organiser ? Et s'il n'en veut pas, est-ce que notre relation n'en pâtirait pas ? J'ai des sueurs froides à cette idée. Ce serait sans doute mieux de faire comme si de rien n'était et que les choses soient comme avant, qu'on construise les choses, tout doucement. Ce bébé nous contraindrait à trop de changements d'un coup, il y aurait des risques que les choses se passent mal et qu'on ait de graves désillusions. Mais en s'unissant…En se soutenant mutuellement…

Je reste toute seule à la maison. Malgré moi, je regarde toujours dans le miroir pour voir si mon ventre n'a pas pris du volume. C'est stupide, il ne va pas grossir subitement pendant la nuit, ça ne fait qu'un mois et demi. Un mois et demi…C'est le temps qui s'est écoulé depuis qu'il m'a quittée. Pourquoi doit-il s'écouler si lentement, maintenant, jusqu'à nos retrouvailles ?

Il faut que je le mette à profit pour mûrir mon choix, de toute façon. Je crois que je ne peux plus attendre après lui. Je dois compter sur moi comme je l'ai toujours fait jusqu'à présent, et lui-même préfère n'être qu'une brève rencontre dans ma vie, une rencontre fréquente, certes, mais temporaire. Il a l'air de se contenter assez bien de ce mode de vie qu'on commençait à avoir : une fois de temps en temps il vient me voir, pour chercher du réconfort auprès de moi, et moi je suis contente d'avoir sa compagnie. C'est vrai que ça ne me déplaisait pas. Ca rendait le temps qu'on passait ensemble plus précieux et plus palpitant.

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12 juillet 1995

Je devrais rire de ma naïveté. Je devrais dire : « qu'est-ce que tu croyais ? Ce n'était pas pour tes beaux yeux qu'il allait changer. » C'est vrai, en partie. Il m'a montré qu'il n'était pas le type d'homme que l'on pouvait attendrir. Oh non, loin de là. Il a vécu tellement de choses, tellement de trahisons aussi, qu'il ne peut plus faire confiance à personne.

Alors, pourquoi moi ?

Pourquoi suis-je la seule personne avec qui il a tenu si longtemps ? La seule qu'il s'est borné à aller voir ? Je voyais bien son jeu. A l'époque, c'était comme si…comme s'il avait besoin de moi, que je lui change les idées. Ca me faisait plaisir, même si j'imagine que c'était surtout pour lui. D'ordinaire, il doit être incroyablement solitaire, ça se ressent dans son attitude rigide et gauche.

Ce raisonnement fait logiquement, je pouvais m'attendre à ce qu'il n'ait pas la réaction que j'espérais, celle d'assimiler la nouvelle, de laisser planer un silence, et puis de me dire : « tout ira bien, on verra bien ce qu'on peut faire, je serai là. » Non. Même moi ne peux pas le mener jusque-là. A bien y réfléchir, ce n'est pas moi du tout : c'est l'enfant que je porte. Cet inconnu qui fait irruption sans rien demander à personne, un imprévu dans tous ses projets. Il ne fait pas confiance aux inconnus, un simple bébé ne fait pas exception à la règle. Et tant pis si moi, sa mère, dois en subir les conséquences.

Je ne sais plus par où commencer. Il y a tellement de choses qui se sont passées… J'ai commencé à écrire ça pour évacuer mes idées noires. Il m'a giflée, tellement fort que j'ai heurté le mur. Il ne l'a pas fait volontairement, c'était sous le coup d'une colère brute et incontrôlée. Il est parti après, sans plus me jeter un regard. J'imagine qu'à son attitude, il devait ne pas avoir compris tout de suite ce qu'il avait fait, il y avait surtout de la colère et de la honte dans ses yeux. Je suis restée un moment assise par terre, le dos contre le mur, et j'ai pleuré, pour une fois. C'était trop dur, trop soudain. J'étais littéralement effondrée.

L'instant d'avant, il m'avait abordée très calmement, très doucement, pour me signifier qu'il avait des choses graves à me dire. Il était conciliant, mais ferme. Je l'ai fait asseoir, j'ai préparé du thé, pendant qu'il m'expliquait. Et tout ce qu'il m'a dit… Peut-être que c'est trop tôt pour le retranscrire réellement. Il me faut encore du temps, il me faut aussi du courage, parce que je n'arrive toujours pas à savoir si je dois le croire ou non.

Il est entré dans l'appartement, je ne l'ai pas entendu arriver. Il avait l'air inquiet et aux aguets, radicalement différent de l'image détendue qu'il renvoyait la dernière fois. Il s'est jeté sur moi et il a dit, sans me laisser le temps de lui poser la moindre question, qu'il fallait que nous parlions.

J'ai eu peur qu'il sache, mais il a dit tout autre chose, une chose qui m'a fait l'effet d'un coup de poing en plein ventre : « je ne peux pas rester plus longtemps avec toi. » Je lui ai proposé que nous nous asseyions pour en parler. Il était nerveux, agité et – un sentiment que je lui ai rarement constaté – effrayé. Il n'est pas passé par quatre chemins une fois qu'on s'est installés :

« Il y a une raison pour laquelle je ne me suis jamais vraiment épanché sur ma vie avec toi, » a-t-il dit enfin du ton le plus sérieux du monde, comme s'il allait me révéler un grand secret.

« Si je ne désirais pas que nous nous y attardions plus avant, c'était parce que je n'étais pas certain que tu comprendrais. C'était une des raisons pour lesquelles, d'ailleurs, je ne voulais pas te fréquenter. J'aimerais seulement que tu m'écoutes très attentivement et que tu comprennes que de telles choses existent, d'accord ? N'essaie pas de m'interrompre, et sache que je ne suis pas fou. »

Il a vu le léger sourire que j'ai fait, mais ça n'a pas eu l'air de l'encourager. Sans réfléchir je lui ai pris la main. Main que j'ai fini par relâcher petit à petit à mesure que son récit avançait. A la fin, je le regardais sans trop savoir ce que je devais penser, s'il valait mieux lui proposer de prendre du repos et appeler l'asile entre-temps. Il semblait tellement sûr de ce qu'il disait, son récit était très cohérent et pertinent, aucun faux-pas, la vérité pure dans ses paroles. Il parlait comme jamais il n'avait parlé, il me fixait droit dans les yeux et ne lâchait jamais mon regard. A la fin, c'est moi qui ai parlé :

« Et donc, ton internat en question, c'est vraiment une école de magie ? Je n'y crois pas, c'est tellement fou…Qu'est-ce qui peut me prouver que tu ne me racontes pas des salades ? Je te connais, tu sais bien raconter les histoires… »

Il a saisi une longue baguette brune d'une des poches de sa redingote et sous mes yeux, il a fait voler la théière qui était sur la table. J'ai voulu voir de plus près la baguette. Il m'a laissée la prendre, mais avec une certaine difficulté comme s'il avait peur que je la casse. Tenir une telle chose entre mes mains, ce qui semblait un simple bâton et en même temps quelque chose de redoutable a provoqué des frissons dans tout mon corps, comme si je pouvais la ressentir, cette magie…Ou n'était-ce qu'une impression ? Mais je ne pouvais pas avoir rêvé ces choses bizarres…

« Tu es professeur là-bas, j'ai récapitulé. Tu dois être un sorcier puissant. »

Je lui ai souri. Soudain, c'est comme si une profonde sérénité s'était imprégnée en moi. Même si je n'avais pas de preuve, ça m'était si facile de croire ce qu'il disait, parce qu'il était sincère avec moi, et il le serait toujours…

« Pourquoi n'avons-nous jamais entendu parler de vous ?

-Il y a des circonstances qui ont fait que nous avons disparu de la circulation. Le Code International du Secret magique tient formellement à ce que nous ne révélions en aucun cas notre présence aux Moldus, sauf cas exceptionnels, comme lorsqu'ils sont familiarisés à des sorciers…Mais la communauté magique fait en sorte qu'ils ne s'aventurent jamais dans un lieu fréquenté par des sorciers, ou cela ferait trop de désordre. Il y a eu des périodes, par le passé, où cela a engendré de véritables catastrophes… »

Oui, ça se tenait. Puis on en est venus au fait.

« Mais pourquoi me raconter ça et me dire que nous ne pouvons pas rester ensemble ? Tu sais, je peux…je n'ai aucun problème avec tout ça. Qu'il y ait des différences entre nous, tant que nous sommes ensemble, ça m'importe peu…

-Ce n'est pas ça. Ce que je veux te dire, c'est que je ne peux pas être davantage avec toi. Je cours déjà un grand risque en venant te voir. Si je trahis une fois ma vigilance, et que l'on sait où je vais, cela pourrait nous faire courir un grand danger à tous les deux.

-Un grand danger ?

-Je… Je ne suis pas seulement un simple sorcier, Vera. Il y a, dans notre monde, un groupuscule de personnes qui se considèrent plus légitimes que les sorciers nés de parents moldus – ceux qui n'ont pas de pouvoir magique – et que les Moldus eux-mêmes, qu'ils voient comme des imposteurs. Ces personnes ont une doctrine qui prône la pureté du sang et la préservation des grandes familles de sorciers remontant au Moyen Age. J'ai fait partie de ce groupe. »

J'ai eu un mouvement de recul, il l'a senti et il s'est approché comme s'il voulait me retenir. Mais je me suis vite reprise.

« Mais tu es là, pourtant. Tu parles avec moi, tu me fréquentes et…tu m'aimes. Si tu fais partie de ce groupe, tu ne devrais pas être avec moi. Alors pourquoi… ?

-C'est la principale raison qui me différencie autant de ces gens-là. Des circonstances, des erreurs qui m'ont détourné de cette voie-là. »

Je me suis alors rappelée son tatouage, notre discussion sur les sectes, et j'ai compris ce que c'était. Il a acquiescé quand il a vu que j'avais saisi de quoi il voulait parler. Il y avait dans ses yeux cette crainte singulière, comme s'il appréhendait que je le juge, et d'un autre côté, il était plus lointain, plus fermé que jamais, comme si ce simple fait justifierait son éloignement.

« Et alors, ton monde va mal ?

-Plus mal que jamais. Le Seigneur des Ténèbres, celui qui est à la tête de ce mouvement de sorciers, est revenu. Il est puissant, moins qu'il ne l'a été il y a une dizaine d'années, mais il faut l'empêcher de commettre plus de mal qu'il ne risque d'en faire à l'avenir. J'ai été volontaire pour le rejoindre de nouveau.

-Mais tu as dit que…

-… Sur les ordres de Dumbledore. »

J'ai rappelé à moi les informations que j'avais emmagasinées dans un coin de mon esprit. Dumbledore, le Directeur de Poudlard, celui qui commande sûrement la résistance et qui veut protéger les Moldus... les gens comme moi.

« Tu vas donc être un agent double ?

-Et comme tu le sais, cette mission sera risquée. En tant que tel, je ne peux pas m'aviser de te mettre en danger. Alors je préfère que nous arrêtions de nous voir, au moins le temps que ça durera, si tout se passe bien…

-Mais si cela dure longtemps ? j'ai dit, alors que la peur montait dans mes entrailles, parce que cela voulait dire que nous n'allions plus nous voir, qu'il allait disparaître du jour au lendemain et que j'allais rester seule…

-Je ne peux pas dire combien de temps cela va durer. Des mois, ou des années. L'être que j'espionne est un sorcier puissant et dangereux, et pour l'avoir approché dans le passé, je sais qu'il est tenace et qu'il ne se laissera pas terrasser facilement. Il va falloir s'attendre à un avenir sombre, même pour vous, dans une moindre mesure…La seule chose que je souhaite, c'est que vous en soyez éloignés le plus longtemps possible, peut-être toujours. Si nous ne parvenons pas à l'arrêter, il fera de vous ses premières victimes dans un futur très proche.

-Ce qui signifie que nous sommes en danger de mort sans le savoir, que s'il y a des accidents ou des meurtres inexpliqués, la magie peut être derrière tout ça ? Est-ce qu'il y a encore des choses que, depuis des années, nous ignorions alors que cela avait rapport avec le monde magique ?

-Il y en a une, a-t-il dit avec une sorte de rictus grimaçant. Sirius Black est un sorcier.

-Le criminel, le taré qu'on voit dans les journaux ?

-Eh bien (il avait l'air heureux de l'entendre traiter de criminel et de taré), il ne l'est pas tout à fait…Longtemps, nous l'avons pris pour un partisan du Seigneur des Ténèbres. En réalité, il a été accusé à tort, et a passé douze ans à la prison des sorciers, Azkaban. Lorsqu'il s'en est échappé, il s'est avéré tellement capital pour notre Ministère de le capturer qu'il a fallu aussi pousser les recherches dans le monde moldu. Le Ministère craignait déjà qu'il puisse retrouver et rejoindre son maître, ou même tuer celui qui a réussi à le neutraliser. »

Là aussi, il disait cela avec un certain dégoût.

« Je n'ai pas l'impression que tu l'apprécies beaucoup.

-Qui qu'il soit, il reste pour moi le plus répugnant des individus.

-Plus que ce Seigneur des Ténèbres ? »

Il m'a regardée, a semblé hésiter, puis finalement, s'est crispé, et n'a rien répondu. Il s'est contenté d'enchaîner :

« Nous ne pouvons pas nous permettre de révéler notre existence au monde moldu, au risque de créer la panique ou le même genre de catastrophes que nous avons eues des années auparavant. J'ai déjà parlé trop longtemps, Vera. Je suis désolé de ne pas pouvoir t'en dire plus, mais il faut que tu te contentes de ça et que tu saches pourquoi je vais partir…

-Il y a un risque que tu meures ? »

Il a hésité. Il m'a contemplée d'une façon étrange.

« Très grand, oui. Mais pas si je sais m'y prendre.

-Je sais que ça ne sera pas simple, pour toi. Tu…Tu as sans doute le rôle le plus difficile mais…je veux seulement que tu reviennes un jour, d'accord ? Peu importe combien de temps, mais j'ai besoin de toi... »

J'ai repris sa main dans la mienne. On s'est regardé dans les yeux. J'ai compris dans son simple regard combien il s'inquiétait pour nous deux, pour « notre secret », notre relation si bizarre qui était sans que je le sache interdite. Pendant des mois j'avais aimé un être insaisissable qui m'ouvrait en réalité la porte de ce monde auquel j'aspirais, mais un monde auquel finalement je ne pouvais pas accéder. J'ai senti soudain que c'était le moment de me jeter à l'eau, le moment ou jamais, comme on dit. Le moment parfait, peut-être la preuve en plus qu'il pouvait se raccrocher à moi quoi qu'il arrive.

« Moi aussi, j'ai quelque chose à te dire, » j'ai dit alors.

Ses yeux se sont teintés doucement d'incompréhension. Je tenais sa main chaude dans la mienne, je voulais la serrer le plus longtemps possible, l'embrasser, qu'elle se pose sur moi, et puis finalement je l'ai guidée doucement vers mon ventre où je l'ai faite se poser. Depuis quatre mois, il avait eu le temps de s'arrondir un peu, même si on remarquait à peine les premiers reliefs.

Il est resté silencieux au début, puis il s'est raidi et il a retiré sa main subitement. Evidemment, je n'ai pas compris immédiatement ce qu'il avait. J'ai seulement senti sa froideur qui m'allait droit dans le cœur comme une lame de poignard, la sensation glacée qui m'envahissait. Avant même de mettre des mots dessus je savais ce que cela signifiait pour lui, même si je n'y croyais pas une seconde.

Il s'est levé, doucement, marmonnant que ça ne pouvait pas être possible ; il l'a répété plusieurs fois comme pour s'en convaincre. J'ai essayé de m'accrocher à lui mais il m'a repoussée. Il s'est alors remis à murmurer en secouant la tête :

« Ce n'est pas possible… Non, ça ne devait pas arriver… »

J'étais trop sidérée pour protester, d'abord. J'avais seulement ce grand froid qui m'allait jusqu'au cœur, ce vertige qui me soulevait l'estomac. J'avais la nausée. Il m'a lancé un regard glacial, ses yeux avaient une lueur effrayante.

« Depuis combien de temps c'est comme ça ? »

A ce moment-là, j'ai eu peur de lui. Il me donnait l'impression qu'il allait me tuer sur place, comme si tout était de ma faute.

« Je l'ai su quelques semaines après ton départ, en avril. Quand j'en ai eu confirmation, j'ai été désemparée, je ne savais pas quoi faire, et je n'avais aucun moyen de te contacter pour que tu le saches. Mais je ne voulais pas faire de choix avant que tu ne reviennes, parce que je voulais partager ça avec toi, qu'on puisse décider ensemble de ce qu'il fallait faire. Je me disais que je ne pouvais pas arrêter ça sans te consulter d'abord, alors je t'ai attendu. Et entre-temps, finalement, j'ai eu le temps de réfléchir et de savoir ce que je voulais. Je veux ce bébé, maintenant. Je pensais…

-Tu ne peux pas me faire ça, Vera. »

Maintenant, il était plus livide qu'il ne l'a jamais été, il me fixait avec une horreur authentique, comme si je venais de dire une énormité et qu'il se sentait trahi au plus profond de lui-même. Comme si je ne pouvais sérieusement pas penser ce que je disais. J'ai pris mon courage à deux mains et je l'ai regardé sans ciller. Je ne voulais pas paraître faible devant lui, je sais qu'il écrase tous ceux dont il sent la vulnérabilité.

« Qu'est-ce que je fais de mal, Severus ?

-Tu peux encore t'en débarrasser, tant qu'il en est encore temps. Il n'est pas trop tard. Tu ne peux pas garder… ça, Vera, tu ne peux pas, ce serait une erreur…

-Je ne comprends pas, Severus. C'est ton bébé…

-Tu as entendu ce que je t'ai dit, plus tôt ? s'est-il mis à crier. Je vais te mettre en danger ! Je suis quelqu'un de dangereux !

-Oui, j'ai bien entendu, j'ai répondu.

-Alors tu n'as rien compris, tu n'as rien compris et tu ne sais pas dans quoi tu t'engages... »

Un long silence s'est installé entre nous. Il l'a vite brisé, avec des mots durs et sans appel :

« Il ne faut pas que tu le gardes. Je refuse. Ta vie sera en danger à partir du moment où j'y serai impliqué, et même si je te quitte, si cet enfant naît, il ne sera pas à l'abri de ce qui nous attend… Si le Seigneur des Ténèbres vient à l'apprendre, nous serons tous compromis !

-Mais je n'ai pas peur. Il ne sait pas que nous existons.

-Si je fais un faux-pas, il le saura.

-Et il te tuera aussi, s'il l'apprend ?

-Il tue tous ceux qui vont à l'encontre de son idéologie. Et à ceux qui le trahissent, il leur fait subir un sort bien pire. »

Nous sommes restés silencieux. Je voulais me jeter dans ses bras pour lui dire que tout irait bien, que je n'avais pas peur, qu'on affronterait tout ça ensemble. J'étais même prête à lui proposer de rester avec moi, d'abandonner le danger pour vivre avec moi et notre bébé. Je croyais que tout serait si simple, et tout prenait soudain une dimension invraisemblable, tout devenait difficile et improbable. Au fond, je savais que ce que je souhaitais n'allait pas être possible, parce que c'est un homme compliqué qui ne fait jamais les choix les plus faciles.

« Alors, pour que je sois à l'abri, selon toi…et pour effacer les preuves, te concernant…Je dois avorter ? »

Il a acquiescé, vivement, comme si c'était la chose la plus simple et la plus évidente du monde. Je ne sais pas pourquoi, alors, mais j'ai senti un courant qui m'électrisait, quelque chose comme de la colère, et alors je n'ai pas réfléchi, j'ai dit ce que j'avais sur le cœur :

« C'est ma décision, Severus. Je veux cet enfant, et je l'aime même déjà. »

Sa réaction a été inattendue et brutale, si éloignée de celles que je lui connaissais. La violence qui bouillait en lui tout ce temps, il l'a extériosée et de fait, il m'a prise par le col de ma robe de chambre et il m'a secouée comme un prunier, avant de me rejeter en arrière si violemment que j'ai failli tomber de ma chaise et m'étaler au sol.

« Comment peux-tu me faire ça ? » m'a-t-il dit, et sa voix était un murmure menaçant, inhumain presque, avec une haine qui me blessait profondément. Même s'il savait qu'il me faisait mal, il s'en fichait, peut-être que je le faisais autant souffrir à ce moment-là, je suppose. Il déteste perdre le contrôle. Il déteste que je puisse aller à l'encontre de sa propre opinion, que je fasse un choix qui le concerne contre son avis, en somme. J'ai remarqué toute cette violence en lui quand nous étions ensemble, qu'il refoulait pour ne pas me faire mal, qu'il dissimulait sous une attention excessive et une douceur inquiète qui me flattaient. Où était-il passé, cet homme-là ? N'était-ce seulement qu'un masque ?

Il avait l'air si blessé, si désespéré, que j'ai eu honte à ce moment-là. J'ai encore essayé de le toucher, il s'est écarté en me regardant avec la plus profonde répugnance, comme si j'étais de la boue sur ses bottes.

Et c'est là qu'il m'a giflée. Le temps s'est arrêté. Je suis tombée de ma chaise. Il y a eu un silence, et j'ai entendu un craquement. Quand j'ai récupéré du choc, il était parti, ou il avait disparu, peu importe.

Il est parti. La dernière fois que nous nous sommes vus, il m'a frappée. Je ne l'oublierai jamais. Je suis triste, j'ai le sentiment d'avoir trahi quelqu'un de cher, et en même temps d'avoir été trahie. Est-ce moi qui ai été égoïste, ou lui qui n'a pensé qu'à ses intérêts, au détriment de ce que je ressentais, moi ? Qu'est-ce qui va arriver, maintenant ? Je refuse de croire que j'ai fait une erreur, je sais qu'au fond de moi, j'ai fait le bon choix. J'aimerai cet enfant même s'il l'a rejeté. Il a le droit d'être là, parce que je le veux et que sa présence va me permettre de sortir de ces longues années de solitude où je n'ai pu compter que sur moi-même. Je veux seulement que les autres acceptent aussi sa présence, dans un avenir proche.

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13 août 1995

Il est revenu. Je croyais que c'était fini, mais il est vraiment revenu, et si sur le coup j'ai senti le bonheur qui m'envahissait, malgré tout j'ai ce goût amer dans la bouche qui m'empêche d'apprécier tout à fait ce moment, parce que quelque chose s'est brisé entre nous malgré tout et que ce ne sera jamais tout à fait comme avant. De toute façon, même si j'avais choisi de ne pas garder l'enfant, ou même s'il n'y avait pas eu ça, il m'aurait quittée quand même. Mais là, il est revenu, et même s'il n'exprimait rien et n'a rien dit au sujet du coup qu'il m'a donné la dernière fois, il s'est quand même raidi quand je me suis précipitée sur lui pour le serrer dans mes bras et il a tenu par la suite à ce qu'il n'y ait aucun contact entre nous deux. Comme avant. On dirait qu'il me craint, mais ça ne se peut pas. Pourtant, c'est l'impression qu'il me donne. J'ai le sentiment désagréable de le dégoûter, et ça me blesse, ça me blesse à un point innommable.

En tout cas, il a pris lui aussi sa résolution et il ne reviendra pas dessus. Il m'a clairement laissé entendre que si je voulais élever son enfant, je devais compter sans sa présence et même lui dire adieu. Cependant, ses plans ont changé concernant les prochains mois. Même s'il court des risques d'une ampleur que je peine à imaginer, il va rester à mes côtés dès qu'il le pourra pour veiller sur moi. Je ne sais pas ce qu'il pense en faisant ça. Il ne veut pas de ce bébé mais il va m'accompagner malgré tout ? S'il s'était comporté normalement, il ne serait même pas revenu, il m'aurait laissée me débrouiller seule. Or, le fait qu'il soit là est illogique. Malgré tout, même si ça devrait me rendre heureuse, il me fait souffrir. Il ne se comporte pas du tout comme un futur papa. Il est froid, distant, n'hésite pas à sortir les phrases les plus vexantes et les plus dures, à me dévaloriser dès qu'il le peut. Je ne reconnais plus l'homme dont je suis tombée amoureuse, avec qui j'avais des échanges si intéressants et enrichissants, cet homme qui prenait soin de moi sans en donner l'air…Il a signé mon arrêt de mort dès aujourd'hui et il compte bien ne laisser qu'une loque derrière lui, sous couvert d'une fausse empathie.

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25 novembre 1995

Je l'aime. Si profondément. Mais je ne peux pas le lui dire. Il le prendrait mal. Il me rappellerait qu'entre nous deux, il n'y aura rien de possible ou de concret. Je le sais, mais combien de fois j'ai rêvé de lui dire ces mots, qu'il puisse les entendre comme il le fait quand je parle dans le silence de la chambre. Je sais qu'il m'aime aussi. Il m'aime, mais il ne veut pas se le dire. Je ne peux rien y faire, parce que c'est à lui d'ouvrir les yeux. Et c'est un homme tellement têtu, il se pourrait bien que j'attende très longtemps avant d'obtenir gain de cause.

J'ai eu le malheur de lâcher ces mots, il y a quelques temps. C'était un de ses mauvais jours, où il ne me parlait de rien et restait dans sa bulle, fermé même à tout réconfort. Il est plus dur qu'avant, de plus en plus invivable. Ma grossesse n'arrange pas les choses, il m'en veut encore de mon « coup bas ». Il pense que j'ai fait tout ça dans son dos, et il me fait clairement comprendre qu'à présent, c'est mon problème, et qu'il ne s'en occupera pas davantage. Il a d'autres soucis.

Et pourtant, il continue de venir. Chacune de ses venues me rend heureuse et me fait très mal à la fois, parce qu'à la fin, ça se termine toujours par des larmes et un départ sans au revoir. Il est désormais comme une présence fantomatique, et il ne me touche plus, parce que je lui fais sans doute horreur. Je voulais changer les choses, je voulais que cette situation cesse. Alors j'ai pensé simplement nous réconcilier en lui avouant mes sentiments.

Il m'a répliqué calmement : « Mais ce n'est pas mon cas, Vera. »

Je n'ai rien su répondre. J'étais là, dans la cuisine, en face de lui que j'avais dérangé dans ses réflexions. Il m'a jeté un tel regard que j'en ai été gelée et triste. J'avais comme une envie de vomir parce qu'il m'avait dit ça, justement ce que je craignais d'entendre, et que j'étais à mille lieues de l'imaginer dire.

Je ne sais plus ce qu'il me faut penser, maintenant. Pourquoi lui ai-je fait confiance ? Pourquoi ai-je senti que c'était un homme qui voulait qu'on l'aide, et qu'on l'aime ? Pourquoi me suis-je sacrifiée pour lui ? Tout ce que nous avons vécu, échangé… Il me signifie clairement que cela n'est rien, peut être balayé d'un revers de main. Il veut me forcer à penser qu'il est un salaud fini. Il pense presque réussir à me le faire haïr.

Mais je n'arrive pas à penser que tout ce qui s'est passé, tout ce qu'on a vécu, cela n'est dû à rien. Il y a forcément eu quelque chose, et plus j'y réfléchis, plus je me fais de mal avec ça, plus je me dis que oui, bien sûr, ça ne peut pas être possible autrement. S'il n'y avait pas eu ce quelque chose en question, et même s'il ne m'aime pas vraiment, nous ne nous serions pas rapprochés à ce point. Et même, il n'y aurait eu absolument rien. Il m'aurait tourné le dos dès le premier jour, et il n'aurait été qu'une rencontre parmi les autres. Peut-être que je l'aurais oublié, et je serais restée toute seule dans ma galère.

Sauf que ma galère, elle ne s'est pas arrangée avec lui. Il avait le choix de m'y laisser ou non, et il a décidé. C'est peut-être ça qui ne lui importe en aucune manière, que je reste à me débrouiller seule avec ce qu'il considère comme « une erreur », et dont je serais la cause.

J'ai compris. La naissance est prévue pour début janvier. Il va falloir me préparer au futur. C'est ce que je fais depuis des mois, mais je le ressens plus que jamais, et quand je parle du futur, je veux dire un futur où il ne sera pas là. Mon amour devra s'éteindre petit à petit avec la douleur, ça sera mieux comme ça. Je ne peux pas supporter de continuer comme ça. Il faut que je me secoue, que je revive et que je cesse de prendre acte de tout ce qu'il me dit, car ça me détruit à petits feux et si nous continuons comme ça, je n'arriverai jamais au bout. Peut-être que c'est ce qu'il cherche, engendrer en moi une culpabilité et une angoisse telles que je vais perdre le bébé. Sauf qu'à ce stade de la grossesse, je vais être en danger. Est-ce qu'il serait capable de me tuer, après tout ce qu'on a vécu ? Finalement, ce serait peut-être mieux qu'il le fasse, ça me délivrerait de tous ces maux.

L'idée me donne des sueurs froides. L'homme que j'ai aimé ne peut pas être un monstre.

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11 décembre 1995

Ca y est. Enfin. Je devrais avoir honte de le penser. Mais il est parti. Pour la dernière fois, hier soir, je lui ai parlé. Je savais que ce jour arriverait, et il est arrivé, et je le regrette profondément parce qu'il me manque, sa présence autour de moi, son odeur, tout m'échappe et je ne les sentirai plus, je ne pourrai plus goûter ce bonheur quand il était là, même s'il s'était déjà évaporé depuis longtemps. Hier, il est parti et je ressens pour la première fois à quel point ce manque est flagrant, à quel point son absence me blesse plus que quand il était encore là. Il m'a porté le coup fatal, et celui-là, je sais qu'il aurait voulu le retenir. Au fond, il m'a fait comprendre qu'il ne voulait pas vraiment me faire du mal, qu'il était en colère contre lui-même pour ce qu'il croit, à tort, m'avoir fait de mal. Il ne sait pas qu'il m'a apporté le plus grand bonheur que je puisse espérer. Il pense juste que je suis assez dérangée pour rechercher sa présence, encore, encore, et ne pas vouloir qu'il s'en aille, parce que personne n'a jamais voulu de lui et qu'il n'y a pas de raison que ce soit différent avec moi.

Je ne me fais pas d'illusion, cependant. Je le savais d'instinct à l'instant où on s'est rencontrés, j'ai juste voulu étouffer cette impression parce que j'étais persuadée d'avoir tort, à l'époque. Ca ne pouvait pas coller entre nous. Ca ne pouvait pas aller si loin.

Quand je lui ai dit que je l'aimais, la dernière fois, il m'avait raconté une histoire. Au début, je ne croyais pas que ça pouvait être réel, mais j'ai fini par comprendre de qui ça parlait, et je sais qu'il a fait ça dans le but de se venger encore de mes mots d'amour qu'il ne méritait pas, pensait-il. Cette fille qu'il a connue, qu'il aimait plus que sa propre vie, plus que lui-même, plus que n'importe qui, cette fille qui l'a blessée en retour du jour au lendemain pour un malheureux mot dont je n'ai pas saisi la portée. Cette fille qui venait de mon monde, qui faisait partie du sien pourtant, qui n'a jamais redonné sa chance à un adolescent perdu qui a fait le mauvais choix. Qui n'a pas saisi l'occasion de lui tendre la main parce qu'elle pensait que ça ne servait à rien. Je n'ai pas réagi sur le moment mais j'en ai eu les larmes aux yeux, juste avant qu'il ne m'assène finalement la phrase finale, celle qui voulait tout dire. Il n'avait rien à m'offrir, pas de place à me donner dans son cœur. Quelqu'un l'occupe déjà, quelqu'un qui n'en valait peut-être pas la peine, si elle pensait qu'il n'y avait plus rien à faire pour lui.

Je voulais lui hurler que moi, je lui pardonnais tout, qu'il n'avait plus à se faire du mal, que j'étais là et que je serai toujours là même s'il me blesse encore et encore. Qu'il avait enfin quelqu'un qui l'aimait et qu'il n'avait pas à se demander s'il le méritait ou pas, puisque c'était un fait et qu'il m'a marquée à tout jamais. Et que, si l'avenir lui souriait, il n'y aurait plus seulement une personne pour lui donner cet amour qui lui a manqué, prochainement…

Mais voilà, fini, c'est fini. Quelque chose est fini. Quelque chose commence aussi. Je n'ai jamais craint l'inconnu, peut-être parce que je n'y ai jamais été confrontée. A présent que je peux le sentir si proche, et qu'inévitablement je vais devoir plonger dedans, je comprends quelle appréhension on peut ressentir quand on comprend qu'on n'a pas d'autre choix. J'ai peut-être peur, mais je sais qu'il le faut. Ca ne sert à rien de regretter le passé. C'est sans doute mieux ainsi, je lui ai dit. Nous sommes trop différents, on ne se comprend pas.

« Alors tu me crois ? il m'a demandé.

-Tu ne m'as jamais menti, que je sache.

-Je t'ai caché des choses.

-Cela ne veut pas dire mentir. Tu avais le droit d'avoir des secrets et de les garder si tu le souhaitais.

-Tu as tort, Vera. Tu agis comme une idiote.

-Mon attitude ne te plaît peut-être pas, mais je ne la changerai pas. Ne t'inquiète pas, je ne suis pas si naïve. Si je ne savais pas que tu es quelqu'un de bien, je t'aurais fait bien moins confiance.

-Quelqu'un de bien ? Il faut dire les choses telles qu'elles sont, Vera : tu es naïve. Tu te trompes. Et voilà où cela t'a menée… Tu crois que je suis quelqu'un de bon ? Je dois te détromper…C'est toi qui es venue me parler lors de notre première rencontre, tu te souviens ? Tu ressemblais à une de ces adolescentes frivoles qui se croient déjà matures…

-Et toi, comme le vieux pervers que tu es, tu t'es laissé paisiblement aborder, » j'ai rétorqué, et ce simple souvenir m'a redonné le sourire. Il y a eu un lourd silence.

« Voilà une des raisons pour lesquelles j'ai pris ma décision. Cela n'aurait jamais dû arriver. »

Il avait encore dit ça sans le moindre état d'âme, comme d'habitude, et la blessure que ça causait était tellement ordinaire que ça ne m'a plus touchée.

« Tu sais, ça, je l'avais compris depuis longtemps.

-Bien sûr que tu le savais.

-Je t'arrête tout de suite avant que tu ne dises autre chose. Dans l'histoire, l'ensorceleuse, ce n'est pas moi.

-Je ne parlais pas de…

-Si, tu l'as bien pensé à un moment. Alors, j'ai vraiment l'air de ne pas ressembler qu'à une simple Moldue, comme vous nous appelez ? Je suis flattée. Le jour où ton Seigneur des Ténèbres et ses sbires me trouveront, je pourrais leur faire croire facilement que je suis des leurs. »

J'ai ri, il a eu l'air furieux. Et puis tout d'un coup, malgré tous mes efforts pour me contenir, malgré le calme presque surnaturel dont j'avais fait preuve jusque-là, j'ai senti les larmes qui me montaient aux yeux. Ce n'était plus la peine de se forcer, désormais. Alors pour éviter qu'il ne le remarque, j'ai caché mon visage dans mes mains, et j'ai pleuré. Ca a duré longtemps. J'ai pensé qu'il était parti pour ne pas avoir à supporter ça, mais il est arrivé quelque chose d'impossible.

J'ai senti sa chaleur, l'étoffe de ses vêtements, ses mains. Il m'a serrée contre lui, j'ai cru que c'était un rêve, parce que ça fait si longtemps qu'il ne l'a pas fait…

« Qu'est-ce que tu vas devenir ? je lui ai demandé.

-Rien de bon ne sortira de cela. Si un jour, tu me revois, il se peut que je ne sois pas l'homme que tu as connu. Que je sois…moins qu'un homme, en fait.

-Une sorte de monstre ?

-Une sorte de monstre, ou pire encore. Mais jamais pire que celui que je sers.

-Et dire que c'est lui qui t'enlève à moi…Je ne veux pas imaginer ce qu'il est. Je te crois sur parole, quand tu me dis qu'il est ignoble.

-C'est pour toi que je le fais, Vera. Si je m'éloigne, c'est pour te protéger…Si je reste, ta vie sera en danger. Je te l'ai déjà expliqué.

-Alors pas la peine de me sortir la même rengaine. »

J'ai profité de la situation pour me serrer davantage contre lui, pour humer encore l'odeur familière de son corps qui m'a accompagnée pendant des mois. Je ne veux pas imaginer l'idée que cette odeur, je ne vais plus pouvoir la sentir. J'en ai été privée si longtemps, c'est comme une drogue dont je ne pourrai pas m'affranchir, quoi que je fasse.

« Mais tout ce que je t'ai dit n'arrivera pas, il a dit soudain avec force. Cela n'arrivera pas. Dumbledore en est persuadé. Ce vieux fou…Il est trop idéaliste, mais quand je te vois ainsi, j'ai envie de le croire. »

C'est la première fois qu'il formule ses pensées aussi clairement. Il est plutôt du genre à intérioriser, pas à confier en profondeur ce qu'il ressent.

Nous sommes restés longtemps comme ça, je voulais que ça dure indéfiniment, parce que c'était si bon d'être dans ses bras, de se sentir aimée, protégée, comme je ne l'ai jamais été de cette façon. Il s'est remis à parler d'une voix étrange en me berçant :

« Même si je pars, Vera… Même si je pars…Je ne laisserai pas rien derrière moi. Notre combat ne sera pas voué à l'échec. Nous allons créer un monde…pour toi, pour tous… »

J'ai senti sa main caresser mon épaule, s'égarer sur ma poitrine, m'effleurer, errer sans que je sache où elle allait, et soudain, elle s'est posée sur mon ventre, et ça m'a fait une sensation merveilleuse qui m'a fait trembler de partout, parce qu'il m'a touchée là, enfin, à un endroit qu'il refusait de regarder, parce que c'était trop douloureux et trop détestable pour lui. Elle y est restée, il n'a même pas tressailli.

« Pour lui, aussi… » il a murmuré dans mon oreille.

J'ai arrêté de pleurer. Je suis restée figée. Puis j'ai levé la tête vers lui. Pour la première fois, je l'ai vu. Il semblait sourire. Non, il souriait. Ce sera sans doute le seul sourire sincère et pur que je ne lui verrai jamais. Le dernier, sans doute, parce qu'il n'aura plus une telle occasion. Le silence était trop sacré pour que j'ose le briser. Alors je me suis contentée de graver son sourire dans ma mémoire, parce que je voulais qu'il y reste immortel. Je ne veux rien oublier. Ne rien oublier de notre amour intact de ce moment-là, de l'espoir soudain que, peut-être, un jour, il reviendra, ou que j'irai le retrouver moi-même. Rien n'est fini. Il a été une rencontre fulgurante dans ma vie, et il l'a marquée de façon durable. Je vais devoir compter sans lui à partir de maintenant, mais ça ne veut pas dire qu'il ne sera pas toujours là. Je le verrai à travers notre enfant. Je lui dirai que son père est quelqu'un de courageux, qui a voulu faire le mieux pour lui, parce qu'il voulait qu'il soit heureux et qu'il ne manque de rien. J'ose croire qu'un jour, lui aussi deviendra un sorcier, qu'il fera partie de ce monde auquel j'ai aspiré et qu'il aura la chance de visiter. Je n'aurai pas perdu tout à fait le contact, ainsi. Il m'a laissé entendre qu'il allait falloir que je m'attende à cette éventualité, qu'il faudrait me tenir prête quelle que soit l'issue de la bataille, car c'est la nature de l'enfant qui va déterminer si nous allons être plus ou moins exposés au danger qui se profile en ce moment même. Rien ne se passe, pour le moment, mais ça ne tardera pas. Je n'ai pas peur. J'ai l'espoir.

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29 décembre 1995

Je n'écris pas tout à fait à cette date, mais il fallait au moins marquer le coup. J'ai eu donc l'immense plaisir d'être réveillée en pleine nuit par le petit démon qui a considéré qu'il était grand temps de sortir pour voir la lumière du jour ! Après des heures de calvaire, Meryl est là, et elle n'a pas l'air de beaucoup regretter d'en avoir fait baver à sa maman.

Pour l'occasion, aussi, son parrain a l'honneur de lui souhaiter la bienvenue :

Coucou à toi, Meryl ! A peine arrivée, tu fais déjà comprendre à ta maman de quel bois tu te chauffes ! Continue comme ça, ma grande, je serai toujours le premier à te féliciter ! Elle n'a que ce qu'elle mérite !

Ton parrain, Nick, qui t'adore déjà.

Hé ! Ne complotez pas déjà contre moi !


Dans le prochain chapitre :

- Je suis orphelin aussi, je crois que tu le sais. »

La phrase, dite sur un ton placide, fit froncer les sourcils de Meryl.

« Et pourquoi me parles-tu de ça ?

-Laisse-moi y venir. Tu as su en même temps que moi, à une certaine époque, qui étaient mes parents et plus précisément mon père. Depuis, je me suis souvent interrogé sur lui, parce que je n'arrivais pas à comprendre ce qui avait pu le motiver, lui, un loup-garou, à prendre le parti des Rebelles. Je pense que je ne le comprendrai jamais, ou bien on ne m'a pas tout dit. »

Il s'allongea alors sur l'herbe, encore un peu fraîche en ce début du mois d'avril. Meryl tourna la tête vers lui, examinant un instant son visage éclairé par la faible lueur de la lune. Comme il avait l'air sur le point de continuer à parler, elle n'osa pas prendre la parole.

« Il n'y a pas longtemps, j'ai appris que mon père avait failli partir avant ma naissance.

-Partir ? dit-elle, après un moment.

-Partir… Ou plus précisément prendre la poudre d'escampette, bref, nous laisser tomber, moi et ma mère, claironna t-il d'une voix un peu trop joyeuse, jugea t-elle.

-Parce que… A cause de…

-Entre autres choses. »


Bon, à défaut d'avoir pu publier ce chapitre le jour de l'anniversaire de Meryl, cela n'empêche pas de souhaiter le sien à Severus Rogue ! Bon timing, quand même.

Je ne sais pas quand le prochain chapitre paraîtra, vu que je dois maintenant me remettre à ma fanfic et retravailler un peu tout ça. De plus, tout dépendra si je n'ai pas d'autres priorités. Je fais de mon mieux, en tout cas ! Très bonne année 2017 !

Poster des reviews rendra vos idoles immortelles. Enfin, peut-être, sinon si ça marche pas ce coup-ci, vous réessayez la prochaine fois...