Un de mes plus grands OS ! Je l'avais commencé avant mes partiels et je n'ai eu le temps (et l'envie, soyons honnête) de le finir que maintenant. J'espère qu'il vous plaira !


Yuya posa son manteau sur le dossier d'une chaise avant de s'effondrer sur son canapé. Malgré la vétusté du meuble et la rugosité du tissu qui le recouvrait, le fait d'être enfin assise lui procura un immense soulagement. Elle restait debout toute la journée, ce qui ne l'aidait pas à se reposer. De plus, être une femme et travailler n'était pas évident depuis le gouvernement Dissidence. Il fallait toujours être vigilante à se montrer suffisamment forte pour ne pas se faire écraser tout en n'en faisant pas trop pour ne pas s'attirer l'intérêt de la Sécurité Intérieure.

Elle ferma les yeux, appréciant l'instant tandis que le feu de ses pieds commençait doucement à s'atténuer. Quelques instants plus tard, le canapé s'affaissa sous le poids d'une seconde personne et Yuya ouvrit un oeil avant de sourire doucement. Elle passa sa main dans les cheveux noirs de jais, appréciant leur douceur. Ces cheveux abborrhés par tant de personnes…

En effet depuis plusieurs siècles, Dissidence, un groupe radical voyait d'un mauvais oeil le mélange inter-racial entre les sorciers et les sans-pouvoirs. Dans l'ombre, ils avaient manipulé l'opinion publique, provoquant des catastrophes, des attentats avant de tout mettre sur le dos des sorciers. Ils avaient assassiné de nombreux mages influents et certains avaient répliqués dans le sang et la violence, provoquant de la colère, instillant doucement la haine dans le coeur des uns et la peur dans le coeur des autres.

Dissidence était patient. Très patient. Il avait monté un plan très élaboré, très minutieux, sur des dizaines et des dizaines d'années. Et enfin, il y a dix ans maintenant, ils avaient renversé le gouvernement en place, fragilisé. Depuis, tous les sorciers et affiliés devaient se présenter dès leur majorité magique -vers douze ans- à la Sécurité Intérieure où on leur donnait un matricule et un poste adapté à leur niveau de dangerosité potentielle.

Il s'était avéré que les sorciers les plus puissants avaient tous les cheveux d'un noir de jais, profond et intense. Presque aucun sans-pouvoir n'était brun, il était donc quasiment impossible pour eux de se cacher. Yuya, après la promulgation de cette loi, avait, par des réseaux secrets et souterrains, fuit sa ville natale avec sa soeur, Sakuya. Elle avait pris une nouvelle identité, celle des Shiina, jeune orpheline solitaire au caractère bien trempé. Personne n'était jamais venu chez elle. Sakuya était enfermée pour le restant de ses jours dans les vingt mètres carrés que formait leur habitat. La jeune femme ne gagnait pas assez pour leur payer un plus grand appartement. Elle parvenait à peine à leur acheter de quoi se nourrir convenablement.

En découvrant les pouvoirs de sa soeur, Yuya s'était juré que, jamais la Sécurité Intérieure ne l'attraperait. Dieu seul savait à quoi ils utilisaient leurs shamans. Alors avec la meilleure shamane dans leurs rangs, ils pourraient faire des ravages en les utilisant contre les sorciers…

Ces derniers avaient bien essayé de se défendre mais Dissidence n'avait laissé aucun détail de côté. Tout avait été planifié du début jusqu'à la fin. Les familles des victimes avaient été emprisonnées, torturées, tuées pour que les sorciers se rendent et qu'on les affuble autour de leur cou du fameux anneau anti-magie.

Sakuya sortit sa soeur de ses pensées en commençant à lui raconter sa journée. Elle essayait de paraître enjouée mais à quatorze ans, il fallait bien avouer que les murs de leur petit appartement lui paraissaient tous les jours un peu plus proches. Elle voulait aller dehors… Yuya n'était pas dupe. Elle voyait bien à quel point sa soeur se forçait. Mais elle ne pouvait pas courir le risque qu'on la découvre. Pour Sakuya elle-même qui serait surexploitée jusqu'à sa mort, pour elle-même qui serait sûrement envoyée au bagne ou pire encore et enfin pour les quelques sorciers résistants. Comment pourraient-ils se cacher sachant que la shamane pourrait anticiper le moindre de leurs déplacements ?

Elle aurait dû se méfier, pourtant. Elle aurait dû se douter de quelque chose. Sakuya était trop jeune, elle n'avait pas vu les combats engendrés par le bref soulèvement des magiciens. Elle n'avait pas vu ses parents mourir sous les coups. Elle n'avait pas eu à tremper ses mains dans du sang chaud en espérant vainement que l'hémorragie allait s'arrêter. Non, elle n'avait rien vécu de tout cela. Le gouvernement Dissidence, avec sa terrible Sécurité Intérieure était son quotidien. Elle avait grandi avec. Ou plutôt, elle avait grandi sans en avoir peur. Sans avoir conscience de la dangerosité du système.

Yuya avait voulu l'en préserver. Elle voulait que sa vie soit toujours heureuse et signe d'espoir. Et c'est cette volonté de la protéger qui les avait finalement perdues toutes les deux. La jeune femme rentra de son boulot, épuisée comme toujours et s'effondra dans le canapé. Pourtant, elle ne sentit pas le poids familier mais rassurant de sa soeur qui se blottissait à ses côtés. Elle ouvrit un oeil et vit que cette dernière se dandinait d'un pied sur l'autre, visiblement mal à l'aise. Un de ses bras se tordait dans son dos, dans piètre une tentative pour cacher quelque chose.

Finalement, l'aînée releva la tête et l'interrogea d'un sourcil levé. Sakuya dévoila alors de son dos un magnifique bouquet de fleurs sauvages. Son visage exprimait à la fois la crainte et le contentement. Allait-elle être punie ou Yuya accepterait-elle son cadeau ? Cette dernière ne put que blanchir avant de balbutier :

"- Où… où est-ce que tu les as eu ?

- Dans le jardin, juste derrière… mais je suis sortie que cinq minutes à peine ! Et j'avais mis un chapeau. Mes cheveux étaient attachés, je te jure que personne ne m'a vu !"

Horrifiée, Yuya sauta sur ses pieds et s'exprima d'une voix blanche :

"- Prépare tes affaires, on s'en va !

- Mais…

- FAIS CE QUE JE TE DIS !"

Sakuya, qui n'avait jamais entendu sa soeur élever la voix, obéit, la mort dans l'âme. Elle n'était sortie que quelques minutes. Qu'avait-elle fait de mal ? Ne pouvait-elle donc même pas cueillir des fleurs ? Grognant, elle s'exécuta tout de même de mauvaise foi. Cependant, elle venait tout juste de commencer à remplir une vieille valise que sa soeur cachait sous le lit qu'elle entendait qu'on frappait à la porte. Yuya se redressa vivement, angoissée. Étaient-ils déjà là ? Elle lança un regard rapide à Sakuya avant de se diriger vers la porte. Peut-être avaient-elles une chance de s'en sortir ? Essayant de se recomposer un visage le plus neutre possible, la jeune femme ouvrit la porte. Son coeur battait à cent à l'heure et elle était persuadée que l'agent du SI qu'elle avait en face d'elle pouvait l'entendre. Malgré tout, elle se força à sourire :

"- Bonsoir… que puis-je pour vous ?

- Sécurité Intérieure. Une enquête est menée contre vous pour détention et non-présentation de sorciers de plus de douze ans. Reculez-vous."

Yuya ne chercha pas à se rebeller. Elle ne savait que trop bien ce qu'on faisait aux rebelles. Elle fit un pas en arrière, laissant le lieutenant rentrer. Elle se força à regarder sa soeur qui pleurait toutes les larmes de son corps. Elle aurait voulu la réconforter, lui dire que tout allait bien mais cela aurait été mentir ; alors se contenta de la regarder, tandis que le lieutenant passait le collier anti-magie autour du cou de l'adolescente. Le collègue du lieutenant, qui était resté à l'extérieur jusque là, entra avant de prendre brutalement le bras de Yuya. Il lui tordit le gauche afin qu'elle ne se débatte pas -ce qu'elle n'avait pas l'intention de faire- avant de lui passer dans le dos et de lui mettre les menottes. Elles furent toutes deux menées à l'extérieur de leur appartement dans la rue vide. La présence de la voiture rouge des SI avait suffi à ce que tout le monde rentre chez soi..

Le trajet ne dura pas longtemps. Elles furent emmenées dans le QG le plus proche de la Sécurité Intérieure. Heureusement pour elles, il n'y avait que peu de cellules et elles furent emprisonnées l'une à côté de l'autre. Durant deux jours, elles durent attendre que le renfort de la capitale arrive. Une ville aussi petite n'avait pas les moyens nécessaires pour transporter deux suspectes à la fois. Mieux valait laisser faire les professionnels habitués à ces faits. Durant leur emprisonnement, Sakuya avait réussi à bien gérer ses crises de larmes, contrairement à ce que sa soeur avait pensé au premier abord. Néanmoin, la shamane se mit à trembler au moment même où le fourgon blindé venu les chercher se gara devant le bâtiment. Elle se précipita sur les barreaux, approchant au plus près son visage avant de souffler :

"- Yuya, Yuya, je … j'ai vu … j'ai vu ce qu'ils… Yuya…"

Sa voix se brisa sur la fin mais la jeune femme n'eut pas à lui demander plus d'explications pour comprendre. Malgré l'anneau anti-magie, elle avait eu une vision de ce qu'ils allaient lui faire subir… Yuya garda son sang froid. Il fallait qu'au moins une des deux reste calme.

"- Sakuya. Je t'en prie, écoute moi et fais moi confiance. Ils ne te feront pas de mal d'accord ? Aies confiance en moi et n'utilise surtout pas tes visions. Tu te rappelle de ce que je te disais ? Aies foi en moi. Je m'occupe de tout."

Quelques instant plus tard, un homme blond au regard cruel avança vers elle deux suivi de deux gardes. Il s'agissait d'un général à n'en pas douter. Avec force brutalité, ils les emmenèrent chacune dans un bureau où elles subirent un interrogatoire. Si celui de Sakuya s'avera plutôt simple, il n'en était pas de même avec Yuya. Elle avait appris à vivre dans ce monde d'hommes. Elle n'avait pas peur pour elle. Elle savait ce qu'elle devait faire pour protéger sa soeur. C'est ce qu'elle avait toujours fait depuis la mort de leurs parents. Agressive, elle se prit plusieurs coups douloureux au visage et dans l'abdomen. Elle savait qu'avec cette attitude, les gardes se concentreraient plus sur elle seule.

Finalement, elles furent de nouveau enchaînées pour être entraînées dans le fourgon. On n'entendit plus que les sanglots de Sakuya, terrorisée. Bientôt, ils arriveraient dans la capitale où elles seraient prises en charge par le service de gestion des sorciers. Sakuya finirait sûrement comme esclave magique… Lorsqu'elles arrivèrent dans le département, Yuya sentit son coeur battre à en sortir de sa cage thoracique. C'était le moment ou jamais…

Après avoir pris leurs empreintes et leur ADN, elles furent enchaînées à une chaise, éloignées l'une de l'autre alors que le chef de département tardait à arriver. Sakuya semblait en état de choc : elle ne parlait plus, ne pleurait plus, comme si plus rien ne pouvait encore l'atteindre. Toutefois, Yuya n'avait pas le temps de la réconforter. Il fallait qu'elle se concentre si elle voulait que son plan marche. Finalement, après quelques heures passées dans une attente angoissante, un chef débarqua enfin. Il n'eut même pas le temps de parler que déjà, Yuya prenait la parole :

"- Je veux faire un échange."

L'homme en face d'elle s'assit en souriant, moqueur :

"- Et qu'est-ce que vous pourriez m'apporter de plus que ce qu'un sorcier est capable de faire ?"

Yuya releva la tête, le défiant du regard, avant de répondre d'une voix sûre d'elle :

"- Ne vous faites pas avoir par les apparences. Je sais qu'un échange vous sera plus profitable.

- Et qu'est-qui vous fait croire que j'ai du temps à perdre avec vos mensonges ?

- Testez-moi."

L'homme sembla réfléchir quelques instants avant de finalement hocher la tête. Il se leva avant de détacher la jeune femme de la chaise. Ils se dirigèrent vers la porte quand ils furent interrompus par un murmure plaintif :

"- Yuya, qu'est-ce que…"

Un seul regard de sa soeur aînée lui fit comprendre qu'elle ferait mieux de se taire. Il fallait qu'elle ait confiance. Tout se passerait bien, elle le lui avait promis…

Yuya fut conduite sans ménagement dans une salle d'entraînement. Le chef s'installa derrière la vitre teintée et blindée, allumant le micro, les caméras et les systèmes de neutralisation. Ce ne serait pas la première à tenter de les berner… Par le biais des hauts parleurs, il lui dit de commencer, lui faisant comprendre qu'elle ne devait pas lui faire perdre son temps.

La jeune femme se concentra sur le centre de son habileté. Elle avait toujours cachée cette particularité à tout le monde, même à sa soeur. C'était pour son bien. Une sorte de garde-fou, un échappatoire. Et finalement, elle avait eu raison au vu de la tournure des événements. D'habitude, la jeune femme commençait par de douces émanations de pouvoir pour le laisser venir petit à petit. Mais là, elle n'avait pas le choix. Elle appela son pouvoir avec rage et férocité. Elle le déchaîna aussi fort qu'elle le put, sans contrôle autre que le temps. Elle se devait de montrer ce qu'elle savait faire si elle voulait protéger sa soeur.

Quand elle rouvrit ses yeux qu'elle n'avait même pas eu conscience d'avoir fermés, elle sentit les picotements familiers des transformations fourmiller dans son corps. Devant elle se tenait un démon, un long sabre à la main. Blond, il fixait l'invocatrice sans véritablement la voir, visiblement ailleurs. Yuya remarqua des piercings s'être formés sur ses oreilles tandis que le symbole du feu se dessinait dans son cou. Sur son visage, un maquillage de sang était apparu. Tous ces changements démontraient que le démon était sous contrôle. Nombre d'invocateur avait cherché à appeler des démons d'un niveau trop élevé qui s'était retourné contre eux…

"- Luciole no Keikoku, deuxième démon de la Kabbale, montre nous ta puissance."

Une seconde plus tard, la pièce était ravagée par les flammes. La chaleur était suffocante, tout ce qui pouvait brûler était déjà réduit en cendre. Finalement, lorsque la vitre blindée commença à se distordre, prête à exploser, Yuya renvoya le démon dans les enfers. Elle avait été épargnée par le pouvoir du démon puisqu'elle en avait le contrôle. Elle ne montra pas à quel point l'invocation et la démonstration de puissance l'avait fatiguée. Elle resta droite, avant de croiser les bras et de relever le menton en signe de défi.

Il ne fallut que quelques secondes pour que le chef débarque, flanquée de cinq soldats armés jusqu'aux dents. Aussitôt, ils la mirent en joue, protégeant le gradé dans une formation en V inversé. Yuya ne sut pas dire qui lui ordonna de se mettre à genoux mais elle s'exécuta avant de prendre la parole :

"- Je veux un échange."

Sakuya se jeta sur son lit moelleux, heureuse. Elle n'avait jamais vécu dans un si grand luxe. Une nouvelle garde-robe, une chambre à elle, un précepteur, des livres à volonté… Tout était parfait. Enfin sauf le collier qui la privait de ses pouvoirs… L'adolescente haussa les épaules. Après tout, cela lui évitait des visions cauchemardesques. Enfin, elle n'allait pas s'en plaindre. Par contre, elle voyait moins sa soeur depuis son déménagement. Cette dernière avait signé un contrat avec le gouvernement, ce qui leur permettait de vivre à la Capitale dans tout ce luxe. Et Yuya avait dit que ça lui convenait. Donc tout allait bien n'est-ce pas ? Elle lui avait seulement interdit de sortir mais qui voudrait s'éloigner de tout ce luxe, de ce cocon doré ?

Lorsque son aînée rentra, Sakuya ne vit pas, ou refusa de voir, les cernes de sa soeur. Elle n'entendit pas les sanglots quand cette dernière prit sa douche. Ni la nausée qui l'avait prise peu après l'avoir prise dans ses bras. Elle ne vit pas la peau rougie d'avoir été trop frottée. Elle ne remarqua pas les tremblements. Ni le manque d'appétit. Bercée d'illusions, l'adolescente était heureuse.

Yuya, solidement enchaînée, monta dans le camion. Depuis qu'elle avait invoquée Luciole, les soldats étaient sur les nerfs à ses côtés. Nerveux, ils n'hésitaient pas à la rudoyer pour se donner un semblant de contrôle. Il n'était pas rare que la jeune femme rentre dans leur nouvel appartement avec de nombreux bleus sur le corps…

Enfin assise, elle souffla. Son plan avait fonctionné au-delà de ses espérances. L'échange avait été fait. Yuya travaillait sans rechigner pour le gouvernement, tandis que Sakuya pouvait tout avoir sans restriction, sauf le droit de sortir. Elle devrait porter un collier par mesure de sécurité. Pendant un temps, l'aînée avait eu peur qu'il teste également Sakuya et qu'il découvre son véritable pouvoir. Mais bluffés par sa puissance, ils en avaient délaissés la cadette, la gardant comme une monnaie d'échange. Ainsi, ils gardaient l'assurance de la docilité de Yuya, pouvant jouir à loisir de son pouvoir.

Les premières semaines, la jeune femme avait été entraînée pour renforcer ses capacités et utiliser son pouvoir de plus en plus longtemps. Elle gardait un visage impassible, renforçant son moral. Elle savait ce qui allait suivre. Elle se devait d'être forte. Pour sa soeur… Le sourire lumineux de cette dernière à chaque fois qu'elle rentrait lui donnait la volonté de continuer.

Puis, un jour, vint la première mission. Comme d'habitude, on l'avait enchaînée mais cette fois, on la fit monter dans un camion. Elle essuya ses mains moites sur son pantalon noir. Elle se devait de rester impassible. De garder son sang-froid… Malgré tout, elle pria pour que le trajet ne se finisse jamais.

Malheureusement, son voeu fut vain. Le camion ralentit avant de se stabiliser. Elle fut tirée par la chaîne qui reliait ses poignets ensemble et plissa les yeux sous la violence des rayons du soleil.

Malgré elle, elle essaya de tirer sur la chaîne pour ralentir le moment de la mission. Cependant, une brusque torsion du poignet de la part de son ravisseur la força à avancer. Elle se concentra sur sa respiration pour faire refluer la panique. Elle entendait avec une ouïe accrue les pas lourds des soldats, le sifflement léger de sa respiration et les voix des habitants au loin. Légères au premier abord, elles se firent plus claires et Yuya put distinguer des mots, des phrases. Des rires quelquefois. Cependant, quand les villageois entendirent les pas lourds et qu'ils virent au loin l'emblème caractéristique de la Sécurité Intérieure, il y eut un silence assourdissant qui paniqua Yuya. Elle s'exhorta de nouveau au calme : elle n'avait pas le choix. Ou plutôt, elle avait fait le choix de ce qui allait se passer. Elle l'avait décidé. Et c'était ça qui la rendait malade. Elle était coupable.

Quand ils arrivèrent dans la rue principale, il n'y avait déjà plus personne. Tout le monde était calfeutré chez soi, sûrement en train d'angoisser que la Sécurité Intérieure ne vienne frapper à leur porte. Car on savait ce que cela signifiait généralement. Yuya ne le savait que trop bien. C'était pour cette raison qu'elle avait les mains moites. Pour cette raison que son coeur battait à cent à l'heure. Pour cette raison que sa gorge se serrait. Pour cette raison que sa respiration se faisait difficile. Pour cette raison que sa vision se troublait. Pour cette raison que les larmes venaient piquer le coin de ses yeux. Mais elle ne flancherait pas. Jamais. Si elle n'obéissait pas, elle les condamnait à mort, elle et sa soeur.

Ils arrivèrent devant la porte. Les coups porté avec violence firent sursauter l'invocatrice. Elle essaye de reprendre contenance mais n'y parvint que peu. Elle avait envie de vomir. Ses jambes tremblaient. Elle pria pour que personne ne réponde. Mais il n'y aurait aucun échappatoire. Aucun. Jamais. Une femme ouvrit, blême. Elle balbutia une question que Yuya n'entendit pas. Cependant, elle entendit clairement la réponse du chef:

"- Madame Namitsuki, immatriculée comme humaine, vous êtes condamnée à mort pour avoir soutenu la Résistance et fomenter contre Dissidence."

Il n'y eut pas de hurlement, pas de supplication. Il tira d'un coup sec sur les chaînes de l'invocatrice pour la faire avancer. Voyant qu'elle n'avait pas de réaction, il grogna :

"- Exécute la."

Deux mots. Deux mots qui firent basculer sa vie. Deux mots qui lui laissèrent le choix. Deux mots qu'elle pouvait décider de braver. Deux mots qui changeraient son destin. Deux mots qu'elle avait décidé de suivre.

Elle se força à ne pas détourner les yeux. Elle invoqua un démon suffisamment puissant pour ne pas faire souffrir sa victime. Elle voulait que cela soit rapide. Elle ne voulait pas à devoir endosser la culpabilité de la souffrance en plus de celle qui l'étreignait à l'idée d'ôter une vie innocente.

"- Shinrei no Buredo, sixième démon de la Kabbale, montre nous ta puissance."

Le démon apparut très rapidement, reflet de la puissance de l'invocatrice. Elle essaya de lui donner l'ordre d'exécuter Namitsuki mais ce fut trop difficile. Elle se contenta d'un mouvement de tête en direction de la femme qui la provoquait du regard, un éclat de déception s'y reflétant.

Ce ne fut l'affaire que de quelques secondes avant que le précieux liquide ne se répande à une vitesse ahurissante sur le sol. Il y eut quelques horribles bruits de gargouillement qui resteraient à jamais gravés dans la mémoire de la jeune femme. Elle n'oublierait jamais ce regard, si vivant quelques secondes auparavant, devenu vitreux au fur et à mesure que le liquide vital s'échappait de son corps.

Les heures qui suivirent se déroulèrent dans un brouillard absolu pour Yuya. Elle se souvint à peine d'avoir renvoyé le démon. Elle n'avait plus que quelques images. Les bottes de la Sécurité Intérieure claquant sur le sol. Les cachots du camion sur le chemin du retour. Le contenu de son estomac rendu à l'extérieur de la maison. Le retour à la Capitale. Les mains froides du chef lui enlevant ses menottes. Les tremblements. Le visage vaguement inquiet de sa soeur. La bile, à nouveau. La fièvre, les frissons, les sanglots. Et la culpabilité. Elle prenait le pas sur tout. Elle était dévorante et sans pitié. Elle n'était que la première d'une longue liste…

Plus Yuya utilisait ses pouvoirs, plus il lui devenait facile d'invoquer des démons. Et plus elle avait peur. N'avait-elle donc aucune limite ? Elle n'avait encore jamais osé appeler le premier de la Kabbale. Qui sait ce qu'elle serait capable de faire grâce à ses pouvoirs ? Petit à petit, la culpabilité se faisait plus supportable. Elle était toujours présente bien sûr. Elle rêvait toutes les nuits des visages de toutes ses victimes. Il tournait dans sa tête sans lui laisser une seconde de répit. Paradoxalement, plus elle tuait, plus c'était facile, moins elle ressentait la culpabilité. Moins elle ressentait d'émotions tout court. Elle sentait également son pouvoir enfler sans qu'elle ne puisse rien y faire. Comme s'il cherchait … à s'échapper.

Pour endiguer ce phénomène, elle s'amusait à appeler des démons mineurs. Cela faisait passer le temps et amusait toujours sa soeur, qu'elle avait dû mettre au courant lors de leur emménagement dans la capitale. Elle avait bien sûr passer de nombreux détails sous silence. Malgré tout, cela ne changeait rien. Son pouvoir avait de brusques pics de croissance dont elle ne savait que faire. Ils la laissaient toujours pantelante, en sueur et déboussolée. Elle sentait que quelque chose ne tournait pas rond sans qu'elle n'en comprenne la raison.

Finalement, ce fut lors d'une journée particulièrement difficile après une mission de grande ampleur que son pouvoir se déclara sans qu'elle ne puisse le contenir. Apathique, Yuya ne put que laisser la vague de pouvoir déferler en fermant les yeux tandis qu'elle était allongée dans son lit. Elle serra les dents quand sa capacité se manifesta à elle de manière beaucoup plus intense.

Quand elle rouvrit les yeux, elle comprit tout de suite qu'il y avait quelque chose de différent. Un mouvement attira son attention et elle se redressa, aux aguets. Une silhouette massive se dessinait à contre jour devant la fenêtre. Interdite, la jeune femme avait du mal à comprendre. Pourtant, ces yeux rouges ne faisaient aucun doute…

"- Qui es-tu ?"

Seul un sourire sarcastique lui répondit. Pour la première fois depuis des mois, l'invocatrice ressentit une émotion : la peur. Elle avait peur de son pouvoir, peur de ce démon qu'elle avait invoqué sans le vouloir, peur pour son avenir. Et paradoxalement, elle se sentait comme… apaisée. Sa respiration se fit plus courte au fur et à mesure que l'invocation avançait vers elle. Son coeur battait plus fort. Elle ne comprenait pas vraiment ce qu'elle ressentait.

Le bruit des pas du premier démon de la Kabbale lui faisait monter les larmes aux yeux. Toute l'angoisse et la peine qu'elle avait accumulées depuis sa première mission remontaient doucement. Des sanglots dans la voix, elle parvint difficilement à articuler :

"- Comment es-tu venu ici ?"

Cette fois-ci, elle eut droit à une réponse :

"- Tu m'as appelé."

Un peu effrayée par les émotions qui grandissaient en elles et par la détresse qui ne faisait que croître, elle recula dans son lit, se collant contre le dossier en criant :

"- Retourne d'où tu viens ! Je ne t'ai pas invoqué."

Le démon rit doucement, ses yeux rouges toujours fixés sur la jeune femme :

"- Ne crois pas avoir une quelconque emprise sur moi. Personne ne me contrôle."

La voix ténébreuse, autant que les propos, la firent frissonner. La jeune femme envoya une vague de pouvoir, la plus puissante qu'elle pouvait faire en l'état actuel des choses. Cela ne fit qu'accentuer le sourire du démon. Il était proche. Beaucoup trop selon la jeune femme. Elle ne sentait plus maîtresse d'elle-même. Elle sentait ses émotions prendre le dessus. Finalement, Yuya fondit en larmes, ne pouvant se contenir plus longtemps. Et quand les bras du plus sanguinaire du démon l'entourèrent, elle ne comprit pas cette vague de soulagement qui s'abattit sur elle. Comme si elle avait toujours été à sa place ici. Il n'y avait que lui, il n'y avait toujours eu que lui. Pourtant, elle ne le connaissait pas. Ne l'avait jamais vu. Ce sentiment était le plus étranger qui soit et pourtant le plus évident.

Au petit matin, il était parti, la soulageant partiellement de sa culpabilité. Yuya ne s'était jamais sentie aussi bien depuis sa première mission. Elle avait réussi à dormir sans faire un seul cauchemar. Ses cernes s'étaient un peu réduites et pour une fois, elle avait de l'appétit. L'invocatrice soupira : elle n'était plus seule.

Yuya n'avait plus passé une nuit seule. Elle ne l'appelait jamais consciemment, elle ne s'attendait jamais à le voir et pourtant, il venait, soir après soir, nuit après nuit. Inlassablement. Auprès de lui, elle se sentait redevenir humaine alors que le nombre de ses victimes ne faisait que s'accroître.

Pourtant… la vérité était loin d'être aussi belle. On n'invoquait pas un démon sans conséquence. Encore moins quand on en avait aucun contrôle. Plus elle se liait à l'invocation, plus Yuya devenait inconsciente de ses actes. Exécuter ses victimes n'était plus aussi difficile. Elle n'en prenait aucun plaisir bien sûr, néanmoins, elle n'avait plus cette culpabilité écrasante pour chaque personne qu'elle devait rajouter à sa liste. Kyo était devenu son salut. Elle ne pouvait pas passer une journée sans lui, délaissant de plus en plus sa soeur. Cette dernière ne cessait de s'inquiéter pour Yuya. Elle ne savait que faire. Jusqu'à ce jour, elles n'avaient eu aucun secret l'une pour l'autre. Enfin, sauf le pouvoir de Yuya bien sûr. Si cela avait profondément blessé Sakuya quand elle l'avait découvert, ce n'était plus le cas. Maintenant, elle comprenait l'importance d'un tel secret. Elle-même en avait un…

La shamane avait été abordée par un certain Kyoshiro, de la Résistance. Il l'avait invitée à se joindre à leur groupe. Sa couverture était parfaite. Il était le gardien de l'adolescente. Cependant, ce n'était pas aussi simple et la jeune femme n'avait pas su quoi répondre. Elle ne pouvait pas laisser sa soeur ici. Pas après tout ce qu'elle avait fait pour elle. Car sa rencontre avec Kyoshiro l'avait aidé à mûrir. Ils avaient beaucoup parlé tous les deux et il lui avait ouvert les yeux sur le vrai travail de sa soeur, sa captivité, le sort réservé à ceux de son espèce.

Sakuya n'avait pourtant jamais abordé aucun sujet douloureux avec Yuya. Elle s'en voulait suffisamment comme ça. Et puis qu'est-ce que cela aurait changé ? Sa grande soeur n'oserait simplement plus l'aborder, se prenant sûrement pour un monstre. Toutefois, l'adolescente en vint à regretter cette position passive…

Les mois passant, les jeunes femmes en vinrent à s'éloigner. L'une par honte, l'autre par culpabilité. Yuya ne faisait plus le compte de ses victimes. Et cela lui passait par-dessus la tête finalement. Plus elle invoquait les bourreaux et plus elle s'enfonçait dans un cercle vicieux. Elle travaillait pour le gouvernement dans le but de préserver sa relation avec sa soeur et finalement, cela les éloignait toujours un peu plus. L'invocatrice devenait de plus en plus insensible. Elle ne s'émouvait que peu. Elle se sentait terriblement vide. Elle ne retrouvait des sensations que dans les bras de son amant démon. Un soir où elle avait dû mettre à mort une famille innocente, elle s'était effondrée dans ses bras -encore- avant de lui demander d'une voix coupée de sanglots de l'aider. Mais Kyo était un démon. Toute aide avait un prix…

L'invocatrice, à peine la porte de sa chambre passée, s'était jetée dans les bras du démon. Elle savait qu'il serait là. Elle pouvait le sentir maintenant. Éclatant en sanglots, elle ne réussit tout de même à lui dire :

"- Je t'en prie. Fais que ca cesse… Je… Je n'en peux plus. … Je t'en prie."

Le démon l'avait fixé de ses yeux rouges qui lui rappelait tant tout le sang qu'elle faisait couler chaque jour et lui avait répondu :

"- Qu'y gagnerais-je en échange ? Que me donne-tu ?"

Brisée et complètement à sa merci, elle n'avait pas réfléchi une seule seconde :

"- Tout. Je te donne tout tant que cette vie me paraîtra plus supportable."

De son côté, Sakuya s'était rapprochée de Kyoshiro. Elle lui avait finalement accordée sa confiance et lui avait révélé son vrai don. Aussitôt, ce dernier avait alerté la Résistance sur l'importance de récupérer cette jeune femme. Avec elle, ce serait bien plus facile de renverser le pouvoir en place. Ils perdraient moins d'hommes en connaissant les attaques de la Sécurité Intérieure. Avec elle, ils avaient une chance de gagner la guerre ! Mais l'exfiltration de la shamane était extrêmement compliquée, bien sûr. Surtout que Sakuya ne voulait partir sans sa soeur. Cela posait problème car au sein même de la Résistance, Yuya était considérée comme une démone qu'il fallait abattre.

Finalement, les soeurs s'éloignaient, tant par leurs ambitions que par leur valeurs. Yuya tombait doucement dans la folie. Comme promis par le démon, c'était bien plus supportable ainsi. Plus rien n'importait désormais. Rien d'autre que le lien qu'elle ressentait grandir entre elle et le démon. Sakuya quant à elle, s'engageait toujours plus dans les visions malgré son collier, insuffisant pour tout combler. Elle forçait pour avoir la moindre information à transmettre à Kyoshiro. Cependant, ses pouvoirs étaient bien trop bridés et elle rêvait du jour où elle pourrait réellement aider la Résistance.

Ce jour arriva finalement plusieurs longues semaines plus tard. Il avait été décidé que Kyoshiro amènerait au sein de la capitale la clé confectionnée sur mesure à partir de nombreux moulages qui permettrait de retirer le collier de Sakuya. Ensuite, cette dernière était censée éviter, grâce à sa vision, les patrouilles ou du moins les coins les plus fréquentés. De plus, Kyoshiro serait à ses côtés, ce qui limiterait les hypothèses de fuite. Le plan était somme toute simple. Trop peut être. Mais Sakuya avait demandé à la Résistance de se dépêcher : elle sentait que sa soeur était sur la corde raide. Elle n'arrivait pas à savoir exactement ce qui se tramait sous le changement de caractère certain de l'invocatrice, mais elle était sûre d'une chose : cela ne pouvait pas durer comme cela.

Plus le jour de la délivrance approchait, plus Sakuya était nerveuse. Elle avait tellement peur de se trahir ! Et si sa soeur ne venait pas ? Et si elles étaient faites prisonnières ? Si l'une d'elles deux étaient blessées … ou pire ? Pourtant, elle devait rester maîtresse de ses émotions, elle le savait. Elle pouvait compter sur Kyoshiro, il lui avait démontré à maintes et maintes reprises maintenant.

Finalement, le jour tant attendu était arrivé. Contrairement à ce qu'elle aurait pu penser, Sakuya était prête. Ils avaient décidé de sortir vers 14h. C'était parfait. Juste avant le roulement des gardes, et après manger. Il n'y avait rien de mieux pour amollir la vigilance de ces derniers. Sakuya avait préparé deux sacs avec quelques affaires qui lui avaient semblé utiles pour leur voyage. Ils étaient tout de même petits : il fallait arriver au plus vite auprès du véhicule qui les attendait quelques rues plus loin.

Lorsque Kyoshiro arriva, la shamane sentit ses jambes trembler. Mais elle n'avait pas le temps de se plaindre, elle alla chercher sa soeur dans sa chambre. Comme toujours depuis quelques semaines, elle paraissait ailleurs. C'était d'autant plus flagrant après les heures passées à s'enfermer dans cette pièce. Sakuya secoua la tête : il n'était plus temps de se poser des questions. Elle dit à sa soeur de prendre le sac et son manteau et de les suivre discrètement.

Kyoshiro attendait patiemment mais non pas moins nerveusement près de la porte, la clé permettant d'ouvrir le collier anti-magie de Sakuya dans la main. Il déverrouilla la serrure juste avant qu'ils ne se mettent en route mais elle le garda tout de même autour du cou. Cela paraîtrait moins suspect s'ils devaient croiser un autre garde. Enfin, après quelques minutes à vérifier le plan et quelques détails, ils sortirent. Le garde jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule. Il n'aimait pas l'idée de devoir emmener avec lui l'invocatrice. Elle était bien trop instable selon lui.

Pourtant, contrairement à ce qu'il avait pensé, elle les suivit docilement, sans poser de questions, perdue dans un monde qui lui était propre. Tout paraissait étrangement trop facile et il redoubla de prudence. Parfois, ils s'arrêtaient quelques instants lorsque Sakuya avait une prémonition. Cependant, alors qu'elle concentrait son attention sur sa soeur, ils rencontrèrent au détour d'un couloir un petit groupe de gardes qui allait au réfectoire. La plupart passèrent à leurs côtés sans faire attention mais un qui s'amusait en faisant de larges gestes bouscula Sakuya dont le collier tomba au sol.

Le silence s'abattit instantanément sur le groupe de gardes. Celui qui venait de bousculer la shamane sortit aussitôt son arme afin de la mettre en joue, avant de s'effondrer au sol, le sang gouttant de sa poitrine. Derrière lui, un démon de la kabbale, l'arme encore sanguinolente, se retourner déjà pour tuer un autre garde. Sakuya ne put retenir un cri d'effroi en voyant le cadavre au sol. Kyoshiro jura entre ses dents, certains que d'autres allaient se rameuter rapidement au vu de tout le bruit engendré par le combat. Yuya quant à elle haussa simplement les épaules. Elle n'en avait que faire de la mort d'un garde. Elle n'avait que faire de la mort tout court.

Une détonation retentit, faisant vibrer les tympans et suspendre les respirations. Yuya porta la main à son épaule, les sourcils haussés d'étonnement. Sur le coup, elle n'avait pas ressenti la douleur. Puis, elle arriva en vagues déferlantes, rompant l'équilibre fragile qu'elle avait sur elle-même. Le démon mineur disparut aussitôt, remplacé par le numéro un. Se tenant l'épaule, l'invocatrice lui hurla rageusement de tous les tuer. Les bruits de pas d'autres soldats accourant se fit entendre quelques minutes plus tard, affolant Sakuya et Kyoshiro. Ils se regardèrent un bref instant et se mirent d'accord : il fallait fuir. Et vite. La shamane se tourna vers sa soeur :

"- Yuya, laisse ton invocation ici et viens ! Il faut se dép…"

Elle ne put finir sa phrase, son instinct la poussant à se coucher au sol. Au-dessus d'elle, à l'endroit exact où elle était se trouvait une flamme immense. Elle pouvait en sentir la chaleur ardente de là où elle était. Son pouvoir lui avait permis de s'en sortir in extremis. Cependant, elle ne pouvait se convaincre de ce que son don lui avait montré et de ce qu'il se passait actuellement. Yuya avait invoqué un deuxième démon, Luciole, afin de la tuer. Quand Sakuya rencontra le regard de sa soeur, elle sut inconsciemment qu'elle était perdue. La haine brûlait dans ses yeux.

"- Jamais, je ne le laisserais !"

Ce furent les seules paroles que Sakuya comprit avant d'être violemment tirée en arrière par Kysohiro. A nouveau, elle avait échappé de peu à une attaque. Cependant, ce n'était pas le cas pour son sauveur qui voyait son sang s'échapper d'une entaille à son bras. Toutefois, il ne laissa pas la douleur prendre le dessus :

"- Sakuya, il faut y aller, maintenant !

- Non ! Je ne peux pas la laisser ici ! C'est ma soeur…

- Ce n'est plus elle, regarde là. Elle ne fait plus la différence entre amis et ennemis.

- Je…

- On va mourir si on reste là ! On a besoin de toi ! Les sorciers ont besoin de toi !"

L'adolescente hésita. N'y avait-il donc aucun espoir ? Si elle écoutait son coeur, si bien sûr, mais partout où son regard se posait ne se trouvait que le sang et le désespoir. Finalement, elle se laissa tirer en arrière lorsque le feu de Luciole s'approcha trop près d'eux, brûlant leurs chairs. Elle renonça à sauver sa soeur, une vague de culpabilité bloquant sa respiration et lui faisant venir les larmes aux yeux. Elle jeta un dernier coup d'oeil par-dessus son épaule, juste au moment où Yuya recevait une autre balle dans le corps, la faisant tomber à genoux. Les démons invoqués se firent plus enragés encore, échos des sentiments de la blessée. Fermant les yeux quelques secondes, la shamane prit la main que Kyoshiro lui tendait. Elle ne pouvait plus rien faire pour Yuya, elle était perdue… Peut-être trouverait-elle sa rédemption dans la Résistance...

La douleur était intense. Beaucoup trop pour qu'elle puisse s'en sortir elle le savait. Alors c'était là tout ce qu'il y avait avant la fin ? La douleur ? Une détonation encore et la douleur explosa de nouveau. C'était sa jambe cette fois. Elle allait mourir ici, dans le bain de sang des deux démons qu'elle avait invoqués. Elle le savait. Mais elle en emporterait le plus possible avec elle. Quitte à mourir, autant marquer les mémoires n'est-ce pas ? Elle hurla sa rage avant que son cri ne s'arrête net d'une balle dans la poitrine. Elle s'effondra au sol avant de sentir le lien qui la reliait à Luciole s'étioler. Elle ne put que s'étouffer avec son propre sang face à ce sentiment. Puis, quelques instants après, peut-être était-ce des secondes, peut être des minutes, elle n'entendit plus rien. Rien que le souffle rauque du premier démon. Elle savait qu'elle allait le perdre elle aussi. D'autres soldats allaient arriver. Et c'est fois-ci serait la fin elle le savait.

Elle rouvrit les yeux quand elle sentit les longs cheveux du démon chatouiller son visage. Il était couvert de sang mais souriait d'une manière qui l'aurait fait frémir si elle avait pu bouger. Elle sentit vaguement une main sur son torse avant d'être violemment projetée en avant, la faisant gémir. Kyo avait pris le devant de son tee-shirt pour la tirer en avant, augmentant la douleur de ses blessures. Il posa ses lèvres avec rudesse sur celles de l'invocatrice, appréciant le goût du sang. Elle l'avait bien fait marrer durant ces quelques mois. Et surtout, elle lui appartenait corps et âme. A cette pensée, il eut un sourire carnassier avant de s'exclamer :

"- On se retrouve en enfer, planche à pain."


Quelles sont vos impressions ? Pour vous, bad end ou plutôt happy end ?