JANVIER
Poudlard, Dimanche 18 janvier 1998
Je suis revenu.
Une parenthèse de plus de deux mois - si loin du calme et de la régularité de Poudlard.
Le château n'a pas changé - ni ses fières tours, ni ses insupportables courants d'air; ni ses passages secrets, ni ses imposantes grandes salles. Même les élèves sont les mêmes.
Est-ce comme si je n'étais jamais parti ?
Je ne suis pas assez naïf pour le croire.
Il y avait de la poussière sur ce vieux journal que je traîne depuis un nombre d'années absolument déraisonnable quand je l'ai sorti. Même au fond de sa cachette, dans le double tiroir de droite de mon bureau personnel, il a pris de la poussière. Il a eu le temps de le faire.
Je ne l'ai pas emmené en Bulgarie, à ce séminaire de recherche auquel Dariusz Brytan m'avait invité pour présenter mes travaux sur l'accompagnement des cycles lycanthropes par les potions. J'ai gardé pour moi mes rencontres, mes réflexions et mes doutes pendant toutes ces semaines, ces nuits sans sommeils, ces journées froides. Je n'avais pas le choix bien sûr - déjà que j'allais en terrain ennemi, presque contre mon gré et sans filet ! - mais j'ai pu me rendre compte d'à quel point mon journal m'aidait le reste du temps.
Quelle pitié quelque part.
La froide logique voudrait pourtant que je le balance - que je le brûle, page après page et que j'en disperse les cendres. Qu'est-ce que pourrait faire quelqu'un de mal intentionné de tout ce que j'ai livré ici au cours des années ? La liste est trop longue pour gâcher de l'encre à l'écrire.
Pourtant à chaque fois que cette envie m'a traversée, et il suffirait de tourner les pages pour le vérifier, j'ai trouvé des raisons de le garder. Je me suis justifié à moi même cette gaminerie. Non, ce n'était pas pour la postérité comme Jedusor... Non, ce n'était pas un péché d'orgueil... encore moins du sentimentalisme de bas étage. C'était juste le besoin de froidement analyser les choses, de les objectiver, comme on fait un devoir. De faire de son mieux, quelque part, même si je déteste ce que ça dit sur mon besoin inassouvi de reconnaissance. Ne suis-je pas pas pitoyable ?
Mais si on en reste à l'idée de l'outil d'analyse, de l'instrument, ce journal a sa valeur, qui dépasse les risques qu'il pourrait représenter tant que je fais de mon mieux - une fois de plus - pour qu'il reste entre des mains bienveillantes. J'ai fait coucher dans mon testament que je donnais ce journal à Remus. Je l'ai même enchanté en ce sens profitant des cheveux et du sang qu'il me donne sans arrières pensées avant chaque pleine lune. S'il décède avant moi, qu'on le brûle en même temps que mon corps. Rien d'autre n'a de sens.
Je ne vais pas essayer maintenant, dans la chaleur rassurante de mon bureau et le calme de la fin de soirée, de reconstituer mes angoisses, mes pensées ou même simplement les évènements qui ont eu lieu en Bulgarie. Vues les circonstances présentes, il est même possible que ça soit un risque de le faire. Mais comme je l'ai déjà écrit ce soir, tracer ces mots sur le parchemin m'aide à forger ma résolution, à affronter mes doutes et à me préparer à la tâche qui reste la mienne.
Ma mission ne s'achève pas avec la Bulgarie, loin de là. J'ai même l'impression qu'elle commence. Le peu que j'ai entrevu dans l'esprit de Nadedja, la malheureuse mère naturelle de Nero Malefoy, suffit à envisager le pire et à savoir que même ce pire est sans doute une estimation optimiste de ce qui nous menace.
Quand Lucius était mon ami, la complexité de sa pensée, les détours qu'il était capable de faire pour obtenir ce qu'il désirait, me ravissait et m'inspirait. Je n'en rougis toujours pas aujourd'hui. Admirer une oeuvre complexe est naturel. Un poison subtil et indécelable est une belle création humaine - le cadavre est souvent assez laid, malheureusement.
Admirer n'empêche pas de craindre, de se défier - c'est ce que beaucoup de gens n'arriveront jamais à comprendre ; n'en déplaise à Lupin ou à Albus qui croient qu'avec du temps et une bonne pédagogie tout le monde pourrait penser comme eux, accepter la complexité du monde et y répondre avec intelligence. Que la vie ne cesse de leur montrer leur erreur ne les décourage pas ; avec le temps, ils s'y attendent plus ou moins, je crois, mais ils persistent à essayer. Une infime victoire leur suffit pour continuer.
Je les envie. Je les déteste de me rendre envieux. Mais je dois être lucide, qu'ils fassent depuis tant d'années l'effort d'essayer de me convertir à leurs vues me ravit. Je ne sais pas exactement pourquoi. Suis-je content de leur donner tort ? De leur donner du fil à retordre ? D'être leur éternel cancre rétif ? Suis-je malgré tout fier qu'ils me jugent digne de cet effort ?
Ce serait vrai s'ils ne le faisaient pas pour tant de gens indignes d'eux !
Suis-je digne d'eux ?
Ah.
Brûler ce journal, arrêter de faire l'enfant, pourquoi n'ai-je pas ce courage ?
Que je comprenne ou non leurs raisons, je connais Lucius mieux qu'eux et je dois me faire entendre. Il a un plan. Quelque chose d'une ampleur telle que le Seigneur des Ténèbres lui-même aurait peut-être été impressionné. Lucius a été l'une des seules personnes capables d'étonner Jedusor par l'ambition et la minutie de ses plans.
Tout montre qu'ici encore peu de détails ont été laissés de côté. Ses fils - naturels ou non, biologiques ou non - ne seraient pas ici à Poudlard, sous notre nez, s'il n'était pas convaincu qu'aucun grain de sable ne pouvait plus arrêter sa machine. Surtout ce petit Nero avec son esprit vide et son enfance monstrueuse. Et sa gueule de Black - comme si les caractéristiques précédentes ne suffisaient pas à donner l'envie de le brûler sur place !
Remus dit que je me laisse impressionner, que je dois me déplacer mentalement, pour voir au contraire les failles du plan - Tout plan a ses failles, il l'a répété au moins dix fois ce soir. Ça tenait de ce que mon moldu de père appelait la méthode Coué, mais je n'ai pas eu la cruauté de lui faire savoir. Reste que je veux bien essayer de chercher les éventuelles failles - parce que attendre la fin du plan de Lucius n'est pas une option. Sur cela au moins nous sommes d'accord.
Demain, je dois rencontrer chez Albus son médecin personnel - une certaine Susan Smiley. Remus m'a dit qu'elle avait été une de celle qui avait effectué l'expertise médicale quand Arthur avait arraché Harry aux mains amères de Pétunia ; qu'elle avait étudié la psychologie et la psychiatrie moldue en plus de la médecine magique. J'imagine que ce sont des points en sa faveur.
Je vais arrêter là pour ce soir. Avant ce rendez-vous, je veux commencer à relire ce que Remus a fait avec mes élèves pendant mon absence. J'imagine qu'il a plus ou moins suivi mes plans de cours, mais ce sont les détails qui m'intéressent. Il m'a dit que Cyrus avait découvert son Patronus, un loup, et l'avait accepté. Je dois avouer qu'au début de l'année, je m'étais dit que j'allais sans doute voir au milieu de ma classe de 6e année s'envoler un milan argenté. Presque j'étais content d'être absent pour ce non-évènement.
J'hésite avant de l'écrire mais peut-être que Remus lira ces lignes un jour. Il se posera la question et il mérite la réponse - s'il l'a oubliée. Sirius s'est tellement moqué de ma biche en son temps - "Servilus aurait-il donc un coeur ?" Il n'y avait qu'un Black pour en douter sans doute. Ou un Potter. Le Severus qui apprenait à produire un patronus en sixième année avait encore un coeur bien trop tendre pour la vie telle qu'elle est. Il croyait encore qu'il pourrait ramener Lily à lui, qu'elle ne pouvait pas oublier ce qu'ils avaient déjà vécu ensemble pour les cheveux ébouriffés d'un héritier de riche famille sorcière qui n'hésitait pas à jeter sa bonne fortune à la face de moins chanceux que lui. Ce Severus-là croyait encore qu'il aurait sa revanche, une vie d'honneur et de facilités. Le Severus d'aujourd'hui a appris la valeur d'avoir des rêves raisonnables. Il se contente sans regret de seconds rôles utiles et d'un confort simple. Il regrette Lily - oui, Remus, il regrette Lily.
Toi, tu as eu la chance de fonder une famille, de vivre finalement une vie au-dessus de tes rêves d'adolescent. Je ne dis pas que tu ne l'as pas méritée ni qu'elle est toujours facile mais je te l'envie. Je suis sans doute incapable d'autant de constructions positives. Je ne crois plus assez au bonheur pour être capable de le susciter ou de le vivre. J'ai trop détruit, trop souffert. Mon équilibre est plus bas, plus instable. Et le savoir est ma sécurité. Mais tu as réussi ça, Remus, tu as réussi à représenter pour Cyrus l'ultime sécurité. Dans tes moments de doute, rappelle-t-en. S'il nous fallait une raison de nous battre pour que Lucius ne réussisse pas dans ses projets, pour nous permettre d'affirmer que nos réalisations valent plus que ses rêves de malades, la voilà.
oo
Poudlard - Lundi 19 janvier.
Ma deuxième journée en Angleterre a été épuisante.
Est-ce parce que je ne les ai tous pas vus depuis des semaines que je me suis si facilement laisser prendre à leurs toiles d'araignées, à leurs sentiments sirupeux et presque obscènes ?
Ça a commencé dès ma visite à Albus. Il m'a reçu tout de suite comme s'il m'attendait, m'a fait de nouveau raconter la Bulgarie, comme s'il n'avait pas déjà eu mille compte-rendus, comme si je n'avais pas déployé tant d'efforts pour que Harry lui ramène des informations de premières mains - les rares souvenirs non altérés de Nadedja sur l'enfance de Nero. Je me suis néanmoins exécuté avec sobriété mais j'aurais mieux fait d'être plus distant encore.
"Comment allez-vous Severus ?", a-t-il eu le culot de me demander ensuite - comme si c'était la question la plus importante.
"Très bien, Albus, ce n'est pas pour moi que je viens consulter votre médecin", je lui ai aimablement répondu.
Ça l'a fait sourire. Ce sourire paternel et complaisant qu'il a pour les gamins de Remus. Oui, celui-là.
"Vous avez une autre mission à me confier ?", je me suis donc enquis. Je ne suis plus un gamin - il faudrait qu'il se le dise. Même plus ce jeune homme déboussolé qu'il a effectivement un jour sauvé de lui-même. Je crois que j'ai gagné le droit de me regarder dans une glace sans détourner les yeux - et donc d'échapper à sa condescendance paternaliste.
"Severus, vous n'allez pas me croire ; vous refusez de me croire depuis trop d'années pour que ça change, mais j'ai plus que de l'estime pour vous", il a même cru bon de préciser.
"La mission va être colossale", je n'ai pas cherché à cacher le fond de ma pensée.
"Ce que vous avez déjà accompli est colossal, Severus."
"Il reste beaucoup à faire", je l'ai détrompé. Ça ne servait donc à rien que je lui ai répété que Nero était une construction monstrueuse que les Malefoy avaient quasi ouvertement créée de toutes pièces pour prendre la place du Seigneur des Ténèbres ?
"Le mystère de ce petit Nero n'est pas élucidé, je vous l'accorde. Mais le peu que nous savons, nous vous le devons : l'étrange texture de sa psychée ; sa conception et sa naissance; son enfance hors du commun... Mais vous avez accompli plus que cela, Severus. Vous avez... pardonné... vous vous êtes ouvert et ça..."
"Merlin, Albus, épargnez-moi vos sentimentaleries !", j'ai malheureusement explosé. Je sais pourtant que ça lui donne l'impression qu'il a touché une corde sensible quand je cherche juste à couper court à tout ce temps perdu en vain - ont-ils donc plus de temps que moi qu'ils le gaspillent ainsi ?
"C'est le luxe des vieux hommes", il m'a opposé en se levant avec des gestes lents et pesants, comme s'il était important de souligner son âge. "Je n'insiste pas - vous n'êtes pas venu là pour cela..."
"Effectivement", je l'ai félicité sobrement, et il a soupiré en appelant son secrétaire. "Introduisez le docteur Smiley dès son arrivée."
Comme le pauvre garçon lui a dit qu'elle était déjà là, il l'a presque houspillé de ne pas l'avoir prévenu. Je l'avais visiblement profondément agacé pour qu'il s'en prenne aux autres comme cela. Dans le silence qui a suivi, je me suis demandé si Remus aurait mieux géré la situation que moi. Je l'ai déjà vu rabrouer Albus au moins aussi vertement. Pourtant j'ai l'impression que jamais leur affrontement aurait débordé sur les autres. Il y a là quelque chose à creuser. Si nous avons le temps. Si nous survivons au plan de Lucius.
Que dire de cette fameuse Susan Smiley qui est arrivée tout de suite après ? Elle me semble effectivement compétente dans son champ. Les questions médicales qu'elle m'a posées - qu'elles soient magiques ou non - n'étaient pas ridicules ou simplistes. Elle a construit patiemment un diagnostic à distance - l'âge de la malade, sa vie, son état, la durée de son enfermement, le traitement moldu, les hypothèses magiques, mes actions. Rien n'a paru la choquer. Elle a froidement pris des notes serrées dans un carnet rouge à spirale et continué à dérouler le fil de ses questions sans m'assommer par ses réflexions. Et surtout, surtout, elle ne m'a pas stupidement demandé comment je me sentais, comme si j'étais un enfant témoin de sa première injustice.
Elle a ensuite demandé à voir mes souvenirs de mes rencontres avec Nadedja - ce qui m'a semblé pertinent. Les paroles sont une interprétation, par nature une distorsion supplémentaire à toute expérience. J'ai un moment hésité à les expurger - je l'ai fait pour Harry après tout, mais elle était là pour une expertise.
Albus m'a paru plus secoué qu'elle à la fin de la présentation des épreuves déjà vécues par Nadedja - sa manipulation par les Malfoy, sa joie à la naissance de Nero, ses craintes si justifiées face au rythme de sa croissance ; son inquiétude pour lui comme un îlot de santé mentale dans un esprit totalement désorganisé. Comme si la répétition des choses les rendait moins supportables - moi, je ne trouve pas que ça change quoi que ce soit. Le docteur Smiley a couvert plusieurs autres pages de son carnet rouge avant de reprendre la parole.
"La modification de sa mémoire est évidente, mais des îlots ont subsisté - ses sentiments pour cet enfant..."
"Son enfant", a souligné Albus avec une émotion patente. Peut-être est-ce finalement le grand âge qui le rend comme cela.
"Son enfant", a admis cette Susan avec l'air de ne pas y attacher tellement d'importance. "Ses sentiments ont protégé ses souvenirs."
"Je l'ai senti", j'ai indiqué.
"De manière évidente", m'a affirmé la doctoresse avec une expression plus amusée qu'autre chose.
Je me suis demandée dans quelle maison elle avait été à Poudlard. Elle ne semble avoir peur de la vérité - c'est rare même chez les soi-disant courageux Gryffondors.
La conversation a ensuite tourné sur le "petit Nero" comme l'appelle Albus. De nouveau Susan m'a interrogé sur lui. Elle a voulu voir mon souvenir de mon exploration de son esprit et a une nouvelle fois confirmé toutes mes impressions. Un esprit aussi lisse, aussi vide, n'est pas entièrement "normal".
"La santé mentale demande des zones d'ombre", elle a dit. (J'y ai repensé plus tard dans la soirée quand les Lupin se sont entre-déchirés. Mais je vais y revenir).
Elle aurait aimé pouvoir le voir elle-même, mais Albus a prétendu qu'il fallait le feu vert de Remus pour approche aussi directe. Autant dire que ça n'aura pas lieu. Surtout après ce soir.
Lupin est paniqué par la réaction de Cyrus, par sa curiosité pour Nero. Je ne suis pas un parent mais, franchement, comment le même homme peut le laisser si souvent faire des bêtises incroyables et être aussi intransigeant pour refuser une curiosité qui me paraît naturelle ? De quoi a-t-il peur ? Que Sirius écrase à jamais Cyrus ? Est-ce que le patronus n'est pas indication assez récente et suffisante ? C'est fou ce que Lupin peut douter de lui. Parfois, je me dis que c'est une force, mais là je suis quasiment convaincu que c'est une bêtise.
Je crois que même Harry pense comme moi ; ça fait longtemps que je le sais moins sage que Remus et Nymphadora veulent le croire. Qu'il abandonne la belle couverture qu'il s'est construite pendant de si longues années pour essayer de les convaincre de leurs erreurs est en ce sens révélateur. Pour paraphraser Susan, ces "zones d'ombre" ont sans doute protégé sa santé mentale dans un château où il est à la fois le survivant et le fils du directeur.
Les jeunes Lupin ne voient pas d'autre réelle piste que la seule source de toute cette affaire, c'est-à -dire Nero. Je ne dis pas qu'il faut lui faire confiance à ce môme, mais après avoir rencontré Nadedja, je ne peux que me demander s'il n'a pas autant d'îlots de résistance que sa mère biologique.
Suis-je capable de faire passer ça à Remus ? En ai-je le culot ? Quelles questions détestables.
ooo
Poudlard, 20 janvier
Comme j'aurais pu le parier, Cyrus s'est excusé de s'être emporté devant moi avec ses parents. Il l'a même fait plus vite que prévu - dès que je l'ai revu en classe - peut-être parce qu'il n'avait pas entièrement fait ses devoirs. Il semble qu'avoir eu son père en face de lui pendant deux mois n'a pas entièrement réveillé son envie de travailler. Si je dis ça à Remus, il va cesser de dormir, le pauvre. J'aurais dû me montrer inflexible et refuser le mélange des genres, mais en même temps j'étais trop curieux d'avoir quelques idées sur les suites familiales de cette explosion. Décidément, Remus serait atterré.
S'est-il vraiment excusé, Cyrus ? Non, il a postulé à haute voix que j'avais dû détester être témoin de tout ça. Une espèce de fausse connivence que je n'ai pas directement commentée..
La vérité est que ce n'est ni entièrement vrai ni entièrement faux. Je ne comprends pas l'énergie que les Lupin mettent à se disputer alors qu'ils se réconcilient généralement assez vite. Les disputes dans la maison de mes parents étaient à la fois plus dangereuses et plus longues. Je ne connais pas de conflits humains qui mènent à une réconciliation. Même avec Lily - la première et quasiment la seule personne qui m'ait offerte une relation normale.
Mes disputes avec Lupin n'ont jamais demandé de réelles réconciliations. Un chef n'a pas à s'expliquer de toutes ses décisions auprès de son subordonné. L'actuel directeur de Poudlard le fait d'ailleurs sans doute plus que je ne suis en droit de le demander.
Plus j'y pense et plus j'ai l'impression que, là comme ailleurs, ce qui nous différencie, les Lupin et moi, c'est leur optimisme - ils pensent que les choses peuvent changer ; qu'ils peuvent les changer. Moi, je suis bien plus pessimiste finalement. Je ne crois pas qu'il y ait tant de marges à l'amélioration des relations avec les autres.
Tiens, je suis sûr que ça attristerait Remus de lire ça.
Une triste vérité n'est pourtant pas plus fausse que les autres.
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Poudlard, mercredi 21 janvier
Les excuses de Harry à la fin de mon cours étaient plus orthodoxes que celle de son frère. Mais sans plus de surprise. Harry, comme son frère, a intégré la maxime de Remus qui dit que s'excuser est une force et non une faiblesse. C'est une maxime dont j'ai fini par comprendre la logique même si je me demande si elle est vraiment universelle. Est-ce que s'excuser est une force dans tous les cas ? Si je m'excusais auprès de Lucius d'être en train d'essayer de foutre en l'air ce sur quoi il bosse depuis dix ans, serai-je plus fort que lui ?
D'ailleurs, Harry se demandait s'il devait s'excuser auprès de sa mère adoptive. Et je lui ai dit qu'elle l'espérait. Est-ce que je lui conseillais ainsi d'affirmer qu'il se sentait (une nouvelle fois) plus fort qu'elle ? Tout ça n'est pas tellement de sens.
Par contre, j'ai été responsable - ou adulte par statut de complice de ses parents - et je ne lui ai pas dit combien j'avais aimé qu'il ait récupéré la cape à la fin de son grand numéro. J'aime penser que je suis plus ou moins l'inspirateur d'une décision aussi rationnelle. Mais si cédant à ses impulsions naturelles, il venait un jour à utiliser cela comme un argument contre Remus et Nymphadora, les répercussions seraient pour le moins désagréables. Ces deux-là ne sont pas capables d'autant de rationalité, je pense.
J'aurais aussi pu lui confier que si Remus regardait la carte que Cyrus lui avait laissé à la fin de leur belle dispute ; il n'y voyait toujours pas ce que lui et son frère insinuent qu'il devrait y voir. Je ne sais pas pourquoi je ne le fais pas alors que Harry m'a si instamment répété qu'il voulait modifier la vision de ses parents à la fois des enjeux et des processus à l'oeuvre. Peut-être que je le prends malgré tout encore pour un enfant.
Je me suis dit ça en observant Drago puis Nero. Avec tout ce que je sais maintenant, est-ce que je peux encore les regarder comme des enfants, des innocents potentiels, peut-être manipulés à leur insu par leurs parents ? Le jeune âge de Nero, l'amour que Nadedja ressent encore pour lui devrait m'y pousser, non ? Reste le caractère lisse de cet esprit - je n'arrive pas à le trouver innocent ou aimable, c'est un fait.
Et Drago ? Quand je vois ses yeux gris, je revois tellement de gens. Je vois sa mère Narcissa mais aussi sa tante Bellatrix. Deux femmes qui j'ai cru devoir admirer avant de me mettre à les craindre. Leur folie a toujours été là, tapie dans leurs yeux. Je vois Cyrus Lupin, dont les yeux gris peuvent aussi être si chaleureux. Je revois aussi Sirius Black, comment il cachait ses doutes derrières son arrogance. Je vois surtout Sirius en Drago en fait.
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Poudlard Samedi 24 janvier
Arriverai-je à dormir cette nuit ? Y arriverai-je alors qu'une nouvelle couche de complexité et de paranoïa vient de s'ajouter à toutes les autres ?
J'ai toujours su que Dariusz Brytan me surveillait durant mon séjour en Bulgarie - après tout c'est lui qui m'a invité à ce séminaire et l'animait. Mais je viens de me rendre compte qu'il se fait aider jusqu'à Poudlard par cette médiocre Mélia Ash. Je suis moins surpris par l'implication de son amie française, Mélanie Dupeau ; je l'avais compris là-bas. Mais Ash...
Dire que j'ai soutenu sa candidature !
Ça fait des mois que je rage un peu de sentir combien elle bride l'imagination de ceux qui gardent la spécialité après les BUSES - c'est le moment où jamais de sortir des livres, de mesurer ce qu'ils ont dans le ventre. Et elle, elle ne veut même pas entendre parler des procédures qui ne sont pas dans son livre, même quand elles sont communément utilisées par les maîtres des potions indépendants.
Mais je m'égare, la question est aussi la sécurité ; pas la mienne, mais la nôtre. Oui, j'inclus les Lupin dans cette aventure. Si Brytan est de mèche avec Malefoy, tout ça ne peut pas avoir que des implications pour moi.
Et il faudrait que je dorme !
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Poudlard lundi 26 janvier
Je me relève pour écrire mon journal. Mes doigts sont un peu gourds. J'ai du mal à tenir ma plume. Il y a aussi un peu de fébrilité, je crois, ma tête est en ébullition, elle.
D'habitude, j'écris mon journal avant de me coucher. Mais ce soir j'avais tellement de copies à corriger que j'ai pensé m'en affranchir, pour une fois. Sauf que je ne dors pas. Rien à faire. Je ressasse ma conversation de cet après-midi avec Lupin.
Il pense que le fait que Ash devienne agressive est la preuve que Brytan me pense dangereux.
Il semble croire que c'est une bonne nouvelle ; que si ça bouge, si on dérange, on doit avoir raison - presque malgré nous.
Sur le coup, dans son bureau, je me suis laissé rassurer comme un enfant. Mais, dans mon lit, sa position a perdu toute sa logique.
Si Brytan me croyait dangereux, prendrait-il le risque d'envoyer une idiote comme Ash me faire savoir que je suis soupçonné ? Je crois plutôt qu'il veut me faire savoir qu'il me pense incapable de l'arrêter avec le peu que je sais, que je crois savoir, que j'ai si péniblement arraché à la cervelle mitée de cette pauvre Nadedja.
S'il est bien derrière tout ça... Je n'en suis pas sûr.
C'est peut-être la futile et française Mélanie Dupeau qui fait encore du zèle pour plaire à Dariusz Brytan et embarque cette pauvre Ash dans sa futile quête d'influence. C'est peut-être Malefoy qui veut nous faire croire que nous tenons une piste qui n'en est pas une.
Où est le faux ? Où est le vrai ?
Toutes ces questions sans réponse me rendent fou.
Les écrire n'aide finalement pas plus que de les contempler dans le noir.
Je vais aller au labo travailler, je ne vois que ça .
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Note de l'auteur : je ne peux poster le journal de Severus avant qu'il l'ait écrit. Donc, merci à ma boule de cristal, la prochaine parution sera le 27 février.
Au départ, il y a le défi de LN - "comment ça a commencé Severus et Susan ?". J'ai mis du temps à trouver comment répondre à la question, aucune piste ne me convainquant - ça ne pouvait être une comédie, pour moi. On parle de Severus ! Bref. Le journal m'a pris un beau jour, il y a quelques mois... Moi, ça m'a convaincu comme la façon de répondre au défi.
J'ai essayé de ne pas re-raconter Un supplément d'âme, tout en rappelant quand même suffisamment choses pour que vous vous sentiez obligés de relire. Comme la narration est très différente, c'est difficile à borner précisément mais le mois de janvier raconté ici du point de vue hautement partial de Severus couvre plus ou moins du chapitre 30 au chapitre 35.