Bonjour bonjour !
Je vous souhaite à tous et toutes une très joyeuse année 2016 !
Ça fait longtemps que je n'ai pas posté (et que je n'ai pas répondu aux divers MP et reviews, ça va venir, c'est promis, pas taper ;-;) !
Me revoilà donc avec ma participation au Secret Santa du Collectif Noname (je ne suis pas en retard, miracle), spécialement destinée à... roulement de tambours... ADRAËN ! Wahou, j'avais déjà la pression, mais en plus j'écris pour le seul et unique représentant masculin du collectif !
Je te souhaite un très, très joyeux Noël (le 5 janvier, oui oui) et j'espère vraiment que cette fic te plaira et correspondra à tes attentes !
Il y aura 10 chapitres (qui ne sont pas tous écrits, mais ça avance !), et je vais reprendre mon rythme de publication lundi/jeudi (oui bon on est mardi mais c'est exceptionnel voilà ! :p), au moins jusqu'à ce que j'aie terminé l'écriture, auquel cas je pourrai accélérer si ça vous dit !
Je remercie bien évidemment les merveilleux Lutins à Paillettes du Collectif pour avoir eu l'idée de ce Secret Santa et pour le boulot incroyable qu'elles ont fourni ! Et également mon irremplaçable bêta, Nalou, comme d'habitude ;)
C'est ma première participation pour le fandom du Hobbit, soyez gentils ? :3
Sur ce, je vous souhaite une très bonne lecture !
CLANG !
Le son du marteau cognant le métal résonna dans la forge presque déserte, couvrant un instant le ronflement du feu. Le Nain s'essuya le front d'un revers de l'avant-bras, repoussant au passage une mèche échappée du lien de cuir qui retenait ses cheveux sur sa nuque.
Il travaillait mécaniquement, son esprit vagabondant tandis que ses mains s'activaient. Comme chaque jour, ses souvenirs envahissaient ses pensées comme les Orcs avaient envahi la Moria, des années plus tôt. Indélogeables.
CLANG !
Il mit toute sa force dans le coup. La lame prenait peu à peu forme sur l'enclume, encore un peu brute mais déjà joliment recourbée. L'acier rougeoyait, et le forgeron le replongea dans les braises pour le rendre à nouveau malléable, activant d'une main le lourd soufflet de cuir pour attiser les flammes.
Dans sa tête, le fracas métallique était celui des épées contre les boucliers. Oh, comme il aimerait être en train de forger une épée. Il pensa à la sienne, soigneusement emballée et dissimulée sous son lit. Il la sortait, parfois, juste pour s'imprégner de la sensation de la garde sous ses doigts déshabitués.
CLANG !
Martelant sa création, ignorant la sueur qui ruisselait sur ses tempes et les marques de suie qui parsemaient son visage et ses bras nus, il ne fit pas attention aux pas de l'homme qui s'approchait dans son dos. Il savait très bien de qui il s'agissait, et il n'avait aucune envie de se retourner. Il savait qu'il verrait un corps sec et musclé, bien trop grand à son goût, des cheveux dorés tressés bizarrement, et des yeux clairs rougis par la touffeur qui régnait dans la forge. La voix douce qui s'adressa à lui le fit tout juste réagir.
« Thorin.
Le nain lui adressa un hochement de tête raide entre deux coups de marteau.
- Maître Allvin, grommela-t-il.
Même après des années, le nom lui écorchait encore la gorge. Et l'homme qui le portait lui inspirait toujours autant de haine. Il ressemblait beaucoup trop à un elfe – avec un tempérament de troll. Autant dire peu de chances d'obtenir une place élevée dans l'estime de Thorin.
- Encore au travail à cette heure-ci ?
- Je voulais terminer cette faux.
- Hmm », répondit simplement Allvin en jetant un œil critique à la lame incurvée sur l'enclume.
Sans plus se préoccuper du maître forgeron – son employeur – Thorin saisit fermement l'extrémité large de la lame dans sa pince, et la plongea vivement dans le tonneau d'eau glacée qui se trouvait derrière lui. Le sifflement brutal de la vapeur le fit à peine frémir. Il était habitué. Au bout de quelques secondes, il sortit la lame et l'inspecta. Elle luisait doucement sous la lumière changeante des brasiers et des lanternes, encore un peu noircie de suie. Une fois polie et aiguisée, elle serait parfaite. Satisfait par l'aspect de l'acier, il déposa son œuvre sur un tas de chiffons huilés qui l'attendaient. Il replia soigneusement l'étoffe sur le métal.
« Je l'affûterai demain, lança-t-il en direction de l'homme.
- Marken la veut pour demain soir.
- Elle sera terminée. Le charpentier m'a amené le manche ce matin.
Le dénommé Allvin hocha la tête et épousseta son tablier de cuir d'un air absent.
- Tu as encore fait une œuvre d'art. Quand comprendras-tu que c'est l'aspect fonctionnel qui intéresse les gens ici ?
Thorin serra les dents sous l'insulte. Car c'en était une, d'insulte, déguisée en compliment moqueur. Allvin n'avait jamais pris la peine de masquer son mépris envers le Nain.
- Pardonnez-moi, Maître Allvin. Les mauvaises habitudes dues à mon éducation, grinça-t-il, dissimulant avec difficulté le venin dans sa voix.
Il ne pouvait pas se permettre de perdre cet emploi. Pas encore un. Il avait déjà suffisamment mauvaise réputation – inutile d'aggraver son cas. Plus personne ne l'accepterait. Le forgeron se contenta d'un bref ricanement.
- Tu as toujours eu le sarcasme facile, hein ? Allez, dépêche-toi. Je veux fermer la forge pour ce soir. »
Thorin acquiesça d'un hochement de tête, et vérifia que son feu était suffisamment calme pour être laissé sans surveillance. Il rangea ses outils, ôta son lourd tablier de cuir et l'accrocha avec les autres.
« Bonsoir, Maître Allvin, lança-t-il juste avant de sortir.
- Sois à l'heure demain matin », répliqua seulement l'intéressé.
Thorin haussa les épaules. Il était toujours ponctuel. Allvin prenait juste plaisir à être désagréable et à piétiner la fierté de son employé.
Le nain repoussa le lourd battant de bois derrière lui, et réprima un frisson. L'air hivernal contrastait durement avec la chaleur intense de la forge. Thorin respira profondément, tentant vainement de retrouver dans ces montagnes le parfum de sa montagne. Il secoua la tête, et s'approcha d'une congère intacte près du chemin. Il se frictionna vigoureusement les bras et le visage avec la neige fraîche, enlevant le plus gros de la suie qui le maculait.
Il suivit ensuite la petite route de terre qui menait aux quelques dizaines de maisons agglutinées qui formaient le village. La forge était largement excentrée pour éviter les risques d'incendies et le vacarme du métal après la nuit tombée.
Thorin atteignit son but au bout de quelques minutes de marche rapide. Il gratta la semelle de ses lourdes bottes sur la barre métallique fixée en bas du mur avant d'entrer, et fut accueilli par sa logeuse.
« Vous rentrez de plus en plus tard, Monsieur Thorin, remarqua-t-elle en se levant de son fauteuil au coin de l'âtre. Heureusement que je vous ai gardé du potage sur le feu.
- Merci, Gallerna », répondit-il simplement.
Il avait depuis longtemps abandonné l'idée qu'elle l'appelle simplement Thorin, alors qu'elle-même insistait pour qu'il n'utilise que son prénom pour s'adresser à elle. La vieille guérisseuse avait haussé les épaules à chaque fois qu'il lui avait fait la remarque. « Tout le monde au village m'appelle Gallerna, alors autant que vous fassiez de même. Et vous ne me faites pas l'effet de quelqu'un que je peux appeler par son prénom », répétait-elle inlassablement. Alors il avait laissé tomber – et intérieurement, le fait qu'elle lui donne du « Monsieur » apaisait un peu son amour-propre passablement entamé par sa situation.
Il s'assit donc à la table tandis qu'elle lui apportait un grand bol d'une soupe épaisse, un morceau de pain chaud et une tranche de lard grillé.
« Vous en faites trop, Gallerna, protesta-t-il. Je suis capable de préparer mon repas, vous n'êtes pas là pour me servir.
- Monsieur Thorin, pour la mille sept cent vingt-troisième fois, quitte à faire à manger pour moi, je fais à manger pour vous.
Le Nain laissa échapper un rire amer.
- Vous avez vraiment compté ?
- Oh, à deux ou trois fois près, oui. Ce n'est pas bien compliqué, vous me dites la même chose tous les jours depuis bientôt cinq ans… répliqua-t-elle avec un sourire indulgent. Mangez, Monsieur Thorin, pendant que c'est chaud. Et racontez-moi votre journée, s'il vous plaît. »
Thorin eut un sourire un peu plus convaincu. C'était devenu un petit rituel pour eux. Gallerna ne quittait sa maison que si quelqu'un avait besoin d'aide et ne pouvait se déplacer ; sinon, les habitants du village venaient chez elle directement pour chercher soins et conseils. Et comme elle entretenait une vieille rancune envers Allvin, Thorin pouvait se permettre de lui parler de ses relations épineuses avec son employeur…
En remontant dans sa chambre, Thorin sentit son humeur s'assombrir à nouveau. Ses discussions avec Gallerna l'aidaient généralement à se soulager un peu, mais ce n'était que partie remise, et ses pensées noires retrouvaient leur place dès la distraction terminée.
Comme chaque soir, il se demanda s'il parviendrait un jour à se remettre. A oublier, ou au moins à vivre avec. Car il ne vivait pas, non – sa situation tenait plutôt de la survie. Il avait l'impression d'être en suspens, dans une boucle infernale où tous les jours se ressemblaient jusqu'à ce qu'il ne puisse plus les distinguer les uns des autres.
Il avait la main sur la poignée de porte lorsque la voix de sa logeuse lui parvint, résonnant dans la cage d'escalier.
« Monsieur Thorin ! Quelqu'un demande à vous voir ! »
Il se figea, et fronça les sourcils. Quelqu'un ? Qui ça, quelqu'un ? Un vague instant, il se prit à espérer que ce soit un de ses anciens amis. Balin – que ne donnerait-il pas pour le revoir ? Ou Dwalin, ou n'importe qui à vrai dire. Mais ils étaient loin, et pourquoi se seraient-ils donné la peine de venir le voir, lui ? En une fraction de seconde, son cœur gonflé d'espoir se recroquevilla sous la douleur. Penser aux personnes qui lui manquaient, c'était comme penser à Erebor : futile et désespéré.
« Monsieur Thorin ? appela à nouveau la vieille femme, le tirant de ses pensées. Il dit que c'est important !
- J'arrive » lança-t-il après s'être éclairci la gorge, sa voix refusant de sortir.
Il redescendit les marches au pas de course, le palpitant au bord des lèvres. Juste avant de tourner dans le vestibule de l'entrée, il s'efforça de calmer sa respiration, et déglutit. Courage, Thorin. Arme ton cœur et durcis ton esprit, car ce qui vient ne peut être bon...
Il avança, et le masque impassible qu'il s'était composé se fissura presque immédiatement, laissant place à une expression méfiante. Gallerna était en pleine discussion avec un homme immense, vêtu d'une ample et longue robe de laine grise, et à la barbe de même couleur. Son front était dégarni, mais ses cheveux tombaient, broussailleux, plus bas que ses épaules. Et au milieu de son visage ridé, deux yeux couleur d'acier le perçaient de part en part.
« Oh, Monsieur Thorin, vous êtes descendu ! Allez donc vous installer près de la cheminée, je vais vous apporter du thé. À moins que vous ne vouliez boire autre chose ?
- Du thé serait parfait », répondit l'homme.
Il avait une voix profonde, légèrement rauque, et une intonation étonnamment douce. Gallerna acquiesça et disparut dans la cuisine avec un sourire, les laissant seuls, face à face.
L'inconnu parcourut Thorin du regard, et celui-ci se sentit jaugé, mis à nu par ces yeux brillant d'une lueur étrange. Il s'efforça de conserver son calme, mais sentait la tension monter, presque palpable, jusqu'à ce que l'homme prenne la parole.
« Vous n'êtes pas facile à trouver, Thorin, fils de Thrain, déclara-t-il en arquant un sourcil épais.
- Qui êtes-vous ? répliqua le Nain, surpris et suspicieux de cet homme qui connaissait son nom et celui de son père.
- Vous ne me connaissez pas, mais je vous connais, et je connais votre lignée. Je porte bien des noms, mais l'on me connaît souvent sous celui-ci : je m'appelle Gandalf. Je suis le Magicien Gris, et je vous apporte des nouvelles.
Les yeux de Thorin s'agrandirent. Il n'avait jamais rencontré Gandalf personnellement, mais n'importe qui en Terre du Milieu avait entendu parler du magicien errant. Thror en parlait parfois, alors que Thorin n'était qu'un jeune Nain et qu'Erebor était riche et resplendissante.
- Gandalf… murmura-t-il en l'observant attentivement. On dit que vos nouvelles sont synonymes de malheur.
- Les messages que je vous apporte ne sont pas tous noirs. Mais n'en discutons pas debout dans l'entrée. Allons, installons-nous devant le feu que votre logeuse a si gentiment entretenu pour nous, et je vous parlerai de ce que j'ai appris. »
Thorin hocha la tête, et guida Gandalf dans la salle à manger. Le feu ronflait dans la cheminée, et deux fauteuils semblaient les attendre. Juste comme ils s'asseyaient, Gallerna entra à son tour, chargée d'un plateau avec deux bols fumants et une panière remplie de petits pains.
« Monsieur Gandalf, avez-vous faim ? Il reste du potage, et je peux également vous préparer du lard grillé ou sortir du fromage, proposa-t-elle, mais le magicien secoua la tête avec un sourire chaleureux.
- Merci, mais c'est inutile. J'ai dîné à l'auberge du village.
- Comme vous voudrez. Je suppose que vous y avez pris une chambre ?
- C'est tout à fait exact, ma chère Gallerna.
- Alors je ne vous dérange pas plus longtemps, et vous souhaite la bonne nuit. »
La guérisseuse se retira dans sa chambre, et le silence régna quelques instants, le Nain et le Magicien se faisant face en buvant leur thé à petites gorgées.
Puis Gandalf se rencogna dans son siège, ses mains entourant son bol sans paraître se brûler.
« Comme je le disais plus tôt, j'ai eu du mal à vous trouver. Voilà plusieurs mois que je suis en voyage à votre recherche.
Thorin fronça les sourcils.
- Pourquoi me cherchiez-vous ?
- Parce qu'on m'a demandé de vous transmettre un message. Mais je vais commencer par la mauvaise nouvelle, si vous le voulez bien.
- Faites.
Il n'y a guère de nouvelles agréables dans ma vie désormais, de toute façon. Alors une de plus…
- Thorin, j'ai le regret de vous annoncer que votre père Thrain est décédé.
A cela, le nain laissa échapper un rire sec.
- Nul ne l'a vu depuis la mort de Thror, devant la Moria, il y a bientôt huit décennies. Je ne m'étais pas bercé d'illusions à son sujet.
Gandalf hocha la tête.
- Je l'ai retrouvé, bien par hasard. J'étais sur une affaire tout autre, qui vous concerne peu. Tout à l'extrémité de la Forêt Noire, dans la vieille forteresse, je recherchais un Nécromancien, et dans ses cachots, j'ai trouvé Thrain. Il était mourant, à moitié fou, et n'a su me dire votre nom. Il m'a transmis quelque chose pour vous, et j'ai fait de longues recherches pour découvrir votre nom, et une longue route pour vous trouver.
- Dans les cachots du Nécromancien… ? demanda Thorin, sans comprendre.
- Je ne saurais vous dire comment il s'était retrouvé là. Aussitôt après m'avoir délivré son message, il a exhalé son dernier soupir. »
Le nain hocha la tête. Bien qu'effectivement, il n'ait jamais pensé revoir son père, apprendre sa mort était un coup dur. Mais le magicien ne lui laissa pas le temps de pleurer, et reprit son discours tout en fouillant les poches de sa robe.
« Il m'a donné ceci, annonça-t-il en tirant un parchemin d'un repli d'étoffe.
Il le déplia avec précaution, dévoilant une carte en assez bon état, que Thorin reconnut immédiatement, malgré la lumière mouvante des flammes.
- C'est… commença-t-il, mais sa voix refusa d'aller plus loin, et il se tut.
- Erebor », fit simplement Gandalf.
Thorin saisit le parchemin d'une main fébrile. D'un doigt tremblant, il parcourut les lignes fines, les noms, les runes dont il était sûr qu'elles étaient tracées de la main de son grand-père Thror. Il ravala les larmes qu'il sentait monter, et tenta d'ignorer les griffes qui s'étaient refermées sur son cœur.
« … Pourquoi… Pourquoi mon père voudrait-il me transmettre ceci ? demanda-t-il, la voix rauque. Erebor n'est plus. Erebor ne sera plus jamais.
Gandalf le regarda avec des yeux remplis de douceur.
- Parce que votre père avait encore de l'espoir. Parce qu'il a cru, jusqu'au dernier instant, en son fils, et en l'avenir de son royaume perdu.
Thorin replia soigneusement la carte, et la tendit au magicien d'un geste brusque.
- Pourquoi êtes-vous venu, Gandalf ? Que croyez-vous accomplir ? J'ai quitté le Mont Solitaire dans la panique générale, le feu et l'odeur des corps brûlés, il y a près de quatre-vingt ans. J'ai vu les miens tomber d'une malédiction à l'autre, laissant le dragon derrière eux pour mieux se jeter dans les crocs des Wargs et des Gobelins. J'ai vu Azog décapiter le Roi d'un coup de sa lame maudite. J'ai entraîné le reste de mon peuple vers une vie humiliante, et me suis fait traiter en paria où que j'aie demandé l'asile. Que voulez-vous que je fasse de cette carte ? Que je la contemple avec nostalgie au coin du feu les soirs d'hiver, jusqu'à ce que la douleur me fasse me jeter avec elle dans les flammes ? »
Le nain se leva et tourna le dos à Gandalf, tremblant d'une colère à peine contenue. Il avait essayé. Il avait fait tout ce qu'il avait pu pour s'adapter à sa nouvelle vie. Il avait enfin trouvé un emploi stable, un logement accueillant. Et voilà que ce magicien venait piétiner ses efforts… Thorin serra les mâchoires à en faire grincer ses dents.
« Partez, Gandalf.
- Je n'ai pas fini, contra le mage calmement. Je n'ai pas fait des lieues et des lieues à cheval pour me faire renvoyer d'un « partez, Gandalf ». Rasseyez-vous, Thorin, et soyez digne de celui qu'on appelle Ecu-de-Chêne.
- Je ne mérite plus ce nom, murmura Thorin en fermant les yeux, toujours dos au magicien. Je ne suis plus celui que j'étais.
- Vous le mériteriez si vous vous donniez la peine de m'écouter, s'agaça Gandalf. Je ne vous ai pas apporté cette carte sans raison, Thorin. Ces runes ne sont pas juste décoratives, et vous n'êtes pas le premier Nain que j'aie rencontré dans ma quête. Je ne pense pas me tromper en me disais que vous connaissez un certain Oin.
Thorin fit volte-face en entendant le nom, et eut l'impression de recevoir un coup dans l'estomac.
- Oin, vous avez rencontré Oin – comment va-t-il ? Et –
- Calmez-vous, Thorin. Rasseyez-vous, je vous en prie. Oin se porte bien, ainsi que son frère Gloin. Et lui aussi a des nouvelles pour vous. »
Thorin pinça les lèvres pour s'empêcher de poser mille et une questions. Qu'étaient devenus ses amis ? Que faisaient-ils ? Où étaient-ils ? Mais Gandalf le tira de la spirale d'interrogations dans laquelle il menaçait de se noyer.
« Bien. Vous savez donc qu'Oin possède certains dons d'interprétation et d'analyse.
- En effet, fit Thorin en se rasseyant lentement – ses jambes promettaient de lâcher d'une seconde à l'autre.
- Si je vous dis que des corbeaux ont été vus partant vers l'Est, ça ne vous avancera probablement pas à grand-chose. Mais Oin y a reconnu, avec certitude, que c'était l'accomplissement, ou tout du moins le signal d'un vieux présage.
Thorin fronça les sourcils. Ouvrit la bouche, la referma. Puis il murmura :
- Quand on verra les oiseaux d'antan à Erebor s'en retournant, le règne de la bête prendra fin…
Gandalf arqua un sourcil broussailleux, et le nain s'éclaircit la gorge.
- Mais… Ce n'est qu'une comptine ! Cette rengaine était déjà connue bien avant l'arrivée de Smaug au Mont Solitaire…
- Ce qu'il y a d'intéressant avec les prophéties, mon cher Thorin, c'est qu'elles peuvent apparaître à un moment tout à fait indépendant de leur date de réalisation, sourit le magicien. En ce qui nous concerne, je dois dire que nous sommes plutôt chanceux qu'elle ait été révélée avant de se réaliser.
- Pas si vite, attendez, protesta Thorin. Vous êtes en train de me dire… Des corbeaux retournent vers la Montagne, et ça signifie que Smaug… ?
- Je ne saurai vous dire ce qu'il en est de Smaug, à part que son « règne » est censé « prendre fin ». Il n'a pas été vu depuis soixante ans. Je doute qu'il soit mort – la longévité d'un dragon est sans pareille – mais inactif, endormi…
Gandalf haussa les épaules.
- Je ne comprends toujours pas ce que vous faites ici, Gandalf. Ou plutôt pourquoi vous le faites. Car vous essayez de réveiller l'ancien Thorin, n'est-ce pas ? Vous vous fourvoyez, Gandalf, je ne suis plus le même Nain. Ma vie a changé. Erebor est perdue, conclut Thorin d'un ton amer.
Le magicien se leva et fit quelques pas, les yeux fixés sur la cheminée.
- Je vais rester quelques jours à l'auberge du village. Réfléchissez, Thorin. Si vous décidez que passer le restant de votre vie à forger des socs de charrue vous convient, je n'insisterai plus. »
Sur ces mots, il retourna dans l'entrée, décrocha sa cape et son chapeau de la patère et saisit le long bâton appuyé contre le mur, et sortit sans rien ajouter de plus.
Resté seul, Thorin fixa d'un œil noir le fauteuil vide qui lui faisait face. Non, pas exactement vide – sur le coussin reposait, narquoise, la carte d'Erebor. Le nain fut un instant tenté de la jeter dans les flammes, mais il retint son geste au dernier moment, la repliant délicatement. Il jeta un œil au feu, qui n'était plus qu'un tas de braises rougeoyantes, et remonta dans sa chambre d'un pas lourd.
Le cœur étrangement serré, il glissa la carte sous son lit, aux côtés de son épée et de son armure. Puis il procéda à ses ablutions nocturnes, mécaniquement. Il se déshabilla, conservant le pantalon de laine fine qu'il portait sous ses vêtements chauds, et enfila sa chemise de nuit. Il se passa de l'eau froide sur le visage, mais s'immobilisa lorsqu'il releva les yeux vers le miroir qui surplombait sa petite bassine.
Ce qu'il y voyait le frappait pour la première fois de plein fouet. Il avait été tellement profondément enfoncé dans ses sombres souvenirs et sa vie désespérée qu'il ne s'était jamais vraiment observé depuis qu'il était parti de la Moria, quatre-vingt ans plus tôt – mais la rencontre avec Gandalf l'avait secoué, tiré de sa torpeur.
Son reflet le regardait sans aménité, une expression de choc et de tristesse indicible tirant ses traits. Ses yeux bleus ressortaient toujours sur son visage encadré de mèches sombres, mais ses longs cheveux noirs étaient désormais striés d'argent, et Thorin prenait soudain toute la mesure du temps qui s'était écoulé. Quatre-vingts ans… Même compte tenu de l'exceptionnelle longévité des Nains (qui n'atteignait pas celle des Elfes, mais dépassait de loin celle des Humains), ce n'était pas rien. Il était passé de jeune prince héritier à un nain brisé dont la vieillesse menaçait de pointer le bout de son nez.
Thorin se détourna du miroir, les mots de Gandalf résonnant dans son esprit. Passer le restant de votre vie à forger des socs de charrue. Il eut un sourire nerveux, amer. Le restant de sa vie n'était pas si court que ça, et rien ne garantissait qu'il supporterait Allvin jusqu'au bout. Ou qu'Allvin, lui, le garderait comme employé… Mais que pouvait-il faire ? Reconquérir Erebor, au nez et à la barbe du dragon ?
Le nain s'étendit sur son lit, repoussant les épaisses couvertures de laine, et laissa son esprit vagabonder. Il s'autorisa à rêver. Reprendre Erebor… Les souvenirs du royaume détruit l'envahirent tout entier. La beauté de la montagne et des salles creusées par les Nains, les forges immenses et puissantes, les ouvrages magnifiques que les mains rudes parvenaient à façonner, n'ayant rien à envier aux objets de facture elfique, les relations riches et solides entre Erebor et la ville humaine de Dale…
Puis… Le carnage. L'odeur de bois et de chair brûlés, le goût du sang sur sa langue, les fumées qui lui brûlaient les yeux aussi sûrement que ses larmes – Thorin ravala celles qu'il sentait monter. Il ne pleurerait plus. D'une voix basse, rauque, il répéta le présage d'Oin, et soudain, il s'aperçut qu'il avait pris une décision. Il préférait avoir des remords que des regrets.
Le règne de la bête prendra fin. Oui. L'heure était venue.
Eeeet voilà pour aujourd'hui, rendez-vous jeudi soir pour la suite !
Laissez-moi une petite review si vous en avez envie, ça me fait toujours très plaisir de recevoir vos retours !