Part VI

Sara

Je suis sur le toit en train de profiter d'une pause, le service est plutôt tendu à cause des différentes affaires en court, le truc c'est que tout le monde veut avoir ses preuves examinées dans la seconde, ce que je peux comprendre je suis la première à vouloir mes résultats instantanément.

J'adore travailler dans les labos mais je dois dire que le terrain commence à me manquer un peu. En Californie je vais un peu sur le terrain mais rarement en premier lieu, je suis généralement celle qui retourne sur le terrain pour avoir une seconde vision de la scène.

Mon beeper prend vie, je soupire et me redirige vers l'intérieur. Quand j'arrive Greg est déjà là.

« Greggo, qu'est-ce que je peux faire pour toi ? »

« J'ai plusieurs substances non identifiées, des traces de peinture, des fibres, de la terre, des vêtements, des empreintes, choisis ton poison. »

« Je prends substances et la terre dans un premier temps, » je réponds en enfilant une paire de gants.

« Bonne pioche, » il me désigne plusieurs sachets sur la table.

On commence à se mettre à l'œuvre en silence. Mon beeper sonne à nouveau, comme j'ai commencé à manipuler une preuve la règle est de finir sa manipulation avant tout car on ne peut pas se permettre de faire d'erreur, toutes les preuves sont critiques, si c'est une urgence la personne qui nous page peut venir nous trouver.

Mon beeper n'arrête pas, ce qui m'irrite car ça n'aide en rien ma concentration.

« Wow, quelqu'un est excité, » Greg remarque alors qu'il observe une preuve à la loupe.

« Ouais, ben qui que ce soit j'aimerai bien qu'il se calme, j'ai deux mains et un cerveau, je ne peux pas aller plus vite que la musique, » je parle avec les dents serrées.

Je grogne alors que mon beeper sonne à nouveau.

« Sidle ! » Catherine débarque en trombe. « Ça fait trois plombes que je te bip ! »

« Je suis en plein milieu d'une manip comme tu peux le voir, » je réponds calmement tout en me concentrant sur mes gestes. « Qu'est ce que tu veux ? »

« Ce que je veux ?! Les résultats de mes analyses pour l'affaire Kelly. Je t'ai dit que c'était critique, non pas une mais cinq fois ! »

« C'est une blague ? » cette fois je suis à deux doigts de perdre mon sang froid.

Depuis notre dispute dans sa cuisine, je m'attendais à ce que nos rapports deviennent plus tendus d'une corde d'arc mais là ça frise l'hystérie, toutes les excuses sont bonnes pour qu'elle me rentre dedans ou me faire un rappel de son autorité – comme si je pouvais oublier que c'est une supérieure.

« J'ai l'air de plaisanter ? » elle demande d'une voix cassante. « Je t'ai dit que j'avais besoin de ces résultats rapidement afin d'obtenir un mandat avant qu'Edward Kelly ne couvre ses traces ! »

« Je ne suis ni sourde, ni lente et je sais encore faire mon job, » je montre les crocs à mon tour. « J'ai déposé ces fichus résultats sur ton bureau il y a trois heures de ça, » je parle en regardant la fiole que j'ai dans les mains.

« Trois heures que j'ai passé en salle d'interrogation, » elle me reproche presque.

« Et c'est de ma faute ? Tu veux un cookie pour récompense ? »

« Ne me pousse pas à bout ! »

Je ne réponds pas sachant que de toute façon j'ai perdu d'avance, mais elle reste plantée là les yeux pleins de rage et la fumée lui sortant des oreilles. « T'as pas un mandat à aller chercher ? »

« Change de ton quand tu t'adresses à moi ou la prochaine fois je te colle un rapport pour insubordination, » elle me prévient avant de tourner les talons. « Et réponds à ce putain de beeper la prochaine fois ! »

Je ne sourcille pas et me contente de soupirer et de me remettre au travail. Ça m'apprendra, une des règles essentielles est de ne jamais mélanger le boulot et le plaisir, je le sais, tout le monde le sait, mais bien entendu j'ai été assez stupide pour croire que je pouvais me permettre le luxe d'ignorer cette règle.

Certes ça tient beaucoup au fait que Catherine a un caractère colérique et qu'elle est très fière, je sais que je vais morfler pendant un long, long, très long, moment mais éventuellement elle se décidera à avaler la pilule. Bien entendu toute chance pour nous d'être amies a été anéantie, d'un autre côté je ne peux pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Le fait qu'elle soit aussi odieuse me laisse deviner à quel point ses sentiments ont été froissés.

D'accord j'ai déconné, et puis non, j'étais sincère, à aucun moment je n'ai parlé de relation, elle s'est fait des films et manque de bol elle s'est prise un mur, mais je ne peux pas être blâmée pour ça car j'ai toujours été claire avec elle et honnête.

Je sens le regard de Greg sur moi, il me connait assez pour savoir que ce n'est pas le moment de faire un commentaire sur mes rapports avec Catherine.

Il renifle doucement et plisse les yeux. « C'est moi ou… ? »

« Non, ce n'est pas toi, » je dis avec exaspération. Depuis trois jours après mon service je travaille sur le terrain, dans les égouts. J'ai beau prendre au moins trois douches avec du citron pour me débarrasser de l'odeur tenace des tunnels nauséabonds que j'explore, parfois ça ne suffit pas toujours.

« J'ai des citrons dans mon casier si tu veux. »

« Dès qu'on en a finit ici, j'irai prendre une douche, encore une. »

Il ricane doucement puis fronce les sourcils. « Est-ce que je veux savoir pourquoi… ? »

« Ça n'a aucune importance, » je l'informe avant de me remettre au boulot, il n'ajoute rien, au lieu de ça il sort sont iPod et le branche à une mini enceinte en forme de lego puis dès les premières notes de musique je sais qu'il vient de sélectionner sa 'Sara playlist'.

Il me fait un clin d'œil et c'est dans ces moments que je me rends compte à quel point je l'aime et pourquoi je suis heureuse qu'on soit amis.

Catherine

Je soupire profondément quand je m'installe derrière le volant de ma voiture. Je suis lessivée, deux services, un témoignage au tribunal, une scène de crime complexe et comme tout le monde est débordé j'étais seule sur le terrain. Une chose est sure je suis contente d'être de repos demain.

Je suis un peu dépitée car je n'ai pas fini assez tôt pour avoir un peu de temps avec Lindsey. Lindsey a toujours été une source de réconfort pour moi, malgré nos différents elle est toujours la seule à pouvoir me faire sourire en un clin d'œil et rien que de la prendre dans mes bras suffit à me faire oublier tous mes tracas.

J'ai l'impression que mes services sont plus longs et plus tendus que jamais. Je sais que tout ça me ramène à Sara, depuis notre dispute dans ma cuisine il y a trois semaines le boulot est une source de stress constant. Je sais bien que je suis devenue si agressive avec elle que je suis bien au-delà de la limite du raisonnable la preuve il y a quatre jours je lui suis rentrée dedans pour des résultats alors qu'elle les avait déposé sur mon bureau plusieurs heures auparavant. Tout le monde a dû le remarquer mais personne ne dit rien en partie parce qu'il s'agit de Sara et moi, tout le monde a tellement l'habitude qu'on se dispute qu'importe la violence de nos différents personne ne s'inquiète.

Je suis à fleur de peau, je n'aime pas être comme ça mais c'est mon instinct de survie qui prend le dessus. A chaque fois que je l'aperçois je sens un poids s'écraser sur ma poitrine, des larmes s'accumulent instantanément derrière mes paupières, j'ai du mal à respirer la panique au creux de la gorge, ses mots raisonnent dans ma tête et je suis prête à m'effondrer dans les secondes qui suivent.

La colère a toujours été mon mécanisme de défense le plus efficace, et depuis trois semaines c'est la seule chose qui me permet de tenir debout. Je ne pense pas avoir été blessée aussi sévèrement de toute ma vie, et j'étais convaincue que j'avais atteint le summum de la souffrance émotionnelle avec Eddie. D'ailleurs après Eddie je me suis toujours refusée à baisser ma garde pour éviter d'avoir mon cœur brisé en mille morceaux, d'être dépouillée de mon estime et de ma dignité. Mais tout ça c'était avant que Sara ne pulvérise toutes mes barricades, s'approprie mon cœur et me réduise émotionnellement à néant.

Tous les jours je me rends au labo et je m'abrite derrière un mur de rage incontrôlable juste pour survivre à mon service, c'est exténuant et franchement je déteste être dans cet état. Je sais que ça prendra du temps pour que je me relève après cet épisode et en attendant le jour où je n'aurais plus l'impression d'avoir une plaie béante en plein milieu de ma poitrine, mes rapports avec Sara seront infernaux. Même quand ce jour viendra il est évident que mes rapports avec Sara ne seront plus jamais les mêmes.

Je prends un instant pour essayer d'évacuer la tension accumulée pendant mes services et démarre.

Sara

«…Scout ?… »

Il me faut quelques secondes supplémentaires pour réagir à la voix de mon frangin. « Oui… je suis là, » je confirme.

Il y a un long silence, les mots nous échappent temporairement. « Tu viens dès que possible ? »

« Oui… » ma voix se casse légèrement, je racle ma gorge et reprend ma contenance. « Bien sûr, il va sans dire. »

« Tu veux que je vienne ? »

« Non, ne soit pas bête, ce n'est pas la peine, je devrais être là pour le dîner. »

« Ok. »

« Est-ce que tu veux que j'appelle… »

« Non, c'est bon. On se voit dans quelques heures. Sois prudente. »

« Ok, à toute à l'heure. Merci Russ. »

Il raccroche et j'essaie de me souvenir de ce que j'ai à faire. Je commence à ranger mon sac à dos, quand quelqu'un entre dans la pièce.

« Ah Sara, je te cherchais, tu veux déjeuner chez moi ? Je suis d'humeur à cuisiner. »

« Une autre fois, » je réponds tel un automate avant de fermer mon casier.

Je le dépasse à peine qu'il a saisi mon poignet pour me retenir. Il me scrute en silence mais ne dis rien, il sait que s'il me demande comment ça va je lui répondrai que je vais bien, il sait aussi que ce sera un mensonge, et on ne se ment pas. Pas de question, pas de mensonge.

Il me prend dans ses bras et me serre fort contre lui. « Je t'aime et je suis là 24h sur 24h, tout ce que t'as à faire c'est appeler, » il m'informe, m'embrasse la joue et me relâche.

« Je sais, » je réponds honnêtement d'une voix monotone avant de partir.

Catherine

Je ricane doucement avant de marquer la page de mon livre. Ma première journée de repos depuis longtemps est plus que bénéfique. J'ai pu voir ma fille, on a partagé un petit déjeuner et je l'ai déposé au lycée.

Je suis complètement détendue et j'ai envie que ça dure. Je décide de me faire plaisir et vais dans la cuisine pour me préparer mon dessert favori.

Alors que j'ouvre un de mes placards pour trouver une coupelle j'aperçois une silhouette sur mon perron. La colère m'envahit immédiatement dès que j'identifie mon inconnu.

Je me précipite à ma porte et l'ouvre avec force. « Qu'est ce que tu fous là ? » je demande d'une voix acerbe.

Sara est assise sur les marches de mon perron elle regarde à l'horizon sans le moindre signe qu'elle m'ait entendu.

« Je n'ai pas été correcte avec toi, » elle parle d'une voix absente, mais ses mots ne vont que décupler ma colère.

« Arrête tout de suite, je ne veux pas de tes excuses minables, je n'en veux plus. J'en ai marre, c'est toujours la même chose. En ce qui me concerne je m'en fous ça ne changera rien, je ne veux rien avoir à faire avec toi en dehors du boulot, maintenant va-t-en t'es sur ma propriété. »

« J'ai agit comme si tes émottions n'avait pas d'importance. On ne traite pas un inconnu comme ça encore moins les personnes qu'on connait… c'est indécent… que ce comportement émane de moi est pire encore. »

« Arrête, arrête, je m'en fous, je n'accepte pas tes excuses, c'est inutile, va-t-en. »

« J'étais en route pour chez moi et je me suis retrouvée devant chez toi… j'ai redémarré et après avoir roulé plusieurs minutes je me suis retrouvée ici pour la seconde fois… »

« Tais toi, et va t'en, » je répète frustrée, j'ai l'impression de m'adresser à un mur.

« J'ai dû en déduire qu'il y avait un truc avec toi… et j'ai réalisé qu'elle aurait honte de moi si elle savait comment je me suis comportée avec toi… je n'ai pas été correcte avec toi… »

Elle ? Qui ? Quoi… ? De quoi parle-t-elle

« Mais de quoi tu parles ? »

« Elle aurait honte de savoir que je suis capable d'agir de la sorte… elle serait même dégoûtée. Et je ne veux pas qu'elle ait honte de moi…et je sais que je ne peux pas inverser ce que j'ai fait… mais si seulement je pouvais réparer le mal que je t'ai fait peut être que… »

« Tu ne peux pas, c'est bien le problème. Maintenant par pitié va t'en »

« Si je pouvais défaire tout ça alors peut être qu'elle ira mieux… »

« Sara ce que tu dis n'a aucun sens ! »

« Je regrette de m'être comportée aussi mal avec toi…je… »

« Je ne veux pas le savoir, et je ne comprends pas ce que tu racontes. J'aimerai faire en sorte de sauver ma journée de repos que ta présence vient de gâcher…alors par pitié arrête de parler de manière incohérente… t'as deux minutes pour t'en aller après ça je vais devenir physiquement violente… » je m'énerve un peu plus.

« Elle est morte il y a 30 minutes et la seule chose à laquelle je pense c'est à quel point elle aurait honte si elle savait… et une partie de moi se dit que si j'arrive à réparer ce que j'ai fait alors peut être qu'elle sera encore en vie… »

« … j'en ai marre que tu gâches toujours tout pour moi, je veux que tu t'en ailles bon sang pourquoi est ce que… »

Quoi ?

Oh là doucement, on rembobine.

Je ne l'ai pas vraiment écoutée pendant tout le temps où elle a parlé aussi il me faut quelques secondes pour enregistrer tout ce qu'elle vient de dire.

Elle est morte il y a 30 minutes… ?

La panique remplace ma colère, de qui parle-t-elle ?

«… Je sais bien que… j'ai honte d'avoir agit de la sorte avec toi… comme si ce que tu pouvais ressentir n'avait pas d'importance… »

Je descends les marches de mon perron pour lui faire face pour la première fois. Elle a le regard vague et continue à parler de manière incohérente.

« Sara ? » je l'appelle gentiment, mais elle ne réagit toujours pas à ma voix comme bloquée dans sa tête, je comprends seulement maintenant qu'elle est en état de choc.

« Je regrette… »

« Sara, qui est mort ? » je demande doucement alors qu'elle continue de parler.

« Elle aurait tellement honte… je ne veux pas qu'elle ait honte de moi… »

Je pose une main sur son épaule, ma colère s'est évaporée rapidement remplacée par une profonde inquiétude, je n'ai jamais vu Sara dans cet état et ça me glace le sang.

« Sara ? » ses yeux dérivent enfin vers les miens et elle semble surprise de me voir.

« Ma mère… elle est morte, » sa voix reste mécanique. Ses yeux se perdent à nouveau dans le vague.

Les mots me manquent, je ne m'attendais pas à un tel choc d'un autre côté je me sens un peu rassurée car je m'attendais à ce qu'il s'agisse de quelqu'un du labo. Je sais, dis comme ça c'est cruel mais en même temps ce sont les seules personnes que Sara et moi avons en commun.

« Je dois y aller… je voulais juste… il fallait que je te dise que je regrette même si ça ne peut pas effacer ce que j'ai fait… je dois y aller. »

Elle se lève et commence à se rediriger vers sa voiture. « J'ai oublié de le dire à Grissom, il faut que je retourne au labo… il faut que je prenne le premier avion… »

Je reprends mes esprits et me place devant elle. « Sara, donnes moi tes clefs de voiture. »

« Il faut que j'y aille… il faut que j'aille au labo et il faut que je prenne le premier vol… » elle répète automatiquement.

Cette fois je lui saisis le visage pour forcer son attention sur moi. « Sara, mon cœur, je ne peux pas te laisser conduire dans cet état. Je vais t'emmener à l'aéroport d'accord ? Pour ce qui est du boulot ne t'en fait pas je le dirai à Grissom, » j'essaie d'être aussi rassurante que possible. « Tu m'as entendue ? »

Elle a du mal à rester concentrée et je peux voir l'effort qu'elle fait pour enregistrer un maximum d'informations. « Ma voiture… »

« Je la garderai, ne t'en fait pas pour ça, donne moi les clefs je vais conduire car tu n'es pas en état de le faire. »

Je pose une main sur le poing qui retient ses clefs de voiture prisonnières et après plusieurs secondes elle se résigne à lâcher prise, je prends les clefs et ouvre sa voiture. « Installes toi, je ferme la maison et on y va. J'en ai pour une minute. »

Je n'attends pas une seconde et me précipite à l'intérieur de chez moi pour prendre mon sac et mes clefs, une minutes plus tard je suis à nouveau dehors, Sara est assise côté passager la tête appuyée contre la vitre.

« T'as besoin de passer chez toi ? » je demande, il y a un décalage de quelques secondes entre ma question et sa réponse silencieuse, je me contente du fait qu'elle soit un brin réactive à ma voix.

Le trajet jusqu'à l'aéroport est court et silencieux. Sara est toujours dans un état second mais au moins elle a repris ses esprits assez pour savoir ce qu'elle a à faire. Je m'inquiète qu'elle soit aussi peu émotive et détachée de tout, mais de tout évidence le choc a été violent pour elle. Au moins elle semble un peu moins en orbite que tout à l'heure lorsqu'elle était sur mon perron, c'est toujours ça de pris.

« Merci, » elle murmure d'une voix monotone. Je ne peux pas la suivre et je n'ai même pas le temps de lui dire qu'elle peut m'appeler si elle a besoin de quoi que ce soit, en quelques secondes je n'aperçois plus que son sac à dos avant qu'elle ne franchisse le portique séparant la zone d'embarquement avec le reste de l'aéroport.

Malgré tout ce qu'il s'est passé entre nous, de la voir dans cet état me fend le cœur, et une inquiétude grandissante commence à me ronger de l'intérieur.

Je n'aime vraiment pas l'idée qu'elle soit seule dans cette épreuve.

Sara

« Voilà Mademoiselle, l'embarquement sera dans quinze minutes porte 7. Je vous souhaite un agréable voyage. »

Je ne sais pas si je lui souris mais en tout cas je dis merci à l'hôtesse un peu trop enjouée qui se trouve de l'autre côté du comptoir. Je suis en pilote automatique, dans les situations les plus critiques c'est ce qui m'a toujours permis d'aller de l'avant, de faire ce que je devais, le tout c'est de ne pas penser, mettre pause sur ses émotions.

Je repère la porte 7 et me dirige dans cette direction sans réfléchir. Je m'apprête à entrer dans la zone d'embarquement mais quelque chose me tracasse, j'ai la sensation d'oublier un détail. C'est quand je sens une main sur mon épaule que je me souviens que je ne suis pas seule. Je me retrouve face à Catherine.

Les détails sont flous mais elle est là alors je dis la seule chose qui me semble logique. « Merci, » et sur ce je continue mon chemin car je ne peux pas me permettre de réfléchir trop longtemps.

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« Hey, je ne t'attendais pas si tôt, » dit l'un de mes grands frères, Russell, avant de m'embrasser la joue.

« J'ai eu un avion tout de suite. »

Il opine silencieusement, je n'ajoute rien et vais dans ma chambre pour déposer mon sac à dos puis rejoins mon frère au rez-de-chaussée.

« Quels sont mes options ? »

« Continuer à appeler tout le monde, » Russell m'informe.

« Y a une option n°2 ? » je grimace.

Il me tend une liste. « Il nous faut un chauffeur » il explique. « Tu peux gérer ? »

« Les clefs. »

« T'es sure ? »

« Russ, les clefs, » je soupire avant de prendre les clefs qu'il me tend.

« Les papiers sont dans la boite à gants. Sois prudente. »

Je n'ajoute rien et mets toute ma concentration dans la tâche qui m'a été confiée.

Catherine

Je me suis cachée du monde en mettant mes mains devant mes yeux. Je n'arrive pas à réfléchir correctement. La seule pensée que j'ai est que Sara est quelque part en Californie, seule, perdue et n'a probablement pas intégré l'information du décès de sa mère.

Qu'importe nos rapports chaotiques je tiens à elle. Mes sentiments mis à part, il s'agit de quelqu'un que je côtoie depuis huit ans avec qui j'ai connu des bas et quelques hauts, mais qui a toujours su être à mes côtés pour faire face à ce qu'il y a de pire dans la nature humaine.

Si c'était Warrick, Nick ou Greg je n'aurais pas hésité une seule seconde et là je suis prise dans un débat avec moi-même quant à la marche à suivre.

« Maman ? Est-ce que ça va ? »

Je relève la tête et rencontre les yeux interrogateurs de ma fille. Il n'y a pas si longtemps on a fait un pacte toutes les deux, de se parler en toute honnêteté ce qui voulait dire ne pas lui parler comme si elle avait cinq ans en échange de quoi elle me laisse une place dans sa vie d'ado, le tout soumis à une règle ne pas juger l'autre quoi qu'il arrive.

« Je suis inquiète pour Sara, » je lui confesse.

« Quelque chose lui est arrivée ? »

Je prends une profonde inspiration. « Sa mère est décédée un peu plus tôt aujourd'hui et elle n'allait pas bien du tout. Je l'ai emmené à l'aéroport, et depuis je suis inquiète. J'ai peur qu'elle n'ait personne pour traverser cette épreuve, et cette pensée me rend malade. En même temps elle ne m'a rien demandé et je ne veux pas rendre les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà. »

Lindsey fronce les sourcils comme si elle était en grande réflexion. « Hélo était horrible avec moi, elle se moquait de moi, faisait des blagues méchantes sur mon compte, elle s'en prenait à moi dès qu'elle en avait l'occasion, elle ne m'appréciait pas et c'était réciproque. »

Je suis surprise parce que Hélo – Héloïse de son prénom, est l'une des seules amies de Lindsey que je vois régulièrement, elles sont quasiment inséparables.

« Quand papa est mort, mes amies n'ont pas compris pourquoi je restais dans mon coin surtout après une semaine ou deux, et comme les profs étaient un peu plus sympas avec moi elles se sont dites que je faisais tout pour avoir de l'attention et elles m'ont laissé tomber. »

C'est la première fois que Lindsey me fait part de cette période de sa vie, je sais bien que la mort d'Eddie a été difficile, elle l'a été pour moi même si je ne voulais pas l'admettre et je n'ai peut être pas été à la hauteur avec Lindsey pendant cette épreuve. On communiquait mal voir pas du tout et c'est là qu'elle a commencé à me donner de l'attitude et a m'exclure complètement de sa vie.

« Hélo s'est assise à mes côtés tous les jours, elle restait à mes côtés en classe, pendant les pauses, elle ne disait rien, elle ne faisait rien mais elle était là, et ça a tout changé,» elle marque une pause. « Je te dis ça parce que je sais que tu ne t'entends pas toujours bien avec Sara mais ça ne t'empêche pas d'être là pour elle. »

« Parfois je me demande quel âge tu as, c'est assez effrayant. »

Elle rit doucement. « Va la rejoindre. Au pire si elle ne veut pas que tu sois là elle te le dira. Mais je t'assure que si t'es là pour elle, même si tu ne fais rien, ta présence sera assez pour faire la différence. »

Je suis sur le point de lui dire qu'aller en Californie signifie aussi de la laisser seule et ça me dérange. « Je peux rester chez tante Nancy, je serai sage, et il y a cette nouvelle invention qu'on appelle téléphone apparemment ça permet de rester en contact malgré la distance. »

Je roule des yeux à son sarcasme. « Tout ira bien maman, ne t'en fais pas pour moi, » elle se lève pour me faire un câlin.

« Je ne te le dirai jamais assez, mais je t'aime très fort, » je lui embrasse la joue en la serrant contre moi.

« Je t'aime aussi maman, » elle répond. « J'aime aussi l'oxygène, donc il va falloir me relâcher,» elle ajoute en plaisantant.

« L'amour ça fait mal parfois ma chérie, » je ris en la retenant quelques secondes avant de la lâcher.

« Je vais aller préparer mon sac. »

« Linds, » je la retiens un instant. « Je te demande pardon, je sais que je n'ai pas été très présente à la mort de ton père et… »

« T'étais là maman, tu l'as toujours été… j'étais juste très en colère, » elle me coupe.

« Si tu veux en parler… »

« Je sais… une autre fois peut être, » elle acquiesce. « Je vais bien maman, » elle me rassure avec un clin d'œil avant de s'en aller.

Je prends mon téléphone et appelle Nancy, je lui explique brièvement la situation, compréhensive comme à son habitude, elle n'objecte pas à garder Lindsey de façon prolongée. Quarante minutes plus tard, j'ai un sac prêt et casé dans le coffre de ma voiture, j'ai déposé Linds chez ma sœur en m'assurant qu'elle ne manquerait de rien, maintenant je suis en train de répéter quelques arguments dans ma tête avant d'affronter Grissom.

Tout ce que je sais c'est que Sara est en Californie, mais je n'ai pas d'adresse et si je l'appelle je risque un rejet de sa part, son côté tête de mule prendra le dessus. La seule façon que j'ai d'obtenir une adresse est de regarder dans le dossier de Sara car lorsqu'elle a débarqué à Vegas sa première adresse était celle de Californie jusqu'à ce qu'elle décide de rester et trouve un appart en ville. Or ce dossier se trouve dans le bureau de Grissom, et bien entendu si je lui demande il voudra des explications, autant dire que j'ai intérêt à être ultra convaincante.

Je sors de ma voiture et avance d'un pas décidé, manque de chance pour moi Grissom n'est pas dans son bureau et je ne le vois dans aucun labo, l'heure étant grave, je décide d'abuser de mes avantages en tant que superviseur adjointe, entre dans son bureau et commence à fouiller. Evidemment ses tiroirs sont tous pleins à craquer et je ne sais pas lequel contient les dossiers de tout le monde.

« Catherine, je peux t'aider ? » bien entendu il décide de se matérialiser quand je suis dans une position compromettante. Mais bon Grissom étant Grissom il doit sûrement penser que je cherche un dossier d'une affaire en cours.

Je me pince les lèvres et lui fais face. « J'ai besoin du dossier personnel de Sara. »

Il se tend immédiatement à mes mots et ferme la porte de son bureau, son regard se durcit ce qui me fait savoir qu'il est sur le point de me passer un savon, s'il y a une chose qu'il défend ce sont nos vies privées des uns et des autres.

Je le prends de court. « Gil j'ai besoin de son dossier, » je répète fermement en levant un doigt pour l'empêcher de parler. « Sara… sa mère… » tout s'embrouille dans ma tête car je revois Sara perdue, vulnérable sur mon perron.

J'ai besoin de quelques secondes pour me reprendre. J'inspire profondément avant de continuer. « Sa mère est décédée ce matin et… elle est venue chez moi, la première chose qu'elle ait faite après avoir appris cette nouvelle est de venir chez moi. Elle était sous le choc… ce qui est normal mais elle était… je ne l'ai jamais vue comme ça… je l'ai mise dans un avion pour San Francisco et la seule chose à laquelle je pense depuis que je l'ai laissée à l'aéroport est qu'elle ne devrait pas être seule dans cette épreuve, » je parle rapidement.

« Je sais que Sara et moi sommes loin d'avoir les meilleurs rapports, et peut être que je suis la dernière personne qu'elle voudra avoir à ses côtés mais le fait est qu'elle s'est confiée à moi… tu sais comment est Sara, elle serait énervée si les garçons apprenaient la nouvelle par quelqu'un d'autre qu'elle et elle s'est confiée à moi… je lui ai promis de t'informer ce que je fais maintenant. »

Je grogne avec frustration car j'ai du mal à m'exprimer malgré toute ma préparation. « Elle ne devrait pas être seule et j'ai l'intention de la rejoindre… on n'arrête pas de dire que cette équipe est plus qu'une équipe, que c'est une famille…qu'on est une famille et il y a des moments où justement il faut que tout ça soit plus que de simples mots, et ce moment en est un… Sara a besoin de support et je compte le lui offrir, alors soit en colère si tu veux, colles moi un blâme peu importe mais je ne sortirai pas de ce bureau sans avoir une adresse où la trouver,» je relève le menton et me dresse de toute ma hauteur comme pour l'affronter dans un combat physique.

Il ne dit rien et se dirige vers un des meubles opposé à celui devant lequel je me trouve. Il fait coulisser un tiroir vers l'extérieur et en extrait un épais dossier après seulement deux secondes de recherche. Il pose le dossier sur la table, l'ouvre, prend un papier et commence à écrire.

« Officiellement Sara travaille toujours pour le labo de Californie donc tu lui diras que je ne comptabilise pas son absence comme des jours personnels. En ce qui te concerne je vais dire que tu as été lui prêter mains fortes pour éviter que tu n'utilises tes jours personnels cela dit qu'on soit clairs, tu devras me rattraper tous les services que tu manqueras, donc attends toi à faire des heures sup à ton retour, » il déclare avant de me tendre le papier qu'il vient de rédiger.

Je suis coite, surprise qu'il soit aussi coopératif. Je prends le papier avec hésitation. « Merci, » je balbutie après quelques secondes. Je commence à me rediriger vers la porte mais m'arrête avant de sortir. « C'est tout ? Tu ne va rien ajouter ? »

« Tu as raison elle a besoin de support, » il constate avec un haussement d'épaules. « Dépêches toi si tu veux avoir un vol rapidement. »

« Merci Gil. »

« Catherine, » il me retient encore quelques secondes. « Prends soin d'elle pour nous tous. »

J'opine silencieusement avec un sourire triste puis m'en vais.

Sara

Je suis au milieu de l'aéroport pour la troisième fois de la journée. J'ai toujours aimé les aéroports et plus précisément le hall des arrivées car c'est un endroit rempli d'ondes positives. Il y a des exceptions mais les gens sont toujours heureux de retrouver quelqu'un, c'est le seule endroit que je connaisse où il y a des embrassades enthousiastes et chaleureuses à foison.

A chaque fois que je suis venue en Californie, surtout ces derniers mois, je faisais encore partie du club des gens heureux, j'étais surexcitée et euphorique d'être à l'aéroport, c'est le moment où toute ma fatigue me quittait,

Aujourd'hui je fais partie des exceptions, il y a un univers entre eux et moi. Je ne ressens aucune excitation, je ne suis pas agitée avec l'anticipation de voir quelqu'un que j'aime.

Il ne me faut pas longtemps pour voir mon grand frère Howard accompagné de notre petite sœur Hazel – la plus jeune d'entre nous. Je n'ai pas besoin d'attendre qu'ils soient à ma hauteur pour comprendre que ma sœur ne va pas bien. Ce n'est pas un secret chacun d'entre nous a ses traumas mais Hazy a toujours été la plus émotionnelle d'entre nous, la plus fragile.

Je l'embrasse sur la joue puis l'enlace mais elle se tend comme pour rejeter le contact aussi je la laisse immédiatement tranquille. Je me tourne vers Howard, je ne le salue pas mais c'est uniquement parce que je l'ai déjà vu il y a quelques heures de ça.

« Elle est déconnectée, » il m'informe dans un murmure, j'acquiesce silencieusement. C'est notre code pour signifier qu'il va nous falloir garder un œil très attentif sur elle.

Le trajet retour jusqu'à chez nous se fait au son de la radio, la musique même en bruit de fond compense pour notre manque d'éloquence et nous empêche de trop penser. Dès qu'on arrive Hazy est la première à descendre de voiture. Mon premier réflexe est de la suivre mais je pense qu'elle a besoin d'un peu d'espace pour le moment, toutefois je regarde Howard pour avoir son avis, il secoue la tête confirmant mon premier instinct.

On récupère les bagages et entre à notre tour dans la maison. Nous sommes presque tous là, Charlie et Russell sont apparemment en train de s'occuper de tout ce qui est d'ordre administratif tandis que Rueben notre petit frère s'occupe des affaires en cours. Howard et moi décidons de remettre un peu d'ordre dans les papiers car de toute évidence on va en avoir besoin.

Une heure plus tard, lorsque nous sommes réunis dans le salon, le dernier membre de notre fratrie – Sidney, mon jumeau, fait son entrée. Il nous salue un par un puis fronce les sourcils.

« Où est Hazy ? »

« Sid, » Howard fait un signe de tête vers la porte du salon, Hazy est timidement cachée derrière l'embrasure de la porte.

Sidney l'observe quelques secondes, Hazy est légèrement recroqueviller c'est sa façon de se faire toute petite. Sid lui sourit tendrement et tend une main assurée vers elle. C'est une scène qui s'est répétée encore et encore quand nous étions plus jeunes, Sidney a toujours été celui d'entre nous qui arrivait à rassurer Hazy en premier et à la faire sortir des recoins où elle avait trouvé refuge lorsque notre foyer devenait un antre infernal.

« Hey bulle… » Sid lui parle d'une voix douce et calme. « Viens… tout ira bien, c'est promis, » dit il comme à chaque fois.

Hazy hésite avant de poser une main tremblante dans celle de Sid, Sidney l'attire gentiment à lui avant de l'envelopper de ses bras. Hazy semble enfin sortir de sa stupeur et passe ses bras autour de la taille de Sid et le serre comme si elle s'accrochait à la vie.

« Chhh… là, ça va aller… on est tous là maintenant, on va traverser ça ensemble, d'accord ? » il lui embrasse le haut du crâne. « On va traverser ça ensemble comme on l'a toujours fait… ça va aller… on est ensemble maintenant… » il la berce doucement.

Après quelques minutes Sid entraine Hazy sur le canapé et on se retrouve tous ensemble pour la première fois de la journée. C'est étrange de ce dire qu'il y a encore deux jours on était précisément au même endroit à la différence qu'on se chamaillait de bon cœur.

Deux canapés d'angle se font face formant un carré ouvert, pas de table basse au milieu rien que de l'espace. On est assis de façon à se faire face les uns les autres.

On partage un long silence puis Rueben, qui est assis à côté de moi, prend la parole. « Charlie… est ce que… est qu'elle a souffert ? » Je passe un bras protecteur autour de ses épaules avant de lui embrasser la tempe.

Charlie nous regarde les uns après les autres et opine. « Oui, un peu, » dit il doucement. « Mais elle n'était pas seule, Russell et moi étions là physiquement et vous étiez là aussi, et elle le savait, » il marque une pause « Maman voulais qu'on continue de faire ce que nous devions, travail ou études, et encore il a fallu de longues négociations pour qu'elle accepte qu'on organise pour passer plus de temps à la maison. »

Il a raison. Ce n'est pas qu'elle ne voulait pas qu'on soit auprès d'elle mais plutôt qu'elle ne voulait pas s'imposer, elle ne voulait pas 'perturber nos vies', aussi il a fallu qu'on parlemente longtemps pour lui assurer qu'il n'en était rien et qu'on n'était pas à ses côtés par obligations mais parce qu'on le voulait.

« Elle serait furieuse si l'un d'entre nous osait penser ne serait-ce qu'une seconde qu'on l'avait laissé tomber. Vous étiez là à ses côtés ce matin tout comme Russ et moi, ne vous avisez pas de penser le contraire. Et quand elle tenait nos mains, elle tenait les vôtres, elle s'est accrochée à chacun d'entre nous ce matin comme elle l'a toujours fait pendant toutes ces années. Alors je vous interdis de penser le contraire, elle vous l'interdit, » il nous regarde un à un avec autorité s'assurant ainsi qu'on ne braverait jamais l'interdit qu'il vient de nous énoncer.

« Regardez moi, » il se tourne vers Hazy et Rueben. « Hazy, Rub, regardez moi, » il ordonne doucement. « Je vous interdis de penser le contraire, vous m'entendez ? Elle vous l'interdit, compris ? » il leur faut quelques secondes mais ils acceptent ce que leur dit Charlie.

Il dit vrai, je le sais mais il ne pourra jamais complètement faire passer ce goût amer de regret. Hazy, Rueben Howard et moi sommes repartis avant-hier et avions prévu de revenir demain, de savoir que 48h ont joué contre nous sera une éternelle source de tristesse. Bien sûr avec le temps on acceptera le fait qu'on ne peut pas anticiper ces choses là, mais aujourd'hui c'est une torture de penser qu'on était si proche et pourtant si loin.

« Il y a une part de nous qui a disparu à tout jamais aujourd'hui, on ne sera plus jamais vraiment complet, » Charlie continue. « Et cette douleur qu'on ressent est si intense qu'elle manque juste de nous suffoquer, et il semble impossible de survivre à cette journée. Cette douleur va être encore plus intense et persistante. Désormais il va falloir nous forcer à affronter chaque jour, il va nous falloir nous battre pour ne pas nous noyer dans cette douleur même si le simple fait de respirer nous fait mal. »

Il prend une grande inspiration et quelques secondes pour garder la tête sur les épaules. « On est tous ensembles, on va s'accrocher les uns aux autres, personne ne laisse tomber et on ne laisse tomber personne. Ça prendra beaucoup de temps mais un jour dans un futur très lointain cette douleur, qui ne disparaîtra jamais, ne sera qu'un simple murmure étouffé par la joie des souvenirs du temps qu'on a eu la chance de passer avec Maman. »

Charlie a toujours été l'élément déterminant dans l'équilibre de notre famille, il a toujours tout fait pour qu'on reste soudé en toutes circonstances, il a dû prendre la responsabilité d'être nos parents de substitution et à maintes reprises il a tenu cette famille à bout de bras sans jamais fléchir une seule seconde, sans jamais faire preuve de faiblesse force est d'admirer sa ténacité et sa force de caractère.

Il se lève « Venez, » il nous intime. Il nous entraîne silencieusement à l'étage. Arrivé devant la porte de la chambre de Maman, il pose sa main sur la poignée, après une courte hésitation il ouvre la porte.

Une fois que tout le monde est entré il referme la porte et s'assoit en tailleur au milieu de la pièce. Il n'a pas besoin de préciser quoi que ce soit, c'est un rituel que nous avons depuis notre enfance, tous assis en tailleur nous formons un cercle. Une fois que tout le monde est installé Charlie tend ses mains et tout le monde le suit, les doigts s'emmêlent avec aisance et en quelques secondes seulement chacun d'entre nous est physiquement connecté aux six autres.

« Ça va être incommensurablement long et difficile, » Charlie reprend la parole en nous regardant les uns les autres. « Mais on traversera cette tempête, » il marque une pause. « On traversera cette tempête, tout comme on a traversé les autres. »

Sur ce l'étau formé par nos doigts se resserre, une promesse silencieuse et indélébile qui ne sera jamais rompue. On se penche tous en avant naturellement pour connecter nos fronts, pour sceller cette promesse à tout jamais. On reste comme ça pendant un moment, malgré l'absence il y a encore un peu de chaleur dans cette pièce, l'odeur de Maman y persiste encore dans l'air, sa présence est toujours là et pendant un instant c'est comme se retrouver dans le cocon protecteur de ses bras.

On rompt le contact, sans dire un mot on se déplace légèrement afin d'être tous autour du lit, une habitude qu'on a prise au retour de Maman, étant si nombreux et ne voulant pas la suffoquer on s'asseyait par terre autour du lit pour passer du temps à son chevet lorsqu'elle était trop faible pour bouger. Aujourd'hui c'est naturellement que l'on s'adosse au lit, pour ne pas faire face à un lit vide.

Hazy, qui est à mes côtés commence à pleurer silencieusement aussi je passe un bras autour d'elle pour la réconforter.

Charlie a raison, ça prendra beaucoup de temps, mais aussi longtemps qu'on restera soudé on arrivera un jour à traverser cette tempête.

Catherine

J'ai l'estomac noué, je ne pense pas avoir été un jour aussi nerveuse que maintenant. J'ai passé les dernières heures à me ronger les sangs. Je sais que j'ai pris la bonne décision en allant à la rencontre de Sara mais j'ai peur de sa réaction. Je ne veux pas être un poids supplémentaire pour elle, arrivée à l'aéroport de Vegas j'ai faillit rebrousser chemin et encore maintenant alors que je suis dans le car qui m'amènera à destination je me fais violence pour ne pas descendre et faire le chemin inverse.

Je veux être là pour elle et en même temps je me dis que je ne suis peut être pas la personne qu'elle voudra à ses côtés… peut être que j'aurais dû dire à Greg que je pensais qu'elle avait besoin d'un ami sans entrer dans les détails.

Plus je m'approche du but et plus je me dis que c'est une mauvaise idée. Je peux prendre un rejet, ça je pourrais le gérer car elle m'en a servi à toutes les sauces – qui aurait crû que ça me servirait un jour ? – mon inquiétude principale est d'aggraver la situation, de rendre les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà pour elle. Si ça avait été quelqu'un d'autre je n'aurais pas angoissé à ce point mais avec Sara… le fait est qu'elle fait tout pour être ce mur inébranlable comme si rien ne pouvais l'atteindre, elle ne montre jamais ses faiblesses.

C'est pour ça que son état de choc de ce matin m'a vraiment inquiétée, mais là elle a eu plusieurs heures pour s'en remettre et je risque justement de me prendre ce mur à grande vitesse anéantissant définitivement ce qui reste de nos rapports par la même occasion.

J'ai peur mais la raison qui me pousse à rester en dépit de cette angoisse qui me tient aux tripes est mon envie d'être là pour elle, mon besoin d'être là pour elle. Peu importe nos rapports je veux être là pour elle et même si elle me rejette je resterai à ses côtés jusqu'à ce que je sois sure qu'elle aille bien.

Le car arrive à la station qu'on m'a indiqué dans la ville de Tomales Bay et je descends, je suinte l'appréhension par tous mes pores, je prends une grande inspiration et demande mon chemin avant de parcourir les quelques mètres restant à pieds.

J'arrive devant une maison gigantesque à étages, il y a une grande pelouse devant et j'imagine facilement qu'il y a un jardin immense derrière la maison. Un panneau sur ma droite indique 'Golden Blue Shamrock Bed & Breakfast' en lettres celtiques, et il y a un espace réservé pour d'éventuelles voitures.

J'espère ne pas m'être trompée dans l'adresse sinon ça voudra dire que je suis au milieu de nulle part…

Je m'engage dans la longue allée et franchi l'entrée réservée aux clients. Un carillon résonne pour indiquer ma présence. J'arrive dans un hall spacieux où se trouve un comptoir en bois massif verni, sur ma droite une double porte ouverte sur ce qui semble être une salle à manger et un espace salon sur la gauche derrière le comptoir une autre double porte ouverte. Deux hommes sont derrière un comptoir d'accueil, l'un trentenaire et l'autre pas loin de l'être. Le plus jeune disparaît après avoir posé un regard bref sur ma personne tandis que l'autre me porte toute son attention.

« Bonjour et bienvenue au Golden Blue Shamrock, » le ton de sa voix est neutre, dénué de toute chaleur.

« Bonjour, merci » je réponds maladroitement. Je m'approche du comptoir, réduisant ainsi la distance entre nous. J'ouvre la bouche pour me présenter mais il me prend de court.

« Je sais qui vous êtes, » dit-il simplement. Dire que je suis confuse serait un euphémisme. Tout à coup mon appréhension s'accroit, je ne suis pas sure d'aimer la situation. « Tout le monde le sait,» il ajoute.

Il m'observe longuement, et très honnêtement son regard perçant me met mal à l'aise. « Sara sera là dans une minute, » il m'informe et je ne peux qu'opiner silencieusement.

Il continue sa contemplation, j'ai l'impression d'être jugée, en fait ce n'est pas qu'une impression. Clairement il me toise, et me faire comprendre que je ne suis pas la bienvenue contrairement à ce qu'il a dit. S'il sait qui je suis ça veut dire que ma réputation m'a précédée, mais surtout qu'il a eu vent des heurts entre Sara et moi, en fait je me dis qu'il ne connait peut être que les mauvais côtés de notre relation.

Plus ou moins consciemment je me grandis et hausse le menton comme pour lui signifier qu'il ne m'intimide pas et que oui c'est un sac plein de vêtements que j'ai à la main car j'ai l'intention de rester ici quelques jours j'ignore sa relation avec Sara mais en tout cas je ne laisserai personne m'empêcher d'être à ses côtés pas maintenant que je suis aussi près du but. Et je me fiche que nos rapports soient toujours au plus bas, ça n'empêche que je tiens à elle… je l'aime malgré moi et je veux être là pour elle, l'avis et le regard du reste du monde m'importe peu.

Un sourire subtil étire le coin de ses lèvres après plusieurs minutes, donc il ne me jugeait pas vraiment, il me testait. « Je suis Howard, mais vous pouvez m'appeler Howie. Je suis l'un des grands frères, » il me tend sa main. Sa voix, son regard, il se transforme du tout au tout. Il avait une expression dure et glaciale i peine quelques secondes et là ses yeux verts brillent avec gentillesse, son visage est détendu, et une chaleur contagieuse émane de lui.

« Bienvenue chez les Sidle,» il me sourit doucement, cette fois-ci son accueil est sincère.

Je lui serre la main tout en essayant de digérer l'information qu'il vient de me fournir. C'est le frère de Sara, mais plus important encore il n'est pas le seul. Je suppose que le jeune homme qui était là tout à l'heure compte parmi eux.

Je sens de l'angoisse monter, mon idée vient de se révéler plus que mauvaise. Je me concentre pour contenir mes émotions, il est trop tard pour faire marche arrière de toute façon donc je n'ai pas le choix, je vais devoir affronter Sara, j'espère seulement qu'elle me laissera une chance d'expliquer ma démarche.

Je force mon attention sur Howard, maintenant qu'il l'a dit je peux effectivement voir les traits de ressemblances avec Sara. Le même regard intense, le même nez, même son expression faciale.

« Il y a une photo de vous dans le salon, » il déclare non sequitur.

Une photo de moi ? Pourquoi est ce qu'une photo de moi serait là ?

« Enfin… de vous et votre équipe, » il précise.

Oh, ça explique tout.

« Howie, » la voix de Sara raisonne. « Ben a dit qu'il y avait… » Sara ne finit pas sa phrase car elle entre dans le hall, dès qu'elle pose les yeux sur moi elle se pétrifie telle une statue, la bouche entrouverte, la surprise peinte sur son visage.

Howard nous observe l'une après l'autre en silence. J'ai pour ma part une montée soudaine d'adrénaline car je panique. Je plaque ma main libre contre ma cuisse alors que je peux sentir devenir moite.

« Hey… » je murmure avec un rictus pincé.

Elle imite le poisson hors de l'eau plusieurs secondes puis Howard reprend la parole. « Scout ne reste pas plantée là, prend son sac, amène la dans une chambre, » dit il doucement.

Sara met une seconde ou deux mais éventuellement elle reprend ses esprits. « Fais en sorte qu'elle se sente ici chez elle, » ajoute Howard en posant une main sur son épaule, il attend que Sara opine puis retourne derrière le comptoir et se remet à faire ce qu'il faisait lorsque je suis arrivée.

Sara s'approche de moi avec un pas incertain afin de prendre mon sac. « Suis-moi, » sa voix est faible.

Elle ouvre la marche, derrière le hall se trouve un large escalier en bois massif dont les marches sont recouverte d'un épais tapis bleu aux bordures dorés, je suppose mène aux chambres du B&B. Sara se dirige vers une porte sur la gauche de l'escalier sur laquelle une plaque de métal indique que l'accès est interdit. Elle ouvre la porte il y a un espace puis une autre porte.

On entre dans ce qui est clairement l'espace familiale, je n'ai pas le temps d'observer quoique ce soit car Sara entame l'ascension de l'escalier. A l'étage se trouve un immense couloir où les portes se succèdent, Sara s'arrête si brusquement que je manque de lui rentrer dedans. Elle ouvre une porte sur sa gauche et se place sur les côtés, m'invitant à entrer dans la pièce en première.

La chambre est grande, il y a un lit double contre le mur qui se trouve à ma droite, une fenêtre avec un bord assez large pour s'asseoir, à l'opposé du lit il y a un espace de travail avec un secrétaire ouvert marqué par le temps et l'usage où trône une lampe, puis il y a également un fauteuil avec une large assise et dont le rembourrage a l'air plus que confortable, derrière ce fauteuil un bibliothèque imposante pleine de livres pressés les uns contre le autres, le surplus de livres est empilé par terre de chaque côté du meuble. Un point commun avec toute les fournitures, elles sont en bois massif avec des finitions raffinées et uniques.

Le bruit sourd de mon sac sur le parquet attire mon attention sur Sara. « Les toilettes sont dans le couloir, deuxième porte sur ta gauche en sortant d'ici, sinon il y en a aussi tout au fond du couloir, » sa voix est monotone, éteinte.

Elle fait le tour du lit et ouvre la porte qui se situe entre le lit et le mur de la fenêtre. « Il y a une salle de bain là, » je m'approche pour jeter un œil. « Et… » elle entre dans la salle de bain et ouvre la porte d'en face. « Ma chambre… on partage la salle de bain. »

Elle referme la porte et retourne dans 'ma' chambre. Elle ne m'a pas regardée une seule fois depuis qu'on a quitté le hall, je prends ça comme un mauvais signe.

« J'ai un truc à finir en bas, je reviens dans deux minutes » elle continue à parler au parquet.

« Sara… je ne voulais pas te mettre en colère ou te mettre dans une situation délicate… c'est juste que… je m'inquiétais pour toi depuis qu'on s'est quittée ce matin… et je ne voulais pas que tu sois seule pour affronter cette épreuve… » je grimace. « J'ai assumé que tu serais seule… j'avais juste besoin de savoir que… je voulais juste m'assurer que tu tenais le coup… »

Elle me regarde fixement sans la moindre émotion, je grogne avec frustration car je n'ai pas l'impression que je m'exprime correctement. « Je voulais être là pour toi… t'apporter du support… c'est tout… je veux juste être là pour toi. »

Elle m'observe longuement, avec un regard plein de confusion comme si je venais de lui parler dans une langue étrangère, puis elle regarde à nouveau ses pieds. « Je reviens dans deux minutes, » elle répète avant de tourner les talons et de sortir de la pièce en refermant la porte derrière elle.

Je ferme les yeux et laisse un long soupir m'échapper en passant une main dans mes cheveux.

« Et merde.»

Sara

Catherine est là.

Catherine est là, en Californie dans la résidence des Sidle. L'information a du mal à vraiment pénétrer mon cerveau.

Catherine est là.

La journée est tellement bizarre que je me demande si je ne suis pas en train d'halluciner tout ça parce que je ne peux pas trouver une seule bonne raison, une raison tout court pour qu'elle soit là et pourtant je suis quasiment sure que je suis éveillée et qu'elle est vraiment là dans la chambre à côté de la mienne.

J'arrive au salon où tout le monde se trouve. Sidney est dans un coin avec Hazy, Charlie, Russell, Howard et Rueben sont autour de la table en train de trier des papiers.

Charlie se lève dès qu'il me voit. « Est-ce qu'elle est confortablement installée ? »

J'opine « Elle est dans la chambre à côté de la mienne. »

Rueben se lève à son tour et me tend un tas de linge qu'il avait posé sur la chaise à côté de lui « Voilà des draps frais. »

« Les draps sont propres, » je réponds mécaniquement. « Russ et moi les avons changé il y a quatre jours. »

« Je sais, mais ceux là sont tout frais, ils sentent bon la lessive, » il ajoute.

« Oh… t'as raison, » je prends les draps.

« Est-ce que la chambre lui convient ? » demande Charlie. « Parce que sinon on peut la mettre dans la suite de l'autre côté même si je n'aime pas cette idée… la mettre dans l'autre partie de la maison me semble malpoli, mais si elle préfère avoir plus d'espace la suite est ce qu'il y a de mieux. »

« Je vais lui en parler… mais je crois que la chambre lui convient. »

« Et demande lui si elle a des allergies quelconques avec la nourriture, » Russell intervient.

« Elle n'aime pas l'ail… en petite doses ça passe mais elle n'aime pas trop ça. Et… pas d'olive, elle déteste ça et peut en détecter le goût même en infime quantité, pas d'huile, pas d'olive, ni même d'arôme. Sinon je ne pense pas qu'elle soit allergique à quoi que ce soit, mais je vais lui demander au cas où. »

« Ok, je commence à cuisiner le dîner dans 40 minutes donc si elle veut manger quelque chose en particulier informes moi au plus vite. »

J'acquiesce toujours un peu désorientée. Je sens de l'angoisse monter mais je ne saurais dire pourquoi, alors j'agis en autopilote et retourne dans la chambre où j'ai laissé Catherine. A mesure que j'approche j'ai l'impression que mon estomac forme un nœud de plus ne plus serré.

Une fois devant la porte fermée je comprends l'essence de mon angoisse. J'ai peur d'ouvrir la porte et de trouver la pièce vide, j'ai peur que Catherine ne soit repartie ou sur le départ.

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle vienne, je n'avais pas envie que qui que ce soit vienne, mais maintenant qu'elle est là bizarrement j'ai peur qu'elle s'en aille et je ne sais pas vraiment pourquoi.

Je prends une grande inspiration, frappe à la porte et attends une réponse en retenant mon souffle malgré moi.

Catherine

Je n'arrête pas de faire les cent pas depuis que Sara a quitté la pièce. Je suis embarrassée, je suis partie du postulat que Sara était fille unique, qu'elle serait seule dans cette épreuve, et là je débarque au milieu de sa famille qui doit me considérer comme une intruse insensible car je m'impose alors qu'ils traversent une épreuve délicate. Ils font preuve de politesse mais Sara doit me haïr de manière officielle maintenant.

J'avais de bonnes intentions, tout ce que je voulais c'est être là pour elle. Mais bon, on sait tous jusqu'où mène la route pavée de bonnes intentions.

Quelqu'un frappe à la porte et je panique un peu, j'espère que ce n'est pas un des frères de Sara, non pas qu'ils avaient l'air méchants mais je me sens assez mal comme ça sans devoir en plus leur faire face.

« Entrez, » je réponds.

La tête de Sara apparaît dans l'embrasure de la porte. Elle a un instant d'hésitation puis entre dans la chambre. Elle s'éclaircir la gorge et parle en « J'ai des draps frais, » elle annonce, ses yeux dérivent sur mon sac qui se trouve au pied du lit.

« Si la chambre ne te convient pas on a une suite… je ne te l'ai pas proposée en premier parce qu'elle est de l'autre côté et Charlie a raison ça aurait été malpoli… » elle parle sans jamais me regarder.

« Sara… »

Elle commence à défaire le lit. « …mais si tu préfères y aller, il n'y a pas de problème, c'est un peu comme un petit appartement. »

« Sara… »

« Ah mince… j'ai oublié les taies d'oreiller en bas… »

« Sara, stop ! » je parle un peu plus fermement. Elle arrête de bouger mais ne me regarde toujours pas. « Regardes moi, s'il te plait, » je demande doucement.

Il lui faut quelques instants mais elle s'exécute. J'ai du mal à déchiffrer l'expression de son visage, pour la première fois depuis que je suis arrivée j'ai la sensation qu'elle prend conscience que je suis là. « Je… » à nouveau je bute sur mes mots. J'inspire à grand coup puis réessaie. « Je voulais… non, j'avais besoin de m'assurer que tu tenais le coup et surtout que tu ne serais pas seule dans cette épreuve. J'avais besoin que tu saches que tu pouvais compter sur moi, sur mon support. Je ne voulais pas te faire de tort, à toi ou ta famille, » je lui explique à nouveau avec plus de clarté.

« Maintenant je sais que tu n'es pas seule pour traverser tout ça et ça me rassure. Tu peux quand même compter sur moi, je suis là pour toi, » je marque une pause pour qu'elle s'imprègne bien de mes mots. « Je te demande pardon pour mon intrusion, et je te remercie pour ton hospitalité. Cela étant je vois bien que ma présence te met mal à l'aise, » à ces mots elle détourne son regard du mien avec embarras « Alors je ne vais pas te déranger plus longtemps, je vais retourner à l'aéroport pour prendre le premier avion pour Vegas. »

Elle fronce légèrement les sourcils mais refuse de me regarder. Je prends ça comme mon invitation à repartir aussi je commence à m'approcher de mon sac.

« On est 7, » elle dit doucement, je la regarde avec confusion. Elle se remet en mouvement et continue à défaire les draps. « J'ai 3 grands frères, un frère jumeau, un petit frère et une petite sœur, » elle continue. « Greg est le seul à tous les connaître. Parce qu'on est venu passer des vacances ici… il voulait apprendre à surfer… bref… il est le seul de toute l'équipe à connaître tout le monde, » elle tergiverse.

Elle délaisse le lit et me regarde. « Je ne parles jamais de ma famille… » elle dit sur un ton fragile. « Ce n'est pas que j'ai honte, c'est juste que je n'en parle pas… vieille habitude je suppose… ce n'est pas comme si tu pouvais savoir… »

J'opine silencieusement à ses explications. « Je ne sais pas comment… » elle s'interrompt et se pince les lèvres. « Je ne m'attendais pas à ce que tu viennes… »

« Sara… » je m'apprête à lui présenter mes excuses à nouveau.

Elle lève une main, une supplique silencieuse pour que je la laisse finir. « …si tu veux retourner à Vegas, tu peux, » elle dit rapidement. « Mais personne ne te chasse d'ici… je ne te chasse pas… »

Est-ce que c'est sa façon polie de me demander de partir ou est ce qu'elle me demande maladroitement de rester ?

« Personne ne te chasse et ta présence ne gêne personne… tu es plus que bienvenue à rester »

Elle détourne son regard et se concentre à nouveau sur le lit afin de finir le changement des draps. « Quoiqu'il en soit tu passes la nuit ici, ce n'est pas négociable, c'est le moins que je puisse faire pour tout ce dérangement. »

Je ne sais pas vraiment quoi faire ni quoi penser mais puisque je reste pour la nuit je décide de l'aider à changer les draps.

« Russell cuisine ce soir, » elle reprend tout en s'occupant du lit. « Je lui ai dit que tu n'aimais pas trop l'ail mais qu'en petite quantité ça allait et surtout que tu détestais les olives peu importe quelle forme que ce soit. Je ne me rappelle pas que tu ais des allergies mais bon, si c'est le cas dis moi et je retransmettrais le message. »

J'ai un léger rictus, c'est étrange car malgré le fait qu'on ne soit pas proche elle semble connaître les détails les plus insignifiants à mon propos, je ne peux pas en dire autant car Sara Sidle est un livre bien difficile à déchiffrer.

Je veux rester, mais je ne veux pas m'imposer et Sara n'est pas exactement claire. Ce n'est pas tout à fait vrai, en fait c'est à moi de décider sachant que je suis moi-même perdue quant à ce qu'elle attend de moi.

Sara s'assure qu'il n'y a aucun faux pli sur le lit de manière méticuleuse puis elle en fait le tour une fois son inspection finie, elle se tourne vers moi.

« Je ne suis pas douée pour… » elle fait un geste de la main vers moi puis referme son poing en grimaçant. « Ce que je veux dire c'est que… » elle soupire avec exaspération à son manque d'éloquence. « J'apprécie énormément… ton intention, » elle admet timidement.

Elle a un moment d'hésitation avant de tendre une main incertaine dans ma direction et la pose sur mon épaule, elle serre doucement avant de laisser tomber sa main. « Je suis sincère… tu es plus que la bienvenue à rester… » l'écho de sa déclaration est un murmure.

Fragile.

Elle fait preuve d'une fragilité et d'une maladresse que je ne lui connaissais pas, j'ai tellement été habituée à la voir forte et imperturbable que je ne me suis jamais dite qu'elle aussi avait des faiblesses et que parfois comme maintenant elle était perdue.

Ce n'est que maintenant que je crois comprendre. Cette phrase qu'elle répète n'est rien d'autre qu'une invitation un peu gauche. Sara n'est pas du genre à se mettre à nue et là, elle est vulnérable malgré elle, aussi elle fait un effort pour s'ouvrir à moi même si elle ne sait pas comment s'y prendre. En tout cas c'est ce que je crois. Comme à chaque fois que je suis dans l'indécision je décide de me fier à mon instinct, et à cet instant précis mon instinct me dit de rester.

Elle détourne son regard et se retourne pour s'en aller, elle ramasse les anciens draps qu'elle avait mis à terre. « Le dîner est à 19h précises, » elle déclare avant de se diriger vers la porte.

« Sara, » je la retiens, je veux qu'elle sache que je n'irai nulle part sauf si elle me le demande. Elle me regarde avec une pointe d'appréhension. « Est-ce que je peux utiliser la commode pour ranger mes affaires ? »

Je retiens mon souffle, espérant que mon instinct était le bon. Je crois voir du soulagement passer dans ses yeux et un léger rictus tire à peine sur ses lèvres. « Bien sûr… le tiroir du bas est plein mais le reste est vide. »

« Merci. »

« A tout à l'heure, » elle ajoute avant de sortir pour la deuxième fois.

J'inspire et laisse s'échapper un soupir de soulagement, peut être que les choses se passent mieux que je ne le pensais.

Sara

Je referme la porte de la chambre de Catherine et m'accorde un instant pour soupirer de soulagement. Je pense qu'elle va rester, en tout cas pour le moment. J'ai toujours eu du mal à m'exprimer lorsque je suis 'émotionnelle' et encore plus lorsque ma famille est impliquée. Je déteste faire preuve de faiblesse, bien entendu personne n'aime ça, dans mon cas ça me ramène à des souvenirs que je préfèrerai voir rester ensevelis.

Un frisson d'effroi me parcourt l'échine. Si Catherine reste elle risque de découvrir les plus vils secrets de ma famille, mes plus vils secrets…

Merde… ce n'était pas une bonne idée de me laisser aller à mon envie. Je peux difficilement faire marche arrière maintenant et lui dire qu'il faut qu'elle retourne à Vegas au plus vite, elle va me prendre pour une lunatique.

Non peu importe, elle aura envie de partir loin d'ici et loin de moi bien assez tôt, je suis profondément touchée qu'elle soit là et je vais profiter de sa présence tant que je le peux.

Je redescends et passe le salon pour aller dans la buanderie.

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Je pose la dernière assiette sur la table et m'assure qu'il ne manque rien. Il reste 10 minutes avant 19h alors je vais en cuisine voir si tout est prêt.

Russell est toujours en train de s'activer derrière les fourneaux. « Scout, tu peux apporter les premières entrées pendant que je finis les autres » il déclare.

Je prends deux assiettes et retourne au salon, le reste de notre fratrie est arrivé mais je ne vois pas Catherine. Rueben retourne en cuisine avec moi pour m'aider. Lorsqu'on revient dans le salon tout le monde est debout derrière une chaise, attendant que nous soyons au complet avant de s'asseoir.

Catherine n'est toujours pas là, et comme il va être 19h je décide d'aller la chercher. J'arrive au pied de l'escalier lorsque je l'aperçois en haut des marches.

« Désolée, je me suis assoupie, » dit-elle.

« Pas de problème, » je souris doucement.

Elle semble un peu tendue lorsqu'elle arrive à mon niveau, j'imagine qu'elle appréhende la rencontre avec tout le monde. Je ne peux pas expliquer mon geste mais je pose ma main sur son poignet quelques secondes comme pour la rassurer. Elle regarde son poignet alors que je glisse ma main dans la sienne puis se tourne vers moi et me regarde avec une surprise évidente, mon cœur se met à tambouriner dans ma poitrine avec force sous ses yeux céruléens, j'ai presque honte d'avoir pris cette liberté. Je ne suis pas douée pour initier le contact physique en dehors d'un contexte familial, je n'y peux rien je suis gauche principalement parce que je n'ai jamais acquis les outils propre aux démonstrations d'affection.

Je voulais juste faire comprendre à Catherine qu'elle n'avait rien à craindre, que tout irait bien, pour une raison qui m'échappe j'ai opté pour ce que je pensais être un geste réconfortant, mais si son regard est une indication mon geste n'a pas eu l'effet escompter. Je lui lâche immédiatement la main en détournant le regard, je la sens sur le point de parler mais je suis sauvée par le proverbial gong alors que l'horloge du salon sonne 19h.

J'ouvre la marche et tous les regards se concentrent dans notre direction, du coin de l'œil je vois Catherine se redresser comme elle le fait souvent avant d'entrer en salle d'interrogation pour faire face à un suspect.

Je souris intérieurement, en fait je n'ai pas besoin de m'en faire pour elle, elle est Catherine Willows après tout.

Catherine

Je m'éveille au bip strident de ma montre. Après que Sara m'ait à nouveau laissée seule j'ai décidé de prendre une douche puis de me poser un peu et de me détendre, j'étais si détendue que j'ai dû m'endormir, en même temps c'était la première fois depuis ce matin que je n'étais pas en état de stress. Cette trêve est toutefois de courte durée car il est 18h50, presque l'heure fatidique pour rencontrer la fratrie de Sara, en tout cas de manière officielle.

Le stress me prend à nouveau aux tripes. Je suis sure qu'ils sont très gentils, seulement c'est… comment dire… j'ai passé six ans aux portes du monde de Sara et soudain je me retrouve en immersion totale par la force des choses, c'est beaucoup à digérer en peu de temps.

Ce n'est pas une de ces choses que je montre mais je suis de nature timide, bien entendu j'ai toujours su maintenir l'illusion de l'assurance mais dès qu'il s'agit de Sara mes défenses sont affaiblies et là je dois faire face à Sara puissance sept, tu parles d'un désavantage.

Je me lève et vais dans la salle de bain pour vérifier mon reflet une dernière fois, j'ai opté pour le look naturel, chemise bleue, jean noire les cheveux attachés de manière leste. Je m'assure d'être présentable puis vais jusqu'à la porte, je prends quelques instants pour calmer mon cœur qui bât à tout rompre.

Je sors enfin de la chambre, alors que je suis en train de descendre, Sara apparait au bas de l'escalier. « Désolée, je me suis assoupie, » je l'informe, je ne veux surtout pas faire mauvaise impression en ne respectant pas les règles de la maison, la première étant que le diner est servi à 19h.

« Pas de problème, » elle répond avec un petit sourire.

J'arrive à son niveau et même si je peux deviner facilement où se situe le salon je m'arrête plus parce que la panique me prend qu'autre choses. Je sens soudain quelque chose sur mon poignet, je regarde ce qu'il se passe et voit la main de Sara posée sur moi, ma peau semble prendre feu tellement le contact est brûlant, je me tourne vers Sara et elle à un sourire gêné avant de détourner le regard et de retirer sa main.

Je comprends qu'elle voulait avoir un geste rassurant, je suis d'autant plus touchée car Sara n'est pas le genre tactile et pour qu'elle initie un quelconque contact physique il faut généralement attendre le 32 du mois quand c'est soir de pleine lune et que les cochons volants soient de sortie.

Je m'apprête à lui dire merci quand l'horloge sonne 19h, Sara ouvre la marche vers le salon comme si elle me fuyait, je secoue légèrement la tête et la suis.

Six personnes sont debout derrière des chaises autour d'une grande table rectangulaire, je me grandis par réflexe comme lorsque je me prépare à faire face à un suspect, une seconde plus tard je suis le centre de toute l'attention.

« Je vous présente Catherine Willows, une amie de Vegas, » cette introduction me déstabilise un peu, je tourne la tête si rapidement en direction de Sara que je manque de me faire un torticolis.

Elle m'a présentée comme son amie, c'est une première. Je me sens fière et heureuse et touchée et émerveillée et incrédule et… bref je ne m'attendais pas à un tel plein d'émotions positives.

« Elle fait aussi partie de mon équipe au boulot, » Sara ajoute. « Cath, je te présente Charlie, » elle me montre celui qui semble être le plus âgé de leur fratrie, il est en bout de table signe de sa position de chef de rang. Il a les cheveux bruns, des yeux d'un marron riche et clair, un visage très carré, les épaules larges, mais malgré sa carrure il y a une bienveillance qui émane de lui.

« Russell, » il se trouve à la droite de Charlie, ses cheveux tirent sur le blond et ses yeux ont une teinte dorés, il est moins imposant que Charlie mais on devine facilement un physique athlétique.

« Howard, » Sara continue. « Sidney, » la ressemblance avec Sara est frappante, pas de doute il s'agit de son jumeau. « Rueben, » je reconnais le jeune homme que j'ai aperçu en arrivant, blond vénitien aux yeux marron-verts, il a les traits d'un enfant mais il a une lueur au fond des yeux qui indiquent qu'il est émotionnellement plus âgé.

« Et Hazel, » la sœur de Sara a des cheveux légèrement roux, des yeux d'un vert clair perçant avec un soupçon de dorée, l'opposé de Sara.

« Je suis enchantée de faire votre connaissance, » dis-je en souriant.

« Le plaisir est réciproque, » répond Charlie pour tout le monde. « Je vous souhaite officiellement la bienvenue chez les Sidle. C'est un plaisir de vous avoir, j'ose espérer que vous pourrez vous sentir ici comme chez vous. Si vous avez besoin de quoi que ce soit n'hésitez pas à solliciter l'un d'entre nous. »

« Je vous remercie de votre hospitalité, la chambre est parfaite et votre maison magnifique, » je déclare avec sincérité. Je m'éclaircis la gorge et ajoute. « Je tiens à vous présenter toutes mes condoléances pour votre mère, j'imagine à peine à quel point tout ce doit être difficile, je sais qu'on se connaît à peine mais si je peux faire quoi que ce soit pour vous aider dans cette épreuve, vous pouvez compter sur moi. »

« Merci, » à nouveau Charlie parle pour tout le monde. « Bien, il est temps de passer à table. »

Le couvert a été arrangé de sorte que Russell soit en face de Charlie à l'autre bout de table, tandis que Hazel, Rueben et Howard soient d'un côté, face à Sidney, Sara et moi. Avant que je ne touche ma chaise Sidney s'en saisit et la tire pour moi, je remarque qu'il ne s'agit pas d'un traitement de faveur car Rueben et Russell en font de même pour Sara et Hazel.

« Merci, » dis-je poliment avant de m'asseoir.

Ce n'est qu'une fois que Sara, Hazel et moi sommes installées que les frères de Sara s'asseyent. « Bon appétit, » déclare Charlie.

Tout le monde commence à manger en silence, puis après cinq minutes Charlie reprend la parole. « Sara nous a beaucoup parlez de vous, » je m'immobilise une seconde à ses mots « Les éloges ne tarissent pas, investigatrice extraordinaire, talentueuse avec un instinct très aiguisé, beaucoup d'intégrité, de pugnacité, très vive d'esprit, j'en oublie non ? » il demande en regardant les autres.

« Très humaine, intelligente et drôle, » complète Howard naturellement.

« Ah oui, humaine, intelligente et drôle, » reprend Charlie. « Vous êtes une source d'inspiration et de motivation pour elle, ce qui est une bonne chose car Sara a constamment besoin d'être mise à l'épreuve pour progresser. »

Je suppose que je rougis car mes joues sont en feu, je jette un œil à Sara et elle semble passionnée par son assiette. Je ne cesse d'être surprise par elle, je n'ai jamais su qu'elle avait une si haute opinion de moi.

« C'est drôle parce que depuis que Sara est arrivée à Vegas j'ai dû redoubler d'efforts pour justement m'assurer qu'elle ne me laisse pas sur le carreau. Je marche beaucoup à l'instinct et tire la plupart de mes enseignements de mon expérience sur le terrain. Sara me surpasse de loin pour ce qui est des connaissances scientifiques, elle a un esprit analytique inestimable, et fait preuve d'une dévotion que je ne suis pas sure d'égaler. Pour être honnête, elle fait partie des meilleurs éléments du labo, et je pense que c'est elle qui me challenge en permanence pour que je sois au maximum de mon potentiel. »

« Vous vous poussez mutuellement à toujours faire mieux, » Charlie conclut.

« Exactement, et puis on forme une excellente équipe. »

« Et comment, on est le duo infernal, » Sara plaisante, je ris à la mention de ce surnom qui nous a été donné.

« Tout à fait, nous avons toutes les deux un caractère bien trempé et même si cela fait souvent des étincelles, on se complète parfaitement dans notre travail, » je termine en regardant Sara.

« Oui, » elle confirme, ses yeux plongés dans les miens.

« C'est bon à savoir, notre chère tête de mule a toujours eu du mal à trouver sa place au sein d'une équipe, » ajoute Russell en faisant un clin d'œil à Sara.

« Arrêtez, vous l'embarrassez, » intervient Rueben en souriant à Sara. Elle le remercie du bout des lèvres tandis que les plus grands rient gentiment.

« Bon, parlez nous un peu de vous Catherine, » Charlie reprend le fil de la conversation.

« Nous pouvons nous tutoyer, si ça ne vous dérange pas, toute cette formalité me met un peu mal à l'aise pour être honnête. »

« Excuses nous. Parles-nous de toi, » il se corrige.

Je leur parle de ma position au labo, de Lindsey et des grandes lignes de ma famille – deux frères, une sœur et une ribambelle de neveux.

« Et avant d'être CSI ? » Howard m'interroge.

« Howie, » dit Sara sur un ton légèrement réprobateur. « Désolée, je ne m'attendais pas à ce que tu affrontes l'inquisition. »

« Personne ne s'attend à l'Inquisition Espagnole ! » je réponds d'une voix nasillarde et suis encore plus surprise de découvrir que Sidney a eu la même référence au même moment. Il y a une stupeur générale puis un éclat de rire.

« Les grands esprits se rencontrent, » constate Rueben.

Je me tourne vers Sara et pose une main sur la sienne deux secondes. « Ne t'en fais pas, il n'y a pas de mal, » je la rassure, touchée qu'elle se soit inquiétée de mon éventuel inconfort.

J'ai pris le parti de ne jamais avoir honte de mon passé, il n'est pas glorieux mais l'expérience que j'en ai tirée me sert encore aujourd'hui, mon instinct, ma capacité à lire les gens me vient de là. Mon passé pourrait être une faiblesse mais je l'ai toujours utilisé comme une force.

Je fais à nouveau face à Howard. « Pour répondre à ta question, avant d'être CSI, j'étais danseuse exotique, » je déclare sans gêne.

« Et comment tu en es venue à travailler pour la police scientifique, je veux dire, est ce que c'était par vocation ou par hasard ? »

« Il y avait un détective qui venait régulièrement au club où je travaillais à l'époque, il parlait souvent de ses affaires et j'aimais donner mes théories sur la question qui souvent s'avéraient justes. Un jour il a amené un de ses amis, Gilbert Grissom, qui faisait partie de la police scientifique. »

« Votre supérieur, » dit Russell.

« Catherine est au même niveau que lui, » Sara précise.

« Mais c'est exact que Grissom est notre supérieur, » je reprends. « Il m'a écouté faire des observations, il énonçait des situations et me demandait mon avis. Je pense qu'il m'a évalué ce soir là. Il a voulu me rencontrer à nouveau une semaine plus tard. Il m'a encore posé toutes sortes de questions puis il a dit qu'il avait un job pour moi si j'étais intéressée, » j'ai peur de trop parler, c'est mon grand défaut lorsque je suis nerveuse j'ai tendance à monologuer.

Cependant en jetant un regard à Howard je vois qu'il est pendu à mes lèvres pour écouter la suite de mon histoire. « J'ai crû qu'il plaisantait mais ce n'était pas le cas, deux semaines plus tard je suivais une formation. Grissom s'est improvisé mon tuteur, et fidèle à sa parole il m'a offert un job dès que j'ai été diplômée, après quoi il s'est battu sang et eau pour que je me fasse une place et un nom, aujourd'hui je suis superviseur secondaire et je fais un job de rêve. »

« Ce Grissom est un sacré personnage, » remarque Howard.

« On peut le dire, il peut être lunaire parfois mais il est d'une loyauté infaillible, c'est un ami précieux. »

« Et qu'est ce que tu aimes dans ce job ? » demande Charlie. « On sait que pour Scout son grand plaisir c'est de pouvoir jouer avec des bijoux technologiques et démonter des voitures à longueur de journée, mais pour toi qu'est ce qui te plait ? »

Je me tourne vers Sara à la mention de son surnom mais ne relève pas et réponds à Charlie. « J'adore les puzzles, et chaque affaire est un immense puzzle. »

« C'est un bon point, » Howard opine.

Je remarque que le regard de Charlie est posé avec insistance sur Hazel qui n'a pas décoché un mot jusqu'ici.

« Hazy, » il l'appelle doucement, elle est en train de pousser la nourriture dans son assiette, après quelques secondes elle regarde Charlie.

« Je ne peux pas, » dit elle en fixant Charlie. « Est-ce que je peux quitter la table ? »

Charlie lance un coup d'œil rapide à Russell puis accepte la requête qui lui est faite. Hazel me regarde pour la première fois. « J'ai été ravie de faire ta connaissance Catherine. Excuses moi car je crains ne pas être de bonne compagnie ce soir, aussi je vais me retirer dans ma chambre pour la soirée. »

« Bien sûr, il n'y a pas de problème, » j'accepte ses excuses.

Elle fait l'effort d'un rictus avant de poser sa serviette sur la table, je suis surprise lorsque tous les garçons se lèvent quand elle quitte la table. Je me demande brièvement si le sang de Sara est bleu ou s'ils ont simplement reçu une éducation sévère et quasi militaire.

Charlie reprend le fil de la conversation et le dîner continu. Je suis au centre de l'attention, mais décide d'entamer un tour de table, la conversation est légère sans jamais s'aventurer sur un terrain intimiste, tout reste très formel, j'apprends juste ce qu'ils font, leur parcours, en fait je leur retourne les questions qu'ils m'ont posées.

Il y a un instant de silence entre la fin de phrase de Rueben et ma prochaine question à l'attention d'Howard. Je suis coupée dans mon élan par Charlie. Il regarde sa montre « Sid, » dit il.

Sidney opine et met sa serviette sur la table. « Excusez moi quelques instants, » déclare-t-il avant de quitter la table à son tour.

« Quelle était ta question ? » Howard reprend.

La conversation reprend, Sidney revient juste à temps pour le dessert. Une fois tout fini je me propose pour aider mais tout le monde insiste sur le fait que je suis une invitée et de fait la seule chose que j'ai à faire est de me détendre. Je capitule ne voulant pas causer d'effusion, mais j'ai l'intention d'être là pour quelques jours et il est hors de question que je me contente de mettre les pieds sous la table.

Je suis beaucoup plus détendue lorsque Sara me propose de me faire découvrir la maison plus amplement, le dîner s'est bien passé et tout le monde a tout fait pour que je sois à mon aise. J'ai conscience de percer petit à petit un trou dans la grande muraille Sidle, et je suis plus qu'honorer d'avoir le vote de confiance de Sara alors à cet instant je peux dire que je suis comblée car j'ai fait plus de chemin en une journée que pendant les sept dernières années.

Il faut savoir apprécier les petites choses lorsqu'elles sont positives.

Sara

« Ici c'est la bibliothèque, » j'annonce en ouvrant la porte devant moi.

Catherine entre dans la pièce et laisse s'échapper un soupire d'émerveillement. « Waouh… »

La pièce est grande, avec d'imposants meubles contre chaque mur avec des livres du sol au plafond, au milieu quatre fauteuils en cuirs et un canapé, deux immenses fenêtres donnent vue sur le jardin, comme pour la plupart des fenêtres de la maison les rebords sont larges permettant ainsi une assise confortable, le sol est couvert d'une moquette épaisse qui était beige à l'origine mais que nous avons peinte il y a quelques années.

Après un moment d'observation de la pièce elle se tourne vers moi et m'observe longuement. « Tu les as tous lu n'est ce pas ? »

J'ai un sourire en coin à sa question. « Presque, je n'ai pas lu ceux là, » je montre les livres au sol ce qui la fait rire doucement. « En fait, je crois qu'Hazy est la seule d'entre nous à avoir tout lu sans exception, au moins deux fois qui plus est. »

La lecture a toujours été une bonne échappatoire, plus jeune il fallait trouver des moyens de se faire oublier la bibliothèque était l'une des meilleures planques.

Je continue la visite et l'emmène dans une autre salle, on traverse le salon et je fais glisser la double porte sur ses rails, révélant ainsi une extension du salon ou se trouve une large table de billard, un piano quart de queue, un comptoir et plusieurs fauteuils, derrière le billard il y a deux armoires avec des portes vitrées, l'une contient les queues de la famille qui ont toutes été personnalisées et faites sur mesure, dans l'autre se trouvent celles qui sont en plus pour les invités.

Si Catherine était impressionnée par la bibliothèque, cette partie du salon l'abasourdie un peu plus. Elle me regarde et tente de parler mais ne trouve pas les mots, elle se contente d'approcher la table de billard et la touche délicatement.

« Elle est magnifique, » elle caresse la feutrine bleue qui contraste avec la couleur sombre du bois verni.

« Tu aimes le billard ? » je demande doucement.

« J'adore, je n'y ai pas jouer depuis longtemps mais je suis une grande fan, » dit elle avec un sourire rêveur. « Une des habitudes que j'ai gardé de mon ancien job, » elle confesse. « Parfois après un service quand les clients étaient tous partis mes amis et moi faisions quelques parties pour se détendre, » elle continue en admirant la façon dont le bois est sculpté. « Elle est vraiment magnifique, où est ce que vous l'avez eu ? »

« Rueben et Howie l'ont faite, » je réponds. Elle me regarde avec de grands yeux pleins d'incrédulité. « Je suis sérieuse. »

Je lui fais un signe de tête pour qu'elle me suive, trois couloirs et deux portes plus loin je la fais entrer dans notre atelier. Malgré le fait qu'il soit utilisé régulièrement il est impeccable, seul le meuble à moitié commencer vient perturber l'ordre maladif du lieu.

Catherine entre et absorbe autant de détails que possible. « Mon arrière, arrière, arrière grand-père paternel était charpentier, menuisier et ébéniste, il a d'ailleurs construit la première partie de la maison celle qui sert d'auberge. Chaque génération a construit des pièces supplémentaires, amélioré les anciennes, mon grand-père a construit cet atelier, mon père et ses oncles ont construit la bibliothèque et l'extension du salon et la plupart des meubles de la maison. Pour notre part on a construit les autres ou restauré ceux qui étaient déjà là. Les Sidle sont issus d'une longue lignée d'artisans du bois, un savoir qu'on se devait d'avoir également.»

« Tu fait des meubles toi aussi? »

« Ça m'est arrivé, le dernier en date est ma table basse dans mon appart à Vegas et c'était il y a trois ans déjà. C'est assez relaxant de construire quelque chose.»

« Pourquoi t'être arrêté ? » elle se laisse porter par sa curiosité.

« Le manque de temps et d'inspiration je crois. Bien sûr il m'arrive de réparer des choses mais rarement de conceptualiser et donner vie a une idée… comme pour la table de billard par exemple…une fois au-delà du savoir-faire ça devient un art, et comme pour tout art il faut de la passion et de l'inspiration. »

Elle opine doucement à ma réponse et me scrute longuement. « T'es pleines de surprises. »

« C'est facile vu que je parle rarement de moi, » je déclare en toute logique. « Je n'ai aucun doute sur le fait que tu sois pleines de surprises pour moi, » j'ajoute ce qui la fait sourire.

Catherine

Je suis sans voix, la maison de Sara est une vraie merveille. On est de retour dans le salon après avoir visiter leur atelier de menuiserie. « Tu veux faire une partie de billard ? » elle me demande soudain.

Je n'ai pas envie de finir la soirée et je suis sur le point d'accepter quand mon corps trahit ma fatigue par un bâillement. La fatigue accumulée par tous les évènements de la journée s'abat sur moi comme un poids, je me suis un peu assoupie avant le diner mais là mon corps réclame du vrai repos.

« Ou peut être qu'on devrait aller se reposer, » elle propose finalement.

« Excuses moi, » je rougis avec gêne.

« Pas de problème, et puis la table ne va pas s'envoler. »

Avant que je ne puisse répondre quoique ce soit Howard entre dans la pièce. « Désolé de vous déranger, » dit-il. « Je voulais juste savoir si tu désirais un peu de thé ? » il s'adresse directement à moi.

« Non merci, en tout cas pas ce soir. »

« Scout ? »

« Non, ça ira pour moi aussi. »

« Très bien, si vous allez vous coucher je vous souhaite une bonne nuit, » il nous fait un clin d'œil et se dirige vers la cuisine.

Sara nous reconduit au premier étage. Cette fois elle attend que j'ouvre la porte de ma chambre que je l'invite à l'intérieur.

« Tu es libre d'aller et venir à ta guise jour et nuit, peu importe l'heure. Si tu as besoin de quoi que ce soit et que tu ne trouves pas n'hésites pas à le demander, tu es ici chez toi. »

J'acquiesce silencieusement. « Bonne nuit, » dit elle doucement.

« Sara, » je la retiens avant qu'elle ne parte. « Scout ? » je répète le surnom qu'utilisent ses frères, je n'ajoute rien mais elle comprend mas question.

Un tendre rictus se dessine sur ses lèvres « Scout Finch, » elle élabore, j'écarquille les yeux surprise par la référence, elle interprète (à tort) mon silence comme de la confusion « C'est un des personnages d'un des livres préférés de ma mère… »

« 'Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur' d'Harper Lee, » je la devance avec un sourire. C'est un de mes livres préférés aussi, c'est fou, qui eut crû qu'on aurait ça en commun.

Elle semble agréablement surprise « Oui, » elle acquiesce.

« C'est un excellent livre, » j'ajoute.

« Oui, » elle répète avec un timide sourire.

J'opine en m'avançant vers elle, elle me regarde avec appréhension et ne bouge pas lorsque je me penche pour lui embrasser la joue, elle est surprise par mon geste mais ne dit rien. « Bonne nuit » je déclare simplement avant qu'elle ne se retire.

En m'asseyant sur mon lit je laisse un soupir de soulagement s'échapper. Cette journée est enfin terminée.

Sara

Je me redresse sur mon lit abandonnant l'idée de trouver le sommeil. Mon cerveau refuse de se mettre en pause, beaucoup trop de choses sont en train de me faire sombrer doucement dans la folie.

Je soupire et me lève, je jette un coup d'œil mon radio réveil qui indique qu'il va être 3h du matin, je ne m'encombre pas avec des chaussons et sors de ma chambre. Le bruit de mes pas est étouffé la moquette épaisse qui recouvre le parquet à l'étage et dans les escaliers. Arrivée en bas je ne suis pas surprise de voir de la lumière filtrée de la double porte coulissante entrouverte de la salle de détente.

Je pousse un des battants de la porte et découvre Howard, Charlie et Rueben autour du billard une queue à la main, observant silencieusement la position des différentes boules sur la table Sidney est assis dans un des fauteuils Hazy est assise sur ses genoux comme une enfant, la tête posée sur son épaule, elle semble somnoler dans ses bras. J'entre sans un mot et me contente d'aller à un des meubles vitrés pour prendre ma queue de billard.

Charlie joue et ne rentre rien, Rueben se contente de poser une main sur mon épaule pour m'inviter à prendre mon tour. Seul le bruit des boules qui s'entrechoquent en roulant sur la feutrine vient rompre le silence. Nous n'avons pas besoin de parler pour savoir pourquoi aucun d'entre nous n'arrive à dormir.

Après la métamorphose de mon père, nos nuits étaient passées la peur au ventre, guettant le moindre son indiquant qu'il était toujours debout et rodait dans les couloirs avec ce besoin de trouver un exutoire quelconque. Aujourd'hui encore même dans un bon jour les nuits sont rudes, c'est d'ailleurs pour cela que la plupart d'entre nous travaillent de nuit.

Dernièrement nos nuits étaient passées au chevet de notre mère, on parlait pendant des heures possédés par ce désir insatiable de rattraper le temps perdu, mais habités par cette peur viscérale qu'elle disparaitrait au petit matin, qu'on s'apercevrait qu'en fait elle était toujours en prison et que nous avions rêvé en commun ces moments inestimables.

Aujourd'hui, notre seul réconfort se trouve dans la certitude que les autres sont là. Et même si nous ne disons rien nous savons pertinemment que les nuits à venir seront les plus difficiles et qu'il nous faudra à tous beaucoup de temps avant de trouver une paix intérieure suffisante pour vraiment profiter d'un peu de sommeil.

A peine cinq minutes après mon arrivée, Russell nous rejoint, un livre à la main, il va s'asseoir près du fauteuil où se trouvent Sidney et Hazy, et se met à lire.

Il est six heures et les premières lueurs du jour envahissent la maison lorsque nous quittons la salle de détente, aucun d'entre nous ne va se coucher, en ce qui nous concerne la journée débute déjà. Pour ma part je prends une douche avant d'aller travailler dans le jardin espérant qu'un exercice physique intense me permettra de me débarrasser de toute cette tension que je supporte depuis 24h.

Catherine

Je me réveille après avoir dormi paisiblement, ma montre indique sept heures, je prends quelques minutes pour sortir de ma torpeur avant d'attraper mon portable. J'appuie sur une touche et le numéro se compose automatiquement. Après deux sonnerie Nancy décroche, je parle avec elle pour lui expliquer comment tout se passe de mon côté puis elle me passe Lindsey.

Je me lève et prend une douche avant de sortir de ma chambre. Quand j'arrive au rez-de-chaussée je ne trouve personne, après une légère hésitation je m'aventure dans la cuisine me rappelant qu'on m'a demandé de faire comme chez moi.

Sidney est assis sur le comptoir près de la porte fenêtre de la cuisine, un livre à la main.

« Bonjour, » je sursaute, surprise car je n'ai fait aucun bruit pas plus qu'il n'a donné signe de m'avoir remarquée. Il lève le nez de son livre et me sourit.

« Bonjour, » je lui fais écho.

« Bien dormi ? » Il pose son livre à côté de lui et descend du comptoir alors que j'opine pour répondre à sa question. « Qu'est-ce que tu veux petit déjeuner ? Sucré, Salé ? »

« Salé, » je réponds. « J'espère que tu n'es pas resté ici seulement pour moi. »

« Non, je me suis porté volontaire pour faire le petit déjeuner de tout le monde. »

« Ah. »

« Un œuf, du bacon et un toast, ça te va ? »

« C'est parfait. »

Un silence inconfortable – pour moi en tout cas – s'installe. Sidney met la poêle à chauffer et m'observe silencieusement. Ce n'est qu'une fois qu'il a posé une assiette pleine devant moi qu'il reprend la parole.

« Tu peux te détendre tu sais, quand on a dit que tu étais ici chez toi ce n'était pas une formule de politesse, c'était sincère, » déclare-t-il. « Si tu n'étais pas la bienvenue tu ne serais pas là, et crois moi tu l'aurais su dans les cinq minutes de ton arrivée, alors détend toi, » il ajoute sur un ton rassurant.

Il est bon observateur car il a vu juste, malgré leur accueil chaleureux, je me sens toujours un peu comme une intruse mais ses mots viennent de me rassurer.

« Je suis la première debout ? » je demande en entamant mon œuf brouillé.

« Non, tout le monde est éveillé. »

« La maison est si calme, on la croirait déserte. »

« On est tous passer maitres dans l'art de se fondre dans le décor, » il dit de manière cryptique.

Sa ressemblance avec Sara est vraiment troublante, je sais bien que c'est logique puisqu'ils sont jumeaux mais ça ne rend pas la chose moins étrange. D'un autre côté il ne dégage pas la même chose que Sara, elle est plutôt volcan en sommeil et tourmentée, alors qu'il dégage un calme olympien et une sérénité qui semble inébranlable. Bien sûr, mes rapports avec Sidney n'ont jamais été mauvais tandis que j'ai commencé sur un mauvais pied avec Sara.

« Votre maison est vraiment magnifique… une maison de rêve, » je déclare.

« Sûrement, » il hausse les épaules en regardant autour de lui.

Je fronce les sourcils. « Tu ne l'aimes pas ? »

Il me scrute du regard avant de répondre. « Je suppose que c'est différent pour moi, puisque j'y ai grandi… je sais exactement ce que les murs diraient s'ils pouvaient parler, il n'y a plus vraiment de mystère ni de magie. »

Sa réponse m'intrigue et me met mal à l'aise en même temps. « Ce qui est drôle c'est que cette maison a grandi en même temps que nous pour ainsi dire… et aujourd'hui encore elle vieillit avec nous. »

Je suppose qu'il parle du fait qu'apparemment chaque membre de leur famille ajoute ou remodèle une pièce au fur et à mesure.

« Comment c'était là où t'as grandi ? » il m'interroge.

Je lui parle de ma maison au Montana, beaucoup, beaucoup moins grande que la leur mais tout aussi chaleureuse, avec un peu de terrain et trois chevaux.

« … une maison pleine de bons et mauvais souvenirs, » je conclus en finissant mon petit déjeuner.

« Je crois que c'est le propre de toutes les maisons. »

« Oui, » j'acquiesce.

Je me lève et commence à débarrasser la table. « Laisses, je m'en occupe, » dit-il.

« Je peux le faire, » je proteste.

« Je sais, mais je suis assigné au petit déjeuner, le nettoyage en fait partie, » il précise. « Sara est dans le jardin, » il clôt le sujet. « Tu peux lui apporter ça, s'il te plait ? » il me tend une petite assiette où se trouve un toast recouvert de confiture ainsi qu'une tasse de lait. « Assures toi qu'elle mange au moins la moitié, » il me fait un clin d'œil.

Je passe par la porte fenêtre qui est entrouverte et m'aventure dans leur 'jardin', il y a assez d'espace pour y mettre au moins deux maisons, l'espace alterne entre lits de fleurs, pelouse et arbres vers le fond il y a un magnifique belvédère en bois qui abrite des bancs il y a une barrière de bois qui semble délimiter la propriété, le son de coups répétés attire mon attention.

Je m'oriente dans le jardin et aperçois Sara au loin en train de s'acharner sur la barrière avec une hache. A mesure que j'approche je remarque qu'elle est trempée de sueur, signe qu'elle s'active depuis au moins une heure.

J'ai un instant d'égarement car son t-shirt lui colle à la peau, un frisson me parcourt à la vision de ses muscles qui se contractent alors que des souvenirs de nos étreintes, de mes mains caressant son corps me submergent.

« Bien dormi ? » elle demande sans avoir jeter un seul coup d'œil dans ma direction, sa voix tendue me fait sursauter tant et si bien que je manque de faire tomber l'assiette et a tasse que j'ai dans les mains.

Il me faut quelques secondes pour me reprendre et retrouver un rythme cardiaque normal.

Sara

Ça fait presque deux heures que je détruis la barrière qui délimite notre propriété et je sens toujours la colère faire rage en moi. Je sens une présence derrière moi, mais je sais immédiatement qu'il ne s'agit pas de mes frangins, on a beau être très différents une chose qu'on a en commun est le fait qu'on déteste être observé.

« Bien dormi ? » je demande la mâchoire serrée avant d'asséner un coup sur la barrière. Je me tourne et fais face à Catherine, je suis surprise car ma colère semble s'évaporer à sa vision.

Je me radoucis immédiatement, c'est étrange car jamais auparavant la présence de Catherine n'avait eu d'effet lénitif sur moi.

« Sidney a dit que tu devais manger quelque chose, » elle me montre une assiette avec un toast.

« Je n'ai pas faim… »

« Ce n'est pas une option, » elle dit fermement.

Je plisse les yeux et défi son autorité silencieusement mais de toute évidence elle ne cèdera pas et je n'ai pas envie de me battre alors je pose la hache et prends une moitié de toast, elle me tend une tasse sans rien ajouter. Elle reste à mes côté jusqu'à ce que je finisse l'autre moitié de toast.

Il y a de un petit banc de pierre à côté de moi sur lequel elle s'assoit. Elle observe les bouts de bois éclatés autour de moi, elle fronce les sourcils lorsqu'elle ne constate que la barrière est en bonne état et qu'a priori rien ne justifie mon acte.

« J'ai dormi comme un bébé, » dit-elle plutôt que de parler de la barrière ce dont je lui suis reconnaissante.

« Je suis contente de l'entendre. »

Je m'acharne contre la barrière mais rien n'y fait je n'arriverai pas me débarrasser de ma colère aujourd'hui. Je me tourne vers Catherine et soupire. « Les prochains jours ne vont pas être très excitants, il y a beaucoup de détails à régler… »

« Je sais ne t'en fais pas pour moi. »

J'acquiesce silencieusement, je commence à rassembler les morceaux de bois dans une brouette afin de les brûler plus tard. Elle m'aide, avant de repartir pour la maison elle pose une main sur mon épaule. « J'ai une bonne écoute si jamais l'envie de parler te prend. »

Sur ce elle retourne vers la maison, je ne sais vraiment pas ce qui se passe chez moi, mais elle a un effet calmant sur ma personne, il faut dire que je ne suis pas habituée à avoir des rapports pacifiques avec elle, en tout cas pas pour une longue période.

« Merci pour le toast et le lait, » je crie avant qu'elle ne disparaisse de mon champ de vision, elle lève la main pour me signifier qu'elle m'a entendu.

Trente minutes plus tard, je suis à nouveau douchée et prête à affronter la journée. Tout le monde est dans le salon en train de définir les tâches à accomplir.

« Scout, Willis a appelé le reste des affaires de Maman est prêt, » Howard m'annonce. « Charlie demande si tu pouvais… » il s'interrompt et jette un œil vers Catherine. « Mais je peux demander à Sid, » il offre.

« Non, c'est bon, j'y vais. »

« T'es sure ? » il insiste.

Je regarde Catherine à mon tour avant de répondre. « Oui, ne t'en fais pas. »

Catherine saura la vérité bien assez tôt, et puis je n'ai pas honte de l'histoire de ma famille, je n'en suis pas fière, mais je n'ai pas honte ça fait longtemps que j'ai appris à accepter mon passé et mes origines.

« Ok, je ne sais pas si on aura finit avant l'heure de déjeuner, si vous êtes à la maison c'est Rueben qui est en cuisine ce midi, soyez prudents. »

Catherine

Sara n'a rien dit sur notre destination quoiqu'il en soit ça ne peut pas être plaisant car elle a une expression grave sur le visage. Ça fait une heure qu'on roule et elle n'a pas décoché un mot, on s'est éloigné de la ville. Il nous faut encore une heure avant qu'on arrive à destination. A ma grande surprise on est garée devant un centre pénitencier.

« Tu peux rester dans la voiture si tu veux, » elle déclare sans préambule en évitant mon regard. Elle ne me laisse pas le temps de répondre et descend du véhicule.

Je suis partagée entre ma curiosité et une certaine appréhension. J'ignore ce qu'on fait ici et je ne sais pas vraiment si j'ai envie de le savoir. Une fois encore je me rappelle que je suis ici pour Sara et peu importe ce que je ressens il est hors de question que je fasse preuve de faiblesse. Je sors de la voiture à mon tour et rejoins Sara rapidement.

On passe les différents points de contrôle, Sara semble à l'aise dans les couloirs comme si elle était venue ici plusieurs fois. Un garde qui la reconnaît nous conduit jusqu'à un bureau. C'est un homme qui nous reçoit, il doit avoir la quarantaine passée, il a un visage capable d'inspirer une autorité infaillible, pourtant lorsque son regard se pose sur Sara son visage se transforme et montre une douceur insoupçonnée.

Il se présente comme étant Malcolm Willis, le Directeur de la prison, j'en étais venue à la conclusion que la mère de Sara travaillait ici, mais en fait au cours de cet entretien, je comprends qu'elle était pensionnaire de ces lieux pendant un peu plus de vingt ans. Je me force à maintenir une expression neutre mais ma surprise est immense et cette nouvelle apporte son lot de questions, notamment quel évènement a conduit à l'emprisonnement de la mère de Sara.

Plus de vingt ans, cette indication seule suffit à me faire savoir qu'il s'agit d'un crime. Je ne laisse pas mon imagination vagabonder cela dit, Sara m'a faite assez confiance pour que je sois là sachant qu'elle a eu plusieurs opportunités de garder cette information secrète, mais je suis là et je ne vais pas cracher sur sa confiance, si elle veut que j'en sache plus elle comblera les blancs elle même.

Willis ne tarit pas d'éloges sur la mère de Sara, apparemment il est devenu Directeur lorsqu'elle est arrivé ici, et au fil de ces vingt ans ils ont eu des rapports quasi amicaux malgré les circonstances. Après presque trente minutes nous ressortons du bureau avec deux grandes caisses en plastique, vingt ans d'une vie emprisonnée.

Sara a demandé de voir une détenue comme une faveur à Willis qui a accepté sans hésitation. On nous emmène dans une autre pièce, ayant déjà été dans une prison pour le boulot je sais que c'est le genre d'endroit qu'on réserve pour les rencontres avec son avocat.

Je reste en retrait et observe Sara lorsqu'elle rencontre une certaine Amelia Watson, je dirais qu'elle a la trentaine et des traits durcis par la vie en prison. Je comprends qu'elle était la compagne de cellules de la mère de Sara pendant les huit dernières années, mais il y a plus que ça. L'expression d'Amelia me porte à croire qu'elle partageait une amitié particulière avec la mère de Sara.

Sara lui offre une photo récente de sa mère ainsi qu'une lettre, elle lui dit aussi qu'elle et le reste de sa famille seront ravis de pouvoir l'aider lorsqu'elle sortira dans neuf mois – apparemment elle a profité de plusieurs permissions de sortie qu'elle a passé auprès de la mère de Sara et la possibilité de se remettre sur pied au sein de la famille Sidle avait été émise par la matriarche Amelia refuse plutôt parce qu'elle pense que Sara fait ça par pitié ou par une sorte d'obligation, mais Sara la rassure sur le fait qu'il n'en est rien et lui laisse une option pour sa sortie future, libre à Amelia d'en faire ce qu'elle veut.

Le retour à la voiture se fait en silence, Sara s'attend peut être à ce que je pose des questions, j'en ai envie mais je sais que ce n'est pas ce dont elle a besoin pour le moment alors j'opte pour un sujet aux antipodes de celui qui apparait comme le plus évident.

« Alors comme ça Greg est venu ici pour surfer ? »

Sara est tellement prise de court qu'il lui faut quelques secondes pour s'ajuster. Elle se tourne vers moi et me regarde l'air hagard puis me fait grâce d'un sourire absent. « Oui, » elle démarre la voiture « Il n'est pas très doué… son truc c'est le snowboard… mais il s'améliore à chaque fois, » elle ajoute doucement et prend la route.

Sara

Je suis surprise de la rapidité avec laquelle Catherine a trouvé sa place au sein de ma famille. Elle est tellement discrète, douce et avenante, ça change de ce à quoi je me suis habituée pendant toutes ces années. En fait c'est comme si elle savait exactement ce dont moi ou mes frères et sœur avaient besoin étant donné un moment précis.

Elle a réussi à faire céder Charlie pour participer aux tâches ménagères et prendre son tour en cuisine, elle est à l'aise avec tout le monde. A son arrivée et le lendemain elle marchait sur des œufs, mais de toute évidence elle a eu un déclic et maintenant elle est détendue, et elle n'est pas seulement là pour moi elle essaie d'être là pour tout le monde sans s'imposer pour autant.

On a été à la prison où ma mère a passé plus vingt ans de sa vie afin de récupérer le reste de ses affaires, Catherine a reçu assez d'information pour comprendre que ma mère était une criminelle, j'étais prête à faire face à une armada de questions mais il n'en a rien été, Catherine a fait comme s'il ne s'était rien passé me laissant le choix de lui parler de mon passé si l'envie m'en prend.

Sa présence me permet de ne pas trop penser, de rester en mouvement, de ne pas m'attarder sur ce que je ressens, je sais bien qu'à un moment ou un autre je ne pourrais plus faire semblant mais pour l'instant ça marche alors j'en profite.

Je suis sur les rotules car je n'arrive pas à dormir, je somnole ici et là mais je ne dors pas, cela dit je ne suis pas la seule, depuis le premier soir où on s'est a nouveau réunis toute notre fratrie passe la nuit dans la salle de billard jusqu'au moment où on doit faire face à une nouvelle journée.

« T'as pas beaucoup changé, c'est fou, » Catherine remarque en regardant une des photos de famille qui se trouve sur une des bibliothèques.

Je m'approche pour voir de quelle photo elle parle. « T'étais adorable, » elle continue, son compliment fait naître un léger sourire sur mes lèvres. Mon sourire disparaît cependant que je me retrouve face à la photo qu'elle observe.

« A vrai dire ce n'est pas moi, » je l'informe.

Elle me regarde en fronçant les sourcils de toute évidence elle ne me croit pas. « Arrêtes ton char, je te rappelle que l'observation est mon métier. »

« Justement, honte à toi d'oublier l'une des règles primordiales de l'observation, le diable se cache dans les détails, » je la taquine.

Elle me regarde comme outrée que je mette ses talents en doutes mais se concentre immédiatement sur la photo. Il ne lui faut que quelques secondes pour voir ce qui lui avait échappé. « Des yeux bleus… » elle murmure.

« Je suis le petit cowboy à l'air méchant, » je me montre du doigt. « J'étais le shérif. »

Catherine rit doucement en me voyant. « Mon constat ne change pas, t'étais adorable. »

Je peux sentir mes joues rosir un peu à ses mots. « C'est Em… Emily, ma grande sœur, » j'anticipe sa question.

« Elle vit loin d'ici ? » elle demande faisant référence au fait qu'elle ne l'a toujours pas rencontrée. « Relations conflictuelles ? » elle ajoute, mon changement d'expression aussi imperceptible soit il ne lui a pas échappé.

« Em est décédée un an après que cette photo ait été prise, » je confesse

« Oh… je suis désolée Sara. »

« Ce n'est rien, c'était il y a longtemps, » je la rassure. « Elle riait tout le temps, elle pouvait illuminer une pièce de sa présence c'était incroyable. Je me souviens de sa voix, elle était douce et rassurante, j'adorais quand elle nous racontait des histoires, elle était toujours la première à nous calmer lorsqu'on était trop turbulents ou qu'on se chamaillait, » je me remémore. « Elle était toujours a l'écoute et avait de bons conseils… elle prenait son rôle d'ainée très à cœur. »

Je suis ramenée au présent par la main de Catherine qui se glisse dans la mienne, il me faut quelques secondes mais éventuellement je referme mes doigts sur sa main.

« Elle semble quelqu'un d'exceptionnelle, » elle constate doucement.

« Elle l'est… elle l'était, » je me corrige.

Mes yeux se retrouvent plongés dans ceux de Catherine et j'ai un soudain vertige, sans prévenir Catherine se penche et m'embrasse le coin des lèvres, le contact est bref mais il fait battre mon cœur à tambour battant. Elle serre ma main avant de la relâcher.

« Excusez moi de vous déranger, je vais commencer à préparer le diner, purée de carottes et poulet ça vous convient ? » la voix de Sidney me sort de ma stupeur.

« Je vais t'aider, » répond Catherine avant de sortir précipitamment du salon.

Sidney m'observe longuement avant de parler. « Désolé, je ne voulais pas vous…interrompre »

« Tu ne nous a pas interrompu, » je réponds avec un froncement de sourcils.

Il opine mais de toute évidence il n'est pas convaincu. « Ok… »

« On ne faisait que discuter, » je me justifie sans savoir pourquoi.

« Discussion intense… »

« Qu'est ce ça veut dire ? » je plisse les yeux, irritée par ses sous entendus.

« T'as les joues rouges, c'est tout, » il hausse les épaules.

« Sid, » je l'appelle sèchement. « La ferme. »

Il lève les mains en signe de reddition et sort du salon à son tour.

J'ai les joues rouges et alors ? Il fait chaud, c'est tout.

Enfin, je crois.

Catherine

Mais qu'est ce qui ne va pas chez moi ?

Sara se confie à moi et ma seule réponse c'est de lui sauter dessus, bravo Catherine, vraiment t'assures là.

Cette femme a le don pour me toucher émotionnellement. Et plus je découvre des bribes d'information sur le passé de Sara et plus j'ai envie de lui donner d'amour, et ce même s'il y a trois semaines de ça je m'étais jurée de la garder à distance. Je l'ai dans la peau c'est une évidence, mais plus je passe du temps ici et plus elle s'ancre profondément en moi.

Elle s'est confiée à moi pour la première fois, certes pendant les 5 derniers jours j'ai appris beaucoup sur son compte comme le fait qu'elle a une famille nombreuse, que sa mère a été en prison pendant au moins vingt ans, j'ai noté l'absence de son père et le fait que personne ne le mentionne ce qui m'a amené à conclure que les rapports avec lui n'étaient pas les meilleurs. Mais là c'était différent, elle m'a parlé de sa sœur Emily et elle était tellement fragile que j'ai eu envie de lui témoigner mon amour – tu parles d'un timing pourri. Elle n'aurait pas été plus surprise si un troisième œil m'était sorti du front.

Je sais bien qu'elle n'a pas besoin d'être sauvée de quoi que se soit, et je n'éprouve aucune pitié pour elle, mais dès qu'elle baisse sa garde et qu'elle me laisse entrevoir son passé ou ces choses qu'elle ne partage avec personne, je n'y peu rien je fonds comme neige au soleil.

Je suis dingue d'elle, littéralement, et plus je passe du temps en sa compagnie plus cet état 'empire', sauf que ce n'est vraiment pas le moment pour moi d'exprimer mes sentiments – non pas qu'il y ait un bon moment vu qu'elle m'a fait comprendre qu'elle n'avait pas de sentiments pour moi, mais qui plus est pour le moment elle est vulnérable et si je ne fais pas attention je vais finir par être utiliser comme un substitut de réconfort et honnêtement je pense en avoir assez pris dans la figure par rapport à Sara sans en plus jouer les kamikazes.

Je me retrouve dans la cuisine où Sidney s'affère silencieusement à la préparation du dîner. Je ne sais pas si c'est parce qu'il est le jumeau de Sara ou simplement très perspicace mais de toute la fratrie il est le seul à deviner mes pensées à chaque fois.

« Je constate que tout le monde est doué en cuisine, » je remarque à haute voix même si je sais qu'il a senti ma présence.

« On peut difficilement s'en vanter, être excellent en cuisine n'était pas une option. L'excellence tout court n'a jamais été une option dans cette maison. On se devait d'être excellents pour ensuite passer le reste de nos vie à approcher la perfection, » je ne sais pas si c'est du sarcasme que j'entends dans sa voix ou de l'amertume.

« C'est beaucoup de pression sur de jeunes épaules, » je réponds avec autant de tact que possible.

« Pas vraiment, et puis difficile d'en vouloir à qui que ce soit, quand on doit assurer le passage de traditions vieilles de plusieurs générations on aime que ce soit précis, » il constate. « Mais l'apprentissage était beaucoup plus drôle que ça en a l'air. Mes meilleurs souvenirs sont dans cette cuisine et l'atelier, » il admet après quelques secondes. « Tu aimes cuisiner ? » comme à chaque fois où la conversation s'aventure sur un terrain plus intime il me met au centre de l'attention.

Moi qui pensais que Sara était la maitresse dans l'art de l'esquive je vois que c'est en fait de famille. En même temps ils ne me connaissent que depuis 5 jours donc je ne peux pas leur en vouloir de garder une distance entre nous.

Le reste de la journée est passé à accueillir certains membres de leur famille, étant nombreux Charlie les installe du côté qui sert d'auberge car il n'y a plus de chambres de libres dans le côté que nous occupons. La plupart d'entre eux sont partis aider à finaliser les préparations pour demain, sachant qu'on attend encore du monde.

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Il y a un silence tendu autour de la table, c'est simple on entendrait une aiguille tomber sur la moquette du premier étage.

Charlie et Howard ont commencé à parler des gens qui seront présents à l'enterrement et de ceux qui passeront la nuit ou quelques jours à l'auberge, et Sara a perdu son sang froid. Je pensais qu'elle et moi avions eu de violentes disputes mais à ma grande surprise elle a toujours su rester maitresse de ses émotions avec moi.

« Comment as-tu osé l'inviter ?! » elle hurle à Charlie qui reste en apparence impassible mais son regard est glaçant.

« Killian est notre oncle, le frère de maman, c'est aussi simple que ça, » Charlie répond fermement.

« Il lui a tourné le dos ! Il n'a jamais été présent pour nous ! Il n'a plus aucun droit sur cette famille ! »

« Que tu le veuilles ou non il est de notre famille. Ce n'est pas un débat, il sera là point final, le sujet est clos. »

« Tu n'avais aucun droit de faire ça ! » Sara ignore son ordre.

« Sara, ça suffit ! » cette fois Charlie durcit le ton et écrase son poing sur la table avec une violence telle que tout le monde a un léger sursaut à l'exception de Sara.

Personne n'essaie d'intervenir entre Charlie et Sara, bien au contraire ils donnent tous l'impression de vouloir se faire petit.

« Sinon quoi ? » elle le provoque. « Hein Charlie ? Sinon quoi ?! » elle s'énerve de plus belle. Le silence de Charlie la frustre, elle a ce petit rire amer qu'elle a toujours lorsqu'elle s'apprête à dire quelque chose de cinglant. « T'as déjà trouvé quelqu'un pour cracher sur sa tombe, tu veux pousser la ressemblance avec lui plus loin ?! Mais ne te gêne pas surtout ! »

Les mots ont à peine quitté la bouche de Sara que Russell intervient. « Sara quitte cette table immédiatement, » sa voix est calme et semble un murmure comparer aux cris échangés. Russell n'est pas le plus loquace de la fratrie mais je viens de comprendre que c'est parce qu'il choisit méticuleusement ses combats.

Charlie a visiblement pâli, sa respiration se fait plus saccadée et s'il n'y avait une distance entre eux je crois qu'il aurait giflé Sara. La remarque de Sara a eu un effet sur tout le monde.

Sara se tourne vers Russell et le défi du regard. « Ne me fais pas me répéter, » il ajoute d'une voix égale. Il n'a pas dit un mot plus haut que l'autre mais son ordre est sans appel, il y a cette colère froide et maitrisée qui ne donne pas envie de contester son autorité.

Sara jette sa serviette sur la table dans un geste brusque, Rueben va pour se lever comme à leur habitude « Reste assis, » Russell lui ordonne sans quitter Sara des yeux, Sara pousse sa chaise d'un violent coup de pied – celle-ci manque de se renverser – et quitte la table sans cérémonie.

Mon premier réflexe est de la suivre mais je sens une main se serrer sur ma cuisse, du coin de l'œil je vois Sidney secouer imperceptiblement la tête m'interdisant de suivre mon instinct.

« Mangez, ça refroidit, » Russell nous intime sur un ton qui se veut plus doux, tout le monde s'exécute. « Rueben, redresses-toi, » il ajoute gentiment.

Seul Charlie reste immobile, mais tout le monde l'ignore sciemment – je ne sais pas si c'est par pudeur ou embarras – afin qu'il accuse le coup à son rythme.

Howard prend la responsabilité de maintenir une conversation agréable au dîner, mais la tension instaurée par Sara ne se dissipe pas vraiment.

Après le repas j'aide Sidney pour la vaisselle et le rangement puis monte dans ma chambre. Je fais les cent pas malgré moi, j'ai cette boule au creux du ventre qui m'empêche de me calmer. Je suis inquiète pour Sara et je ne sais pas quoi faire. Je déteste ce sentiment d'impuissance.

Sara

Je ne pense pas avoir été autant énervée depuis longtemps. J'en veux à Charlie mais plus que tout j'en veux à moi-même ma dernière remarque à son intention était plus que déplacée. Comme à chaque fois que je m'emporte je me suis attelée à détruire la barrière de notre jardin, je suis en nage et j'ai à peine assez de force dans les bras pour soulever la hache et pourtant je continue de l'abattre sur le bois avec l'énergie du désespoir.

Je donne un grand coup avec un grognement de frustration. J'aimerai que cette colère qui ne semble pas vouloir me quitter se dissipe.

« Je suis là si tu veux m'en coller une, » déclare Charlie. Je l'avais senti approcher mais j'ai attendu le dernier moment pour lui faire face.

Face à mon refus de répondre il se contente d'aller s'asseoir sur les marches du belvédère, je donne deux nouveaux coups de hache et regarde le bois voler en éclats, puis je me résigne à faire face à mon frère. Je le rejoins et m'assois près de lui tout en gardant une distance entre nous – c'est puéril et j'en suis consciente.

« On fait tous des erreurs, ça n'empêche qu'on est toujours une famille, » il pense à voix haute.

« Une famille c'est ne laisser tomber personne, c'est être là pour les autres peu importe le moment, » je lui recrache en pleine figure les principes qu'il nous a sans cesse répétés. « Il nous a laissé tomber, » je grogne avec la mâchoire serrée.

« Ce n'est pas vrai, » il me sent sur le point de répondre aussi il lève une main pour me demander de le laisser finir. « Il a été là pour nous comme il le pouvait. Il a essayé d'être là physiquement au début mais c'était trop dur pour lui. »

« Parce que c'était simple pour toi peut être ? »

« Scout… » il me rappelle à l'ordre. « T'étais trop jeune pour comprendre mais oncle Killian et maman étaient vraiment très proches l'un de l'autre. Oncle Killian a connu des temps difficiles et il ne s'en est sorti que parce qu'il avait le soutien de maman, elle était son monde. Et du jour au lendemain il a perdu tout ça. »

« Nous aussi on a tout perdu, lui il nous a tourné le dos putain ! » je m'entête.

Il prend une grande inspiration, conscient qu'il en faudra beaucoup pour que je démorde de mon humeur. « Tu penses que je pardonne trop facilement n'est-ce pas ? » sa question est purement rhétorique aussi je ne dis rien en retour.

Il soupire. « Tu n'as aucun droit de juger les gens, encore moins ta famille, » il me réprimande doucement.

« Je ne suis pas comme toi, Charlie… »

« Je sais bien, t'es une vraie tête de mule. Et parfois t'oublies que toi aussi t'as fait des erreurs, » il rétorque sans hausser le ton. « Je vous ai tourné le dos moi aussi, » il ajoute après un long silence.

Je suis surprise pas son admission, confuse même. « Qu'est ce que tu racontes ? T'as toujours été là pour nous. »

« Non, un jour j'ai claqué la porte et je me suis tiré. J'avais laissé une note disant que je vous aimais tous très fort et qu'un jour peut être vous me pardonneriez d'être parti. »

Je le regarde avec stupéfaction, essayant en vain de me souvenir de ce moment. « J'avais 19 ans quand tout a basculé, du jour au lendemain les choses sont allées de mal à pis. Grâce à oncle Killian on a pu tous vous récupérer dans les deux années qui ont suivi, sans lui Dieu seul sait combien temps vous seriez restés dans le système. Mais après il s'est retiré et je devais soudain porter 6 personnes sur mes épaules quand j'étais moi-même à genoux. Alors un soir je vous ai couché, j'ai attendu que vous dormiez tous, j'ai fait mon sac et je me suis barré en laissant un mot. »

Il s'éclaircit la gorge. « J'ai erré pendant 5 jours après je suis allé me réfugier chez oncle Killian, à l'origine c'était juste le temps d'avoir un meilleur plan. Mais il m'a botté le cul et m'a dit qu'on n'abandonnait pas sa famille, pas plus qu'on ne rompt ses promesses.»

Je ricane amèrement. « Ça lui va bien de dire ça, » je marmonne.

Charlie m'ignore et continue. « Il aura fallu 10 jours, mais je suis revenu à la maison. Je ne me suis jamais pardonné d'être parti.»

« Howie a dit que t'étais parti voir tous les clients de la menuiserie… » je découvre enfin le mensonge.

« C'est lui qui a trouvé ma note, à mon retour il l'a brûlée et il a menti pour expliquer mon absence,» il m'explique. « Le fait est qu'aucun d'eux ne m'a jugé. Et cette règle s'est appliquée à chacun d'entre vous, je ne vous ai jamais jugé Howie, Sidney et toi quand vous vous défonciez à longueur de journée et me voliez de l'argent pour vous mettre en orbite, pas plus que je n'ai jugé Russell lorsqu'il avait ce besoin viscéral de se battre avec n'importe qui au point de manquer de se faire tuer je n'ai pas jugé Rueben et Hazy quand ils semblaient incapables de ne pas finir au poste de police pendant trois jours d'affilés… »

Je l'admets moi-même volontiers, notre vie a été chaotique dans les premiers temps où on s'est retrouvé seuls, entre le manque de repères, une rage incontrôlable contre le monde entier, notre besoin constant de défier toute forme d'autorité, dire que c'était difficile serait un euphémisme.

« Je ne vous ai jamais jugé ne serait ce qu'une seconde parce que si je le faisais je ne pourrai jamais décemment me regarder en face, » il continue. « On fait tous des erreurs, on fait tous du mal au gens qu'on aime, on est humain et faillible, mais ce qui compte c'est que cette famille soit parfaite, que le lien entre nous soit immuable et indéfectible. On peut se planter pour le reste mais pas pour ça, tu comprends ? »

« Oui… »

« Mais ? » il m'encourage quand il sent que je me retiens.

« T'es revenu, on a changé, lui il n'est pas revenu… »

« Il y a des choses que tu peux comprendre maintenant. Il était là au début, mais il souffrait de l'absence de sa sœur adorée, et malgré lui il nous en voulait un peu parce que si on n'avait pas été là ou du moins pas aussi nombreux les choses auraient été différentes. Maman aurait quitté Papa quand il a changé. Ne te méprends, oncle Killian s'en voulait énormément de penser ces choses, il en avait honte mais quand on souffre on n'est pas forcément rationnel. Il s'est dit, à juste titre, qu'il n'aurait pas une influence positive sur nous s'il restait alors il s'est effacé mais il est resté à notre disposition, et il nous a toujours aidé financièrement, il était auprès de maman tous les jours. Le truc c'est que lorsqu'il a enfin su faire la part des choses en ce qui nous concernait vous étiez déjà tous adultes et trop habitués à son absence. »

Il marque une pause pour que j'assimile chacun de ses mots.

« Pourquoi il n'est pas venu lui rendre visite une seule fois tout le temps où elle était là, alors ? » il me faudra plus de temps pour digérer mon amertume mais la nouvelle perspective que j'ai sur les choses a – un peu – refroidi ma colère.

« Il est venu, » Charlie m'affirme, je le regarde en fronçant les sourcils. « Scout, je vous connais assez pour savoir que sa présence aurait créé des tensions et franchement Maman n'avait pas besoin de ça, donc il venait quand vous n'étiez pas là. »

C'est drôle car même s'il est à la tête de notre famille depuis longtemps j'oublie souvent la perspicacité de Charlie et son habilité à prendre les meilleures décisions en toutes circonstances.

« Peut être qu'il est temps que toi et lui ayez une conversation, je ne dis pas que tu l'adoreras tout de suite après mais au moins ce sera un pas dans la bonne direction. Donnes lui une chance, d'accord ? »

Je prends quelques secondes avant d'acquiescer. Charlie passe un bras autour de mes épaules, me serre contre lui.

« Je suis désolée pour le dîner, » dis-je piteusement.

« Moi aussi, mais tout va bien maintenant, » il conclut. « Une dernière chose cependant, ne me compare plus jamais à l'homme qu'est devenu notre père, » sa voix est algide, plus qu'une requête c'est un ordre qui ne devra jamais plus être remis en question.

« Pardonnes moi, je te promets que je ne le referai plus. »

« Bien, » il accepte mes excuses et son expression se radoucit. « Maintenant, va prendre une douche parce que tu ne sens pas la rose et quand t'as fini redescends je vais te préparer un sandwich au fromage. »

Je souris car j'adore quand Charlie me materne, surtout après une dispute, c'est sa façon de dire que même si on a vraiment été bête il nous aime quand même.

J'attends qu'il m'embrasse la tempe pour me lever et faire ce qu'il m'a demandé.

Catherine

Ça fait deux heures que je tourne en rond, plus le temps passe plus je m'inquiète. Peut être que j'aurais dû suivre mon instinct malgré tout. Je sais que Sidney a eu raison de me retenir et qu'en tant que personne extérieure à leur famille je me dois de respecter leurs us et coutumes, la dernière chose que je veux c'est les offenser d'une quelconque manière que ce soit. D'un autre côté, je n'avais jamais vu Sara autant énervée et j'ai plus que tout envie d'être à ses côtés.

Je bondis jusqu'à la porte lorsque quelqu'un frappe doucement contre le bois. Je suis surprise mais aussi soulagée de découvrir Sara lorsque j'entrouvre la porte.

Il me faut une seconde pour me reprendre, j'ouvre la porte un peu plus grand et m'écarte afin de l'inviter à entrer.

« Je… » elle se racle la gorge. « Je voulais te présenter mes excuses pour le diner. J'ai eu une attitude plus que déplacée. Je suis désolée de m'être ainsi donnée en spectacle, » elle soutient me regard quelques secondes avant de regarder ses chaussures.

« Ce n'est rien, ne t'en fait pas, » je la rassure immédiatement. « Est-ce que ça va ? »

Elle semble surprise que je lui pose cette question. « Ça ira, » elle répond après quelques secondes. Sa réponse est loin d'apaiser mon inquiétude mais je m'en contente pour le moment.

« Est-ce que tu as mangé quelque chose ? »

Je ne suis pas dupe, je vois bien qu'elle a les traits tirés et qu'elle ne mange pas des masses malgré les repas à heures fixes. Je suis là pour la soutenir moralement mais aussi pour m'assurer qu'elle tient le coup et à ce rythme elle risque de perdre pieds rapidement.

« J'y vais là. »

« D'accord, » j'acquiesce, satisfaite de sa réponse.

Elle commence à partir mais s'arrête au dernier moment. « Est-ce que tu veux boire quelque chose de chaud avant de te coucher ? Chocolat, lait… ? »

Pour être honnête je n'en ai pas plus envie que ça, mais je saisis l'occasion de passer un peu de temps avec elle. « Oui, pourquoi pas, » je réponds avec enthousiasme.

Lorsqu'on arrive en bas la maison semble déserte. Je suis Sara dans la cuisine où une assiette avec un sandwich coupé en triangle et un grand verre de lait l'attendent.

Je m'assois à table alors que Sara sors une casserole, plusieurs pots et une bouteille de lait. Quelques minutes plus tard elle m'offre un chocolat chaud avant de s'asseoir à mes côtés.

Elle regarde son sandwich mais n'y touche pas. Je vois bien qu'elle est en pleine tourmente mais elle ne dit rien et je sais que si je lui demande comment elle va elle me dira de ne pas m'inquiéter.

Sur un coup de tête je me saisis d'une moitié de sandwich et commence à faire des bruits de moteur, puis couvre ma bouche de l'autre main. « Kchhht… Alpha One à tour de contrôle, demande permission d'atterrir. Je répète, Alpha One à tour de contrôle demande permission d'atterrir. A vous, Kchhht. »

Sara est tellement surprise par mes actions qu'elle reste coite et me regarde sans la moindre expression. Je persiste dans mon délire comme si de rien n'était. « Kchhht… Alpha One à tour de contrôle, répondez. Demande d'atterrissage en toute urgence. Kchhht. »

Je fais un tour avec mon avion sandwich et me représente devant Sara et réitère ma demande d'atterrissage à une fin de non recevoir. Je fais voler l'avion plus haut « Kchhht… Mayday, Mayday, ici Alpha One nous sommes en difficulté… Mayday, Mayday, demandons un atterrissage d'urgence. »

Je commence un piqué dramatique et obtiens enfin une réaction de Sara, elle secoue la tête avec un soupir avant d'ouvrir la bouche et de croquer un petit morceau de sandwich.

« Kchhht… Alpha one à tour de contrôle, atterrissage réussi, je répète atterrissage réussi. »

Je refais un tour et redemande une autorisation d'atterrir. Cette fois Sara esquisse un sourire, elle mord à nouveau dans le sandwich. « On ne doit pas jouer avec la nourriture, tu sais. »

« Si c'est ce qu'il faut faire pour que tu manges, » j'hausse les épaules.

Elle prend ce qu'il reste de mon avion sandwich de ma main et mange seule.

« Je te présente mes excuses d'avances si jamais demain je ne suis pas très attentive… »

« Sara, » je la coupe doucement. « Ne t'inquiète pas pour moi, je ne suis pas là pour être un poids supplémentaire sur tes épaules. »

Je lui prends la main et serre doucement. Ni l'une, ni l'autre n'ajoutons quoi que ce soit mais le silence est confortable. Elle se force à manger son sandwich sous mon regard réprobateur, une fois fini elle vide son verre de lait d'une traite. Je ne peux ignorer les marques de fatigue sur son visage, je doute qu'elle ait dormit beaucoup depuis le jour du décès de sa mère.

Ce qui est difficile avec Sara est le fait qu'on n'a jamais eu une relation assez stable pour je sache ce dont elle a besoin. Résultat je marche sur des œufs depuis que je suis arrivée ici, je veux prendre soin d'elle sans pour autant savoir comment le faire sans commettre d'impairs.

Son regard se fixe sur quelque chose, je réalise seulement maintenant que j'ai gardé sa main dans la mienne et qu'inconsciemment je caressais sa peau de mon pouce. Mon premier réflexe est de me retirer mais à ma grande surprise elle resserre légèrement sa main sur la mienne, m'interdisant silencieusement de rompre le contact.

Elle ne me regarde pas cependant, ses yeux sont rivés sur nos mains puis elle regarde ailleurs et je reste là à me demander à quoi elle peut bien penser.

Une porte coulisse et des voix nous parviennent aux oreilles. « Je veux que vous essayiez de vous reposer un peu ce soir, » dit Charlie.

Le charme entre Sara et moi est rompu, elle laisse ma main et je n'ose pas la retenir. Elle se lève et débarrasse derrière elle. Quelques secondes plus tard tout le monde se retrouve dans la cuisine. Sara échange un long regard avec Russell, comme d'un commun accord ils s'isolent en retournant dans le salon, je suppose que Sara lui présente ses excuses.

Charlie sert à tout le monde un verre de lait, et même si Sara vient d'en finir un elle ne refuse pas le second.

Quelques minutes plus tard, sur ordre de Charlie, tout le monde regagne sa chambre. J'ai envie de rejoindre Sara mais je n'en fais rien, je me contente de m'allonger, je passe un rapide coup de fil à Nancy et parle un peu avec Linds, puis raccroche et contemple le plafond, espérant de tout cœur que Sara va bien.

Sara

La maison est en effervescence, tout le monde est pris par la préparation de l'évènement de la journée. Je n'ai pas dormi, à chaque fois que je me suis assoupie j'ai été prise d'une angoisse. Je n'aime pas l'admettre mais je suis nerveuse.

Ce matin Russell et moi avons fais plusieurs aller-retour entre l'aéroport et la maison afin de récupéré les derniers membres de notre famille et les amis qui ont fait le déplacement. Ma mère ayant passé la moitié de sa vie en prison, les amis – les vrais, ceux qui n'ont pas quitté ses côtés, peuvent se compter sur les doigts d'une main pour ce qui est de sa famille, ses parents et ses quatre frères ainés sont restés en Irlande tandis qu'elle et son plus jeune frère Killian ainsi que quelques cousins ont immigrés aux Etats-Unis.

Du temps où tout allait bien, sa famille venait souvent nous rendre visite et nous allions souvent en Irlande en retour, puis du jour où tout à basculer les relations, bien que bonnes, sont devenues distantes avant de se renforcer une fois que toute ma fratrie était adultes et n'avait plus besoin d'un support quelconque.

Aujourd'hui, ses frères ont fait le déplacement avec certains leurs enfants – ceux parmi mes nombreux cousins qui ont connu ma mère, au totale une quarantaine de personnes sont rassemblées. Je suis contente qu'elle ne parte pas sans un bruit, dans l'indifférence absolue.

Tout le monde se prépare car il faut que tout soit parfait. Pourtant ce sont les petits détails qui semblent nous faire défaut. Je tourne en rond pour trouver mes chaussures avant de réaliser qu'elles sont en évidence exactement là où je les avais laissées. Russell se bat avec ses cheveux qui ont choisi ce jour en particulier pour être indomptables. Hazy, est au bord des larmes car sa robe a un accroc, Charlie bataille avec son nœud de cravate, Rueben et Howie sont encore à choisir leur chemise, et Sid est en train de retourner la maison pour trouver ses boutons de manchettes.

« Rueben, passe un coup de cirage sur tes chaussures, » Sidney demande doucement en revenant dans le salon, il semble enfin avoir mis sa main sur ses boutons et lutte pour les mettre en place.

« Viens, restes là, je vais repriser tout ça, » la voix de Catherine me parvient aux oreilles. Je suis presque surprise de la voir à côté d'Hazy, une aiguille entre les dents et du fil à coudre dans la main. Elle est tellement discrète que j'en arrive à oublier sa présence.

Hazy, se calme un peu mais elle est de toute évidence bouleversée et cet accroc sur sa robe est l'équivalent de la fin du monde à cet instant précis.

« Charlie, par pitié arrête de bouger, » je le supplie.

« Je veux un beau nœud… un double s'il te plait, » il demande avec une pointe d'anxiété.

« Ne t'en fais pas, mais arrêtes de t'agiter ça ne m'aide pas, » je mesure habilement sa cravate et commence à la nouer, c'est un geste que j'ai répété inlassablement depuis qu'on est ados mais aujourd'hui mes mains tremblent et je dois m'y reprendre plusieurs fois pour obtenir un nœud satisfaisant.

Je finis par faire ceux d'Howie et Rueben, alors que Charlie aide Russell à être présentable. Le temps file à toute allure et bientôt le corbillard fait son apparition dans l'allée d'entrée de la maison.

La cérémonie a lieu dans notre immense jardin, puis notre mère sera incinérée avant qu'une partie de ces cendres ne repartent en Irlande pour être disperser sur la terre familiale avec ses ancêtres comme elle le souhaitait.

Tout le monde est en place, et une fois qu'elle a terminé de recoudre la robe d'Hazy, Catherine se retire dans le jardin, nous laissant quelques instants pour nous préparer.

Les représentants des pompes funèbres viennent à notre rencontre et nous nous dirigeons vers le corbillard. Mes frères se placent de chaque côté du cercueil et le soulèvent, Hazy et moi ouvrons la procession jusqu'au jardin. Soudain c'est comme si je n'avais plus de vision périphérique, je ne perçois que des silhouettes et je n'arrive pas à distinguer qui que ce soit et je n'ose pas lever la tête par peur de perdre l'équilibre car je me sens prise d'un vertige.

Je prends ma place sur le premier rang de chaises sans regarder l'assistance et fait face au cercueil qui est ouvert délicatement par le personnel des pompes funèbres. Je suis rejoins par Russell, Howie, Sid, Rueben et Hazy alors que Charlie reste debout face à tout le monde pour l'eulogie.

Mon cœur menace d'exploser ma poitrine tellement il bât fort, mon corps se met à trembler j'ai peur de m'effondrer d'une seconde à l'autre. Je sursaute légèrement quand je sens une main se glisser dans la mienne, je vois les doigts délicats de Catherine s'entremêler avec les miens et suis surprise de sentir la chaleur envahir ma main pour se propager doucement dans mon corps entier. Par réflexe je resserre mes doigts sur sa main et tout revient en focus comme si je venais de recevoir un choc électrique. Je ne tremble plus, mon état fébrile est remplacer par une force, une stabilité que je ne soupçonnais pas, ou peut être cette force émane de Catherine et que d'une manière inexplicable elle me la transmet par le contact le plus simple du monde.

« Bonjour à tous, » commence Charlie. « Merci d'être présent avec nous pour rendre un dernier hommage à notre mère, Laura Annabeth Sidle. »

« Maman est… » sa voix s'arrête abruptement. Il s'éclaircit la gorge et reprend. « Maman ét… » il lutte mes les mots éludent son contrôle. Il respire profondément et après quelques secondes il se lance à nouveau. « Mam… » sa voix s'éteint.

Charlie a toujours été solide comme un roc, il a porté notre famille à bout de bras sans jamais montrer un signe de faiblesse. On a tous grandit plus vite quand tout à basculer – le premier jour où mon père a perdu les pédales, mais il a grandit encore plus vite. A 13 ans il a dû devenir un homme et il n'a jamais fléchit, en tout cas jamais en notre présence.

A cet instant précis c'est le petit garçon qu'il a dû abandonner trop tôt qui refait surface, c'est comme si l'adulte qu'il était régressait à vu d'œil perdant tout ses repères. Sa lèvre inférieure tremble, son regard est incertain, sa respiration est faible et il croule doucement sous le poids du monde.

La main de Catherine se contracte légèrement contre la mienne, je ne saurais pas l'expliquer mais ce mouvement presque imperceptible m'insuffle une énergie sans pareille. Le monde m'apparaît sous une clarté déconcertante, je n'ai pas besoin de regarder le reste de ma fratrie, je sais exactement ce que je dois faire.

Je lâche la main de Catherine et m'approche de Charlie. Il me regarde, perdu, incapable de trouver ses marques ses yeux clairs me supplient de le pardonner et je vois bien qu'il se sent coupable car il pense nous laisser tomber au pire des moments.

Je pose une main qui se veut rassurante sur son épaule et lui souris doucement pour lui indiquer que je prends le relais. Je n'ai rien préparé, je ne suis même pas sure de savoir quoi dire. Charlie étant l'aîné nous avions décidé d'un commun accord qu'il ferait l'eulogie, cependant il n'a pas répété devant nous aussi j'ignore ce qu'il avait prévu de dire. Je gonfle mes poumons d'oxygène et mon regard se pose sur Catherine. La sensation initiée par le contact de sa main quelques instants plus tôt me revient, les dernières traces de peur se dissipent alors que je me perds dans ses yeux céruléens.

Je fais face à l'assemblée pour la première fois, résolue et armée de courage.

« Maman est… » tout s'arrête brutalement quelques secondes, le temps que je me reprenne et me corrige. « Maman était… une force tranquille de la nature. Tranquille est le mot juste, d'aussi loin que je m'en souvienne elle était toujours d'un calme Olympien elle avait cette sorte d'aura qui l'entourait, une aura si intense et lumineuse qu'on pouvait sentir sa présence quasi impériale dans une pièce, dans toute la maison en fait, » je ris doucement.

« Elle avait toujours un petit sourire serein aux lèvres comme si elle savait qui fait tourner le monde, comme si elle détenait le secret de a sagesse absolue.

Elle avait une voix douce et posée, ne prononçait jamais un mot plus que l'autre, mais qu'on ne se méprenne pas, elle savait s'imposer et asseoir son autorité. Elle était méticuleuse lorsqu'il s'agissait de choisir ses batailles.

Je me souviens de son rire, chaleureux, communicatif je me souviens de son habitude de chanter presque sans s'en rendre compte, de ces moments où elle nous récitait de la poésie ou nous lisait les classiques de littérature avant de nous envoyer au lit je me souviens de sa patience sans bornes et de son enthousiasme lorsqu'elle l'un après l'autre on lui parlait de l'aventure qu'avait été notre journée, qu'on lui confiait nos joies, nos peines, nos peurs. »

C'est étrange de me retrouver là à me remémorer du passé avec une telle clarté alors que pendant des années il m'a été impossible de souvenir d'autre chose que les rudes épreuves auxquelles nous avons été soumis.

« Elle avait toujours les mots justes, elle ne nous disait pas ce qu'on avait besoin ou envie d'entendre, seulement les mots justes et quand bien même il nous fallait du temps pour comprendre leur sens, instantanément notre esprit était déjà un peu apaisé.

Je me souviens de journées comme aujourd'hui, chaudes, d'un ciel azur incroyable et avec quelques rares nuages; on courait partout dans le jardin riant à plein poumons, elle essayait de nous attraper pour nous chatouiller, ou elle nous faisait tourner dans les airs, elle appelait ça le 'tourbillon magique', » j'entends des soupirs amusés et je n'ai pas besoin de tourner la tête pour savoir qu'il s'agit de ma fratrie.

« Quand elle nous redéposait après un tourbillon, c'était comme lutter contre la gravité sur un bateau qui tangue violemment, la tête qui tourne, le sol qui parait instable, mais nous ne tombions jamais parce qu'elle était derrière nous, elle entourait nos épaules de ses bras en nous serrant contre elle, elle riait doucement avant de nous embrasser la tempe, et ensuite elle chuchotait 'Tout va bien, je te tiens'. »

J'ai une soudaine montée d'émotions et pendant un instant ma voix se bloque dans ma gorge. « A ce moment précis on retrouvait l'équilibre, on était aimé et à nouveau solide sur nos deux pieds c'est comme s'il y avait tout un monde au creux de ses bras et qu'une fois dedans rien ne pouvait nous atteindre car cet amour, cette tendresse qu'elle nous offrait généreusement et sans condition nous rendait invincibles. »

Mon sourire s'estompe lorsque je continue. « Elle était une force tranquille de la nature, » je répète. « Une force car elle pouvait déplacer les montagnes pour nous. Elle nous aimait plus que tout et nous pouvions nous reposer sur elle car elle ne fléchissait jamais, et pendant les moments les plus durs elle nous protégeait avec férocité.

Et puis soudain les choses ont pris un virage brutal, on a été séparé d'elle et c'était comme être pris dans un tourbillon, sauf qu'il n'avait rien de magique. Plus rien n'avait de sens, on a perdu notre équilibre, malmenés dans une tempête.

Je me souviens d'un jour, dans une pièce grise et froide dans laquelle on s'est retrouvé, du désespoir que j'ai ressenti. Il y avait tellement de choses qu'elle aurait pu dire, et… elle a choisi de nous réciter un poème. La pièce s'est réchauffée d'un coup, une fois encore elle avait eu les mots justes. Pendant un court instant c'était comme si nous étions de retour à la maison en récitant ce poème elle nous donnait un point de repère, quelque chose de familier à quoi nous accrocher, ça nous a permis de retrouver un peu d'équilibre.

Après ça pendant les moments difficiles, je me souviens qu'on faisait tout pour se remémorer cet instant, à entendre la voix de Maman, jusqu'à sentir sa présence on se forçait à revivre ce moment jusqu'à ce qu'on arrive à se convaincre qu'on arriverait à surmonter les moments difficiles. »

« Et puis le plus beau jour est arrivé, Maman est enfin revenu à la maison. Rien n'avait changé, sauf peut être le fait qu'on était trop grands et trop lourds pour qu'elle nous fasse tourbillonner, » tout le monde rit.

« On parlait pendant des heures, partageait des livres, des poèmes son rire résonnait à nouveau dans toute sa gloire, sa présence illuminait toute la maison. Tout était enfin à sa place, le monde avait repris un sens, rien n'avait ébranlé son amour pour nous, et notre amour pour elle. On était à nouveau invincibles. »

Une boule se forme dans ma gorge et j'ai soudain du mal à respirer. « Il y a six jours elle s'est éteinte, » les mots écorchent violemment ma bouche. « Tout s'est effondré pour la seconde fois, seulement, cette fois il n'y a aucun espoir pour que les choses redeviennent comme avant, » ma voix tremble légèrement. « C'est comme être pris dans une tornade, le monde a perdu tout son sens car un monde où elle n'est pas est insensé. »

« Je viens tout juste de comprendre pourquoi ce souvenir de nous, rassemblés dans une petite pièce grise et froide était ce qui nous avait permis d'avancer car ce n'était pas la première fois qu'elle récitait ce poème en particulier mais c'est cette fois là qui m'a le plus marquée.

Aujourd'hui ces mots résonnent en moi complètement et j'apprécie enfin tout leur sens. Ces mots n'étaient rien de moins que ses bras venant de poser autour de nos épaules. Je comprends maintenant qu'avec ces mots elle a toujours été là, elle a toujours été notre point d'ancrage, elle nous a donné la force d'aller de l'avant et de ne jamais abandonner. Et même si aujourd'hui il semble qu'elle ne soit plus là, c'est faux. Elle ne nous a pas quitté et elle ne le fera jamais parce que…

Nous portons son cœur en nous, nous le portons dans nos cœurs

Nous ne sommes jamais sans lui, où qu'on aille, elle est là,

Et tout ce qu'on fait seul est son fait

Voici le secret le plus impénétrable que personne ne connaît

Voici la racine de la racine, le bourgeon du bourgeon

Et le ciel du ciel d'un arbre qu'on appelle la vie

Qui s'élève plus haut qu'une âme ne peut l'espérer ou qu'un esprit ne peut l'abriter,

Et c'est la merveille qui garde les étoiles éparses

Nous portons son cœur, nous le portons dans nos cœurs, » ma voix devient plus ferme à mesure que je déclame ces vers.

« Ecoutez attentivement et vous pourrez entendre sa voix, 'Tout va bien, je te tiens', 'je vous tiens', » je me tourne vers Charlie puis regarde le reste de notre fratrie un a un. « 'Tout va bien, je vous tiens', » je répète comme pour enfoncer physiquement ces mots dans nos crânes. « Tout ira bien, car elle a ses bras autour de nos épaules comme elle l'a toujours fait. Alors ne prenez pas aujourd'hui comme un adieu, » je m'adresse à mes frères et sœur.

Catherine

Sara s'adresse à nouveau à nous « Aujourd'hui n'est pas un adieu, » elle conclut con discours.

Je n'ai pas pu empêcher quelques larmes silencieuses de rouler le long de mes joues. J'ai appris à connaître Sara et je sais ce qu'il lui en a coûté de partager avec nous ces quelques souvenirs, et de parler à demi mots de ce qu'elle et sa fratrie ont vécu.

Il y a un long silence de recueillement, puis Hazy sort des rangs pour aller aux côtés de Sara. Toute la fratrie est surprise. « Je voudrais finir cette cérémonie avec sa chanson préférée. Maman était une grande admiratrice de Charlie Chaplin, » elle parle d'une voix tremblante car elle est en larmes. « D'ailleurs c'est pour ça qu'elle a nommé deux de ces garçons, Charlie et Sidney, » elle sourit, les deux intéressés aussi. « Pour ceux qui ne le savent pas le grand frère de Charlie Chaplin s'appelait Sydney. »

Elle s'éclaircit la voix. « Smile… though your heart is aching… » elle commence à chanter d'une voix cristalline mais affaiblie pas l'émotion. « Smile… even though it's breaking… » ses larmes prennent le dessus et elle semble incapable de continuer.

« When there are clouds in the sky, you'll get by, » Charlie prend la relève il passe derrière Sara et vient à côté d'Hazy, lui saisit la main et la serre doucement pour la rassurer.

Plus tôt lorsqu'il allait donner son eulogie Charlie s'est effondré, mais à présent il semble avoir retrouvé ses forces et cette stabilité qui font de lui le pilier principal de la fratrie. « If you smile, through your fears and sorrow, » il continue d'une voix chaude.

« Smile, and maybe tomorrow, » Sara se joint à eux. «You'll see the sun come shinning through, for you. »

« Light up your face with gladness, » Russell sort à son tour du rend pour aller aux côtés de Sara. « Hide every trace of sadness. »

« Although a tear will be ever so near, » Howard les rejoint.

« That's the time, you must keep on trying, » Sidney continue en imitant ses frères.

Rueben n'attend pas et vient les rejoindre à son tour avant de chanter. « Smile, what's the use of crying? »

« You'll find that life is still worth while, if you just… » Hazy reprend avec une voix forte du soutient de ses frères. Puis elle reprend du début et comme si c'était la chose la plus naturelle du monde, le reste de la fratrie suit mais cette fois ils y ajoutent des harmonies, nous laissant deviner sans peine qu'ils ont chanté cette chanson un nombre incommensurable de fois auparavant.

L'instant est magique, comme un rayon de soleil qui viendrait percer d'épais nuages sombres, laissant entrevoir l'espoir d'un jour meilleur.

Une fois la chanson terminée il y a deux minutes de silence pour se recueillir puis tout le monde vient saluer Laura une dernière fois avant de d'offrir son soutien à la fratrie Sidle.

Je suis surprise lorsque trois figures familières s'approchent de Sara et a en croire l'expression éberluée de Sara je ne pense pas qu'elle s'y attendait non plus.

Sara

Je crois halluciner lorsque Nick et Warrick se retrouvent devant moi. « Hey, » Nick me sourit timidement

J'ouvre la bouche pour dire quelque chose mais après quelques secondes de silence je me contente de le prendre dans mes bras.

« Je suis désolée pour ta mère, » il me serre contre lui.

« Toutes mes condoléances, » dit Warrick en me prenant dans ses bras dès que Nick me relâche.

Je n'aurais jamais pensé que de les voir me bouleverserait à ce point, mais je suis contente qu'ils soient là. Je suis sur le point de leur demander comment ils ont su pour les funérailles, mais j'obtiens la réponse tout de suite.

« J'ai amené la cavalerie, » dit Greg en sortant de l'ombre de Warrick. « J'espère que tu ne nous en veux pas d'être là sans prévenir, on voulait juste te montrer notre support. »

Je vois bien que Nick et Warrick me regardent avec appréhension. Je suis du genre pudique et il est vrai que parfois j'oublie que nous sommes réellement une famille eux et moi.

Je leur souris avec rassurance « Votre présence me touche énormément, et je ne trouve pas les mots pour vous exprimer ma gratitude. »

Leurs visages se détendent avec soulagement. Je voudrais parler à Greg seul mais d'autres personnes attendent derrière lui.

« On parlera plus tard, » il me fait un clin d'œil. « Je m'occupe des présentations, » il m'informe avant d'introduire les garçons à chaque membre de ma fratrie.

Après un défilé de personnes mes frères et moi avons enfin quelques minutes seuls avec notre mère. Aucun de nous ne dis 'au revoir'. On se contente de lui dire qu'on l'aime et de lui embrasser tendrement le front.

Le moment de la séparation arrive et mes frères portent le cercueil jusqu'au corbillard, et Charlie s'en va avec les pompes funèbres pour l'incinération. Je pense aussi qu'il a besoin d'être seul avec Maman une dernière fois. Il a été son 'petit homme' et aujourd'hui il redevient simplement son fils.

Pendant ce temps là, le reste de notre fratrie doit s'occuper des invités, la journée étant radieuse nous décidons de mettre le buffet dans le jardin.

Catherine

Je suis en train de m'activer en cuisine avec Russell et Hazel, c'est étrange car j'ai l'impression de faire partie de la famille, j'agis et prends des décisions comme si j'étais l'hôtesse de maison et non seulement personne ne me reprend mais bien au contraire j'ai l'impression qu'on m'encourage.

Quand je ne cours pas dans tous les sens je passe mon temps auprès de Nick, Warrick et Greg. J'ai pu constater que Greg était très familier avec la fratrie Sidle. Je sais que c'est déplacé mais je suis jalouse de lui.

J'ai toujours su qu'il était proche de Sara, plus que n'importe qui dans l'équipe d'ailleurs seulement je déteste l'idée qu'il connaisse mieux Sara que moi, surtout quand elle met tout mon monde sans dessus dessous.

Sara ne baisse presque jamais sa garde avec moi, mais avec Greg…

Et puis zut, j'étais là avant, il arrive comme une fleur comme si personne n'avait fait le déplacement pour soutenir Sara, alors que ça fait 6 jours que je suis là.

Ok, il faut que je me calme, c'est ridicule et puérile.

Je secoue la tête et me concentre sur ce qu'il reste à faire. Je remarque Russell en train de ranger la cuisine, je décide de m'en occuper, après tout il est plus normal qu'il passe du temps avec sa famille. Et puis en l'absence de Charlie c'est lui le chef de file.

« Laisse je vais faire, » je lui dis gentiment en lui prenant l'assiette qu'il tient de main. Je commence à faire la vaisselle, en l'encourageant à retourner auprès des autres mais il insiste pour sécher ce que je lave.

« Merci,» dit il après un long silence.

« Je t'en prie. »

« Non, je voulais dire… » il laisse ses mots en suspens. « Merci d'être là. »

« Oh… il n'y a pas de quoi. »

« C'est dommage qu'on se soit rencontré dans ces circonstances, mais je suis content que ce soit le cas… je suis content de te connaître, je veux dire. »

« C'est réciproque, » je lui souris franchement.

« Je pense qu'on est tous plein de gratitude envers toi, tu as rendu cette journée plus que supportable, cette semaine en fait. Et tu ne nous devais rien, puisqu'on se connaît à peine. C'est toujours bon de savoir que Sara a des gens comme toi dans sa vie. »

Je me sens devenir rouge pivoine et ne sais pas quoi répondre, je suis sauvée de mon embarras pas Howard qui informe que Charlie est en route et qu'ils doivent se préparer pour quelque chose.

Sans prévenir mon sentiment d'euphorie né des mots de Russell s'évapore quand je réalise qu'en fait je ne suis pas vraiment dans la vie de Sara. Contrairement à Greg que je ne peux pas l'appeler mon amie. Bien sûr elle est mon monde, mais c'est loin d'être réciproque, et je ne peux même pas garantir que les choses ont changé.

Je sais qu'on a vécu beaucoup de choses, des choses fortes durant ces 6 derniers jours, mais si ça se trouve ce n'est qu'une trêve due à la disparition de sa mère, une fois tout ça finit…

J'ai l'impression qu'un poids vient de descendre sur ma poitrine, je viens juste de me rapprocher de Sara mais peut être que tout ça n'a aucune importance, je vais la perdre et me retrouver à nouveau sur le carreau…

Je décide d'aller prendre l'air dans le jardin pour maitriser ma panique avant que ça n'empire, j'ai à peine fait un pas dehors que l'oxygène quitte mes poumons. Il me faut quelques secondes pour assimiler la scène mais je dois me résoudre à accepter le fait que je ne rêve pas.

Greg a le visage de Sara entre les mains et ses lèvres contre les siennes…

J'ai l'impression d'étouffer, je me sens pâlir et les larmes me brûlent les yeux, je me réprimande mentalement, ce n'est vraiment pas le moment d'avoir ce genre de crise. Je me retire dans la cuisine et m'appuie sur l'évier.

Je ferme les yeux pour me calmer mais c'est pire car je suis victime de persistance rétinienne, l'image de Greg et Sara marque mon esprit au fer rouge j'ai envie d'hurler, de coller mon poing dans la figure de Greg, de pleurer toutes les larmes de mon corps. Si seulement mon cœur pouvait ralentir et arrêter de pomper de l'acide dans mes veines je me sentirai déjà un peu mieux.

« Ça va ? »

Je sursaute violemment, prise de court par Sidney. « Oui… j'ai… eu un vertige, » je mens.

Je le vois hocher la tête du coin de l'œil. « Réaction normale quand la personne pour qui on a des sentiments est en train d'embrasser quelqu'un d'autre, même si ce baiser n'a aucune signification. »

Ma panique ressurgit immédiatement et ma tête tourne en sa direction si rapidement que je suis persuadée entendre mes cervicales craquer.

« On va conclure un marché, je n'aborde plus jamais le sujet comme ça tu n'as pas à mentir, » dit il sombrement. « Cela dit si tu veux en parler… ma femme disait toujours que mes meilleurs attributs étaient mes oreilles, et pas seulement parce qu'elle les trouvait sexy, » il hausse les sourcils de manière suggestive et arbore un sourire en coin.

Un rire inattendu s'élève de ma gorge et je secoue la tête. « T'es un idiot. »

« Peut être mais je suis marrant, » il me corrige. « Et je suis d'avis que tu devrais toujours avoir le sourire aux lèvres, » il ajoute doucement. « Tiens, ça va te requinquer, » il me tend un verre plein d'un liquide ambré. « Cul sec. »

Je prends le verre et le draine d'une traite, la chaleur de l'alcool se propage dans tout mon corps et effectivement je me sens mieux. Il pose une main sur mon épaule et commence à s'éloigner. « Sidney, » je le retiens. « Merci. »

« Cath, » Sara entre dans la cuisine. « Les garçons doivent repartir pour Vegas, ils te cherchent pour te dire au revoir. »

Si Sara était venu il y a une minute j'aurais probablement pleuré, mais grâce à Sidney je vais mieux.

Sara se met soudain sur ma route et me scrute « Ça va ? »

« Oui, » j'arrive à forcer un sourire sur mes lèvres puis sors de la cuisine.

Sara

La dernière fois que j'ai passé du temps avec autant de membre de ma famille ce devait être à mes 8 ans, et ce n'était pas aussi épuisant dans mes souvenirs.

« Tu tiens le coup ? » me demande Greg en s'approchant de moi. On n'a pas eu un instant seul depuis le service funèbre.

« Joker. »

Il a un sourire pincé. « Dire qu'essayer de rétablir la communication avec un oncle à qui je n'ai pas parlé depuis plus de vingt ans est une épreuve colossale serait un euphémisme, » je soupire.

Je le scrute longuement en silence. « Comment t'as su ? »

« Je me suis inquiété après notre dernier échange. J'ai appelé Sid quand je n'ai eu aucun signe de ta part. »

J'acquiesce.

« Tu m'en veux ? » il s'enquiert.

Je suis très pudique. Comme je l'ai dit à Cath ce n'est pas que j'ai honte de ma famille, c'est juste que j'ai pris l'habitude de ne pas en parler en y réfléchissant c'est surtout que je veux garder ma fratrie jalousement pour moi, mes frères et sœur sont mon monde et je n'aime pas vraiment les partager, ou du moins il me faut du temps pour ouvrir les portes de ce sanctuaire aux autres.

Greg est le seul de toute l'équipe (ou du moins jusqu'à aujourd'hui il était le seul) à connaitre ma famille, outre le fait qu'il soit mon meilleur ami, ce que peu de gens savent est que lui et moi avons été en couple pendant quatre ans. A part Nick et Warrick personne n'étaient dans la confidence, on ne voulait pas être un sujet de discussion au boulot.

Au premier abord Greg semble immature et incapable de prendre quoi que ce soit au sérieux. D'ailleurs au début je le voyais comme un gamin hyperactif et un peu pénible parfois, mais j'ai vite été surprise. Greg a été le premier à m'accueillir les bras ouverts, et si on a eu de bons rapports immédiatement, ce n'est qu'au quatrième mois de ma présence à Vegas que les choses ont changé.

On s'est retrouvé seuls pour un petit déjeuner, au début j'étais partie pour remettre ça à une autre fois, justement parce que Greg aussi sympathique qu'il soit me semblait immature et en plus il voulais faire ça chez lui, vu qu'il flirtait maladroitement avec moi plus ou moins en permanence, je ne voulais pas non plus qu'il commence à se faire des idées. Mais il a insisté, comme le service avait été long j'étais affamée et trop fatiguée pour argumenter.

Au final c'est la meilleure chose qui soit arrivée parce que ce matin là chez Greg, j'ai compris qu'il était timide et que son côté hyperactif était un simple mécanisme pour se forcer à aller vers les autres. On a longuement discuté et tout a changé ce jour là.

Il a toujours veiller sur moi après chaque enquête difficile, il est venu à moi et m'a forcé à baisser ma garde en me faisant comprendre que ce n'était pas faire signe de faiblesse que de s'appuyer sur les autres et qu'il était là pour moi 24h sur 24 (littéralement).

Je n'ai jamais été du genre à demander de l'aide aux autres ou à compter sur eux. Greg ne m'a jamais forcé à parler, il a encaissé mes colères et mes rejets parce qu'il a vite compris que j'avais du mal à faire confiance et à laisser les gens se rapprocher de moi. Il a toujours été là, et il a continué à veiller sur moi, c'est comme ça qu'un jour j'en suis venue à me confier à lui. Il est le premier à qui j'ai parlé de mon passé, ça n'a pas été facile mais il m'a toujours prouvé que ma confiance en lui n'a jamais été mal placée.

C'est aussi comme ça que j'en suis venue à prendre une chance avec lui pour être plus qu'amis. Certes au début pour lui c'était plus un béguin d'ado, mais au fur à mesure il a développé des sentiments plus profonds. Les quatre années qu'on a vécu ensembles étaient incroyables mais au final pour moi, même si je l'aime d'un amour inconditionnel, mes sentiments amoureux n'ont jamais été vraiment au diapason avec les siens alors on est resté amis.

Rien n'a changé, aujourd'hui encore il savait ce dont j'avais besoin, il a été là pour moi sans que je le lui demande. Je suis consciente de la chance que j'ai de l'avoir à mes côtés.

« Non, » je réponds honnêtement. « Tu me connais, je ne suis pas douée pour parler, je suis encore moins douée pour demander de l'aide. Il n'y a pas de mots pour exprimer toute ma gratitude pour votre présence. Merci. Je suis sincère. »

Il prend une grande inspiration, pose ses mains de chaque côté de mon visage et plonge son regard dans le mien. « J'ignore ce que tu traverses en ce moment. Mais Gram dit toujours la seule façon de traverser les temps difficiles c'est de les traverser, et c'est la personne la plus sage que je connaisse. »

Je souris doucement à l'évocation de sa grand-mère. Il redevient sérieux. « Quoi que tu aies besoin, je suis là, n'importe quand, n'importe où. »

J'hoche la tête doucement. « Je t'aime, » je lui confesse. « Je t'aime, » je répète. Ces mots passent rarement la barrière de mes lèvres de manière sérieuse mais chaque fois compte.

Il se penche et capture mes lèvres avec les siennes. Le baiser est long, plein de tendresse et traduit beaucoup plus de choses que nos mots ne le pourraient.

« Moi aussi, » dit-il en rompant le contact. « Moi aussi, » il répète puis m'embrasse à nouveau brièvement.

Il glisse sa main dans la mienne et entremêle nos doigts. Il nous dirige vers Nick et Warrick.

« Je me répète mais merci encore d'être là, » je déclare.

« C'est normal, » Nick me rassure avec un sourire bienveillant. « Alors comme ça t'as une famille nombreuse, hein ? »

« Oui, je suis désolée que vous ayez rencontré tout le monde dans ces circonstances. »

« Ne t'en fais pas, » répond Warrick.

« Une chose est sure cependant, notre prochain grand week-end on viendra le passer ici. Je vous apprendrais à surfer, je vous botterai les fesses au billard et tout le monde sera beaucoup plus jovial »

Nous avons une tradition, tous les trimestres on se fait un week-end de quatre jours, généralement il s'agit de camping mais il nous arrive de partir visiter les états voisins.

« Deal, » ils acceptent à l'unisson.

« Oh avant que j'oublie, » Greg plonge une main dans sa poche et en sort une enveloppe. « C'est de la part de Grissom, il a dû rester à Vegas pour garder le fort, mais il voulait vraiment être là. »

Je passe un peu de temps avec eux mais ils m'informent qu'ils doivent retourner à Vegas car ils sont en service. Je vais chercher Cath pour qu'elle puisse leur dire au revoir et la trouve dans la cuisine avec Sidney, j'ai l'impression que quelque chose l'a perturbée mais quand je lui demande elle m'affirme que tout va bien.

Catherine

Ça ne veut rien dire… ça ne veut rien dire

Je répète mentalement ce mantra encore et encore alors que Sara et Greg ne semblent pas pouvoir s'empêcher d'échanger des marques d'affection. Je sais qu'ils ont été amants ou du moins qu'ils se sont sérieusement fait la cour, je sais aussi que j'étais la seule personne à ne pas être dans la confidence, enfin il y a aussi Grissom mais bon c'est Grissom.

Pendant sa troisième année à Vegas Sara et Greg en sont venus à être intimes au sens biblique. Ça a duré au moins deux ans si je ne m'abuse et franchement si je n'avais pas été douée pour lire les signes et si je n'avais pas eu confirmation visuelle en les apercevant en train de se comporter comme des ados hormonaux lors d'une de nos nombreuses soirées je n'en aurai jamais rien su.

Personnellement j'ai été un peu vexée mais bon comme à cette époque j'étais loin de m'entendre avec Sara et que notre seule interaction amicale avait été cette bière qu'on a partagé lorsqu'on a découvert qu'Hank la trompait je ne peux pas vraiment dire que je leur en voulais de ne pas m'inclure dans leur secret.

Ils sont assez discrets mais la main de Sara apparaît comme fixée à celle de Greg avec de la glue et ils n'arrêtent pas de se regarder d'une façon… je ne sais pas mais on pourrait croire qu'ils sont seuls au monde. Si tout à l'heure ma jalousie m'a affaiblie, elle ne fait que nourrir ma colère à cet instant.

J'était là avant, ça fait six jours que je suis aux côtés de Sara, c'est moi qui devrais lui tenir la main et la rassurer…

Argh ! Je déteste penser de la sorte après tout Greg et moi ne sommes pas en compétition surtout vu les circonstances mais je n'y peux rien, ça me rends malade qu'il soit là tel un chevalier en armure comme si on avait attendu que lui.

Heureusement pour moi je fais bonne figure et surtout je n'ai pas à endurer cette torture très longtemps car les garçons sont en service et doivent donc reprendre un avion pour Vegas et enchaîner avec le boulot.

Peu de temps avant leur départ Charlie est revenu avec les cendres de leur mère. Puis à ma grande surprise tout le monde s'est rassemblé dans un coin spécifique du jardin. Sara m'explique qu'à la naissance de chacun d'entre eux leurs parents ont planté un arbre, puis ils ont planté un arbre à la mort d'Emily – c'est aussi à ce moment que j'apprends que leur père est décédé.

La fratrie Sidle ainsi que les frères de Laura creusent un trou profond puis ils dispersent une partie des cendres dans la terre avant d'y placer un jeune chêne et de reboucher le trou. Sara m'informe que le reste des cendres va repartir en Irlande avec ses oncles et qu'ils planteront à leur tour un arbre sur la propriété familial, car Laura souhaitait être retournée à sa terre natale.

Au crépuscule on décide de retourner à l'intérieur, et l'atmosphère se transforme peu à peu, plutôt que de pleurer la disparition de Laura il y a un consensus pour célébrer sa vie, aussi tout le monde relate des souvenirs et il apparaît en avoir foison.

Je sais que Laura a passé vingt ans en prison, j'assume donc tout naturellement que Sara et ses frères et sœur n'ont pas beaucoup de souvenirs, et je constate à leurs regards émerveillés qu'ils apprennent beaucoup sur leur mère ce soir.

Au final personne ne ferme l'œil de la nuit pour ne pas rompre ce moment d'unité parfaite, il y a des larmes bien sûr mais aussi beaucoup de rires, les chansons d'enfance de Laura – et aussi celles qui ont animé sa vie – résonnent dans la maison l'espace de quelques heures elle n'est pas qu'un simple souvenir, son aura, sa présence est là, on peut la sentir physiquement dans la pièce.

Vers cinq heures du matin tous les invités se rendent dans leur chambre le temps de se doucher et de se préparer pour leur vol respectif. J'accompagne tout le monde à l'aéroport afin qu'on puisse effectuer une rotation au volant.

Les au-revoir bien qu'émotionnels sont calmes et d'une grande tendresse, des promesses de se revoir bientôt sont échangées, puis vers onze heure lorsque nous revenons à la résidence Sidle un grand vide se fait sentir.

Je décide d'aller me coucher, mais je doute qu'ils suivront mon initiative.

Sara

Je suis en train de jouer au billard avec Sidney quand la porte coulisse et Catherine nous rejoint. Quand mes yeux se posent sur elle, un soupir m'échappe involontairement, ses cheveux sont encore un peu humides et ses yeux bouffis par le sommeil. Après avoir amené les différents membres de ma famille à l'aéroport ou à la gare routière Catherine est allée se coucher, c'est sans grande surprise que mes frères et moi sommes restés debouts, et avons passé notre temps dans la salle de jeux.

Les funérailles se sont bien passées, et les moments qu'on a vécus pendant la soirée ont été salutaires, quelque part ma mère était là avec nous. Ne voulant pas perdre cette illusion nous sommes restés tous ensembles dans la salle de jeux en silence.

« Catherine, » Sidney la salue avec un sourire.

« Hey. »

« Bien dormi ? » je retrouve ma voix.

« Oui, » elle répond doucement. « Merci »

« Tu veux jouer ? » je lui propose.

« Oh, est ce qu'on peut faire des équipes ? Maintenant qu'on est huit c'est parfait, » remarque Hazy.

« Qu'est ce que t'en dit ? » je demande à Catherine.

« Je suis partante. »

Je souris contente qu'elle se joigne à nous. Howard, Charlie, Russell et Rueben qui lisaient chacun dans leur coin ont mis leur livre de côté et s'approchent de la table. « Avant tout il te faut une couleur, » dis-je et soudain et d'instinct on se met tous à l'observer.

« Hmm… la verte, » dit Howie.

« La v… mais alors là pas du tout, » on commence tous à lui dire qu'il se plante. « Désolé Howie mais tu n'as vraiment pas l'œil pour ça. »

« Ok, alors laquelle selon toi. »

« La bleue ! » tout le monde répond à l'unisson.

« Oh je vois, six contre un, c'est du propre, » Howie boude.

« Est-ce que je peux savoir de quoi vous parlez ? » Catherine lève une main d'un geste timide.

En guise de réponse je me contente d'aller près du meuble vitré où sont rangées les queues de billard destinées aux invités. Je me saisis de celle dont le bas est bleu et la tends à Catherine, elle est parfaite pour sa taille comme tout le monde l'avait anticipé, sauf Howie.

Catherine fait équipe avec moi, Sidney avec Hazy, Rueben avec Howie, et Charlie avec Russell. Chaque équipe tire 4 numéros au sort, le but du jeu étant de sortir les boules des équipes adverses tout en protégeant les siennes.

Catherine est un peu gauche au début, elle n'a pas joué depuis longtemps et je pense qu'elle se sent légèrement sous pression avec l'attention de tout le monde, mais dès la deuxième partie elle trouve ses marques et fait des coups plutôt remarquables.

L'après midi défile et si ensuite on décide de jouer normalement équipe contre équipe, il y a une ambiance bon enfant.

Je suis penchée auprès de Catherine lui donnant les derniers conseils avant qu'elle ne tire le coup décisif pour notre équipe.

Catherine

Je suis à deux doigts de prouver la théorie de la combustion spontanée. Sara est pratiquement collée à moi, sa bouche près de mon oreille alors qu'elle me chuchote, non pas des mots doux, mais des instructions pour jouer notre dernière boule de billard.

« Respires, » elle me conseille. Plus facile à dire qu'à faire surtout si on considère que mon corps est en ébullition à cause de notre proximité.

J'ai l'impression de passer une épreuve de torture, je ne peux pas me tourner pour faire face à Sara de peur de l'embrasser sauvagement et je dois cacher mon trouble car tout le reste de la fratrie a les yeux rivés sur moi.

« Ok, il faut la toucher un peu à gauche, le coup doit être ferme et sec avec beaucoup de puissance pour que la blanche fasse les trois bandes sans ralentir en cours de route… »

« Je… » je m'arrête un court instant pour me ressaisir car ma voix est rauque malgré moi. « Je ne sais pas si je peux faire un coup pareil. »

Je me pince les lèvres alors qu'un frisson me parcourt l'échine lorsque je sens soudain la main de Sara au creux de mes reins. « J'ai confiance en toi, » dit elle simplement.

Je ferme les yeux alors que je la sens s'éloigner de moi. Je prends une grande inspiration et me concentre sur la boule blanche qui est au milieu de la table.

C'est la dernière partie et notre équipe est à ex-æquo avec Charlie et Rueben, le problème est – j'ai bien dû l'admettre – qu'on a tous un esprit de compétition aiguisé. Sur le terrain Sara et moi sommes le 'duo infernal', aucun mystère, aucune affaire ne nous résiste, et j'aime à croire que cette alchimie parfaite lorsqu'il s'agit de travailler côte à côte est effective même en dehors de notre job.

J'ajuste ma position près de la table et mets ma queue en position. La tension est palpable, tout le monde retient son souffle, apparemment le duo Charlie/Rueben est invaincu depuis plus de cinq ans autant dire qu'il y a beaucoup de pression sur mes épaules, si je rate c'est à leur tour de jouer et vu leur habilités respectives il n'y a aucun doute sur le fait qu'ils remporteront la partie sans effort.

La boule blanche semble bouger au ralenti, mon cœur s'emballe et je n'ose plus bouger jusqu'à ce qu'elle se connecte avec la noire, la noire se meut pile dans la bonne direction mais rebondit contre une bande, je ne comprends pas car j'ai suivi les indications de Sara à la lettre, la déception commence à m'envahir mais la noire entre à nouveau en collision avec la blanche, l'effet est immédiat la noire change de trajectoire et va se loger dans la poche que Sara et moi avions désignée personne ne réagit avant que la blanche ne stoppe sa course, une fois qu'elle est immobile au près d'une poche c'est l'explosion de joie.

J'ai à peine le temps de me retourner que Sara m'a prise dans ses bras, un petit cri m'échappe lorsqu'elle me soulève du sol. Elle me repose mais ne défait pas notre étreinte, au contraire elle me serre un peu plus contre elle.

« T'es officiellement notre nouvelle héroïne, » Sidney me félicite une fois que Sara me relâche.

C'est étrange mais c'est à ce moment précis que je me sens comme un membre de leur famille à part entière.

Le reste de l'après midi se passe dans une atmosphère légère même si je les suspecte de tout faire pour qu'il n'y ait pas de silences trop longs, seul signe qu'ils sont encore fragiles après la journée de funérailles.

Après le diner je me retrouve dans le jardin avec Sara, assises sur des balançoires on fait de gentils va et vient, profitant de l'air frais du crépuscule.

« J'ai une question, » je prends la parole sans préambule.

« Je t'écoute. »

« Pourquoi est ce que tu détruis la barrière ? »

Ses traits se durcissent quelques instants avant de se radoucir à nouveau. « Je hais cet endroit… » sa confession me surprend mais je ne dis rien, contente qu'elle me réponde. « En fait mon aversion pour ce lieu n'a d'égale que l'amour inconditionnel que je lui porte. »

Je fronce les sourcils car elle m'a perdue. Elle doit sentir que sa réponse est lacunaire aussi elle continue. « Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai voulu réduire la maison en cendres. Alors quand je suis énervée ou perturbée par quelque chose je me sers de la maison comme d'un exutoire. Je pense aussi que c'était une façon de garantir que je reviendrai ici. Je n'ai plus vraiment besoin de cette excuse mais avant c'était le cas. On nous a appris à ne jamais rien laisser d'inachevé. En détruisant la barrière je me donnais l'obligation de revenir même à contre cœur. »

Je n'ai pas toutes les pièces du puzzle, mais avec les bribes d'information que j'ai obtenues je suis convaincue qu'il s'est passé des choses plutôt détestables entre les murs de la résidence Sidle. Ces quelques phrases cryptiques qu'ils ont parfois, leur façon de me remettre au centre de l'attention lorsque que le sujet touche leur passé.

Je ne pousse pas mon interrogation plus loin de peur que Sara ne se referme. Si elle veut m'en dire plus, elle sait où me trouver.

« Je te remercie, » elle me tire de mes pensées.

« Pour quoi ? » je demande avec confusion.

« Pour hier, pour ton support cette semaine… merci d'être là. »

« Je t'en prie. Je sais qu'on a des rapports parfois conflictuels, mais tu peux compter sur moi si tu as besoin de quoi que ce soit, » lui dis-je avec sincérité.

« Ça représente beaucoup pour moi, » elle confesse.

Elle est si fragile à cet instant que j'aimerai la prendre dans mes bras pour qu'elle se sente en sécurité, pour qu'elle puisse trouver un peu de réconfort dans l'amour que je lui porte. Ma jalousie refait surface inopinément car je repense à Greg qui lui peut tout se permettre.

« Tu veux aller sur la plage ? » elle change de sujet comme à chaque fois qu'elle dévoile un peu de sa fragilité.

« Maintenant ? » il fait encore jour mais pas pour longtemps.

« Oui… enfin pourquoi pas… »

« Ok, » je souris.

xxxxx

La plage déserte quand on arrive, mais je devine facilement qu'il s'agit d'un endroit difficile à trouver, et de fait réservé et préservé par ceux ayant le privilège de le connaître le genre d'endroit trop spécial pour être partagé avec tout le monde.

Je me sens donc très privilégiée, Sara ne parle pas beaucoup mais elle me pose des questions. Je crois que c'est la première fois qu'on a ce genre de conversation, qu'elle essaie de me connaître. Ce qui est encore plus surprenant c'est que je n'ai aucune difficulté à m'ouvrir à elle.

Je sais qu'elle fait tout pour que je sois le centre de l'attention. Je sais aussi qu'elle contrôle ses émotions. Elle n'a pas encore versé une seule larme pour sa mère, et s'il y a une chose que j'ai apprise durant toutes ces années c'est que sous son extérieur froid et distant, Sara a les émotions à fleur de peau. C'est pour ça que j'essaie de l'inciter à me parler, mais comme toujours elle résiste. Je ne la pousse pas trop cela dit, la dernière chose que je veuille c'est qu'elle se referme complètement.

« C'est drôle je ne t'imaginais pas comme un garçon manqué, » dit elle avec un léger sourire.

« Hey, j'ai deux frangins, Nance et moi on a dû s'endurcir pour qu'ils nous laissent jouer avec eux. Ce n'est pas une mauvaise chose, je savais me défendre verbalement et physiquement, la seule pom-pom girl à savoir mettre des déculottés. »

« T'étais pom-pom girl ? »

« Oui, cliché, je sais, » j'hausse les épaules. « Et toi ? »

« J'aimais être invisible, » elle répond de manière cryptique, je suis sur le point d'explorer la question en profondeur quand quelque chose attire son attention. Je suis son regard et vois la silhouette d'un homme en haut d'une petite falaise donnant sur la jetée.

Je suis éberluée lorsqu'il s'élance dans le vide dans un plongeon contrôlé. Wow.

Des sueurs froides me parcourent l'échine lorsque je remarque une lueur dans les yeux de Sara. Non, elle ne pense vraiment pas faire ce que je crois. Elle me regarde avec un sourire en coin. « Non, non, non, » je proteste avant qu'elle ne parle. « Ce qui te passe par la tête en ce moment est une très mauvaise idée. »

Elle hausse les épaules son sourire toujours en place et se dirige vers la falaise, je la suis immédiatement. Une fois sur place elle se penche comme pour évaluer la hauteur de la chute.

« J'aimerai souligner à nouveau que c'est une mauvaise idée, et que tu risques de te briser le cou et… » j'argumente rapidement. « Sara ? Tu m'écoutes ? »

Elle hoche la tête et mon grand soulagement recule du bord de la falaise. Je suis sur le point de lui demander quelque chose lorsqu'elle s'élance dans les airs. Un cri d'effroi m'échappe alors qu'un violent frisson me traverse l'échine avant que son corps ne se connecte avec la surface de l'eau et qu'elle ne disparaisse de mon champ de vision.

Je la cherche du regard de manière frénétique mais elle ne remonte toujours pas à la surface pour ce qui semble être une éternité. « Putain de merde… » je jure entre mes dents, prends une inspiration et m'élance dans le vide avant de trop réfléchir.

L'impact est beaucoup moins violent que je ne l'avais anticipé. Je suis comme happée vers le fond pendant quelques secondes avant de pouvoir nager en direction de la surface. Je me rassasie goulument d'oxygène tout en essayant de m'ajuster à la température glaciale de l'eau. « Sara ?! Sara ?! » je la cherche du regard avec urgence.

« Waouh ! Quel rush pas vrai ? » je tourne la tête et Sara est là un sourire béat sur les lèvres.

Elle n'a pas tort c'était un vrai rush d'adrénaline, la dernière fois que j'ai ressenti une telle sensation c'était avec l'aide de la coke. Mais pour le moment l'émotion qui me domine est une peur viscérale car j'ai cru l'avoir perdue pendant un instant, j'ai eu peur pour sa vie.

Je lui balance de l'eau à la figure dans une colère silencieuse et commence à nager vers la plage sans plus tarder.

Une fois que je sors de l'eau je marche sans trop savoir où, je sais juste que je n'ai pas envie de me battre avec elle. Je comprends qu'elle soit dans une mauvaise phase et je peux même comprendre que ça fasse ressortir son côté casse-cou seulement je lui en veux de prendre des risques inconsidérés en ma présence.

« Hey, Cath, attends ! » je l'entends m'appeler mais je ne ralentis pas.

Je sais qu'il faut que je me calme. J'aimerai tellement qu'elle me parle, qu'elle se repose sur moi au lieu de se renfermer sur elle-même et d'avoir une attitude aussi inconsciente.

« Cath s'il te plait, » la supplique dans sa voix pénètre le voile de ma colère et je consens enfin à m'arrêter, mais je ne me retourne pas pour lui faire face.

Elle se met devant moi et me scrute longuement. « Parles-moi, s'il te plait,» elle demande gentiment.

« Je n'ai pas trouvé ça drôle. Je ne suis pas contre un peu d'adrénaline mais là c'était stupide. T'aurais pu te tuer, tu m'as foutu les jetons ! » je confesse la dernière partie dans un murmure.

Elle me regarde un peu perdue puis me fait grâce d'avoir l'air contrite. « Je te demande pardon, je n'ai pas réfléchi. T'as raison, c'était stupide, excuses moi. »

Je soupire en esquissant un sourire pour la rassurer sur le fait que tout va bien. « J'ai vraiment eu peur, c'est tout. »

« Tu veux renter ? »

« Oui, je ne suis pas contre des vêtements secs. »

On commence à reprendre le chemin de sa maison en silence. « Je n'arrive pas à croire que tu m'aies faite plonger d'une falaise, » je pense à haute voix. « Je sais que j'ai paniqué il y a quelques instants mais je crois que je serai prête à remettre ça une autre fois. »

Sara rit doucement, et je suis contente car je voulais vraiment dissiper la tension entre nous. Je me laisse aller à lui prendre la main en croisant nos doigts. Elle se laisse faire et ne rejette pas le contact, lorsqu'elle resserre doucement l'étreinte mon cœur s'affole brièvement et le papillon au creux de mon estomac s'éveille.


Le poème que Sara récite est un arrangement du poème d'e.e. cummings 'Je porte ton cœur [je le porte dans mon cœur]