Autrice : Saturne

Relectrice/Coautrice : Cloudfactory avec qui j'ai établi l'histoire, le plan des chapitres, et qui me relit et m'encourage !

Avertissement : Il s'agit d'une fic merthur, mais je vous préviens si vous ne me connaissez pas déjà, la romance n'est PAS le thème central ni la finalité de mes écrits. Donc si vous cherchez exclusivement de la romance, je vous conseille fortement de passer votre chemin.

Note de l'autrice : Il s'agit d'une séquelle pour Le dernier souffle de Kilgharrah, mais ça peut être lu indépendamment. Le rythme de publication sera lent et irrégulier, vu que j'écris d'autres histoires en même temps.

Bonne lecture !

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Un reflet sur la rive

Les lumières de la ville faisaient pâlir la nuit. Leur éclat éclipsait celui des étoiles qui autrefois guidaient le pas des voyageurs.

Tout était paisible. À peine quelques ridules troublaient la surface du lac d'Avalon. Les clapotis contre les bords de béton peinaient à couvrir la rumeur citadine.

Un grondement de moteur. Des phares éclairant l'étendue du lac ainsi que le panneau publicitaire qui jouxtait la route. Le véhicule s'éloigna et le silence et l'obscurité retombèrent.

Une bulle creva la surface de l'eau.

Puis une autre.

Les profondeurs du lac s'illuminèrent en une explosion de rayons éblouissants. La lumière jaillissait et saturait les alentours du lac si bien qu'on se serait cru en plein jour. Cela ne dura que quelques secondes, et tout redevint noir.

Il n'y eut personne, en ce lieu désert à la périphérie de la ville, pour voir une petite main griffue surgir de l'eau, les doigts recourbés. Personne pour voir son visage flétri comme une prune se convulser. Personne pour voir ses orbites noires comme l'encre se lever vers la nuit sans étoiles.

La créature à la peau bleue n'était guère plus grande qu'une main humaine, et son corps brillait comme celui d'une luciole lorsqu'elle déploya ses ailes. Elles se mirent à vrombir si vite qu'elles en devinrent troubles. Son reflet scintillait dans l'eau alors que le Sidhe s'élevait par à-coups.

Il ne vola pas bien loin et s'effondra sur le bitume noirci de pollution. Ses petites mains griffèrent le sol alors qu'il était pris de violents tremblements, sa bouche tordue dévoilant ses dents pointues. Ses ailes se désagrégèrent en premier, des trous déchirant la fine membrane translucide.

« Emrys... » siffla le Sidhe d'une voix aigrelette alors que son corps se déchirait à son tour comme du vieux cuir bouilli. « … EMRYS ! »

Sa peau se ternissait, passant du bleu au gris. L'écho de sa voix résonnait encore à travers les mondes une fois son corps tombé en cendres.

Une autre voiture passa en trombe et le déplacement d'air dispersa les cendres. Le temps qu'elle disparaisse au tournant derrière le panneau publicitaire, le vent se mit à souffler comme jamais il ne soufflait sur Albion. Les arbres qui bordaient le lac d'Avalon mugirent, leurs branches se pliant avec un bruissement lugubre.

Et alors que les herbes jaunissaient, que les arbres dépérissaient, que les feuilles se desséchaient et pleuvaient en tourbillons furieux, le lac se hérissa de lueurs d'un autre monde.

Des centaines, des milliers de Sidhes en crevèrent la surface. En une masse grouillante et lumineuse, ils rampaient sur la rive et sur l'îlot central en traînant leurs corps agonisants. Certains essayaient de voler en agitant leurs ailes, mais en vain. Tous retombaient tôt ou tard, le visage grimaçant, et convulsaient à même le sol avec des râles d'agonie.

Les lueurs s'éteignaient une à une au fur et à mesure que les créatures succombaient en se recroquevillant en position fœtale, le nom d'Emrys en dernier soupir sur leurs lèvres.

Il ne restait guère plus qu'une dizaine de Sidhes encore en vie gisant parmi les cendres de leurs frères et sœurs, lorsque l'une de ces créatures aux ailes brisées leva ses yeux noirs pour voir une silhouette humaine se détacher sur le ciel sans étoiles.

Un vieillard à la barbe et aux cheveux blancs approchait, le son de ses pas étouffé sur le tapis de cendres. Le Sidhe éleva un bras dont la peau perdait sa couleur bleue à vue d'œil.

« Emrys... » murmura-t-il tandis que ses ailes tombaient en poussière dans son dos. Le visage plongé dans l'ombre, le puissant et ancien sorcier s'appuyait sur son bâton, les yeux baissés sur son agonie. Vêtu d'un pantalon râpé et d'un anorak qui avait vu de meilleurs jours, Emrys s'accroupit avec un craquement audible de ses os.

Sentant la vie lui échapper, le Sidhe lutta vaillamment pour garder les yeux ouverts lorsque la main du mage le cueillit au creux de sa paume. Il se sentit soulevé et porté au plus près du visage ridé.

Son bonnet cachait une partie de sa chevelure blanche que le vent faisait danser comme une auréole. Emrys le fixait d'un regard grave et ancien. Le Sidhe savait que le sorcier l'écoutait, mais il ne put qu'articuler quelques mots entrecoupés d'une respiration sifflante :

« Emrys... vite... tu dois... l'Ancienne Religion est... »

Il ne put achever. Secoué de violentes convulsions, son corps s'effritait.

Le sorcier le regarda agoniser au creux de sa paume jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'une poignée de cendres qu'une bourrasque emporta et dispersa. Autour de lui, le vent sifflait dans les branches des arbres dépouillés de tout leur feuillage. Les dernières lueurs des Sidhes s'éteignaient. À plusieurs centaines de mètres autour du lac, la nature s'était flétrie comme sous l'effet d'un gel intense. Bientôt, tout devint sombre.

Lorsque le vent cessa de souffler et que le silence retomba, Merlin s'appuya sur son bâton pour se relever. Il crispa sa main ridée sur son bâton et échangea un regard avec son propre reflet que lui renvoyait la nappe miroitante du lac d'Avalon. Celui d'un vieillard aux épaules voûtées et au visage impénétrable.