Chapitre 1:
Le soleil se levait à peine, perçant l'obscurité de ses rayons pâles et froids, teintant le ciel et la neige d'une lueur rosâtre. Un froid glacial régnait sur la toute la région depuis deux ou trois semaines et les chutes de neige n'étaient pas rares. Mais rien de tout ça ne semblait troubler Quinn tandis qu'elle descendait lentement les marches menant au parc de l'Institut de la Guerre, emmitouflée jusqu'aux oreilles dans une épaisse cape d'hiver.
Sitôt qu'elle posa les pieds dans l'épaisse couche de neige couvrant la pelouse, Valor poussa un cri de satisfaction et prit son envol à puissants coups d'ailes. Pendant un instant, Quinn le suivit des yeux tandis qu'il décrivait de large cercle au-dessus du parc avant de piquer vers un bosquet éloigné et de disparaître derrière les branchages nus des arbres décharnés.
C'était leur petit rituel du matin. Habituée à se lever avec le soleil, Quinn profitait toujours du calme matinal pour sortir avec Valor. Tous deux étaient habitués aux grands espaces et à la liberté et rester enfermés entre les murs de l'Institut pour ne sortir qu'au moment des matchs était un changement douloureux pour eux. Les longues courses dans les champs, les traques en forêt et les missions en territoire ennemi leurs manquaient. Quinn savait parfaitement que Valor n'avait rien à faire entre quatre murs. Sa nature sauvage le poussait vers la liberté. Il était fait pour fendre les cieux, planer sur les courants aériens, chasser et suivre son instinct. Il ne supportait l'enfermement que par amitié pour elle. Elle lui en était reconnaissante et se sentait coupable d'infliger ça à son ami.
Tout ça pour quoi? … certes, elle était fière de représenter Démacia, fière d'avoir été jugée digne de porter les couleurs de la citée et d'avoir la confiance du prince Jarvan. Mais elle n'avait pas beaucoup d'amis, peu de personne avec qui parler, même au sein de sa propre faction. Elle n'avait jamais été très à l'aise en société et, visiblement, certaines jeunes femmes de Démacia semblaient la considérer comme une sauvageonne. Certaines particulièrement snobes, comme Fiora, ne semblaient pas vouloir être vue en compagnie de quelqu'un qui prenait plaisir à se rouler dans l'herbe, à dormir dans les arbres où à patauger dans la boue, sans se soucier de son apparence. Sans compter que la duelliste paraissait trouver ridicule son habitude de porter Valor partout avec elle et de lui parler comme à un être humain. Peu importait. Quinn savait qu'il la comprenait, c'était le principal.
Valor réapparut soudain, portant un lapin blanc entre ses serres. Il se posa non loin de la jeune femme et attaqua son déjeuner à coups de bec. Quinn soupira et épousseta de la main un banc tout proche afin de le débarrasser de son épaisse couche de neige. Elle s'y assit en tirant un carnet de croquis relié de cuir de l'une de ses poches. Tandis que Valor dévorait de longs lambeaux de viande crue, Quinn en profita pour croquer le paysage hivernal à petits coups de fusain précis. Elle avait toujours aimé dessiner et s'en sortait plutôt bien pour quelqu'un qui n'avait jamais pris le moindre cours. Son journal, d'ailleurs, débordait de dessins: portraits de personnes, croquis de bâtiments ou reproductions de paysages vus pendant ses voyages.
Un glaçon pointu se décrocha soudain d'une branche toute proche, la faisant craquer bruyamment dans le silence ouaté du jardin. Quinn bondit aussitôt sur ses pieds, en alerte, tandis que Valor s'envolait en criant, abandonnant son repas. Pendant un instant, elle scruta les alentours d'un regard aiguisé, jusqu'à ce qu'un rire moqueur la fasse sursauter.
– Pour l'élite des éclaireurs de Démacia, tu n'es pas très observatrice, fit une voix moqueuse.
Une silhouette sauta du pin duquel le glaçon était tombé et se redressa en toisant Quinn.
– J'aurais pu te tuer dix fois, si je l'avais voulu.
La jeune femme croisa les bras sous sa poitrine:
– Et risquer d'être exclu de la League? Demanda-t-elle d'un air dubitatif.
– Encore faut-il que quelqu'un puisse prouver que je suis coupable. Et vu que tu es la seule à pouvoir reconnaître mes méthodes à coup sûr …
Il laissa sa phrase en suspens. Quinn frissonna mais n'aurait su dire si la cause en était le froid où le sourire carnassier du jeune homme. Elle savait parfaitement qu'il était capable de mettre sa menace à exécution, elle le connaissait bien. Après tout, elle avait passé des jours entiers à le traquer, en vain. Elle savait mieux que quiconque de quoi Talon était capable. Mieux valait ne pas le prendre à la légère.
– Tu viens juste pour me prouver que tu peux me surprendre?
– Pas besoin de preuve, tout le monde le sait, argua l'assassin en croisant les bras sur son torse d'un air de défi.
Quinn soupira en se demandant pourquoi elle se fatiguait à discuter avec ce noxien. Après tout, il était comme tous ses semblables: arrogant, provocateur et dangereux. Mortellement dangereux. Elle tendit silencieusement le bras droit sur le côté et Valor vint se percher sur son gant.
– Tu sais aussi bien que moi que les habitudes son dangereuses, lança Talon.
– Je ne vois pas ce que j'ai à craindre, répliqua la jeune femme en faisant volte-face. Toute agression envers un autre champion en dehors des Champs de Justice est formellement interdite. Passible d'une expulsion de la League pour le criminel et de fortes sanctions pour sa faction. Je ne pense pas que Noxus puisse se payer le luxe de risquer tout ça simplement pour me voir disparaître.
Pour une raison qu'elle ne comprit pas, Talon lui emboîta le pas et la suivit tandis qu'elle rentrait dans le bâtiment principal.
– Comme je l'ai dit, pas de preuve, pas de coupable!
– Ne t'inquiète pas pour ça, trancha la démacienne sans le regarder. J'ai laissé suffisamment de notes et de croquis sur tes méthodes d'assassinats dans mes carnets pour permettre à n'importe quel imbécile de prouver ta culpabilité.
Ca eut au moins le mérite de le faire taire, même si le sourire sur son visage n'annonçait rien de bon.
Après tout, ce n'était pas complètement faux. Ses carnets débordaient réellement de notes et de détails concernant l'assassin. Elle avait commencé à en prendre afin de rassembler ses connaissances et informations alors qu'elle le traquait, la première fois. Elle avait continué par habitude et parce que, presque à son insu, elle s'était mise à admirer ses prouesses: sa précision mortelle, son efficacité, son audace. Bien qu'activement recherché par toutes les forces démaciennes possibles, Talon avait tout de même réussit à s'introduire à l'intérieur du palais royal pour assassiner l'un des plus proches conseillers du roi, avant de s'introduire chez Quinn pour déposer sur son oreiller la main tranchée de sa victime au doigt de laquelle était toujours passé l'anneau sceau de sa fonction. Inutile de dire que la bravade fut difficile à digérer pour Quinn comme pour tous les autres démaciens. Savoir que Talon avait réussi à leur échapper après cette démonstration rendait la gifle encore plus cuisante.
– Je peux savoir pourquoi tu me suis? Demanda la jeune femme sans cacher son agacement.
– Je ne te suis pas, répondit l'assassin avec nonchalance. Il se trouve que nous allons dans la même direction.
Quinn lui lança un regard acéré par-dessus son épaule, ne manquant pas de remarquer le sourire en coin ornant ses lèvres.
– C'est plutôt toi qui me suis, accusa Talon sans perdre son fichu sourire.
– Pardon?
– Avant ton arrivée, j'étais le seul à venir ici à cette heure et à en profiter.
La démacienne se demanda un instant si c'était vrai ou si c'était encore l'un de ces jeux du chat et la souris auquel il semblait toujours vouloir se livrer avec elle.
– Eh bien, tu n'avais qu'à pas renoncer. Val et moi, on se serait trouvé un autre but de promenade.
Encore ce maudit sourire!
– Qui te dit que j'ai renoncé?
Elle se tourna vers lui, abasourdie.
– Quoi?
Elle réalisa soudain ce que ça signifiait.
– Tu nous espionnes!?
Furieuse, elle amorça un mouvement vers lui, comme pour le frapper, mais il fut plus rapide. Avec une agilité presque surhumaine, Talon esquiva le poing de la jeune femme et se glissa dans son dos avant de passer un bras autour de son cou et de serrer assez fort pour la bloquer, mais toutefois pas assez pour couper sa respiration. Durant la courte lutte, Valor s'était envolé pour aller se poser sur la tête d'une statue toute proche. Faux frère! Pensa Quinn devant la fuite de son compagnon. Mais elle n'était ni inquiète, ni fâchée. Elle savait parfaitement que Valor ne l'aurait pas abandonné s'il l'avait senti en danger.
– Et maintenant? Demanda-t-elle.
Elle fut surprise d'entendre sa voix trembler.
– Je ne sais pas, chuchota Talon à son oreille.
Son souffle chaud caressa la peau froide de la jeune femme, la faisant frissonner.
– Et si on jouait à un petit jeu, mon chaton?
Ses lèvres frôlaient l'oreille de la démacienne, à présent. Mais elle n'eut pas le temps de s'en offusquer, ni de montrer son outrage devant sa proposition et encore moins de protester à l'usage du surnom qu'il venait de lui donner.
– Quinn?
Le soulagement s'empara de la jeune femme. Talon tourna la tête pour voir arriver, par l'autre bout du couloir, celle que Katarina s'amusait à surnommer Miss Arc-en-ciel: Luxanna Crowngard, flanquée de l'imposante silhouette de son frère, Garen.
– Qu'est-ce qui se passe, ici, grogna le général démacien, une main posée sur le pommeau de l'épée dont il ne se séparait jamais.
Au lieu de répondre, Talon se contenta de lâcher Quinn qui s'écarta de lui comme s'il l'avait brûlée. Pendant un instant, l'assassin toisa les trois démaciens sans un mot, puis il se détourna sans faire le moindre geste agressif envers eux.
– Je vous laisse entre défenseurs de la justice, lança-t-il avec une pointe de sarcasme. J'espère que tu feras mieux que ça tout à l'heure, chaton.
Et avec ça, il s'éclipsa, laissant les trois démaciens un peu figés.
– Ce sale serpent! Grogna Garen fixant l'endroit où Talon se tenait une seconde encore auparavant.
Lux se précipita vers Quinn:
– Ça va, il ne t'a pas fait de mal?
– Je vais bien, répondit l'éclaireuse tandis que son cœur commençait à retrouver un rythme normal. Il ne m'a rien fait. Je crois qu'il voulait juste jouer.
– Jouer? Répéta Garen, les sourcils froncés.
Quinn hocha la tête tandis que Valor revenait se percher sur son poing.
– C'est difficile à expliquer. J'ai parfois l'impression que toutes nos rencontres se résument à un jeu pour lui. Un jeu du chat et la souris dans lequel il est la souris et moi le chat incapable de l'attraper. Chaque fois qu'il m'échappe, il prouve à quel point je lui suis inférieure.
Elle avait dit ça sans regarder ses compagnons, caressant machinalement le plumage bleuté de Valor.
– Et "mon chaton"? Interrogea Garen en croisant les bras sur son large torse.
– Pareil, soupira Quinn. Les chatons sont incapables d'attraper les souris, n'est-ce pas?
Le général démacien n'en semblait pas convaincu, mais Quinn s'en moquait. Elle était troublée. Mon chaton? ... Elle avait plusieurs fois fait allusion à ce jeu dans son journal et s'était même comparée à un chaton maladroit devant son incapacité à capturer l'assassin noxien. Comment avait-il pu le savoir? Quinn savait que ce n'était pas un hasard. Talon s'était-il risqué dans les quartiers démaciens pour en apprendre plus sur elle? Après tout, il avait réussi à pénétrer chez elle, en plein cœur de Démacia. Entrer dans son appartement, ici à l'Institut, pour lire son journal, ne devait pas être une chose impossible pour lui. Au contraire, c'était même le genre de défis qu'il aimait relever. Le plus étonnant là-dedans était qu'elle ne s'était jamais rendu compte de la moindre intrusion dans son appartement, que ce soit en sa présence ou non.
Elle n'était vraiment pas à la hauteur!
Garen sembla vouloir pousser plus loin l'interrogatoire, mai Lux l'en dissuada d'un regard. Elle saisit Quinn par le bras et l'entraîna dans le couloir, en direction du réfectoire commun de l'Institut.
– Allez, fit-elle avec sa bonne humeur habituelle. Un bon petit déjeuner et tout ça te semblera totalement ridicule. Tu vas lui botter les fesses pendant le match.
Le match! Quinn avait failli l'oublier. Elle n'était pas pressée de le disputer. Talon y participait également et, comme à chaque fois, ils se retrouveraient face à face. L'assassin se débrouillait toujours pour l'affronter, histoire de l'humilier un peu plus.
Maudit noxien!
Semblant comprendre son découragement, Valor essaya de la rassurer en caressant la joue de la jeune femme de sa tête. Il émit un étrange petit son, semblable au ronronnement d'un chat. Quinn le remercia de son soutien en déposant un rapide baiser sur sa tête.