Chapitre 8 : Le réveil du vampire déchu

Le semi-vampire marchait sur la plage. Seul le bruit apaisant des reflux parvenait à ses oreilles. Il n'aurait su dire pourquoi, mais il lui semblait que cela faisait une éternité qu'il ne s'était pas trouvé dans une atmosphère aussi calme. Un peu plus loin, une jeune fille aux cheveux blonds attachés en queue de cheval s'avançait dans la mer sans se préoccuper de sa robe bleue qui était à présent trempée. Il ne voyait pas son visage, mais il savait qu'elle était heureuse. Pour une raison ou pour une autre, c'était la première fois qu'elle pouvait se baigner librement dans l'océan.

Mais quelque chose n'allait pas. Des nuages noirs menaçants se rapprochaient rapidement vers eux, et la jeune fille s'enfonçait de plus en plus profondément dans l'eau sans les voir. Le semi-vampire fit alors un pas dans sa direction et l'appela de toutes ses forces, mais sa voix refusait désespérément de sortir de sa gorge, et la jeune fille restait inconsciente de la menace. Des cris de mouettes assourdissants étaient venus se superposer au bruit des reflux de plus en plus violents. Ils résonnèrent tels des rires démoniaques dans l'air chargé d'électricité, avant de se transformer brusquement en croassements de corbeaux.

Le semi-vampire appela son amie une fois de plus, et, cette fois, sa voix parvint à sortir de sa gorge.

Mais la jeune fille avait disparu, remplacée par une odeur de sang nauséabonde qui envahissait l'air et s'engouffrait dans ses poumons avec la férocité et le déchirement du Désespoir.

Un silence de mort régnait désormais.

« Mary ! » s'écria Nevra en se redressant en sursaut.

Le semi-vampire jeta quelques regards autour de lui, reprenant sa respiration avec difficulté. Il venait de se réveiller, et se trouvait visiblement sur le plancher d'un bateau, avec une maigre couverture pour toute source de confort. Il leva les yeux vers le ciel, et vit les étoiles qui brillaient avec éclat dans une étendue noire dénuée de nuages. C'était la première fois qu'il les voyait depuis plusieurs semaines.

Alors, aussi brusquement qu'une masse de cent tonnes qui lui serait tombée dessus, ses souvenirs de ces derniers mois lui revinrent d'entre les brumes du sommeil.

Une douleur sourde lui vrilla la poitrine, rendant sa respiration plus difficile pendant quelques secondes. Avec lenteur, il leva la main et plaça ses doigts devant son œil gauche. Il ne les voyait pas. Cet œil était devenu aveugle, et s'il avait eu un miroir à sa disposition, il aurait sans doute pu y voir la marque que les vampires du clan y avaient gravé.

Il décida de se lever pour faire bouger ses muscles endoloris par trop d'inactivité. Tout le temps qu'il avait passé dans sa cellule ne lui avait pas permis de s'habituer aux changements dans sa perception de son environnement causés par le fait qu'il avait perdu un œil. Ses pas étaient maladroits et gauches, et son cadre de vision était désormais divisé par deux. C'est pourquoi c'est seulement lorsqu'il se retourna qu'il eut la surprise de constater qu'il n'était pas seul. Un peu en retrait et accoudé à la balustrade du navire, l'elfe aux cheveux bleus l'observait avec un air légèrement intrigué.

« Tu as dormi pendant longtemps. Je commençais à me demander si tu finirais par te réveiller un jour, dit-il avec un ton chargé en ironie. »

Le semi-vampire sembla chercher ses mots pendant quelques secondes.

« Dis-moi… Ezeal c'est ça ?

- Ezarel, le corrigea l'elfe avec un claquement de langue agacé. Ne t'avise plus d'écorcher mon auguste prénom à l'avenir. »

À son expression, Nevra devina que ces derniers mots n'étaient pas une attaque, mais qu'ils témoignaient seulement du sens de l'humour dénoué de toute subtilité dudit Ezarel.

Il décida d'ignorer la remarque de l'elfe et reprit comme si de rien n'était.

« Je me souviens de tout ce qui précède mais… Je n'ai aucun souvenir de ce qui s'est passé après que tu m'aies fait quitter ma cellule. Qu'est-il arrivé ensuite, et combien de temps s'est écoulé depuis ? »

Ezarel se tourna complètement vers lui, et l'analysa du regard en haussant un sourcil. Il sortit alors un petit carnet de sa poche et commença à griffonner dedans.

« C'est sans doute la potion que je t'ai donné qui t'a fait perdre tes souvenirs, dit-il sans lever les yeux de son carnet. Je t'avais prévenu qu'il y aurait des effets secondaires, bien que je ne pensais pas qu'ils prendraient cette forme-là. C'est sûrement parce que tu es un vampire que l'un des ingrédients a réagi inhabituellement. »

L'elfe cessa brusquement d'écrire et mordilla son crayon en affichant une expression d'extrême concentration, avant de briser le silence, faisant sursauter Nevra :

« C'était sûrement la sève de fleur du soleil. Tout le monde sait que les vampires ne supportent pas ça. »

Ezarel rangea son carnet après avoir inscrit toutes les nouvelles informations qu'il venait d'acquérir sur la potion en question. C'est seulement quand ses yeux se posèrent sur l'expression circonspecte de Nevra qu'il sembla se rappeler de la présence du semi-vampire.

« Ah, et tant que j'y suis, merci d'avoir joué les cobayes pour moi, lui dit-il. »

Nevra haussa un sourcil.

« Je t'aurais bien répondu « de rien », mais je ne me souviens pas que tu m'aies demandé mon avis. Ni même que tu m'aies prévenu de ton manque de connaissance des effets secondaires pouvant toucher les vampires…

- Pas vraiment, répondit l'elfe en souriant de manière éhontée, mais dis-toi que c'était pour la science. Et puis, de un : parmi tous les possibles effets secondaires dont tu aurais pu écoper, une légère amnésie ce n'est vraiment pas cher payé ; et de deux : sans l'aide de cette potion, tu serais encore coincé dans ta cellule putride à te faire sucer le sang par une bande de vieux débris. Donc de tous les points de vue, tu t'en sors gagnant.

- Si tu le dis, répondit Nevra, ne souhaitant pas s'attarder sur le sujet. Mais tu n'as toujours pas répondu à ma question. Que s'est-il passé ensuite ?

- J'y viens. Même s'il n'y a pas grand-chose à raconter pour te dire la vérité. Lorsque tu as pris cette potion, tu as récupéré suffisamment de forces pour pouvoir te lever et marcher à peu près correctement. Nous avons alors emprunté un passage secret qui s'ouvre en actionnant un levier dissimulé dans les cachots, et qui débouche sur une trappe cachée sous un rocher en bord de mer. J'avais bien sûr dégagé la caillasse au préalable, sans quoi les choses auraient été légèrement plus compliquées… Ensuite, rien de bien incroyable. Tu t'es avachi comme une masse dans le bateau et es resté endormi pendant une journée entière. Dans ma grande clémence, je t'ai prêté une couverture chaude car je commençais à avoir pitié de t'entendre claquer des dents dans ton sommeil…

- Est-ce-que c'est cette chose que tu désignes par les mots « une couverture chaude » ? demanda Nevra en montrant la minuscule couverture rapiécée qu'il avait trouvée sur lui au réveil. »

Le semi-vampire grimaça. Non seulement cette couverture contenait plus de trous que de quantité de tissu, mais en plus elle empestait le moogliz...

« Quelle ingratitude, répliqua Ezarel. Sache que cette couverture provient de mon illustre royaume elfique, et que…

- Mais oui, mais oui, l'interrompit Nevra avec lassitude. Ce n'est pas que ça ne m'intéresse pas mais, pour en venir à l'essentiel, j'aurais aussi aimé pouvoir me laver.

- Je suis heureux que tu abordes le sujet par toi-même. Je m'apprêtais à essayer de te faire passer subtilement le message en faisant discrètement dériver la conversation sur le thème des désagréments des odeurs corporelles… »

Nevra le fusilla du regard.

« Plus sérieusement, reprit l'elfe, tu peux utiliser le baquet d'eau qui se trouve dans la cabine. »

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Nevra approcha le miroir de poche fissuré de son visage, et s'observa précautionneusement. Il venait de passer un bon moment à tenter de faire disparaître la crasse qui s'était accumulée sur son corps après les quelques semaines qu'il avait passées en captivité, mais certaines traces ne pouvaient partir aussi facilement. Plusieurs ecchymoses s'étalaient sur son visage, son torse et ses bras, les teintant de couleurs allant du bleu au noir, en passant par le mauve. Sa lèvre inférieure était sévèrement fendue, et il avait d'autres blessures légères sur les bras. Comme il l'avait prévu, son œil gauche arborait la marque du maléfice qui avait été employé sur lui, symbole rouge sang dessiné sur un iris désormais complètement blanc. Ses yeux descendirent légèrement, et s'arrêtèrent sur son cou, où une trace de morsure hideuse était encore visible. Par réflexe, le semi-vampire plaqua immédiatement la paume de sa main contre la blessure infamante afin de la cacher. Il ferma les yeux, sentant le dégoût et la honte monter en lui. Même ça ne lui avait pas été épargné. Il n'était plus un vampire maintenant qu'il avait été abaissé au statut de proie, et marqué comme une bête destinée à l'abattoir. Il n'était plus rien.

Les lois du clan étaient très strictes quant à la répartition des temps où chacun de ses membres pouvait se nourrir du sacrifice. Les vampires pouvaient tenir plusieurs années sans boire de sang s'ils avaient un mode de vie équilibré. En tenant compte de cela, le clan faisait en sorte que les sacrifices soient sollicités après des intervalles de temps suffisamment longs pour leur permettre de vivre le plus longtemps possible, et donc de tenir environ dix ans.

Le cas de Nevra n'avait pas échappé à la règle. Aussi, il avait été mordu une seule fois au cours de son séjour dans les geôles du château des vampires d'Hellsbay. Mais une fois avait été suffisante pour graver en lui les sentiments de terreur et de dégoût qu'il avait ressentis ce jour-là. Rien que d'y repenser, il se sentait envahi par la nausée. Et c'était encore pire quand il pensait que ça avait un jour été lui qui avait infligé ces sentiments à des humains livrés en sacrifice. Il avait eu beau se bercer d'excuses depuis toujours, se dire que c'était nécessaire car les vampires avaient besoin de se nourrir pour survivre, c'était seulement maintenant qu'il se rendait compte de ce que l'on ressentait lorsqu'on était la proie. Et personne ne méritait ça.

Ses mains étaient secouées de tremblements. En tentant de les atténuer, sa prise sur le miroir se resserra tellement qu'une nouvelle fissure y naquit avec un tintement sonore.

Ce qui lui était arrivé depuis son emprisonnement était presque parvenu à lui faire oublier la raison pour laquelle il en était arrivé là. Mary était morte. C'était une vérité qui le tuait encore et encore à chaque fois qu'il s'en souvenait.

Plusieurs sentiments destructeurs se mêlaient en lui. Lorsqu'il réfléchissait trop, c'était vers lui que ces sentiments se tournaient, lui rappelant sa responsabilité dans cette affaire où il aurait suffi qu'il agisse différemment pour peut-être changer le cours des choses. Mais les abysses de culpabilité dans lesquelles il tombait alors étaient trop douloureux. C'est pourquoi il utilisait toutes ses forces afin de nourrir sa haine envers le clan, faisant brûler un feu de ressentiment dans sa poitrine. C'était beaucoup plus simple de haïr et de rêver à une vengeance que de se concentrer sur tout le reste. Il serra le poing jusqu'à ce que des larmes de sang coulent des entailles que ses ongles avaient taillées dans sa chair. Un profond ressentiment l'habitait et coulait dans ses veines. En cet instant, il n'y avait plus rien. Rien d'autre que sa haine et l'objectif vengeur qu'il s'était fixé. Son regard s'était perdu dans les ténèbres, et des tremblements étaient venus secouer son corps sans qu'il ne s'en rende compte.

Mais un raclement de gorge le sortit brusquement de la sorte de transe dans laquelle sa fascination morbide l'avait plongé.

« Ce n'est pas pour t'interrompre, dit Ezarel en restant derrière la porte fermée, mais ça va bientôt faire deux heures que tu es là. Tu t'es noyé dans la baignoire ou bien ?... »

Nevra jeta quelques coups d'œil autour de lui, l'air perdu. Il n'avait absolument pas vu le temps passer, tout comme il avait fini par oublier jusqu'à l'endroit même où il était.

« J'ai fini, finit-il par répondre après quelques secondes. Mais je ne peux pas sortir. Mes vêtements sont sales et déchirés, je ne peux pas les remettre en l'état... »

Nevra jeta un regard en direction des loques qu'il avait portées jusqu'à maintenant. Les remettre aurait rendu les bienfaits du bain qu'il venait de prendre complètement obsolètes. Mais pourtant… Sa paume retourna instinctivement contre son cou. Il fallait qu'il trouve un moyen de dissimuler cette trace de morsure. Il ne supportait déjà pas son existence. La simple idée qu'elle soit visible aussi bien pour lui que pour les autres le rendait malade.

Ezarel poussa un soupir.

« Je m'en doutais, dit-il avant de passer un bras dans l'entrebâillement de la porte et de lancer un tas de vêtements que Nevra attrapa au vol. Met ça. »

Le semi-vampire regarda les habits avec étonnement. Ce n'était pas des frusques élimées jusqu'à l'os, contrairement à ce à quoi il se serait attendu de la part de l'elfe. Au contraire, leur tissu était de plutôt bonne qualité. De plus, le haut que lui avait prêté Ezarel était à col montant.

« Merci, dit-il, légèrement à court de mots.

- Pas de quoi, répondit Ezarel. Mais prends-en soin, ce sont mes vêtements personnels. Si jamais tu les abîmes, les taches, ou quoi que ce soit, tu auras affaire à moi. Et n'espère pas que je sois clément sur ce point. »

Nevra entendit alors les pas de l'elfe qui s'éloignaient. Ce n'est que lorsqu'il fut de nouveau seul qu'il se rendit compte que ses tremblements avaient cessé.

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Ezarel était accoudé à la rambarde du navire, jetant un œil à sa boussole de temps à autres pour s'assurer que l'embarcation ne déviait pas de sa trajectoire. Il se tourna vers la cabine pour vérifier que Nevra n'en était toujours pas sorti. N'importe quel imbécile se serait douté, en voyant le semi-vampire rester enfermé pendant plusieurs heures, que ce dernier ressassait probablement des pensées peu agréables, surtout en sachant ce qui s'était passé récemment. Alors bien sûr, c'était en parfaite connaissance de cause que l'elfe l'avait interrompu. Ce n'était pas qu'il se préoccupait du bien-être de ce vampire ou quoi que ce soit, mais contrairement à ce que ses congénères de la garde d'Eel aimaient raconter sur lui, il n'était pas non plus complètement sans cœur, et l'idée qu'une personne en détresse psychologique se trouvait sur le même bateau que lui ne lui plaisait pas particulièrement.

Il finit par hausser les épaules. Après tout, cela ne le concernait pas. Sa mission était simplement d'accompagner Nevra jusqu'à Eel. Après ça, il se serait enfin débarrassé de cette dette envers Morgan vieille de plusieurs décennies, et il n'aurait plus à se préoccuper des déboires du vampire déchu.

C'est ce moment que choisit ledit vampire pour quitter la cabine du navire. Ses cheveux noirs encore mouillés étaient légèrement désordonnés, et avaient été coiffés afin de venir recouvrir en partie l'œil qui arborait la marque. Il avait mis les vêtements gris et bleus que l'elfe lui avait prêtés. Ezarel remarqua qu'il avait soigneusement boutonné son col jusqu'en haut, sans doute avec la volonté de dissimuler la trace de morsure qu'il avait dans le cou.

« Merci pour les vêtements, dit Nevra en s'approchant. La taille est à peu près la bonne. »

Il s'accouda également à la rambarde, à environ un mètre d'Ezarel. Son regard se leva alors vers l'horizon, au-dessus duquel le soleil s'était levé depuis peu. Son visage affichait une expression sérieuse.

« Depuis combien de temps a-t-on quitté Hellsbay ? demanda-t-il.

- Environ une journée, répondit l'elfe. Il nous reste encore un bout de chemin à faire.

- Je me demande à quoi ressemble le monde là-bas. Je n'avais jamais quitté l'île avant. »

L'elfe le regarda avec surprise. Ses sourcils montèrent si haut qu'ils disparurent presque sous sa chevelure bleue.

« Tu veux dire que tu ne sais rien d'Eldarya ? demanda-t-il avec incrédulité.

- Je n'irais pas jusque-là, mais je ne peux pas non plus dire que j'en sache beaucoup sur notre monde. Toutes mes connaissances dessus viennent de on-dits. Je sais que les peuples se sont regroupés par espèces pour former leurs propres royaumes et cités-états. A côté de ça, il y a Eel, l'anomalie, la seule à regrouper de nombreuses espèces différentes. Morgan parlait toujours de cette cité comme si c'était un endroit incroyable, même si je n'ai jamais vraiment compris pourquoi…

- C'est normal, répondit l'elfe. Eel est l'endroit le plus paisible et prospère de tout Eldarya. Elle est communément surnommée « la cité de la liberté », car c'est là que se réfugient tous les opprimés et les fugitifs n'ayant plus leur place au sein de leur peuple. La légende raconte que c'est pour cette raison que cette cité a été créée, bien longtemps auparavant.

- Vraiment ? Je comprends pourquoi Morgan m'a conseillé de m'y rendre alors... »

Ezarel ne répondit pas. En effet, Eel semblait être la direction évidente pour un vampire banni par son clan comme Nevra. Ce dernier hésita quelques secondes avant de reprendre.

« J'aimerais en savoir plus à propos de la garde d'Eel. J'ai entendu dire que c'est un regroupement qui tenterait de faire régner l'ordre et la paix sur les différents royaumes d'Eldarya.

- C'est vrai, répondit l'elfe. Même si ce n'est qu'en théorie qu'elle correspond à ce que tu dis. En pratique, elle manque trop de pouvoir et de moyens pour pouvoir garantir la sécurité de tout Eldarya, et s'occupe principalement d'Eel et de ses environs. Je suis bien placé pour le savoir puisque j'appartiens à la garde d'Eel. »

Nevra le regarda avec étonnement.

« Vraiment ? Alors pourquoi es-tu ici ?

- Ma dette envers Morgan date d'il y a une éternité, je ne pouvais pas refuser sa demande. J'ai donc demandé un congé à Bau pour pouvoir venir à Hellsbay.

- Bau ?

- La capitaine de la garde Absynthe. C'est une vieille sorcière du Westside à la peau verte et fripée. Elle est à moitié folle, sans doute à cause de l'exposition constante à la fumée de ses potions farfelues. C'est elle qui a créé la garde d'Eel il y a plusieurs siècles.

- La garde Absynthe ? demanda Nevra en haussant un sourcil. Parce-qu'il y en a plusieurs ?

- Oui. Il y a l'Absynthe, l'Obsidienne, l'Ombre et l'Etincelante. La plus importante est l'Etincelante, qui est en quelque sorte constituée de l'élite. C'est Fendor qui la dirige, ainsi que l'intégralité de la garde d'Eel. C'est un loup-garou peu commode, et son bras-droit est une kitsune au caractère de blackdog qui répond au nom de Miiko.

- Je vois, dit Nevra avec un air vaguement intéressé. Je t'avoue que, depuis quelques temps, j'envisage de plus en plus d'intégrer la garde.

- Il faut un minimum de capacités physiques pour y être admis, mais le seuil n'est pas très élevé. Étant donné que tu es un vampire, ça ne devrait pas te poser de problème. »

L'expression de Nevra s'assombrit lorsque l'elfe mentionna son espèce.

« Mais mon intention n'est pas d'intégrer la garde de façon permanente, précisa-t-il alors. »

Ezarel le regarda sans comprendre. Le semi-vampire semblait perdu dans ses pensées, et la colère se lisait désormais sur ses traits.

« Je ne resterai pas à Eel indéfiniment, dit-il. Un jour ou l'autre, je devrai retourner à Hellsbay pour terminer ce qui a été commencé.

- Ce qui a été commencé ? demanda Ezarel avec un air sarcastique. Est-ce-que tu parles de ta mise à mort ? Parce-que je peux te garantir que c'est tout ce qui arrivera si tu retournes là-bas. »

Nevra lui jeta un regard noir.

« Ces gens m'ont arraché ma fierté. Je n'ai pas d'autre option que de revenir pour la récupérer. Il en va de mon honneur. Je leur ferai subir dix fois l'humiliation qu'ils m'ont infligée. Et il n'y a pas que ça, ajouta-t-il après une pause de quelques secondes. Je ne pourrai jamais leur pardonner ce qu'ils ont fait à Mary. »

Une sensation désagréable naquit au fond de l'estomac d'Ezarel. Il regarda le semi-vampire en fronçant les sourcils avec désapprobation.

« Après tout le chemin que j'ai fait pour venir t'aider à sauver ta peau, tu es en train de me raconter tranquillement que tu comptes retourner là-bas pour mourir comme un imbécile ?

- Je ne mourrai pas, répondit-il avec morgue.

- C'est un clan. Un clan de vampires assoiffés de sang qui n'attendent que ça que tu retournes là-bas pour pouvoir finir ce qu'ils avaient entrepris et te tuer en bonne et due forme. Je ne sais pas si tu t'en souviens mais il me semble que ça ne t'a pas fait beaucoup de bien la dernière fois que tu as essayé de t'opposer à eux. »

Ezarel rencontra les yeux meurtriers de Nevra.

« Je n'ai que faire de ce que tu en penses, dit-il. Je sais ce que j'ai à faire.

- Très bien, répondit l'elfe avec un calme glacé. Fais ce que tu veux, mais saches seulement qu'il n'y aura plus personne pour te sauver la mise cette fois. »

Sur ces mots, Ezarel s'éloigna sans regard, et entra dans la cabine avant de fermer la porte derrière lui.

Nevra resta seul, laissé complètement indifférent par la réaction de l'elfe. Au contraire, avoir verbalisé son désir croissant de vengeance avait rendu ce dernier plus tangible, et sa haine avait pris plus d'ampleur dans sa poitrine. Il arborait une expression meurtrière. Un sourire cruel se dessina sur son visage lorsqu'il repensa au clan, imaginant déjà tout ce qu'il ferait lorsque l'heure de sa vengeance viendrait. Mais son masque d'animosité de transforma soudain en grimace de douleur lorsqu'une brûlure insoutenable se fit sentir dans son œil gauche, le faisant tomber au sol sous l'effet de la surprise.

Il posa une main tremblante sur son visage, et tâtonna jusqu'à atteindre la source du mal, dans le vain espoir de pouvoir l'apaiser d'une façon ou d'une autre. Mais rien n'y fit, il avait l'impression que la douleur le dévorait de l'intérieur. Le semi-vampire serra les dents pour s'empêcher de crier.

Après quelques instants à lutter contre ses souffrances, les forces de Nevra semblèrent l'abandonner, et il perdit connaissance, après avoir jeté un dernier regard vers la cabine du navire dans laquelle avait disparu Ezarel, inconscient de ce qui était en train de lui arriver.

Ce n'est qu'après plusieurs minutes d'inconscience que Nevra finit par reprendre ses esprits. Étrangement, la douleur avait disparu, et il put se redresser sans problème.

Après avoir observé son œil marqué dans un miroir, et constaté que rien ne semblait plus anormal que quand il s'était réveillé ce matin, il secoua la tête et tâcha de se convaincre que tout ça n'était sans doute pas très grave.

Alors, il reposa le miroir et essaya de ne plus penser à ce qui venait d'arriver.

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« Je me porte volontaire, votre honneur. Je ramènerai le semi-vampire. »

La déclaration de Wardheir fut suivie d'un silence dans la salle du conseil. Keinter jeta au vampire un regard lourd de jugement, semblant se demander s'il pouvait vraiment lui faire confiance pour cette mission. Mais le cheminement de ses pensées fut interrompu par une autre intervention.

« J'irai aussi, dit Morgan en s'avançant d'un pas. »

Le regard du doyen se tourna alors vers ce dernier. Il n'était pas vraiment plus rassuré par sa participation que par celle de Wardheir. C'est à ce moment-là que ses yeux rencontrèrent ceux déterminés de Lyca. Les lèvres de la vampire s'étirèrent en un sourire victorieux, car elle savait déjà ce qu'il allait dire.

« Soit. Morgan, Wardheir, vous partirez à la recherche de Nevra, mais seulement à condition que Lyca accepte de vous accompagner pour diriger les opérations.

- J'accepte, votre honneur, dit-elle sans hésiter.

- Très bien. Vous partirez donc tous les trois à sa poursuite dès que nous aurons acquis tous les renseignements nécessaires au lancement des opérations. Maintenant vous pouvez tous disposer. À l'exception de toi Lyca. J'ai à te parler. »

L'intégralité des vampires du clan quitta alors la pièce en quelques secondes. Morgan fut le dernier à partir, et jeta un regard suspicieux en direction de Keinter et Lyca avant de quitter les lieux.

« Qu'y-a-t-il votre honneur ? demanda-t-elle lorsqu'ils furent seuls. C'est à propos de Wardheir et Morgan, n'est-ce-pas ?

- Tu as bien deviné Lyca. Je ne leur fais pas confiance. Wardheir m'a déjà prouvé qu'il n'en était pas digne. Quant à Morgan, je le soupçonne d'avoir participé à l'évasion de Nevra. Il compte peut-être utiliser cette mission comme prétexte pour fuir le clan.

- Pourquoi leur avoir confié cette opération dans ce cas ? »

Le doyen se tourna vers Lyca avec un regard sombre.

« Cette mission sera leur dernière chance. Si jamais ils montrent le moindre signe de déloyauté envers le clan au cours de ce voyage, je t'ordonne de les tuer. »

Un sourire se forma sur le visage de la vampire.

« Bien, votre honneur. »


Un chapitre de transition, mais j'espère qu'il vous aura plu quand même...

Au fait, je publie également cette fic sur le forum d'Eldarya, où j'ai tendance à sortir les nouveaux chapitres légèrement plus tôt qu'ici. J'y ai aussi mis quelques illustrations des personnages dans les notes d'auteur. Si ça vous intéresse, elle est publiée sous le même nom dans la section fanfiction.

Et pour finir, une petite preview du prochain chapitre :

Il s'approcha du monstre, qui dormait trop profondément pour avoir remarqué son arrivée. C'était un gigantesque dragon aux écailles noires comme la nuit, qui semblaient avoir été taillées dans un métal plus solide encore que le diamant. Ses ailes filandreuses, même repliées sur elles-mêmes, semblaient immenses comme le ciel, et, si on les observait de près, on pouvait y apercevoir de légers reflets irisés.