Titre : "The Razor's Edge"
Artiste : AC/DC
PDV : Chacun son tour ^^
Pairing : C'est compliqué. Je vous laisse voir par vous même (avec le nombre de fois où je dis ça, je me demande si cette précision est bien utile)
Rating : T
Longueur : 9 010 mots
Résumé : "Dai-chan ouvre les yeux [...] allongé sur son lit d'hôpital [...] Comment on a pu le laisser en arriver là. [...] On a tous échoué."
Note : Oulàlà... Je n'ai rien posté depuis...Depuis début août il me semble. Je traîne toujours sur le site, lis les reviews, réponds aux MP mais je vous avoue qu'avec tout ce qui a bougé dans ma vie, je n'ai pas une minute à consacrer à l'écriture et pour tout dire, je n'ai pas trop d'inspiration pour des OS en ce moment. Celui-ci a été écrit fin novembre, peu après la mort de Malcom Young, membre fondateur du groupe AC/DC. Pour me tenir à ma tradition des OS "hommage", j'avais donc écrit cet OS très particulier. Le temps de l'envoyer à ma béta, puis de le corriger moi même (surtout cette dernière partie, en fait), on était déjà fin décembre. Puis j'ai voulu attendre d'avoir le temps de le relire comme il faut... Et je l'ai zappé. Finalement, je n'ai pas effectué de dernière relecture mais je poste quand même parce que...Parce que c'est moi l'auteur, na !
Quoi qu'il en soit, j'espère qu'il vous plaira (malgré le ton, comme d'hab, plutôt noir ^^)
Note 2 : Merci à Monkey D. Elena pour m'avoir corrigé au plus vite et toutes mes excuses à elle pour n'avoir pas honoré sa rapidité en postant plus rapidement.
Dai-chan ouvre les yeux. Je le regarde, allongé sur son lit d'hôpital et je me demande comment il en est arrivé là. Comment on a pu le laisser en arriver là. J'ai l'impression d'avoir échoué quelque part, de m'être plantée et de ne pas avoir rempli mon rôle d'amie. Pourtant, j'ai changé de continent pour rester avec lui. Aussi parce que les Etats-Unis ont les meilleures universités du monde. Mais surtout parce que, pour rien au monde, je n'aurais manqué le début de la carrière de mon presque frère.
Tout ça… Peut-être bien que ça a commencé à ce moment là. Il m'arrive de me demander si le destin existe. Si, quand on avait quatre ans et que Daiki s'est dressé devant les garçons qui détruisaient mon château dans le bac à sable, si déjà à ce moment là tout était écrit. Notre amitié, la rencontre avec les autres, le collège, Taiga, le lycée, les Etats-Unis, le basket, la descente aux enfers. La sienne, puis la notre. Je me demande aussi, trop souvent, si je suis la seule à l'avoir vécu comme ma propre descente aux enfers, à avoir senti les piqûres dans mon bras comme un millier d'aiguilles qui s'enfonçaient sous ma peau, laissant serpenter leur poison dans mes veines. A avoir senti les parasites dans ma chair, à en avoir des démangeaisons. Ma mère a toujours dit que j'étais quelqu'un de trop empathique, de trop sensible. Que j'absorbais trop la douleur des autres. Quand je vois le visage de Daiki, pâle sur l'oreiller blafard du lit d'hôpital, je me rends compte à quel point elle avait raison. Et pourtant, j'aimerais pouvoir en absorber un peu plus, à la fois pour soulager la douleur de Daiki mais aussi pour le comprendre, comprendre comment il a pu descendre aussi bas, ce qui l'a convaincu qu'il ne pouvait pas demander de l'aide ou n'en avait pas besoin. Je crois que je lui en veux un peu de m'avoir écartée quand les choses ont commencé à dégénérer, de ne pas m'avoir appelée au secours. Il a toujours été là quand j'ai eu des problèmes, d'une certaine façon, il était là pour écouter chacun de mes chagrins d'amour, la moindre de mes questions existentielles. Et il m'a privée du soulagement de pouvoir l'aider à son tour.
Soudain, j'ai mal dans la poitrine comme je réalise la douleur de cette trahison. Je pince les lèvres et le regarde droit dans les yeux. Il détourne le regard, comme pour fuir le mien, et se concentre sur la fenêtre avant de soupirer longuement. Il sait que je suis en colère. Il sait aussi qu'il n'y a rien qu'il pourra dire qui me calmera, qu'il est allé trop loin pour que des excuses suffisent. Mais il sait aussi que malgré tout ça, je resterais là, à ses côtés, alors il me regarde à nouveau. Le silence devient pesant. Dans ses yeux, je vois la lassitude, la fatigue, la culpabilité aussi. Au fil des minutes, son regard change et une pointe de soulagement fait surface comme il comprend que je ne bougerais pas de cette foutue chaise avant qu'il soit en état de sortir de son lit. Il hoche la tête pour me remercier et je lui répond d'un geste de la main qui signifie que ce n'est pas grand-chose. Ça ne me dérange pas d'être là pour lui.
Aucun de nous n'a parlé mais nous avons suffisamment communiqué pour l'instant. Tout le reste, les leçons et les explications, peuvent attendre encore un peu.
Je pousse la porte qui va claquer avec fracas contre le mur et intercepte juste à temps le regard réprobateur d'une infirmière. Je lui adresse un sourire désolé et entre dans la chambre, dans laquelle Momoicchi et Aominecchi me regardent. J'ai l'impression d'avoir interrompu quelque chose.
_ Kise ? s'étonne mon ami souffrant.
_ Ouf. Je suis rassuré que tu n'aies pas perdu la mémoire.
Quelque part, je sens que ce n'est pas le moment de faire de l'humour et ma tentative de détendre l'atmosphère tombe à plat. C'est trop bête. Si je ne ris pas, je vais me mettre à pleurer.
_ T'es réveillé depuis longtemps ?
_ Non. me répond Momoi d'une voix tendue.
_ Oh. Ok… Euh… Kagamicchi et Kurokocchi sont dans le couloir. Ils attendent de savoir s'ils peuvent entrer. Tu devrais faire une pause et aller te reposer.
Elle me regarde en grinçant des dents. Ça se voit, qu'elle n'a pas envie de bouger. Tant pis. Je crois qu'Aomine a besoin qu'elle s'éloigne un peu, juste le temps pour Kagami de lui passer un savon. Pas qu'elle soit incapable de l'engueuler, au contraire, mais les deux garçons ont toujours eu une façon bien à eux de parler. Et elle n'osera pas le blesser intentionnellement. Il est peut-être temps que quelqu'un s'autorise à lui balancer ses quatre vérités. Ce ne sera pas moi, ni elle. Elle a trop mal, encore, elle a été trop détruite par l'implosion d'Aomine pour le casser un peu plus. Kuroko et Kagami, eux, auront moins de scrupules. Ils savent que c'est nécessaire. Ils savent qu'elle sera là pour recoller les morceaux. Et moi dans tout ça ? Moi je sais que parfois, pour réparer les choses, il vaut mieux qu'elles soient franchement brisées que fissurées.
_ Vas-y. T'as une tronche à faire peur. Tu devrais te reposer.
_ Je ne te laisse pas. assène durement la jeune femme.
_ S'il te plaît, Satsuki. Je pourrais pas me remettre correctement si t'es épuisée. T'es ma source d'énergie, tu l'as toujours été.
Je sursaute. Aomine ne dit jamais ce genre de choses. Je sais qu'il le pense. Mais il est trop timide pour l'exprimer. En fait, c'est assez marrant d'imaginer Aominecchi comme quelqu'un de timide. Ce n'est pas la première impression qu'il donne, avec sa grosse voix, ses grands gestes et son franc parler. Sa timidité à lui est plus discrète. C'est peut-être à cause de ça que les choses ont si mal tourné : parce qu'il n'a parlé à personne du mal être qu'il ressentait, tout au fond, de peur de déranger ou d'être gêné.
_ Bon. Je vais manger quelque chose en bas. abdique Momoi.
_ Je reviens dans une heure. ajoute-t-elle.
Je me demande si c'est à moi ou à lui que cette dernière phrase est destinée. Cela sonne comme un avertissement pour nous deux, à vrai dire. Elle me dit que l'on n'a qu'une heure pour faire ce que l'on a à faire. Elle dit à Aomine qu'il a intérêt à ne pas bouger pendant ce temps là.
Elle finit par sortir et je soupire.
_ Crache le morceau, Kise.
_ Non. Moi, j'ai pas les épaules pour ça.
Il ose me lancer un regard narquois, comme s'il était en position de me faire la moindre réflexion.
_ C'est lâche de leur refiler le sale boulot.
Je souris :
_ Moi, je trouve qu'il y a une certaine forme de courage à accepter que l'on est lâche.
Il ricane et fait une pause avant de soupirer :
_ Fais-les entrer. Autant régler ça rapidement.
La colère. C'est un truc que j'ai jamais vraiment su contrôler. Déjà quand j'étais gosse, j'étais d'un susceptible quasi embarrassant, je m'emportais pour un rien. Quand ma mère est morte, j'ai passé des heures à crier, à pester, à frapper les murs et les gens. Des vagues de colères incessantes qui viennent s'éclater contre mon cerveau et m'empêchent de raisonner. Depuis le lycée, j'ai appris à gérer ce trop plein bouillonnant. Kuroko a pas mal aidé. Il est tellement calme et réfléchi qu'il sait toujours comment couper court à mes explosions. Mais là… Là, la colère a atteint un tout autre niveau. La colère est justifiée, elle n'est plus seule mais soutenue par la douleur et la peur que ce con m'a faite. Peut-être que tout ça, ça n'est qu'un moyen de masquer ma culpabilité. Pour ne pas avoir su l'aider, pour m'être dit qu'il était assez grand pour gérer. Pour avoir cru que ce n'était pas le bon moment, que je n'avais pas le temps, que je n'étais pas le mieux placé, pour m'être trouvé tout un tas d'excuses bidons. La colère retombe un peu.
_ Bakagami.
Il le sait, ce con. Il sait que je vais l'engueuler, il sait que je vais lui faire mal. Et c'est ce qu'il veut. Un instant, j'envisage de me calmer juste pour le faire chier. Puis je comprend : il a besoin que quelqu'un l'engueule, il a besoin qu'on lui fasse mal pour se sentir un peu moins coupable, pour repartir un peu plus sainement, pour savoir qu'il peut compter sur nous. Et si je dois être le méchant de l'histoire, alors Amen. Ce sera ma façon de me faire pardonner, un peu, pour n'avoir rien fait. Et franchement, j'aurais pu trouver pire qu'engueuler Ahomine pour me racheter :
_ Remballe ton sourire fier, connard. T'as vu ton état ?!
_ Tu parles des machines ou des cernes ?
Je suis frappé par sa voix rauque et je serre les poings. Quand faut y aller…
_ Je te demanderais bien pourquoi t'as fait ça… Mais en fait j'en ai rien à foutre, de tes raisons. Tu nous prends pour des cons ? Tu crois qu'on avait rien vu venir, hein, qu'on a tous été surpris ?! Mais non, tu te plantes. Parce que les marques sur tes bras, les piqûres, les absences, le changement… On l'a tous vu. Et ça fait des mois qu'on cherche ce que t'attends de nous. Mais non, toi tu t'en fous, au lieu de venir nous parler, t'allais prendre ton fix en nous racontant que t'avais un rencard. J'espère au moins que t'as pris ton pied avec ton dealeur ! Pendant que Satsuki pleurait tous les soirs en se demandant ce qu'elle pouvait faire pour t'aider, pendant que Kuroko répondait à ta mère à ta place, pendant que je trouvais des excuses pour le coach ! Est-ce que t'as la moindre idée de ce tu leur a fait, à tous ?! De la tronche de Satsuki quand l'hosto a appelé ? Elle était avec Kuroko. Raconte lui !
Il me regarde, presque hésitant, et ferme les yeux avant de se lancer.
_ Elle a lâché son téléphone et elle est tombée. Elle s'est mise à pleurer… J'ai dû répondre à sa place, prendre les informations et commander le taxi.
Sa voix calme et posée a plus d'effet que mes cris, j'en suis presque sûr. C'est toujours comme ça avec Kuroko. Et je sens moi-même quelque chose s'effriter en moi.
_ Tout ça, à cause de toi ! Elle est épuisée, on est tous épuisés. Tu sais quoi, moi j'en ai marre. Si tu veux te suicider, la prochaine fois, choisis une méthode plus simple que l'héroïne ! Et assures toi de pas te rater, comme ça on pourra t'oublier une bonne fois pour toute au lieu de passer tout notre temps libre à s'inquiéter pour ta gueule ! T'es qu'un sale…
_ Kagamicchi…
Je m'arrête et réalise que j'halète, que mes mains tremblent. Je suis presque sûr d'avoir les joues rouges et les yeux brillants, écarquillés. Je suis furieux. Et j'ai tellement mal. Mal de le voir comme ça, mal de me demander où on s'est planté et à quel moment j'aurait dû agir autrement. Mal de me demander ce qui aurait pu se passer.
_ J'me casse !
_ Bakagami…
Je m'arrête, dos à lui et la main sur la poignée.
_ Désolé.
Je ne réponds pas et prends la fuite. J'ai joué mon rôle, celui du salaud dirigé par ses émotions, et un peu de la douleur s'est échappée en même temps que mes mots. Je m'adosse au mur, yeux fermés, et essaie d'oublier à quel point ma propre impuissance me donne envie de vomir. Bordel de merde ! Si je trouve celui qui lui a fait ça…
Kagamicchi y a été fort. Peut-être un peu trop. Même si tout le monde dans la chambre sait que ce n'était qu'une partie du rôle qu'on attendait de lui, les mots ont quand même claqué, de tout leur poids, et on est tous là à se demander ce qu'il faut faire maintenant. L'ambiance est tellement lourde, le silence tellement blessant, que même moi je ne sais pas quoi dire. Pourtant, c'est la seule chose que j'aie à faire : parler. Être léger, détendre l'atmosphère d'une bonne blague et repartir comme si de rien n'était.
_ Tu sais… Ils…On t'en veut pour t'être tu, pas pour avoir été mal. Tu aurais dû nous parler. Tu aurais dû avoir confiance en nous. J'aimerais comprendre pourquoi tu as choisi de te tourner vers…ça…plutôt que vers nous.
Kuroko s'arrête. Il a l'air tellement fragile tout à coup. Kurokocchi, c'est le mec que tout le monde trouve super frêle, qui donne l'impression d'être tellement petit et fin qu'on pourrait le casser en soufflant trop fort. Mais je l'ai toujours trouvé si fort, si digne, si déterminé. Là, il est encore plus minuscule que d'habitude. J'ai presque l'impression de devoir me concentrer pour le voir. C'est étrange, dérangeant, un pilier qui s'effondre et qu'il faut soutenir à son tour.
_ Tetsu…je…
_ Tu n'as pas besoin de m'expliquer maintenant. Mais un jour, quand tu seras prêt, j'aimerais que tu me racontes pourquoi tu ne nous a pas parlé. Je t'écouterais.
_ Merci.
Aomine se tourne vers moi. Je ne sais pas quoi dire. Alors je pousse un long soupir dramatique, manque de dire qu'il y a eu plus de peur que de mal et m'en abstient, un tel mensonge semblant trop gros pour moi.
_ Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Les tabloids vont s'en donner à cœur joie. Heureusement que t'as d'excellents amis pour t'éviter le pire. Repose toi avant le deuxième round. Momoicchi avait l'air plutôt remontée.
Aomine soupire et hoche la tête. C'est le signal pour que l'on sorte.
Dehors, il fait froid. Je grelotte. A moins que ce soit un froid de l'intérieur. Quelqu'un s'appuie à côté de moi contre le mur et je reconnais Taiga sans avoir besoin de tourner la tête. Je m'appuie contre lui et demande faiblement :
_ Ça va aller ?
_ Non. Mais j'ai fait ce que j'avais à faire. Tu crois qu'il va s'en remettre ?
_ Tu crois que je vais lui laisser le choix ?
Il ricane. Il sort deux cigarettes, m'en tend une que je fixe d'un air hésitant avant de la saisir, et les allume.
_ Que moi, je m'intoxique, c'est une chose. Mais après que ce crétin ait fait une overdose, si tu te mets à fumer ton équipe est foutue pour les play offs.
_ On est déjà foutus. Alors un peu plus un peu moins.
J'acquiesce. L'argument me semble recevable, du moins à cet instant précis.
_ Comment on pu le laisser aller aussi loin ? me demande-t-il après un moment.
_ J'en sais rien.
Je ferme les yeux et me rappelle.
Après le lycée, on a décidé de venir ici pour étudier. C'était préparé depuis des années. Daiki avait toujours su qu'il voulait jouer aux States, j'avais toujours su que je voulais le suivre et l'idée de faire des études dans une grande université me plaisait. En quelques mois, tout était déjà réglé : nos deux bourses nous permettaient de payer un minuscule appartement tout à fait décent pour deux et, même si l'on s'engueulait près de huit fois par jour pour le ménage et la cuisine, nous nous en sortions plutôt bien.
Retrouver Taiga à l'université avait été une surprise. Quelles étaient les chances pour qu'il étudie dans la même université que Daiki ? Rapidement, ils s'étaient rapprochés. Sans doute parce que mon meilleur ami avait quelques lacunes à combler en anglais et qu'avoir un coéquipier qui parlait couramment japonais était un grand soulagement. Egalement parce que, peu importe le mal qu'ils avaient eu à s'entendre à l'époque du lycée, ils avaient été rassurés de trouver un visage familier dans la foule des inconnus. Rapidement, notre micro appartement pour deux était devenu un appart pour trois comme Taiga y passait la moitié de son temps. L'autre moitié, nous étions chez lui, avec Himuro rentré au bercail.
Y repenser me rend nostalgique. C'est presque douloureux. Tout allait si bien à l'époque.
Je ne peux m'empêcher de laisser cette dernière pensée franchir mes lèvres et je sens que Taiga se raidit à côté de moi. Il opine doucement.
Quand elle parle de "cette époque", je sais à quand elle fait allusion. Au tout début. Il y a quelques années, quand on s'est tous retrouvés, par hasard ou presque, à naviguer entre nos différents apparts. Je m'engueulais avec Daiki, qui s'engueulait avec elle, sous le regard amusé de Tatsuya. La vie était belle. Aomine et moi galérions un peu en cours, nous soutenions mutuellement (sans grande efficacité mais l'on avait depuis décidé que c'était l'intention qui comptait). C'était souvent Satsuki qui finissait par nous aider. Elle lisait nos fiches de cours en diagonale, s'ébahissait de notre inaptitude à prendre des notes et nous réexpliquait la moitié des cours. Satsuki, c'est une tête. Un génie. Une vraie bosseuse aussi. Il m'arrive parfois de me demander comment elle a réussi à s'en sortir aussi brillamment dans ses études de médecine tout en prenant le temps de nous aider. A bien y réfléchir, je crois qu'à cette époque, je ne l'ai jamais vu se déplacer sans ses bouquins de cours. C'était elle qui nous forçait à bosser, quand on se retrouvait chez les uns ou les autres. Tatsuya aussi, participait. Lui n'avait aucune difficulté pour étudier mais il nous rejoignait parfois pour soulager la jeune femme de son poids de baby sitter. Alex avait fini par se greffer à son tour et je n'avais pu m'empêcher de remarquer les regards énamourés qu'elle lançait à Satsuki. Elle avait fini par conclure, après une soirée trop arrosée, et les choses en étaient restées là. Alex ne l'avait pas mal pris, au contraire, elle était même plutôt contente d'avoir eu une réponse claire. Moi, à cette époque, j'acceptais tout juste que, peut-être, Ahomine n'était pas aussi insupportable que je l'avais cru. Voire même plutôt sympa, une fois qu'il arrêtait d'être volontairement chiant. Et même carrément cool quand il était sur le parquet. J'étais, à ce moment, presque jaloux de la facilité avec laquelle il progressait. Il s'était adapté au style de jeu américain avec une facilité qui m'agaçait et il ne lui avait fallu que quelques mois pour faire partie des meilleurs joueurs de notre équipe. Après un an, il était considéré comme un espoir en puissance et, même si j'avais eu l'occasion de lire pas mal de critiques élogieuses à mon propre sujet, j'avais toujours eu l'impression d'être laissé derrière.
Cela avait un peu abîmé nos relations. Ça et d'autres choses. Plus floues, plus fluctuantes, moins acceptables. Nous nous étions un peu éloignés. Puis il m'avait coincé dans un couloir, à la fin d'une soirée organisée par les anciens de l'équipe, et m'avait soufflé son haleine alcoolisée à la figure avant de me balancer qu'il ne savait pas ce qu'il me prenait, mais que j'avais intérêt à reprendre mes esprits. Parce que je le motivais à ne pas se reposer sur ses lauriers et que, de son avis, j'étais le seul de toute l'équipe qui rivaliserait un jour avec lui.
C'était étrange, cette soirée. Je me demande si, déjà à ce moment, les choses avaient commencé à mal tourner. Il avait bu, trop, et m'avait balancé tout le bien qu'il pensait de moi au visage et c'était suffisamment inhabituel pour que je blâme l'excès de boisson.
Mine de rien, cela m'avait remonté le moral. La jalousie s'était un peu atténuée, laissant place au reste…
Je me tourne vers Satsuki et la regarde. Elle lève la tête vers moi et, nos visages séparés de quelques centimètres, je sais que l'on est en train de penser à la même chose.
_ On n'aurait jamais dû finir ensembles.
Kagamicchi hoche la tête et Momoi pose la sienne sur son épaule.
Je me sens comme un intrus. Je les cherchais, pour leur dire que les infirmières étaient passées, que tout allait bien pour le moment. Quand je les avais retrouvés, j'avais tout de suite remarqué qu'ils parlaient et j'avais voulu partir mais… Mais je suis trop curieux. Et maintenant, je le regrette.
_ T'aurais dû rester avec lui. C'est parce que vous avez rompu qu'il est dans cet état. Tout ça, c'est de notre faute à tous les deux.
_ Non. C'est parce qu'il a commencé à prendre de la drogue qu'on a rompu. T'y es pour rien.
Momoi n'a pas l'air bien rassurée. Ni moins coupable. Elle m'a raconté comme Aominecchi et Kagami se sont mis ensembles, deux ans avant la fin de leurs études, et comment elle a ainsi gagné le pari qu'elle avait fait avec Himuro. Ils se sont séparés deux ans et demi plus tard, cela fera bientôt deux ans. Soudain, ce que Kagami a dit me frappe : cela fait déjà deux ans qu'Aomine… Je déglutis. Cela me fait mal. Dire que pendant tout ce temps, pendant tout ce temps je faisais le tour du monde avec l'agence… Jusqu'à décrocher un contrat plus juteux qui m'a permis de m'installer aux Etats-Unis. Et jusqu'au moment où je les ai tous retrouvés. Ça faisait du bien, à l'époque. Les choses avaient changé mais, étonnamment, tout était resté pareil. Momoicchi était toujours aussi hyperactive, Kagamicchi et Aomine se chamaillaient toujours autant, Alex avait l'air d'être aussi folle que le peu de fois où je l'avais vue. Mais le garçons étaient ensembles et s'échangeaient, parfois, un regard ou une caresse pour s'excuser d'une blague qui était allée trop loin. Les taquineries étaient plus suggestives, plus adultes, qu'à l'époque. Et chacun de nous avait gagné en maturité.
C'était moi qui avait ramené Kuroko dans le groupe. Il allait mal. Très mal. Ses parents avaient tous deux disparus à quelques semaines d'intervalles et il avait essayé péniblement de remonter la pente, sans succès. Après avoir discuté avec lui plusieurs heures, je l'avais convaincu de prendre des vacances, de nous retrouver, de profiter un peu de changer d'air. Il n'était jamais reparti. Plus rien ne l'attendait vraiment au Japon si ce n'était un travail qu'il n'aimait pas et nous avions tous eu la chance et la joie de le voir retrouver le sourire. Le groupe s'était reformé comme ça.
Puis Les Garçons (c'était comme ça qu'on les appelait encore à l'époque) avaient décroché leur premier contrat pro. Ils avaient rompu six mois plus tard. Aucun n'avait jamais voulu me dire pourquoi. Ils s'étaient évités pendant plusieurs mois, s'arrangeant pour ne pas se voir hors des matches, ne pas assister aux mêmes soirées… Quand ils s'étaient retrouvés à jouer pour la même équipe, ils avaient bien été obligés de se faire face à nouveau. Et petit à petit, ils avaient repris contact. J'avais espéré un moment qu'ils se remettraient ensembles, mais cela n'était pas arrivé et puis… Et puis à partir de là, quelque chose avait changé.
_ On devrait les laisser seuls. Non ?
Je sursaute. Kuroko, malgré le temps, a gardé cette sale manie d'apparaître par surprise. Et aujourd'hui, je suis trop préoccupé pour faire semblant de ne pas sursauter.
_ On devrait les laisser seuls. Non ?
J'ai murmuré. Je ne veux pas lui faire peur, ce qui arrive quand même. Je n'ai pas envie de rester là et de regarder Momoi-san et Kagami-kun. Je sais ce qu'ils pensent. Ils croient que c'est à cause d'eux. Mais l'on sait tous que ce n'est pas le cas. On sait tous que la spirale infernale dans laquelle Aomine-kun s'est laissé embarquer n'a rien à voir avec leur relation. Il doit même être le premier à espérer que cela fonctionne. Aomine-kun n'est pas, n'a jamais été, aussi égoïste qu'on le croie. Il s'inquiète pour les gens. C'est peut-être pour ça qu'il ne nous a rien dit. Il ne voulait pas nous déranger… Si c'est le cas, je vais devoir concéder un point à Kagami : il est stupide.
Je sais à quel point il est difficile de demander de l'aide, ou même de l'accepter quand elle est spontanément proposée. Mais je n'arrive pas à imaginer les sphères de douleur qu'il a dû toucher pour en arriver à de telles extrémités d'auto-destruction. A quel point quelqu'un doit-il souffrir pour décider d'endormir sa peine à coup de drogues ? Combien la souffrance doit-elle être intense avant qu'il décide que tous ses rêves, tout ce pourquoi il s'était battu et sacrifié, ne valait plus le coup ? Aurais-je pu ressentir autant de douleur si Kise-kun ne m'avait pas convaincu de venir ? Non. Je crois que je n'aurais pas pu endurer autant de choses. Aomine est plus fragile que moi et plus fort, dans un sens. Il a plié, pendant des mois et des mois, là où j'aurais indubitablement cassé. Mais j'ai réussi à m'en sortir. Et lui… Lui il a perdu espoir.
_ Oui. Allons-y.
C'est à mon tour de sursauter. J'avais presque oublié Kise à mes côtés. Dehors, Momoi et Kagami sont enlacés. Ils ont l'air fatigués, tous les deux.
Je suis mon ami jusqu'à la cafétéria et m'assois en face de lui.
_ Tu…Non, oublie. C'est pas le moment.
Je hausse un sourcil.
_ Vas-y. Qu'y a-t-il ?
_ Tu sais quand est-ce qu'Aomine a commencé à… à se droguer ?
Le mot semble lui arracher la gorge. Nous avons tous passé tellement de temps à nier l'évidence que devoir soudainement l'accepter, comme ça, d'un coup, est un peu difficile.
_ Je pense que cela a commencé quelques mois après la signature de son premier contrat, un peu avant sa rupture avec Kagami-kun. Pourquoi ?
_ Parce que…je croyais que c'était plus récent. Comment n'ai-je rien vu, Kurokocchi ?
Je baisse le regard. Kise voit les choses mais il ne les observe pas. Il est doué pour recopier, imiter, arranger à sa manière, mais il est des choses que l'on ne peut pas voir avant d'être forcé de les reconnaître, des choses que le conscient refuse d'admettre. Et puis…
_ Moi, je l'ai vu. Mais je n'ai rien pu faire.
Il se mord la lèvre et je m'en veux un peu. J'ai l'impression de lui voler le droit de se sentir coupable.
_ On a tous échoué.
Le silence s'installe. Je n'ai rien à répondre et après tout, ce n'est pas une question. Tout ce que je sais, maintenant, c'est qu'il va falloir laisser cet amas de remords et de non-dits derrière, tous autant que nous sommes, pour avancer.
Quand j'entre dans le hall de l'hôpital, j'ai l'impression d'avoir fait une erreur. Comme si j'avais composé un faux numéro. Je fixe les panneaux un instant et essaie de me rappeler des indications de Taiga. Je souffle, presque pour me donner du courage, et mes cheveux se soulèvent de mon visage. J'enfonce les mains dans mes poches en prenant la direction de l'ascenseur. Je n'ai pas envie d'être là. Je ne m'y sens pas à ma place. Je n'ai jamais été très proche d'Aomine. Il y a eu un moment, au début de l'université, où nous nous entendions bien, sans jamais être véritablement amis. Notre seul lien, au fond, c'est Taiga. C'est pour lui que je suis là, sans doute.
Il y a un pincement dans ma poitrine quand j'appuie sur le bouton de l'étage. Non. Si je suis là, c'est avant tout pour moi. Parce que je savais ce qui se passait. Parce que je me sens coupable de ne pas avoir alerté Taiga dès que j'ai remarqué les premiers signes.
Cela fait des mois que tout le monde s'inquiète pour Aomine. Je crois que rien n'effacera jamais le souvenir de mon presque frère qui a débarqué chez moi, trempé par la pluie, échevelé et hagard, pour m'annoncer sa rupture. Je l'ai fait entrer, lui ai offert une serviette et des fringues de rechange avant de lui demander s'il avait envie d'en parler. Il m'a tout déballé. La difficulté de son amant à s'intégrer dans cette équipe et le mépris des autres joueurs, Marco, le coéquipier qui se shootait au stéroïdes, l'argent qu'il avait vu Aomine lui donner, un jour où ils devaient se retrouver après leurs entraînement respectifs, et les pilules qu'il avait trouvées, cachées dans une paire de chaussettes. A ce moment là, je ne savais pas quoi dire alors j'ai soupiré. Taiga est resté chez moi quelques jours, le temps qu'Aomine réemménage avec Momoi. Ils s'étaient évités. La fois suivante où il avait débarqué chez moi sans prévenir, c'était pour me dire qu'ils étaient dans la même équipe et que quelque chose avait changé chez son ex. J'avais compris, presque tout de suite, où il voulait en venir. Mais Aomine avait juré qu'il avait arrêté et, pendant quelques temps, on avait tous voulu y croire. Quand j'ai revu le bleu, j'ai compris que l'on se faisait des idées, qu'on espérait pour rien. Eux, ils le voyaient tous les jours, ils n'avaient pas encore remarqué. Mais tout, depuis son impulsivité jusqu'à son air fatigué… J'avais compris. J'avais compris et je n'avais rien dit, parce que la seule idée d'amocher un peu plus celui que je considérais comme mon petit frère me faisait mal au cœur. Peut-être que si j'avais parlé, si j'avais à Taiga que je connaissais les signes et qu'Aomine les cumulait, il aurait pu agir à temps, avant que ça ne dégénère. J'ai préféré me taire pour le protéger et alors que l'ascenseur avale les étages, je me rends compte d'à quel point cette décision a été contreproductive.
Kuroko avait compris rapidement, lui aussi. Momoi aussi, quand elle avait surpris des traces de piqûres. C'était comme ça que les "réunions" avaient commencé. Je crois que c'est Momoi qui a convoqué la première. Je n'ai pas été invité à la première réunion. Sans doute parce qu'elle ne voulait pas mettre tout le monde au courant, juste les personnes les plus proches de son presque frère à elle. J'aurais sans doute fait pareil s'il s'était agi de Taiga. En fait non… Je ne sais pas ce que j'aurais fait. On pourra dire tout ce qu'on voudra sur eux, sur leur groupe : qu'ils n'ont pas été assez attentifs, ou alors trop naïfs, qu'ils ont trop attendus. Mais je ne laisserais jamais personne dire que Momoi a géré la situation trop faiblement ou qu'elle a abandonné cet abruti. Moi, je les ai vus de l'extérieur, je n'ai jamais vraiment fait partie de leur groupe de petits génies du basket, alors je n'ai peut-être pas toutes les informations. Mais il y a des choses qui se remarquent d'autant plus avec un peu de recul : la façon dont Momoi a perdu du poids, comment Kuroko est devenu encore plus invisible après le début de cette histoire, les sourcils discrètement froncés de Kise et les cernes qui bouffaient le visage de Taiga. Qui les bouffent encore, d'ailleurs. Ils ont tous l'air fatigués, aujourd'hui. En tout cas, ils avaient l'air épuisés la dernière fois que je les ai vus. Moi ? Moi, je me sens coupable. Tout ce temps, je savais. Et je n'ai rien fait. Quand j'ai réalisé que je devais faire quelque chose, il était déjà trop tard : Momoi avait convoqué tout le monde au fast food du coin pour discuter de la situation d'Aomine et tous mes amis avaient l'air aussi mal en point que cet imbécile.
Je prend une grande inspiration et pousse la porte de la chambre avant de me stopper net. Je lâche la poignée et m'appuie contre le mur, écoutant la voix d'Alex avec une pointe de curiosité. Cela fait déjà plusieurs semaines qu'elle n'a pas vu Aomine. Maintenant que j'y pense, cela fait même quelques mois. Je réalise lentement qu'elle sentait peut-être que ce moment allait arriver et qu'elle se protégeait. Ou alors, elle a décidé de ne pas s'impliquer avec un sportif drogué.
Daiki me regarde avec appréhension. Je sais ce qu'il pense : il ne comprend pas vraiment ce que je fiche ici. Pas étonnant. On ne peut pas dire qu'on ait été proches ces derniers mois. Pourtant, on s'entendait bien. Déjà à l'époque où il est arrivé, tout frais débarqué du Japon, perdu et prêt à bosser de toutes ses forces pour atteindre le sommet, puis quand il a commencé à sortir avec Taiga. Ils étaient mignons tous les deux. C'est moi qui ai coupé les ponts quand j'ai su. Parce que je ne pouvais pas l'accepter, parce que je ne voulais pas assister à ce que je vois en ce moment, parce que j'ai préféré laisser Taiga gérer ça avec Satsuki. Elle ne me l'a pas pardonné, d'ailleurs. Elle ne m'a pas parlé depuis. Et ça affecte Taiga. C'est peut-être pour ça que je suis ici. Ou plus probablement parce que malgré tous mes efforts, ça m'affecte plus que je ne voudrais l'admettre de voir ce sale gosse dans un lit d'hôpital.
_ T'étais comme mon mentor. Lâche-t-il faiblement comme s'il lisait dans mes pensées.
J'ai un peu de mal à le croire. Mais après tout, il semblerait que j'aie un certain talent pour inspirer des gamins désœuvrés.
_ J'ai jamais pris de drogue.
Il détourne le regard, honteux, et se mord la lèvre.
_ Ouais…
_ J'suis passée par là, tu sais. J'en ai vu d'autres craquer.
Il ne me regarde toujours pas. J'entends un bruit ténu venant du couloir et l'ignore. Peu importe qui comptait entrer dans cette foutue chambre, il attendra. Ce que j'ai à dire est trop important.
_ Moi aussi, j'ai fait une carrière pro. C'est peut-être un peu différent chez les féminines mais si tu crois qu'on est plus tendres entre nous, tu te plantes. Être la nouvelle, les moqueries, la pression. Arriver avant tout le monde, partir après, tout ça pour s'entraîner et être encore meilleure, pour gagner leur estime et leur respect. Quoi ? Tu croyais que t'étais le seul à t'être fait détester de tes coéquipiers au bout d'une semaine ?
_ C'pas pareil. Je devais en faire plus que tous les autres. Déjà parce que je suis noir. Surtout parce que je sortais avec Taiga. Et que je me cachais pas.
Je soutiens son regard. Il sait très bien que je ne peux rien contre ces arguments. Que peu importe le nombre de petites-amies que j'ai pu avoir au cours de ma carrière, la pression sur mes épaules n'a rien eu de comparable avec celle qu'on lui a foutue en tant que mec et que je ne pourrais jamais comprendre le racisme dont il a pu souffrir depuis qu'il est gosse.
_ Et donc ? Tu t'es dit que la drogue allait améliorer tes perfs ? Ça me semble plutôt contre productif de faire croire aux gens que t'as besoin de te doper pour être bon… Mais j'imagine que t'avais tes raisons.
_ Mes raisons ? C'est qu'il est parti, ma raison. Il m'a pas laissé le temps de lui expliquer quoi que ce soit. Il s'est juste barré, a appelé Satsuki pour qu'elle m'aide à déménager - il me l'a même pas demandé directement - et il a ignoré mes appels pendant des mois. Tu crois que j'avais prévu de finir…comme ça ?! J'avais pas prévu de prendre ces pilules, j'ai juste cédé à Marco, je lui ai acheté sa merde et je l'aie pas balancée aux chiottes. Mais Taiga s'est barré et qu'est-ce qui me restait si j'arrivais pas à être le meilleur et qu'il était plus là ?! Lui n'était plus là, mais les autres, eux, l'étaient. Il y avait cette pression et j'avais plus personne à qui me raccrocher. J'ai vraiment essayé, tu sais, de garder la tête hors de l'eau. Mais après qu'il soit parti, j'arrivais plus à jouer comme avant, c'était tellement difficile de rentrer et qu'il soit pas là pour m'attendre, pour m'engueuler parce que j'étais à la bourre ou que je faisais pas la vaisselle. Je perdais mon niveau et je ne pouvais pas perdre le basket en plus de perdre Taiga. Alors j'ai été voir Marco. Et je les ai prises. Je devais être le meilleur, à tout prix. Tu comprends pas ?! Il fallait que je sois meilleur que tous les autres, pour qu'ils me foutent la paix, et il fallait surtout que je sois meilleur que Taiga ! C'est devenu une obsession. Puis j'ai changé d'équipe, Marco était plus là, j'ai commencé à prendre d'autres pilules et...
Il s'arrête, fait une pause, et ferme les yeux avec un air résigné. Quand il les rouvre, cependant, j'ai l'impression qu'une flamme brûle dans son regard :
_ Et maintenant, j'ai tout perdu.
Je baisse les yeux. A cause de la rage qui transpire des siens. C'est pas vraiment de la colère, ça ressemble plus à de la frustration. Je crois que je comprends : avoir l'impression que tout s'écroule, qu'on a tout foiré pour une seule mauvaise décision… Je soupire et passe une main sur mon visage.
Il détourne le regard et hausse les épaules. Je pousse un nouveau soupir, lasse.
_ Il me déteste.
_ Il t'en veut mais il ne te déteste pas. Au contraire.
_ Il sort avec Satsuki. murmure Aomine.
Je peux sentir la douleur dans sa voix, pour un peu je pourrais presque deviner la boule dans sa gorge.
_ Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Autant que je m'efface.
Je me raidis brutalement, presque par réflexe, et me redresse pour le fusiller du regard.
_ Ôte moi d'un doute… Cette overdose… C'était juste ça, pas vrai ?
Un silence glacial et plombant me répond.
_ T'as essayé de te foutre en l'air ?! Bordel, Daiki !
_ Tu comprends pas ! Moi j'en peux plus ! J'ai tout perdu en moins d'un an. C'est les deux personnes que j'aime le plus au monde qui sortent ensembles, c'est pas comme si j'avais envie que leur relation foire. J'espère même qu'ils seront heureux ensembles. Je veux juste pas être là pour le voir.
_ T'as essayé de te suicider… parce que t'es amoureux ?
Ma colère est en train de retomber. Tant pis, j'aurais tout le temps de l'engueuler plus tard. Pour l'instant, je me contente de le fixer d'un œil incrédule. J'ai du mal à croire que je sois en train d'avoir cette conversation avec Aomine. Je ne suis même pas sûre de devoir être si étonnée : il n'a jamais caché qu'il ressentait les choses de façon plus intense que la moyenne, malgré sa tendance à se planquer sous trois couches de mauvaise foi.
_ Non. Ma carrière est un flop monumental, le gars que j'aime s'est barré avec ma meilleure amie, j'ai beau tout faire pour l'oublier y a rien qui marche et le basket… J'ai l'impression d'être revenu au collège.
Je fronce les sourcils. Kuroko m'en a vaguement parlé sans jamais trop entrer dans les détails. Tout ce que je sais, c'est que leur équipe s'est délitée et qu'Aomine a pris pas mal de coups à cette époque.
_ Tu veux bien m'expliquer ? Je demande prudemment.
_ Le basket est devenu douloureux. Pas pour les mêmes raisons mais jouer… Jouer est tellement difficile. J'ai toujours l'impression que le ballon pèse 20 kilos. Ce n'est plus amusant, je n'y prend aucun plaisir, je crois que je déteste jouer. Mais passer une seule journée sans jouer est encore pire. C'est…
Je retiens mon souffle. J'ai la soudaine envie de le prendre dans mes bras. Je serre les dents et plaque mes deux poings sur mes yeux, sous les lunettes, pour qu'il ne voie pas que j'ai soudain envie de pleurer. Mince. Je ne pensais vraiment pas que ce qu'il me dirait allait faire remonter ces souvenirs. Des images m'arrivent par flash, d'après le diagnostic, du toubib qui me dit que ma carrière est foutue, de ce qui s'est passé après, de la colère, du vide, du désespoir… les sentiments m'étouffent brutalement et je me rend compte que je n'ai pas le droit de le juger. Parce qu'à l'époque, j'ai fait pas mal de trucs que je regrette aujourd'hui. Parce que sans Taiga et Tatsuya, j'aurais peut-être glissé moi aussi. Et parce que je comprends ce qu'il veut dire.
_ Alex ?
_O-Ouais… Je… Je crois que je vois ce que tu veux dire. C'est…
Je prends une grande inspiration.
_ Quand tu sortiras d'ici, on ouvrira une vraie boîte tous les deux. Pour former les gamins.
_ Quoi ?
Il ne comprend pas. Normal.
_ Quand tu seras rétabli… Tu vas arrêter ta carrière. Déjà parce que les tabloids sont en train de te descendre, et parce que si tu continues, tu vas finir par vraiment y passer. Alors tu vas venir avec moi. Et je te montrerais comment on se reconstruit quand on perd ses ailes.
Il cligne des yeux, toujours un peu perdu, mais il hoche la tête. Et moi, je sens que je me mets à pleurer. Merde. Putain de vie de merde.
_ Taiga, attend !
Je sursaute et me tourne vers la porte.
Il nous a fallu un moment, à Satsuki et moi, pour décider de rentrer. La seule idée de devoir remonter et le regarder et se rendre compte de combien on est responsables de cette merde nous tue plus sûrement que les cigarettes que j'aie taxé à un infirmier. Kise et Kuroko sont assis en silence à la cafétéria et j'hésite un instant à les rejoindre. C'est le contact léger, à peine perceptible, de Satsuki qui m'en dissuade. Je soupire et l'on se dirige vers l'ascenseur. L'appareil monte lentement. Il grince dans le silence lourd qui pèse entre nous. Quelque chose s'est brisé, je crois. Peut-être qu'on n'arrivera pas à gérer, tous les deux, finalement. Toute notre histoire est basée sur Daiki. C'est sa descente aux enfers qui nous a rapprochés. Au point où, tous autant que nous sommes, étions incapable de fonctionner autrement qu'ensembles. Je crois que depuis qu'il a commencé à déconner, notre vie se résume à notre petit groupe. Au fond, peut-être que c'est pour ça qu'on sort ensembles, elle et moi. Parce qu'on a mal tous les deux, parce qu'on l'aime tous les deux, parce que l'autre est la seule personne à comprendre cette douleur et cet amour. Peut-être qu'on sort ensembles non pas parce qu'on s'aime mais parce qu'on l'aime lui.
Je m'adosse contre le mur et me demande si j'ai jamais arrêté d'être amoureux de ce connard. Satsuki et moi, ça dure depuis quelques mois, presque un an. J'ai du mal à me souvenir de comment ça a commencé. On était au fast food avec Kuroko et Kise. Elle nous a dit qu'elle avait trouvé d'autres seringues usagées, à peine dissimulées dans la poubelle, et j'ai expliqué qu'il avait manqué deux entraînements cette semaine. Au fond, ces fausses réunions de crises, c'était juste pour qu'on se sente moins seuls. Parce qu'on n'a jamais su trouver comment l'aider, quoi lui dire, comment le sortir de ce cercle infernal. Il est arrivé un point où l'on a juste eu besoin d'énoncer chaque nouvelle évolution de la situation, pour se préparer au pire ensembles, un moment où l'on n'a plus eu d'espoir de trouver de solution mais où l'on a donné le change à la fois pour nous sentir moins coupables et pour avoir moins mal. Ce soir là, Kise et Kuroko sont partis. Nous deux, on n'a pas bougés. Trop fatigués, trop cassés. Je lui ai proposé d'aller boire un verre. Elle a dit oui. On a bu, beaucoup, et on a plaisanté sur le fait que devenir alcooliques n'allait pas aider à tirer notre ami de son addiction à lui. Puis on a arrêté de rire, parce que ce n'était pas drôle. On s'est regardés, en silence, et Satsuki a posé sa tête sur mon épaule. Quand elle s'est redressée, on s'est embrassés. Je ne me rappelle pas qui a fait le premier pas, on avait trop bu pour vraiment le savoir, j'imagine. Elle m'a demandé chez elle ou chez moi. Puis on s'est écartés parce que "chez elle", c'était chez lui. Elle s'est excusée, a commandé une autre bière et, avant que la commande arrive, j'ai répondu "chez moi". Après ça…Après ça, on a regretté. Mais on a continué. Peut-être que j'ai juste voulu me venger de Daiki. Peut-être qu'elle aussi. Peut-être qu'on n'a rien à faire ensembles. Mais même si notre relation est dysfonctionnelle et un peu malsaine, même si notre seul sujet de discussion c'est lui, même si on pense à lui quand on se réveille côte à côte, c'est ce qui nous a permis de ne pas tomber, de tenir le coup. Je sais que l'on danse sur le fil du rasoir. On est comme deux funambules qui avancent sans filets, prêts à tomber à chaque instant, qui vacillent à la moindre bourrasque. Peut-être qu'aujourd'hui, c'est la bourrasque de trop.
L'ascenseur s'ouvre et je soupire de soulagement. La tension dans cet ascenseur était en train de devenir trop insupportable. Toujours sans échanger un regard, Satsuki et moi avançons dans le couloir jusqu'à apercevoir Tatsuya, adossé au mur, l'air choqué. Il nous regarde et se tend. Il s'avance vers nous, l'air gêné :
_ Vous devriez…attendre un peu. Alex est avec lui…
_ Et ?
_ Vous n'avez pas besoin d'entendre ce qu'il a à lui dire.
J'affronte son regard, lis dans ses yeux qu'il essaie de me protéger et le bouscule avec rage. Je n'ai pas besoin qu'on me protège, j'ai besoin de comprendre pourquoi toute ma vie a foutu le camp en l'espace de quelques mois. Je m'approche de la porte et la voix de mon ancienne prof me parvient, étouffée :
_ …ssayé de te suicider… parce que t'es amoureux ?
Je déglutis… Suicide ? J'ai l'impression d'y avoir fait mention un peu plus tôt. Mais je n'aurais jamais cru qu'il s'agisse d'autre chose que d'un moyen de le pousser à bout. Puis la deuxième partie de la phrase me saute au visage. Amoureux ?
La réponse de Daiki me semble lointaine, comme si j'étais sous l'eau. D'ailleurs, j'ai l'impression de me noyer. Satsuki s'est approchée. Je ne veux pas qu'elle entende ça mais je ne peux rien faire pour l'empêcher et encore une fois, ma propre impuissance me rend furieux. J'entends Alex lui parler, lui proposer de bosser avec elle, et je sais qu'elle comprend ce qu'il a pu ressentir. Elle est peut-être la seule de nous tous à pouvoir le comprendre. Sa voix, l'espoir que ses paroles portent, me sortent de mon état de choc et je ne peux pas m'empêcher de pousser la porte alors que mon presque frère, qui a anticipé mon geste, tente vainement de me retenir par la manche :
_ Taiga, attends…
_ T'es qu'un sale con, Ahomine ! Pourquoi t'as rien dit ?! T'as intérêt d'accepter sa putain de proposition, de te sortir les doigts du cul et de te remettre sur pieds ! Et si t'as pour projet de nous laisser derrière pour une raison à la con, comme vouloir nous épargner ton supplice ou je ne sais quelle autre connerie, je te jure que je viendrais te coller mon pieds dans les burnes !
_ Je…
_ C'EST PAS NÉGOCIABLE ! T'AS PERDU LE DROIT DE L'OUVRIR QUAND T'AS CHARGÉ LA PREMIÈRE SERINGUE !
Je respire mal. J'ai l'impression d'étouffer. Que mes propres sentiments m'étouffent.
Encore une fois, je repense à ce que me disait ma mère. J'absorbe trop les sentiments des autres et je finirais par en souffrir. Quand je regarde Taiga et Daiki, la manière dont leurs yeux s'accrochent, et la façon dont ils tremblent tous les deux, je sens que le moment d'en souffrir est arrivé. Pourtant, je sais que notre histoire à Taiga et moi était vouée à l'échec. Je sais aussi qu'elle s'est terminée tout à l'heure, dans l'ascenseur. Il y a, entre nous, trop de culpabilité et de regrets pour que ça fonctionne. Je prends une grande inspiration et force un sourire. Il me faut trois essais pour réussir à le fixer sur mon visage. J'entends la porte qui s'ouvre et je jette un coup d'œil à Ki-chan et Tetsu-kun avant de m'avancer vers mon meilleur ami. Je me plante à côté de Taiga et évite de le regarder pour ne pas perdre contenance au moment où je déclare :
_ Tu l'as entendu. Maintenant, on pose les conditions : la première, c'est que tu dois nous parler. A nous ou à qui tu veux. Et tu dois jurer de nous demander de l'aide quand tu en auras besoin. Parce que nous, ce qui nous dérange, c'est que tu ne dises rien.
_ L'impuissance. Ajoute Tetsu-kun.
_ Alors va falloir apprendre à parler, Aominecchi !
Je les vois tous autour de moi, avec leurs faux sourires et leurs larmes contenues. Je sens qu'ils sont aussi brisés que moi, qu'ils sont brisés à cause de moi. Et je m'en veux, bordel. Je les mérite pas. J'ai presque du mal à les croire quand ils me disent que ce qu'ils veulent, c'est que j'aille bien. Parce que je n'ai pas le droit d'être heureux après tout ce que je leur ai fait.
_ Si t'as l'intention de te punir pour le restant de tes jours, oublie, crétin. La seule façon de te faire pardonner, c'est d'avancer et d'aller mieux !
Il n'y a plus de colère dans la voix de Taiga. Juste du soulagement. Je ne comprends d'abord pas pourquoi puis la réalisation me frappe soudain : il a enfin l'impression de savoir quoi faire. J'essaie d'imaginer ce que je ressentirais si Satsuki ou lui me mettaient à l'écart et me laissaient les regarder sombrer. Je comprend l'impuissance évoquée par Tetsu. Je soupire, vaincu.
_ Je crois… Je crois que j'ai besoin d'aide, les gars.
Note d'Après Propos : Voilà. J'espère que vous avez réussi à comprendre qui parlait à chaque fois. J'ai voulu essayer cette méthode d'écriture (et je ne sais pas si j'ai bien réussi, j'espère que oui) et je tenais à ne pas mettre de PDV Aomine... Puis j'ai changé d'avis au dernier moment parce que j'avais besoin d'une conclusion.
J'espère que l'OS vous a plu, que vous avez tout compris. Si jamais quelque chose vous a dérangé (dans le style particulier de cet OS), j'aimerais le savoir afin de voir ce qui allait et ce qui n'allait pas. Si tout était bien compréhensible ^^
Voilààà. Merci à d'avoir lu. Je ne sais pas quand je reposterais, ni même si je reposterais ici. Je pense que je vais faire le ménage dans les OS ré enregistrés que j'ai sur mon PC et publier tout ce qui est publiable.
