I'M NOT DEAD
NDA : bonjour/bonsoir à tous :) Une nouvelle fiction qui ne devrait pas dépasser les 5 ou 6 chapitres. J'espère qu'elle vous plaira ^^ Bonne lecture !
Avertissements : tous les personnages appartiennent à Mr Kuromada. Merci à Camhyoga pour sa correction. Cette histoire est une pure fiction : je ne sais absolument pas comment fonctionne le système judiciaire ni les instituts psychiatriques.
EDIT définitif : le thème de cette fiction est similaire à celui d'une autre histoire (merci à RedCat et Alaiya de me l'avoir fait remarquer) mais nos scénarios sont différents. Il ne s'agit pas d'un plagiat. Avec accord de l'autre auteure que je remercie chaleureusement, "I'm not dead" restera sur le site et continuera d'être publié. Merci à tous pour vos messages de soutien à ce sujet.
Introduction
La salle est petite, blanche, froide. Le lit en fer est coincé dans un angle de la pièce et est immaculé lui aussi. Les draps, l'oreiller, les murs, le sol, tout. Même les vêtements, informes, longs. La seule touche de couleur, ce sont ses cheveux. Couleur lavande. Déformation génétique, a-t-on dit. En lien avec le reste, sans doute. Comment savoir ? La vie est compliquée, l'ADN aussi.
Il est assis par terre, replié sur lui-même. Mais la tête haute, toujours, malgré son regard vide posé sur le mur d'en face. Voit-il quelque chose ? Pense-t-il ? Rêve-t-il ? Lui seul a la réponse, mais il ne parle pas. Ne parle plus. Isolé dans son monde, dans sa cellule, dans sa tête.
La porte s'ouvre sans un bruit –c'est tabou ici. Comme si tout ce blanc absorbait les sons : même respirer semble bruyant. On vient à petits pas, avec crainte de briser le silence qui règne. Le plateau repas est posé sur le lit, il n'y a même pas de table. Il ne détourne pas le regard du mur, ne cligne même pas des yeux, absent. Hors du temps.
« Bonjour Mu » dans un souffle.
Aberration, que de seulement parler !
« Tu vas bien ? » toujours en murmurant, pour ne pas trop perturber le blanc.
L'étranger porte la tenue règlementaire. Il l'a enfilée avant d'entrer dans le couloir, délaissant ses habits pour une tunique et des chaussons. Il hésite un instant, puis se décide et s'assoit par terre. Pas trop loin, pas trop près. Il ne sait pas comment il pourrait réagir si seulement il réagit.
« Tu manques à Kiki. »
Un clignement de paupière, une victoire en soi. Il espère, il reprend la parole :
« A moi aussi, tu me manques, tu sais. La maison est triste sans toi. Je pense déménager. C'est trop grand maintenant. Et il y aurait toujours une chambre pour toi, au cas où… »
Il s'interrompt, la gorge serrée. Aucune réaction, encore. Il sent les larmes monter, les empêche de couler. Pas ici, pas maintenant. Il doit être fort, fort pour lui-même, fort pour son frère, fort pour son jeune cousin.
« Parfois j'en ai assez d'être fort, murmure-t-il soudain. Tu comprends ? Je suis fatigué. Je ne sais pas si je vais réussir encore longtemps, tu sais. »
Il se relève, voudrait prendre son frère dans ses bras, se retient et se dirige vers la porte de la chambre –de la cellule.
« Je t'aime petit frère. Ne nous oublie pas. »
Puis il sort. Dans le blanc, un nouveau clignement, une larme qui tombe. Le silence.
* Quelques mois plus tôt
Pause café. Pause café. Marine avançait dans les couloirs avec cette litanie en tête, saluant vaguement les collègues qu'elle croisait. Elle s'était levée à quatre heures du matin, elle avait quand même le droit de penser un peu à elle et d'avoir son breuvage salutaire ! Surtout si elle voulait tenir jusqu'à l'heure du déjeuner.
La salle réservée aux infirmiers en pause était leur refuge à tous. Ils la décoraient comme ils l'entendaient, apportaient boissons, repas et gâteaux à volonté. Oui, c'était un endroit qu'ils chérissaient tous à force, qui leur permettait d'oublier et de se reposer avant de reprendre le travail. Pas qu'ils n'aimaient pas leur job, loin de là, sinon ils ne s'y trouveraient pas. Mais s'occuper à longueur de journée de patients mentalement atteints n'était pas de tout repos, et la fatigue était autant physique que morale.
Elle pénétra dans la pièce avec un soupir de contentement. Fait rare, elle était seule. Un coup d'œil à sa montre lui confirma qu'elle était un peu en avance par rapport à l'heure de la pause. Sa tournée avait été rapide –à vrai dire, elle avait volontairement écarté un patient de sa liste, afin de s'y consacrer après s'être un peu reposée. Elle alluma la cafetière qui émit rapidement un petit sifflement satisfait et s'occupa de préparer la précieuse boisson.
Elle se laissa tomber dans un fauteuil et renversa la tête sur le dossier, fermant les yeux de contentement. Celui-ci fut bref, car bientôt un bruit de voix s'approcha, comme une dispute. Elle reconnut Shina, et la porte s'ouvrit sur cette dernière, accompagnée de Milo.
« Je refuse d'avoir un fou furieux comme patient ! s'écria l'Italienne avec un mouvement de la main. Pas la peine d'insister Milo ! »
L'infirmier prit une mine contrite et rétorqua :
« C'est pas moi qui décide, tu le sais très bien. Et si personne ne se propose pour s'occuper de lui, il te sera imposé de toute façon.
-Un nouveau patient ? s'enquit Marine, curieuse.
-Quoi, tu n'es pas au courant ? s'étonna le Grec en se servant une tasse brûlante.
-J'étais en congé ce week-end, expliqua la jeune femme. C'était l'anniversaire d'Aiolia.
-C'est vrai, j'avais oublié. On a un extradé de justice qui doit arriver dans l'après-midi.
-Pardon ? Si vite ? Comment ça se fait ?
-Ce type est cinglé, intervint Shina. Quadruple homicide, et pas du joli d'après ce que j'ai vu quand je me suis renseignée. Son avocat a plaidé la folie, du coup on nous demande de le garder jusqu'à ce qu'il soit diagnostiqué. Et devine qui doit s'en occuper ! »
Marine secoua la tête, encore sous le choc de la nouvelle. Shina s'empara d'un biscuit et planta violemment les dents dedans.
« Ce que je ne comprends pas, c'est qu'ils nous le refilent comme ça, reprit Milo en s'installant à son tour dans un fauteuil. Ici, c'est un centre pour personnes déficientes, certes, mais nos patients ne sont pas dangereux, tout du moins pas de cette façon, pas volontairement. Là c'est un criminel. C'est un danger pour nous et pour les autres pensionnaires.
-Shion a accepté de le prendre ?
-Il n'a pas eu le choix, visiblement. C'est le seul établissement qui a de la place, et patati et patata, tu vois le genre ? grinça l'Italienne.
-Et écoute le pompon ! s'empressa d'ajouter Milo avec un air de commère. Devine qui a été sur l'arrestation de ce type ? »
Marine secoua la tête, peu enthousiaste à l'idée d'une devinette. Le Grec fit la moue avant de répondre :
« Dokho ! J'en connais un qui doit faire chambre à part, sourit-il.
-En parlant de la police, j'espère qu'il sera surveillé, grommela la Grecque en croisant les bras.
-Normalement on aura deux policiers en faction devant la porte de sa chambre. De toute façon, sans ça, Shion aurait dit merde au juge, s'amusa Shina.
-Bonjour tout le monde ! les interrompit la voix joyeuse d'Aldébaran. Je vois que la nouvelle a vite fait le tour.
-Salut Aldé, répondit Marine. Tu as plus d'informations là-dessus ?
-Shion doit passer d'ici quelques minutes nous faire un topo, expliqua le Brésilien en s'emparant de la tasse encore pleine de Milo, qui tenta vainement de protester. Je crois qu'il a réussi à trouver un compromis avec le juge en charge de l'affaire.
-C'est-à-dire ?
-Aucune idée.
-Et ce type, tu sais quelque chose à son sujet ? intervint Shina.
-Pas plus que vous, je pense. »
Pendant ce temps, Shaka et Camus les avaient rejoints, et Shion arriva peu après. Le silence se fit aussitôt tandis que le directeur de l'établissement entrait dans la salle.
« Bonjour à tous ceux que je n'ai pas encore croisé, salua-t-il avec un sourire. Inutile de tergiverser plus longtemps, parlons de notre nouveau pensionnaire. Il s'agit d'un cas de justice, Egidio Granchio dit Deathmask, je pense que vous en avez entendu parler ces derniers jours. »
Marine frémit : autant le nom de Granchio ne lui disait rien, autant celui de Deathmask était effrayant. Elle comprenait mieux les réticences de sa collègue d'avoir à surveiller cet homme.
« Dans les grandes lignes, c'est un assassin qui a récidivé trois fois, expliqua clairement Shion. Il a été interpellé il y a quelques semaines, mais le temps que l'affaire passe devant le juge… Vous connaissez la chanson. Bref, son avocat a plaidé la folie, et il faut le diagnostiquer. En attendant, vu le plaidoyer, il doit être interné le temps de confirmer ou non son état mental.
-Je dirais que tuer quatre personnes en dit assez, grommela Shina.
-Certes, mais c'est la loi, soupira Shion. Il va donc être transféré ici, et je vous assure que ça ne me réjouis pas plus que vous tous ! Mais nous n'avons pas eu le choix. Néanmoins, j'ai émis des consignes très claires. »
Tous furent instantanément encore plus attentifs.
« Il y aura tout le temps deux policiers en faction devant la chambre qui lui sera allouée et qui surveilleront ses sorties. Un autre sera en poste au niveau de l'entrée du Sanctuaire et sera joignable à n'importe quelle heure. De plus, nous avons à notre disposition une ligne directe vers le bureau de police le plus proche et un numéro spécial où joindre le juge en charge de l'affaire. Voilà pour la première partie. Maintenant la seconde : le diagnostic psychologique sera établi par un expert judiciaire, mais j'ai demandé à ce que Camus et Shaka participent à ce constat. Je pense qu'il s'agit d'une autre garantie pour nous que cet homme soit jugé comme il le convient. Merci encore à vous deux pour avoir accepté. »
Les deux collègues hochèrent la tête. S'ils étaient de nature plutôt peu communicative et distante, ils étaient tous les deux appréciés et personne ne remettait en cause leur professionnalisme.
« Concernant l'infirmier en charge de notre nouveau pensionnaire, j'ai pensé à Shina. Il est Italien, peut-être que la proximité de la langue sera bénéfique ? »
La jeune femme fit la moue et marmonna :
« On va dire ça, oui.
-Au moindre problème, tu seras relevée de ce patient, lui assura Shion. Et les deux policiers seront toujours présents, même lors des soins.
-Ok, je vais m'en occuper, accepta-t-elle finalement.
-Merci Shina. Des questions ?
-Combien de temps est-il sensé rester ? interrogea Aldébaran. Y a-t-il une durée minimum ou maximum à son séjour avant le jugement ?
-Il me semble que le début du diagnostic doit commencer dès demain. Mais on m'a prévenu que l'examen du patient prendra un certain temps, notamment parce que la police n'est pas sure de sa responsabilité sur certains meurtres. Après que le rapport des psychologues soit rendu, il faudra attendre encore deux ou trois jours avant que le jugement n'ait lieu, et après ça il sera décidé de son internement ou de son emprisonnement.
-Donc une semaine et demie à deux semaines ?
-Dans ces environs, oui. Je demande donc à tout le monde d'être attentif, d'aider Shina au mieux, et de surveiller nos autres patients : l'arrivée d'un nouveau pensionnaire est toujours un évènement, et on ne sait pas encore comment tous réagiront.
-Est-ce qu'il sera en contact avec eux ? s'inquiéta Marine.
-Le moins possible, mais il y a la sortie journalière, soit à l'extérieur soit en salle surveillée. Evidemment, il restera dans la salle, anticipa le directeur en levant la main en signe d'apaisement. Il faudra essayer de limiter tout contact avec les autres, ne sachant pas quelles réactions il pourrait y avoir. Voilà, si vous avez des questions ou des remarques, je suis disponible dans mon bureau. Marine, est-ce que je peux te parler en privé ? »
La jeune femme le suivit dans le couloir, intriguée. Shion lui fit signe de venir avec lui et la conduisit dans la pièce qui lui servait de cabinet.
« Je sais que c'est injustifié, mais est-ce que je peux te demander de veiller sur Mu ? déclara-t-il avec inquiétude.
-Evidemment, opina la Grecque. Rassure-toi, tout ira bien. Tu as fait au mieux dans cette histoire.
-Il n'empêche que ça ne me plait pas, maugréa-t-il. Au fait, je tiens à te prévenir : Aiolia a demandé à être de permanence pour surveiller Egidio Granchio.
-J'imagine qu'il va me faire une scène ce soir, rit-elle. Et Dokho ?
-Présent lui aussi. Ecoute Marine, j'ai essayé de faire en sorte qu'Aiolia ne vienne pas, mais il faut croire que j'en demandais trop, surtout qu'il a insisté pour être ici. Je sais qu'il est un excellent flic, je n'ai eu que de bons échos, mais si jamais il essaye de s'approcher de Saga, je le vire. Je pense qu'il vaut mieux que ce soit toi qui le lui dises, il risque de se braquer si c'est moi qui le fais.
-Tu as sans doute raison, mais il ne fera pas une bêtise pareille, j'y veillerai. Ça fait neuf ans, tu sais.
-La durée ne compte pas, soupira Shion en secouant la tête. Ça fait bien 4 ans que Mu est ici, et je n'ai pas avancé depuis. »
La jeune femme posa une main réconfortante sur le bras de son supérieur et ami.
Oui, neuf ans déjà qu'Ayoros, le frère aîné d'Aiolia, avait été tué par son meilleur ami Saga. Shion, qui connaissait les parents des deux frères avant qu'ils ne décèdent, avait aidé le jeune homme. Dokho avait fait partie de l'équipe en charge de l'affaire, et c'est lui qui s'était rendu compte du caractère étrange qu'adoptait parfois Saga lors des interrogatoires. Une expertise avait démontré une schizophrénie sévère, qui allait jusqu'à de la violence envers son « autre lui-même » qu'il avait baptisé Kanon et qu'il appelait son frère jumeau. Shion avait choisi d'accueillir Saga dans son nouvel établissement, ce qui lui avait valu la rancœur d'Aiolia depuis lors. Marine, qui sortait avec lui lors des évènements et souhaitait poursuivre des études d'infirmière, avait été plongée en plein cœur de la tragédie. Elle aussi avait souffert de la perte d'Ayoros, car le jeune homme était autant son grand frère que celui d'Aiolia. Après la fin de ses études et de sa spécialisation en psychiatrie, elle avait demandé un poste à Shion, qui le lui avait accordé aussitôt.
Trois mois après le début de son travail dans l'établissement, Mu, le frère cadet de son supérieur, était interné. La nouvelle avait ébranlé tout le personnel, et nul ne savait comment réagir vis-à-vis de leur directeur. Marine avait d'elle-même pris en charge le jeune homme, et Shion lui en était encore reconnaissant. Si elle ne savait pas exactement les circonstances qui avaient amené à l'internement de Mu, elle avait une affection toute particulière pour lui, amitié qui lui était retournée. Le jeune homme avait une certaine sensibilité, et elle arrivait toujours à discuter avec lui de ses problèmes –même si en théorie elle n'en avait pas le droit. Mais Mu savait toujours quand elle était triste, joyeuse ou en colère et parvenait à lui tirer les vers du nez sans qu'elle s'en rende compte.
Si seulement il n'était pas malade… Marine ne saurait pas comment qualifier ça autrement que d'une sorte de trouble délirant. Mu était persuadé de ne pas vivre exactement dans le même monde qu'eux, et les incluait tous dans cet univers alternatif qu'il s'était créé au fil des années. Apparemment, ça le rendait suffisamment dangereux pour être mis à l'écart de la société. La nouvelle avait beaucoup affecté Shion, ainsi que Kiki, leur jeune cousin dont ils avaient la garde. Shion avait réussi à ce que Mu soit placé dans son établissement, mais malheureusement son état stagnait et rien ne permettait de savoir s'il allait rester au même point, s'améliorer ou même se dégrader.
« Je dois reprendre mes visites, fit Marine. Je vais justement aller le voir, tu veux venir avec moi ?
-Pourquoi pas » accepta son supérieur après un instant d'hésitation.
Ils quittèrent le bureau et se dirigèrent dans les couloirs du bâtiment. Les murs étaient colorés, tranchant avec le blanc habituel des établissements de santé. Certes plus compliqués à laver, et encore, ils égayaient les lieux et permettaient aux pensionnaires de se sentir plus à leur aise quand ils quittaient leur chambre. Chaque porte avait une couleur différente, que le patient avait lui-même choisie. Celle de Mu était couleur lavande, avec des moutons peints en blanc à la hauteur de la poignée. Un vestige d'une des visites de Kiki à son cousin, lors de laquelle ils s'étaient amusés à les colorier. La porte s'ouvrit sur le jeune homme, qui avait un sourire aux lèvres :
« Marine, Shion ! les salua-t-il. J'ai senti vos cosmos, entrez. »
Ils obtempérèrent après s'être lancé un regard attristé. Shion s'installa sur une chaise tandis que Marine ouvrait la fenêtre pour aérer la pièce.
« Comment ça va Mu ? demanda-t-elle. Bien dormi ?
-Oui merci. Kiki n'est pas avec toi ? dit-il à son frère aîné.
-Pas aujourd'hui, il a cours ce matin.
-Quel jour sommes-nous ? s'étonna Mu.
-Mardi. Peut-être qu'il pourra venir demain après-midi, proposa Shion.
-Est-ce qu'il n'a pas entraînement le mercredi ?
-Je crois que ça a été remis à plus tard dans la soirée, pour faire un dernier point pour le match de samedi, expliqua le directeur avec un sourire.
-Il doit être impatient, rit Mu en s'asseyant à son tour. Mais je ne me fais pas d'inquiétude pour lui, c'est un bon apprenti. Je me demande quelle armure il recevra. »
Un silence lourd s'installa instantanément. Marine jeta un coup d'œil à son supérieur, qui s'était renfermé aux mots de son cadet. Elle décida de relancer la conversation :
« Il faut que tu saches une chose Mu, il va y avoir un nouvel arrivant cet après-midi.
-Vraiment ? C'est très soudain.
-Oui. Cette personne est dangereuse, il faudra que tu fasses attention, d'accord ?
-On dit aussi que je suis dangereux, tu le préviendras de faire attention ? » railla brutalement le jeune homme.
Marine préféra ne pas réagir, mais pu voir Shion tressaillir : les sautes d'humeur de Mu étaient souvent conjointes à des phases de lucidité, ce qui rendait ces moments pénibles car ce qu'il disait n'était que la stricte vérité.
« Je suis sérieuse tu sais, reprit-elle en se penchant vers lui. On ne sait pas de quoi il est capable.
-Est-il comme Saga ? s'enquit Mu avec une voix de nouveau calme et posée. Comment va-t-il d'ailleurs ?
-Plutôt bien pour l'instant, mais non, il n'a pas le même problème que Saga.
-Je suis curieux. Mais j'imagine que ce ne sont pas mes affaires…
-Moins tu t'approcheras de lui, mieux ce sera, confirma Shion. J'ai des papiers à régler, je repasserai sans doute tout à l'heure.
-A plus tard » répondit doucement Mu avec un léger air de dépit au visage tandis que son frère quittait la chambre.
Marine s'installa sur le lit près du jeune homme et passa un bras autour de ses épaules avec affection.
« Il ne va pas bien, constata-t-il avec peine. Et c'est de ma faute.
-Non Mu, ce n'est pas de ta faute, le reprit-elle. Ce n'est la faute de personne, la vie a juste décidé d'être comme ça.
-Mais il va mal, et c'est à cause de ce que je suis, insista Mu. Je n'ai pas choisi d'être comme ça.
-Je sais, Mu.
-Tout aurait été plus simple si je n'avais pas de cosmos » conclut le jeune homme en baissant la tête.
Marine resta silencieuse, ne sachant pas quoi dire pour le réconforter. Elle ne comprenait pas toujours où allait l'imagination de Mu, avec ces histoires de chevaliers en armures possédant des pouvoirs spéciaux. Il expliquait tout grâce au cosmos, ou à des sens surnuméraires qui lui permettaient de se défendre et d'accroître ses pouvoirs psychiques. Cela passionnait beaucoup Shaka, avec qui il discutait régulièrement, mais la jeune femme trouvait ça injuste de le conforter dans ses délires irréels.
Au bout d'un moment, elle sentit la tête de Mu se poser sur son épaule et esquissa un mince sourire, un peu triste. Elle s'était attachée trop vite au jeune homme. Un jour, ça lui retomberait dessus, elle en était certaine. Mais en attendant, elle passa une main apaisante dans les longs cheveux de son patient, jusqu'à ce qu'il se calme.
* Dans l'après-midi
La route qui menait à l'établissement était vraiment mal foutue. De la caillasse partout, qui faisait bringuebaler la voiture de police comme un chewing-gum mâchonné par un vieil édenté. Si les deux policiers n'en menaient déjà pas large, leur passager à l'arrière était plus que secoué. Serrant les dents, Egidio Granchio se retenait difficilement d'éclater. Quoi, c'était un centre privé pour débiles mentaux, assez réputé d'après le peu qu'il avait bien voulu apprendre, et ils étaient même pas fichus de bétonner la route ? La bonne blague. Au moins ils devaient être surs que le cerveau de leurs pensionnaires avait bien été retourné par les bosses du chemin avant d'arriver chez eux !
Il jeta un coup d'œil par la fenêtre, ignorant les menottes qui lui entravaient les mains. Le décor était joli, il ne pouvait pas le nier. Des arbres partout, des buissons fleuris, de l'herbe bien verte. Le cliché même de l'institut qui voulait être bien vu. « Oui vous pouvez nous laisser votre enfant sans soucis, vous voyez, tout est bien entretenu, même le jardin. Il est fou à lier et vous voulez vous en débarrasser ? Vous êtes au bon endroit ! » Youpi. Bienvenue chez les bisounours, sauf qu'il leur manque plusieurs cases au magasin.
Une nouvelle secousse le fit grincer des dents méchamment. C'était pas possible, ces deux flics se fichaient de lui en le maltraitant sur ce chemin défoncé ! Pour sûr qu'il y avait une autre entrée plus accessible.
Ils arrivèrent enfin face à un grand bâtiment blanc, tout en longueur. Ils se garèrent près de la porte d'entrée, qui s'ouvrit sur quelques personnes. L'Italien retint un rire moqueur : si c'était l'équipe soignante, pas étonnant que les débiles mentaux qui séjournaient ici n'aient pas eu d'amélioration de leur état.
Les deux policiers sortirent du véhicule et s'approchèrent d'eux. Celui qui conduisait, le Chinois jovial, discuta quelques instants avec un type bizarre, aux cheveux mi-blonds mi-verts.
« Putain, mais où je suis tombé… » marmonna Egidio.
Le plus jeune des deux poulets, un Grec trop sérieux, était un peu resté en retrait et lui jetait régulièrement un regard sévère. L'Italien lui décocha un grand sourire, qui fit plisser les yeux au jeune policier. Le prisonnier étouffa un rire : c'était tellement facile.
Le Chinois revint rapidement et ouvrit sa portière :
« Allez, terminus tout le monde descend. »
Egidio se laissa faire docilement, même si intérieurement il bouillait. Toute cette mise en scène juste pour gagner quelques jours. Pas sûr qu'il tienne jusqu'au procès, il avait prévenu son avocat. Ce dernier avait haussé les épaules et répliqué :
« Si vous voulez perpétuité, faut me le dire tout de suite. »
Mais ça c'était avant que ses deux camarades arrivent à le contacter. Faire profil bas le temps de l'expertise psychologique, jouer les débiles, le temps qu'ils trouvent une solution pour le faire sortir en douce. Un établissement psychiatrique, c'est moins surveillé qu'une prison, après tout.
« Je m'appelle Shion, se présenta le type bizarre aux cheveux pas nets. Je suis le directeur de cet établissement. Voici l'équipe soignante, Aldébaran est le chef infirmier. On va vous conduire à votre chambre. »
Quoi, pas de « bienvenue chez nous, nous espérons que vous allez vous y plaire » ? L'Italien fut escorté jusque dans la pièce qui lui était allouée, où le jeune policier lui retira ses menottes avant de sortir de la chambre pour fermer la porte à clef.
A l'extérieur, Shion et Dokho discutaient à voix basse :
« Le trajet s'est bien passé ?
-Il a fait profil bas, expliqua le Chinois. Mais je ne me fais pas d'illusions, il joue la comédie.
-Je vais vous faire amener des chaises, fit Shion. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à demander.
-Tu m'en veux encore ? demanda Dokho avec une voix déçue.
-Je sais bien qu'il fallait désigner un établissement, mais proposer le mien, grommela le directeur.
-Je fais confiance à ton personnel, rétorqua le policier. C'est un lieu isolé, plus facile à surveiller qu'un centre en pleine ville.
-Je sais. Et non, je ne t'en veux plus » ajouta Shion avant de tourner les talons.
Dokho esquissa un sourire amusé. Depuis tout ce temps qu'ils se connaissaient, tous les deux, son ami puis amant était devenu tellement prévisible à ses yeux. Têtu comme une mule, mais néanmoins capable de pardonner et de reconnaître ses torts. La crise qu'il lui avait faite quelques jours plus tôt était un exemple parfait.
Aiolia, près de lui, semblait nerveux.
« Calme-toi donc, conseilla le plus âgé.
-Plus facile à dire qu'à faire, grommela le jeune homme.
-Ecoute, j'ai appuyé ta demande, ne me le fais pas regretter, d'accord ? Si on a tous les deux demandé à venir ici, c'est pour la même raison. Alors détends-toi un peu, reste sur tes gardes et fais ton boulot comme il faut, tout se passera bien.
-Tu y crois, à ce que tu dis ? rit le Grec.
-J'essaye de m'en persuader en tout cas. Tu n'es pas allé voir Marine ?
-Elle s'est éclipsée » répondit Aiolia avec une moue.
La jeune femme n'avait pas voulu croiser son fiancé, pas avec le nouvel arrivant tout juste enfermé. Elle se doutait bien qu'il serait sur les nerfs, et ne se sentait pas capable d'affronter son tempérament tout de suite. Elle avait besoin de calme, de se changer les idées. C'est tout naturellement qu'elle se retrouva face à la porte violette, qu'elle ouvrit doucement après avoir toqué. Mu se trouvait près de sa fenêtre et contemplait la voiture de police stationnée près de l'entrée.
« Je l'ai vu, commenta-t-il.
-Il me fait peur, avoua Marine en le rejoignant. Ses yeux, surtout. »
Le jeune homme se tourna vers elle et lui sourit amicalement.
« Ton cosmos est perturbé. Viens t'asseoir. Il y a autre chose, non ?
-Mon fiancé est ici, avec Dokho, pour le surveiller.
-C'est une bonne chose, je trouve.
-Si jamais il se passe quoi que ce soit, ce seront à eux deux de s'en occuper. Cet homme a déjà tué, il peut recommencer. »
Mu hocha la tête, compréhensif.
« Ils sont capables de s'en sortir. Tu sais, ce sont deux puissants chevaliers.
-Ce ne sont pas des chevaliers, Mu ! s'écria finalement Marine. Ce sont des êtres humains, qui peuvent mourir ! Est-ce que tu comprends ça ?
-Je comprends que tu es triste, répondit le jeune homme en évitant la question. Tu peux rester ici si tu veux. »
L'infirmière acquiesça avec gratitude. Bon sang, à peine cet Egidio Ganchio était-il arrivé que déjà tout semblait aller de travers ! Elle ne pouvait qu'espérer que l'expertise soit la plus rapide possible, pour ne plus avoir à croiser les yeux noirs de cet homme.
à suivre...
