Chapitre 26

Cette nuit-là, Reid dormit très mal. Il était nerveux de reprendre le travail le lendemain. Il avait peur de ne pas entendre le réveil, d'arriver en retard, comme aux temps damnés où il se shootait au Dilaudid.

Il mit le réveil de la table de nuit sur 6 heures, et régla également son téléphone portable pour doubler les chances… au cas où.

Il se leva plusieurs fois dans la nuit, fatigué d'attendre que le sommeil le prenne… ce sommeil qu'il espérait en vain et qui ne venait pas.

A 2h47, il vérifia que les petits flacons avaient bien été retirés du meuble de la salle de bain, du placard de la cuisine et de la table de nuit.

Oui, il n'y avait plus rien : ni Dilaudid, ni aiguilles, ni garrots, ni seringues.

Bien… Très bien…

Il se recoucha, somnola un peu, puis ralluma la lumière, à la fois fatigué et énervé. Il soupira en voyant l'heure affichée sur le cadran rouge de son réveil : 4h08.

Epuisé d'attendre que le sommeil le prenne, il se releva à nouveau et se fît une tisane relaxante, une de celles que sa mère aimait bien boire quand il était petit. Il l'avala à petites gorgées, tout en faisant le tour de son appartement, son mug à la main.

Il rangea quelques livres déclassés, réajusta un cadre qui n'était pas droit, replaça les chaises de la cuisine qui n'étaient pas perpendiculaires par rapport à la table.

Là, voilà, c'était beaucoup mieux.

Une fois la tisane avalée, il retourna à la cuisine. Il lava sa tasse vide, la rangea avec soin à sa place exacte, puis il finit par se laisser choir sur le canapé, nerveusement épuisé. Dans le silence total de la nuit, il se laissa envahir par ses troublants souvenirs.

Tobias, Glen, et Hotch…

Allongé sur le côté, il tortilla nerveusement le dernier bouton de son pyjama en repensant aux hommes qui avaient fait dévier sa vie de son cours normal.

Tobias avait créé la faille par laquelle les autres s'étaient engouffrés.

Glen avait profité de lui, le pénétrant de toute part, le perforant pour l'asservir encore à cette fichue drogue. Glen n'avait aucun sentiment pour lui, non. Jason devait se tromper il n'avait sans doute pas compris.

Pour Spencer, Glen était amoureux de quelqu'un d'autre, d'un autre Reid : un Reid qui aujourd'hui n'existait plus. Ce Reid-là était mort. Définitivement.

C'est l'autre Reid, le drogué, qui aimait se faire prendre partout, tout le temps, dans toutes les positions, qui était capable d'en réclamer encore, d'ouvrir ses cuisses, de réaliser n'importe quel fantasme, capable de lécher, de sucer, et capable de se faire pénétrer et de jouir…

Spencer frissonna, tentant de balayer de son esprit ses souvenirs tellement dérangeants. Il avait honte… tellement honte d'avoir laissé des pulsions intimes et des désirs inconnus affleurer à la surface de sa vie. Et il s'en voulait encore plus d'avoir laissé un homme en profiter. Et pas n'importe quel homme ! Un dealer, un plus… Comment avait-il pu aimer autant ce que cet homme lui faisait ?

Spencer se roula en boule sur le canapé, le cœur serré et le ventre noué. Quelque part, il avait l'impression que son corps avait subi des outrages que son esprit n'aurait jamais dû accepter.

Reid pensa à toutes ces prostituées qui se défoncent à l'héroïne pour pouvoir faire leur 'métier'. Sans shoot de drogue, elles ne pourraient jamais subir ce qu'elles subissent.

Spencer n'aurait pas imaginé un instant, avant d'avoir personnellement subi cette expérience, que les narcotiques pouvaient à ce point métamorphoser un être humain, le faire devenir littéralement quelqu'un d'autre.

Paradis artificiels… Rien ne portait moins bien ce nom si poétique que les stupéfiants, se dit Reid en enfonçant son nez dans un coussin du canapé. De l'artificiel, oui. Mais point de paradis. Juste l'enfer. Un épouvantable enfer dans le gouffre duquel la chute est infinie…

Et puis, il y avait eu Hotch.

Et Hotch avait stoppé la chute vers les ténèbres. Il l'avait retenu, il l'avait sauvé.

Le visage de Reid se détendit un peu. Penser à Aaron Hotchner était doux et agréable. La tête toujours posée sur le coussin du canapé qui lui servait d'oreiller, il esquissa sans s'en rendre compte un sourire timide.

Hotch…

Il était le supérieur hiérarchique puissant et infaillible… Il était aussi l'homme aux décisions aussi carrées que ses épaules, l'homme sur qui il pourrait toujours compter. Spencer le savait. Auprès de Hotch, il était en sécurité. Jamais plus il ne le toucherait. Il ne trahirait pas sa promesse il l'avait juré. Et Aaron était un homme de parole, un homme droit. Il l'aimerait en silence, chastement, ravalant ses désirs et ses besoins par amour pour lui. C'était si bon de le savoir, si bon d'être en confiance.

Recroquevillé sur le canapé, Spencer ferma les yeux en pensant à lui. Il aimerait cet homme passionnément toute sa vie…

XXXXX

Le lendemain matin, lorsque Reid arriva au FBI, il était à l'heure… et même, un tout petit peu en avance. Il était excité, presque comme lors son premier jour de travail. Un peu stressé, aussi…

Il craignait les réactions de ses collègues, il craignait aussi et surtout les questions. Il n'avait pas envie d'expliquer ce qu'il considérait comme inexplicable. Il avait été comme 'possédé' par le Dilaudid, et ce monstre liquide et chimique l'avait transformé en quelqu'un d'autre…

Mais tout cela était derrière lui, à présent. Il était guéri, régénéré, redevenu lui-même. Tout ça grâce à Hotch.

En pensant à son supérieur hiérarchique, le cœur de Spencer battit un peu plus vite. C'était une sensation étrange, bizarre, mais une sensation douce et merveilleuse… une sensation qu'il n'avait jamais connue. Rien à voir avec l'artificialité des narcotiques…

Il lui tardait de le retrouver, de le voir, de prendre ses ordres et de lui obéir…

Et Hotch devait être là, juste derrière cette porte.

Avant d'entrer dans la grande salle du Service des Sciences du Comportement, Reid inspira une grande bouffée d'air, pour se donner du courage et combattre sa nervosité.

Lorsqu'il passa la porte du Bureau, ce fût JJ qui lui sauta dessus en premier : « Spencer, Spencer… » répéta-t-elle en le serrant très fort dans ses bras. « C'est si bon de te voir ! »

« Hey ! JJ ! Espèce d'égoïste ! » plaisanta Emily. « Tu l'accapares ! Laisses-le moi un peu, aussi… »

JJ s'écarta à regret des bras de Reid et laissa la place à Emily qui l'étreignit dans une brève mais chaleureuse accolade. « Tu nous a manqué, Reid… Vraiment beaucoup manqué… »

« Merci… » répondit Reid, les joues un peu rosies par l'émotion. Toutes ses mains et tous ses bras sur lui envoyaient des ondes électriques très désagréables dans tous ses membres. Il essaya de ne pas y penser et se tourna vers ses deux collègues féminines : « Quel accueil ! Je devrais prendre des 'vacances' plus souvent ! » plaisanta-t-il.

« Tu as l'air en super forme », commenta JJ, en avançant sa main vers son visage. Reid se raidit légèrement lorsqu'elle le toucha, pour replacer derrière son oreille une mèche de cheveux… « Ils ont encore poussé… Tu ne comptes plus jamais les couper ? »

Mais Reid n'eut pas le temps de répondre à cette question capillaire. Morgan venait d'entrer dans la pièce. Il se précipita vers lui et le prit dans ses bras de manière fraternelle et virile. Reid eut l'impression que l'étreinte de Derek allait lui écraser les os. « Putain, mec, je suis content de te voir ! Tu peux pas savoir ! »

« Hey ! Morgan ! Je suis content aussi… » répondit Reid, la voix étouffé dans le cou de Morgan qui le serrait trop fort. « C'est bon d'être là… avec vous… »

Morgan relâcha son étreinte et reprit : « Sans toi, le bureau, c'est la mort ! Pas de statistiques du jour, pas d'explications scientifiques, pas de citations… »

« … et pas de service café ! » compléta Emily en riant.

« Exactement ! » ajouta JJ. « Tiens, d'ailleurs, pour fêter ton retour, tu devrais aller nous chercher des gobelets ! Sans sucre mais avec un nuage de lait, pour moi… »

« Excellente idée ! » approuva Emily. « Pour moi, bien noir et sans sucre ».

« Ah ! Seriez-vous devenu encore plus accro au café que moi ? » s'étonna Reid, un sourire amusé sur les lèvres. « Je croyais qu'à mon retour, vous alliez vous occuper de moi, me dorloter, et me voilà, en moins de trois minutes, ravalé au rang de serveur…! » minauda-t-il, faisant semblant d'être déçu. Il avait envie de plaisanter, comme autrefois. Il se sentait bien.

Naturellement bien, sans besoin d'aucun artifice.

Morgan l'observa avec l'attendrissement d'un grand frère : « Allez, je vais t'accompagner à la machine à café pour t'aider à faire le service à ces dames… ». Il passa son bras autour des épaules de Reid, l'entraînant vers le fond de la pièce. « Mais avant, il faut qu'on aille voir quelqu'un… »

« Qui ça ? » s'inquiéta Reid, en voyant qu'ils prenaient la direction opposée à la machine à café.

« Quelqu'un à qui tu as encore plus manqué qu'à nous tous… » Et Morgan décocha à son collègue un clin d'œil complice. « Elle est là, juste derrière la porte du fond… »

« Garcia ? » questionna Spencer.

« Garcia, oui… », acquiesça Morgan.

Lorsque Reid entra dans le bureau de Pénélope, la jeune informaticienne fût tellement émue qu'elle en avait les larmes aux yeux. Elle se précipita vers lui et le prit dans ses bras, le serrant très fort contre son opulente poitrine.

« Oh ! Bébé… Mon doux agneau, mon petit Prince… » bafouilla-t-elle, débordant d'un trop-plein d'émotion. « Tu nous as tous tellement manqué, Amour… »

« Garcia, Garcia ! » toussota Reid, le nez dans le cou de la jeune femme. « Je t'aime aussi, mais là, tu… tu m'étouffes… ! »

« Oups ! Pardon mon bébé… Pardon… » Elle le relâcha, manipula sa cravate pour la remettre en place, laissa traîner ses mains sur ses épaules, faisant semblant de lisser sa chemise, et ne put s'empêcher de caresser ses cheveux souples et doux.

« Garcia… » soupira Reid, qui en avait marre que toutes ses collègues féminines passent leur temps à le toucher, le tripoter… Pour Reid, elles devenaient un peu trop tactiles. Pourtant, au fur et à mesure de leurs contacts, se faire toucher et enlacer devenait un peu moins difficile. Il se dit que peut-être, à force, avec le temps, il s'y habituerait ?

« Oui… Je sais… » fit Pénélope en retirant ses mains de lui. « Mais que veux-tu, mon doux ange, tu es tellement mignon, tellement adorable, que j'ai toujours envie de laisser mes mains se balader sur toi… Tu as la peau douce d'un nouveau-né… » Puis, Garcia ajouta, un petit sourire malicieux sur les lèvres : « Est-ce que tu es doux, comme ça, partout ? Je veux dire partout-partout ? »

Reid éclata de rire : « Tu es incorrigible ! »

Morgan fit semblant d'être vexé : « Je croyais que tu m'aimais, Princesse, mais je me rends compte que tu as un cœur d'artichaut ! Je suis mort de jalousie… »

Garcia n'eut pas la possibilité de continuer à faire des plaisanteries grivoises, car Hotch venait de débouler dans son bureau.

« Reid, Morgan, on a une urgence. JJ vient de recevoir un appel du Missouri et elle a sélectionné le dossier comme étant une priorité absolue ». Il se tourna vers Pénélope : Garcia, tu vas recevoir le dossier de la police de Saint-Louis. Complète immédiatement leurs recherches en passant tous les noms mentionnés au fichier dans nos bases. Appelle-moi dès que tu as du nouveau. On part là-bas immédiatement… »

« Bien, Monsieur… » Et Garcia s'installa immédiatement à son clavier.

Hotch se tourna vers Morgan et Reid : « Allez, nous, on y va… »

Morgan sortit de la pièce en premier, et lorsque Reid à son tour voulut passer la porte, Hotch le retint un instant, en posant sa main sur l'épaule osseuse de son subordonné : « Bon retour dans l'équipe, Reid ».

Spencer leva vers lui un regard ému et complice. « Merci Hotch… Du fond du cœur, merci… »

Derrière ses mots simples, Reid faisait comprendre à son supérieur qu'il le remerciait pour bien d'autres choses que ce 'Bienvenue'. Reid lui serait éternellement reconnaissant pour ces longs jours d'enfer que Hotch avait endurés pour lui, pour le sauver de la drogue. S'il était là, vivant, en bonne santé, et s'il conservait sa place au FBI, c'était grâce à Hotch. Rien qu'à Hotch. Il lui devait tout.

Aaron fit un léger mouvement de tête qui répondait silencieusement au regard significatif de Reid. Les deux hommes se comprenaient sans paroles : « Allez, viens… L'avion nous attend… »

Reid eût une drôle sensation de vide lorsque Hotch retira sa main de son épaule. Cette douce chaleur lui manqua aussitôt.

Mais il n'eut pas le temps d'y réfléchir. Hotch prit la direction du couloir à marche rapide, téléphone portable rivé à l'oreille, et Spencer suivit docilement son supérieur, mettant ses pas dans les siens…

Reid avait l'impression de revivre : l'équipe, la direction ferme et juste de Hotch, l'avion, les dossiers… Tout était là, comme d'habitude, pareil à autrefois. C'était bon. C'était apaisant, tranquillisant… merveilleux !

Rien n'avait changé.

Il n'avait pas changé.

Reid pensa à sa mère. Elle avait eu raison. Il était le même… exactement le même. Celui qu'il avait toujours été. La page Dilaudid était tournée, ce sombre et sordide chapitre de sa vie refermé.

Sa vie reprenait son cours naturel… Son avenir était devant lui. Jamais il ne se retournerait en arrière.

Non, jamais.

- FIN -


Cette fin est le prolongement naturel de l'histoire, l'aboutissement de ce qui avait été construit depuis le début... Spencer ne pouvait pas finir avec Aaron, ni avec un dealer ! Une fin ambiguë, douce-amère, laissant la porte ouverte à l'espoir s'est imposée à moi.

Merci à tous pour les formidables reviews que vous m'avez laissé : c'était très motivant, un vrai carburant.

Peut-être à bientôt !