Hello, tout le monde ! J'espère que vous allez bien. Me revoilà après... un très long moment d'absence pour un chapitre un peu plus long que d'habitude avec de l'amour, de la musique et du sang, beaucoup de sang. Ce chapitre a été un peu galère à écrire (vu que j'ai essayé quelques petites choses) mais c'était assez amusant (sauf la dernière partie, vous allez vite comprendre pourquoi). Je m'excuse d'avance pour certains personnages (Enoch surtout) qui est très OOC dans cette histoire. En ce qui concerne l'avenir de l'histoire (j'avais évoqué de peut-être l'arrêter lors du chapitre précédent), je pense que je vais faire tout mon possible pour la continuer et la finir parce que, bah, j'ai tout simplement envie de la partager. Donc, voilà, ça prendra le temps qu'il faudra mais, je vais essayer de la terminer.

Je remercie les reviewers dont les messages me mettent en PLS, ceux qui follow ou favorite cette histoire mais aussi toi qui es derrière ton écran et qui as cliqué sur cette histoire. Bref, un grand merci à tout le monde ! Sur ce, plein de limonade et de glace et bonne lecture !

Disclaimer : Les personnages de Bob, Grunlek, Viktor, Théo et Shin appartiennent à Bob Lennon, Krayn, Fred et Seb du Grenier. L'univers d'Aventures appartient à Mahyar. Rien ne m'appartient si ce n'est la trame de cette histoire et quelques personnages.

Warning : Ce chapitre contient des mentions (plutôt explicites) de viol ainsi de blessures ainsi que des allusions à de l'auto-mutilation. Si vous y êtes sensibles, veuillez passer votre chemin (et me dire si vous souhaitez un bref résumé de ce qui se passe dans ce chapitre).

Enjoy !

Bob avait l'impression d'être scindé en deux. Depuis qu'il avait perdu conscience (ce qui n'était qu'une façon de parler vu qu'il était, d'après sa théorie, dans son esprit), le mage voyait des scènes par deux points de vue différents qu'il s'alternait sans qu'il puisse influencer quoique ce soit. Bloqué à la place de l'un ou de l'autre, l'érudit était obligé de vivre les expériences qui s'offraient à lui sans pouvoir faire quelque chose. Il avait bien tenté de parler, de bouger ou de s'arrêter mais en vain. Il était prisonnier, enchaîné à ses deux êtres dont il ne savait rien à l'heure actuelle.

Le premier était situé dans une grande rue. Il avançait d'un pas qui se voulait déterminé malgré l'obscurité qui avait envahi les lieux. Obscurité qui ne semblait pas le gêner, Bob arrivant à voir sans difficulté ce qui se trouvait devant lui, laissant penser que son hôte était nyctalope. À son passage, les animaux errants qui fouillaient chaque recoin avec le ventre criant, fuyaient comme si le diable était à leurs trousses. Quelques fois, l'ombre solitaire les remarquait et les observait fuir avant de s'en retourner à sa profonde réflexion. Malgré sa façon de se tenir droit et son torse bombé, Bob trouvait, ou plutôt savait vu qu'il était à sa place, que la personne était inquiète alors qu'il se dirigeait lentement vers le bas de la rue où de la lumière et de la musique s'échappaient. Il y eut un clignement d'yeux.

Et Bob se retrouva aux côtés du second.

Proche d'une grande place, il avait dû s'en éloigner de plusieurs mètres, maudissant dans un grognement les trop nombreux regards lumineux et inquisiteurs présents dans les alentours. Il se retrancha dans la pénombre d'une ruelle. Bien qu'il se soit éloigné, le bruit ambiant continuait à lui agresser les oreilles tandis que la forte luminosité lui brûlait les yeux. Il aurait été plus simple de rentrer et d'attendre dans l'ombre familière et tranquille de sa maison. Mais, il devait protéger les siens. Serrant le poing, l'inconnu gravit les marches menant à l'entrée d'une maison, observant depuis son perchoir ridicule la grande place. Il plaça sa main devant ses yeux pour se protéger de la lumière qu'émettait un des gardes avant de cligner des yeux.

Alors que le passant solitaire continuait d'avancer, la rue commença à s'élargir alors que la grande place de la ville se dessinait au loin. Des torches avaient été allumées à l'entrée de la place, délimitant les festivités. Alors qu'il avançait, le voyageur de l'ombre s'arrêta brusquement et fit quelques pas en arrière pour se placer devant la vitrine d'un magasin de claquettes que Bob était persuadé d'avoir déjà vu quelque part. Observant son reflet, il remit négligemment sa cape légère et sa ceinture en place avant de s'attarder sur ses cheveux châtains. Puis, il examina ses yeux, vérifiant à ce que leur aspect rougeoyant et guère humain n'attisent la méfiance des gardes. Obligé de le regarder faire, Bob contempla pendant quelques secondes le reflet de son hôte. Au début, il ne put s'empêcher de remarquer à quel point la personne dans le miroir improvisé lui était fâcheusement familière sans réussir à rapidement l'identifier. Son esprit étant partagé entre deux personnes, il semblait tourner au ralenti et la recherche d'informations était plus complexe que d'habitude. Cependant, avec patience, l'érudit finit par savoir qui était cette personne. Et, pendant les secondes qui suivirent, il se sentit bête d'avoir mis autant de temps pour reconnaître celui qui était la cause de nombreux problèmes.

Enoch

Son père se regarda encore quelques instants dans la vitrine avant que son masque réapparaisse sur son visage. Celui qui apportait les ennuis à l'imprudent et un amour éphémère au solitaire. Bob le connaissait que trop bien. Et c'était d'ailleurs pour cela qu'il nota avec surprise la lueur indéchiffrable qui brillait dans les yeux de son géniteur. Jetant un dernier coup d'œil, le démon se détourna de la vitrine et se dirigea vers la place, se contentant de sourire quand il passa devant un des gardes, remarquant discrètement l'étoile à huit branches de la Lumière sur son armure. Puis, il ramena son attention sur la foule avant de cligner des yeux.

Depuis son perchoir, le deuxième hôte arrivait à voir ce qui se passait sur la grande place. À l'autre bout de la pièce, coincé entre deux torches étaient placés des gens qui jouaient avec entrain une symphonie désaccordée dont l'air se propageait à travers toute la place. La mélodie d'ailleurs commençait sérieusement à énerver l'homme qui commença à grogner. Il commença inconsciemment à faire bouger ses doigts surmontés de griffes alors que son esprit lui susurrait de sortir de sa cachette et débutait une danse carmine dont le village ne se remettrait jamais. Ce fut quand une douleur lui parvint depuis ses avant-bras qu'il se reprit, baissant légèrement la tête pour voir ce qui se passait. Bob put remarquer alors les trois coups de griffe que l'homme avait au bras, accompagnés de nouvelles blessures. Sans s'en rendre compte, son hôte s'était coupé au niveau du poignet, un fil de sang commençant à s'en échapper. Comme pour le premier, Bob eut du mal à traiter l'information et ce fut après quelques secondes qui permirent à son hôte de se calmer et de ramener son attention sur la place que sa réflexion finit par être fructueuse. Ce type de marques, Bob avait rencontré qu'une personne les possédant et leur rencontre plutôt étouffante avait bien marqué le demi-diable.

Le Sangaeis.

Ça ne pouvait être que lui. Pour tout dire, c'était évident que ce soit celui que ses amis et le mage avaient battu. Déjà, parce que c'était le seul qu'il avait rencontré. Et surtout parce que c'était le seul avec qui il avait établi un lien mental. Dans ce cas, cela voulait que ce qui voyait, c'était...

-Quelle imbécile.

Le Sangaeis marmonna quelque chose, coupant court à la réflexion de Bob, l'intimant de mettre sa réflexion de côté pour se concentrer sur ce qui se passait. Le demi-diable essaya de suivre à moitié la scène avant d'y renoncer et de s'y plonger complètement, laissant les souvenirs de ses hôtes l'envahir. Le regard du Sangaeis s'était posé sur la piste de danse improvisée où les humains - semblables à des pantins désarticulés pour la créature - s'agitaient avec des mouvements peu naturels. Il ne s'attarda guère sur eux d'ailleurs, se focalisant uniquement sur une personne. Bien qu'au milieu de cette foule, elle dansait seule, les gens ayant laissé quelques mètres entre eux et elle. Parmi toutes ses têtes grises dont les vêtements paraissaient ternes, elle était la plus remarquable que ce soit par ses vêtements chatoyants ou par sa danse gracieuse. Malgré la colère de la voir parmi ses humains à danser sur leur musique infâme, le monstre tapi dans l'ombre s'adoucit légèrement, esquissant presque un sourire. Presque. Car, un léger coup d'œil vers la gauche suffit pour qu'il se reprenne alors qu'une personne beaucoup trop familière s'avançait sous le regard suspicieux d'un Bouclier doré.

-Bien entendu, grogna t-il en serrant les dents et en clignant les yeux.

Enoch avançait difficilement sur la place bondée. Il eut déjà beaucoup de mal à passer près de l'orchestre à cause des nombreuses personnes qui venaient leur demander de jouer tel ou tel morceau. Mais, à cause du bruit ambiant, les musiciens ne les entendaient pas et continuaient de jouer comme bon leur semblait. Le joueur de cornemuse commença, mine de rien, à accélérer, rapidement imité par la joueuse de chalémie et de vieille à roue. Puis, les joueurs de percussions, bien fatiguées et absorbé par leur jeu, finirent par suivre la cadence. Le démon les regarda un moment, profitant de la musique enjouée pendant quelques secondes. Puis, il ramena son attention sur les alentours. Le centre de la place étant occupé par la piste de danse, les curieux peu courageux s'étaient placés tout autour pour regarder la ronde, se contentant de taper des mains. Sur la gauche, devant la taverne, les gens étaient plus nombreux, essayant difficilement d'entrer dans le bâtiment pour remplir leur chope. Sur la droite, il y avait moins de monde mais le nombre de gardes était plus important, accompagné de paladins haut placés. Le diable ramena son attention sur la piste de danse avant de se remettre à avancer. Se faufilant comme il pouvait entre les spectateurs, Enoch se dirigea lentement mais sûrement vers la piste de danse. Durant sa progression, son attention alla vers la droite, plus précisément l'entrée d'une ruelle sombre. Bien qu'il n'arrivait pas à le distinguer, il savait que le Sangaeis - le Roi-père plus précisément - était là, grognant dans les ombres à attendre le geste de trop qui lui permettrait de l'attaquer. Un petit sourire naquit sur les lèvres du diable. Bien que cela l'agaçait, la présence du monstre lui assurait une chose.

Il était sur la bonne voie.

Passant la dernière ligne de spectateurs, Enoch arriva devant la piste de danse. Souvent à deux, rarement seul, les villageois exécutaient leur danse avec de grands sourires pour la plupart. Les bottes et les sabots claquaient pour marquer la cadence, accompagnés quelques fois par des claquements de main. Niveau visuel, la place semblait inondée de couleur, chacun ayant fait l'effort de mettre leurs plus beaux vêtements colorés. Les capes, les tuniques, les jupons, les pantalons, tout formait un tourbillon de couleurs qui seyait bien à la fête et à la saison. Le diable resta un moment en marge de la ronde, regardant les danseurs avec attention. Parmi les gens de tout horizon, de tout âge et de toute classe, il cherchait quelqu'un mais sans succès. La piste était trop grande et les gens trop nombreux pour que la créature démoniaque puisse identifier qui que ce soit. Poussant un soupir, le diable avisa le début de la piste de danse et, dans un clignement d'yeux, y entra.

Le Sangaeis grogna de plus belle. Son regard noir rivé sur le diable-traître, il le regarda entrer dans la danse avec colère. Il savait très bien pourquoi il était là. Oh oui, il le savait. Depuis sa venue chez les Sangaeis, il n'avait eu de cesse de les détourner de leur but primaire en leur faisant miroiter monts et merveilles. Et parmi les jeunes du clan sur qui il avait jeté son dévolu, il s'était rapproché de leur prochaine guide. Celle qui finirait par prendre sa suite pour diriger le clan vers la lutte contre les Boucliers dorés. Encore une fois, il allait essayer de la tenter. Serrant les poings, il s'apprêta à quitter son perchoir avant que la voix de la raison se fasse entendre par-dessus le brouhaha mental qui commençait à se former chez le Roi-père. Un coup d'œil aux deux gardes accompagnés par des Boucliers dorés suffit pour le calmer. Non. Cette fois, il ne pouvait rien faire. S'il partait et attaquait Enoch, il risquait au mieux d'être tué et au pire, d'être enfermé. Et, avec la lune rouge qui se préparait, avec l'avenir de son clan qui était en jeu, il ne pouvait se permettre de disparaître maintenant. Poussant un profond soupir, il resta un moment la tête baissée, essayant de calmer son esprit chaotique avant de relever les yeux, observant avec résignation la place. Une Armure dorée passa devant lui, l'obligeant à cligner des yeux.

Le diable luttait contre la foule. Obligé de danser pour ne pas attirer l'attention sur lui, il essayait entre deux claquements de mains de faire un pas vers l'intérieur de la ronde. Sans succès. Le mouvement des autres danseurs qui ignoraient sa présence l'obligeait à reculer. Il avait l'impression d'avoir été lancé en pleine mer face à un courant beaucoup trop fort pour lui. Déterminé à passer, Enoch tenta sur la gauche cette fois avant de se faufiler dans un creux. Entre deux jeunes filles, il entraperçut une longue chevelure noire et familière au loin, lui indiquant une direction. Le diable esquiva un vieux couple avant de faire un pas. Cependant, un changement de rythme l'obligea à reculer alors que les danseurs se déchaînaient. Il perdit son point de repère dans la foule. Frustré, il tenta de nouveau sa chance avant de devoir reculer de nouveau. Une nouvelle vague de danseur passa devant lui, l'obligeant de battre en retraite. Contournant la foule, il avisa une ouverture et s'y engouffra. Il réussit à faire trois pas avant d'être de nouveau bloqué mais au moins, il l'avait retrouvé. Toujours loin de lui, elle se contentait de suivre le mouvement. Jetant un coup d'œil autour de lui, le diable se faufila sur la gauche. Il se décala légèrement pour éviter un jeune homme qui alla s'écrouler sur d'autres danseurs avant d'être de nouveau arrêté. Levant la tête, il reporta son attention sur la ruelle où devait se trouver le Sangaeis. Était-ce son œuvre ? Était-il désespéré au point d'envoyer tous les danseurs sur lui ? Enoch plissa les yeux avant de recommencer à avancer. Si c'était le seul moyen qu'il avait trouvé, c'était futile. Il allait lui parler. Il allait la convaincre. Mais avant ça, il allait la rejoindre.

Animé par une détermination farouche, le diable se remit à avancer. Se faufilant à travers les gens, il esquissa un sourire en voyant que les gens commençaient à le remarquer mais surtout, à s'éloigner de lui. Peut-être était-ce son regard brûlant qui les effrayait ? Ou bien la présence inquiétante qui émanait de lui ? Enoch en avait cure. La seule chose qui l'intéressait était le résultat. L'armée de danseurs avaient fini par se couper en deux, lui permettant d'avancer. Les inquisiteurs et les paladins commencèrent à s'agiter, se rapprochant dangereusement de la piste de danse, mais le démon les ignora. Il continua d'avancer triomphalement vers la personne qu'il était venu voir. Et ce fut que quand elle fut à portée de main qu'il daigna se calmer, permettant à la situation de se détendre.

Elle lui tournait le dos quand il se rapprocha d'un nouveau pas d' cheveux noirs ondulaient à chacun de ses mouvements alors que les fleurs qui les décoraient peinaient à rester en place. Sa chemise blanche étant trop grande pour elle, elle avait remonté ses manches jusqu'à ses coudes et avait noué des cordons de cuir pour les retenir. À sa taille, elle avait noué une écharpe noire en guise de ceinture, les pans tombant sur ses jupons colorés. Rouge, jaune, vert, violet, les tissus légers formaient une cascade qui épousait ses formes, cachant partiellement le pantalon de cuir clair qu'elle portait en dessous. Ses bottes tapaient le sol en rythme, se mêlant aux autres claquements de sabots et de bottes, au brouhaha et à la musique. Enoch se rapprocha encore un peu avant de poser sa main sur son épaule. La demoiselle se retourna, ses yeux violets surpris se plongeant dans les yeux rougeoyants du diable. Il y eut un petit temps de flottement entre les deux. L'inconnue examina les traits de la personne devant elle tandis que le démon observait son visage. Ses grands yeux violets, son teint légèrement halé, ses traits sévères qui s'adoucirent quand elle le reconnut.

Son sourire en coin qu'elle lui adressa.

Se tournant complètement vers lui, elle plaça sa main droite derrière son dos et inclina légèrement son buste dans une révérence. Enoch l'imita, réprimant un léger rire, avant de tendre la main. La demoiselle sourit avant de la prendre, acceptant ainsi l'invitation silencieuse du diable. Se rapprochant, le duo fraîchement formé commença à danser, seul au milieu de la marée humaine. Suivant le mouvement et la musique, ils commencèrent à aller et venir à travers toute la place. Passant devant les paladins et les inquisiteurs, les deux se partageaient un regard complice, se moquant des gardes à l'affût qui ne prenaient pas garde aux monstres dissimulés dans la foule. En passant devant la ruelle plongée dans la pénombre, le démon finit par apercevoir la silhouette du Sangaeis à qui il adressa un sourire victorieux. Montrant les dents, le Roi-père soutint son regard avant de disparaître dans les ombres, reconnaissant sa défaite. L'observant, la jeune fille dut comprendre ce que le diable faisait car, elle lui donna un coup dans le genou, adressant un regard rempli de reproche quand l'attention de son cavalier revint sur elle.

La danse continua, s'accélérant encore et encore. Le final était proche. Bientôt, la musique s'arrêterait, entraînant la fin des festivités avec elle. Tapant les secondes qui restaient avant la dissolution de la ronde, les tambours se firent plus fort que jamais. Alors que beaucoup commençaient à quitter la place, ne pouvant plus suivre, la demoiselle continua. Lâchant la main d'Enoch, s'éloignant de lui, elle continua. Ses bottes frappant les pavés plus fort que jamais, elle tournoya, le visage levé vers le ciel étoilé, avant de se baisser et d'exécuter quelques pas en tapant dans ses mains. Imitée par les habitants téméraires, la danse gracieuse paraissait quelque peu menaçante. Le diable la reconnut. C'était celle qu'une soi-disant reine dont le nom n'avait pas survécu le passage du temps et avait disparu. Comme les femmes de son statut, les gens ne la connaissaient que pour sa beauté digne d'une rose. Mais, quand elle exécutait sa danse, la légende disait que son masque tombait pour laisser place à sa vraie nature. La poupée de porcelaine se transformait alors en lionne. Belle, mais courageuse, douce mais dangereuse, elle rappelait qu'il valait mieux ne pas la sous-estimer. Elle était reine, pas l'ombre d'un roi. Elle avait connu la guerre, elle avait déjà vu le sang couler. Et même si la fin de cette grande reine du passé était tombée dans l'oubli, la danse était restée, en guise d'avertissement. S'éloignant un peu, le démon la regarda danser, suivant chacun de ses gestes du regard, observant son visage. Il la regarda venir et reculer jusqu'à qu'elle lui tende la main. Ensemble, ils reprirent la danse tous les deux. Le bras noué à celui de l'autre, ils allèrent une fois à droite avant de taper dans leurs mains puis de repartir à gauche, répétant le mouvement deux fois. Puis, ils purent se rapprocher de nouveau. Main dans la main, ils allaient et venaient à travers la place pour la dernière fois avant que, après un dernier tourbillon de couleurs, la danse s'arrêta. La musique fut remplacée par un tonnerre d'applaudissements avant que la place se vide lentement.

Laissant sa cavalière reprendre son souffle, Enoch finit par lui montrer une des rues qui menaient vers la porte de la ville. La jeune fille acquiesça et se mit à marcher aux côtés du démon. Ils passèrent devant un inquisiteur qui les regarda passer, méfiant, avant de s'engouffrer dans le passage. S'éloignant de la place et des torches, la rue s'assombrit, seulement éclairée par la lune qui perçait difficilement à travers les nuages. Un silence s'installa entre les deux marcheurs, aucun des deux n'osant parler de peur que les oreilles des murs les entendent. Après un long moment, la porte finit par se dessiner au loin, signalant la fin de la zone urbaine. Des gardes étaient postés dessus, la corde de l'arc reflétant les rayons lunaires. Ils les regardèrent passer avec des regards inquiets sans pour autant poser de questions, se contentant de les suivre du regard pendant quelques secondes après qu'ils aient quitté la ville. Ils parcoururent quelques mètres en silence sous les rayons de la lune à l'ombre sanglante. Le vent soufflait légèrement dans la plaine, rafraîchissant l'air. Et au loin, la menaçante Colline Sifflante se dressait. Quelques lumières étaient encore visibles là-bas, brillant difficilement dans la pénombre.

-Je ne pensais pas te trouver là-bas.

Le diable interrompit son observation des alentours pour ramener son attention à la jeune femme. Cette dernière était enfin sortie de son mutisme, ses yeux violets scintillant. Il n'y avait pas d'animosité dans le ton de la demoiselle, ni moquerie. C'était un simple fait. Esquissant un sourire en coin, Enoch haussa légèrement les épaules.

-Que veux-tu ? Je suis toujours là où on ne m'attend pas. C'est ce qui fait partie de mon charme.

-Je croyais que c'était "être là pour s'attirer des ennuis" qui faisait partie de ton charme ? s'enquit la demoiselle en ricanant.

-Venant de la part de celle qui a mis toute la Colline en alerte pour aller danser sur une place remplie de soldats de la Lumière, je me sens offusqué par cette remarque.

Enoch posa sa main sur son torse comme si on l'avait frappé tout en prenant une mine faussement outrée. Ses yeux exagérément écarquillés et sa moue eurent raison du sérieux de la jeune fille qui ne put s'empêcher de pouffer avant de finalement rire. Le diable finit par se joindre à elle, le rire cristallin de sa compagne de route se révélant communicatif.

-C'est vrai que, dit comme ça, ce n'était pas une bonne idée, admit la demoiselle après s'être remis de son éclat de rire. Mais, sortir m'a fait un bien fou. Comparée à l'agitation de la Colline, la fête était un bruissement de feuilles.

-Les Sangaeis sont si excités que ça ? Demanda le diable, son sérieux reprenant le dessus.

La demoiselle ne répondit pas, se contentant de soupirer. Levant la tête, elle posa son regard sur la lune, la contemplant. Son expression se ferma, ses traits redevenant sévères maintenant que son sourire avait disparu. Gardant le silence, le diable observa la Colline, remarquant tristement qu'ils s'en rapprochaient plus rapidement qu'il ne l'aurait voulu. Il détourna son attention de la colline, remarquant d'autres points lumineux dans les environs. Et, vu que leur lueur ne chancelait pas malgré le vent, le diable déduit rapidement que ce n'était pas des villageois armés de torches qui battaient la campagne.

-Ils sont plus nombreux que la fois d'avant, constata Enoch d'une voix sombre alors qu'un inquisiteur de la Lumière apparut derrière un arbre du bosquet voisin.

-C'est parce que leur Église cherche à nous mettre la pression, expliqua la demoiselle dans un soupir. Ils espèrent nous faire renoncer au rituel en nous divisant.

La danseuse remit sa chemise en place, remontant ses manches avant de resserrer les cordons de cuir. Puis, elle ramena son attention sur le diable. Malgré l'angoisse dissimulé dans ses yeux, un petit sourire narquois apparut sur ses lèvres.

-Mais, tu dois être au courant de ça, pas vrai? Ton bon ami le paladin a dut t'en parler.

A la mention du 'bon ami', Enoch tiqua légèrement. Il haussa un sourcil et dévisagea sa locutrice avec attention. Même s'il n'y avait aucune animosité dans la voix de la jeune fille, le diable eut un léger doute, sachant que beaucoup de Sangaeis lui reprocher d'avoir des contacts dans l'autre camp.

-Ce n'est pas parce que je lui parle de temps en temps qu'il faut croire que je sais tout sur les mouvements de l'armée de la Lumière, Nirystuil.

-Mais, il t'en a dit assez pour que tu te décides de venir à Chamondot là où une grande partie des effectifs de l'armée de la Lumière se trouve, remarqua la dénommée d'une voix blanche.

Le diable tourna légèrement la tête, son silence faisant office de réponse. La demoiselle acquiesça légèrement, préférant ne pas insister. Arrivant sur le chemin de terre menant à la Colline, elle s'arrêta et se tourna vers Enoch, lui adressant un sourire.

-Au final, il a peut-être bien fait de t'en parler, avoua t-elle doucement. J'ai pu te voir une dernière fois grâce à lui.

Le diable garda sa tête tournée, fuyant du regard la jeune fille. Cette dernière l'observa une nouvelle fois, une dernière fois. Son sourire se teinta de tristesse alors qu'elle reprit d'une voix étouffée.

-Est-ce que tu...

Nirystuil s'interrompit d'elle-même, secouant légèrement la tête. Elle ferma les yeux pendant quelques secondes avant de dévisager de nouveau le démon, mélancolique mais résignée face à ce qui l'attendait.

-J'ai été ravie de te revoir, Enoch. J'espère que l'on se croisera de nouveau. Dans une autre vie peut-être.

Son sourire se fit éclatant alors qu'elle tournait les talons, commençant à gravir la longue montée menant vers les siens. Le diable, lui, resta quelques instants immobile, le poing et les dents serrés. Il n'aimait pas ça. Oh diable qu'il n'aimait pas ça. Cette sensation d'impuissance face aux événements que le destin écrivait sans consulter personne, cette impression que tout se mettait à travers son chemin. Il jeta un bref coup d'oeil à la lune. Si par sa nature démoniaque l'astre nocturne avait toujours été son compagnon, il lui paraissait traître et sournois aujourd'hui. Se secouant, le démon ramena son attention sur le dos devenu lointain de la demoiselle avant de finalement se mettre à marcher. Après quelques foulés, il finit par attraper sans grande délicatesse l'avant-bras de la jeune fille, l'arrêtant brutalement. Surprise, cette dernière tourna légèrement la tête, adressant un regard interrogateur à celui qui venait de la stopper.

-Enoch? Souffla t-elle après un flottement de quelques secondes.

-Et si tu débutais une nouvelle vie au lieu d'attendre la suivante?

La demande fut brusque, sèche. Le ton d'Enoch, d'habitude si mielleux et condescendant semblait naître qu'un souvenir. Nirystuil sembla d'ailleurs bouche bée face au brusque changement de comportement du diable. Ses yeux violets se plongèrent dans les yeux rouges du diable, ses sourcils froncés trahissant son incompréhension. Le diable sembla le remarquer tout comme il comprit son geste. Il desserra légèrement sa prise sur le bras de la demoiselle sans la lâcher, de peur qu'elle s'éloigne de nouveau, et reprit la parole d'une voix blanche.

-Tu as toujours été contre ce rituel et ce que dit le Roi-père. Toujours répété qu'il serait temps pour ton peuple de faire la paix avec le passé et de tourner la page pour avancer. Et pourtant, malgré les quelques personnes partageant ton opinion, personne n'ait prêt à le faire. La lune rouge approche et au lieu de l'ignorer et de passer à autre chose, ils continuent de préparer ce rituel. Et, tu sais aussi bien que moi, Nirystuil, que ce rituel n'est ni une bénédiction, ni une solution à la crise que vous traversez.

La demoiselle plissa les yeux, les mots d'Enoch faisant mouche visiblement, sans pour autant répondre. Elle se tourna un peu plus vers lui, l'écoutant avec attention. De son côté, le démon fit un autre pas en avant. Sa main glissa le long de l'avant-bras de sa locutrice jusqu'à trouver sa main qu'il serra doucement.

-Le temps des Sangaeis est révolu depuis longtemps. Il s'est terminé en même temps que les autres anciens peuples se sont éteints avec l'arrivée des églises et des hommes. Ton clan n'est plus qu'une ombre, cherchant en vain à entretenir une vision des temps de jadis. Il faut que vous acceptez ce fait. Que vous acceptez que le monde a changé et qu'il faut que vous vous adaptez à celui-ci plutôt qu'à le forcer à vous accepter. Et si les tiens préfèrent vivre dans l'ombre de leur gloire passée, tu n'es pas obligée de les écouter.

Le démon attrapa l'autre main de Nirystuil, l'obligeant ainsi à se tourner complètement vers lui, et fit un dernier pas vers elle. Il colla son front contre celui de la demoiselle et la regarda droit dans les yeux. Il contempla ses iris violettes qui scintillaient toujours. Son cœur était hésitant, il le savait bien. A force de la voir, il avait appris à la connaître. Il avait découvert ses forces mais également ses faiblesses et ses failles. Restant quelques secondes silencieux, il finit par l'enlacer. Sa main gauche se posa sur le dos de la jeune fille, lui caressant lentement le dos, alors que l'autre commença à glisser dans sa chevelure noire dans un geste tendre mais possessif. Se retrouvant contre lui, la jeune fille se blottit, serrant ses bras contre lui.

-Viens avec moi, susurra t-il d'une voix grave. Abandonne la Colline et ton clan et écoute ce que tu veux. Tu as toujours voulu être libre d'aller où bon te semble, de faire ce que ton cœur te dit sans que ta raison ou ta morale vienne t'interdire quoique ce soit. Si tu me rejoins, je peux te les offrir. La liberté, la connaissance, la puissance, un pays, je peux t'aider à l'obtenir. Tu as juste à me le demander.

-Ce que tu m'offres, dit-elle après un petit rire qui sonna faux, c'est pour avant ou après que je sois devenue un des larbins de ton monde?

La brusque remarque de la demoiselle arracha un sourire au démon qui se recula. Récupérant la main de sa locutrice, il déposa sur ses doigts un petit baiser avant de la dévisager. Il replaça une mèche rebelle derrière l'oreille de Nirystuil avant de poser sa main sur sa joue. Ses doigts glissèrent le long de sa peau pour la toute première fois, surprenant Enoch qui avait pris l'habitude de voir ses avances repousser. La jeune fille esquissa un très léger sourire, appréciant visiblement le contact, et finit par poser sa main sur celle de son locuteur.

-Je n'ai pas l'intention de faire de toi mon larbin. Tu as beaucoup trop de potentiel pour ne devenir qu'une succube ou une créature mineure. Tu mérites mieux. Mille fois mieux.

La jeune fille resta silencieuse, pensive face à la remarque de son locuteur. Son expression laissa transparaître de nombreuses émotions avant qu'un sourire ironique apparaisse sur son visage.

-Si tu ne m'avais pas répété avec autant de conviction que tu n'étais pas dirigé par tes émotions comme les mortels, je pourrai presque croire que tu tiens à moi, Enoch.

Elle planta ses yeux violets dans ceux du diable, le scintillement de la lune dans ses yeux améthyste rencontrant deux flammes infernales, avant que son visage se teinte d'une autre émotion. Son pouce commença à caresser distraitement le dos de la main du démon. Ce geste rempli de douceur et de tendresse parut bien amer à ce dernier qui baissa légèrement la tête. Le regard résigné de la jeune fille répondit pour elle.

-Je pense juste que tu mérites mieux, Nirystuil. Mieux que servir les desseins de ce Roi-père dément.

Sa main glissa le long de la joue de la demoiselle, retombant mollement.

-Mieux que servir le destin.

Sa voix trahit sa déception alors que son regard fuyait celui de la demoiselle. Lui qui arrivait toujours à ses fins et obtenait ce qu'il voulait, le diable eut du mal à accepter son échec. Ses épaules s'abaissèrent sous le poids de la défaite, ayant l'impression de n'être que le spectateur impuissant d'une tragédie qui se préparait autour de lui. Il ferma les yeux pendant quelques secondes avant qu'une main vienne se poser sur sa joue. Fraîche, elle se voulait réconfortante. Enoch pencha la tête, pressant sa joue contre la paume, alors que sa main libre vint recouvrir la menotte. Puis, il daigna rouvrir les yeux, croisant le regard tristement doux de Nirystuil. Les sentiments forts, à mi chemin entre l'amitié et l'amour, qu'il trouva dans ses iris ne furent qu'une maigre consolation. Bientôt, ces yeux changeraient de couleur, muant la douceur et la tendresse en démence et destruction. Le diable aurait préféré qu'ils restent tel quel mais hélas, il n'avait pas de contrôle sur le cœur des gens.

-Je t'aime beaucoup, Enoch.

Un sourire amer naquit sur les lèvres du dénommé. Ah oui, elle l'aimait. Comme un ami, comme un frère, comme un confident. Mais, pas comme lui l'aimait. Peut-être qu'au final, son impression d'échouer n'était qu'une blessure dans son ego. Car, malgré tout ce qu'il a pu mettre en œuvre, il n'avait pas réussi à la conquérir. Resserrant sa prise sur la main, il tourna légèrement la tête pour embrasser les doigts de la jeune fille.

-Je sais, répondit-il simplement.

Ils restèrent encore quelques secondes comme ça, espérant secrètement que le temps daignera s'arrêter. Mais, hélas, ce dernier était comme la lune et préféra rester sourd aux vœux des deux amis. Lentement, ils se séparèrent, se dévisageant une dernière fois. Enoch en profita pour graver quelque part dans son esprit le visage de Nirystuil. Sa chevelure brune aux reflets bleutés, ses yeux pétillants et ses traits sévères que seul son sourire rayonnant arrivait à adoucir. Puis, la demoiselle prit congé, commençant à gravir le chemin accidenté menant vers la Colline. Quand sa silhouette disparut dans la pénombre, le diable s'autorisa un léger soupir avant de fermer les yeux.

Et qu'un cri l'oblige à les rouvrir.

L'esprit de Bob sortit brusquement des souvenirs, complètement déboussolé. Pendant quelques secondes, il fut incapable de savoir avec qui il était, ni où et quand cela se passait. Paniqué, il chercha à influencer ce qui se passait autour de lui mais, étant toujours prisonnier de cet hôte, son essai se termina sur un échec. Après quelques secondes angoissées, son calme finit par lui revenir, lui permettant de se reconcentrer sur les souvenirs d'Enoch qui était aussi en panique.

Mais, pas pour les mêmes raisons.

Toujours au pied de la Colline, sur le chemin accidenté où il avait laissé Nirystuil quelques nuits plus tôt, le diable s'était arrêté pour reprendre son souffle. Grâce à l'absence de poids sur ses épaules et au jour qui commençait à se lever, il remarqua que sa cape s'était fait la malle durant sa course et que ses bottes étaient désormais en piteux état. Courir allait être plus compliqué désormais. Prenant une profonde inspiration, Enoch resta encore quelques secondes immobile avant de se redresser. Il jeta un coup d'œil à la Colline, n'aimant guère la fumée noire qui s'en dégageait ni l'odeur de mort qui envahissait doucement l'air. Se remettant en marche, il gravit rapidement le chemin, remarquant les nombreuses, trop nombreuses, traces de pas présentes dans la é au panneau accompagné de sa pierre, le démon gravit la dernière montée en courant avant de s'arrêter, clignant des yeux face à la scène de désolation qui s'offrait à lui.

Le Sangaeis avait le visage contre le sol. Il le comprit au goût de terre qui tapissait sa bouche et à la fraîcheur de la boue qui était sous sa joue. Tournant légèrement la tête sur le côté, sa vision floue l'empêcha de voir quoique ce soit. Ses oreilles sifflaient, le seul son réussissant à couvrir ses acouphènes étant un cri résonnant dans le lointain. En essayant de se redresser, une vive douleur envahit à l'arrière du crâne, vestige du coup qu'il avait reçu quelques heures auparavant. Serrant les dents, il s'appuya sur ses avant-bras tremblants avant de plier difficilement les jambes pour se mettre à quatre pattes. Puis, après quelques essais infructueux, le Sangaeis finit par se redresser lentement, chancelant quand il fut finalement sur pied. Regardant autour de lui, son esprit eut du mal à enregistrer ce qui se trouvait. Son regard se posa sur ses mains couvertes de terre et de sang, contemplant les croûtes qui s'étaient formés sur ses poignets, avant que son attention se pose sur les alentours. Il contempla le cercle qu'il avait tracé, observant les bougies renversées sur le sol et les vêtements sales qui traînaient à l'intérieur. Se rapprochant pour remettre la bougie la plus proche debout, le Roi-père s'accroupit avant de se stopper. Son cerveau commençait enfin à noter certains détails de son environnement.

Comme le corps de cet enfant à quelques mètres de lui.

-Skurd !

L'appelant d'une voix croassante, le Sangaeis se rapprocha brusquement avant d'être pris de vertiges. Tombant près du garçon allongé dans l'herbe, il attendit quelques secondes avant de se pencher. Au début, il le crut juste inconscient. Tournant le dos à l'adulte, ce dernier pensa au vu de la tâche de sang sur son crâne que le petit avait pris un mauvais coup mais qu'il y survivrait. Mais, quand il posa sa main sur son épaule pour le retourner, qu'il vit le corps inerte du garçon tomber mollement sur le dos, que son regard candide empli à jamais de terreur se posa sur lui, le Roi-père sut que c'était trop tard. Ses yeux allèrent sur le cou de l'enfant, notant les marques rougeâtres qui marquaient sa peau blanche avant de s'attarder sur ses vêtements déchirés. Un liquide blanc et visqueux était encore visible sur les chausses du petit. Redressant la tête, le Roi-père observa les alentours, remarquant qu'il n'y avait pas que Skurd allongé sur le sol. Il se releva, les yeux grand ouverts, contemplant avec horreur les cadavres de sa famille, de son clan.

De son peuple

Des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes, des vieux, la totalité de son clan gisait dans l'herbe devenue pourpre. Se rapprochant des corps, le Sangaeis examina les coups que chacun avait pris. Décapitation, strangulation, coup dans le dos, égorgement, la mort de chaque membre était légèrement différentes des autres. Comme si celui – ou ceux – qui les avait attaqué avait décidé de leur donner une mort unique, ayant laissé court à son imagination morbide dans certains cas. La seule chose que certaines pers... cadavres avaient en commun étaient la présence de ce liquide blanchâtre que le Sangaeis avait peur d'identifier. Passant sa main sur son visage, ses genoux finirent par le lâcher, le faisant tomber. Le survivant fut pris de hauts-le-coeur et finit par se pencher en avant pour vomir. Qui... Qui avait-pu faire ça? L'homme eut la réponse à sa question de la façon la plus rapide et la plus cruelle qui soit en tournant la tête vers la droite. Il découvrit alors un soldat dont l'insigne sur son armure dorée n'était pas celui de la Colline Sifflante, clignant des yeux sous l'effet de l'étonnement.

C'était un véritable tombeau à ciel ouvert. Planté devant l'entrée de la Colline, ce fut les seuls mots qui résonnèrent dans l'esprit d'Enoch alors que son regard balayait l'endroit. Il observa les maisons qui brûlaient encore, une légère odeur de viande brûlée s'en échappant encore, avant de baisser les yeux, regardant les corps qui reposaient sur la terre que le sang avait rendue boueuse. Parmi les cadavres, le diable en reconnut certains. Un mage qui l'avait accueillit dans sa demeure quand il était encore admis sur la Colline, un vieil homme qui avait partagé son pain avec lui durant une fête, un enfant trop curieux qui était venu lui poser des questions. Toutes ces personnes qu'il avait côtoyait bon gré, mal gré, durant plusieurs décennies étaient désormais face contre terre, pour ceux qui avaient encore une tête, mordant la poussière. Et, à leurs côtés, se tenaient leurs bourreaux. Leur armure cabossé, leurs épées et boucliers brisés, eux aussi étaient dans un sale état. Certains avaient été frappé dans le dos à plusieurs reprises, d'autres avaient été étranglés. Quant aux moins chanceux qui avaient rencontré les mages, ils avaient fini cendres ou vidés de leur sang. Osant enfin faire un pas en avant, le diable se dirigea vers le poste de garde, le premier édifice que voyaient les rares visiteurs. Il passa à côté avant qu'un léger grincement l'oblige à jeter un coup d'oeil à l'intérieur. Pendant à une des poutres, Enoch trouva un inquisiteur inerte qui se balançait, les pieds dans le vide. Ses yeux injectés de sang étaient encore mouillés alors que sa langue pendait à l'extérieur de sa bouche. Il avait dû souffrir, nota le démon en quittant le bâtiment, continuant sa marche funèbre à travers les ruines de la Colline Sifflante. Alors qu'il avançait, le démon remarqua une forme dans la fumée, l'obligeant à cligner des yeux pour mieux la distinguer.

Se rapprochant du soldat en armure, le Sangaeis reconnut sans difficulté l'insigne des Boucliers dorés qui était encore visible sur le plastron ensanglanté du cadavre. Allongé sur le dos, ses yeux gris étaient encore grand ouverts, fixant pour l'éternité le ciel. Au vu de ses blessures, quelqu'un l'avait poussé et, après avoir perdu l'équilibre, il s'était empalé sur une lance brisée qui lui avait traversé le cou. Lui adressant un regard haineux, le survivant émit un grognement alors que son regard se posa sur un autre Bouclier doré. Lui avait été poignardé à plusieurs reprises avec un morceau de verre brisé, du sang s'échappant de sous son armure. En l'examinant de plus près, le Roi-père remarqua que la tassette avait été enlevé et que quelque chose dépassait de ses chausses. Quelque chose qui était en lien avec le liquide poisseux présent sur les corps de son clan. Grognant de plus belle, le Roi-père donna un coup dans le cadavre avant de le maudire et de lui cracher dessus. Il aurait voulu remonter dans le temps pour l'émasculer avant de le tuer de ses propres mains. Mais, c'était trop tard. Cracher et prier pour que ses proches meurent dans d'atroces tourments et que sa prochaine vie soit un enfer étaient tout ce qu'il pouvait faire. Continuant d'évaluer les dégâts, une question apparut dans son esprit pendant un clignement d'yeux.

Enoch approcha prudemment de la silhouette, prêt à lancer ses flammes à la moindre attaque. Il entra dans la fumée, plissant le nez quand l'odeur âcre parvint à ses narines, avant de tomber sur un survivant. Au vu de l'armure, c'était un inquisiteur. Posé sur ses genoux, il balançait sa tête en riant nerveusement, marmonnant des propos presque inaudibles et incohérents. Son épée toujours dans sa main, son bouclier était un peu plus loin, planté dans le corps d'un de ses collègues. Il avait dû le frapper de toutes ses forces à plusieurs reprises pour que le morceau de métal reste bien en place dans le torse de sa victime. Se rapprochant, le diable se plaça devant lui, détaillant son visage. Ses traits trahirent son jeune âge alors que ses yeux bleu-gris en avaient déjà trop vu. Le démon ne chercha pas à lui parler, l'expression démente que l'adolescent arborait lui indiquant que sa raison l'avait déjà quitté. Il déglutit alors qu'une interrogation dont il ne possédait pas la réponse actuellement envahit son esprit. Secouant la tête, il la mit de côté, reprenant sa marche avant que la fumée l'oblige à cligner des yeux.

Alors qu'il avait repris plus activement ses recherches à travers les corps, un bruit anormal parvint aux oreilles du Sangaeis. S'arrêtant, il se concentra sur le son, essayant de faire abstraction du brouhaha qui avait envahi son esprit. Quelqu'un de vivant était présent à quelques mètres de lui. Et malgré le son légèrement étouffé, le Roi-père nota que cette personne était en train de pleurer. Suivant les sanglots, il commença à espérer. Espérer que quelqu'un d'autre de son clan ait survécu. Il pria de toutes ses forces la Déesse pour qu'elle rende ce miracle réel. Mais, elle n'en fit rien, répondant à sa manière à la demande de son serviteur. Alors qu'il se rapprochait du bosquet présent sur la Colline, il finit par trouver la source du bruit. Un homme d'une trentaine d'années aux cheveux châtain se tenait là. Assis sur ses genoux, il avait incliné son buste le plus possible, son visage enfouit dans ses mains. Pleurant, il se lamentait entre deux sanglots, demandant à son Dieu des explications. Son armure d'or et d'argent luisait à la lueur du soleil levant. Sa hache couverte de sang était à terre, aussi brisée que l'était son propriétaire. Devant son espoir trahi et la vue de ce monstre, le survivant abandonné se rapprocha d'un pas rageur, sa haine et sa colère s'infiltrant dans son sang pour parcourir tout son corps. Se plantant devant lui, il le regarda de haut, le toisant avec mépris. De son côté, l'Armure doré finit par redresser la tête, ayant remarqué l'ombre qui s'était dessiné sur lui, et dévisagea la personne qui lui faisait face. Ses yeux bleus éteints par la défaite et la culpabilité rencontrèrent ceux assoiffés de sang et de vengeance du Sangaeis qui le dévisagea longuement.

Avant de l'attraper par le col.

Le soulevant malgré sa lourde armure, le Roi-père le regarda droit dans les yeux en retroussant ses lèvres. Le paladin émit une légère plainte, ses mains s'agrippant aux poignets meurtris du dut sentir les cicatrices sous ses doigts car son regard se baissa pendant quelques secondes pour observer les trois traces de griffures gravées dans la chair de son potentiel bourreau. Ses yeux s'écarquillèrent légèrement avant de revenir sur le Sangaeis qui arborait un sourire mauvais. Il avait compris à qui il avait à faire et c'était une excellente chose. Peut-être que d'être tué par le chef du clan que lui et ses semblables avaient massacré sans aucune forme de pitié le ferait réfléchir à ses actes. Avançant, il poussa le paladin vers un arbre jusqu'à le plaquer violemment contre le tronc, recevant un léger gémissement. Le dernier habitant de la Colline Sifflante frappa ensuite son ennemi dans son armure endommagée, satisfait face à la grimace douloureuse qu'il prit alors qu'il se recroquevillait instinctivement pour se protéger. Laissant sa future victime reprendre son souffle, il s'éloigna pour récupérer une des armes, une épée bâtarde, qui traînaient avant de revenir. Il planta son épée dans le sol avant de relever le jeune homme une nouvelle fois. Le tenant par la gorge et contre l'arbre, il attrapa son arme de sa main libre et la plaça lentement devant le torse du paladin. Ce dernier le regarda faire sans rien dire, une expression résignée apparaissant sur son visage fatiguée. Le Sangaeis serra les dents avant de décaler la lame de quelques centimètres sur la droite et de la planter dans l'interstice entre le plastron et la spalière du soldat de la Lumière. Un cri étouffé franchit les lèvres de l'Armure doré alors qu'il sortait de sa torpeur. Son regard, rempli de douleur mais brillant de colère, se planta dans celui ravi de son agresseur avant de s'assombrir de nouveau. Dévisager son bourreau lui fit l'effet d'une douche froide, des souvenirs lui revenant visiblement en mémoire, et il se contenta de baisser la tête, reprenant une expression résignée au grand dam de son ravisseur. Resserrant sa prise sur la poignée, il commença à bouger l'épée dans l'épaule du paladin. D'autres cris résonnèrent, sonnant comme une douce musique aux oreilles du Roi-père alors que l'odeur du sang l'enivrait. Il continua pendant de longues minutes avant de se lasser de ce jeu morbide, l'obligeant à chercher un nouveau moyen pour faire souffrir le paladin. Son esprit fut envahi par différentes façons de torturer ce monstre aux airs angéliques avant qu'un détail lui revienne en mémoire. Attrapant une autre épée, il planta la lame dans l'autre épaule du paladin, le clouant ainsi à l'arbre. Puis, il l'attrapa à la gorge, le forçant à le regarder droit dans les yeux.

-Tu vas payer pour ce que tes camarades ont fait, gronda t-il tout en se collant au crucifié.

Son locuteur l'observa longuement, de l'incompréhension dans ses yeux. Cependant, quand la main du Sangaeis se posa sur le bas de son plastron, commençant lentement à le retirer, l'incompréhension céda à la peur et à la panique. Il commença à se débattre mais en vain. Ses deux bras étaient bien cloués à l'arbre et son bourreau n'eut aucun mal à lui maintenir les jambes alors qu'il terminait de défaire le cordon de ses chausses. Le Roi-père lui offrit un sourire à glacer le sang avant de cligner des yeux.

D'autres cris résonnèrent à travers la Colline, attirant l'attention d'Enoch qui s'arrêta dans sa redécouverte de la Colline. Délaissant un cadavre qu'il avait voulu examiner, le diable se redressa et tendit l'oreille pour suivre les suppliques qui commençaient à se faire entendre. Il se dit que c'était un autre membre de la Lumière qui, dans un moment de folie, avait fini par se blesser et que peut-être que celui_ci pourrait être interrogé. Se rapprochant du bosquet, il resta aux aguets, prêt à se protéger, avant de trouver la source du bruit, clignant plusieurs fois des yeux en voyant les deux silhouettes posées contre un arbre.

L'Armure doré se débattait de plus belle. Essayant désespérément de se décrocher de l'arbre, il n'hésita pas à aggraver ses blessures aux épaules en espérant faire tomber les lames. Le Sangaeis le regarda faire avec un rire avant de l'attraper par le menton et de plaquer ses lèvres sur sa victime qui essaya de le repousser. Le paladin recommença à donner des coups de pied, frappant dans les tibias de son agresseur. Ce dernier n'émit qu'un léger grognement, sa sensibilité à la douleur disparaissant au fur et à mesure que son esprit devenait chaotique. Se détachant du soldat, il planta son regard dément dans celui terrifié de sa victime. Lui qui s'était résigné à mourir, il n'avait pas pensé à ce qui pourrait lui arriver avant que le survivant de la Colline Sifflante daigne le tuer. Le Roi-père attrapa les jambes de l'homme cloué à son arbre, les soulevant sans délicatesse, avant de se préparer à le déshonorer.

Et d'être interrompu par une boule de feu.

Plus frustré que souffrant de la brûlure, le Roi-père gronda avant de tourner la tête, remarquant Enoch qui se tenait à quelques pas de lui, les mains flamboyantes. Ses pupilles fendues dévisagèrent le survivant qui en retour, le toisa avec une rage renouvelée.

Tout était de sa faute.

Lâchant les cuisses du paladin, le Sangaeis se tourna vers le diable, sachant pertinemment que sa victime ne pourrait pas s'enfuir de si tôt. Il fit un pas vers le traître avant de s'arrêter. Les deux se toisèrent longuement, l'un dégoûté, l'autre furieux. Puis, le Roi-père fléchit ses genoux avant de se jeter sur le diable, griffes en avant. Enoch l'esquiva sans peine et lui envoya des flammes que le survivant tourna à son avantage en fonçant à travers pour se jeter sur le démon. Les deux créatures à visage humain tombèrent à la renverse et commencèrent à s'attaquer. La créature démoniaque tenta de se relever à plusieurs reprises, esquivant difficilement les coups trop rapides de son adversaire mais en vain. Placé à califourchon sur lui, le Sangaeis s'était mis à éteindre les flammes que lui envoyait le diable grâce à un sort qu'il marmonnait entre ses dents et accéléra la cadence de ses mouvements. Il finit par toucher son ennemi au niveau de la gorge, arrachant un gémissement étouffé à Enoch qui grogna. Ses yeux se firent plus brûlants que jamais alors qu'il fit basculer le Roi-père sur le côté, se plaçant au-dessus de lui. Il attrapa le monstre par la gorge, sa main se couvrant d'écailles commençant à se refermer. Le Sangaeis plaça lui aussi une de ses mains sur le cou du démon, essayant de le repousser, tandis que son autre main cherchait à tâtons quelque chose d'utile dans l'herbe. Ses forces commençaient à lui manquer quand ses doigts se refermèrent sur un morceau de verre brisé qu'il attrapa avant de porter un coup violent sur le visage du diable. Ce dernier eut un léger mouvement de recul, permettant au Roi-père de lui donner un coup de pied dans le ventre. Enoch tomba à la renverse tandis que son ennemi se redressa et se jeta de nouveau sur lui.

Le combat continua pendant de longues minutes sans que personne n'arrive à prendre l'avantage avant qu'un grondement au-dessus des deux combattants les oblige à s'interrompre. Levant les yeux, les deux créatures virent que des nuages sombres s'étaient accumulés dans le ciel, cachant momentanément le soleil. Le diable et le Roi-père observèrent l'orage qui se préparait au-dessus de leur tête avant de ramener leur attention sur le paladin. Toujours cloué à son arbre, ce dernier avait tendu une main tremblante vers eux alors que ses yeux bleus et fatigués étaient rivés sur eux. Son front plissé et la sueur qui coulait le long de ses joues témoignaient de l'effort qu'il mettait en place pour utiliser son pouvoir. Les deux bagarreurs eurent un moment de flottement avant qu'Enoch se dégage, laissant ainsi la foudre tombé sur le Sangaeis. Ce dernier ne poussa aucun cri, sa sensibilité à la douleur ayant complètement disparu à l'heure actuelle. Il sentit ses muscles se crisper brusquement alors qu'une sensation désagréable lui parcourut la peau. Une odeur de brûlé lui parvint, couvrant l'odeur de mort et de sang de la Colline. Ses jambes finirent par le lâcher alors que son cœur commençait à avoir des ratés. Il tenta de lever la tête pour voir où était Enoch mais, il ne distinguait plus rien. Tout était flou, tacheté de noir, et d'une certaine façon, plus rien n'avait d'importance. Au vu de son état et malgré les suppliques qui lui remplissaient l'esprit, le défait sut que le combat était fini. Il avait failli à sa tâche, failli à la protection de son clan, failli à la vengeance que son peuple méritait. Sentant quelqu'un se plaçait devant lui, un petit sourire ironique apparut sur ses lèvres. La personne lui parlait, il entendait vaguement une mélodie allant de l'aigu au grave au fil des mots. Mais, il fut incapable d'en saisir le sens. Tout comme il fut incapable de répondre, sa voix lui faisant défaut. Alors, sachant la fin proche, le dernier Sangaeis usa de ses dernières forces pour les maudire. Il maudit le diable pour sa traîtrise et se promit, dans cette vie ou dans une autre, de l'étrangler pour l'éternité. Il maudit l'Armure doré et toute son Ordre, priant pour que leur déchéance soit à la hauteur des méfaits qu'ils avaient commis. Puis, il se maudit lui-même pour sa défaite, espérant pouvoir revenir ici-bas pour venger son peuple, pour se venger.

Pour la venger.

Son esprit commença à s'effacer, le chaos mental qui l'accompagnait depuis des années se calmant enfin. Le Sangaeis finit par retomber sur le sol et, dans un dernier clignement d'yeux, rendit son dernier soupir.