1 with or without you
Kate, ma chérie,
Tu es tellement belle aujourd'hui. A un point que j'ai du marquer un temps d'arrêt pour reprendre ma respiration. Je n'arrive pas à y croire et pourtant, cela te ressemble bien. A braver les défis!
Tu portais ton uniforme de service. Enfin, ce n'était pas vraiment le tien. Celui-là était neuf. Le tien portait un impact de balle. Tu avais les yeux clos, allongée, là. On aurait pu croire que tu dormais, si ce n'est que tu ne respirais plus.
Je me souviens du funérarium; ils m'ont permis de te dire au revoir. Tu étais si froide. Quand bien même mes larmes glissaient sur ton corps. Tu étais si froide, malgré toute la chaleur du chagrin que je déversais sur ta dépouille.
J'ai approché mon visage du tien et j'ai imaginé ce que tu aurais pu me dire, si tu avais encore du souffle pour le dire. Tu m'aurais probablement demandé ce que je pouvais bien faire là, et tu m'aurais repoussé.
Tu me repoussais sans cesse, Kate. Oh, comme j'aimerais que tu aies pu le faire en ce jour.
Je te tenais dans mes bras. Mais ton corps était glacé. Tu gisais sans vie, tandis que mes larmes coulaient sur ton visage.
Ils ont chopé le salaud qui t'a fait ça. Il était stupide de vouloir te tirer dessus dans un cimetière bourré de flics. Ils l'ont eu, et tu sais ce que j'ai fait ? Je me suis dirigé vers lui et lui ai mis mon poing dans la figure, assez fort pour lui faire toucher terre. Je me suis fracturé la main dans la foulée. Mais ce n'était pas assez. Je voulais le démolir à coups de pied, le réduire en pièces, je voulais voir son sang changer la couleur de l'herbe. Comme tu l'as fait un jour. Seulement lui, il n'aurait pu trouver refuge dans les bras d'un être aimé. Pour lui, il n'y aurait pas eu de mots d'amour longtemps gardés secrets.
Glisser hors du monde ne doit pas être facile. J'espère parvenir à tenir le coup. J'espère que tu as pu trouver quelque réconfort dans mes paroles. Sache que je pensais chaque mot. Je t'aime, Kate. Plus que je n'ai jamais aimé personne. La seule personne au monde que j'aime tout autant, c'est Alexis.
Quant à elle, elle est complètement effondrée. J'ai toujours su qu'elle te respectait, même quand elle prétendait que vous étiez amies. J'ai l'impression que vous passiez beaucoup plus de temps ensemble que je ne le pensais. Je t'avais demandé de prendre soin d'elle, si jamais il m'arrivait quelque chose. Je n'aurais jamais imaginé que ce serait à elle de réagir s'il t'arrivait quelque chose, à toi.
Ma mère m'a dit qu'il y avait 5 étapes à franchir dans le processus de deuil. Je viens de traverser les trois premières, c'est certain. Je n'en suis pas encore à l'étape cinq. Et l'étape quatre couve depuis le jour du coup de feu.
La première étape est le déni. Lorsque j'en ai eu terminé avec le salopard qui t'a fait ça, j'ai couru vers toi. Les premiers secours et Lanie étaient à tes côtés. Lanie était en pleurs. L'un des auxiliaires médicaux m'a annoncé 'Je suis désolé. Nous n'avons rien pu faire.' Je me suis mis à hurler de toutes mes forces. Je lui ai dit d'arrêter de dire n'importe quoi, qu'il fallait t'emmener à l'hôpital. Lanie a pris ma main et l'a posée sur ton cou, pour me faire comprendre qu'il n'y avait plus de pouls. Pourtant, j'ai refusé d'y croire. Alexis s'est ruée vers moi et m'a pris dans ses bras. J'ai hurlé de toutes mes forces, jusqu'à en perdre la voix.
Je n'ai pas ouvert la bouche durant les jours qui ont suivi. Pas parce que je ne le voulais pas. Mais quand j'entendais ce son rauque qu'était devenu ma voix, mes pensées revenaient vers toi. Allongée là-bas, sur l'herbe.
Je continue de t'acheter ton café tous les matins. Je ne pense pas que l'on passe d'une étape de deuil à une autre; c'est plutôt comme une couche se superposant à la précédente, jusqu'à ce qu'on ne parvienne plus à respirer sous le poids. J'ai effleuré les autres étapes, mais je suis toujours dans le déni. Encore aujourd'hui, alors même que l'on vient de te mettre en terre.
La seconde étape, c'est la colère. Je pense avoir vécu celle-là en premier, d'une certaine manière, quand j'ai démoli le tueur. Pourtant, elle m'a frappé de plein fouet quand je suis rentré chez moi. J'ai déboulé dans mon bureau et j'ai détruit tout ce qui avait un rapport avec Nikki Heat. J'ai brûlé les livres. J'ai bousillé mon ordinateur. J'avais déjà balancé un verre sur la maquette plus tôt dans la semaine, mais quelqu'un l'avait remise en place. Alors je l'ai brûlée aussi. J'ai tout démoli dans mon bureau. Je ne voulais plus rien voir. Parce que tout me rappelait toi.
La colère est toujours présente. Je ne parviens plus à gérer ce qui ne me posait aucun problème avant. Je crie sur Alexis à tout bout de champ. Je pensais qu'elle comprendrait, mais elle crie aussi. Je pense qu'elle aussi passe par une phase de colère, quoi qu'elle ne semble pas s'y noyer comme je suis en train de le faire.
La troisième étape, c'est le marchandage. Tout le monde sait que je ne suis pas du tout pratiquant, pourtant j'ai prié toutes les instances supérieures qui me venaient à l'esprit. S'ils te rendaient la vie, j'offrirais la mienne en échange. S'ils te ramenaient à la vie ne serait-ce que dix minutes, je pourrais te dire une fois de plus, et avec des mots justes, combien je t'aime. Je savais que ça ne marcherait pas, mais j'ai essayé autant que j'ai pu.
Tu sais, ils m'ont demandé de prononcer l'oraison funèbre. Tandis que je me tenais là, j'ai regardé à mes côtés, comme tu l'avais fait, lorsque tu as prononcé celle du Capitaine Montgomery. J'ai cherché ton regard aux alentours, mais tu n'étais pas là. Je pense que tu as entendu les mots que j'ai prononcés, mais je vais quand même les répéter ici.
Il n'est pas nécessaire que je me tienne ici devant vous et que je vous dise combien j'aimais Kate. Vous le saviez tous. Vous l'aviez même compris bien avant moi. Quand on aime une personne, c'est comme si on était relié à elle par un cordon. Il permet à chacun de trouver son équilibre, lorsque l'autre est accroché de l'autre côté. Et si, brusquement, il n'y a plus rien à l'autre bout du cordon vous perdez l'équilibre. Vous sombrez dans le néant, la tête la première, et vous vous en foutez, parce que l'autre moitié de votre âme est peut-être là, qui vous attend, et vous traverseriez l'univers pour la rejoindre. Kate et moi avions nos petits moments de dispute et de chamailleries. Elle se moquait de moi, et souvent j'étais frustré. Mais elle savait que je serais toujours là pour elle. Même les jours où elle me demandait de partir, elle était certaine que je ne le ferais jamais. Je lui avais prouvé, au fil des jours, que je ne l'abandonnerais à aucune condition. Jamais de la vie. Je ne peux vous dire si Kate m'aimait, parce que nous n'avons jamais parlé de nos sentiments l'un pour l'autre. Je n'ai jamais eu l'occasion de lui dire combien elle comptait pour moi. J'ai attendu trop longtemps. Kate Beckett était un inspecteur extraordinaire. C'était une femme forte, brillante, douée d'empathie, une amie loyale et une partenaire hors du commun. J'admirais Kate Beckett. J'étais perdu, lassé d'une destinée toute tracée. Je ne vivais que pour les mondanités, et puis Kate a débarqué dans ma vie. Elle m'a montré ce que pouvait être ma vie. Elle m'a aidé à me trouver. Kate Beckett était une femme extraordinaire, et je l'aimerai jusqu'à mon dernier souffle.
A la fin, la seule personne qui ne pleurait pas dans l'assistance, c'était moi. Même Esposito ne pouvait réprimer son chagrin. Lorsque j'étais venu à ton appartement pour te demander de penser à tous ceux qui t'aimaient, je sais que tu ne pouvais penser à personne. J'aurais voulu que tu puisses voir l'église, Kate. Tout ce monde! Il y avait tellement de gens que bon nombre devaient rester debout. Chacun avait tellement de respect pour toi. Tu as laissé une trace dans la vie de chacun. Et tous t'aimaient.
Je ne puis dire pourquoi je suis parvenu à retenir mes larmes. Peut-être est-ce de t'avoir tant pleurée. Ou alors j'ai plongé dans un tel enfer que même pleurer m'était devenu impossible.
La quatrième étape est la dépression. C'est une bien étrange créature. Je la sens me saisir au beau milieu de la nuit. Elle n'a aucune chaleur. Elle est froide comme de la glace. Elle me fait trembler, remplit mon esprit de pensées que je n'aurais jamais eues. Cette dépression me fait faire les cent pas dans ma chambre et passer en revue toutes les façons dont je pourrais en finir avec la vie. La seule lueur que j'aperçois dans ma nuit noire, c'est Alexis. Pourtant, certains jours, c'est à peine suffisant.
La cinquième étape est l'acceptation. Je ne pense pas y parvenir un jour. J'essaie de tenir le coup: si je n'y arrivais pas, j'imagine que tu ne serais pas très fière de moi. Avec le temps, tu avais fini par accepter la mort de ta mère. Je ne sais pas si je parviendrai jamais à accepter la tienne. J'essaierai, je te le promets, je te le dois. Mais à quoi bon ? Tu n'es pas là pour me reprocher de vouloir abandonner, tu n'es pas là du tout pour m'aider à traverser cet enfer! Tu n'es pas là, et je ne te reverrai jamais.
Je vais terminer mon livre, Kate. Je te dois bien ça, ce sera ma façon de te rendre un dernier hommage. Je terminerai ce livre et ensuite je n'écrirai plus jamais. Comment pourrais-je jamais retrouver l'inspiration ? Je ne sais pas ce que je ferai. Je ne retournerai pas avec les gars du 12ème. C'est au-dessus de mes forces. Pas sans toi. Trop de souvenirs. Après tout, je n'ai pas besoin de travailler, si je réduis mon train de vie, je peux vivre confortablement pour le restant de mes jours. Sauf que ce ne sera pas vraiment « vivre ». Qui sait, Kate, une fois que j'en aurai terminé avec ce dernier livre, je finirai par te rejoindre, où que tu sois.
Avec tout mon amour.
Toujours.
Rick