Alors qu'Hermione faisait sa ronde, elle vit apparaître une silhouette masculine encapuchonnée au détour d'un couloir et se dissimula aussitôt dans un recoin pour l'observer, baguette à la main. Sans voir la jeune femme, Snape surgit tout à coup de nulle part. Il fondit sur l'inconnu, l'empoigna par le col et le plaqua contre le mur le plus proche. Loin de se démonter, l'autre se mit à ricaner sans essayer de se débattre, se contentant de faire reposer ses poignets sur ceux de son assaillant.

— Sympa l'accueil, je reviendrai.

— Tu mériterais que je te renvoie impasse du Tisseur.

— J'avais besoin de sortir un peu, d'accord ? Il n'y a pas de quoi en faire un drame.

— Dois-je te rappeler que je t'avais formellement interdit de mettre un pied dehors sans moi ?!

— Un pied. Pas deux. Et combien j'en ai mis ? Deux. Donc techniquement, je ne t'ai pas désobéi.

— Change tout de suite de ton ou sinon…

— Sinon quoi ? Tu vas retirer des points à ma maison ?

D'où elle se trouvait, l'enseignante put nettement entendre son compagnon inspirer puis expirer, ce qui ne présageait rien de bon pour sa future victime. Laquelle éclata pourtant d'un rire malveillant.

— Ça marche peut-être avec tes cornichons mais ça prend pas avec moi. Essaye autre chose.

— Quelqu'un va finir par nous voir si on reste ici donc on va régler ça ailleurs, viens.

Snape agrippa l'autre par sa robe de sorcier et le traîna de force à sa suite alors qu'il prenait la direction d'un escalier en grommelant des menaces entre les dents. La sorcière attendit qu'ils se soient suffisamment éloignés pour sortir de sa cachette et se rendre tranquillement aux appartements de son meilleur ami et de sa compagne.

— T'en fais une tête ! s'exclama Ginny dès son entrée dans le salon du couple.

Presque aussitôt, Harry passa la tête à travers l'entrebaillement d'une porte.

— T'as eu un problème pendant ta ronde ?

— Non, non, les rassura-t-elle, touchée par leur sollicitude. J'ai juste assisté à une scène curieuse.

— Raconte ! lancèrent ses deux amis d'une même voix impatiente en allant s'asseoir l'un près de l'autre sur le canapé près de la cheminée.

Elle s'installa dans le fauteuil placé à proximité et leur rapporta ce qu'elle avait vu plus tôt.

— Et ils se tutoyaient ? fit Ginny, le front plissé par l'incrédulité.

— Il ne doit pas y avoir beaucoup de monde qui ose le tutoyer, ajouta Harry en se grattant le crâne.

— En tout cas, si cet on-ne-sait-pas-qui est capable de désobéir à un ordre du redouté et redoutable directeur-adjoint et de survivre, j'ai bien envie qu'on fasse sa connaissance ! reprit sa compagne avec enthousiasme.

Pensive, la professeur en défense contre les forces du mal fit un vague signe de la main.

— Je ne sais pas si ce sera possible…

— NON ! Ce n'est pas possible ! s'écria Snape en faisant les cent pas dans le bureau directorial. Les yeux levés derrière ses lunettes en demi-lune, le précédent locataire le regarda faire sans broncher. Puis il piocha un bonbon au citron dans la coupelle reproduite sur sa toile. Juste au moment où l'originale vola à travers la pièce, projetée par un geste rageur de son ancien collègue. Ni la violence de cet acte ni le bruit de verre cassé ne le détourna cependant de sa minutieuse activité d'arrachage d'emballage. Assise à son bureau, McGonagall avait suivi des yeux tout le trajet de l'objet mais ne fit aucun commentaire, se contenant de se pincer les lèvres et d'afficher son habituel air dur.

— Severus… souffla Dumbledore après avoir fourré la confiserie dans sa bouche. Je trouve que tu dramatises un peu.

— Je « dramatise » ? s'étrangla le sorcier en s'agitant de plus belle. C'est la meilleure, celle-là ! Et moi qui pensais pourtant les avoir toutes entendues…

— Il y a une certaine ressemblance, c'est vrai, intervint McGonagall. Mais franchement, qui ira faire le rapprochement ?

— Personne n'aura à le faire puisqu'il révélera la vérité à la première occasion, juste pour le plaisir de me faire enrager, vous verrez ! C'est un immonde provocateur inconséquent. Presque un… « Potter ».

Après avoir refusé une bonne dizaine de fois de le faire, Snape consentit finalement à s'asseoir et se laissa lourdement tomber sur la chaise faisant face au tableau de Dumbledore.

— Mets-toi à sa place : c'est un adolescent particulièrement remuant qui a besoin de s'activer et il passe le plus clair de son temps enfermé avec toi…

— Si je comprends bien, non seulement vous le défendez mais en plus, vous rejetez la faute sur moi !

— Ne sois pas aussi simpliste, tu veux ? Ce qu'Albus veut dire, c'est qu'en lui interdisant de sortir, tu le pousses dehors. Tu devrais peut-être lui attribuer une fonction à l'école… je ne sais pas… il pourrait assister un enseignant, par exemple.

— Pourquoi pas Hermione ?

— NON MAIS ÇA NE VA PAS BIEN VOUS DEUX ?! LES IDEES SENILES SONT COMPRISES DANS LE POSTE DE DIRECTEUR OU QUOI ?

L'adjoint bondit de sa chaise et quitta le bureau, claquant la porte derrière lui.

Après avoir surpris son père en train de traîner quelqu'un dans les cachots, Evelyn n'avait pas hésité à fausser compagnie à l'elfe chargé de la reconduire aux appartements de ses parents et s'était faufilée à l'intérieur du laboratoire paternel. Assise à côté de la paillasse à laquelle il travaillait à la confection d'une potion, elle observait attentivement le visage de l'inconnu.

— Tes parents t'ont jamais dit que c'était impoli de fixer les gens ?

— Un quoi ?

L'adolescent tourna la tête vers elle et arqua un sourcil suspicieux.

— N'essaie pas de te faire passer pour une idiote, c'est pas crédible sachant le père que t'as.

— Et t'en sais quelque chose... murmura-t-elle juste assez fort pour être audible tout en baissant les yeux sur le balancement de ses jambes dans le vide.

Lorsqu'elle releva le regard, elle vit que le sorcier avait repris ses activités. Mais s'aperçut également qu'il paraissaît être moins concentré qu'il ne l'avait été jusque là.

— Il est comment ? Est-ce qu'il boît ? Est-ce qu'il vous frappe, ta mère et toi ? souffla-t-il en fixant son attention sur sa découpe d'un ingrédient.

Décontenancée par l'absurdité de ses questions, elle secoua la tête négativement plusieurs fois.

— Papa ne ferait jamais ce que tu dis ! s'indigna-t-elle.

A la fois amusé et soulagé par sa réaction, il se retourna pour s'adosser au plan de travail et posa les yeux sur elle, qui ne semblait pas se remettre du choc.

— Pourquoi tu m'as demandé ça ?

— Je n'ai pas eu un père exemplaire donc pour moi, il y a un gros risque qu'il soit pareil que le mien.

Evelyn se pencha sur le côté pour appuyer sa joue contre son épaule et, ignorant sa crispation, entoura son cou de ses bras. Puis il posa une main hésitante sur celui qui reposait contre son torse.

— Tu feras un bon papa, lui chuchota-t-elle. Mais ce serait mieux si tu me laissais lire plus tard le soir.

La porte du laboratoire s'ouvrit à la volée, les faisant sursauter et rompre brusquement leur étreinte.

— Dis donc 'Mione, elle est précoce ta fille ! fit observer Harry.

— Oui, on se méfiera quand elle sera seule avec James, renchérit Ginny.

Rouge de honte et de colère, Hermione ignora les remarques de ses amis et se dirigea d'un pas vif vers les deux jeunes sorciers, les pointant successivement d'un index accusateur.

— J'exige une explication et tout de suite !

— On ne l'aurait pas déjà vu quelque part ? susurra le survivant à sa compagne.

— Peut-être toi. Pas moi en tout cas.

— Ce n'est pas ce que vous avez l'air de croire, se défendit l'adolescent. Enfin, j'ai au moins dix ans de plus qu'elle !

Malgré la tension ambiante, Evelyn ne put réprimer un petit rire moqueur à ces mots.

— Je suis trop vieille pour lui, ricana-t-elle sans oser soutenir le regard de sa mère.

Derrière Hermione, qui fulminait de plus bel, l'oncle et la tante de sa fille rirent discrètement. La sorcière put les entendre se dire à voix basse qu'elle n'était pas la mieux placée pour critiquer les goûts d'Evelyn sur ce point. Et elle fût bien obligée d'admettre intérieurement qu'ils n'avaient pas tort.

— Je devine ce que tout le monde pense ici. Mais je tiens à vous rappeller que j'étais déjà plus que majeure quand j'ai commencé à fréquenter Severus.

Instantanément, l'inconnu s'étrangla avec sa salive et la jeune Snape dut le taper dans le dos pour l'aider à se remettre de la quinte de toux qui s'en suivit.

— Vous êtes... sa compagne ?

— Et la mère de sa fille, oui.

Toutes les personnes présentes restèrent un moment frappées de stupeur quand il s'évanouit après s'être mis à vaciller dangereusement. Dans sa chute, son nez heurta le rebord d'une chaise et se brisa dans un craquement sourd. Evelyn fût la première à se ressaisir, elle se jeta à genoux près de lui et tenta de lui faire reprendre conscience en le secouant nerveusement. Puis Harry vint l'aider à son tour, le hissant sur la chaise contre laquelle il s'était cogné. Tandis que de leur côté, Hermione et Ginny ne pouvaient pas détourner leurs yeux de la cassure ensanglantée, au milieu de son visage.

— Dis, Gin, tu n'aurais pas la même impression que moi, par hasard ?

— Bah écoute, je crois bien que si. Mais tu dois pouvoir mieux en juger que moi.

L'adolescent retrouva lentement ses esprits pour se retrouver nez à nez avec la baguette d'Hermione.

— Qui êtes vous ? Vous avez utilisé du polynectar ou je ne sais quel sort et ça a mal tourné ?

— Euh, 'Mione... Qu'est-ce qu'il te prend ? balbutia Harry, déconcerté.

— Il me prend que jusqu'à il y a peine cinq minutes, cet individu avait très exactement le même nez que Severus. La dernière fois que je l'ai vu, il se disputait avec vous, que lui avez-vous fait ?

Evelyn s'interposa entre sa mère et sa baguette, qu'elle repoussa précautionneusement de la main.

— Laisse-le. Il n'a rien fait, tout est de ma faute...

L'explication donnée, le laboratoire habituellement silencieux résonna de rires. Ce qui dissuada Snape d'y entrer comme il s'apprêtait alors à le faire. A la place, il colla une oreille à la porte pour écouter ce qui se passait de l'autre côté.

— Tu n'est pas fachée contre moi, maman ?

— Fachée ? Si tu savais depuis combien de temps j'essaie de faire échouer ton père à la fabrication d'une potion... sans jamais y arriver. Alors non, je ne suis pas fâchée. Pas du tout.

Le directeur-adjoint broncha en se remémorant une bonne partie des tentatives qui avaient bien failli lui faire atteindre son but. Mais il se reconcentra sur ce qui se disait quand il reconnut la voix d'Harry.

— Monsieur, je suis le fils de James Potter et je serai votre élève quand vous enseignerez ici.

— Tss. La preuve que le pire est toujours à venir.

« Bien dit » pensa Snape.

— C'est très lui comme réponse. Enfin, très vous. Enfin, vous voyez... Bon. Je ne sais pas si vous pourrez vous souvenir de ça mais vu que je suis sûr que vous ne me croirez jamais plus tard, je voudrais vous dire maintenant que je suis profondément désolé pour tout ce que mon père aura pu vous faire vivre pendant votre adolescence. J'aurais préféré que vous n'ayez pas à supporter tout ça.

— Ne comptez pas sur moi pour vous délivrer de vos scrupules, Potter.

Une partie de sa version adulte trouva la réplique bien envoyée mais l'autre n'y adhéra pas vraiment. Il choisit ce moment pour faire une entrée remarquée dans le laboratoire.

— Tiens donc, le trio Potter-Weasley-Granger fait son grand retour. Après toutes ces années, vous ne trouvez toujours rien de mieux à faire que de vous mêler de ce qui ne vous regarde pas.

Bras croisés contre le torse et rictus aux lèvres, il renvoya un instant les jeunes gens dans leur passé d'élève, quand il les effrayait encore avec presque rien. Mais il ne pût tenir la posture très longtemps puisque Hermione ruina son effet en n'hésitant pas à venir se planter devant lui.

— Bien obligé quand môsieur Snape refait dans la cachoterie !

— Bon, et ben, on va y aller, hein, intervint le survivant qui traîna sa compagne à travers la pièce.

Alors qu'ils étaient en train de sortir, l'adjoint se tourna vers eux et l'appela, pour la première fois, par son seul prénom. Celui-ci fit volte-face, une expression de surprise sur le visage et curieux d'entendre ce qu'il avait lui dire après ça.

— Merci.

Harry lui répondit d'un hochement de tête entendu et sortit avec Ginny.

— Maintenant que le mystère est résolu, et si on renvoyait le jeune Severus d'où il vient ? s'exclama Hermione avec entrain en frappant dans ses mains.