Hey vous,

J'ai beaucoup aimé écrire ce chapitre.
J'espère que vous l'apprécierez autant.
Et que vous m'en voudrez pas trop...

Bonne lecture!


- Je suis complètement déchirée !

La jeune femme qui venait de hurler ces mots à gorge déployée explosa d'un rire extatique, agrippant le bras de son frère qui la couvait d'un regard désabusé. Il leva les yeux au ciel, tentant de garder un air sérieux mais un sourire amusé vint retrousser légèrement ses lèvres alors qu'il empêchait la brune de tomber sur le sol poisseux de la boîte de nuit.

- Effectivement Laura, tu l'es. » Elle fit un pas et faillit s'écrouler sur un couple qui dansait de manière plutôt obscène. Les amoureux leur lancèrent un regard peu amène et Derek se sentit obligé de la défendre. « Veuillez l'excuser, elle ne tient pas l'alcool. »

- Oui, veuillez l'excuser, répéta-t-elle dans une piètre tentative d'imitation de son frère, la bouche barrée d'un sourire niais et les yeux vitreux.

Le jeune homme chercha à la stabiliser une paire de secondes avant d'abandonner le combat et de la traîner quelques mètres plus loin pour lui permettre de s'affaler sur l'un des seuls tabourets libres du bar plus que bondé. Il fit signe à la barmaid surmenée et quelques secondes plus tard – Derek était un habitué, il y avait des privilèges à tout – un verre d'eau glacée fut posé sur le comptoir. Il s'en saisit et essaya de le porter aux lèvres de sa sœur. Celle-ci cessa de dodeliner de la tête plus ou moins en rythme avec la musique, pour renifler le liquide et grimacer de dégoût.

- C'est de l'eau, Derek.

- Merci Captain Obvious, soupira le brun, un sourcil levé.

- Ah ah. » Elle jeta un regard menaçant au verre qui dut frémir de peur. « J'aime pas l'eau, ça rouille. » Elle se saisit tout de même de celui-ci et le leva en l'air. « A la tienne, frérot ! »

Mais au lieu de l'amener à sa bouche, Laura envoya valser son contenu à la figure du jeune homme avant d'éclater d'un rire ravi, ce qui ne concordait pas exactement avec l'état d'esprit de Derek. Figé, les bras croisés et dégoulinant d'eau, il se demanda vaguement pourquoi il avait eu la bonne idée de proposer à sa sœur d'aller en boîte. Pire : comment l'idée de la faire boire avait pu lui paraître bonne, alors que sa sœur ne tenait l'alcool en aucun cas. Franchement, ils auraient pu fêter l'obtention du diplôme d'état de cette dernière tranquillement devant un film avec quelques pop-corn. Voire même quelques chips. Puis il jeta un coup d'œil au visage rayonnant de Laura et se dérida, incapable de se fâcher contre celle qui venait de passer onze longues années à travailler jour et nuit pour finalement atteindre le saint Graal. A savoir, devenir une neurochirurgienne reconnue.

Derek laissa sa sœur rire quelques instants, tentant d'ignorer le corps secoué de soubresauts de plus en plus espacés de celle-ci pour observer les danseurs se déhancher sur une musique rythmée. Il adorait venir ici. Le son, toujours de bonne qualité, et la fréquentation à son goût lui permettaient de décompresser de ses journées plutôt fatigantes à l'atelier. Il jeta un dernier regard aux alentours, répondant d'un hochement de tête posé à quelques sourires enjoués et reporta son attention sur sa sœur qui s'était calmée. Laura lui adressa un regard penaud pas du tout convaincant, un sourire un peu bête au coin de la bouche comme seul témoignage de son hilarité.

- Désolée, tenta-t-elle d'une petite voix à peine audible à travers le boucan de la pièce, l'ourlet de ses lèvres menaçant de laisser fuser un rire à tout moment.

Il leva de nouveau les yeux au ciel, ses traits hésitant entre son air blasé habituel et l'amusement, puis aida sa sœur à se remettre droite. Il se pencha vers elle pour se faire entendre.

- Je crois qu'il est temps de rentrer, sœurette.

Elle soupira, dramatique, faussement triste.

- Je crois aussi.

Il la saisit par les épaules et la poussa devant lui pour se faufiler tant bien que mal parmi les danseurs vers la sortie, recevant quelques gouttes ici et là. Alcool ou sueur, ils n'étaient pas bien sûrs. Derek salua quelques amis qui venaient d'arriver, désignant avec une feinte lassitude Laura qui trébuchait, comme justification de son départ hâtif. Arrivés sur le parking désert – il n'était que deux heures du matin et pour un vendredi, c'était très tôt – il prit une grande inspiration. Cet endroit était certes super, mais c'était une boîte de nuit : l'air y était saturé d'hormones et de transpiration, rendant l'atmosphère étouffante.

Libérant sa sœur de sa poigne, il tâta les poches de son jean à la recherche de son briquet. Son regard suivit attentivement le corps titubant de Laura alors qu'il s'allumait une cigarette et inspirait avec satisfaction la fumée piquante. Il choisit de laisser Laura chercher sa voiture durant plusieurs minutes, s'amusant de ses gestes brouillons. Son regard vagabonda tout autour, sur les champs à perte de vue. Cet endroit était parfait. A seulement quelques kilomètres de la Grosse Pomme, mais suffisamment isolé pour que le bruit ne puisse déranger les voisins. Le fêtard qu'il était avait déniché cette boîte de nuit par hasard quelques années plus tôt, juste à la fin de ses études de mécanique et, depuis, c'était devenu son refuge pour retrouver régulièrement ses potes. Alors il était plutôt fier de faire découvrir le lieu à sa sœur, maintenant qu'elle avait atteint son objectif et pouvait enfin profiter de la vie.

En parlant du loup... Un grognement agacé lui parvint aux oreilles et il ricana en avisant la jeune fille hagarde au milieu du grand parking désert. Finalement, tel le chevalier de ces dames, il écrasa sa cigarette sous son pied et consentit à la rejoindre pour la mettre dans la bonne direction, l'arrachant à la contemplation hébétée du reflet que lui renvoyait la carrosserie rutilante d'une Camaro garée... à l'opposé de sa voiture. Pendant que Laura cherchait avec difficultés les clés de sa Ford, Derek jeta un coup d'œil à sa moto stationnée un peu plus loin. Il devrait revenir la chercher le lendemain. Pas question que Laura conduise dans son état. L'idée de laisser son bébé seul au milieu de la cambrousse ne l'enchantait guère, mais il n'avait clairement pas le choix. S'il arrivait malheur à sa monture flambant neuve, il s'en prendrait à la jeune femme imbibée d'alcool qu'était sa frangine.

Lorsqu'il en eut assez de voir cette dernière se battre avec son sac à main, il se saisit de la pochette – aucune idée de comment Laura avait réussit à ne pas la perdre alors qu'elle tenait à peine debout – pour prendre les clefs et ouvrir la portière passager, se préparant d'avance à batailler pour la faire s'y asseoir correctement. Il n'eut pas l'occasion d'y réfléchir bien longtemps.

Le moteur de la grosse voiture noire garée à côté de la leur vrombit brusquement, les faisant tous deux sursauter, et plusieurs hommes vêtus de treillis sombres en surgirent. Sans un mot, ils se postèrent de part et d'autre des jeunes gens et s'immobilisèrent, les fixant avec concentration, semblant attendre un ordre.

Derek s'était figé dans son mouvement, les mains sur les épaules de sa sœur qui ne parut pas se rendre compte du changement d'atmosphère, trop occupée à tenter de rentrer la tête dans la voiture sans plier les genoux. Il accrocha le regard d'un des hommes et le « je peux vous aider ? » qu'il allait prononcer pour atténuer la sensation d'urgence qu'il ressentait resta bloqué en travers de sa gorge. C'était un regard dangereux et déterminé. Le regard d'un homme qui n'était pas là pour plaisanter. Les apparences n'étaient pas trompeuses, sa sœur et lui semblaient bel et bien dans la merde.

Une goutte de sueur entreprit une descente pénible le long de sa nuque malgré la fraîcheur de la nuit. Il compta rapidement. Ils étaient quatre et paraissaient entraînés, vu leur stature et leurs vêtements. Les yeux du brun sautaient rapidement d'un homme à l'autre sans qu'il n'ose bouger, jugeant la situation de plus en plus compliquée. Surtout lorsque son regard tomba sur les flingues que chaque mec portait à la ceinture. Son cœur fit une embardée. Bien qu'il habite aux États Unis depuis toujours, il n'en n'avait jamais vu d'aussi près. Leur quartier du Queens n'était pas trop mal fréquenté et il n'aurait jamais imaginé se retrouver dans une telle situation. Prenant une grande inspiration et son courage à deux mains, il leva les bras avec toutes les précautions du monde et se décala lentement pour placer son corps devant celui de Laura. Celle-ci avait apparemment enfin perçu que quelque chose clochait et les regardait maintenant à tour de rôle, les sourcils froncés plissant son regard vague.

- Écoutez les mecs » commença-t-il d'une voix rauque qui se voulait assurée mais résonna plaintive dans le silence de la nuit, « on n'a pas d'argent sur nous. Je peux vous passer ma montre. » Il considéra quelques secondes l'allure des hommes en noir et se dit qu'ils n'étaient clairement pas là pour de l'argent. Son cœur se mit à palpiter un peu plus fort. « Et mes clefs de moto. Je vous donnerai ce que vous voulez. » Son ton se fit suppliant et Derek eut du mal à reconnaître sa voix. Mais qu'importe s'il devait se sentir ridicule, seule la sécurité de Laura comptait. « Je suis sûr qu'on peut s'arranger sans que ça dégénère. »

Aucun des hommes ne répondit ni ne bougea. Derek jeta un coup d'œil angoissé à l'entrée de la boîte de nuit à quelques centaines de pas de là, et se maudit d'avoir laissé Laura se garer si loin dans le parking obscur. Peut-être qu'en gagnant du temps quelqu'un sortirait du bâtiment et les verrait malgré l'obscurité qui régnait en maître. Peut-être qu'en criant il réussirait à ameuter du monde malgré le boucan que faisaient les basses. Peut-être qu'il pourrait pousser sa sœur à l'intérieur de l'habitacle et réussir à démarrer avant que leurs agresseurs ne puissent s'en prendre à eux...

Il n'eut pas l'occasion de mettre en œuvre l'un de ces plans – somme toute, totalement bancals. Un claquement de doigts résonna sèchement depuis l'intérieur du van noir et les hommes se mirent soudainement en action, tels des pantins mécaniques dont on aurait pressé le bouton « on ». Deux des types se jetèrent sur Derek dont le corps tendu s'était préparé à cette possibilité. Il repoussa le premier instantanément, ce dernier s'affalant sur la portière du van qui se referma brusquement. Il ne put cependant pas éviter le second qui le percuta violemment. Derek se retrouva en train de se débattre au sol, le dos s'enfonçant cruellement dans les graviers. Un poing se ficha durement dans son abdomen et un autre suivit contre sa mâchoire. Sans écouter ses nerfs qui vrillaient de douleur, le jeune homme tenta tant bien que mal de repousser son assaillant qui appuyait sur ses épaules de tout son poids. Il réussit après quelques secondes de lutte à lui porter un coup de genou. L'homme, déstabilisé, roula sur le côté et Derek en profita pour porter un violent coup de talon au premier de ses assaillants qui tentait de revenir à la charge, celui-ci s'écroulant dans un cri alors que le craquement de son tibia se faisait entendre.

Derek parvint à se mettre sur les genoux et vit avec horreur Laura soulevée par l'un des hommes en noir alors qu'un autre ouvrait la portière coulissante afin d'installer leur fardeau. Le jeune homme croisa le regard brumeux mais apeuré de sa sœur alors que l'alcool qui coulait dans ses veines l'empêchait encore de réagir. Sans plus réfléchir, il s'élança vers elle tandis qu'elle disparaissait dans la pénombre du van, deux mains happant son corps qui tentait de s'extraire mollement.

Il se saisit de la nuque de l'homme qui fermait la porte et le tira de toutes ses forces en arrière. Le kidnappeur alla s'écraser sur la Ford, le rétroviseur se brisant sous l'impact et envoyant des morceaux de miroir à leurs pieds. Derek s'empara alors de la poignée du van maintenant libre mais un poids vint s'écraser entre ses omoplates et il s'écroula, le visage contre les gravillons. Une main saisit ses cheveux, souleva sa tête et l'écrasa de nouveau contre le sol. Derek sentait les cailloux labourer la peau de sa joue alors que l'homme, assis sur son dos, continuait sa démonstration de force. Puis il fut retourné dos au sol, son tortionnaire agrippa son cou hargneusement et commença à serrer. Une panique qu'il n'avait jamais ressentie afflua et le jeune homme se débattit avec l'énergie du désespoir, essayant de porter un coup à son adversaire par tous les moyens. Cependant, ses poignets étaient coincés sous les genoux de l'homme qui était assez lourd pour empêcher tout mouvement de ses hanches. Ses jambes ne parvenaient qu'à se plier et racler vainement le gravier.

Un rire s'échappa de la bouche de l'homme qui se tenait, à cheval au dessus de lui, et Derek put apercevoir, entre deux points blancs qui dansaient devant ses yeux, la folie qui marquait ses traits. Il allait mourir. Voilà ce qu'il pouvait lire dans le regard dément de son agresseur. Mais s'il mourait... qu'adviendrait-il de Laura ? Dans un sursaut d'énergie, il parvint à soulever son bassin d'un mouvement brusque, déséquilibrant à peine l'homme en noir mais suffisamment pour que Derek puisse inspirer une infime bouffée d'air.

Cette accalmie fut chère payée : un choc violent lui explosa l'arcade sourcilière et un autre le fit se plier en deux alors qu'une botte à crampons écrasait son entrejambe. Malgré la douleur, aucun son ne sortit d'entre ses lèvres, les deux mains étant immédiatement revenues enserrer son cou, tentant avec une jubilation malsaine de lui broyer la trachée.

Plus les secondes défilaient, moins Derek sentait son corps répondre. Il continua de se débattre mais sa vigueur lui échappait. Puis plus aucun membre ne répondit. Son cerveau à court d'oxygène transmit un dernier message et tout ses muscles se contractèrent avant que ses yeux ne roulent dans leurs orbites. Son corps se fit lourd et s'immobilisa.


Il continua à serrer quelques secondes le cou du mec pour s'assurer qu'il n'était plus de ce monde. Par mesure de sécurité, il passa deux doigts au niveau de sa carotide, cherchant un pouls qu'il était certain de ne pas trouver.

- Dépêche Jeffrey, y'a des gens qui commencent à sortir du bâtiment ! » Le pressa un de ses collègues. Son coéquipier passa la tête par la fenêtre passager « On est déjà assez à la bourre comme ça. »

- Putain de merde mais quel connard ce mec ! » continua un autre de ses homologues. Il boitait et traînait derrière lui sa jambe qui formait un angle inquiétant. « On aurait pu nous prévenir que son frère c'était putain de Superman ! »

Jeffrey interrompit ses vérifications, ricana et se releva difficilement, une grande partie de ses forces s'étaient échappées durant la lutte contre le frère du sujet à récupérer. Il jeta un coup d'œil au corps sans vie.

- On en fait quoi ?

- Ch'ais pas. On l'embarque ? Proposa son collègue à la jambe cassée.

- Pas le temps, répliqua un autre en essuyant du sang au coin de sa bouche d'un revers de main. Il avisa un fossé à l'arrière du parking, donnant sur un champ pas encore moissonné. « Balance-le là-bas. Personne ne le trouvera avant des jours vu l'endroit. Ça nous laissera le temps de trouver quoi faire. »

Jeffrey acquiesça et s'étira pour défroisser les muscles que le super-héro en puissance avait malmenés. Franchement, si c'était pour leur interdire d'utiliser leurs flingues à moins de 200m de potentiels témoins, même face à un taré bodybuildé, il ne voyait pas trop pourquoi on leur en fournissait. Peut-être pour qu'ils se fassent casser la gueule comme des cons... Faudrait qu'il en parle au patron en rentrant.

Des éclats de voix l'inquiétèrent et il jeta un regard rapide vers l'entrée de la boîte mais fut rassuré de voir le groupe de jeunes s'éloigner, sans un regard en arrière. Il se pencha donc vers le corps encore chaud et le saisit par les poignets pour le traîner avec difficultés – il pesait son poids l'enfoiré – vers le bout du parking, à quelques dizaines de mètres de leur voiture. Il banda ses muscles dans un grognement épuisé pour balancer le brun dans l'une des tranchées qui bordaient le champ bien fourni. Ne voulant pas tenter le diable, il arracha tant bien que mal quelques épis pour en recouvrir le cadavre avant de s'en détourner. Il fit quelques mètres avant de s'arrêter et de revenir sur ses pas pour balancer un violent coup de pied dans les côtes du type. Parce qu'il avait envie de se défouler. Et parce qu'il le pouvait.

Il s'assura de ne pas laisser de trace de son passage dans les graviers en revenant vers le van où ses collègues l'attendaient en papotant et fumant.

- Ça va, je vous dérange pas ? » Ils le fixèrent d'un air interrogatif. « Il était lourd le salaud, un peu d'aide n'aurait pas été du luxe. »

- Tu t'en es très bien sorti avec tes p'tits bras musclés. » le complimenta, narquois, le coéquipier qui leur servait de coordonnateur pour la rafle de ce soir. Celui-ci ricana en avisant le majeur levé de Jeffrey et écrasa sa cigarette sur la marche du van. « Bon. » Son mégot atterri sur le conducteur qui poussa un petit cri indigné. « On se casse ? »

- Allez, c'est parti ! Répondit le conducteur qui enclencha la marche arrière.

- Les gars, » commença Jeffrey alors qu'il montait à l'arrière du van. Il fixa avidement le sujet qui se débattait dans des cris étouffés, les poignets et les chevilles entravés par des menottes. Ses yeux terrifiés indiquaient qu'elle avait bien décuvé. Ce qui n'en serait que plus agréable. « Je crois que j'ai bien mérité une récompense. » Il jeta un regard de connivence à ses collègues. « Vous voulez pas passer devant ? J'ai un truc à montrer à notre invitée. »

Ses coéquipiers éclatèrent de rire et acquiescèrent alors que le van démarrait en trombe et que la portière se refermait sur un gémissement affolé.


Ce fut le crissement des pneus sur les gravillons qui le firent revenir à lui et un long gémissement de souffrance passa la barrière de ses lèvres d'où gouttaient quelques larmes de sang. Il avait l'impression qu'un bus lui était passé dessus. Plusieurs fois. Dans un râle de douleur et grâce à l'adrénaline qui courait toujours dans ses veines, Derek parvint à se retourner sur le ventre pour cracher une salive beaucoup trop épaisse et beaucoup trop rouge, tentant d'ignorer son cerveau qui menaçait de fendre sa boîte crânienne à chaque toux. Il eut besoin de longues secondes pour se mettre à genoux puis finalement debout. Un haut le cœur brûla sa gorge et il vomit une bile purpurine.

Un filet de salive coulant sur son menton, il força sa nuque à se redresser pour fixer les phares du van qui disparaissaient au loin. Il lui aurait fallu quelques heures pour récupérer un semblant d'énergie et quelques jours à l'hôpital pour soigner ses côtes brisées et ses contusions. Mais le repos et la convalescence n'étaient pas sa priorité. Qu'importait s'il avait une commotion, qu'importait si une hémorragie interne lui remplissait le corps de sang. Derek ne pouvait que penser à sa sœur qui venait de se faire enlever sous ses yeux sans qu'il ne puisse l'en empêcher. Et s'il devait mourir en essayant de la sauver, ce ne serait qu'un détail.

Avec maints grondements de douleur, le jeune homme s'extirpa du fossé dans lequel il avait été balancé et claudiqua vers le parking. Il avisa rapidement la Ford restée ouverte mais retrouver les clefs perdues dans l'agression aurait pris trop de temps. Il pressa le pas, souffrant le martyr au moindre mouvement mais concentré sur son objectif. Sa moto, garée quelques dizaines de mètres plus loin, restait sa seule chance de rattraper le van qui n'avait que quelques minutes d'avance. Une seule et unique route de campagne menait à la boîte de nuit sur plusieurs kilomètres. Il pouvait les rattraper. Il le devait.

Ignorant les regards interloqués des fêtards qui sortaient à peine du bâtiment, il se contorsionna dans un rictus de douleur pour récupérer ses clefs dans sa veste en cuir et se pressa autant que possible pour atteindre la bécane. Après de nombreux gémissements, il réussit à l'enfourcher et alluma le contact. Le bolide démarra en trombe et Derek ne se maintint en selle que par la force de l'habitude tandis que son bolide rejoignait la route perdue au milieu de nulle part.

La nuit était entièrement noire, aucun lampadaire ne venait éclairer le ruban d'asphalte qu'il distinguait à peine ayant, par prudence, allumé au minimum les feux de sa moto. Les points lumineux dansant devant ses yeux n'arrangeaient rien. Plus les minutes défilaient, plus la panique de ne plus jamais revoir sa sœur prenait le dessus alors qu'il n'arrivait plus à apercevoir les feux arrières du van. Au désespoir, il accéléra et manqua plusieurs fois de basculer dans le fossé qui bordait les champs. Enfin, après les plus terrifiantes minutes de sa vie, il parvint à distinguer de nouveau la voiture qui contenait la prunelle de ses yeux.

Malgré les risques, il éteignit ses phares et adapta son allure pour faire en sorte de ne pas perdre le van de vue tout en restant invisible aux yeux des agresseurs. Alors commença une traque interminable durant laquelle Derek eut toutes les peines du monde à ne pas s'écrouler, la douleur lancinante et la fatigue prenant progressivement la place du stress qui lui permettait de tenir. Le van traversa plusieurs communes et, à chaque carrefour, le jeune homme manquait de tomber de la moto, ses muscles s'engourdissant d'épuisement. Seules des images particulièrement réalistes de ce que les ravisseurs pouvaient être en train de faire à Laura lui permirent de tenir bon.

Il lui sembla qu'une éternité s'était écoulée avant qu'enfin le van ne ralentisse au loin, devant ce qu'il semblait être une ferme en plein milieu de nulle part. Il ralentit et avança prudemment pour se poster à côté d'une grange, regrettant que son bolide fasse autant de bruit. Plissant les yeux, il put distinguer trois hommes sortir du véhicule et entrer difficilement dans la maison, deux d'entre eux aidant le troisième qui boitait. Quelques secondes passèrent puis, enfin, il la vit. Laura fut extraite de la voiture avec lenteur, le corps mou et les pieds raclant le sol. Les deux hommes restant passèrent chacun un de ses bras autour de leurs épaules et la traînèrent ainsi, inconsciente, les pieds cognant sur chaque marche du perron. Soudain, l'un des hommes ressortit du bâtiment très agité et pointa la grange du doigt, la bouche collée à un talkie-walkie.

« Putain de vidéo surveillance », pesta Derek, furieux de ne pas avoir anticipé cette éventualité. Impossible maintenant d'appeler discrètement des secours. Alors, perdu pour perdu, il remit les gaz à fond et, les phares toujours éteints, fonça vers le perron. Il n'avait pas de plan. Ou plutôt si. Un seul. Sauver sa sœur des griffes de ces psychopathes, qu'importaient les moyens. Et s'il fallait mourir en essayant, eh bien tant pis.

Au bruit du moteur, les kidnappeurs firent volte-face. L'un d'entre deux lâcha sa sœur qui tomba sur l'autre homme pour porter ses mains à l'une de ses hanches. Il n'eut pas le temps de dégainer son arme. Derek le percuta de plein fouet et une gerbe de sang lui tacha le visage alors que le corps cognait l'avant du véhicule. La manœuvre fit partir le jeune homme en vol plané et seule sa bonne étoile, qui faisait apparemment un passage éclair dans cette soirée pourrie, lui permit de ne pas se fêler de côtes supplémentaires en mettant entre lui et le sol une botte de foin.

L'homme, toujours sur le perron de la baraque, braillait des ordres dans son talkie-walkie pendant que le second porteur de Laura se battait maintenant avec elle, la bousculade l'ayant visiblement réveillée. Elle griffait, hurlait, ne laissant pas un instant de répit à son ravisseur débordé. Pris d'un espoir fou – peut-être allait-il vraiment sauver sa sœur – Derek se releva avec difficulté et n'eut que le temps de croiser le regard combatif de celle-ci avant qu'une détonation ne lui explose le tympan et qu'une douleur effroyable ne lui déchire l'abdomen. Il s'écroula dans un cri et du sang brûlant se mit immédiatement à couler de son ventre. Il entendit Laura hurler son nom tandis qu'il tentait vainement d'arrêter le flux chaud qui déferlait de ses entrailles et trempait ses vêtements.

Le jeune homme perçut, entre deux rugissements de Laura, des bruits de pas s'approcher lentement et il chercha à se traîner vers un abri. Mais la douleur était trop présente et son cerveau refusa catégoriquement de faire bouger son corps meurtri. Il ne put qu'attendre avec amertume qu'une balle se fraye un chemin entre ses deux yeux. Derek ferma ces derniers, des larmes de rage en coulant, alors que des bottes faisaient crisser le gravier près de son visage. Il distingua une forte lumière à travers ses paupières et un murmure appréciateur parvint à ses oreilles. Il lui sembla entendre une voix féminine. Il plissa les yeux pour tenter de distinguer son bourreau mais il s'évanouit.


Lorsqu'il reprit connaissance, il en fut le premier étonné. A travers les affres de la peur et malgré son esprit fatigué qui cherchait à s'évader, il perçut que son dos n'était plus lacéré par les gravillons mais reposait maintenant sur une surface dure et froide qui tressautait alors qu'on le déplaçait. Il ne chercha pas à savoir où il se trouvait, sa lutte acharnée pour sauver Laura avait eu raison de toute sa pugnacité. Il pouvait encore sentir le liquide vital s'exfiltrer de son abdomen, emportant avec lui la chaleur de son corps, et quelques larmes d'acceptation franchirent ses paupières closes. Il allait mourir sans connaître le sort réservé à sa sœur. Il sombra de nouveau, bercé par le cliquetis du chariot sur lequel on le menait sûrement à la mort.


Des éclats de voix le réveillèrent quelques secondes ou minutes plus tard – sa blessure ne lui permettait sûrement pas de vivre plus longtemps. La tête lui tournait et il avait froid. Son corps entier était parcouru de tremblements incontrôlables et il lui fallut une bonne dizaine de secondes pour réaliser que des formes s'agitaient devant ses paupières et qu'il était maintenant à l'arrêt. Sans vraiment chercher à écouter, il perçut quelques bribes d'une conversation houleuse.

- … pas pourquoi on le garde. » La voix était masculine et énervée. « On a gâché un sérum pour un mec qui n'y est même pas potentiellement réceptif. C'est stupide, il va mourir dans tous les cas vu le trou que tu lui as fait dans le bide. »

- Je me fous de ce que tu penses. Papa a dit oui. » La femme qui lui répondit semblait se contenir de le frapper. « Qu'importe s'il meure dans une heure ou une semaine, il m'a dit qu'il acceptait que je le garde à condition que je m'occupe de tout. Et puis franchement, s'il avait dû mourir, il le serait déjà. Le sérum fait déjà effet, j'en suis certaine... » La voix se rapprocha de lui et une main vint se poser sur sa joue. Il se détourna dans un gémissement. « Mais de toute manière ça te concerne pas. Maintenant envoie-moi quelques uns de tes larbins pour le transporter au labo. Faut qu'on évalue tout de suite les premiers résultats du sérum. »

- Il va mourir Kate, répéta l'homme.

- Peut-être. Peut-être pas. Dépêche.

L'homme soupira de frustration et s'éloigna alors que les doigts de la femme caressaient la peau rugueuse du bas de son visage.

- Je suis sûre que tu vas tous nous épater Superman. »

Sa voix était devenue étrangement enjôleuse. Derek tira sur les muscles de ses paupières pour voir à quoi ressemblait la femme qui, de ce qu'il avait compris, était responsable de sa mort imminente ou de sa survie. Ses yeux papillonnèrent quelques secondes alors que la lumière agressait sa rétine. Lorsque sa vue se stabilisa, il tomba nez à nez avec une jeune femme blonde qui lui souriait tendrement. Elle aurait pu être belle, mais la lueur inquiétante qui obscurcissait son regard pourtant clair la rendait juste terrifiante. Derek tenta de s'écarter de la main qui le touchait mais la femme – Kate, se rappela-t-il – lui saisit violemment le menton pour le forcer à lui faire face.

- Tu es à moi, C-46. » Il tenta d'ouvrir la bouche mais la poigne se fit féroce et la femme approcha son visage, désormais teinté d'une folie sauvage à quelques millimètres du sien. « Tu vas survivre mon beau, il est hors de question que je perde la face devant Chris. Tu vas survivre et m'obéir. Ne serait-ce que pour revoir un jour la traînée qui te sert de sœur. »

Les yeux de Derek s'écarquillèrent brusquement et il chercha à parler mais elle l'en empêcha.

- Oh oui mon beau, elle est là et bien vivante. » Elle sourit et une lueur mesquine entacha son regard joyeux. « Il paraît qu'elle n'a pas arrêté de gémir ton nom, même quand mon pote Jeffrey s'est occupé d'elle. Si c'est pas mignon... »

Des images atroces envahirent l'esprit de Derek et un gémissement paniqué bourdonna dans sa gorge. Malgré son épuisement et ses veines presque exsangues,un dernier effort lui permit de reculer assez pour échapper à cette psychopathe. Le chariot sur lequel on l'avait déposé n'était cependant pas assez stable pour résister à un tel mouvement et son corps s'écrasa au sol. À bout de fatigue, Derek ne put rien faire lorsque Kate se pencha pour le remettre sur le dos. Il la vit s'avancer au plus proche de lui et sentit son souffle chaud humidifier sa joue.

- Je suis certaine qu'on va bien s'amuser toi et moi.

Elle combla le maigre espace qui séparait leurs visages d'un mouvement vif et sa langue vint lécher avec gourmandise le sang séché qui maculait sa joue abîmée. Puis elle rejeta la tête en arrière et éclata d'un rire dément, sous les yeux horrifiés de son prisonnier.


Derek se réveilla dans un sursaut de panique qui le fit se relever brusquement dans sa cellule. Il cherchait inconsciemment, comme chaque fois, à fuir la femme qui avait envahi son esprit jusqu'à peupler tous ses cauchemars. Il essuya d'un revers de main les larmes qui maculaient ses joues et tenta d'effacer les vestiges de ce souvenir traumatisant, tout en sachant pertinemment que celui-ci resterait à jamais gravé en lui. Comme chaque nuit depuis qu'il avait été fait prisonnier, sa vie d'avant venait inonder son cerveau de douleur.

Après quelques pas rageurs dans sa cage, il fit face à l'un des murs recouverts d'argent. Son regard embué se focalisa sur une rayure et il se contraignit à évoquer le sourire grimaçant de celle qui avait créé son enfer personnel. Et, tandis que Kate hurlait un rire moqueur dans son esprit, l'un de ses poings vint s'écraser violemment contre le mur. Puis l'autre. Encore. Encore. Et encore. La peau de ses phalanges éclatait sous les coups répétés mais Derek n'en n'avait cure. La douleur physique lui permettait parfois d'oublier celle, psychologique, beaucoup plus forte. Il savait que le contact avec le métal accentuait sa souffrance et diminuait aussi ses forces. Alors, il s'effondra quelques minutes plus tard, le dos contre le mur intact, à l'exception de quelques rayures supplémentaires. La peau de ses épaules nues émit un grésillement mécontent alors que le métal lui brûlait l'épiderme mais il l'ignora.

Quelques sanglots tentèrent de remonter le long de sa gorge et il leur barra le passage. La moindre faiblesse excitait celle qui lui servait de bourreau. Et les plaintes des prisonniers ne résonnaient que trop bien dans ce couloir morbide.

Il se força à reprendre une respiration plus régulière et croisa par inadvertance le regard de son nouveau voisin. Malgré la faible lumière, les capacités qu'il avait développées depuis l'inoculation du sérum lui permirent de déceler de l'inquiétude dans les yeux ambrés du garçon. Il gronda sourdement dans sa direction. Le type fronça les sourcils et se détourna, les épaules raides. Bien. Il ne voulait pas de sa pitié.


Voilà voilà =)

Alors, heureux d'avoir revu notre super Derek ? Ouais, il en a pris plein la gueule dans ce chapitre...
M'en voulez pas trop ! Et puis il s'est bien défendu tout de même le bougre !

Et hop, on apprend que sa vie est encore plus pourrie qu'on le pensait.
C'est cool non ? lol oui je suis une vraie sadique.

Et franchement, je vous ai mis Kate. Vous ne pouvez que être contents !

Sinon, j'espère franchement que ça a assez plu aux lecteurs anonymes (oui, vous, je vous vois !) pour qu'ils laissent un petit commentaire.
Aller, un commentaire, un coup de pied de moins dans l'entrejambe de Derek ! ;)

Je n'ai pas DU TOUT avancé le chapitre suivant et les copies s'accumulent sur mon bureau.
Donc j'avais pris un bon rythme de 1 chapitre / 2 semaines mais je vous promets absolument rien.

Bisou

'Lys