CHAPITRE 9

« Vous savez que si personne ne dit un mot pendant tout le trajet, ça risque d'être très long les gars… !

Nous étions partis depuis presqu'une heure maintenant, et aucun des deux hommes qui m'escortaient n'avait décroché un seul mot. Ils s'étaient contentés de m'indiquer mon cheval – que soit dit en passant je ne savais pas monter… – et avaient pris la route.

Personne ne m'avait montré comment grimper sur la monture qui m'attendait en bas de l'échelle, ni comment la diriger. J'avais donc du ravaler ma fierté pour monter en selle, et ensuite tenter de guider l'animal, mais les résultats étaient loin d'être probants. Tant bien que mal, j'avais donc suivit mon escorte, les ralentissant considérablement, j'en étais sûr.

J'allais donc avoir beaucoup de temps pour penser… Ça ne me réjouissait pas tant que ça d'ailleurs, ces derniers temps je réfléchissais beaucoup trop à mon gout. Entre le départ du camp Jaha, l'établissement et la survie du nouveau camp, notre capture, le retour de Clarke, et les conditions de notre libération – que je ne connaissais toujours pas, soit dit en passant… – j'avais bien trop de choses en tête ! Ce n'était pas possible de mettre son cerveau sur off ? Même pas une petite minute ?!

– Regarde où tu vas crétin !

En même temps que j'entendais ces mots, je manquais de tomber de mon cheval. Un des gardes venait de tirer brusquement sur mes rennes pour empêcher mon cheval de foncer dans le fossé à ma droite. Vu mon inattention, je supposais avoir finalement réussi à éteindre mon cerveau… Cette simple pensée m'amusa et je ne pu m'empêcher de sourire.

– Parce que tu trouves ça drôle en plus ?

– Qu'est-ce que ça peut vous faire de toute façon, que je me brise le cou en tombant de cheval ?

– Je m'en fou, mais je ne veux pas avoir d'ennuis avec notre Chef à cause de toi.

– Trop aimable…

Mon interlocuteur n'ajouta rien de plus, et retourna se positionner derrière moi, fermant la marche de notre petit cortège.

Plus de cinq heures de trajets nous attendaient encore. La route allait vraiment être très longue…

Finalement, j'eu droit à un cours rudimentaire d'équitation lorsque mon cheval décida de s'arrêter de son propre chef pour grignoter l'herbe sur le bas-côté. La lenteur de notre progression devait les agacer tous les deux…

Je notais à quel point le fait de m'adresser la parole leur coutait, enfin l'un des deux surtout. Celui qui avait tiré sur mes rennes un peu plus tôt… L'autre semblait plutôt indifférent à ma présence. Cependant, je pouvais désormais guider ma monture sans craindre de me retrouver dans un fossé, et il s'agissait d'un progrès non négligeable ! Si on m'avait dit i peine un an que je pourrais monter à cheval, je n'y aurai pas cru. J'aurais éclaté de rire. Ou alors j'aurai frappé la personne qui m'implantait de vains espoirs d'aller sur Terre un jour. Mais finalement, j'étais bel et bien sur Terre, et je montais à cheval. Comme quoi, il ne faut jamais jurer de rien !

Plusieurs fois, j'essayais de communiquer un minimum, d'échanger deux trois mots avec mon escorte, mais aucun d'eux ne répondait. Je décidais de tenter ma chance une dernière fois : s'ils voulaient passer la totalité du trajet enfermés dans leur mutisme, et bien qu'ils y restent ! Moi aussi, je savais le faire… Mais cette fois-ci, quand je leur adressais la parole, l'un des deux – le moins renfrogné – enchaina tout de suite.

« Qu'est-ce qui vous a conduit sur notre Terre ?

Notre Terre ?! Alors Clarke avait eu raison de vouloir réaffirmer notre légitimité sur cette planète auprès d'Aralm… Les Natifs ne semblaient pas comprendre que nous n'étions pas issus de l'Espace, mais bel et bien de cette planète, au même titre qu'eux. Ou alors ils ne l'acceptaient pas. Les deux hypothèses me semblaient plausibles.

– Le besoin de rentrer à la maison je suppose.

Ma réponse nonchalante fit grogner l'autre tandis que mon interlocuteur me fixait, laissant sa monture se débrouiller.

– Cette planète n'est pas la vôtre, Bellamy.

– Elle l'est tout autant qu'elle est à vous. Nous avons le droit de vivre sur ce sol.

– Pourquoi ? Vous l'avez détruit avant de vous enfuir. Et quand vous revenez, vous semez la mort sur votre passage. En quoi cela vous donne-t-il le droit de vivre ici ?

– Nous l'avons détruit ?!

Je manquais de m'étouffer avec ma propre salive en entendant ses mots.

– Nous l'avons détruit ?! Vous êtes sérieux ? Ce qu'il s'est passé il y a presque un siècle n'est en rien de notre faute !

– C'est ton peuple qui a causé les Grandes Explosions. Et plutôt que d'affronter les conséquences vous êtes parti vous terrer dans des vaisseaux loin de cette planète. Le fait même que vous vouliez revenir est une offense.

Sa voix restait mesurée, calme, comme s'il énonçait une évidence contre laquelle je ne pouvais rien, alors que moi… J'étais estomaqué. Je bouillais intérieurement en entendant ses affirmations.

– Est-ce que vous avez conscience que nous avons les même ancêtres ?! Que nous sommes tous issus de ce même peuple que tu accuses des ravages du passé ? Les actes d'une poignée de débiles morts ne sont en rien significatifs de ce que nous sommes.

Pendant que je m'énervais, je peinais à maitriser mon cheval, rajoutant une nouvelle couche d'agacement.

Je comprenais seulement maintenant que les Natifs nous haïssaient vraiment, pour des actes qui ne nous appartenaient pas. Se rendaient-ils seulement compte de la chance phénoménale qu'ils avaient eu de survivre sur Terre après les Grandes Explosions, comme ils les appelaient ? Cependant cette survie inespérée ne les rendait pas plus légitime pour autant.

– Un des mecs qui a appuyé sur le bouton d'allumage des missiles, c'était peut-être mon arrière-arrière-grand-père. Ou le tien ? Ou celui d'Aralm ? Mais qu'est-ce que ça changerait de le savoir de toute façon ! Ce qui est fait est fait, et on ne peut plus revenir dessus !

Je continuais de m'énerver tout seul, tandis que mes deux escortes restaient de marbre, ne semblant pas accorder d'importance à ce que je disais.

– Et puis apprenez à dresser vos putains de chevaux !

–––

L'après-midi touchait à sa fin quand nous arrivâmes au campement. L'agencement était le même que lors de notre départ, les tentes formaient toujours un cercle, et de la fumée s'échappait du centre de ce cercle, signe qu'un feu était allumé. Cependant, je notais que mes camarades avaient suivi mes instructions et avaient fortifié le camp. Ils n'avaient bien sûr pas eu le temps de monter des murs comme nous l'avions fait dans le précédent, mais une large bande avait été déblayée tout autour des tentes, comme une sorte de no-man's-land. S'y trouvaient postés des guetteurs, armés des fusils que nous avions emmenés, et il me semblait également que des pièges avaient commencé à être creusés.

Lorsqu'ils virent les trois chevaux ennemis approcher, leur réaction ne se fit pas attendre, et je fus ravi de constater qu'ils n'avaient pas perdu leurs réflexes.

L'un d'eux nous somma d'une voix forte et assurée de ne pas faire un pas de plus. Alors qu'ils nous tenaient toujours en joug, le premier des trois gosses à me reconnaître abaissa son arme et alla chercher Monty. Celui arriva avec Jasper, et l'incompréhension pouvait se lire sans problèmes sur leurs visages.

« Bellamy ? Qu'est-ce qu'il se passe ?

– Rien de grave Monty, je suis juste là pour vous prévenir. Je–

– Prévenir ? Prévenir de quoi ? C'est quoi ces Natifs, qu'est-ce que tu fous avec eux ? Je te signale qu'on était prêts à partir vous chercher…

– Je sais. Ecoute j'ai pas le temps de rester papoter, ok ? Je ne suis pas avec ces Natifs, je suis leur prisonnier.

Même si leur chef rechignait à employer ce terme…

– Ils m'ont escorté jusqu'ici pour que je vous demande de ne pas venir nous chercher.

– Et tu penses qu'on va t'écouter ?

– Vous auriez plutôt intérêt les gars…!

Je tentais de faire jouer mon statut de leader pour qu'ils comprennent que j'étais sérieux, mais certains avaient toujours eu un problème avec l'autorité. Je ne pouvais décemment pas les blâmer…

– Nous avons un accord avec eux. Nous sommes en sécurité, tant que cet accord est maintenu, je vous demande donc de rester ici, et de ne pas tenter quoi que ce soit.

Jasper, qui était resté muet depuis le début, pris la parole.

– Vous allez bien ?

– Pour l'instant tout le monde va très bien.

– Alors fais en sorte que ça continue comme ça, Blake.

La conversation semblait terminée. En tout cas, aucun de nous ne prononça un mot de plus. Le message était clair des deux côtés : Jasper, parlant au nom de tous j'en étais certain, m'ordonnait de garder les notre en sureté, de les protéger. Quant à moi, je leur avais délivré le message de Clarke le plus clairement possible, en espérant qu'ils m'écouteraient vraiment.

Autour de nous, tout le campement s'était rassemblé pour écouter. Je m'adressais donc à eux.

– Je veux que vous continuiez à mettre en place la protection du camp. J'ai vu les mesures déjà mises en place, mais il en faut plus. Je ne veux pas pouvoir approcher le camp aussi facilement qu'aujourd'hui, lorsque nous rentrerons. »

Sans attendre de réponse de leur part, on attrapa le licol de mon cheval, me forçant à faire demi-tour. Visiblement, j'avais écoulé mon temps de parole avec les miens, et nous devions rentrer au village.

« Ce serait trop vous demander de me prévenir quand on repart ?! J'avais pas fini de parler !

Aucun ne me répondit, et je fis tout mon possible pour ne pas m'énerver.

– Question stupide, vous avez raison les gars. Autan pour moi.

J'étais ravi. Vraiment… Après presque six heures de route, nous repartions immédiatement sans même être descendu de cheval. Mes fesses commençaient à sérieusement en pâtir !

– Mais franchement vous êtes pressés ?! On n'aurait pas pu descendre cinq petites minutes, histoire de se dégourdir les jambes ? Ou même manger un truc ?

Toujours pas de réponse.

– On vous a coupé les cordes vocales ? Pourtant vous parliez tout à l'heure. Alors ça ne doit pas être ça. »

Je continuais d'aligner les mots, les uns après les autres, dans l'espoir puéril de leur prendre la tête à tel point qu'ils aient envie de se l'éclater contre un tronc d'arbre. Ils voulaient m'emmerder, je leur rendrais bien.

–––

« Qu'est-ce qu'il lui arrive ?

J'avais déjà posé cette question trois fois, mais je ne reçus toujours pas de réponse. J'avais beau essayer de comprendre, je n'avais aucune explication à ce qu'il venait de se passer : un peu plus de deux heures après que nous ayons quitté le camp, le garde le plus revêche était tombé de son cheval. Comme ça, sans signe avant-coureur.

Cela faisait cinq bonnes minutes que nous nous étions arrêté, et il alternait entre des phases d'éveil durant lesquelles il vomissait tout ce qu'il n'avait pourtant pas mangé, et des phases où il comattait, le visage crispé de douleur. La sueur perlait sur son front, et il était parcouru de frissons irrépressibles.

Son collègue se tenait à côté de lui depuis le début, et se contentait de lui basculer la tête sur le côté pour qu'il n'avale pas sa langue ou qu'il ne s'étouffe pas lorsqu'il vomissait.

– Merde, c'est quoi ce délire ?! Tu vas finir par me dire ce qu'il se passe, oui ?!

– Encore quelque chose dont vous êtes responsable, Fils du Ciel.

– Pardon ?

– Il va mourir, comme beaucoup de notre village depuis que vous êtes arrivés sur Terre. Peu importe ce que votre guérisseuse arrivera à faire contre cette maladie, cela ne fera jamais revenir tous ceux que nous avons perdu.

Serait-ce donc la raison de notre capture ? Clarke devait-elle soigner ces gens pour que nous retrouvions notre liberté ?

– Arrêtez de nous tenir pour responsable de tous vos maux, ça en devient lassant à force… Et tu ne vas rien faire de plus pour l'aider ?

– Il n'y a rien que je puisse faire.

– Il faut au moins le ramener au village, nous ne pouvons rien faire ici. Clarke pourra sans doute faire quelque chose.

– Cela fait des mois que nous subissons ça, elle ne pourra rien faire de plus.

Je commençais à tourner en rond. Je ne supportais pas cette résignation que j'entendais dans sa voix. L'issue fatale qu'il prévoyait était sûrement évitable, j'en avais la conviction, mais pour cela il fallait rentrer !

– Comment tu peux dire qu'elle ne pourra rien faire ? Tu l'as déjà vu à l'œuvre peut-être ? Tu sais les prouesses dont elle est capable avec trois fois rien ?

– Je me fiche du culte que vous vouez à votre guérisseuse. Je sais que Fearg est condamné. Je suis trop faible pour abréger ses souffrances, mais je peux au moins rester à ses côtés jusqu'à la fin.

– Nous ne vouons pas un culte à Clarke, mais c'est un fait, elle est douée dans ce domaine. Je suis sûr qu'une approche différente aidera votre guérisseur.

Il resta silencieux, continuant à soutenir ledit Fearg dans sa peine.

– Tu ne vas pas sérieusement laisser ton pote mourir au milieu de rien, juste à cause de ta fierté ?!

Mon interlocuteur redressa soudainement la tête pour me fixer avec colère.

– Ma fierté n'a rien à voir là-dedans ! Mais si–

– Bien sûr que si ! Tu nous détestes. Tu refuses qu'une étrangère issue d'un peuple que tu juges coupable du mal qui vous ronge puisse se pencher sur le cas de ton pote ! C'est une question de fierté et rien d'autre !

La colère dans ses yeux s'était peu à peu transformée en haine, dirigée à cet instant directement sur moi. M'en fou, je t'aime pas non plus.

– Arrête de te chercher des excuses, tu sais que j'ai raison. Si on ne rentre pas au plus vite, on n'aura même pas l'occasion de savoir s'il existe un moyen de le sauver. Et il mourra alors par ta faute.

Sans un mot de plus, après quelques secondes, il se leva, son ami dans ses bras. Il se dirigea vers le cheval du malade pour attacher celui-ci à la selle. Lorsqu'il fut remonté sur sa propre monture et moi sur la mienne, nous repartîmes. Sa progression était un peu plus rapide que précédemment, et il ne se préoccupait pas de me distancer ou de me perdre.

Je songeais donc évidemment à le semer, mais pour plusieurs raison, je dégageais cette idée de ma tête : primo, si je m'en allais, ils chercheraient automatiquement au camp, mettant les autres en danger. Secundo, c'était mettre en danger également Raven, Clarke et les autres. Dans tous les cas, je ne serai pas celui à subir les conséquences de ma fuite, et je ne pouvais décemment pas faire ça.

Je fis donc de mon mieux pour continuer ma route à la suite du garde.


Je suis désolée de mon retard ! Je sais que c'est pas bien, mais avec les vacances et la préparation de la rentrée, j'avais plein d'autres choses en tête, et ma fic est légèrement (beaucoup ?) passée à la trappe... =S
J'espère néanmoins que ce nouveau chapitre vous aura plut... Exclusivement centré sur Bellamy cette fois-ci !

Faites mois savoir ce que vous en avez pensé, et encore désolée pour mon retard...
=D